Conclusion de la première partie

1Bien que Sparte et la Confédération béotienne n’aient jamais développé de politique navale comparable à celle des puissances comme Samos, Corinthe et Égine à l’époque archaïque, et comme Athènes à l’époque classique, les deux États menèrent une politique navale d’une certaine ampleur. La mise en œuvre d’une telle politique imposait aux gouvernements de se confronter à des problématiques différentes de celles de l’armée de terre. En ce qui concerne les matériaux pour la construction des arsenaux et des navires, Sparte et Thèbes avaient la possibilité de les trouver assez facilement. La pierre pouvait être trouvée à proximité des chantiers ou on pouvait utiliser directement la pierre extraite pour le creusement des fondations. La situation était plus complexe pour le bois, car, selon Théophraste, ni la Laconie ni la Béotie ne possédaient de bonnes ressources pour la construction navale. Mais, Sparte pouvait suppléer à ses besoins grâce aux forêts du Taygète et du Parnon, et plus généralement, du Péloponnèse. En outre, les navires laconiens correspondaient à une petite partie de la flotte spartiate qui était composée majoritairement de navires alliés. De son côté, les rapports instaurés avec la Macédoine et l’Eubée permettaient à la Béotie d’utiliser leurs ressources forestières.

2La question la plus complexe est probablement celle du financement de la construction des navires et surtout des expéditions. En ce qui concerne la décision de la construction et la mobilisation des navires, nous pouvons affirmer que Sparte et la Béotie agissaient comme la plupart des autres États grecs : le gouvernement contrôlait ces opérations et la flotte était la propriété de l’État. L’entretien des navires pendant les campagnes militaires ne pouvait pas être assuré par des particuliers à travers la triérarchie. Cet aspect émerge clairement dans le discours prononcé par le roi Archidamos avant le début de la guerre du Péloponnèse : Sparte ne possédait pas de grandes richesses, ni publiques ni privées. De plus, la société limitait fortement l’accumulation des richesses privées. Il faut donc en conclure que les expéditions étaient financées par l’État, les alliés et la Perse. Le rôle des triérarques, sur lesquels nous reviendrons ensuite, était exclusivement militaire1. La même hypothèse est aussi valable pour l’organisation financière de la flotte béotienne. La construction des bases navales et des navires était décidée et payée par la Confédération qui se chargeait aussi du financement des expéditions. Aucune source ne mentionne le rôle financier des triérarques béotiens et ce fait, lié à l’utilisation limitée des escadres navales, certifie que les triérarques étaient seulement les commandants des trières, et que l’argent nécessaire aux expéditions était fourni par le Koinon ou par les alliés qui avaient demandé l’intervention des Béotiens, comme le discours Contre Timothée le montre de façon claire.

3Le développement d’une politique navale entraîna aussi la nécessité de mobiliser un grand nombre d’hommes dans la flotte. Un premier aspect à considérer dans le cas de Sparte est celui de l’oliganthropie. Ce problème était bien connu au iv^e siècle av. J.‑C., et il est évident que l’armée ne pouvait pas se permettre d’affecter une grande partie de ses soldats à la flotte. Cela aurait évidemment affaibli l’armée en la privant d’hommes considérés comme les meilleurs hoplites du monde grec. De plus, leur grande capacité militaire en tant que fantassins n’aurait pas été utile dans la flotte, dont les équipages auraient été formés des hommes qui avaient une expérience réduite de la mer. Pour faire face à cet inconvénient, le gouvernement pouvait suivre l’exemple d’autres cités qui enrôlaient des métèques, étrangers et esclaves sur leurs navires. La région dominée par Sparte avait un grand nombre d’habitants qui n’avaient pas le statut de citoyens de plein droit comme les Inférieurs, Périèques et Hilotes, auxquels il faut ajouter les mercenaires. Les deux premières catégories étaient normalement utilisées dans l’armée, et elles maîtrisaient donc l’art de la guerre. L’enrôlement des Périèques et des Hilotes avait deux avantages. D’une part, l’armée n’était pas affaiblie par le manque d’hoplites de première valeur et, d’autre part, il était possible d’utiliser des Périèques qui habitaient près de la mer et qui avaient, de ce fait, de bonnes connaissances en matière navale. De plus, le recrutement des Hilotes permettait de les utiliser activement pour la guerre sans devoir nécessairement les armer. La même remarque est valable pour la Béotie, dont l’armée terrestre ne pouvait pas se priver d’une partie de ses effectifs. Les différences censitaires ayant conservé leur importance malgré la fondation de la seconde Confédération sur une base plus démocratique, nous pouvons affirmer que les équipages des navires béotiens étaient formés de ceux qui n’atteignaient pas le rang hoplitique.

4Malgré l’absence d’une politique navale stable et de longue durée, Sparte et la Confédération béotienne réussirent donc à créer un système qui leur permettait de faire face aux nécessités de la guerre navale tout en continuant à investir la plus grande partie de leurs ressources, en argent et en hommes, dans la guerre terrestre dont dépendait leur prestige militaire.