Les ports de la côte orientale du golfe de Messénie

7Sur la côte orientale du golfe de Messénie et dans la péninsule du Magne il y a six sites anciens : Gérénia, Kardamylè, Leuktron/Leuktra, Thalamai, Oitylos et Hippola16. Le premier, en se rendant du nord au sud vers le cap Ténare, est celui de Gérénia. L’emplacement de l’acropole a été identifié à Zarnata Kambou, où se trouvent les vestiges d’une forteresse vénitienne, assez près de la mer, même si Ptolémée place le site à l’intérieur des terres17. La chronologie du site s’étend de la Préhistoire jusqu’au Moyen Âge. En ce qui concerne l’époque classique, les vestiges comprennent une partie des fortifications de l’acropole et des fragments architecturaux réemployés dans des édifices modernes18. Deux inscriptions du v^e siècle av. J.‑C. pourraient également provenir de Gérénia19. Pausanias décrit cette cité comme très ancienne, qu’il reconnaît dans l’Énope mentionnée par Homère20 ; c’était ici que, selon une tradition, Nestor avait été élevé ou s’était réfugié après la conquête de Pylos par Héraclès.

8Gérénia se trouvait à une distance de 3,5 km de la mer vers le sud et de 4 km environ vers l’ouest. L’acropole était construite sur une colline qui atteint une hauteur maximale de 422 m, ce qui lui donnait une bonne vue sur la région environnante jusqu’à la mer. Il était donc possible, depuis ce site, de surveiller les routes maritimes qui passaient par le secteur nord-est du golfe, tandis que la vue sur la partie méridionale était entravée par Akra Kitriés, le promontoire au sud de Gérénia21. De plus, les fonds marins sont très profonds des deux côtés du petit promontoire sur lequel se trouve l’acropole. Ils ont une profondeur de 5 m dans le secteur nord-occidental et une profondeur qui varie de 27 à 46 m dans la partie sud-orientale22. Le site pouvait donc être utilisé pour le mouillage d’une flotte de dimension assez réduite, qui aurait pu se servir des plages au nord-ouest du site. Comme l’implantation de trois phares entre le promontoire et le village moderne de Mantinéa le montre, la présence de récifs près de la côte est néanmoins dangereuse pour les navires.

9En allant vers le sud, on trouve l’habitat de Kardamylè, construit sur une colline rocheuse à un peu plus d’un kilomètre de la mer (fig. 10)23. Bien que ce site soit attesté dans les sources littéraires à partir d’Homère, l’histoire du site demeure inconnue24. Au début du xx^e siècle, d’anciens blocs de pierre et un chapiteau étaient visibles près de l’église d’Agia Sophia25. Sur le site, il y a notamment des colonnes doriques et, plus généralement, des vestiges qui vont de l’Antiquité au Moyen Âge26. Le port, vers lequel l’habitat moderne s’est déplacé, n’est pas de grande dimension, mais il est bien protégé des vents et peut donc constituer un bon mouillage pour les bateaux27. Il y a aussi une plage assez longue au nord du site moderne, qui pouvait éventuellement être utilisée pour tirer les navires au sec. Les fonds marins sont assez profonds pour le mouillage, mais la baie présente plusieurs récifs ou rochers très peu au-dessous de la surface de l’eau, notamment dans le secteur du port moderne, ce qui peut entraîner des difficultés pour la navigation et un vrai danger pour les navires.

Fig. 10 – Côte de Messénie entre Gérénia et Oitylos.

10Le site suivant est Leuktron/Leuktra qui se trouve à soixante stades (11 km environ) de Kardamylè28. L’habitat était fondé à l’emplacement du village moderne de Leftro Stoupas29. L’acropole se trouvait sur une colline qui se dresse au milieu de la plaine côtière. Le site fut ensuite occupé par une forteresse vénitienne, et dans ses fortifications on repère la réutilisation de blocs de pierre anciens30. De plus, des inscriptions et des fragments architecturaux ont été notés au pied de l’acropole ; il n’y a pas de certitude à propos de l’occupation du site à l’époque archaïque, mais les vestiges retrouvés prouvent que Leuktron/Leuktra était habitée au moins à partir de l’époque classique31. La position de la cité haute offrait une vue dégagée sur le golfe32. La plage au nord-ouest de l’acropole pouvait être utilisée pour mettre des navires au sec (fig. 11), mais, dans ce secteur, la mer est caractérisée par des fonds peu profonds et parsemés de récifs.

Fig. 11 – Baie de Leuktron/Leuktra (cliché de l’auteur, juin 2021).

11Le site de Thalamai se trouvait selon toute vraisemblance près de la ville moderne de Platanos Thalamôn. Les vestiges retrouvés vont de l’époque archaïque à l’époque romaine et, pour l’époque classique qui nous concerne, on note la présence de murs33. Les sources anciennes ne mentionnent pas Thalamai dans un contexte historique, et les seules informations sont de caractère géographique34. Le seul aspect important qui se dégage des textes est la présence du culte des Dioscures, dont nous parlerons à propos de Péphnos, et de l’oracle d’Ino-Pasiphaè. Ce culte oraculaire est attesté par Pausanias et par un texte épigraphique35. La cité antique se trouvait sur une colline assez élevée (450 m) depuis laquelle il était possible d’avoir une très bonne vue sur les navires qui passaient par le golfe de Messénie et sur la péninsule d’en face36. Le site était probablement lié au petit port où se trouve le village moderne de Trachila, qui pouvait servir pour le mouillage d’un petit nombre de navires et dont les fonds ne présentaient probablement pas de dangers particuliers, à part un assez grand rocher se situant devant l’embouchure du port moderne. De plus, ce site constituait la seule possibilité de mouillage dans les alentours immédiats de Thalamai. La côte est essentiellement rocheuse et il n’y a aucune plage utilisable pour tirer les navires au sec. Entre Leuktron et Thalamai il y a le petit îlot de Péphnos (à environ 4 km au nord de Thalamai)37. Ce site ne représentait pas d’importance stratégique pour le contrôle de la côte et des routes maritimes, mais il était un centre cultuel renommé, parce que la tradition locale considérait l’îlot comme le lieu de naissance des Dioscures, qui jouissaient d’un culte à Péphnos ainsi qu’à Thalamai38.

12Plus au sud, on trouve le site d’Oitylos, que les sources anciennes placent dans le territoire de Sparte39. La cité se trouvait à quatre-vingts stades (15 km environ) de Thalamai, près de l’habitat moderne qui porte le même nom d’Oitylo40. D’anciens fragments architecturaux sont visibles dans les églises du village. De plus, une portion de l’enceinte est conservée dans la partie sud de l’habitat moderne ; il s’agit d’une construction de type isodomique qui, dans la partie la mieux conservée, atteint une hauteur de quatre blocs41. S’y trouvent également les restes d’une fondation qui peut être interprétée comme un édifice cultuel et de la céramique42. En ce qui concerne la mer, la petite baie (Ormos Liméniou) près de laquelle le site antique fut construit pouvait offrir un abri aux navires qui naviguaient dans cette partie du golfe de Messénie (fig. 12). La baie a des eaux assez profondes, mais inférieures à 10 m près de la côte, et ses fonds de sable ne présentent pas de dangers. Elle est considérée de nos jours comme un très bon mouillage. De plus, les navires pouvaient être tirés au sec sur la longue plage qui borde la mer dans la partie centrale de la baie. Malgré ces avantages pour la navigation, il faut souligner que la baie d’Oitylos n’est pas protégée des vents et des courants, ce qui est prouvé par l’emplacement du petit môle moderne construit sur le côté septentrional perpendiculairement à l’embouchure de la baie. Ce mouillage pouvait donc être utilisé pour abriter une flotte par beau temps, mais il ne pouvait pas être considéré comme un bon port en cas de mauvais temps.

Fig. 12 – Baie d’Oitylos (cliché de l’auteur, juin 2021).

13Le site d’Hippola (fig. 13) se trouve près de l’habitat moderne de Kipoula, à 150 stades d’Oitylos (27 km environ)43. La présence d’un site ancien est confirmée par les vestiges datant de l’époque géométrique jusqu’à l’époque hellénistique44. Ce site était en ruine à l’époque de Pausanias ; il note seulement que les restes du temple d’Athéna Hippolaitis étaient encore visibles. Il donne en revanche plus d’informations sur la position de l’habitat qui se trouvait à trente stades (5,3 km environ) de Kainèpolis, sur la pointe Thyrides (moderne Kavo Grosso), l’une des pointes du cap Ténare45. Cette donnée est remarquable : depuis sa position sur des falaises de plus de 250 m de haut, le site pouvait aisément permettre la surveillance de tous les navires qui naviguaient dans le golfe de Messénie ou qui contournaient le cap Ténare pour continuer leur route vers la mer Égée ou la mer Ionienne46. Le mouillage était possible, avant de se trouver à la hauteur d’Hippola, dans les eaux profondes (< 50 m) de la petite baie qui s’ouvre au nord-est de la péninsule, c’est-à-dire la baie moderne de Mézapos.

Fig. 13 – Cap Ténare.

Les ports de la côte occidentale du golfe de Laconie

14En se rendant du sud au nord depuis le cap Ténare vers Gytheion, on retrouve cinq sites maritimes : Achilleion, Psamathonte, Teuthronè, Asinè et Las. Le promontoire du Ténare se trouve à une distance de 150 stades (26,6 km environ) de Teuthronè47. Peu avant le cap, il y a deux ports naturels, habités dans l’Antiquité. Celui d’Achilleion est attesté comme port, et celui de Psamathonte comme port et cité48. Ce dernier se trouve à l’autre côté de la péninsule, c’est-à-dire à l’est, par rapport au port d’Achilleion (Marmari aujourd’hui), sur le site moderne de Porto Kagio/Porto Quaglio ; ce site n’a livré de restes anciens qu’à partir de l’époque hellénistique49. Les deux ports, et celui de Psamathonte en particulier, ont des eaux très profondes (autour de 10 m de profondeur à partir de 50 m de la côte et sans présence importante de récifs), les rendant aptes à abriter des navires de grandes dimensions (fig. 14‑15)50. Cet aspect est très important, parce qu’ils constituaient la dernière possibilité d’ancrage avant de passer le cap Ténare, célèbre pour sa dangerosité.

Fig. 14 – Baie d’Achilleion vue de l’acropole de Psamathonte (cliché de l’auteur, juin 2021).

Fig. 15 – Baie de Psamathonte vue de l’acropole (cliché de l’auteur, juin 2021).

