Sparte et la flotte avant le déclenchement de la guerre du Péloponnèse

2L’intérêt de Sparte pour la mer remonte à une époque très ancienne, comme le montrent les contacts instaurés avec Cythère2, contacts très importants puisque l’île était tournée vers l’Égée. Elle envoya déjà au cours du viii^e siècle av. J.‑C. des expéditions coloniales à Mélos, Cnide, Théra, Tarente et dans certaines cités de la Crète comme Lyctos, Gortyne et Polyrrhènia3. Au‑delà des implications politiques et économiques de ces fondations, il faut souligner que la décision d’implanter une nouvelle colonie devait être soutenue par une bonne connaissance des routes maritimes et par la possession de bateaux ou par la possibilité d’en construire. Ces premières expéditions navales naissaient dans un contexte aristocratique, dans lequel de riches possesseurs de navires conduisaient les expéditions coloniales4.

3Le siècle suivant ne vit plus la grande expansion coloniale du viii^e siècle av. J.‑C. ; Sparte était alors engagée dans les deux premières guerres de Messénie et occupée avec la pacification et la gestion des territoires conquis. Mais l’importance de la mer ne fut pas oubliée. Vers la fin du siècle, les Spartiates fondèrent la cité de Mothone, sur le golfe occidental de Messénie, qui était un bon port tourné vers les routes de l’Occident, où ils installèrent les habitants de Nauplie, détruite par les Argiens5. Même si les motivations de cette conquête étaient multiples (contrôler cette partie de la Messénie et contrer Argos), la mer restait un élément important6. Les conquêtes territoriales en Laconie et en Messénie permirent à Sparte d’avoir accès aux côtes des deux régions assez tôt, peut‑être dès la fin la première guerre de Messénie7.

4Nous possédons un assez grand nombre d’informations concernant le vi^e siècle av. J.‑C., pendant lequel Sparte acquit le rang de puissance internationale, qui nécessitait des relations avec les autres puissances grecques8. Pausanias fait mention d’une guerre menée contre Cnossos, probablement dans la première moitié du siècle9. Sparte élargit également son influence vers le nord‑est de la Laconie, en Thyréatide, une fertile plaine côtière située immédiatement au sud de la plaine d’Argos10. La polis obtint aussi, vers le début du siècle, le contrôle de Cythère qui auparavant faisait partie du territoire d’Argos11. En ce qui concerne la politique étrangère, le cas des rapports avec Crésus de Lydie est particulièrement important, bien que les sources sur la force navale de Sparte de cette époque soient indirectes. Crésus avait instauré des liens avec différentes cités grecques grâce aux riches cadeaux offerts à Delphes, Sparte et Éphèse12 ; il s’était ensuite adressé directement à Sparte pour solliciter son aide contre la menace de Cyrus, peu avant la prise de Sardes en 547‑546 av. J.‑C.13. Les auteurs anciens affirment que le roi envoya deux demandes d’aide à Sparte, mais que l’attaque surprise de Cyrus empêcha les Spartiates de soutenir Crésus. La requête fut adressée aux Spartiates parce qu’ils étaient renommés comme la plus grande puissance grecque de l’époque. Mais quelle aide la Lydie pouvait‑elle espérer ? Elle était évidemment de nature militaire ; les Spartiates devaient donc disposer d’un nombre assez important de navires qui pouvait leur permettre de faire passer une armée en Lydie14. Les sources soulignent aussi que ce n’était pas une campagne comme les autres, car les Spartiates avaient besoin de temps pour organiser le déplacement d’une armée ; c’est pourquoi le roi leur envoya sa demande quatre mois avant la date choisie pour les opérations.

5Pendant le dernier quart du siècle, Sparte organisa trois expéditions maritimes pour destituer des tyrans. En 525‑524 av. J.‑C. environ, les Spartiates attaquèrent Samos. Le tyran Polycrate, doté de la flotte la plus puissante de l’époque, soit cent pentécontères, avait constitué une vraie thalassocratie en Égée15. Il avait établi des relations avec le pharaon Amasis, mais il offrit ensuite son aide au Perse Cambyse lors de l’invasion de l’Égypte16. Pour cette expédition, Polycrate avait envoyé des aristocrates qui, une fois rentrés à Samos à la fin de la campagne militaire, attaquèrent la cité ; ils furent d’abord vainqueurs sur mer, grâce surtout aux meilleures capacités techniques des trières par rapport aux pentécontères, mais ils furent ensuite défaits sur terre. Pour cette raison, ils se rendirent à Sparte pour demander de l’aide afin de renverser le tyran17. Les Spartiates partirent avec les Corinthiens et assiégèrent Samos pendant quarante jours, puis ils rentrèrent dans le Péloponnèse18. À la même époque environ, les Spartiates se rendirent à Naxos comme ambassadeurs pour déposer le tyran Lygdamis19, ce qui ne semble pas avoir impliqué l’utilisation de la force selon Hérodote20. En dernier lieu, les Spartiates conduisirent une expédition contre le tyran Hippias d’Athènes21. Hérodote parle de deux campagnes sans dire dans quel intervalle elles furent menées. Pour la première, probablement en 511 av. J.‑C., l’armée fut envoyée en Attique par mer : les navires abordèrent au port du Phalère et les soldats établirent le camp à proximité22. L’armée fut défaite dans la bataille terrestre engagée par les Athéniens avec l’aide de la cavalerie thessalienne ; les survivants rentrèrent en Laconie avec leurs navires. Ensuite, Cléomène I^er alla à Athènes par voie de terre pour se venger de la défaite23. La première expédition est particulièrement intéressante parce qu’on pourrait y trouver la première mention du navarque, Anchimolios fils d’Aster, qui fut chargé de conduire les navires en Attique24.

6Toutes ces actions ont deux points en commun : il s’agit tout d’abord des expéditions maritimes, dont la composante navale est toujours très réduite, étant donné que les sources ne parlent jamais de batailles navales. Les navires étaient plutôt utilisés pour le transport des hommes. Mais comme nous l’avons vu dans la première partie, les pentécontères pouvaient être utilisées pendant les batailles navales ; il suffit de rappeler le combat des Phocéens contre les Carthaginois et les Etrusques en 540 av. J.‑C. environ25. La volonté des Spartiates de ne pas engager de bataille navale se comprend aisément ; le but n’était pas de démontrer leur force pour obtenir l’hégémonie sur la mer, mais de détruire la puissance d’un tyran. De plus, Sparte avait, déjà à cette époque, une grande renommée comme puissance hoplitique et, tout en possédant des navires, ne pouvait certainement pas engager un combat victorieux contre une flotte puissante comme celle de Polycrate. En outre, les sources ne mentionnent jamais, sauf dans le cas de l’attaque contre Samos, la participation des alliés aux expéditions spartiates à cette époque. Il semble donc possible de conclure que Sparte possédait un nombre suffisant de navires pour sa politique, mais que ces navires étaient utilisés pour le déplacement des troupes et non pour combattre l’ennemi sur mer.

7Nous pouvons également citer les deux expéditions coloniales de Dôrieus pour illustrer la puissance maritime de Sparte. Il était le demi‑frère du roi Cléomène I^er et, après la déception de voir ce dernier couronné26, il organisa une expédition pour fonder une colonie en Afrique du Nord en 515‑514 av. J.‑C. environ27. Son projet n’aboutit pas à cause de l’hostilité des habitants de la région et des Carthaginois ; lui et ses hommes rentrèrent donc à Sparte d’où ils organisèrent une autre expédition, en Occident cette fois. Ils allèrent à Sybaris et s’unirent à l’armée de cette polis contre Crotone, mais une fois la cité des Sybarites occupée par ses ennemis, ils partirent fonder une colonie en Sicile, où ils furent tués par les Carthaginois qui contrôlaient la région. Ces actions apparaissent comme aristocratiques et privées, sans un engagement de Sparte en tant qu’État : le chef fait partie de la famille royale et ses compagnons sont des aristocrates, autant les Spartiates que le Crotoniate qui s’unit à la deuxième expédition et qui paya personnellement pour armer une trière, la première attestée à Sparte28.

8Un autre indice de l’importance de Sparte dans le domaine naval se trouve dans la notice d’Hérodote sur une ambassade des Scythes ; ils auraient demandé aux Spartiates d’envoyer une armée par mer pour faire face à l’invasion de leur région par Darius I^er en 511‑510 av. J.‑C.29. La critique moderne a émis plusieurs objections, la Scythie n’étant pas considérée comme assez développée au niveau politique à cette époque pour organiser l’envoi d’une ambassade de ce type30. Malgré ces réserves, la donnée reste intéressante, parce qu’elle fait comprendre que la tradition ancienne considérait Sparte comme une puissance capable de se tourner vers la mer. La même conclusion concerne la tentative d’Aristagoras de Milet d’obtenir l’aide des Spartiates en 499 av. J.‑C.31. Le roi Cléomène I^er refusa d’intervenir puisque cette expédition aurait amené ses hommes à s’engager trop loin au‑delà de la mer, mais l’existence de cette tradition fait comprendre l’étendue de la renommée de Sparte, considérée comme capable de mener une grande campagne militaire maritime.

9D’autres indices des liens de Sparte avec la mer au vii^e et au vi^e siècle av. J.‑C sont de nature archéologique. Les fouilles ont mis au jour un grand nombre d’objets de luxe provenant d’Orient32. De plus, la tradition ancienne témoigne de la présence d’artistes étrangers à Sparte comme Bathyclès de Magnésie, architecte qui construisit le Trône d’Apollon à Amyclées (milieu du vi^e siècle av. J.‑C. environ)33, et Théodore de Samos, constructeur de la Skias dans l’agora34. Sparte a donc été un centre actif dans le domaine artistique. La cité connut l’influence de l’art orientalisant, donnant ainsi naissance à une production céramique de grande qualité qui fut amplement exportée35. Outre la céramique, qui indique une grande habileté artistique et technique ainsi que la capacité à s’insérer dans un commerce international fondé sur les trafics navals, une autre catégorie d’objets est particulièrement intéressante pour notre travail. Le sanctuaire d’Orthia a livré près de 200 plaquettes en ivoire36. Une de ces plaques, datée de la fin du vii^e siècle av. J.‑C., représente le départ d’un guerrier pour une expédition navale : un homme, debout sur le navire de guerre, et une femme sur le rivage. Sur le navire, qui semble sur le point de lever l’ancre, il y a des soldats armés de lances et de boucliers, des marins et, peut‑être, le pilote. L’image est complétée par le nom de la divinité Orthia à laquelle la plaque fut dédiée. Deux explications de cette scène sont possibles : elle représente l’enlèvement d’Hélène par Pâris, ou le départ d’un guerrier pour une expédition et l’adieu à sa femme37. Dans la deuxième hypothèse, il est probable qu’il s’agisse d’un ex‑voto offert après le retour dans le contexte d’une action militaire38. Une deuxième plaquette, cette fois‑ci en pierre et datant d’avant la reconstruction du sanctuaire au vi^e siècle av. J.-C., représente également un navire39. La représentation comporte peu de détails, mais le navire est caractérisé par l’éperon et la voile baissée. La dédicace est accompagnée du nom du dédicant, Π<π>ραξίνος. Enfin, un dernier exemple provient d’un morceau de pierre avec une incision qui représente un navire accompagné du mot Ἀρδοι40. Le navire, très stylisé, se démarque de deux exemples précédents par la présence de cinq avirons. Ces trouvailles montrent donc l’importance de l’élément maritime dans la vie de Sparte à l’époque archaïque.

10Au début du v^e siècle av. J.‑C., la flotte spartiate semble avoir été surtout utilisée par le roi Cléomène I^er. Dans le récit de sa campagne contre Argos en 494 av. J.‑C. environ, Hérodote affirme que l’armée partit pour envahir l’Argolide par la voie terrestre, mais que le roi changea d’avis à cause des mauvais augures de sacrifices ; il décida donc d’embarquer ses hommes et de se rendre à Argos en bateau41. Il se servit de quelques navires d’Égine et de Sicyone, mais il semble que la majorité des navires était spartiate42. Les Spartiates pouvaient donc armer un nombre de navires suffisant, avec l’aide d’Égine et de Sicyone, pour modifier leur stratégie au cours d’une campagne ou, si l’on croit plutôt à une ruse pour prendre Argos par surprise, pour élaborer un plan qui prévoyait la participation de l’armée et de la flotte.

11Le dernier exploit naval accompli par Cléomène I^er a été une mission diplomatique à Égine peu avant la première guerre médique. La cité, qui était depuis longtemps en conflit avec Athènes, avait fait preuve de médisme et les Athéniens saisirent l’occasion pour appeler Sparte afin de rapprocher Égine des cités grecques qui avaient refusé les propositions du Grand Roi. Le roi spartiate se rendit à Égine pour arrêter les médisants, mais son action fut entravée par l’autre roi de Sparte, Démarate. Après la destitution de ce dernier, obtenue grâce à l’oracle de Delphes, il put aller sur l’île pour enlever des otages et les amener à Athènes43. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une campagne militaire, mais d’une mission diplomatique, Sparte dut utiliser une partie importante de ses ressources navales pour mener à bien cette opération. De plus, les sources ne mentionnent aucune aide de la part des alliés : les Spartiates possédaient donc tous les navires qu’ils utilisaient. Leur nombre ne devait pas être conséquent, mais il n’était pas non plus négligeable à cette époque pour une puissance presque exclusivement terrestre.

12La seconde guerre médique vit les Spartiates peu engagés sur mer, bien que le commandement général des opérations leur eût été confié. Sparte connut les préparatifs militaires de Xerxès grâce à Démarate qui, contraint de s’exiler, avait choisi la Perse. Il est fort probable que le premier congrès des Grecs pour planifier la guerre s’était tenu à Sparte parce qu’il avait été organisé par les Spartiates, les seuls qui connaissaient les plans du Grand Roi44. À cette époque, ou peut‑être plus tard, quand la guerre se rapprochait, il fallut prendre une décision à propos du commandement général des opérations. Il semble qu’il n’y ait pas eu de doutes concernant l’armée de terre, Sparte ayant la primauté dans ce domaine ; forts de leur prestige, les Spartiates obtinrent également la direction de la flotte, mais les Athéniens réclamèrent le commandement naval peu avant la bataille du cap Artémision45. Il est vrai que les Athéniens avaient fourni le plus grand nombre de navires, mais ils n’avaient pas encore fait preuve d’une grande capacité navale ; pour cette raison probablement, les autres alliés refusèrent de combattre sous les ordres d’Athènes et menacèrent de quitter la flotte.

