1L’étude des pratiques funéraires présente des difficultés évidentes, liées en particulier à la rareté des publications développées de nécropoles dans la région. Un bilan très commode des publications dans ce domaine est paru récemment1, où l’on peut constater, par exemple, l’absence quasi totale de fouilles de tombes rupestres dans la vallée de l’Euphrate ; seuls les sites de Youssef Pacha (une tombe allant de l’époque romaine à l’époque arabe), Shash Hamdan (une tombe occupée de l’époque romaine à l’époque byzantine), Tell al‑Hajj (une tombe qui paraît avoir été occupée pendant l’époque romaine et/ou byzantine), Dibsi Faraj (une tombe romaine), Jaade al‑Magara (une tombe romaine) et Baghouz (une dizaine de tombes non publiées) ont vu des fouilles se dérouler. D’autre part, la fourchette chronologique des tombes rupestres fouillées sur ces sites semble se limiter aux époques romaine, byzantine et arabe, mais on peut se poser la question de la disparition possible des niveaux antérieurs. Quant aux hypogées, les seuls à avoir été fouillés se trouvent à Doura‑Europos (datation assez vague) et à Tall as‑Sin (époque byzantine). L’observation de la gestion des espaces funéraires autour d’Apamée, qui pour certains ont été creusés (ou construits) et utilisés dès l’époque hellénistique, ne pourra donc guère s’appuyer sur d’autres sites, même si en Anatolie et en Syrie, de façon plus générale, les recherches commencent à s’intéresser à cette problématique, comme en témoignent des publications récentes qui apportent quelques éléments ; cependant les auteurs sont aussi unanimes à reconnaître les lacunes de la documentation2.

2À ce manque de données, il faut ajouter les difficultés à comprendre le sens du matériel trouvé dans les tombes (sans parler du pillage des tombes). Un objet mis au jour dans une tombe appartient‑il à un des défunts qui l’a utilisé au cours de sa vie ? Est‑ce au contraire un objet déposé par un proche à qui il appartenait ? Ou bien un objet apporté dans la tombe des années après le décès, soit à l’occasion d’une commémoration, soit simplement lors d’un passage qui n’a rien à voir avec le décès ? D’ailleurs, le nombre même de défunts présents dans une tombe reste difficile à déterminer, même au terme d’une analyse précise des ossements : dans certaines tombes, le taux d’attribution des ossements est faible, inférieur à 20 % (tombes T5, T11), voire très faible (tombe T2 par exemple). De plus, le matériel ne peut pas révéler tous les gestes du funéraire3. Les mêmes incertitudes frappent l’interprétation de la répartition spatiale des objets. À l’intérieur de la tombe T1, la répartition du matériel est proche de celle des ossements : aucun fragment ne provient de la salle 2, la totalité du matériel vient de la pièce 1, la plus proche de l’entrée de la tombe. Ce type de répartitions très inégalitaires est bien connu dans ces contextes4 et peut être interprété de différentes façons : on peut considérer que cette pièce 1 était le lieu de la plupart des cérémonies qui se déroulaient dans la tombe, ou bien que ce matériel a été déplacé et disposé près de l’entrée au cours de « nettoyages » ou de pillages divers. La répartition spatiale des ossements qui est identique permettrait de privilégier cette dernière hypothèse, mais les ossements ont aussi bien pu être déplacés lors de réutilisations de la tombe. Enfin, il faut se garder de donner une interprétation sociale trop simpliste du matériel de ces tombes : une tombe pauvre en matériel ne signifie pas pour autant que l’occupant était pauvre. Cela peut aussi signifier que l’on ne souhaite pas laisser des objets trop précieux au mort qui n’en aurait plus l’usage ou que des pillages ont prélevé le matériel le plus précieux des tombes.

3Enfin, une autre difficulté vient de la fourchette chronologique très large couverte par ces espaces funéraires, presque 1 000 ans : ainsi, nous allons devoir essayer d’élucider des gestes répondant, évidemment, à des modèles très différents. Pour le comprendre, il suffit de signaler que la période concernée a vu de nombreuses populations passer et souvent s’implanter dans la région, que ce soit les Grecs, les Parthes, les Romains ou les Sassanides. Parallèlement, différentes religions se sont développées sur ces terres, qui ont influencé les croyances et les pratiques funéraires.