15Ténare est principalement une indication géographique concernant le promontoire et le cap, mais il est aussi le siège d’un important culte de Poséidon et d’un habitat de l’époque classique51. Ce site se trouvait probablement près du sanctuaire, à Agioi Asomatoi près de la baie de Porto Sternès, sur le côté oriental du cap52. Ténare devint, au moins dès les années 330‑320 av. J.‑C., le siège d’une garnison de mercenaires53. Le site du sanctuaire a été reconnu avec certitude, mais la question de l’emplacement précis du culte a été longuement controversée. Dans la partie orientale de la baie centrale du cap, se trouve une grotte qui était considérée comme la porte d’accès à l’Hadès54. La grotte a une profondeur de 15 m et sa largeur est de 11 m environ ; elle est tout près de la mer, à une hauteur de 2 m environ au-dessus55. Immédiatement à l’ouest de cette grotte, il y a les creusements de fondation d’un édifice rectangulaire (16 x 19 m), et, sur le sommet de la colline, se trouvent les restes des Agioi Asomatoi parmi lesquels il y a des vestiges anciens. Initialement, les recherches n’ont pas donné assez de résultats pour affirmer si le temple se trouvait à la place de la chapelle, qui a été construite avec des blocs anciens, ou s’il fallait le placer dans le bâtiment rectangulaire. Finalement, les études de L. Moschou et de W. Cummer ont démontré que pour le site de la chapelle trois phases se succèdent : un temple distyle in antis, une église byzantine et une chapelle post-byzantine56. Les deux édifices postérieurs ont englobé la partie nord du mur originel, dont les blocs n’ont pas été déplacés. Il semble donc évident que le sanctuaire de Poséidon se trouvait à l’emplacement de la chapelle des Agioi Asomatoi57.

16Plus au nord, il y avait l’acropole de Teuthronè associée à la cité basse qui se trouvait selon toute vraisemblance près de Skopas Kotrona58. Dans l’état actuel des connaissances, nous ne savons pas placer exactement le site de l’acropole de Teuthronè. Selon une interprétation, elle est à chercher près du village moderne de Chimara (fig. 16)59. Malgré les données lacunaires, les savants ont pensé que ce site pouvait avoir une certaine importance pour la défense du territoire : les fortifications de l’acropole auraient fait partie d’un système plus ample construit à l’époque de la guerre de Corinthe (395‑386 av. J.‑C.) pour contrôler et protéger la côte60. Une autre hypothèse place l’acropole à Loukadika, village qui se trouve au nord-ouest de la baie, sur le site de Paliokastro Kolokythias61. La partie la plus élevée du village présente encore de nos jours des bâtiments anciens, comme des fortifications et une église. Ces constructions, dans la partie la plus proéminente d’une haute colline, en soulignent la position stratégique face à la mer et à la campagne aux alentours. Le site n’avait probablement pas de bon port de grandes dimensions, à cause de la côte rocheuse et dentelée. Mais sa position à l’extrémité d’un grand golfe pouvait permettre d’abriter des navires (fig. 17). De plus, les fonds marins sont jonchés de plusieurs obstacles, comme des récifs. La baie est aussi exposée aux vents provenant du sud qui ont fortement endommagé le môle moderne construit au sud-est du village. Malgré ces inconvénients, nous pouvons au moins affirmer que la cité faisait partie du réseau d’habitats et de forteresses qui protégeaient la côte de la Laconie62.

Fig. 16 – Sites entre Teuthronè et Las.

Fig. 17 – Baie de Teuthronè vue de Loukadika (cliché de l’auteur, juin 2021).

17Asinè de Laconie se trouvait probablement au sud du promontoire de Sidérianika ; le site n’a pas été retrouvé, mais l’hypothèse la plus accréditée le place à Skoutari, où les chercheurs ont découvert des vestiges datant de l’époque classique et, surtout, de l’époque romaine63. Les données historiques sur Asinè de Laconie sont peu nombreuses. Thucydide énumère Asinè parmi les cités attaquées par les Athéniens après la conquête de Cythère en 425‑424 av. J.‑C.64. En 369‑368 av. J.‑C., la cité fut attaquée par les Arcadiens : la garnison lacédémonienne fut défaite, le polémarque tué et le territoire pillé65. Les deux attaques menées contre la cité montrent l’importance que le site avait dans l’Antiquité. Pour notre propos, il faut souligner sa position dans le golfe de Skoutari qui pouvait garantir la protection aux navires en cas de mauvais temps ; la plage qui s’étend devant la colline de l’acropole pouvait être utilisée pour mettre les trières au sec sans avoir la nécessité de construire des structures navales imposantes (fig. 18). De plus, le promontoire Moudès protège la baie des vents, ce qui rend le mouillage meilleur que celui des baies de Las, au nord, et de Teuthronè, au sud, qui sont plus exposées aux vents.

Fig. 18 – Baie d’Asinè (cliché de l’auteur, juin 2021).

18Enfin, Pausanias indique que Las se trouve à la droite, c’est-à-dire à l’ouest, de Gytheion, à une distance de quarante stades (7 km environ) et à dix stades (1,8 km) de la mer66. L’acropole se trouvait probablement sur la colline de Chosiari qui est actuellement occupée par le château franc de Passava. On y a trouvé des restes datés de l’époque protogéométrique jusqu’à l’époque romaine67. La plaine près de la colline, où se trouvait vraisemblablement la cité basse, a livré des vestiges de l’époque classique68. Pausanias énumère plusieurs sanctuaires, dont celui d’Athéna Asia sur l’acropole, qui est le seul que l’on peut dater avec certitude de l’époque classique69.

19Malgré son éloignement de la mer et la présence d’une colline entre la cité et la côte, la vue depuis le sommet de l’acropole reste assez dégagée et permet de surveiller la mer au sud de Gytheion70. De plus, la baie de Vathy devant la cité est fermée au sud par le promontoire Agéranos qui pouvait constituer un petit port naturel71. Éphore décrit la cité comme eulimenos et le Pseudo-Scylax s’y réfère en ces termes : polis kai limèn72. En 411‑410 av. J.‑C., une escadre de quarante-deux navires était au mouillage à Las dans l’attente du départ pour secourir l’Eubée qui avait demandé l’aide des Péloponnésiens73. Aucun vestige du port grec antique n’a été retrouvé, mais au début du xx^e siècle, des restes de l’époque romaine étaient encore visibles près de la plage de Vathy, et une partie est encore visible de nos jours ; leur emplacement fait penser qu’ils faisaient partie des installations portuaires74. Le môle ancien est encore visible à la limite méridionale de la baie, entre le promontoire au sud et la petite plaine au nord (fig. 19). La côte n’est pas à l’abri des vents, qui peuvent être très forts, surtout quand ils soufflent en direction du sud-ouest. La seule partie bien protégée est celle qui profite de la barrière naturelle du promontoire Agéranos. Les savants ont reconnu le site ancien d’Arainos dans ce promontoire, où Pausanias relate qu’il y avait la tombe de Las, fondateur mythique de la cité75. Enfin, la longue plage qui s’étend au nord de ce promontoire pouvait être utilisée pour tirer les navires au sec ; il faut néanmoins souligner son exposition aux vents et son caractère de plaine alluviale dont il est très difficile de se représenter la forme ancienne.

Fig. 19 – Port romain et baie de Las au nord du promontoire Agéranos (cliché de l’auteur, juin 2021).

Gytheion

20La cité périèque de Gytheion était le port principal de Sparte où se trouvait l’arsenal militaire mentionné par Xénophon76. Le site ancien était situé dans le golfe de Laconie, au nord-ouest (fig. 20). L’aire d’implantation de la polis montre des signes d’occupation à partir de l’époque archaïque, mais les fouilles archéologiques ont surtout restitué les vestiges de l’époque romaine77. La même remarque est valable pour les installations portuaires ; les môles et une maquette de bateau en terre cuite datent de l’époque romaine78. L’acropole se trouvait sur une colline contre laquelle fut construit le théâtre ; la cité s’étendait dans la plaine entre l’acropole et la mer et une partie du site ancien est actuellement submergée (fig. 21)79. Malgré la pénurie de données archéologiques concernant l’époque classique, les sources littéraires décrivent une cité fortifiée, au moins pour le iv^e siècle av. J.‑C., et elles attestent la présence d’un arsenal80. Strabon précise qu’il ne s’agissait pas d’un port naturel81 ; l’une des caractéristiques des ports artificiels est qu’ils sont creusés à l’intérieur des terres et qu’ils communiquent avec la mer par un canal. Le port de Gytheion est l’un des plus grands de la Laconie et il était assez facilement joignable depuis Sparte82. De plus, le site portuaire était naturellement bien protégé. L’accès occidental était fermé par l’île de Cranaè, qui est actuellement liée à la côte par un môle et qui se trouve à une distance d’environ un kilomètre de la cité ancienne83. De plus, le côté oriental était protégé par Trinasos qui renforçait sa protection naturelle des routes navales par une forteresse érigée sur le continent en face des îles84.

Fig. 20 – Carte du secteur entre Asinè et Trinasos.

Fig. 21 – Vue générale de la baie de Gytheion depuis l’île de Cranaè (cliché de l’auteur, juin 2018).

21Comme nous l’avons vu, Sparte a développé une politique navale dès le viii^e siècle av. J.‑C. L’ampleur de cette politique était certainement limitée et son importance très réduite par rapport à la politique terrestre ; des ports assez petits étaient donc suffisants. Ni l’archéologie ni les sources littéraires ne permettent d’envisager que les Spartiates investirent une grande partie de leurs énergies dans l’aménagement de grands sites portuaires, le seul arsenal connu comme tel dans les textes étant celui de Gytheion. Son rôle n’était pas important au v^e siècle av. J.‑C., comme paraît le montrer le silence de Thucydide85. Xénophon le mentionne pour la première fois en 408 av. J.‑C., quand Alcibiade vit une escadre se préparer pour aller vers l’est86. Par conséquent, la critique moderne propose de voir dans Gytheion l’arsenal militaire de Sparte mis en place à partir de la fin du v^e siècle av. J.‑C.87. Avant cette période, les Spartiates auraient utilisé d’autres ports, selon les circonstances, sans construire une seule grande base navale. Mais il est évident que, pour la période qui nous intéresse, Gytheion était le port principal de Sparte, doté de l’arsenal et des fortifications. Il était le centre de l’activité navale de la polis, ce qui explique l’attaque menée par Épaminondas en 370‑369 av. J.‑C.