13La première participation de Sparte à une expédition navale dans le contexte des guerres médiques eut lieu au début de l’été 480 av. J.‑C. : les alliés envoyèrent par mer des hoplites à Tempè pour répondre à la demande d’aide des Thessaliens46. Ensuite les Spartiates participèrent à la bataille du cap Artémision, vers juillet/août 480 av. J.‑C.47, avec dix navires seulement, dont l’un était le vaisseau amiral48. Après la victoire et la nouvelle de la défaite des Thermopyles, la flotte grecque se déplaça à Salamine ; cette décision fut prise par le commandant spartiate Eurybiade, mais Hérodote souligne qu’il fut convaincu de le faire par Thémistocle49. Hérodote donne un total de 300 navires grecs pour cette bataille, dont seize seulement étaient spartiates50. Les sources ne mentionnent pas d’exploits accomplis par les Spartiates ou les Péloponnésiens dans ce contexte, mais elles soulignent deux aspects importants : l’aile droite, conduite par les Spartiates, fut la première à engager le combat et la flotte, dans sa globalité, était bien entraînée51. La campagne de l’année 479 av. J.‑C. s’ouvrit avec une opération navale, à la tête de laquelle il n’y avait plus Eurybiade mais le roi Léotychidas52. La flotte fut réunie à Égine et alla ensuite à Délos pour finalement permettre la victoire de Mycale, qui ne fut pas proprement une bataille navale53. En 478 av. J.‑C., la flotte passa sous le commandement du régent Pausanias qui la conduisit contre Chypre, l’une des bases de la flotte phénicienne, et contre Byzance54. Les événements qui suivirent virent la perte de l’hégémonie navale de Sparte au profit d’Athènes. Après la victoire de Mycale, le roi Léotychidas avait proposé d’amener les Grecs d’Asie Mineure en Grèce continentale où ils auraient occupé les terres des médisants55. Cette proposition a été refusée par manque de réalisme mais R. Meiggs souligne que le roi était conscient de l’incapacité des cités d’Asie de faire face aux Perses et qu’elles devaient être constamment soutenues militairement56. Tandis que Léotychidas rentrait en Grèce avec les alliés péloponnésiens après avoir mené des opérations près de Thasos, les Athéniens se rendirent à Abydos et puis à Sestos avec le reste de la flotte57. Ensuite, Pausanias, commandant de l’expédition contre Byzance, fut rappelé à Sparte pour répondre à l’accusation de médisme, et Dorkis fut envoyé à sa place ; les alliés refusèrent de le suivre et se tournèrent vers Athènes, montrant clairement que l’hégémonie de Sparte n’était plus acceptée58.

14La tradition ancienne ne semble pas unanime quant aux causes qui menèrent les Spartiates à abandonner le pouvoir qu’ils exerçaient sur mer en faveur des Athéniens. Le texte de Thucydide souligne le rôle de Pausanias, dont la façon d’agir envers les alliés et les Grecs d’Asie notamment, avait amené ces derniers à choisir les Athéniens comme chefs dans la guerre contre le Grand Roi et à refuser ainsi de suivre les Spartiates59. À propos de ce sujet, Diodore évoque un débat qui marque un tournant dans la politique navale spartiate60. L’assemblée et la gérousia étaient initialement en faveur d’une ligne politique capable de maintenir la prééminence sur la mer. Les Athéniens étaient accusés d’avoir volontairement agi contre les Spartiates pour obtenir le contrôle de la mer et pour s’assurer le soutien des alliés en vue du développement de leur propre puissance navale. Le choix de maintenir, ou de retrouver une politique maritime à grande échelle signifiait donc déclarer la guerre aux Athéniens pour obtenir de nouveau un rôle prééminent et pour sauver aussi la cité de l’instabilité politique qu’elle connaissait depuis la fin de la guerre61.

15Toujours selon Diodore, le géronte Hétoimaridas prit alors la parole pour convaincre les Spartiates de changer d’avis. Son point de vue, qui fut finalement choisi, était celui de laisser la politique navale aux Athéniens et de ne leur faire aucune guerre pour cette raison. Les Spartiates auraient pu ainsi profiter de leur force terrestre pour renforcer et agrandir leur prestige dans le Péloponnèse. Il semble que le récit de Diodore soit un peu trop simplifié et qu’il s’agit plutôt d’un résumé d’une question plus ample. Nous croyons cependant qu’il faut retenir le texte de Diodore, et ne pas le considérer comme une invention du iv^e siècle av. J.‑C.62, en suivant la thèse reprise récemment par R. Vattuone63. Il s’agit probablement d’un résumé de tous les débats qui ont eu lieu à Sparte sur le rôle des Spartiates dans la nouvelle réalité politique et militaire, en conséquence des guerres médiques. Dans la version de Diodore, le géronte Hétoimaridas souligne un point important qu’on ne retrouve pas chez Thucydide : les Spartiates ont déjà perdu le contrôle de la mer et le rôle de chefs des alliés. Cela n’avait pas eu comme résultat une rupture directe avec les Athéniens, qui développaient la politique navale de façon détournée64. Les alliés ne décidèrent donc pas de quitter le commandement des Spartiates seulement à cause du comportement de Pausanias et le débat dans lequel Hétoimaridas intervint ne fut probablement qu’un parmi de nombreux autres. Le récit de Diodore ne semble pas incompatible avec celui de Thucydide. Les deux auteurs donnent deux explications différentes des événements, mais il est probable que le choix des alliés de quitter les Spartiates fut le résultat d’un long développement et de nombreuses causes.

16Après la seconde guerre médique et la fin de l’engagement de Sparte dans la guerre en Égée, les sources ne mentionnent aucune expédition navale pendant une période assez longue65. Les premiers indices concernent le milieu du v^e siècle av. J.-C. Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude si Sparte prit part à la bataille dans le golfe Saronique et à celle près d’Égine66. La première participation certaine des Spartiates aux opérations de cette période est l’expédition en Doride en 458‑457 av. J.‑C.67. Les Lacédémoniens et leurs alliés se rendirent en Doride pour en chasser les Phocidiens. L’armée se trouva coincée au moment de rentrer dans le Péloponnèse, parce que la route maritime passant par le golfe de Crisa n’était pas praticable à cause du contrôle qu’y exerçaient les Athéniens. Il est évident que les Spartiates avaient complètement changé leur stratégie depuis la fin des guerres médiques et que leur intérêt était désormais concentré sur l’hégémonie terrestre, comme le montre aussi le fait que Sparte ne fut pas capable d’affronter les navires athéniens sous le commandement de Tolmidès en 456‑455 av. J.‑C. lorsqu’il fit un périple autour du Péloponnèse en attaquant plusieurs sites côtiers68. La paix conclue entre Sparte et Athènes après la défaite de cette dernière en Égypte permit aux Spartiates de recouvrer certaines possessions, mais marqua la perte d’importants alliés navals, comme Égine, Naupacte et une grande partie de la Mégaride69.

Sparte et la flotte pendant la guerre du Péloponnèse

17Les Spartiates n’utilisèrent plus de flotte jusqu’à la guerre du Péloponnèse (431‑404 av. J.‑C.) qui a concentré l’attention de Thucydide (et que l’on pourrait appeler la seconde guerre du Péloponnèse si l’on admet que le conflit ayant eu lieu de 461 à 446 av. J.‑C. mérite déjà l’appellation de « guerre du Péloponnèse »). Dans les années qui précédèrent cette guerre, les habitants de Samos et de Mytilène s’étaient adressés à Sparte pour demander de l’aide contre Athènes en vue de leur défection. La décision n’appartenait pas uniquement aux Spartiates, mais elle devait être prise par les membres de la Ligue du Péloponnèse. Parmi les alliés, seule Corinthe pouvait se vanter d’avoir une réelle puissance navale, d’autant plus que Sparte avait perdu le contrôle sur Égine. Corinthe, et probablement Mégare dans une moindre mesure, devaient fournir le plus important nombre de navires ; mais les intérêts de Corinthe étaient plutôt tournés vers l’Occident, et aucune aide ne fut donc envoyée à Samos pour sa révolte de 440‑439 av. J.‑C. et à Mytilène vers la même période70. Le cas de la guerre du Péloponnèse fut très différent du panorama décrit pour la pentécontaétie : la guerre fut fermement voulue par les alliés, parmi lesquels Corinthe eut un rôle central, et l’utilisation de la marine militaire fut considérée comme un élément incontournable dans le discours du roi Archidamos évoqué dans la première partie71. Il est néanmoins vrai que, avant le déclenchement des hostilités, les Spartiates ne participèrent pas avec leur flotte aux événements qui conduisirent à la guerre ; ils agirent avec la diplomatie dans le différend entre Corinthe et Corcyre, promirent aux habitants de Potidée d’intervenir en attaquant l’Attique par voie de terre simultanément à leur défection d’Athènes, et envoyèrent une ambassade à Athènes pour discuter de l’embargo imposé à Mégare72.

18La première action belliqueuse fut l’attaque des Béotiens contre Platée, mais Sparte était déjà tournée vers une guerre qu’il fallait mener sur terre et sur mer ; pour faire face à la disparité des forces navales de la Ligue du Péloponnèse par rapport à celles d’Athènes, elle demanda à ses alliés occidentaux, Syracuse et des cités de l’Italie du Sud, de construire une flotte de 500 navires73. Bien que ce chiffre soit trop grand pour être considéré comme vraisemblable, il est intéressant de noter que Sparte voulut se tourner vers l’Occident pour suppléer au manque de navires et de financements pour les construire en un espace de temps réduit. Quoi qu’il en soit, Thucydide mentionne deux expéditions péloponnésiennes en Égée, sans dire quelles cités avaient fourni les navires : une attaque contre l’Eubée provenant de la Locride et un détachement de forces opérant contre les bateaux marchands athéniens74. De plus, des navires spartiates capturèrent des bateaux athéniens près du Péloponnèse et en exécutèrent les équipages75. La première grande expédition navale eut lieu pendant la campagne de 430‑429 av. J.‑C. : une flotte de cent trières, sous le commandement du navarque Cnémos, fut envoyée contre Zacynthe76. Les Péloponnésiens pillèrent une partie de l’île, mais se retirèrent quand il fut évident que les habitants n’étaient pas prêts à conclure un accord77.

19En 429‑428 av. J.‑C., la Ligue du Péloponnèse envoya des hoplites par mer en Acarnanie avec une flotte de quarante‑sept navires78. La Grèce nord‑occidentale était stratégiquement très importante : son contrôle aurait permis l’accès vers l’ouest et la possession d’une base contre Corcyre. La région était aussi une source de bois79. C. Falkner pense qu’une partie des navires était spartiate et utilisée par les officiers de la flotte et surtout par le navarque Cnémos80. Dans ce cas non plus, les sources ne mentionnent pas de batailles navales, les navires étant probablement utilisés surtout pour le transport des troupes à ce stade de la guerre. Mais à ce propos, Thucydide souligne que la flotte péloponnésienne comprenait quelques trières et qu’elle était prête à accomplir la manœuvre du kyklos pour se défendre81. Les forces du navarque devaient en outre recevoir l’aide d’une escadre navale provenant de Corinthe. Les Chaones et les hommes de Cnémos combattirent sur terre, où ils furent mis en fuite, et l’aide envoyée par Corinthe ne réussit pas à les rejoindre parce que la flotte fut bloquée par les navires athéniens commandés par le stratège Phormion, qui stationnaient près de Naupacte. Les Péloponnésiens ne réussirent pas à faire face aux Athéniens : ils perdirent un quart de leur flotte environ et rentrèrent dans le port de Cyllène, le centre maritime des Éléens, pour se protéger et réparer les embarcations82.

20Selon le récit de Thucydide, les Péloponnésiens perdirent la bataille, sur terre et sur mer, à cause des alliés, et non à cause de l’incapacité du navarque Cnémos, qui resta à la tête des opérations83. Au vu de la difficulté de la situation, le gouvernement de Sparte envoya une commission de symboloi, dans laquelle figurait Brasidas, pour aider le commandant à réorganiser la flotte qui fut portée à soixante‑dix‑sept navires, et à préparer la suite de la campagne militaire84. Après ces préparatifs, les deux flottes s’affrontèrent dans la bataille de Naupacte. La flotte péloponnésienne avait jeté l’ancre à Rhion et se trouvait en face des navires athéniens, mais aucune des deux parties ne prenait la décision de lancer l’attaque. Thucydide dit que les Péloponnésiens étaient découragés et craignaient de combattre contre les hommes qui avaient gagné la bataille précédente ; le commandant fit un discours qui ne passait pas sous silence les faiblesses de la flotte. La défaite subie pouvait être attribuée à l’insuffisance de la préparation et à l’inexpérience des équipages qui ne s’attendaient pas à devoir combattre sur mer ; il s’agissait en fait pour eux de la première fois85. Le combat fut enfin déclenché : les Péloponnésiens eurent le dessus au début en capturant un grand nombre de navires, mais ensuite ils poursuivirent ceux qui s’étaient éloignés en direction du port de Naupacte et ces derniers se retournèrent contre eux, causant leur fuite et récupérant ainsi une partie des navires préalablement capturés86.

21Après ces événements, les Péloponnésiens décidèrent d’armer les quarante navires qui se trouvaient dans le port de Nisée et d’attaquer le Pirée qui n’était pas surveillé87. Les sources ne fournissent aucune explication, Thucydide se limitant à affirmer que les alliés choisirent de suivre la proposition des Mégariens88. Cette action pourrait se placer vers la fin de la campagne de guerre, peu avant la dispersion de la flotte pour l’hiver ; il pourrait donc s’agir d’une dernière tentative d’endommager la flotte athénienne conduite par Phormion, qui avait défait les Péloponnésiens à plusieurs reprises, et de faire baisser le moral des Athéniens tout en remontant celui des Péloponnésiens89. Les équipages se rendirent à Nisée depuis Corinthe, mais n’accomplirent aucune action. Selon Thucydide, ils eurent peur d’attaquer directement Athènes ; selon certains savants, ils virent que le fort vent qui avait commencé à souffler allait causer des problèmes aux trières qui n’avaient pas été utilisées pendant un temps assez long90. Les Péloponnésiens changèrent donc d’avis et préférèrent se diriger vers Salamine : ils attaquèrent le fort athénien, capturèrent trois trières et pillèrent l’île91. Ils se contentèrent du butin et ne saisirent pas l’occasion d’attaquer directement Athènes qui, comme Thucydide le souligne, était en proie à la panique92.