4Il ne nous semble donc pas possible, à l’heure actuelle, sans véritable élément de comparaison dans la région, de pouvoir déterminer précisément le sens de la présence de ce matériel dans les tombes autour d’Apamée. Nous ne pouvons que relever les récurrences pour une même période, qui peuvent trahir ainsi la répétition de gestes et donc mettre l’accent sur certaines pratiques et peut‑être donner un sens à certains de ces gestes. Nous ne pourrons alors que les comparer avec les pratiques dans d’autres régions du monde méditerranéen antique, sans essayer d’aller au‑delà. Cela permettra déjà de déterminer si les pratiques funéraires étaient caractérisées par une grande diversité entre les régions, ou bien si ces gestes appartenaient à des écosystèmes plus larges, révélateurs peut‑être de croyances partagées. Ainsi pourra‑t‑on être amené à préciser les liens unissant ces pratiques funéraires à l’intime, mais aussi aux domaines religieux et public.

L’époque hellénistique : iii^e s. av. J.‑C.‑début du i^er s. av. J.‑C. (phase I)

5Les pratiques funéraires d’époque hellénistique sont difficiles à cerner précisément, dans la mesure où les tombes de cette époque ont souvent été perturbées, voire pillées et nettoyées à plusieurs reprises. On ne dispose donc que rarement de l’ensemble du matériel en place. Au total, au moins dix‑sept ou dix‑huit tombes, de types divers, ont été attribuées à la phase I, avec plus ou moins de certitude. Cependant, certaines tombes font exception et ne présentent que peu de perturbations : c’est sur elles que nous nous appuierons de préférence pour évoquer les pratiques funéraires. Il s’agit des tombes T4, T5, T14, T19, T21 (?), T23, T24 (?), T25 et T29, auxquelles on peut ajouter les tombes T22 et T27, qui paraissent être assez cohérentes, même s’il est probable que le matériel ait été bougé (fig. 11). Enfin, il faut rappeler le caractère unique de la probable tombe T30, dont l’interprétation est malheureusement délicate, mais d’autant plus importante qu’elle correspond peut‑être à une pratique funéraire rarement attestée dans la région.

6Les études publiées sur le matériel de tombes et le rituel funéraire à l’époque hellénistique sont très rares dans la région. On ne peut guère signaler que quelques publications de tombes à Chypre5, ainsi que les travaux conduits dans les nécropoles de Jebel Khalid6, de Jablé7 et de Doura‑Europos8, ainsi qu’à Beyrouth et Palmyre9 pour le Moyen‑Orient. En Anatolie, les données pour l’époque hellénistique sont encore plus rares ; seules les recherches sur les sites de Kymè10, Tralles11, Iasos12 et Stratonicée13 abordent quelque peu le problème. Cependant, le travail sur les pratiques funéraires reste le plus souvent très partiel : l’accent est mis sur la typologie architecturale plutôt que sur les données anthropologiques ou le matériel, ou bien ce dernier est avant tout considéré comme un marqueur chronologique et l’interprétation de sa présence en contextes funéraires14 reste très rapide.

La gestion et le traitement des corps

7L’inhumation est quasi exclusivement pratiquée autour d’Apamée de l’Euphrate au cours de la phase I, bien que la crémation fût connue et pratiquée en Asie Mineure15. Un doute subsiste cependant à propos de la tombe T30. Certes, en l’absence de restes d’ossements brûlés qui auraient été observés par les fouilleurs, il est difficile de soutenir que la crémation était pratiquée autour d’Apamée en ne s’appuyant que sur cette tombe, même si la position verticale de la jarre, qui a probablement servi de réceptacle, pourrait permettre de privilégier cette hypothèse16. Il est également possible de considérer qu’il s’agit plutôt d’une tombe à enchytrisme. En tout cas, quelle que soit l’hypothèse choisie, s’il s’agit d’une tombe, elle atteste alors de la présence d’une pratique jusqu’à présent inédite sur la rive gauche du Moyen-Euphrate.

8Il est notable que la majorité des tombes simples individuelles date de la phase I de fonctionnement des espaces funéraires (T19, T23, T25 et T29). On sait que ce type d’inhumations individuelles est fréquent pour les tombes simples à l’époque hellénistique, à Iasos17 ou à Aizanoi18, par exemple. Ces tombes autour d’Apamée paraissent principalement occupées par des adultes (T19, T23, T25 et T29), une caractéristique qui a été repérée ailleurs19, ce qui pose la question de l’emplacement des inhumations d’immatures : l’examen des tombes simples, ayant recueilli plusieurs corps, et des tombes à chambre permettra d’apporter quelques éléments de réponse sur cette question.