22Le site de Gytheion se trouvait dans une position optimale pour deux raisons. Nous ne nous étendrons pas sur la position de la cité sur la route qui la relie à Sparte, parce que cette question sera traitée plus spécifiquement dans le chapitre dédié aux moyens et voies de communication à l’intérieur de la Laconie88. Nous entendons, pour le moment, nous concentrer sur la position de Gytheion par rapport au golfe de Laconie et aux routes qui le traversaient. L’emplacement précis du port reste à découvrir. Comme nous l’avons dit, Strabon précise qu’il ne s’agit pas d’un port naturel. Au vu de son témoignage, il semble possible de placer le bassin près de l’habitat ancien, bien que ce ne soit pas un site naturellement idoine. Malgré l’importance de cette donnée, les archéologues qui ont mené une prospection des vestiges submergés ont cru reconnaître l’emplacement du port plus au nord, assez loin de la cité. Ces derniers se sont intéressés aux restes des murs à peu près parallèles qui se trouvent dans la petite baie de Tis Mantilou, au nord de Gytheion, après la moderne Paralia Glyphada (connue pour l’épave du navire de Démétrios) et à l’ouest de Trinasos. Selon l’interprétation des savants, les murs visibles pourraient appartenir aux neôsoikoi brûlés par Tolmidès pendant son expédition de 456‑455 av. J.‑C.89. Cependant, cette hypothèse a deux failles. D’une part, il n’a pas été possible de dater les structures restantes ni d’évaluer leur fonction, et nous avons d’ailleurs montré que Tolmidès n’attaqua probablement pas Gytheion ; d’autre part, cette interprétation ne prend pas en compte le récit de Strabon. Il faudrait donc présumer soit une erreur de la part du géographe, soit un déplacement du site portuaire qui aurait été dans une baie naturelle loin de la cité à une certaine période pour être ensuite remplacé par un port creusé par l’homme à l’époque de Strabon. Cette explication nous paraît excessivement compliquée et superflue. De plus, elle va à l’encontre des informations des textes littéraires dans lesquels nous ne trouvons aucune mention d’un port éloigné de la cité. Tout au contraire, le témoignage de Xénophon montre que les Béotiens menèrent une attaque contre les murs et l’arsenal de Gytheion qui ne devaient donc pas se trouver éloignés90. Cette interprétation des données n’exclut évidemment pas la possibilité que la baie de Tis Mantilou ait été utilisée comme mouillage dans l’Antiquité. Les fonds de mer sont assez profonds, atteignant une dizaine de mètres près de la côte. Le site est également bien protégé des vents. Comme nous l’avons dit, la baie présente notamment des traces d’occupation ancienne sous la forme de murs en partie submergés et en partie visibles sur la terre ferme. Mais le manque de datation sûre et de données concernant l’utilisation de ces constructions nous appelle à la prudence. De plus, le site n’est pas répertorié dans la liste des ports, connus ou supposés, que l’on retrouve dans Ancient Ports-Ports antiques91. Il faut néanmoins souligner que le site est pris en considération dans Navionics ChartViewer, dans lequel il est considéré comme un ancrage de la flotte de Sparte en vertu de la protection naturelle dont il bénéficiait et de la présence de vestiges anciens (pour lesquels aucune datation n’est malgré tout avancée). Il s’agissait donc probablement d’un mouillage en eaux sûres, qui avait aussi la caractéristique de se trouver près de la route ancienne qui reliait Sparte à Gytheion en passant près de la côte92. En outre, le petit promontoire qui se trouve à l’ouest de la baie devait être plus saillant dans l’Antiquité, puisque la mer a avancé sur la ligne de côte. Cela renforçait la protection naturelle du site, entre le promontoire et Trinasos.

23Si, comme nous le croyons, l’interprétation à préférer est celle qui place le port près de la cité de Gytheion, il faut évidemment penser qu’un port creusé et relié à la mer par un canal était protégé des vents et des courants. De plus, la structure du port était vraisemblablement en harmonie avec le plan de la cité qui n’a pas eu à intégrer un port naturel. Sur la base des sources littéraires, nous pouvons penser que le bassin, et l’arsenal de façon plus générale, étaient englobés dans les murs de la cité. Nous ne possédons pas d’informations qui nous permettraient d’évaluer la grandeur du port et de l’arsenal, et de comprendre combien de navires pouvaient occuper le bassin portuaire ou combien pouvaient être rassemblés dans la baie de Gytheion. La même remarque est valable pour la grandeur de l’arsenal. Le chiffre le plus important que l’on connaisse pour les embarcations construites dans ce chantier au même moment est de trente93. Comme le tableau sur le pourcentage de navires alliés dans la flotte dont disposait Sparte l’indique, l’effort lacédémonien était assez limité94. Il s’agissait, en somme, d’un arsenal de dimensions réduites, mais qui pouvait soutenir la politique maritime développée par les Spartiates à partir de la guerre du Péloponnèse, dans laquelle l’élément naval ne fut jamais prioritaire par rapport à la puissance terrestre. Nous croyons d’ailleurs qu’il ne faut pas utiliser Athènes comme élément de comparaison pour les autres poleis de l’époque classique. Le cas d’Athènes reste exceptionnel pour la grande quantité de documentation et il l’est encore plus en matière navale. Les inventaires navals et les données archéologiques montrent la puissance d’une cité qui investissait une partie considérable de ses ressources dans la politique maritime. Cela n’était évidemment pas le cas de la plupart des autres cités grecques contemporaines. La confrontation entre Sparte et Athènes, et donc entre l’arsenal et le port de Gytheion et ceux du Pirée, ne doit pas nous faire oublier les natures extrêmement différentes des deux cités, ni le caractère exceptionnel d’Athènes dans le monde grec de l’époque.

Les ports du nord et de la côte orientale du golfe de Laconie

24En se rendant depuis le port de Gytheion vers l’est, on trouve, jusqu’au cap Malée, sept sites portuaires : Hélos, Akriai, Kyparissia, Cotyrta, le promontoire Onougnathos, Aphroditia et Étis (fig. 9). Le premier habitat, placé au nord-est de Gytheion et de Trinasos, est celui d’Hélos. Il s’agit d’un centre très ancien dont la première mention se trouve chez Homère, qui le décrit comme une cité près de la mer dans le territoire de Ménélas95. À la différence des autres sites, qui étaient des poleis périèques, Hélos était un village habité par les Hilotes96. Il ne se trouvait pas directement sur la côte mais, si l’interprétation des chercheurs est correcte, il fut construit à 2,5 km environ de la mer, près du site moderne de Stou Manolaki97. Actuellement, aucun site portuaire n’a été retrouvé, mais on a proposé de placer le port à Agios Efstratios98.

25Hélos devait jouir d’une certaine importance à l’époque classique, car il fut attaqué par les Athéniens commandés par Nicias en 424‑423 av. J.‑C.99. Ensuite, Hélos est mentionné par Xénophon à propos de la première invasion du Péloponnèse par les Béotiens en 370‑369 av. J.‑C. : en allant vers le sud, l’armée béotienne se dirigea vers Hélos et Gytheion en mettant le feu aux habitats sans fortification100. Les autres sources ne donnent presque aucune information, parce que le site était en ruine à l’époque romaine101. Une découverte épigraphique montre l’importance cultuelle d’Hélos, siège d’un culte de Poséidon, en l’honneur duquel on organisait des courses de chars102. Malgré l’absence d’installations portuaires, les données que nous possédons font penser qu’Hélos était lié à la mer. L’attaque des Athéniens fut menée dans un contexte naval, parce qu’ils visèrent uniquement des cités placées au bord de la mer ou proches de la côte. Comme nous le verrons ensuite plus en détail, la position d’Hélos était stratégique : le site contrôlait la plaine côtière ainsi que la côte au nord-est du golfe de Laconie.

26Il y a ensuite le site d’Akriai qui a été localisé près du village moderne de Kokkinia103. Il n’est pas considéré comme une polis à l’époque classique, mais comme un site cultuel et/ou un village104. Akriai devait son importance au sanctuaire de la Mère des dieux célébré par Pausanias105. Ce culte n’était pas pratiqué au bord de la mer, où se trouvait l’habitat, mais sur la colline de Kastraki. Les archéologues y ont trouvé une sorte de baldaquin à quatre colonnes de l’époque archaïque, qui abritait probablement la statue de culte ainsi que des offrandes106. En ce qui concerne la cité en bord de mer, elle a dévoilé des vestiges allant de l’époque archaïque jusqu’à l’époque romaine, mais elle ne fut probablement jamais un site très important, exception faite pour le sanctuaire, qui avait cependant une renommée essentiellement locale107. Si on ne peut pas nier l’existence d’un établissement à Akriai à l’époque qui nous intéresse, il est beaucoup plus difficile d’affirmer qu’il pouvait jouer un rôle dans la politique maritime de Sparte. Même si le site est à côté de la mer, de nos jours encore, l’installation portuaire est très limitée et la conformation géographique du lieu n’est pas favorable à une protection naturelle. Malgré tout, et en dépit du silence des sources plus anciennes, Pausanias témoigne de la présence d’un port, à son époque au moins108. Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que la longue plage au nord-ouest de l’habitat pouvait être utilisée dans l’Antiquité pour mettre les navires au sec ; la plaine côtière est d’origine fluviale et sa disposition a évolué au cours des siècles. Cependant, dans l’Antiquité, le site d’Akriai devait s’étendre vers la mer. L’habitat se trouvait en fait sur une position surélevée surplombant la mer de 25 m environ ; l’action de la mer et des agents atmosphériques a provoqué l’éboulement d’une partie du terrain. Cela se voit très clairement au niveau de l’un des réservoirs d’eau de la cité dont il n’existe plus qu’une partie adossée à la falaise. Le site ancien s’avançait donc beaucoup plus vers la mer ; il est alors possible que le port ait été mieux protégé des vents soufflant du sud qu’à notre époque. Tout ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est que le site bénéficiait de fonds assez profonds, autour de 10 m, et sans récifs.

27Le site de Kyparissia est surtout connu pour le sanctuaire d’Athéna placé sur l’acropole qui a été retrouvée au cap Kastelli. Pausanias atteste qu’à son époque la cité était en ruine et que ses restes étaient près de la polis d’Asopos109. Il relate aussi que cette dernière se trouve à 60 stades d’Akriai110. A.J.B. Wace a souligné la présence d’une tour de guet sur le promontoire Xylis et il l’a comparée à d’autres construites de la même manière111. Il ne fournit malheureusement pas de datation, et nous ne pouvons donc pas affirmer que cette tour faisait partie d’un réseau de tours et de fortifications pour contrôler la côte dans la première moitié du iv^e siècle av. J.‑C. Cette donnée signale néanmoins l’importance stratégique du site. De plus, l’acropole de la cité permettait d’avoir une vue dégagée sur les deux côtés du promontoire.