22L’année suivante, en 428‑427 av. J.‑C., les Spartiates et les Béotiens s’accordèrent pour aider les habitants de Lesbos à être défectionnaires d’Athènes : ils acceptèrent la demande d’intervention que les Mytiléniens leur avaient adressée à l’occasion des concours olympiques93. Une fois l’accord de la Ligue obtenu, les Péloponnésiens organisèrent une double campagne militaire, menée sur terre et sur mer94. Les Spartiates voulaient attaquer l’Attique par terre et par mer, pour que cette dernière relâche la surveillance de l’Égée et que Lesbos puisse sortir de la Ligue de Délos. Les alliés ne voulant pas suivre le plan, les Spartiates durent se contenter d’envoyer à Lesbos une flotte de quarante trières l’année suivante. Cette fois aussi, les Péloponnésiens organisèrent une double attaque : invasion de l’Attique et envoi de forces en Égée. Des informations ayant filtré, les Athéniens eurent le temps d’organiser l’attaque contre Mytilène, qui dut se rendre après un siège, à cause de l’importance des forces adverses et du retard de la flotte péloponnésienne95. Le navarque Alcidas resta en Ionie pour mieux comprendre la situation et, après avoir refusé l’idée de fixer une base en Égée, fit un tour exploratoire de la côte avant de rentrer dans le Péloponnèse. Il se dirigea vers le port de Cyllène, peut‑être pour agrandir sa flotte et se tourner contre Corcyre96.

23La situation de Corcyre était très compliquée à cause des luttes entre démocrates et oligarques ; Alcidas conduisit une flotte de cinquante‑trois trières pour soutenir ces derniers97. Les Péloponnésiens parvinrent à détacher les navires corcyréens de ceux d’Athènes qui étaient arrivés en renfort, et à battre les ennemis en gagnant ainsi une bataille navale pour la première fois pendant la guerre. Thucydide affirme que les Péloponnésiens n’ont pas su profiter de la victoire, parce qu’ils n’attaquèrent pas la cité de Corcyre selon le plan attribué à Brasidas, mais auquel le navarque s’était opposé en préférant se replier sur Leucade. C. Falkner explique différemment ce choix : les forces de Corcyre n’avaient pas été détruites, elles étaient sous le contrôle des démocrates et les Athéniens étaient en train d’arriver avec une flotte de renfort98.

24Les sources ne se réfèrent pas à des campagnes militaires menées par la flotte péloponnésienne durant l’année suivante (427‑426 av. J.‑C.). La stratégie maritime ne fut pourtant pas abandonnée, comme le montre la fondation d’Héraclée Trachinienne99. L’un des fondateurs était l’ex‑navarque Alcidas. Le site se trouvait dans une position stratégique optimale pour la guerre navale contre Athènes, surtout par la possibilité d’effectuer des attaques contre l’Eubée et la Thrace, et la cité fut dotée de neôria pour les trières100. De plus, il semble que la région avait des ressources abondantes en bois101.

25En 425‑424 av. J.‑C. se situe un événement parmi ceux qui sont considérés comme les plus importants de la guerre archidamique : la défaite de la flotte péloponnésienne et la prise de Pylos par les Athéniens102. La flotte de soixante trières était engagée contre Corcyre et l’armée de terre dans l’invasion de l’Attique. Les Spartiates n’agirent pas tout de suite après avoir appris la nouvelle de la chute de Pylos et de sa fortification à cause des Athéniens, mais ils attendirent le retour du roi Agis de l’Attique avant de mobiliser l’armée et de demander le retour de la flotte. Le plan spartiate était d’interdire aux navires ennemis la possibilité de s’amarrer ; la mer restait cependant accessible et des navires messéniens pouvaient suppléer aux besoins des Athéniens en nourriture et en hommes. Leur force était initialement réduite à cinq trières aux ordres de Démosthène, parce que la majorité était partie pour Corcyre et la Sicile, mais le stratège put envoyer un message à la flotte athénienne qui se trouvait à Zacynthe pour lui demander de le rejoindre avant l’arrivée massive des ennemis. Les Spartiates attaquèrent les forces terrestres avec quarante‑trois navires et, le troisième jour, envoyèrent d’autres navires à Asinè pour demander du bois à utiliser pour les opérations de siège. Ils cherchèrent en outre à bloquer l’embouchure de la baie à la flotte athénienne qui était en train d’arriver ; pour ce faire, ils bouchèrent le passage avec des navires embossés dans les deux passes enserrant Sphactérie, et ils occupèrent l’île pour éviter qu’elle ne devienne une base d’attaque contre eux ; ils placèrent notamment des hoplites tout le long de la côte. La flotte chercha à résister à l’attaque navale des Athéniens qui voulaient forcer le blocus, mais les Péloponnésiens furent mis en fuite et perdirent l’accès à Sphactérie. Le récit de Thucydide souligne l’importance de cet événement pour les Spartiates et la volonté de ces derniers de tout faire pour obtenir la libération des hommes bloqués à Sphactérie, y compris en offrant aux Athéniens la possibilité de conclure la paix. Les Spartiates obtinrent une trêve, la permission d’envoyer des vivres aux soldats de Sphactérie et de faire parvenir une ambassade à Athènes pour traiter cette affaire, mais ils durent livrer aux Athéniens, jusqu’au retour des ambassadeurs, tous les navires utilisés pendant l’expédition. Les Athéniens, après avoir écouté l’avis de Cléon, refusèrent la paix, en disant que les hommes de Sphactérie auraient dû se rendre et que le traité de paix ne devait pas inclure la restitution de certains territoires. L’ambassade n’ayant rien obtenu, les hostilités recommencèrent à Pylos : l’armée péloponnésienne attendait le moment pour donner l’assaut aux remparts, et la flotte athénienne assiégeait l’île de Sphactérie103. Les Athéniens envoyèrent ensuite Cléon avec des renforts et les commandants décidèrent de débarquer à Sphactérie : après un long combat, les Athéniens encerclèrent les combattants qui furent forcés de se rendre et furent emmenés à Athènes, et laissèrent une garnison à Pylos, dans laquelle se trouvaient des Messéniens de Naupacte.

26Les événements de Pylos eurent une portée considérable pour Sparte et ses alliés, qui se retrouvèrent sans flotte et donc incapables de faire face aux attaques des Athéniens. Corinthe fut attaquée, Épidaure et Méthana, située entre Épidaure et Trézène, furent pillées, Cythère fut occupée par les Athéniens et les oligarques de Corcyre restèrent sans défense104. De plus, les Athéniens étaient en train d’affaiblir la Ligue du Péloponnèse dans d’autres lieux dont l’importance pour la guerre sur mer était notable. Le stratège Nicias, envoyé avec une flotte vers le Péloponnèse, s’arrêta à Mélos en 426‑425 av. J.‑C., cité dorienne officiellement neutre mais pro‑spartiate en réalité, pour la forcer à rejoindre la Ligue de Délos. La cité n’accepta pas les propositions de Nicias et repoussa l’attaque athénienne105. Ensuite, en 424‑423 av. J.‑C., la flotte se rendit à Cythère ; la cité fut conquise et dotée d’une garnison, devenant ainsi une base pour des attaques contre les cités péloponnésiennes106. Après avoir quitté l’île, Nicias se dirigea vers Thyréa, cité de la côte laconienne où vivaient les habitants d’Égine, chassés de leur polis par les Athéniens. La garnison spartiate ne fut pas capable de garder la cité, et les habitants furent capturés107.

27À la suite de ces événements et de l’action de Brasidas visant à détacher d’importants territoires d’Athènes, les deux parties conclurent un armistice d’un an au printemps 423 av. J.‑C. Les Spartiates espéraient ainsi récupérer les hommes qui avaient été capturés à Sphactérie et arriver à la conclusion d’un traité de long terme avec les Athéniens108. Cet accord ne prévoyait pas la remise par Sparte de tous les navires de la flotte, une partie des vaisseaux restant active ; mais leur nombre n’était pas suffisant pour conduire des opérations contre Athènes. De plus, le texte de Thucydide spécifie que les Spartiates et leurs alliés pouvaient utiliser la mer à leur guise pendant la durée du traité, mais qu’ils ne pouvaient pas se servir des vaisseaux longs, terme qui désignait les navires militaires109. Sparte n’était cependant pas sur le point de se rendre sans conditions et espérait obtenir un accord plus favorable : une ambassade fut ainsi envoyée en Perse et le chef spartiate Brasidas continua son expédition en Thrace pour affaiblir ultérieurement Athènes110.

28Les événements en Thrace conduisirent à la rupture de l’accord. La cité de Skionè passa du côté spartiate en étant défectionnaire d’Athènes, comme l’avaient déjà fait Acanthe et Toronè. Brasidas organisa une campagne pour prendre la cité et fit construire des navires pour l’attaquer111. Une fois le site occupé, il organisa une autre campagne pour annexer Mendè et Potidée, mais, au moment même de l’attaque, il fut rejoint par les hérauts venus l’informer de l’armistice conclu avec les Athéniens, en vertu duquel il aurait dû suspendre les opérations. Une querelle naquit alors au sujet de Skionè. Les Athéniens disaient qu’elle était protégée par la trêve et Brasidas, conscient de l’importance du site, rétorquait que la défection de la cité avait eu lieu avant la conclusion de l’armistice et que son cas n’était donc pas inclus dans le traité112. Les Athéniens, bien disposés à prendre les armes pour venger l’affront de Brasidas, organisèrent une campagne en Thrace à la nouvelle de la défection de Mendè et de l’accueil favorable adressé aux gens de cette cité de la part des Spartiates113. L’événement le plus important de cette expédition fut la conquête d’Amphipolis par Brasidas, lieu stratégique donnant accès à des ressources en or et en bois pour la flotte à l’embouchure du Strymon114. La perte du site fut un événement très négatif pour Athènes et, ajoutée à la défaite infligée par les Béotiens à Délion, permit à la Ligue du Péloponnèse de changer en partie le cours de la guerre.

29Ces événements furent suivis des négociations et de la conclusion de la paix, appelée Paix de Nicias, en 421‑420 av. J.‑C., dont la durée était fixée à cinquante ans115. Ce traité sanctionnait l’affaiblissement des alliés de la Ligue du Péloponnèse tournés vers l’Occident (Corinthe avait perdu une grande partie de sa flotte pendant la guerre et le contrôle de Sollion et Anactorion, et Mégare était privée du port de Nisée) et le rôle d’Athènes comme puissance navale hégémonique116. La paix fut en outre suivie d’une alliance de type défensif entre Sparte et Athènes117. Mais la conclusion de la paix n’entraîna pas le silence des armes. Argos s’allia avec Mantinée, Corinthe et Élis pour agrandir son pouvoir dans le Péloponnèse au détriment de Sparte, et s’unit aussi avec Athènes118 ; elle se tourna ensuite contre Épidaure en profitant de l’aide des Athéniens qui contrôlaient la mer depuis Égine119. Sparte envoya deux expéditions terrestres, mais les armées rentrèrent en Laconie à cause des mauvais augures de sacrifices. Enfin, une garnison de 300 hommes fut déplacée par mer à Épidaure en trompant la surveillance athénienne120.

30La détérioration des rapports entre Sparte et Élis fut très importante pour la politique navale de la Ligue du Péloponnèse, surtout en relation avec les opérations menées en Occident. Les Éléens montrèrent leur hostilité envers le chef de la Ligue dès la Paix de Nicias qu’ils refusèrent. Leur mécontentement était lié à la question de Lepréon. Ce dernier était une cité de la Triphylie aux confins de la Messénie ; elle était indépendante, mais elle passa sous l’influence d’Élis avant la guerre, quand les Éléens furent appelés à l’aide contre les Arcadiens. En échange de cette aide, les habitants de Lepréon donnèrent la moitié de leur territoire à Élis, territoire qu’ils pouvaient continuer à utiliser en payant un tribut annuel121. Le site n’avait pas joué de rôle important dans la politique spartiate et Sparte n’avait pas interféré dans l’expansion de l’influence éléenne. Mais Lepréon devint fondamental après la perte de Pylos. La cité se trouvait à 7,5 km de la mer, près d’un fleuve navigable dans sa première partie, et contrôlait la plaine côtière et la route navale qui arrivait de Pylos122. En outre, Sparte devait le surveiller pour qu’il ne devienne pas une place‑forte pour la résistance contre son hégémonie, comme Pylos l’était devenue après que les Athéniens y eurent installé des Messéniens123. Pour ces raisons, Sparte affirma l’autonomie de la cité et y envoya une garnison, quand elle fut choisie comme arbitre dans la dispute avec Élis124. En représailles, les Éléens bannirent les Spartiates des concours d’Olympie de 421‑420 av. J.‑C., sous prétexte que ces derniers n’avaient pas respecté la trêve sacrée125, et participèrent à la campagne menée par les Athéniens contre Épidaure. Mais la plus importante conséquence de cette situation, qui ne s’améliora pas après la bataille de Mantinée parce qu’Élis conservait sa neutralité, fut la perte de la possibilité pour Sparte d’utiliser le port de Cyllène, qui était la base navale occidentale la plus importante pendant la guerre archidamique.

31Les événements suivants, comme la bataille de Mantinée de 418 av. J.‑C., ne se passèrent pas sur la mer126. Le fait le plus important pour la politique navale de Sparte avant l’expédition de Sicile fut la prise de Mélos par les Athéniens127. Comme nous l’avons dit plus haut, Nicias avait déjà cherché à occuper l’île sans y parvenir, parce qu’elle ne voulait pas rejoindre l’alliance avec Athènes128 ; une deuxième tentative fut menée en 416 av. J.‑C. Mélos était d’origine dorienne et, bien qu’elle ne prît pas part à la guerre, il était évident qu’elle était rattachée à Sparte, comme sa contribution au fonds de guerre le montre clairement129. Mélos, ralliée donc à la Ligue du Péloponnèse sans y participer, se trouvait dans une position stratégique sur la route la plus directe de Sparte à l’Égée. Les Athéniens voulaient donc priver leur ennemi d’une base stratégique pour la guerre à l’est de l’Égée. Pour Thucydide, cette deuxième expédition avait le même but que la première, à savoir forcer les Méliens à entrer dans la Ligue de Délos130. Cette fois-ci, les Athéniens ne se contentèrent pas de piller le territoire et assiégèrent la cité131. Après sa destruction, les Athéniens envoyèrent 500 colons pour vivre sur son territoire.