28Cotyrta se trouvait probablement sur la colline Kastelli Daimonias, où des traces d’anciennes fondations sont visibles, ainsi que de la céramique d’époque classique112. Thucydide la mentionne à propos des événements de 415‑414 av. J.‑C. : les Athéniens ravageaient la côte de la Laconie et les Spartiates n’organisaient pas de contre-attaque, sauf près de Cotyrta et d’Aphroditia. Ici, ils réussirent à mettre en fuite des soldats légèrement armés, mais ils furent ensuite forcés de reculer et les Athéniens érigèrent un trophée113. Il semble donc que le site avait une certaine importance stratégique qui en rendait la protection nécessaire. L’habitat était doté d’un port naturel assez bien protégé qui pouvait offrir une bonne possibilité de mouillage pour un nombre assez grand de navires. La plage de la baie principale a une longueur de 450 m environ, ce qui permet de tirer à sec un nombre important d’embarcations. De plus, le site est bien protégé, et il est encore utilisé comme port de nos jours.

29Plus au sud se trouve l’ancienne presqu’île d’Onougnathos devenue l’île d’Élaphonisi. Ce site était fréquenté dans l’Antiquité, comme le montrent les restes de la route qui passait sur l’isthme la reliant au continent près du moderne cap Skaia114. Certains vestiges, pièces de céramiques notamment, des époques classique et romaine ont été découverts à Élaphonisi près de l’église de Panagia Katonissiotissa. Ces découvertes ont été mises en relation avec le temple d’Athéna que relate Pausanias115. Il n’est pas possible de reconstituer la position des sites portuaires ou des havres naturels sur cette île, puisque la topographie a beaucoup évolué depuis les époques anciennes. Mais la présence du tombeau de Kinados, l’un des pilotes d’Agamemnon, peut faire penser à une vocation maritime de la presqu’île116. De plus, elle était un point de repère important pour la navigation et elle pouvait servir pour abriter les navires en cas de mauvais temps.

30La localisation d’Aphroditia n’est pas connue avec certitude, mais elle se trouvait sans doute aux alentours d’Étis et de Sidè, puisque ces trois cités accomplirent le synœcisme qui fonda Boia (fig. 22). Thucydide mentionne ce site à propos des attaques menées par les Athéniens contre les cités de la côte laconienne après la prise de Cythère en 424‑423 av. J.-C.117. Par conséquent, nous pouvons affirmer qu’Aphroditia se trouvait en bord de mer, peut-être d’ailleurs sur la petite colline qui se trouve à la limite méridionale de l’habitat moderne de Néapolis118. L’historien ne décrit pas le site, mais il affirme que ce fut l’une des rares occasions où les Spartiates s’opposèrent vraiment à l’attaque athénienne. Le combat fut cependant favorable aux envahisseurs. Ce que nous pouvons tirer du récit de Thucydide, c’est que ce site devait être assez important pour que Sparte décide d’envoyer des soldats, probablement pour sa position sur la route qui liait Cythère à la Laconie. Les sources ne mentionnent pas d’autres informations sur Aphroditia. Nous pouvons uniquement ajouter que le nom de la cité est évidemment lié à Aphrodite. L’hypothèse d’un culte de la déesse pratiqué ici est soutenue par le mythe de fondation décrit par Pausanias : le site aurait été fondé par Énée que les vents avaient fait débarquer dans cette région119. Le site ne possède pas de port naturel, mais le littoral près duquel se trouvait Boia, près de la moderne Néapolis, est constitué par une longue plage sur laquelle il était possible de tirer les navires au sec.

Fig. 22 – Sites du cap Malée.

31Plus au sud, il y a Étis. Les sources qui la mentionnent sont assez tardives, mais il semble qu’elles ont utilisé des données du iv^e siècle av. J.‑C. ou même plus anciennes, ce qui certifie que le site était occupé à cette époque120. Les recherches archéologiques n’ont pas permis de localiser avec certitude le site d’Étis pour lequel les savants ont proposé le petit promontoire de Paliokastro Néapolis (fig. 22). Pausanias explique qu’ensuite, au cours du iv^e siècle av. J.‑C., une partie des habitants d’Étis s’unit à ceux d’Aphroditia et de Sidè, et ils fondèrent le site de Boia121. Le Pseudo-Scylax ne mentionne pas Étis, mais il fait référence à Sidè et à Boia : nous pouvons donc affirmer qu’à son époque, celle du royaume de Philippe II, la nouvelle cité avait déjà été fondée et que les sites qui avaient réalisé le synœcisme n’avaient pas complètement disparu122. Il est d’ailleurs vrai qu’Étis a disparu peu de temps après ; elle se trouvait très probablement près de Boia et sa chôra fut donc absorbée dans celle de la nouvelle cité. Si l’interprétation géographique des sources est correcte, la position de l’habitat sur un petit promontoire s’avançant dans la mer permettait d’avoir une vue dégagée de toute la côte au nord de l’ancienne presqu’île Onougnathos. Il ne s’agissait pas d’un très bon port. Le côté méridional est exposé aux vents et aux courants, tandis que le côté septentrional, protégé par le promontoire, présente un port naturel de petite dimension en eaux peu profondes et avec des rochers qui affleurent. Il pouvait quand même être utilisé comme mouillage pour un petit nombre d’embarcations.

Cythère

32L’île de Cythère, dont la distance la plus courte jusqu’à la côte laconienne est de 7 km environ (fig. 9), était à l’origine sous le contrôle d’Argos, mais elle fut absorbée par les Spartiates au cours du vi^e siècle av. J.‑C.123. Les habitants, dont la cité principale portait le même nom que l’île, étaient des Périèques, mais il y avait aussi des Spartiates. Cette région était contrôlée de très près par Sparte qui y maintenait une garnison et qui envoyait chaque année un magistrat appelé kythèrodikès124. Malgré le fait que cette donnée soit rapportée seulement par Thucydide, elle montre l’importance que l’île avait pour Sparte et la conscience du danger que sa perte aurait provoqué. C’est pourquoi ses ennemis suivirent plusieurs fois la stratégie de la détacher de Sparte 125. Les Athéniens commandés par Nicias occupèrent Cythère en 424‑423 av. J.‑C. et l’île devint la base pour mener des attaques contre les sites côtiers de Laconie126. Conon et Pharnabaze suivirent la même stratégie après leur victoire à la bataille de Cnide en 394 av. J.‑C. en occupant Cythère avant de se rendre à Corinthe et après avoir amené les cités égéennes du côté d’Athènes. La population se rendit et tous les Spartiates présents, vraisemblablement les hommes de la garnison, furent envoyés en Laconie127. Il est probable que Cythère devint à nouveau une partie de la Laconie après la Paix d’Antalcidas de 387‑386 av. J.‑C.128.

33La cité de Cythère se trouvait à l’intérieur, à 10 stades (1,8 km environ) de la mer, sur le site moderne de Palaiokastro129. À l’époque classique, la cité était fortifiée et des murs ont été découverts130. Le port de l’île se trouvait à Skandeia, probablement le site moderne de Palaiopolis Kastriou, qui était le deuxième centre d’habitation de Cythère ; ici, les découvertes archéologiques sont datées à partir du vi^e siècle av. J.‑C.131. Ce site n’était probablement pas indépendant de Cythère et, par extension, n’avait pas le statut de polis132 ; les sources anciennes s’y réfèrent avec différentes dénominations : ἡ ἐπὶ θαλάσσῃ πόλις, τὸ ἐπὶ τῷ λιμένι πόλισμα, ἐπίνειον (« la cité près de la mer, la cité près du port, le point d’abordage »)133. Outre l’importance stratégique de l’île que nous avons soulignée, les campagnes de survey ont montré que l’île avait un grand nombre d’habitats dans l’Antiquité134.

34En dernier lieu, l’île devait sa renommée au culte d’Aphrodite : selon le mythe, la déesse était née dans les eaux de Cythère et s’était ensuite dirigée vers Chypre135. Aphrodite était vénérée avec l’épiclèse d’Ourania et, selon Pausanias, son sanctuaire était le plus ancien et le plus célèbre de la Grèce136. La particularité de ce culte, qui le rapproche de ceux qui étaient pratiqués à Sparte et à Corinthe, est que la déesse était représentée en armes, comme le signale le texte de Pausanias. Nous pouvons donc affirmer qu’au-delà des relations politico-militaires, Cythère et Sparte sont également liées par les cultes. Les recherches archéologiques ont découvert la présence de sites cultuels qui ne sont pas cités dans les sources écrites, qui se concentrent essentiellement sur la figure d’Aphrodite. Les habitants de l’île pratiquaient aussi les cultes des Dioscures dans la cité de Cythère, d’Aléa dans le port de Skandeia, d’Héraclès et d’Apollon Carnéios à Paliopolis au nord-est de l’île, et de Poséidon Gaiaochos dans l’îlot d’Antidragonera137. A. Tsaravopoulos a étudié le lien entre ces cultes et ceux pratiqués à Sparte et il a conclu qu’ils furent probablement importés à partir de la fin du vi^e siècle av. J.‑C., quand Cythère passa sous le contrôle des Spartiates138. Il est donc clair que Sparte exerçait un fort contrôle sur Cythère, qui était essentielle sur le plan stratégique : le gouvernement central y envoyait une garnison et un magistrat, et, de plus, la culture spartiate fut amplement importée dans l’île, la rendant ainsi complètement intégrée au territoire laconien.

Les ports de la côte orientale de la Laconie

35En longeant du sud au nord la côte orientale tournée vers l’Égée, on trouve huit sites portuaires : Sidè, Épidaure Liméra, Zarax, Kyphanta, Prasiai, Tyros, Anthana/Méthana et Thyréa139. Ces sites possèdent en général des ports de petites dimensions qui ne leur permettaient pas de contenir une grande flotte. Mais leur position à proximité de la route pour l’Égée et sur celle qui menait vers le golfe de Corinthe, Égine, Athènes et l’Eubée, les rendait précieux pour le mouillage d’un petit nombre de navires. De plus, les navires arrivant du nord et de l’est devaient passer le cap Malée pour joindre Gytheion : à cause de la dangerosité de ce passage, il était parfois nécessaire de s’arrêter dans un port sûr en attendant de bonnes conditions atmosphériques pour effectuer la traversée.

36Le premier port qu’on trouve après avoir contourné le cap Malée est celui de Sidè. Le site est uniquement mentionné par le Pseudo-Scylax et Pausanias140. Le texte du Pseudo-Scylax est particulièrement intéressant parce qu’il précise la localisation de la cité placée après le cap Malée pour ceux qui vont de l’ouest à l’est. Les prospections archéologiques n’ont pas pu déterminer avec certitude le site de la cité, pour lequel les candidats proposés sont Vélanidia et Agios Géorgios141. Le premier site a été proposé en vertu de sa position géographique qui semble correspondre à la description qu’en font les sources anciennes. L’habitat moderne se trouve à une distance approximative d’un km de la côte et à une hauteur de 215 m. La petite baie qui s’ouvre devant ce site est exposée aux vents de nord-est, comme le montre l’organisation du port moderne, dont le brise-lames a été construit parallèlement à la côte pour protéger les embarcations. Le site d’Agios Géorgios se trouve à 1,7 km environ de la mer et il est beaucoup plus élevé que celui de Vélanidia, puisqu’il se trouve à 418 m de hauteur. La conformation géographique ne permet pas de liaison directe entre ce site et la mer, la seule route passant, de nos jours encore, par Vélanidia. La morphologie de la côte, qui est rocheuse dans son ensemble, ne pouvait pas constituer un mouillage sûr pour une grande flotte, mais pouvait au moins abriter quelques navires. De plus, la position élevée des sites donnait une bonne visibilité des routes qui passaient le cap Malée142.