32Par la suite, la Ligue du Péloponnèse ne fut plus engagée sur la mer jusqu’à l’expédition athénienne de Sicile132. L’aide de Sparte et de Corinthe, métropole de Syracuse, fut demandée à l’hiver 415‑414 av. J.‑C.133 ; les Spartiates envoyèrent Gylippe avec 700 hommes pour coordonner la résistance de Syracuse en accord avec les Syracusains et les Corinthiens134. À l’expédition qui comprenait d’abord deux navires spartiates et deux navires corinthiens, dans l’attente de l’arrivée de dix autres navires de Corinthe, de deux de Leucade et de trois d’Ambracie, participèrent des hoplites qui servirent comme rameurs pendant le voyage vers la Sicile135. Gylippe passa par Thourioi, Tarente et Locres avant d’arriver à Syracuse136. Ici, il eut deux objectifs : convaincre les autres cités grecques de l’île et les cités sikéliotes d’aider les Syracusains, et persuader ces derniers de construire une grande flotte pour s’opposer aux Athéniens sur mer137. Il utilisa aussi ses hommes pour aider aux travaux de construction des fortifications de la cité. Au même moment, les Spartiates profitèrent du départ du gros de la flotte athénienne pour occuper Décélie pendant le printemps 413 av. J.‑C., et forcer Athènes à combattre sur deux fronts138. La même année, les membres de la Ligue du Péloponnèse firent un grand effort pour envoyer d’autres renforts en Sicile, comme Gylippe l’avait demandé dès son arrivée à Syracuse : 600 hoplites (Hilotes et Néodamodes) et 300 Béotiens partirent du Ténare, et les contingents de Corinthe et Sicyone prirent la mer depuis le golfe de Corinthe139. Les opérations à Syracuse passèrent enfin sur mer, où les Athéniens furent contraints de combattre dans un espace très limité140.

33Le récit de Thucydide sur l’expédition en Sicile souligne la volonté de la Ligue du Péloponnèse d’aider Syracuse. Ce choix semble avoir été pris rapidement, ce qui s’explique, d’une part, par les intérêts de Corinthe qui était jusqu’à ce moment la puissance la plus importante de la mer Ionienne, de Mégare qui était tournée vers l’Occident, et des cités achéennes qui étaient les métropoles de différentes poleis occidentales. D’autre part, les Spartiates étaient conscients des dangers qu’une expédition victorieuse d’Athènes en Sicile aurait provoqués pour la guerre en Grèce ; les Péloponnésiens auraient perdu la possibilité de recevoir l’aide de la Sicile, et de Syracuse en particulier, et Athènes aurait pu utiliser les ressources en bois et en hommes de la région, en suppléant ainsi la perte d’Amphipolis141.

34La victoire en Sicile rehaussa le moral à Sparte et fit naître l’espoir que la victoire sur Athènes était proche142. Cet espoir était renforcé par la situation désastreuse dans laquelle Athènes était plongée, se retrouvant sans navires et sans hommes143 ; mais, pour faire face à la guerre qui, de fait, allait encore durer une dizaine d’années, Athènes décida de faire des économies pour reconstituer sa flotte144. Avec la guerre en Occident perdue, la Sicile ouvertement hostile, et Hermocrate de Syracuse envoyé avec une force de trente‑cinq trières pour aider les Spartiates dans la guerre contre Athènes en Grèce145, il était évident que les opérations se déplaceraient en Attique et en Égée. Mais pour ce faire, la Ligue du Péloponnèse avait besoin d’une flotte importante. La guerre archidamique avait montré que la stratégie consistant à envahir l’Attique avec une armée n’était pas adaptée et, que malgré la pression exercée par la garnison de Décélie, Athènes ne pouvait pas être assiégée seulement par terre ; pour la faire capituler, il fallait la bloquer par terre et par mer. Une importante force navale était aussi nécessaire pour détacher les cités égéennes de l’alliance avec Athènes. Les préparatifs pour la nouvelle campagne commencèrent en hiver 413‑412 av. J.‑C. : des aides devaient arriver de la Sicile, mais la flotte ne pouvait pas être entièrement réunie en Occident. Pour cette raison, Agis s’occupa d’obtenir de l’argent pour la construction d’une flotte près des alliés de la Grèce septentrionale146. La Ligue du Péloponnèse put ainsi armer une flotte de cent trières : vingt‑cinq de Sparte147, vingt‑cinq de la Béotie, quinze de Corinthe, dix d’Arcadie, Pellène et Sicyone, quinze de Phocide et de Locride, et dix de Trézène, Mégare, Hermionè et Épidaure148.

35Après la victoire en Sicile, certains alliés d’Athènes cherchèrent à se rapprocher de Sparte pour quitter la Ligue de Délos. Les Eubéens furent les premiers à envoyer à Décélie une délégation au roi Agis ; il accepta de les aider, mais il changea d’avis à l’arrivée d’une délégation de Lesbos soutenue par les Béotiens, et il promit d’envoyer dix navires de Sparte avec les dix des Béotiens149. D’autres demandes d’aide arrivèrent de la part de Chios et des cités de l’Hellespont, avec des ambassadeurs des satrapes Tissapherne et Pharnabaze150. Le choix de Sparte, partagé par Agis, l’éphore Endios et Alcibiade, fut d’aider Chios et de conclure une alliance avec la Perse ; le navarque Mélanchridas devait être immédiatement envoyé avec dix navires spartiates, qui auraient dû être ensuite augmentés de trente autres151. Mais ce plan fut bouleversé par un tremblement de terre, à la suite duquel Sparte envoya seulement cinq navires sous le commandement de l’archôn Chalcideus qui était aussi accompagné d’Alcibiade152. En même temps, les Spartiates envoyèrent le Périèque Phrynis à Chios, pour comprendre quelle était la situation de l’île et quelle était l’ampleur de sa force navale153. En sus de sa flotte, Chios pouvait jouer un rôle important comme base à partir de laquelle on pouvait attaquer Lesbos et l’Hellespont154. À la suite de cette décision des Spartiates, la question fut débattue dans le conseil des alliés, qui votèrent non seulement d’envoyer les navires à Chios, mais aussi de faire le tour des cités qui avaient demandé leur aide155. En juillet 413‑412 av. J.‑C., les navires péloponnésiens partirent aux ordres d’Alcamène, désigné pour le commandement de Lesbos ; mais leur route fut coupée par les Athéniens et, en refusant le combat, ils rentrèrent dans le golfe de Corinthe, où les Athéniens les bloquèrent dans le petit port de Speiraion156. Le commandant fut tué dans un combat terrestre et les aides n’arrivèrent que le jour suivant. Vers la fin de l’été, les navires purent fuir et atteindre le reste de la flotte qui était en train de s’organiser avant de partir pour l’Ionie. Selon Thucydide, ce premier échec subi sur mer découragea les Spartiates à tel point qu’ils songèrent à abandonner la guerre navale. Ils changèrent d’avis seulement grâce aux exhortations d’Alcibiade, désireux de retrouver son prestige et soutenu par l’éphore Endios157.

36Une fois en Ionie, Chalcideus, accompagné d’Alcibiade, prit contact avec les pro‑spartiates de Chios qui promirent d’abandonner l’alliance avec Athènes et de favoriser la rébellion des autres membres de la Ligue de Délos ; de cette façon, les Péloponnésiens prirent les cités d’Érythrées et de Clazomènes158. La flotte de vingt‑trois navires se déplaça ensuite vers le continent avec le soutien de l’armée de terre159. La stratégie mise en place semble assez claire : il fallait agir rapidement pour obtenir des résultats avant qu’Athènes ne pût réagir avec une force puissante devant laquelle la flotte de Chalcideus aurait eu le dessous. De plus, il était nécessaire de trouver une bonne base pour les opérations en Égée, telle que celles d’Éphèse ou de Milet qui étaient bien reliées à l’intérieur du continent160. Les navires de Chalcideus furent rejoints à la hauteur de Téos par une escadre athénienne qui fut poursuivie. À Téos, arriva aussi un émissaire de Tissapherne avec une petite force navale. Ensuite, Chalcideus rentra à Chios pour se diriger vers Milet, où Alcibiade l’avait appelé en vertu des liens qu’il avait avec les habitants de cette cité161. Ici, il rencontra Tissapherne et un premier accord fut conclu ; les termes de cet accord ne sont pas connus, et il semble plus probable qu’il s’agissait d’un contact préliminaire sans clauses précises162. Les Athéniens réussirent à bloquer la flotte de Chalcideus à Milet, et le commandant fut ensuite tué durant le combat au début de l’hiver163. Pendant ce temps, les habitants de Chios armèrent treize trières et se dirigèrent vers Lesbos pour favoriser la défection de l’île164. Le Périèque Deiniadas fut chargé du commandement de cette mission165.

37En 412‑411 av. J.‑C., vers le début de l’hiver, Astyochos fut nommé navarque et envoyé en Ionie pour prendre le commandement des opérations166. Après l’arrivée d’Astyochos à Chios, les Athéniens attaquèrent Mytilène et prirent la cité avant qu’Astyochos ne pût les contrer167. Même si ses navires étaient en nombre fortement inférieur à ceux d’Athènes, il passa sur l’île et se déplaça ensuite à Érésos où il apprit la nouvelle de la prise de Mytilène. Le navarque, ayant au moins obtenu la défection d’Érésos, ordonna à une partie des navires commandés par Étéonicos de naviguer le long de la côte lesbienne vers Méthymna pour rassurer la population de son intention de l’aider. Mais voyant que la situation à Lesbos était défavorable pour les Lacédémoniens, il rentra à Chios. Après ces événements, le navarque reçut une flotte supplémentaire de cinquante‑cinq navires commandés par le spartiate Thérimène, qui devait la remettre à Astyochos168. Le succès des Athéniens à Mytilène affecta la position des Spartiates : Astyochos s’était dirigé dans le territoire d’Érythrées pour attaquer des forts, mais il dut rentrer en toute hâte à Chios où la population était soupçonnée de vouloir se détacher de Sparte169.

38Pour assurer les positions des Spartiates, Thérimène fut envoyé à Milet pour prendre en charge les navires qui étaient sous le commandement de Chalcideus et les rendre au navarque170. La cité était alors assiégée par la flotte athénienne, et le commandant décida de se retirer, en pensant probablement que les Péloponnésiens n’arriveraient pas de sitôt et qu’il serait dangereux d’engager la bataille contre une flotte supérieure171. Les Péloponnésiens naviguèrent donc vers Iasos, sur le conseil de Tissapherne : la cité était à l’époque sous le contrôle du satrape Amorgès qui s’était révolté contre le Grand Roi172. Une fois Iasos conquise, la flotte rentra à Milet, tandis que Pédaritos était envoyé à Érythrées. Après les succès obtenus à Milet et à Iasos, le gouvernement de Sparte envoya à Cnide une escadre de douze navires, parmi lesquels se trouvaient aussi ceux du Rhodien Dôrieus, pour élargir l’influence péloponnésienne vers le sud de l’Égée173. De plus, les Lesbiens s’approchèrent d’Astyochos pour tenter une deuxième défection de l’île, mais le navarque ne réussit pas à convaincre Pédaritos de sa nécessité, et l’expédition fut abandonnée174. Après ces événements, le navarque arriva à Milet où il reçut une lettre du stratège athénien Phrynichos qui dénonçait l’action d’Alcibiade, visant à rapprocher Tissapherne d’Athènes175.

39Pendant cette période, Pédaritos, qui était retourné à Chios, avait demandé à plusieurs reprises l’aide d’Astyochos contre les attaques athéniennes qui menaçaient l’île et contre la faction philo‑athénienne qui était en train de devenir plus puissante. Les pro‑spartiates avaient aussi envoyé une ambassade auprès du navarque mais, face à son refus d’intervenir et d’envoyer des forces pour assurer la position spartiate à Chios, Pédaritos envoya un message à Sparte pour l’accuser176. La situation en Ionie étant déterminante pour la guerre, le gouvernement de Sparte décida d’envoyer, en décembre 412 av. J.‑C., onze symboloi pour contrôler les actions du navarque et le remplacer s’ils le jugeaient nécessaire. Ces hommes partirent avec vingt‑sept navires destinés à l’Hellespont, dont le commandant Antisthène devait conduire les trières à Cléarque. Antisthène aurait en outre dû assumer la navarchie si Astyochos avait été destitué177. La critique moderne a souligné le fait que malgré la situation délicate dans laquelle le navarque se retrouvait, il obtint certains résultats178. Les deux bases spartiates étaient séparées par la flotte athénienne mouillée à Samos, que les Spartiates n’étaient pas prêts à attaquer. Astyochos se fit enfin convaincre par Pédaritos et par les habitants de Chios, mais il dut abandonner le projet à l’arrivée des navires destinés à l’Hellespont et des symboloi qu’il fallait escorter de Caunos à Milet. En se dirigeant vers le sud, il réussit à faire fuir l’escadre athénienne qui attendait l’arrivée des navires péloponnésiens provenant de Caunos179. Ce succès ne fut pas exploité, parce que la flotte s’arrêta à Cnide pour la réparation des trières. Cette bataille, qui eut lieu à Symè, était néanmoins très importante parce qu’elle constituait le premier succès naval spartiate de la guerre d’Ionie180.

40Les symboloi avaient aussi la charge de négocier un troisième traité avec Tissapherne. Quand ce dernier partit de Milet sans avoir conclu un accord, les Spartiates laissèrent une partie de leurs forces dans la cité, de façon à maintenir leur base navale, et se dirigèrent vers Rhodes qui aurait constitué une bonne solution alternative à Milet, dans le cas où les rapports avec Tissapherne deviendraient mauvais, ce qui devait être le cas181. La flotte péloponnésienne, forte de quatre‑vingt‑quatorze navires se rendit à Camiros et l’île entière passa du côté des Spartiates182. Peu après, quand les commandants décidèrent d’aider Chios, Pédaritos fut tué au combat et les Athéniens renforcèrent leur contrôle ; Chios restait cependant un site important pour la politique de Sparte en Ionie et, par conséquent, Léon fut envoyé de Rhodes pour remplacer Pédaritos183.

41Après ces événements, Tissapherne engagea à nouveau des pourparlers avec les Spartiates, parce que l’entente avec les Athéniens avait échoué à cause de la volonté de ces derniers de ne pas autoriser le passage de la flotte phénicienne en Égée184. Le satrape conclut donc un troisième accord avec les Spartiates. Avant la fin de l’hiver, les habitants d’Érétrie demandèrent le soutien de Sparte en prévision de leur défection vis‑à‑vis d’Athènes, mais tous les efforts étaient concentrés à l’est de l’Égée et les Spartiates préférèrent envoyer des renforts dans l’Hellespont185. Au printemps 411 av. J.‑C., Dercylidas se dirigea par voie de terre à Abydos pour prendre le poste d’archonte, favoriser sa défection et collaborer avec Pharnabaze afin de sécuriser la position des Péloponnésiens contre les Athéniens. Outre Abydos, leur intérêt se portait aussi sur Lampsaque, qui fut capturée mais ensuite récupérée par les Athéniens, et sur Byzance un peu plus tard dans l’année. Malgré ce premier échec, cette nouvelle politique souligne la volonté de Sparte de bloquer l’accès de l’Hellespont aux Athéniens afin de supprimer leur source d’approvisionnement. Cette stratégie sera utilisée avec succès jusqu’à la fin de la guerre.

42Pendant ce temps, la situation sembla s’améliorer à Chios, où Léon put élargir l’influence spartiate ; de son côté, Astyochos, que les symboloi n’avaient pas destitué, conduisit la flotte contre la base athénienne de Samos, mais les Athéniens ne sortirent pas du port pour engager la bataille186. Le navarque décida donc de ne pas mener une attaque contre la base athénienne et fut accusé d’avoir une attitude non interventionniste par les équipages187. Malgré le point de vue des équipages, la suite montre que la flotte péloponnésienne n’était pas prête à défier une force athénienne importante. Après en avoir discuté avec les alliés, Astyochos décida d’engager la bataille contre la flotte athénienne qui se trouvait près du cap Mycale, mais celle‑ci rentra à Samos sans combattre, parce qu’elle était numériquement inférieure. Mais ensuite, ayant reçu des renforts, les Athéniens cherchèrent le combat et les Péloponnésiens se retirèrent188.

43Pendant l’été, Cléarque fut envoyé à Byzance avec quarante navires pour emporter la défection de cette cité avec laquelle il avait déjà été en contact189. Le commandant prit la voie terrestre, tandis que la majorité des navires était dispersée à cause d’une tempête. Pendant ce temps, le mandat du navarque était arrivé à son terme et il fut remplacé par Mindaros190. Une fois libéré de sa charge, Astyochos rentra à Sparte avec un représentant de Tissapherne pour disculper le satrape des accusations d’avoir entretenu des liens avec Alcibiade et les Athéniens. Ces accusations étaient portées contre lui par une délégation de Milet accompagnée d’Hermocrate de Syracuse. Astyochos fut donc le premier navarque à agir dans la durée en Ionie et à se confronter avec cette réalité qui était relativement nouvelle pour les Spartiates. Thucydide porte un jugement assez négatif sur lui, et son point de vue a été suivi par une partie de la critique moderne191. Récemment, les études ont montré, à côté des difficultés rencontrées et des erreurs commises, les aspects positifs de la navarchie d’Astyochos192. Dès son arrivée en Ionie, il s’était montré déterminé pour les campagnes de Chios et Érythrées ; ensuite, les symboloi n’avaient probablement pas trouvé de raison valable pour sa destitution, l’accusation d’avoir reçu de l’argent de la part de Tissapherne étant sans preuve.

44Le navarque Mindaros se trouvait avec ses forces à Milet, dans l’attente de l’arrivée de la flotte phénicienne prévue dans les accords stipulés avec Tissapherne. Mais les Spartiates Philippe et Hippocrate, qui se trouvaient à Aspendos et à Phasélis respectivement, l’avertirent que la flotte n’arriverait jamais et que Tissapherne avait trahi leur confiance193. La flotte était effectivement opérationnelle, mais se déplaçait vers l’est194. Après avoir appris cette nouvelle, Mindaros organisa sa flotte pour se diriger vers l’Hellespont et se tourner vers Pharnabaze. Le voyage des soixante‑treize navires fut interrompu par une tempête qui força les hommes à se réfugier à Chios où les Athéniens cherchèrent à les attaquer. Mais le navarque évita la bataille en quittant l’île et en continuant la traversée pendant la nuit ; l’arrivée inattendue des navires péloponnésiens fit fuir les Athéniens de Sestos ; ils furent poursuivis et quatre de leurs trières furent capturées195. La flotte provenant de Milet se regroupa avec les seize navires qui avaient déjà été déplacés dans l’Hellespont et qui étaient sous le commandement de Dercylidas. Mindaros s’arrêta avec ses forces à Abydos après avoir essayé d’assiéger Éléonte. La flotte athénienne, avertie de la fuite des navires devant Sestos et de l’arrivée en masse des Péloponnésiens dans le nord, se prépara à livrer bataille. Le combat eut lieu près de Cynossèma ; les Péloponnésiens, qui étaient en supériorité numérique (quatre‑vingt‑six navires contre soixante‑seize), eurent d’abord le dessus, mais ensuite, à cause de la perte de l’ordre de bataille initial et d’une certaine confusion, et aussi d’un meilleur entraînement des équipages athéniens, ils perdirent la bataille196. Ce combat marqua le début d’une nouvelle phase dans la guerre, où les batailles navales jouaient désormais un rôle prépondérant. Il fut surtout important pour Athènes parce que, comme les sources le soulignent, ce succès donna une nouvelle vigueur aux Athéniens qui craignaient la flotte péloponnésienne pour les actions qu’elle avait accomplies en Égée et surtout pour la défaite en Sicile.

45Le résultat de cette bataille, avec la perte de vingt‑et‑un navires contre les quinze pris aux Athéniens, força Mindaros à rappeler dans l’Hellespont les navires qui opéraient dans les environs de l’Eubée197. Le gouvernement de Sparte y avait envoyé quarante‑deux navires sous le commandement d’Agésandridas, probablement quand Astyochos était encore en fonction, en profitant du coup d’État oligarchique de 411 av. J.‑C. à Athènes198. Les deux flottes engagèrent une bataille entre Oropos et Érétrie qui était secrètement passée du côté spartiate ; les Péloponnésiens réussirent à mettre en fuite les ennemis, qui se réfugièrent à Érétrie qu’ils considéraient comme un allié, mais ils y furent tués en grand nombre199. Cette bataille eut une conséquence importante pour Athènes, c’est‑à‑dire la destitution du régime des Quatre-Cents et l’instauration de celui des Cinq-Mille200. Thucydide souligne que les Spartiates auraient pu obtenir un résultat encore plus déterminant, outre le grand succès d’avoir détaché l’Eubée, sauf Histiée, de l’alliance avec Athènes, si seulement ils avaient su profiter de leur avantage en attaquant directement le Pirée201. L’instauration de l’oligarchie à Athènes eut aussi d’autres conséquences positives pour les Spartiates. La Ligue de Délos était formée d’alliés dont le gouvernement était démocratique, mais, quand les conjurés instaurèrent l’oligarchie, ce type de gouvernement fut imposé à un certain nombre de cités alliées, comme Thasos. Le régime oligarchique faisait partie des aspirations de la faction adverse aux démocrates philo‑athéniens et les oligarques saisirent donc l’opportunité pour quitter Athènes et passer du côté des Spartiates202.

46Les navires qui se trouvaient en Eubée furent donc appelés dans l’Hellespont pour renforcer la flotte après la défaite de la bataille de Cynossèma203. Ils partirent au nombre de cinquante, mais ils n’arrivèrent jamais auprès du navarque parce qu’ils furent surpris par une tempête à la hauteur de la péninsule de l’Athos, qui les détruisit tous et tua la majorité des hommes204. Au début de l’hiver 411‑410 av. J.‑C., et donc peu avant la fin de sa magistrature, Mindaros s’était dirigé vers Ilion selon Xénophon (mais selon Diodore il se trouvait encore à Abydos), où il fut rejoint par Dôrieus venant de Rhodes. Il put alors assister à l’attaque menée par les stratèges et intervint tout de suite : le combat tourna dès le début en faveur des Péloponnésiens, mais l’arrivée d’Alcibiade avec dix‑huit trières causa la dispersion de la flotte spartiate et la capture d’une partie des navires205. Malgré cela, les Péloponnésiens possédaient encore une flotte de dimension significative et, de plus, Mindaros demanda à Sparte et aux alliés d’autres navires. Le navarque passa donc l’hiver à réorganiser et développer sa flotte pour détacher d’Athènes les alliés qu’elle avait encore en Asie Mineure et dans les îles et, au printemps 410 av. J.‑C., lui et Pharnabaze se dirigèrent contre Cyzique, qui fut capturée206. Les Athéniens accoururent alors en masse : Alcibiade organisa un piège pour éloigner les navires péloponnésiens du port près duquel les équipages étaient en train de s’entraîner. Les Athéniens, avançant avec une petite escadre, simulèrent une fuite pour se faire suivre vers la haute mer et le reste de la flotte coupa la possibilité de rentrer dans le port aux Péloponnésiens. À cette occasion, Mindaros fit preuve de sa capacité militaire en divisant sa force en deux parties pour contre‑attaquer sur les deux côtés en même temps. Il réussit à résister un peu de temps, mais les Péloponnésiens se réfugièrent ensuite à terre où Pharnabaze se trouvait avec l’armée et la bataille navale devint ainsi un combat terrestre ; Mindaros continua à combattre à la tête de ses hommes jusqu’à sa mort207. Les Péloponnésiens furent battus et Cyzique passa à nouveau du côté des Athéniens. La situation était particulièrement compromise pour la flotte péloponnésienne, comme le montre le message envoyé à Sparte par Hippocrate, epistoleus de Mindaros, mais intercepté par les Athéniens : « Les navires sont perdus. Mindaros est mort. Les hommes ont faim. Nous ne savons pas ce qu’il faut faire »208. Dans l’attente de l’arrivée du nouveau navarque, Pharnabaze fournit la solde de deux mois aux équipages et utilisa les soldats pour construire un nombre de navires égal à celui qui avait été perdu dans la bataille209.

47La situation de Sparte était fortement compromise dans l’Hellespont, même si Cléarque continuait à tenir Byzance et si Éphèse résista à une attaque athénienne, et les sources ne mentionnent pas de grandes actions navales pour l’année suivante210. D’autres régions étaient notamment troublées : une attaque menée par Agis contre Athènes n’avait pas donné de résultats, Chios était secouée par la faction philo‑athénienne et les colons d’Héraclée Trachinienne avaient été vaincus211. Mais les Spartiates réussirent à obtenir quelques succès, comme la reconquête de Pylos et le contrôle que Mégare exerçait à nouveau sur le port de Nisée grâce à l’aide de Sparte212. Le manque d’actions de grande envergure en Égée a porté les auteurs anciens à concentrer leur attention sur d’autres théâtres de guerre et à ne pas mentionner le nom du navarque envoyé à la place de Mindaros. E. Bianco a néanmoins suggéré un nom pour le navarque de 410‑409 av. J.‑C. en se fondant sur le texte de Xénophon213. Le texte mentionne le Spartiate Pasippidas qui fut exilé à cause de ses relations avec Tissapherne et remplacé par Cratésippidas au commandement du nautikon214. Diodore cite Cratésippidas avec le titre de navarque215 ; il est donc probable que Cratésippidas fût en service comme navarque en 409‑408 av. J.‑C. et qu’il ait pris la place de Pasippidas, son prédécesseur, même si aucune source ne le mentionne explicitement avec ce titre. Le navarque n’est pas le seul à opérer en Égée, des escadres étant commandées par des archontes, tels qu’Hippocrate (harmoste de Chalcédoine), Agésandridas (actif en Thrace) et Cléarque (harmoste de Byzance). Cratésippidas ne joua pas de rôle important et Diodore souligne qu’il temporisa, sans engager aucune action, sauf la prise de l’acropole de Chios à la suite de la demande de certains exilés216. Devant la difficulté de la situation, les Spartiates décidèrent de construire des navires supplémentaires dans l’arsenal de Gytheion et de choisir pour la navarchie une personnalité réputée217.

48Le choix se porta sur Lysandre qui arriva en Ionie au début de l’automne 408‑407 av. J.‑C.218. Les sources ne fournissent presque aucune information concernant sa vie et ses actions avant la navarchie, mais la décision de le nommer pour cette charge fut due à l’habileté dont il avait fait montre en tant que chef et qui semblait le rendre apte à conduire victorieusement la guerre contre Athènes219. Dès son arrivée, il fit un tour pour rassembler les navires qui se trouvaient à Rhodes, Cos, Milet et Éphèse. C’est cette dernière qui fut choisie comme base pour la flotte péloponnésienne. La cité était dotée d’un grand port et reliée à l’intérieur par de bonnes voies de communication220 ; de plus, les habitants étaient bien disposés à l’égard des Péloponnésiens et Lysandre réussit aussi à instaurer des liens particuliers pendant son commandement221. Lysandre passa l’automne et l’hiver à réorganiser et réparer la flotte qui comprenait quatre‑vingt‑dix navires, à améliorer la situation économique d’Éphèse et à se consacrer à une activité diplomatique222. Il se mit en effet en relation avec Cyrus envoyé comme karanos en Asie Mineure ; cette relation fut très bénéfique pour Lysandre qui obtint la garantie de l’engagement de Cyrus et l’augmentation de la solde des équipages, portée de trois à quatre oboles par homme et par jour223. Lysandre put en outre profiter de son influence sur Cyrus et de leur amitié pour accuser Tissapherne et son rapprochement avec Alcibiade et les Athéniens224.

49Les sources ne mentionnent aucun événement jusqu’à la bataille de Notion qui eut lieu probablement au printemps 407 av. J.‑C., et pour laquelle les auteurs anciens donnent des récits divergents. Selon Xénophon, la flotte athénienne était officiellement sous le commandement d’Alcibiade, mais ce dernier s’était absenté en laissant les navires à Antiochos, avec l’ordre de ne pas livrer bataille jusqu’à son retour. Mais Antiochos, passant outre cet ordre, attaqua la flotte péloponnésienne, et perdit quinze navires dans le combat225. Les Helléniques d’Oxyrhynchos et Diodore décrivent l’événement de façon similaire, relatant qu’Antiochos était sorti de Notion avec une escadre de dix trières pour provoquer Lysandre devant le port d’Éphèse ; les Péloponnésiens remportèrent la victoire et se concentrèrent sur le reste de la flotte athénienne venue en aide à Antiochos. Le résultat fut la perte de quinze navires athéniens226. Après ce succès, Lysandre choisit de rentrer dans le port sans combattre contre les navires d’Alcibiade qui étaient arrivés.

50La victoire des Péloponnésiens contre l’escadre d’Antiochos n’a pas d’importance fondamentale à proprement parler, l’équilibre des forces en Égée n’ayant pas été altéré, mais les conséquences du combat furent très significatives227. Les Athéniens, qui venaient de réintégrer Alcibiade dans la polis en lui conférant la charge de stratège, lui imputèrent la défaite et il fut obligé de quitter la flotte, dont le commandement fut confié à Conon228. Malgré la stabilité de la situation, la navarchie de Lysandre fut appréciée par ses contemporains ; il sut créer des rapports solides avec Cyrus pour garantir le paiement des équipages, il s’occupa de l’organisation et de l’entretien de la flotte, et choisit une bonne base navale. La réorganisation de la flotte et la victoire de Notion donnèrent aux Péloponnésiens un nouvel élan pour la guerre sur mer.