37Ensuite, si nous continuons notre périple, nous trouvons Épidaure Liméra qui est à 200 stades (35,4 km environ) du cap Malée (fig. 23)143. Le port, près du village moderne d’Agia Varvara, est séparé de la cité qui fut construite sur une colline au bord de la mer, à une distance de 1,5 km environ. La polis avait une acropole de grandes dimensions entourée d’une enceinte de forme irrégulière qui inclut les deux sommets de la colline ; le site de l’acropole est divisé en trois terrasses144. L’enceinte la plus ancienne est probablement du v^e siècle av. J.‑C. et elle existait à l’époque de la guerre du Péloponnèse (fig. 24)145 ; les fortifications furent ensuite agrandies probablement vers le milieu du iv^e siècle av. J.‑C., pour arriver à contenir une surface d’environ trois hectares146. On peut encore voir l’escalier en pierre qui reliait l’acropole à la ville basse ; cette dernière avait probablement une dimension supérieure à celle de l’acropole147. Les sources anciennes mentionnent seulement les temples d’Aphrodite, Asclépios et Athéna, qui se trouvaient sur l’acropole148, mais elles ne fournissent pas de données sur Épidaure Liméra ; nous savons seulement que le site fut attaqué par les Athéniens en 415‑414 av. J.‑C.149.

Fig. 23 – Carte du secteur entre le cap Minoa et Zarax.

Fig. 24 – Fortifications d’Épidaure Liméra (cliché de l’auteur, juin 2021).

38Le port n’a pas fait l’objet de recherches archéologiques et de mentions particulières, sauf pour la présence d’un sanctuaire de Zeus Sôtèr. Son culte, pratiqué au bord de la mer, a été lié à la navigation. Son emplacement et l’épiclèse du dieu font penser à un culte de marins en relation avec la réussite d’une traversée150. Le site est bien protégé par un petit promontoire et son importance stratégique est accentuée par la construction, à l’époque médiévale probablement, d’une tour de guet sur le promontoire près du port. Cette tour était en lien direct avec les fortifications du cap Minoa (moderne Monemvasia) et permettait de contrôler le site et les routes maritimes (fig. 23). Le site d’Épidaure Liméra avait en outre un double avantage du point de vue maritime : il possédait un port bien protégé et, de plus, une longue plage juste en face de l’acropole, qui pouvait être utilisée pour mettre les navires au sec. Il faut néanmoins souligner la présence des rochers affleurant près de la moderne ligne de côte.

39Au sud de la cité se trouve le cap Minoa, qui est à 4 km à vol d’oiseau à partir du port d’Épidaure Liméra. Le site, connu surtout pour ses imposantes fortifications de l’époque médiévale, était doté d’une forteresse selon Strabon151. Le géographe n’informe pas si les fortifications qu’il voyait étaient anciennes, nous ne pouvons donc pas affirmer avec certitude que le site était fortifié au iv^e siècle av. J.‑C. Mais par sa position, le promontoire était un excellent point d’observation et de guet pour le contrôle des routes maritimes.

40Zarax, l’actuel village de Limin Iéraka, se trouve à cent stades (17,7 km environ) au nord d’Épidaure Liméra152. Le bassin portuaire est petit, mais sa position géographique offre un abri naturel aux navires, car il est formé par une crique profonde partiellement fermée par le promontoire Akra Kari. La cité ancienne était située sur la colline au nord de l’entrée du port, qui pouvait ainsi être contrôlée de façon efficace. Le site était très bien fortifié, mais, comme l’a déploré G. Shipley, il n’a pas encore fait l’objet d’une étude systématique153. L’acropole a été datée de la fin de l’époque classique ou de l’époque hellénistique, mais la faible possibilité d’intégrer l’ethnique de la cité sur le monument célébrant la victoire d’Aigos Potamoi, fait pencher pour une date plus ancienne154. La protection du site était assurée par une enceinte de forme irrégulière qui suivait la morphologie de la colline et qui était renforcée par six tours carrées au moins. Pausanias affirme que c’était un bon port155. L’acropole, dans sa partie la plus élevée, atteint une hauteur de 50 m au-dessus du niveau de la mer, ce qui permet d’avoir une vue dégagée pour l’observation du large (fig. 25)156. Une indication importante est fournie par W.M. Leake : il déclare que le site était anciennement appelé Porto Cadena parce que les Vénitiens, qui avaient le contrôle de ce lieu, fermaient l’embouchure du port avec une chaîne157. Nous ne savons pas si Zarax était déjà un kleistos limèn dans l’Antiquité, mais cette information témoigne de la possibilité de le faire grâce à la géographie du site. La baie est très étroite et, dans la partie intérieure, elle est actuellement occupée par une lagune aux eaux peu profondes (< 1 m), mais son embouchure est considérée encore de nos jours comme un bon point de relâche.

Fig. 25 – Fortifications de Zarax à l’embouchure du port (cliché de l’auteur, juin 2021).

41Kyphanta se trouve à cent stades (18 km environ) au nord de Zarax et à 10 stades (1,8 km) de la mer158. Les sources textuelles ne fournissent aucune information sur l’histoire du site. Ptolémée l’appelle polis et Pausanias note qu’il était en ruine à son époque159. L’emplacement du site a été reconnu près du village moderne de Kyparissi, sur la base des textes anciens et de la permanence du nom antique dans la toponymie moderne. Les vestiges les plus importants de Kyphanta sont la forteresse qui dominait la mer, et qui a été datée de l’époque classique tardive ou de l’époque hellénistique160. Le site conserve aussi des signes d’occupation jusqu’à l’époque romaine161. Kyphanta semble avoir constitué un bon port. Les eaux du bassin, qui se trouve en face de l’acropole, sont assez profondes (< 20 m). De plus, immédiatement au nord du port, s’étend une plage qui pouvait être utilisée pour tirer les embarcations au sec (fig. 26). La cité pouvait aussi avoir une certaine importance économique ; outre le commerce maritime, elle contrôlait une petite plaine côtière qui était certainement exploitée dans l’Antiquité.

Fig. 26 – Baie de Kyphanta depuis l’acropole (cliché de l’auteur, juin 2021).

42Le site portuaire de Prasiai se trouvait à 300 stades (55 km environ) au nord de Zarax et Pausanias dit que la distance par mer entre Prasiai et Kyphanta était de 200 stades162. La cité était à Paralia Léonidou et l’acropole était située sur la colline de Plaka. Comme pour les autres sites, Prasiai n’a jamais fait l’objet d’une véritable fouille archéologique et les données concernent les vestiges visibles et les restes retrouvés de façon fortuite. L’acropole présente encore des traces de fortifications dominant la mer. Le port était vraisemblablement important, de telle sorte qu’il fut attaqué à plusieurs reprises par les Athéniens. En 430‑429 av. J.‑C., une flotte fut envoyée d’abord contre Épidaure dont le territoire fut ravagé sans que les Athéniens puissent prendre la cité, et les navires se dirigèrent ensuite contre la Laconie et attaquèrent la cité de Prasiai163. En 415‑414 av. J.‑C., une flotte athénienne de trente vaisseaux attaqua ce site et celui d’Épidaure Liméra ; cette opération était la conséquence de l’attaque menée par les Spartiates contre l’Argolide164. La cité est encore mentionnée en 366 av. J.‑C. comme lieu où arrivèrent les habitants de Phlionte, alliés des Lacédémoniens, pour rejoindre Sparte165. Les attaques menées contre la cité, que Thucydide souligne être un site maritime, font croire que Prasiai jouait un rôle important à l’époque classique. Outre que c’était, pour Sparte, un point d’accès à la mer tourné vers l’Égée, son importance provenait aussi du contrôle qu’elle exerçait sur la plaine côtière qui pouvait être une bonne ressource pour l’agriculture166.

43Au nord de Prasiai se trouve le site de Tyros. Il est attesté à l’époque hellénistique comme kômè de Prasiai, mais il n’y a pas d’attestation précise pour l’époque qui précède167. Comme nous l’avons vu à propos de Zarax, la lecture des fragments du monument dédié à Delphes pour la victoire d’Aigos Potamoi est très problématique et présente des points qui ne permettent pas de reconstitution facile. Selon l’une des lectures proposées, il faudrait lire à la fin du texte un T, qui était la première lettre de l’ethnique de l’honoré qui aurait été originaire de Tyros168. Le site, connu surtout pour le sanctuaire extra-urbain d’Apollon Tyritas attesté dès l’époque archaïque, présente une acropole fortifiée dont les vestiges sont encore visibles de nos jours169. L’enceinte protégeant l’acropole se trouve sur une colline qui surplombe la mer immédiatement au sud du port, et la zone fermée par les fortifications atteint une hauteur maximale de 136 m au-dessus du niveau de la mer170. Les sources anciennes ne donnent aucune information concernant ce site et les vestiges archéologiques ont été datés de l’époque classique tardive jusqu’à l’époque romaine171. Quoi qu’il en soit, le site de Tyros pouvait constituer un mouillage pour les navires spartiates ; ses eaux sont très profondes et sans rochers ni récifs. La plage au sud-est de la colline de l’acropole est considérablement exposée aux vents et aux courants, tandis que celle du nord est mieux protégée, surtout dans la partie la plus proche de l’acropole. Malgré cela, il faut souligner que cette plage se termine par une petite plaine alluviale, ce qui interdit de penser que la géographie du site soit restée la même depuis l’Antiquité. Il constituait malgré tout un bon lieu pour le mouillage des navires et pour le contrôle des routes menant vers l’Égée, vers l’Argolide et vers le cap Malée.