51Une fois la charge accomplie, Lysandre fut remplacé par Callicratidas229. Le choix de ce dernier par le gouvernement s’explique par la suspicion et la peur que les actions de Lysandre inspiraient à Sparte, qui voulait changer de politique en envoyant en Ionie un homme qui était à l’opposé du navarque en fin de charge230. La première action de Callicratidas fut l’accroissement du nombre de navires, par l’ajout à sa flotte des trières de Chios, Rhodes et d’autres alliés. Il se rendit aussi à Sardes pour dialoguer avec Cyrus, mais le résultat de sa visite fut bien différent de celui obtenu par Lysandre : refusant de faire le pied de grue devant la porte, Callicratidas partit sans argent. Mais faute de l’aide perse, il devait trouver le financement nécessaire à la solde des équipages ailleurs. Il se tourna donc vers les Milésiens qui fournirent une partie de l’argent, et envoya un message à Sparte pour obtenir des ressources231. Il décida ensuite de se diriger vers Lesbos et occupa la forteresse du Delphinion à Chios et Téos qui permettaient de contrôler la route vers Lesbos232. Il voulait provoquer la défection de Méthymna, gouvernée par les philo‑athéniens et défendue par une garnison. Callicratidas assiégea la cité et la prit233. Le navarque profita de cette victoire pour obtenir de l’argent pour ses hommes : la cité fut pillée et les hommes de la garnison athénienne furent vendus comme esclaves. Conon était parti avec une partie de la flotte de Samos pour venir en aide à Méthymna, mais il arriva trop tard. Le navarque décida de le poursuivre et de lui barrer la route pour Samos, mais les Athéniens réussirent malgré tout à atteindre le port de Mytilène où ils furent suivis par les Péloponnésiens qui prirent trente navires et bloquèrent dans le port les trières de Conon, tandis que les forces terrestres assiégeaient la cité234. Le stratège envoya deux navires pour demander de l’aide, dont l’un fut capturé et l’autre arriva à Athènes. Diomédon arriva avec douze trières près de Méthymna, mais Callicratidas l’attaqua en s’emparant de dix navires235.

52Après ces événements, les Athéniens décidèrent d’envoyer une flotte de 110 navires à laquelle on ajouta dix trières de Samos et trente fournies par les alliés. Le navarque laissa alors cinquante navires sous le commandement d’Étéonicos pour assiéger Conon et partit avec le reste de la flotte à la rencontre des ennemis près des îles Arginuses236. Il chercha à les attaquer par surprise en se déplaçant pendant la nuit, mais il en fut empêché par un orage. Une fois le jour venu, les deux flottes engagèrent une longue bataille. L’aile gauche de la flotte péloponnésienne fut défaite et s’enfuit vers Chios et Phocée, selon Xénophon, ou vers Chios et Kymè, selon Diodore, tandis que Callicratidas était tué. Le bilan de la défaite subie par les Péloponnésiens fut terriblement lourd : ils perdirent neuf des dix navires spartiates, et plus de soixante des alliés, alors qu’ils prirent seulement vingt‑cinq trières aux Athéniens237.

53La défaite fut immédiatement annoncée à Étéonicos qui organisa une ruse pour ne pas dévoiler le résultat de la bataille. Il ordonna d’annoncer que la flotte avait remporté la victoire et, une fois la nuit venue, il abandonna le camp, le fit incendier et conduisit l’armée à Méthymna tandis que ce qui restait de la flotte s’assembla à Chios238. La défaite complète à la bataille des Arginuses marqua la fin de la nouvelle ligne politique instaurée par Callicratidas et le retour à celle conduite par Lysandre. En réalité, le bilan du navarque qui provient des sources ne lui est pas défavorable. Il ne fut pas cruel avec les ennemis, en refusant par exemple de vendre les habitants de Méthymna comme esclaves; il organisa une stratégie cohérente lors de la campagne contre Lesbos en s’assurant le contrôle du Delphinion et de Téos avant de mener l’attaque contre Méthymna ; et, pour éviter la panique qui suit généralement la mort du général en chef, il désigna Cléarque comme son successeur s’il était tué aux Arginuses239. Cette bataille eut aussi des conséquences néfastes pour Athènes. Les Athéniens ne pardonnèrent pas aux stratèges qui abandonnèrent les morts à cause d’une tempête qui les avait empêchés de les recueillir. Ils furent donc destitués et le peuple fit condamner à mort ceux qui étaient rentrés à Athènes. La cité se priva donc des hommes qui avaient infligé aux Spartiates la plus grande des défaites navales240.

54Callicratidas avait donc désigné Cléarque comme celui qui devrait commander la flotte pendant la bataille si lui‑même était tué. Mais les sources indiquent qu’après le combat le commandement de la flotte fut exercé par Étéonicos et non par Cléarque, son rôle étant limité par la nécessité de ne pas laisser les navires sans chef aux Arginuses241. La flotte passa l’été à Chios, apparemment sans accomplir aucune action. Avec le retour de l’hiver, les hommes commencèrent à manquer de ravitaillement et certains décidèrent d’organiser un assaut contre la cité. Le commandant en fut informé et demanda aux habitants de Chios de fournir l’argent nécessaire s’ils voulaient éviter l’attaque de leur polis. Cette idée fut acceptée et l’attaque ainsi conjurée, mais, face à la situation difficile de la flotte et des alliés de Sparte, ces derniers envoyèrent une ambassade en Laconie pour demander le retour de Lysandre comme chef des forces navales242. Le gouvernement spartiate accepta cette proposition, peut‑être aussi à cause du refus des Athéniens de conclure une paix sur la base du statu quo243. Quoi qu’il en fût, les Spartiates acceptèrent la demande des alliés, bien que la loi ne permît pas le renouvellement de la navarchie une seconde fois244. Pour contourner cette loi, ils envoyèrent Aracos comme navarque et Lysandre comme son epistoleus, mais en réalité, tous les pouvoirs du commandant de la flotte étaient confiés à Lysandre245.

55Dès son arrivée en Asie, Lysandre s’occupa de la réorganisation de la flotte, comme il l’avait déjà fait lors de sa navarchie. Toutes les trières, y compris celles qui se trouvaient à Chios avec Étéonicos, furent rassemblées à Éphèse, tandis que d’autres étaient construites à Antandros. Il pensa aussi à trouver les financements pour les équipages, afin d’éviter le risque d’une révolte comme celle qu’Étéonicos avait dû empêcher à Chios. Il alla donc rencontrer Cyrus pour obtenir de l’argent, ce qui lui fut accordé246. Après ces préparatifs, il inaugura une politique agressive à l’égard des alliés d’Athènes : il laissa se perpétrer le massacre des démocrates de Milet247, attaqua la cité de Kedreiai en Carie et en réduisit les habitants en esclavage, il fit peut‑être ensuite route contre Iasos et contre Rhodes avant de se diriger vers l’Hellespont248. Pendant ce temps, il navigua aussi vers Égine et Salamine et rencontra le roi Agis qui était à Décélie249.

56Une fois le financement assuré avec l’apport perse, de nouveaux navires construits et la majorité de l’Ionie soumise au contrôle de Sparte, Lysandre se dirigea vers l’Hellespont en concentrant ses forces dans la base d’Abydos250. Arrivé dans le nord, il instaura des contacts diplomatiques avec certaines cités qui avaient quitté l’alliance avec les Spartiates, tandis que d’autres poleis furent attaquées, comme Lampsaque qui fut prise et pillée. Les Athéniens, comprenant le danger de la solide position des Spartiates dans l’Hellespont, suivirent la flotte péloponnésienne avec 180 navires et allèrent s’installer d’abord près d’Éonte et ensuite à Aigos Potamoi, devant Lampsaque. C’est alors que Lysandre mit en œuvre une stratégie pour provoquer le relâchement de la surveillance des Athéniens et les attaquer par surprise251. Pendant quatre jours consécutifs, il fit embarquer ses hommes avant l’aube sans prendre la mer et sans accepter la bataille à l’arrivée des Athéniens, et ne fit débarquer les équipages qu’au moment où les Athéniens rentrèrent pour prendre leur repas252. Lysandre profita alors du relâchement de la surveillance athénienne grâce à la routine qu’il avait établie et il les attaqua, le cinquième jour, quand les équipages étaient dispersés pour le repas, et il obtint ainsi une grande victoire avec un engagement limité. Seulement un petit nombre de navires athéniens, parmi lesquels se trouvait également celui de Conon, prit le large et s’enfuit, tandis que la majorité des trières était capturée près de la côte253.

57Après la bataille, la flotte péloponnésienne rentra à Lampsaque avec les prisonniers qui, selon une tradition, furent tués pour se venger des cruautés perpétrées précédemment par les Athéniens254. Un navire fut envoyé à Sparte pour annoncer la victoire et pour transmettre au gouvernement la stratégie que Lysandre entendait suivre par la suite. Il avait l’intention d’aller en Attique afin d’opérer une jonction avec les forces du roi Agis pour assiéger la cité par terre et par mer. Mais au lieu de se diriger directement et le plus rapidement possible vers Athènes, il décida de faire un détour par les cités qui n’avaient pas encore rompu leurs liens avec les Athéniens, afin de les inclure dans l’alliance avec les Spartiates et d’obliger les Athéniens qui se trouvaient dans ces poleis à rentrer à Athènes. Le but était de démanteler la Ligue de Délos et d’augmenter le nombre de personnes présentes à Athènes pour favoriser la famine et la chute de la cité255. Après avoir bloqué le Pirée avec 150 trières, Lysandre retourna à l’est de l’Égée pour détruire les dernières poches de résistance, à Samos surtout, et il entra finalement à Athènes après trois mois de négociations, le 25 avril 404 av. J.‑C.256.

Sparte et la flotte de la guerre du Péloponnèse à la Paix d’Antalcidas

58La gloire de Lysandre était désormais à son sommet et il est possible qu’il ait pu exercer la navarchie une deuxième fois en 405‑404 av. J.‑C. comme le note Diodore257. Il est notamment possible qu’il se soit dirigé vers l’Hellespont après l’arrivée du roi Pausanias en Attique et la réconciliation des oligarques avec les démocrates du Pirée ; il continua son activité jusqu’à ce que le gouvernement de Sparte le rappelle pour répondre aux accusations que Pharnabaze avait portées contre lui258. Sparte était devenue une puissance hégémonique sur terre et sur mer, mais l’organisation et la gestion du contrôle maritime étaient différentes de celles qui étaient pratiquées sur terre. Lysandre avait un plan précis pour relier les cités égéennes à Sparte : instaurer des décarchies dont les membres seraient personnellement en rapport étroit avec lui‑même, et mettre en place des harmostes. Ce système, appliqué déjà avant la chute définitive d’Athènes, fut supprimé par le gouvernement de Sparte, et des régimes oligarchiques plus modérés furent créés à sa place259. Le maintien du contrôle sur des cités éloignées qu’il fallait rejoindre par mer nécessitait un financement continu et plus lourd que celui employé pour la Ligue du Péloponnèse. Pour subvenir à ces besoins financiers, les Spartiates adoptèrent le modèle athénien, et demandèrent aux alliés de payer un tribut260.

59Dans les années qui suivirent, le gouvernement de Sparte manœuvra pour renforcer son hégémonie et pour aider les alliés qui avaient investi une grande partie de leurs ressources dans la guerre contre Athènes. Immédiatement après la fin de la guerre du Péloponnèse, les Spartiates envoyèrent Aristos en Sicile pour soutenir Denys I^er. Officiellement, le but de cette mission était de chasser le tyran et d’instaurer la démocratie, mais dans les faits, les Spartiates voulaient renforcer le régime de Denys I^er pour avoir à Syracuse un allié puissant et fidèle261. Ils se tournèrent ensuite vers l’est, où Cyrus était en train d’organiser une campagne contre son frère Artaxerxès. Cyrus demanda l’aide de Sparte en vertu des liens qu’ils avaient et des financements qu’il avait fournis pendant la guerre contre Athènes. Les éphores lui envoyèrent une expédition de 700 hommes262 et ordonnèrent au navarque de conduire sa flotte en Asie pour rejoindre les navires de Cyrus263. En même temps, le gouvernement de Sparte devait rester vigilant à l’égard de ceux qui étaient en train de se constituer un pouvoir trop personnel. Comme nous l’avons dit, les décarchies et les harmostes instaurés par Lysandre furent supprimés, mais il ne fut pas le seul à s’éloigner des directives du gouvernement central. En 403‑402 av. J.‑C., Pantoidas fut envoyé contre Byzance, où l’harmoste Cléarque était accusé de vouloir transformer son pouvoir en tyrannie264. Son armée défaite, Cléarque se réfugia auprès de Cyrus en participant à la campagne contre Artaxerxès. À la même période que celle de l’expédition de Cyrus, les Spartiates déclarèrent la guerre aux Éléens avec lesquels ils étaient en conflit depuis longtemps. Le but de cette guerre était d’éviter l’émergence d’un État puissant et indépendant dans le Péloponnèse. De plus, l’Élide était importante en matière maritime, parce qu’elle avait deux ports tournés vers l’Occident, dont l’un, Cyllène, avait été utilisé comme base navale pendant la guerre archidamique265. Comme nous le verrons, les Spartiates n’avaient pas perdu leur intérêt pour la Méditerranée occidentale avec l’expédition en Sicile, et les ports éléens devinrent essentiels en raison de l’impossibilité pour Sparte d’utiliser les ports corinthiens, surtout après le déclenchement de la guerre de Corinthe. Quoi qu’il en fût, les clauses de la paix, qui était imposée par la victoire de Sparte, prévoyaient qu’Élis remît sa flotte aux Spartiates266.

60Les sources ne signalent plus, jusqu’au début de la guerre en Asie, d’actions importantes accomplies sur mer. Elles confirment la présence du navarque Anaxibios dans l’Hellespont en 401‑400 av. J.‑C., quand les Grecs de retour de l’expédition des Dix‑Mille arrivèrent sur la mer Noire267. Le navarque refusa d’aider les mercenaires grecs, mais, sur le conseil de Pharnabaze qui voulait les éloigner de sa satrapie, il fit venir à Byzance leurs chefs pour les convaincre de partir ; dans un premier temps, ils ne trouvèrent aucune solution, mais la bataille fut finalement évitée grâce à Xénophon, et Anaxibios leur permit de quitter Byzance et de se mettre au service du roi thrace Seuthès268.