44La cité d’Anthana/Méthana est l’un des derniers sites de la côte lacédémonienne vers le nord-est172. Cet habitat, comme celui de Prasiai, se trouvait dans la région de la Kynourie qui était à l’origine une possession de l’Argolide, à laquelle elle fut rendue par Philippe II en 338 av. J.‑C.173. La cité était habitée par les Éginètes qui avaient été chassés de leur île par les Athéniens en 431‑430 av. J.‑C.174. Le site n’a pas été localisé avec certitude : Tsivoros et Agios Andréas en Thyréatide ont été proposés comme lieux possibles, parce qu’ils ont des vestiges de l’époque classique. Le site de Tsivoros est à écarter, parce qu’il ne se trouve pas sur la mer, ce qui va à l’encontre des indications du Pseudo-Scylax qui le mentionne comme polis kai limèn175. Actuellement, les deux sites envisagés par la critique pour localiser la cité sont Paralion Astros176 et Paralia Agiou Andréa177 (fig. 27). Quoi qu’il en soit, la baie qui sépare les deux sites potentiels pouvait servir pour mettre en cale sèche un grand nombre de navires. Il s’agit d’une longue plage qui pouvait être utilisée par la flotte sans avoir la nécessité d’y construire des bâtiments en pierre.

Fig. 27 – Possible localisation des sites de Thyréatide.

45Il est également difficile de placer avec certitude le site d’Anthana/Méthana à cause de la proximité de cette cité avec Thyréa ; pour cette raison, les données archéologiques ont parfois été attribuées à l’une ou à l’autre. Thyréa, d’où vient le nom de la région de la Thyréatide, partie de la Kynourie qui jouxte directement l’Argolide, est attestée comme polis par Thucydide178. Il déclare aussi que ce site était habité par des Éginètes. Ils furent chassés de leur île en 431‑430 av. J.‑C. et Thyréa fut attaquée par les Athéniens en 424‑423 av. J.‑C.179. Le site était protégé par une garnison spartiate qui était en train de construire, avec les Éginètes, une fortification au bord de la mer. L’attaque des Athéniens bloqua les travaux : les Éginètes se réfugièrent dans la ville haute, tandis que les Spartiates combattirent à l’extérieur de la cité malgré les exhortations de ceux qui voulaient les faire entrer à l’intérieur des remparts. La garnison fut vaincue, la cité prise et brûlée. Les Anciens ne nous ont pas laissé d’autres informations, et nous ne pouvons donc pas affirmer que ce site était habité au iv^e siècle av. J.‑C. Mais l’archéologie montre une continuité d’occupation jusqu’aux époques hellénistique et romaine. Le site n’a pas été retrouvé avec certitude, à cause du manque de preuves archéologiques évidentes. Les hypothèses proposées le placent à Kastraki Kato Méligous, Elliniko, Éva Monis Loukous et Marmaralona Xérokambiou180. Le site de Thyréa a probablement pu être habité après que les Athéniens l’eurent détruit, ou il a pu au moins être utilisé pour le mouillage des navires.

La péninsule du Magne

47Les cités de la péninsule du Magne étaient assez éloignées l’une de l’autre et elles n’étaient presque jamais en contact visuel direct185, à l’exception de Lektron et de Péphnos dans la partie septentrionale. La position de l’acropole sur un point élevé (69 m) permettait de contrôler la côte environnante et la position de la petite île, un peu éloignée de la côte, donnait une vue assez large sur la mer186. Malgré cela, il faut souligner que Péphnos avait des dimensions très réduites et que l’îlot est connu pour avoir été utilisé uniquement comme site cultuel. Nous ne pouvons donc pas affirmer avec certitude qu’il s’agissait d’un lieu servant à contrôler la mer ; cette utilisation était néanmoins possible et, en outre, le site constituait un bon repère pour la navigation. De plus, on pouvait voir depuis l’acropole de Leuktron jusqu’à la côte devant Kardamylè, bien que cette cité ne fût visible ni depuis Leuktron ni depuis Gérénia. La vue depuis Kardamylè (238 m)187, bien qu’elle soit dégagée sur la mer et qu’elle bénéficie d’une hauteur assez importante, est coupée au nord par Akra Kitriés et au sud par la colline où se trouve le village moderne de Proastio. Vers le nord, l’acropole de Gérénia était également cachée à la vue, mais, depuis cette dernière, on pouvait avoir une bonne vision sur l’ensemble de la côte aux alentours de Leuktron. Ce site était en communication directe possible avec l’acropole de Thalamai (450 m)188. Depuis cet endroit, on avait notamment une bonne visibilité sur la côte occidentale du golfe de Messénie et sur la haute mer au sud. En ce qui concerne le site d’Oitylos (250 m), il n’était pas en communication visuelle directe avec d’autres acropoles, mais il pouvait aisément contrôler l’embouchure occidentale du golfe de Messénie189.

48Cette région était bien intégrée dans le réseau routier laconien (fig. 28). À la différence de la route qui reliait Sparte à Gytheion, les routes de ce secteur étaient probablement plus difficiles à parcourir, parce qu’il fallait franchir la chaîne du Taygète. Il s’agit d’une chaîne montagneuse qui commence au nord de la Laconie et qui continue vers le sud jusqu’à l’extrémité du cap Ténare. Elle atteint une hauteur maximale de 2 407 m et elle est parcourue par de nombreuses gorges. Ces caractéristiques géographiques contribuaient à la fermeture de la péninsule du Magne au reste de la Laconie. C’est pourquoi le Magne est parfois conçu comme une île dont le développement a eu lieu indépendamment du reste de la région190. Le Taygète était certainement fréquenté dans l’Antiquité, comme le démontre Pausanias selon lequel la montagne n’était pas seulement utilisée comme territoire de chasse, mais comportait aussi des sites habités, des rituels étant pratiqués sur son sommet191. Des routes existaient donc pour permettre la communication entre différents sites et entre la plaine de Sparte et celle de Messénie, mais elles étaient moins directes et plus difficiles à parcourir que les autres. Ces difficultés sont bien décrites dans le récit de P. Leigh Fermor sur son voyage dans la péninsule du Magne192. Dans les années 1940‑1950 encore, les distances routières dans ce secteur du Péloponnèse devaient être doublées, triplées, et parfois même décuplées par rapport à la distance à vol d’oiseau. De plus, les sommets de la chaîne du Taygète, dominés par des pics et des gorges de roches métamorphiques et de calcaire, sont décrits par l’auteur comme « l’abomination de la désolation », ce qui explique bien la difficulté du voyage et l’hostilité du paysage193.

Fig. 28 – Système routier de Laconie.

49Une route partait directement de Sparte pour se diriger vers l’ouest jusqu’au site de la moderne Kalamata. Malgré l’absence de données, cette route devait ensuite tourner vers le sud et rejoindre celle qui partait vers le nord depuis Kardamylè, et dont une section a été identifiée194. Il était aussi possible d’arriver dans le golfe de Messénie en utilisant une route plus méridionale. La route de Sparte à Gytheion avait une première déviation à la hauteur d’Amyclées : la route passait dans la plaine aux pieds des montagnes sur une courte distance, le Taygète était ensuite franchi et la route arrivait à Kardamylè. La route continuait vers le sud le long de la côte en reliant ainsi les sites de Leuktron, Thalamai, Oitylos et s’achevait vraisemblablement au cap Ténare, mais les traces anciennes ont complètement disparu, sauf pour une petite portion aux alentours du site romain de Messè195.

50Les sites du côté occidental du golfe de Laconie sont assez distants les uns des autres, et la visibilité entre les acropoles était souvent entravée par les montagnes. La visibilité depuis l’acropole de Las (148 m) s’étendait assez loin sur une ample portion de territoire vers l’intérieur et vers la mer, et elle était seulement coupée vers le sud-est par le promontoire Krommydara et vers le nord-est par les collines qui la séparent de Gytheion196. Du point de vue visuel, la cité pouvait communiquer directement avec le port et le promontoire Arainos. Ce dernier offrait une vue dégagée sur la petite baie de Las et il pouvait constituer un bon point d’observation des navires qui avançaient vers le port de Gytheion. Vers le nord, la vue de Gytheion était entravée par les collines et, au sud, la vue d’Asinè et de Teuthronè était également impossible. Mais la position de l’acropole de Las et du promontoire Arainos leur permettait d’être en communication visuelle directe avec le côté oriental du golfe de Laconie, en particulier avec les sites de Kyparissia, des Akra Xylis et de Cotyrta, ainsi qu’avec la presqu’île d’Onougnathos et la partie septentrionale de Cythère ; ceci leur donnait le contrôle du canal qui se trouvait entre l’île et la presqu’île. Comme le site de Las, celui d’Asinè (86 m)197 n’avait pas de visibilité directe sur les autres acropoles qui se trouvaient sur le même côté du golfe de Laconie, la vue étant entravée par les Akra Krommydara au nord et au sud par les Akra Moudés qui séparent la baie d’Asinè de celle de Teuthronè. Il est cependant possible d’avoir une vue plus dégagée de la côte en montant sur les promontoires. En allant plus à l’intérieur des terres, la vue de Las devient impossible à cause des collines qui séparent les deux sites. Malgré cela, la position de la baie d’Asinè, orientée vers le sud-est, permet d’avoir une vue directe sur la presqu’île d’Onougnathos ainsi que sur la partie septentrionale de Cythère, et donc sur le canal qui passe entre les deux. L’acropole de Teuthronè a comme caractéristique de se trouver à une grande hauteur au-dessus du niveau de la mer (315 m si l’on considère le village de Loukadika comme site de l’habitat ancien)198. La baie de Teuthronè, comme celle d’Asinè, est ouverte vers le sud-est. À cause de sa position et de la géographie des lieux, ce site est le premier de la côte occidentale du golfe de Laconie à avoir une bonne visibilité sur toute l’île de Cythère, et donc sur les routes qui passaient au nord et au sud de l’île.

51À l’extrémité méridionale de la péninsule, le site de Psamathonte permettait d’exercer le contrôle des routes sur les deux côtés du cap et vers le sud. La position élevée de l’acropole (132 m) lui donnait la possibilité d’avoir une vue dégagée et très loin sur la mer des deux côtés du promontoire199. La mer au sud du cap n’était pas directement visible à cause des collines qui constituaient les derniers contreforts de la chaîne du Taygète. Mais il existe, à l’est et à l’ouest, deux dégagements qui offrent une bonne visibilité grâce à deux petites vallées qui coupent le promontoire. Il était ainsi possible de voir directement Cythère depuis l’acropole, même si la visibilité était meilleure depuis l’emplacement de l’église d’Agios Nikolaos qui se trouve à l’embouchure méridionale de la baie du port de Psamathonte, et depuis les collines du promontoire200. Ces deux « couloirs » de visibilité ouvraient donc la possibilité de contrôler les mouvements des navires qui doublaient le cap. De plus, l’acropole de Psamathonte était en communication directe avec le port d’Achilleion, ce qui permettait de le joindre très rapidement. Ces deux sites étaient vraisemblablement aussi en contact avec celui d’Hippola qui se trouvait sur des falaises à 272 m au-dessus de la mer201.

52Le système routier de la partie orientale de la péninsule est complètement inconnu. Aucune route n’a été retrouvée avec certitude, mais il est évident que des voies de communication terrestre devaient exister dans cette région. Il est très probable que la route qui arrivait à Gytheion continuait vers le sud en passant par les cités principales.

La région de Gytheion

53L’acropole de Gytheion se trouvait en contact visuel direct avec l’île de Cranaè au sud, qui fermait la région du port du côté méridional, et avec le site de Trinasos, qui constituait une importante protection naturelle vers le nord-est, à la limite de la plaine côtière de l’Eurotas202, dont une portion était visible depuis Gytheion. La vue vers le sud depuis l’acropole était entravée par les collines qui empêchaient la communication directe entre ce site et celui de Las. Mais à partir du principal port de Laconie, on pouvait aisément contrôler les routes qui passaient par le golfe. Le côté oriental du golfe de Laconie est clairement visible, ainsi que les cités d’Hélos, Akriai et Kyparissia, tandis que Cotyrta était cachée par le promontoire Xylis. Vers le sud, la vue s’étend jusqu’à Onougnathos et Cythère. De son côté, le site de Trinasos, qu’il ait été renforcé par une forteresse ou non, permettait d’avoir une vision complète du petit golfe de Gytheion (fig. 29) et de la plaine orientale dont le contrôle était renforcé par Hélos et Akriai à l’est, comme nous le verrons par la suite. Les trois sites de Gytheion, Trinasos et Cranaè étaient donc en communication directe. Ils offraient ainsi une vision très claire de la côte septentrionale du golfe de Laconie et de ses routes maritimes, et pouvaient notamment contrôler la route terrestre qui reliait directement Sparte à son port.

Fig. 29 – Visibilité de Gytheion depuis Trinasos (cliché de l’auteur, juin 2021).

54La route ancienne ne faisait pas le même parcours que la route moderne qui arrive à Gytheion par le nord-ouest. Le tracé ancien descendait de Sparte à Trinasos, où la route se divisait en deux voies, l’une qui se dirigeait vers Gytheion et l’autre qui parcourait la plaine vers le côté oriental du golfe de Laconie. La route principale reliant Sparte à Gytheion partait en direction du sud vers Amyclées et passait probablement, comme la route moderne, dans la plaine, tandis que l’Amyclaion était joignable par une déviation. La route continuait vers le sud jusqu’au site de Krokeai, et arrivait à Trinasos203. Les vestiges de cette route étaient encore visibles jusqu’au moins dans les années 1960‑1970 près de Krokeai204. Une deuxième route se détachait de la principale à la hauteur du site moderne de Daphni en tournant vers l’ouest ; elle traversait une zone montagneuse pour arriver dans la plaine d’Aigiai et continuait jusqu’à Gytheion205. Le port était donc directement lié à la polis par une route assez rapide.

La péninsule orientale

55Les sites du côté oriental du golfe de Laconie étaient assez éloignés, et ils n’étaient donc pas visibles les uns des autres, sauf exceptions. Au nord, près de la plaine de l’Eurotas, les deux acropoles d’Hélos et d’Akriai étaient en communication directe. La première se trouvait sur une petite colline qui dominait la plaine, ce qui en faisait un site important du point de vue de l’agriculture et du contrôle du territoire, outre son apport maritime. De plus, elle était en lien avec Gytheion et Trinasos qui fermaient la plaine vers l’est. La route qui passait tout le long de la côte septentrionale du golfe était donc aisément observable et contrôlable depuis ces sites. Akriai était plus avancée sur la mer, étant construite sur un petit promontoire (25 m)206. Elle faisait partie du même réseau d’intervisibilité qu’Hélos, Trinasos et Gytheion. Même si l’acropole de Las n’est pas directement visible à cause des collines, on peut distinguer clairement le promontoire Arainos avec lequel on pouvait donc communiquer par des signaux lumineux. Aucun autre site du côté occidental du golfe de Laconie n’était visible depuis Akriai, à part les sommets de la péninsule du Ténare.

56On pouvait ainsi assez facilement faire connaître des messages d’un côté à l’autre du golfe pour les transmettre rapidement à Gytheion et à Sparte elle-même. Sur le côté oriental du golfe, Akra Xylis et les alentours de Kyparissia, et peut-être son acropole communiquaient directement avec Akriai. Le site d’Akra Xylis cache la vue d’Onougnathos, tandis que les montagnes de Cythère sont visibles, au moins depuis les sommets qui entourent la cité.

57Les acropoles de Kyparissia et Cotyrta pouvaient probablement communiquer visuellement, surtout la nuit grâce à l’utilisation de signaux lumineux207. La position de Kyparissia (108 m) lui offrait une vue dégagée sur la côte qui s’étend au nord de la cité et sur tout le secteur septentrional du golfe de Laconie : Akriai, Hélos, Trinasos et Gytheion208. Les acropoles plus au sud de Gytheion n’étaient pas visibles à cause des collines et du promontoire Krammydara, mais le promontoire Arainos l’était. Vers le sud, la position de l’acropole permettait d’avoir une bonne vision sur les deux côtés d’Akra Xylis, tandis que les sommets cachent une partie du promontoire et de la mer. Onougnathos et Cythère sont également visibles. Kyparissia était aussi un lieu idoine pour l’observation de l’intérieur de la péninsule. L’acropole de Cotyrta (97 m) se trouvait dans une position moins favorable au contrôle de la mer209. Le site d’Akra Xylis obstruait la vue vers le nord et le nord-ouest, et les collines au sud cachaient la presqu’île d’Onougnathos et l’île de Cythère. En ce qui concerne le côté occidental du golfe de Laconie, Asinè et Teuthronè n’étaient vraisemblablement pas visibles de manière directe, mais la communication pouvait être établie aux alentours des cités et notamment sur les sommets des promontoires. En tout cas, Cotyrta et Kyparissia étaient clairement visibles depuis le promontoire Xylis. A.J.B. Wace affirme y avoir vu les restes d’une tour de guet, dans la partie centrale du promontoire210. Cela démontre l’importance stratégique de cet endroit et la volonté de le contrôler. La vue pouvait s’étendre sur une grande partie de la côte au nord de Kyparissia du côté occidental et sur le petit golfe de Cotyrta et au-delà du côté oriental.

58Plus au sud, Aphroditia (60 m)211 et Étis (27 m)212 étaient en communication directe. Ces deux sites exerçaient un contrôle sur le golfe formé par la presqu’île d’Onougnathos et sur le côté nord-est de Cythère. Cela permettait de tenir sous stricte observation le canal passant entre Onougnathos et Cythère, passage obligé pour ceux qui doublaient le cap Malée et qui ne contournaient pas l’île par le sud. Cythère jouait un rôle stratégique particulièrement important pour le contrôle du golfe de Laconie, et cela expliquerait d’ailleurs l’occupation de l’île d’abord par les Athéniens sur l’ordre de Nicias en 424‑423 av. J.‑C. et puis par Conon en 394 av. J.‑C.213. Sa masse montagneuse ferme le golfe et en contrôle les embouchures à l’est et à l’ouest. Bien utilisée, elle pouvait constituer une forte ligne de défense pour intercepter tout mouvement ennemi vers la Laconie et le port de Gytheion. Dans le cas contraire, comme lors de la conquête de Cythère par les Athéniens, elle devenait un obstacle important pour les Spartiates, car leurs navires pouvaient être facilement repérés et bloqués214. L’île était importante pour une autre raison aussi : vers le sud, la cité principale de Cythère (220 m) était en communication visuelle directe avec les hauteurs du nord-ouest de la Crète215. Bien que le bras de mer qui les sépare ne soit pas complètement visible, la position de Cythère favorisait son contrôle sur toute la région, et donc sur les routes qui traversaient la Méditerranée au nord de la Crète jusqu’au bout du golfe de Laconie.

59Du côté oriental du cap Malée, Sidè avait certainement un rôle important, et non seulement en tant qu’ultime port auquel accédaient les marins avant le passage du cap, ou inversement premier port dans lequel ils s’abritaient après avoir doublé le cap. Les deux sites proposés par les chercheurs, Vélanidia (215 m)216 et Agios Géorgios (418 m)217, contrôlaient la route méridionale qui reliait le Péloponnèse aux îles de l’Égée et à l’Asie Mineure. Dans les deux cas, la Crète et les montagnes de Mélos étaient visibles. L’emplacement de Vélanidia permettait de contrôler la mer vers le nord jusqu’au sud du golfe Argolique qui n’était pas visible depuis Agios Géorgios, plus à l’intérieur des terres, mais la même visibilité était aisément obtenue depuis les sommets aux alentours du site. Tous les deux se trouvent à peu de distance de la ligne de crête qui partage les eaux sur les deux côtés de la péninsule. Cela facilite la communication par voie de terre entre les sites du côté oriental et du côté occidental, évitant ainsi le dangereux passage du cap Malée. Les informations provenant de l’Égée étaient donc transmises assez rapidement dans le golfe de Laconie, à partir duquel elles étaient envoyées à Gytheion ou directement à Sparte.

60Plus au sud, les sites d’Épidaure Liméra, de son port et du cap Minoa, étaient directement reliés au niveau visuel (fig. 30). Le cap Minoa, qui s’élève à une grande hauteur au milieu de la mer (194 m)218, permet d’avoir une vision d’ensemble d’une grande partie de la côte : la vue s’étend du petit promontoire au nord de Sidè jusqu’au port d’Épidaure Liméra et aux collines qui se trouvent encore plus au nord de cette cité. Vers l’est, les montagnes de Mélos sont également visibles. Les collines entravent la vue de Sidè au sud et de Zarax au nord depuis l’acropole d’Épidaure Liméra (68 m)219. Mais les sommets de Mélos sont visibles vers l’est.

Fig. 30 – Visibilité du cap Minoa depuis Épidaure Liméra (cliché de l’auteur, juin 2021).

61Comme pour les sites précédents, la vue depuis Zarax (50 m) est entravée au nord et au sud par les collines220. Mais elle est ouverte sur le secteur nord-ouest des Cyclades et les montagnes de Mélos sont visibles. De plus, une partie de la chaîne de collines au sud-ouest de l’acropole était visible et, vers le nord, la vue arrivait jusqu’aux côtes de l’Argolide, permettant donc de contrôler la route provenant de l’Attique et du nord de l’Égée.