61La défaite subie par Cyrus eut des conséquences importantes pour les Spartiates. Tissapherne fut l’auteur de remarquables exploits pendant la guerre et le Grand Roi le récompensa à sa juste valeur269 ; il put ainsi rentrer en Asie Mineure où il inaugura une politique au détriment des cités grecques. Ces poleis avaient toutes les raisons de craindre le satrape, parce qu’elles lui avaient préféré Cyrus. Elles envoyèrent donc des ambassadeurs à Sparte pour demander son intervention. Après des contacts diplomatiques visant à rétablir de bonnes relations avec Tissapherne et après l’attaque de ce dernier contre Kymè, les Spartiates décidèrent de faire partir Thibron avec 1 000 Néodamodes, environ 4 000 Péloponnésiens et 300 cavaliers athéniens ; d’autres soldats furent enrôlés en Asie. Ces forces passèrent en Asie en bateau depuis l’Eubée270. Cette expédition ne donna pas les résultats espérés malgré les succès obtenus au début, et Thibron fut rappelé à Sparte à la suite des accusations des alliés dont il avait pillé le territoire pour le ravitaillement des soldats. Le gouvernement envoya Dercylidas à sa place. Le début de son commandement ne donna pas non plus les fruits désirés et les cités d’Asie demandèrent un effort plus concret de la part des Spartiates. Ils décidèrent d’envoyer en Asie le navarque Pharax avec une flotte, de façon qu’il collaborât avec l’armée de Dercylidas pour attaquer la Carie, lieu de résidence de Tissapherne271. Ce dernier s’allia à Pharnabaze pour faire face à cette expédition. Les deux armées furent sur le point de s’affronter dans la plaine du Méandre, mais on préféra entreprendre des négociations.

62L’union de l’armée et de la flotte de Sparte représentait un vrai danger pour les satrapes et aboutit à la mise en place d’une nouvelle politique de la part des Perses : Artaxerxès accepta de donner de l’argent à Pharnabaze pour construire une flotte272. Ce choix marqua le début d’une nouvelle phase de la guerre, dans laquelle l’élément naval était désormais indispensable. Conon, choisi pour le commandement de la flotte, devait initialement collaborer avec les forces terrestres commandées par Pharnabaze273. En 397 av. J.‑C., Conon se rendit à Caunos où il fut bloqué par Pharax qui était arrivé avec 120 navires274. Ce premier succès du navarque n’eut cependant pas de conséquences, car l’arrivée de l’armée avec Pharnabaze le força à se retirer à Rhodes, n’ayant probablement pas suffisamment de forces pour affronter la flotte et l’armée perses en même temps. Comme la guerre d’Ionie l’a montré, il était nécessaire pour les Spartiates d’avoir une base navale dans une cité importante, bien intégrée dans le réseau des communications et facilement défendable. Dans la nouvelle guerre contre la Perse, Rhodes, alliée de Sparte depuis 411‑410 av. J.‑C., fut choisie comme base, mais Conon réussit à faire passer l’île de son côté. L’Athénien prit contact avec les démocrates de Rhodes pour entraîner leur défection et organiser ensuite une révolte pour abattre l’oligarchie275. Une fois les navires libérés du blocus imposé par Pharax à Caunos, Conon se dirigea vers Rhodes où il remporta une victoire sur les Péloponnésiens alignés dans le port ; il put ainsi entrer dans la cité avec sa flotte et l’utiliser comme base pour les opérations ultérieures276.

63La perte de Rhodes fut un échec important pour Sparte277. Les sources n’indiquent pas la route suivie par la flotte ; nous pouvons seulement affirmer qu’ensuite il y eut une escadre opérationnelle dans les eaux de Cnide278. Le reste de l’armée péloponnésienne se trouvait à Éphèse avec le roi Agésilas : la demande d’une trêve avec Tissapherne peut être mise en relation avec le besoin de trouver une solution pour la flotte. Il était clair que l’armée ne pouvait pas se diriger vers l’intérieur sans avoir obtenu le contrôle de la côte, pour lequel il était fondamental d’opérer conjointement sur terre et sur mer279. Pour soutenir cet effort, Agésilas choisit un homme de confiance comme navarque de l’année 395‑394 av. J.‑C. : Pisandre, frère de sa femme280. Xénophon souligne le caractère ambitieux et vigoureux de cet homme, mais aussi son manque total d’expérience en matière navale. Cette même année, Agésilas fut rappelé en Grèce avec l’armée pour faire face à la guerre de Corinthe281. Il rentra par voie de terre, en suivant le même chemin que Xerxès lors de l’invasion de la Grèce. La guerre de Corinthe étant essentiellement terrestre et, au vu de la situation compliquée en Asie, la flotte fut laissée près des littoraux micrasiatiques. Les sources ne la mentionnent plus jusqu’au moment où elle fut interceptée par la flotte perse près de Cnide282. La bataille de Cnide eut lieu peu avant le 14 août 394 av. J.‑C., date d’une éclipse de Soleil283. Conon et Pharnabaze, avec une flotte de quatre‑vingt‑dix navires, se rendirent à Cnide dès qu’ils prirent connaissance de la présence de Pisandre, et ils se préparèrent à la bataille. Les Péloponnésiens, avec quatre‑vingt‑cinq navires, étaient en train de faire route vers Caunos ; les Perses les attaquèrent quand les trières ennemies se déplaçaient encore à la voile, ce qui compliquait les manœuvres. De plus, les alliés abandonnèrent la formation prévue et s’enfuirent. Le combat fut une lourde défaite pour la flotte péloponnésienne qui perdit la majorité des navires ainsi que le navarque. Cette défaite fut tellement importante que certaines sources retiennent cette bataille comme le moment où les Spartiates perdirent l’hégémonie maritime284.

64La situation de la marine spartiate était certainement très grave : Conon et Pharnabaze naviguèrent jusqu’à Corinthe et, pendant leur parcours, ils s’arrêtèrent dans plusieurs cités pour les détacher de Sparte285. Mais les Spartiates maintenaient encore le contrôle du nord de l’Égée et de l’Hellespont, et ils avaient aussi des harmostes à Lesbos, à Égine et en Eubée. Les Spartiates restés en Asie Mineure partirent pour les bases de Sestos et Abydos, où l’harmoste Dercylidas organisa la résistance286. La flotte perse se rendit dans cette zone qui était d’une importance majeure pour les deux commandants. Pharnabaze voulait chasser les Spartiates de sa satrapie, et Conon voulait libérer l’accès aux Détroits pour pouvoir rétablir le contrôle d’Athènes sur ce passage stratégique. Les Athéniens recommencèrent à créer des contacts et des alliances avec les cités de l’Égée, contacts et alliances qui seront à la base de la constitution de la Seconde Ligue navale287.

65La poursuite de la guerre en Grèce poussa les Spartiates à utiliser des navires dans ce contexte, malgré le caractère essentiellement terrestre de cette guerre. Pendant l’été 394 av. J.‑C., les troupes d’Agésilas furent transportées par mer dans le Péloponnèse après la bataille de Coronée et, l’année qui suivit, le navarque Podanémos était présent avec une escadre dans le golfe de Corinthe288. Les navires engagèrent alors une bataille pour le contrôle du golfe, mais la flotte péloponnésienne fut défaite, le navarque tué et le commandement assumé par Hèrippidas289. Selon les sources, la flotte ne semble pas très active sous les navarchies de Podanémos et d’Hèrippidas ; nous possédons en revanche un peu plus d’informations concernant Téleutias, qui obtint le contrôle du golfe de Corinthe290. Il accompagna Agésilas lors d’une expédition contre Argos et Corinthe, qui fut menée conjointement par terre et par mer. Cette opération a été glorifiée par Xénophon, affirmant que la mère des deux chefs pouvait être heureuse en apprenant que, dans la même journée, l’un de ses fils avait pris les murs de Corinthe et que l’autre s’était emparé des navires et des arsenaux de Léchaion291. Malgré la rhétorique qu’on peut retrouver dans le texte de Xénophon, il est vrai que les Spartiates purent reprendre le site de Rhion et contrôler le golfe de Corinthe à cette époque292.

66Ces succès ne rétablirent pas la position hégémonique des Spartiates. Pour retrouver leur rôle prééminent et arrêter la croissance du pouvoir d’Athènes en Égée, ils cherchèrent à créer de nouveaux contacts avec la Perse et à faire cesser sa collaboration avec les Athéniens. En 392‑391 av. J.‑C., Antalcidas fut envoyé en Perse auprès du satrape Tiribaze pour le convaincre de bloquer les financements aux cités ennemies et obtenir une paix qui prévoirait l’autonomie des îles et des cités grecques293. Cette première rencontre fut suivie par une autre qui eut lieu à Sparte, mais les négociations n’aboutirent pas à la conclusion d’une paix, cette dernière étant refusée par la majorité des cités294 et la politique perse étant divisée entre l’avis du satrape Strouthas favorable à Athènes, et celui de Tiribaze qui donna de l’argent à Antalcidas pour construire une flotte et qui fit arrêter Conon295.

67Le Grand Roi se positionnait aux côtés des philo‑athéniens : il fit rappeler Tiribaze et envoya Strouthas en Asie Mineure. Les actions de ce satrape contre les intérêts des Spartiates poussèrent ces derniers à intervenir une deuxième fois en Asie en 391‑390 av. J.‑C. Le gouvernement choisit Thibron comme commandant de l’armée de terre composée de mercenaires, en vertu probablement de son expérience du contexte asiatique ; il fixa sa base à Éphèse296. En ce qui concerne la flotte, le navarque Ecdicos se déplaça à Rhodes avec huit navires, tandis que le commandant Diphridas fut désigné pour la guerre contre le satrape. Ecdicos avait probablement sa base à Cnide et put aussi créer de bonnes relations avec Samos qui fournit ensuite des navires aux Spartiates297. Le navarque n’avait pas de forces suffisantes pour lutter contre les démocrates de Rhodes et réintroduire l’île dans la sphère d’influence de Sparte. Il demanda ainsi des renforts qui arrivèrent avec Téleutias, désigné pour prendre le commandement des opérations298. Il arriva avec une flotte de vingt‑sept navires, dont certains de Samos et d’Athènes qui se dirigeaient vers Chypre et qu’il avait capturés299. Il navigua ensuite vers Rhodes, qui devient à nouveau oligarchique et accueillit les Spartiates300.

68Les Athéniens, pour faire face aux opérations spartiates en Égée, construisirent une flotte de quarante trières et l’envoyèrent avec Thrasybule pour protéger Rhodes. Mais le commandant, soit parce qu’il avait reçu la nouvelle de la prise de l’île soit parce qu’il avait besoin de collecter de l’argent, fit un détour en Ionie avant de se diriger vers l’Hellespont. Thasos, Lesbos, Chalcédoine et Byzance passèrent alors de son côté ; comme réponse, les Spartiates envoyèrent Anaxibios à Abydos pour remplacer l’harmoste Dercylidas301. Il arriva avec trois navires et de l’argent pour payer une armée de mercenaires ; avec ses navires et trois autres qui s’y trouvaient, il bloqua le trafic commercial dans les Détroits et organisa la résistance des harmostes spartiates qui étaient encore dans la zone. Sa conduite lui apporta quelques succès, mais il fut ensuite tué pendant un combat terrestre contre les peltastes d’Iphicrate envoyés pour libérer le passage des Détroits302.

69Pendant ces événements, un autre site apparaît clairement comme base pour les opérations navales des Spartiates : l’île d’Égine303. Étéonicos y était très actif avec une force qui lui permettait de porter directement des attaques contre Athènes et contre les navires qui transitaient par le golfe. Quand il fut bloqué sur terre et sur mer, Téléutias vint à son secours et chassa la flotte athénienne304. Il fut alors rejoint par Hiérax, désigné pour assurer le commandement en tant que navarque de l’année 389‑388 av. J.‑C.305. Ce dernier devant partir pour Rhodes, laissa à Égine son epistoleus Gorgopas avec douze navires pour poursuivre les attaques contre Athènes306. Il obtint la victoire contre une escadre athénienne qui se dirigeait probablement vers Chypre, après l’avoir suivie et attaquée près du cap Zoster307. Mais son succès fut bref à cause de la contre‑attaque athénienne. Chabrias arriva subrepticement sur l’île pendant la nuit et, au matin, quand Gorgopas sortit avec ses mercenaires pour faire face à l’attaque conduite par Déménétos, il l’attaqua par surprise : l’armée fut défaite et Gorgopas tué308. Le commandement fut alors assumé par Étéonicos, dont la position était délicate à cause des mercenaires qui refusèrent de s’embarquer avant d’avoir préalablement leur solde309. Pour surmonter ces difficultés, Téleutias retourna à Égine et persuada les soldats de mener un raid contre le Pirée pour récolter du butin. Sa stratégie fut couronnée de succès et lui permit de rassembler l’argent pour avancer la solde d’un mois aux hommes310.

70Les sources ne fournissent aucune information concernant la navarchie de Hiérax. Il fut remplacé par Antalcidas pour l’année 388‑387 av. J.‑C. ; celui‑ci se dirigea vers Éphèse où il rassembla les navires de la flotte pour les confier à l’epistoleus Nicolochos auquel il ordonna de partir au secours d’Abydos311. Pendant sa navarchie, la flotte ne fut presque jamais réellement sous ses ordres : il ne prit pas part aux opérations militaires parce qu’il se consacra aux négociations de paix. Nicolochos fut néanmoins bloqué à Abydos par la flotte athénienne qui opérait entre la Thrace et Samothrace. Rentré à Éphèse après avoir rencontré le Grand Roi et avoir obtenu son aide pour la guerre, Antalcidas se mit en route pour Abydos avec une flotte dont faisaient notamment partie les navires des satrapes Tiribaze et Ariobarzanès. Il put entrer à Abydos et regrouper avec sa flotte les navires qui s’y trouvaient : avec une force de quatre‑vingts trières, il contrôlait désormais les Détroits. Les Athéniens furent ainsi forcés à négocier312. Le changement de position des Perses s’explique par l’affaiblissement de la confiance qu’ils avaient à l’égard des Athéniens qui n’avaient pas été capables d’éviter une nouvelle émergence de Sparte après la bataille de Cnide et qui étaient restés en contact avec Évagoras de Salamine, rebelle au Grand Roi313. Avec la Paix d’Antalcidas, toutes les cités furent décrétées autonomes, sauf Lemnos, Imbros et Scyros qui restaient sous le contrôle d’Athènes. Sparte, en tant que prostatès de la Grèce, avait le devoir de maintenir l’ordre imposé par le traité314.