62Les mêmes remarques sont valables pour l’acropole de Kyphanta (119 m)221, qui jouissait en outre d’une bonne vue sur la région intérieure. L’acropole de Prasiai (200 m) se trouvait dans un endroit stratégique important pour notre analyse222. Le site est construit à 3,7 km environ au nord de la forteresse de Polichna avec laquelle il était en communication visuelle directe. Les deux exerçaient donc un strict contrôle sur la région argolique et sur l’embouchure du golfe. Vers l’est, la vue atteignait les sommets de Mélos, tandis que, vers le sud, elle était entravée par les montagnes. Prasiai constituait donc un bon point d’observation de la route venant de l’Égée et de celle qui arrivait du golfe Saronique, et donc de Corinthe et d’Athènes.

63Les fortifications de Tyros (140 m) n’étaient pas visibles depuis d’autres acropoles, mais le site offrait une vue dégagée sur la mer et le bassin portuaire, ainsi que sur les collines qui se trouvaient derrière la cité223. La position du site offre également une vue dégagée sur l’intérieur du golfe Argolique jusqu’à Nauplie. Vers l’est, on pouvait contrôler les routes en provenance de l’Égée et l’on communiquait aussi avec Mélos dont le sommet est visible. Il s’agissait donc d’un site important pour exercer le contrôle des routes septentrionales, surtout celles vers Corinthe et l’Attique, et des routes orientales.

64Enfin, il est impossible de placer avec certitude Anthana/Méthana et Thyréa, et par extension d’évaluer leur rôle stratégique sur le plan géographique. Nous pouvons néanmoins en souligner la position à l’intérieur du golfe Argolique, et donc leur utilisation pour le contrôle de tout mouvement provenant du côté nord-est de ce dernier. De plus, ces deux cités se trouvaient près de la frontière entre Laconie et Argolide, ce qui en faisait un bastion important contre d’éventuelles tentatives d’attaque de la part d’Argos et de ses alliés. Il ne faut pas non plus oublier que Thyréa avait été donnée par les Spartiates aux Éginètes chassés de leur île par les Athéniens, et qu’ils étaient en train de construire une forteresse au bord de la mer quand ils furent attaqués par Nicias en 424‑423 av. J.‑C. Il est donc évident que ce site était stratégiquement important, non seulement pour le contrôle de la frontière terrestre mais aussi pour celui de la mer.

65Le site de Géronthrai constituait le centre du système routier de la Laconie orientale224. La cité était directement reliée à Sparte par la route qui passait par l’Amyclaion. Un grand nombre de parcours partait de Géronthrai : vers Zarax, Épidaure Liméra et le cap Malée d’un côté, et vers Akriai, Kyparissia, Cotyrta et Aphroditia dans la partie tournée vers le golfe de Laconie225. Ce deuxième segment de la route était lié à celui qui arrivait de Trinasos dont nous avons parlé plus haut. Akriai était également traversée par la route qui arrivait de Géronthrai en passant par le site de Palaia/Pleiai (moderne Apidia)226. La route continuait ensuite vers le sud jusqu’à Cotyrta ; il est très vraisemblable qu’elle continuait aussi jusqu’à Aphroditia, Boia et Étis, mais aucune trace n’a été découverte dans cette partie du territoire. Ce qui est intéressant pour comprendre la grandeur du système routier laconien, est que des traces de routes ont été trouvées sur la côte en face d’Élaphonisi, l’ancienne Onougnathos.

66Le système routier était également bien développé dans le côté oriental de la péninsule. En partant de la côte vers l’intérieur, on retrouve les traces d’une route près d’Épidaure Liméra. Ce segment, qui pouvait être utilisé par les chariots, reliait le site à celui de Zarax227. Vers le sud, cette route continuait après Épidaure Liméra le long de la côte vers le cap Minoa et se dirigeait ensuite vers l’intérieur pour franchir le massif rocheux et arriver de l’autre côté de la péninsule, à Boia et Aphroditia. Aucune trace du système routier n’a été retrouvée au sud de Boia, mais il est évident qu’il devait continuer jusqu’aux sites plus méridionaux du cap.

67En continuant depuis Épidaure Liméra, la route se dirigeait vers l’intérieur, comme le montrent les traces retrouvées près de l’hèrôon d’Angélona228. D’ici, la route continuait au nord vers Géronthrai, tandis qu’une autre artère tournait vers l’ouest en direction d’Akriai229. Une autre route reliait Épidaure Liméra au sanctuaire d’Apollon Hypertéléatas, en passant elle aussi aux alentours de l’hèrôon d’Angélona230.

La côte orientale de Laconie au nord de Zarax

68Les sites de la côte orientale de la Laconie sont assez éloignés les uns des autres et ils n’étaient donc pas en communication visuelle directe. Il y a cependant des exceptions. L’emplacement de l’acropole de Prasiai permettait de voir aisément la forteresse de Polichna, sur laquelle nous reviendrons en parlant des routes de ce secteur.

69Bien que les savants n’aient pas pu tracer avec certitude les routes qui liaient les sites au nord de Kyphanta, J. Christien a avancé une hypothèse qui mérite d’être signalée. Selon cette savante, Kyphanta était liée de façon assez directe à Géronthrai par une route qui franchissait le massif du Parnon. Cette route avait une déviation qui liait cet axe avec le site de Marios (moderne Mario), dont l’occupation est attestée au moins à partir de l’époque classique231. La route continuait d’ici jusqu’à la côte, où se trouvait la forteresse de Polichna (moderne Poulithra)232. Le nom ancien peut faire songer à son statut de polis, mais le fait d’être très proche de Prasiai, dont nous avons remarqué l’importance à l’époque classique, a amené les savants à croire que le site était plutôt une forteresse233. Selon toute vraisemblance, la route continuait ensuite vers le nord, c’est-à-dire vers la cité de Prasiai.

70La Thyréatide est la région laconienne la plus septentrionale et la plus exposée aux attaques. Comme nous l’avons souligné plus haut, la Thyréatide était à l’origine une possession d’Argos et elle a toujours été l’objet de disputes entre Sparte et Argos. Les Spartiates devaient donc la protéger des attaques qui pouvaient provenir par terre d’Argos. Mais la Thyréatide était exposée aussi du côté de la mer, comme l’attaque menée par les Athéniens contre les Éginètes le montre clairement. Le témoignage de Thucydide sur cet événement est très important, parce qu’il montre les habitants en train de construire une forteresse au bord de la mer pour protéger la région234. Nous pouvons tirer quelques conclusions sur le contrôle qu’on pouvait exercer à partir des sites anciens de cette région, bien que leur emplacement exact nous échappe. Les habitats offraient une vue dégagée sur le golfe d’Argolide et sur les montagnes de l’intérieur. De plus, certains étaient visibles les uns des autres.

71Le système routier de cette région était donc très développé et renforcé par des tours et des forteresses afin de bloquer toute attaque provenant de l’Argolide. Ce même système était également très utile pour communiquer aisément avec l’intérieur et avec Sparte en cas de danger sur terre ou sur mer. L’obstacle majeur était le massif du Parnon qui isole la côte orientale du reste de la Laconie. Une première route longeant la côte est connue grâce aux indications de Pausanias, qui l’appelle la route d’Anigraia235. Ce parcours était contrôlé par deux tours, dont l’une était probablement argienne, et un fortin236. Cette route était assez longue à cause de la morphologie de la côte, avec les hauteurs du mont Zavitza qui arrivent jusqu’à la mer. C’est pourquoi, les savants ont souligné l’importance d’autres chemins, dont certaines traces ont été retrouvées. Il s’agit probablement, selon J. Christien, de la route suivie par Pausanias pendant son trajet de l’Argolide à la Laconie237. Cette route était apparemment plus difficile que l’autre, mais elle était plus directe et bien contrôlée. Le chemin montait jusqu’au col du mont Zavitza, à une hauteur de 600 m, où il y a les restes d’une tour sur le petit plateau du col ; d’ici on pouvait contrôler l’accès à l’Argolide238. Ce parcours était aussi protégé par une autre tour sur le sommet du mont et par une forteresse placée à mi-pente sur le côté du mont tourné vers la Thyréatide. Les tours et la forteresse étaient en communication avec un autre site fortifié qui se trouvait sur les pentes du Parnon239. Une dernière route franchissait les montagnes en passant par la vallée du fleuve Tanos vers Karyai, depuis laquelle la route continuait vers Sellasie et Sparte240.

72Une dernière remarque concerne l’emplacement des fortifications du mont Zavitza et, plus généralement, la possibilité de se servir des collines et des montagnes pour contrôler la mer et communiquer avec d’autres sites. La relation visuelle directe entre deux ou plusieurs sites de Laconie est souvent entravée par la géographie de la région. Mais les montagnes peuvent aussi constituer un avantage pour la surveillance du territoire et, encore plus, de l’espace marin. Depuis le mont Zavitza, on pouvait dominer l’Argolide et son golfe, et c’est pour cette motivation que les Spartiates construisirent ici une forteresse et une tour. Le Parnon pouvait jouer un rôle encore plus important, puisque, depuis cette montagne, on était en communication visuelle directe avec les Cyclades occidentales et surtout avec Mélos, ce qui permettait la transmission de signaux lumineux pour communiquer avec les Cyclades et recevoir des informations concernant la situation égéenne.

73Il est donc évident que Sparte avait créé un grand réseau routier pour communiquer assez facilement avec les habitats de la Laconie. Un tel système est fondamental si l’on pense à la nécessité pour les Spartiates de contrôler un grand territoire241. De plus, de bonnes routes étaient essentielles à cause de la morphologie montagneuse de la région. Il était donc possible de communiquer assez aisément avec le centre grâce au système routier. La communication pouvait se faire notamment avec des signaux lumineux, chose qui était possible quand les cités, les forteresses et les tours étaient en communication visuelle directe, ce qui était souvent le cas242. Gytheion, en tant que siège de l’arsenal, se trouvait dans une bonne position : il était sur la route la plus directe qui reliait la mer à Sparte et il se trouvait aussi sur une artère importante qui permettait de rejoindre les deux côtés du golfe de Laconie. Les sites fortifiés du golfe permettaient aussi de contrôler le passage des navires et donc de protéger l’arsenal d’une éventuelle attaque menée par mer. Les sites tournés vers l’Égée pouvaient être très importants pour la politique navale de Sparte, comme le montre la volonté des Athéniens de détruire l’habitat des Éginètes et leurs fortifications au début de la guerre du Péloponnèse. Ces établissements contrôlaient la dernière partie de la route qui arrivait de l’Orient, contrôle qui était accru par le réseau des îles liées à Sparte. Les informations ainsi obtenues sur les mouvements des ennemis pouvaient être aisément envoyées à Sparte à travers les routes terrestres. Nous ne voulons pas affirmer que ce réseau fut créé pour pouvoir mener une politique navale. Les routes et les fortifications servaient en général pour le contrôle du territoire, mais le secteur prit une nouvelle importance stratégique à partir de la guerre du Péloponnèse, quand différents sites furent fortifiés pour la première fois243.