71Les opérations navales de cette période étaient concentrées à l’est et au nord‑est de l’Égée pour exercer une pression militaire et économique sur Athènes. Mais les Spartiates se servirent aussi des escadres pour la guerre à l’ouest de la péninsule balkanique, comme le montre la campagne d’Agésilas en Acarnanie. Ils avaient été appelés par les Achéens, alliés de Sparte, contre les Acarnaniens, alliés des Béotiens et des Athéniens. L’armée arriva à Calydon par mer, en utilisant peut‑être des navires éléens et achéens, les Achéens ayant fourni des contingents pour la flotte. Au retour, l’expédition passa par l’Étolie et alla à Rhion, parce que les Athéniens contrôlaient l’autre route qu’ils avaient empruntée à l’aller depuis leur base d’Oiniadai315.

Sparte et la flotte de la Paix d’Antalcidas en 373‑372 av. J.‑C.

72Les intérêts de la politique spartiate dans les années qui suivirent la conclusion de la paix étaient concentrés sur le continent. C’est pourquoi les Spartiates ne s’opposèrent pas à la volonté des Athéniens de créer une série d’alliances qui seront à la base de la Seconde Ligue navale. Malgré cela, les sources permettent de voir que la réalité était en partie différente et que Sparte cherchait à maintenir son contrôle sur la mer. Diodore relate que certains sites comme Chios et Byzance étaient contrôlés par les Spartiates316. Ils maintinrent leur influence aussi sur Histiée jusqu’en 377 av. J.‑C., quand la cité fut libérée par les Thébains317. Ils perdirent néanmoins le contrôle de Péparéthos et Skiathos, qui furent ramenées par Chabrias dans l’alliance avec les Athéniens, et avec d’autres cités non spécifiées318. L’intérêt des Spartiates pour les Cyclades est aussi souligné par Isocrate, qui mentionne une querelle entre Sparte et Athènes à ce sujet319.

73Cet intérêt maritime des Spartiates fait l’objet d’un passage chez Diodore ; en 386‑385 av. J.‑C., le Perse Glos, commandant de la flotte dans la guerre contre Évagoras de Salamine, abandonna le Grand Roi pour se rapprocher de l’Égypte du roi Acoris, allié d’Évagoras. Il envoya aussi un message à Sparte pour demander de l’aide en échange d’un soutien en matière navale320. Les Spartiates acceptèrent les propositions de Glos, car l’affaiblissement de la puissance perse sur mer pouvait leur permettre de récupérer un certain avantage en Égée. Mais leurs espoirs furent vains, puisque Glos fut tué peu de temps après. Le passage de Diodore est assez parlant car il signale la volonté du gouvernement spartiate de saisir toute occasion pour récupérer ou élargir son pouvoir maritime321.

74En 378 av. J.‑C., Sphodrias, harmoste de Thespies, mena une attaque contre le Pirée322. Il n’arriva pas à atteindre le port, se contentant de mettre à sac le territoire attique au‑delà de la frontière avec la Béotie, mais il semble que les Athéniens prirent ses intentions très au sérieux. La peur d’une résurgence de la politique maritime de Sparte, ajoutée au fait que Sphodrias ait été acquitté lors de son procès à Sparte, fut l’une des causes qui aboutirent à la création de la Seconde Ligue navale en 378‑377 av. J.‑C., selon le décret d’Aristotélès323.

75En 377‑376 av. J.‑C., les Spartiates perdirent Histiée, leur base en Eubée. Cette île avait une importance stratégique majeure pour Athènes, puisqu’elle permettait de contrôler la route du blé et la navigation dans le canal de l’Eubée et le détroit de l’Euripe324. Les Athéniens y avaient envoyé Chabrias en 377‑376 av. J.‑C. pour ramener les cités dans la Ligue325. L’Eubée passa ainsi du côté des Athéniens, sauf la cité d’Histiée qui était encore protégée par une garnison spartiate avec trois navires à sa disposition. Les soldats s’emparèrent de deux navires béotiens qui se dirigeaient en Thessalie pour se procurer du blé ; les équipages de ces navires furent emprisonnés, mais ils se libérèrent et occupèrent l’acropole en chassant les Spartiates326.

76La guerre était essentiellement menée sur terre, et la stratégie des Spartiates laissait envisager une longue poursuite des hostilités. C’est pour cette raison que les alliés étaient toujours moins enclins à fournir des contingents pour les campagnes militaires. Pour terminer la guerre au plus vite, ils demandèrent la construction d’une flotte pour attaquer les ennemis par terre et par mer327. Les navires pouvaient être utilisés pour des opérations navales contre les Athéniens et pour le transport des troupes en Béotie. Les Spartiates furent ainsi capables, avec l’aide des alliés, de constituer une flotte de soixante navires qui fut confiée au navarque Pollis328. Elle opérait dans les eaux d’Égine, Kéos et Andros ; il est possible que Naxos ait été choisie comme base navale329. Le contrôle que les Spartiates pouvaient ainsi exercer sur cette route qui liait l’Attique à l’Égée méridionale, menaçait le commerce athénien. Chabrias fut envoyé avec une flotte pour résoudre ce problème. Son but était de provoquer les Spartiates à une bataille, et, pour ce faire, il attaqua et assiégea Naxos en 377‑376 av. J.‑C.330. Même si Diodore affirme qu’Athènes avait planifié en 378‑377 av. J.‑C. de construire une flotte de 200 trières, Chabrias avait à ses ordres environ quatre‑vingts navires lors de la bataille de Naxos331. Pollis arriva avec la flotte entière pour défendre cette position stratégique fondamentale pour le blocage des routes commerciales entre l’Égée et l’Attique. Le combat fut assez long et le sort de la bataille fut déterminé par l’arrivée d’une deuxième escadre athénienne que le stratège envoya quand les équipages péloponnésiens étaient fatigués. Le résultat fut une lourde défaite spartiate, même si nous ne connaissons pas le nombre exact de navires perdus, parce que les sources anciennes donnent des chiffres différents332. Cette défaite eut des conséquences très graves pour les Spartiates : la perte d’une grande partie de leur flotte ne leur permettait plus de s’opposer au pouvoir d’Athènes en Égée.

77De plus, les Athéniens décidèrent de profiter de la victoire pour rétablir leur position dans la mer Ionienne au détriment de Sparte. L’année suivante, en 376‑375 av. J.‑C., Timothée fut envoyé avec soixante navires autour du Péloponnèse pour prendre contact avec Corcyre, Céphalonie et l’Acarnanie et les faire entrer dans la Seconde Ligue navale333. À cette époque, les Spartiates avaient encore la volonté et les ressources pour construire une autre flotte, et cinquante‑cinq navires furent placés sous les ordres du navarque Nicolochos. Parmi ces navires, six furent donnés par les habitants d’Ambracie ; les Spartiates avaient donc visiblement encore des alliés dans cette région de la mer Ionienne334. La première bataille dans la mer Ionienne eut lieu en juin 375 av. J.‑C. à Alyzeia selon Xénophon et à Leucade selon la tradition d’Éphore qu’on retrouve chez Diodore et Cornélius Népos335. Il est probable que le combat eut lieu dans le bras de mer entre les deux lieux336. Timothée infligea une autre défaite à la flotte spartiate, mais le navarque devait avoir encore un nombre non négligeable de navires pour engager à nouveau les Athéniens dans une bataille. Cette fois, Timothée refusa de s’engager et Nicolochos fit ériger un trophée337.

78Les hostilités furent brièvement arrêtées à la suite de la paix conclue en 375‑374 av. J.‑C.338. Le contrôle de la Grèce nord‑occidentale restait néanmoins une source de conflits. Peu de temps après la paix, Timothée était actif à Céphalonie et à Zacynthe pour aider les exilés. Ces actions préoccupaient Sparte, mais l’accord ne fut pas rompu et Zacynthe resta fidèle aux Spartiates auxquels les habitants fournirent des navires pour les opérations de 373‑372 av. J.‑C.339. Les Spartiates n’avaient pas abandonné cette région, comme le montre la présence d’une escadre aux ordres du navarque Aristocratès en mer Ionienne340. L’intérêt des Athéniens à l’égard de Corcyre mena les Spartiates à envoyer le navarque Alcidas avec vingt‑trois navires en 374‑373 av. J.‑C., peut‑être avec l’intention d’éviter un coup d’État démocratique341. Les habitants demandèrent l’intervention des Athéniens qui acceptèrent de les aider et de rompre ainsi la paix avec Sparte. Pour faire face à l’engagement d’Athènes dans les affaires de Corcyre, les Spartiates assemblèrent une flotte de soixante‑cinq navires sous les ordres du navarque Mnasippos en 373‑372 av. J.‑C., pour transporter une armée de mercenaires dans l’île. Une grande partie des navires fut fournie par les alliés de Sparte, qui demanda aussi l’aide de Denys I^er de Syracuse342.

79Les opérations contre Corcyre furent de type terrestre : les soldats assiégèrent la cité, mais les habitants réussirent à se libérer avant l’arrivée des Athéniens343. Le navarque fut tué au combat et le commandement fut assuré par l’epistoleus Hyperménès. Après ces événements, les Spartiates quittèrent Corcyre avec leur butin avant l’arrivée des navires athéniens qui étaient commandés par Iphicrate et qui capturèrent une petite escadre syracusaine344. De son côté, Diodore affirme qu’un premier contingent athénien arriva à Corcyre : les soldats attaquèrent les Spartiates et tuèrent le navarque. Avec sa mort, probablement au printemps 372 av. J.‑C., nous ne possédons plus aucune information concernant la navarchie à Sparte. Il ne semble pas possible d’affirmer que les Spartiates renoncèrent d’un jour à l’autre à la constitution d’une flotte, mais le contexte politique avait désormais changé. Une nouvelle entente avec Athènes avait été conclue en 372‑371 av. J.‑C. et l’émergence de Thèbes força le gouvernement de Sparte à se replier sur la terre, pour maintenir son pouvoir sur une partie du Péloponnèse.

80Les conquêtes accomplies entre les viii^e et vi^e siècles av. J.‑C. permirent à Sparte d’agrandir son contrôle sur toute la côte de la Laconie et de la Messénie ainsi que sur Cythère. Ce contrôle ne se limitait pas à la terre, puisque les aristocrates possédaient des navires utilisés lors des fondations coloniales345. De plus, le gouvernement commença à se servir très tôt des navires pour entretenir ses relations au‑delà de la mer et pour mener ses actions contre les tyrans. L’importance de la mer à l’époque archaïque est soulignée aussi par l’archéologie, qui a livré un grand nombre d’objets importés ‒ notamment de l’Orient ‒ et des dédicaces liées à la mer, ainsi que par l’ampleur des exportations de céramique346. Un coup d’arrêt de cette tendance eut lieu avec la politique du roi Cléomène I^er, qui renonça à l’ouverture vers la mer et aux expéditions en terres lointaines pour se concentrer sur le Péloponnèse347. Comme conséquence, la seconde guerre médique vit les Spartiates engagés presque exclusivement sur terre, bien qu’ils aient conservé le commandement de la flotte. Les Spartiates semblent avoir ensuite accepté la volonté des alliés d’Asie, qui voulaient continuer la lutte pour la libération de leurs cités des Perses en se plaçant sous l’égide d’Athènes.

81Sparte restait cependant à la tête d’une ligue dans laquelle les puissances navales avaient un poids très important. Ces dernières, comme Corinthe et Mégare, persuadèrent les Spartiates de mener une guerre contre Athènes. C’étaient surtout les alliés, au moins dans la première partie de la guerre du Péloponnèse, qui fournissaient la majorité des navires. Mais les Spartiates étaient conscients de leur infériorité face aux Athéniens en ce qui concernait la guerre navale ; pour cette raison, ils cherchaient à éviter le combat direct, en utilisant les navires plus pour le déplacement des hommes que pour la guerre sur mer, et ils se montraient plus timides et moins déterminés que dans les actions terrestres. Mais la nécessité d’abattre l’archè maritime des Athéniens les amena à développer une politique dans laquelle la mer occupait une place fondamentale. Ensuite, la victoire en Sicile montra que la flotte athénienne pouvait être défaite, ce qui fit naître l’espoir que la victoire était possible, voire proche. Le déplacement des opérations en Asie donna un nouvel élan à la guerre navale, mais la supériorité des Athéniens resta évidente jusqu’à l’arrivée de Lysandre qui, sans obtenir de grandes victoires, réussit à réorganiser la flotte et à préparer ainsi le succès d’Aigos Potamoi.

82La mer était encore au centre de la politique spartiate dans les années qui suivirent la fin de la guerre, parce que Sparte devait désormais gérer la mer Égée et la guerre contre la Perse, qui ne pouvait pas se jouer uniquement sur le plan terrestre. La bataille de Cnide (394 av. J.‑C.) marqua la première grande défaite maritime des Spartiates et elle entraîna la perte progressive du contrôle sur la mer, qui subit une interruption brutale avec la bataille de Naxos (377‑376 av. J.‑C.). Cependant, les Spartiates cherchaient encore à maintenir le contrôle dans le secteur ionien, à propos duquel on retrouve la dernière mention de la flotte. Après la défaite de Corcyre de 373‑372 av. J.‑C. et celle de Leuctres de 371 av. J.‑C., la perte progressive du pouvoir de Sparte poussa à l’absence d’exploits navals dignes d’être mentionnés par les historiens, car les Spartiates devaient désormais lutter pour leur position dans le Péloponnèse. La flotte n’a pourtant pas disparu subitement, mais le contexte historique était différent et Sparte n’avait plus ni le besoin ni, peut‑être, les moyens pour organiser une flotte et des expéditions maritimes importantes.

83La mer, même si elle ne jouait pas de rôle central dans la politique spartiate, était certainement une composante importante depuis l’époque archaïque. L’engagement maritime permit à Sparte d’être classée dans la liste des thalassocraties (517‑515 av. J.‑C.). Ensuite, bien que les sources aient souligné le caractère naval d’Athènes en opposition à la vocation terrestre et hoplitique des Spartiates, la Laconie maintint une certaine capacité navale. Le manque d’expérience et d’entraînement vis‑à‑vis des Athéniens resta évident pour une longue période, mais Sparte fut finalement capable de développer une marine militaire pour conduire Athènes à la défaite en 405‑404 av. J.‑C. Comme nous le verrons dans les sections qui suivent, la mer était donc très importante et les postes de commandement que les hommes avaient dans la flotte n’étaient pas moins célèbres que ceux des cadres de l’armée et ils pouvaient constituer une étape prestigieuse dans la carrière d’un Spartiate.