9Dans l’ensemble, il semble que nous ayons un déficit d’immatures autour d’Apamée pour la phase I. Il se peut que les enfants aient été plutôt inhumés dans des espaces funéraires spécifiques20, bien que ces espaces réservés n’aient pas été trouvés autour d’Apamée. Pour les plus jeunes enfants, il est possible aussi que des pratiques d’enchytrisme aient existé (T30 ?). Comme souvent dans le monde grec d’ailleurs21, ces tombes à enchytrisme, si du moins T30 en est une, peuvent voisiner avec des tombes d’adultes (T29).

10D’autres cas de figure apparaissent. Ainsi, parmi les tombes simples qui ont connu plusieurs inhumations, on peut noter une tombe (T26) qui pourrait être attribuée à la phase I et avoir contenu, entre autres, un immature. Cette tombe a eu une histoire complexe et contient au total les restes d’au moins quatre sujets. Parmi ceux‑ci, deux sujets, représentés par un nombre très limité d’ossements, pourraient être les premiers à avoir été inhumés ; il s’agit d’un adulte et d’un jeune enfant, âgé de moins de 8 ans. La coexistence des enfants et des adultes dans les nécropoles grecques d’époque hellénistique est bien attestée à Marseille, tout comme à Agde et à Ampurias, où les immatures accèdent à l’espace funéraire et aux inhumations à fosse22, mais aussi en Attique23, à Argos24, à Abdère25 et à Apollonia du Pont26, où l’âge des défunts ne semble avoir eu que peu d’influence sur le type de tombes adopté. Le nombre de tombes fouillées autour d’Apamée est insuffisant pour aller plus loin dans la réflexion et déterminer s’il y eut une sélection des enfants en fonction des âges, comme cela semble avoir été le cas par exemple à Argos27. Il est également impossible de savoir si l’immature, dont seulement quelques ossements ont été conservés, doive être associé étroitement au sujet adulte présent dans la tombe et lui aussi très mal conservé : peut‑il s’agir de l’association, assez courante dans les tombes, d’une mère et de son enfant, comme on peut en observer en très petit nombre à Apollonia du Pont (SP 46)28, à Abdère29 ou à Gordion au début de l’époque romaine30 ? En tout cas, le volume de la fosse étant restreint, il est clair qu’au‑delà de ces deux sujets, il s’agit forcément d’inhumations successives, surtout quand il s’agit de sujets adultes comme c’est le cas pour les deux corps les mieux conservés de cette tombe. De ce fait et dans un premier temps, cette tombe peut être rapprochée du cas des tombes simples qui associent un adulte et un enfant, que l’on suppose avoir des liens de parenté étroits. Cette tombe simple a aussi pu être réutilisée à deux reprises, ultérieurement, pour deux sujets adultes qui se sont forcément succédé. Le temps pendant lequel ces différentes opérations se sont déroulées est relativement restreint, de l’ordre au maximum d’environ 50 ans, d’après le matériel exclusivement hellénistique, mais très fragmentaire, contenu dans la tombe, ce qui d’ailleurs semble conforme à ce qui a été observé ailleurs31.

11Les tombes à chambre apportent des éléments plus assurés, en particulier sur la présence des enfants. Certes, nous n’avons que peu d’éléments pour travailler sur la gestion de ces tombes à l’époque hellénistique. Les corps sont introduits dans des cuves ou des loculi, où la place est en général limitée, tout comme dans les tombes simples à caveau ou à fosse et où les dimensions correspondent à celles d’un adulte. Les tombes à chambre relevant sûrement de cette époque sont au nombre de quatre : il s’agit des tombes T4, T5, T16 et T24, parmi lesquelles la tombe T24 n’a sans doute plus été utilisée ultérieurement, tandis que dans la tombe T4, la cuve 3, occupée à l’époque hellénistique, semble avoir été préservée des réoccupations par un éboulement. Le cas de la tombe T5 est moins clair, mais la réoccupation tardive ne semble guère importante. Quant à la tombe T16, son fonctionnement très long empêche de saisir sa gestion lors de ses premières phases. Ces tombes, et en particulier celles qui n’ont pas connu trop de perturbations plus tardives, permettent de saisir certaines pratiques de gestion des corps qui ne sont pas sans rappeler ce que les tombes simples suggéraient déjà.

12De façon générale, l’occupation des cuves et loculi ne semble pas dense à l’époque hellénistique. Ainsi, dans la tombe T24 qui comportait trois cuves suffisamment grandes pour abriter des adultes, ont été mis au jour les restes d’un seul individu, qui semblaient regroupés dans la cuve 2 : certes, il peut très bien constituer la dernière occupation de cette tombe qui aurait pu en connaître d’autres antérieures. Cependant, si c’est le cas, ces restes montrent qu’on pratique à cette époque un nettoyage extrêmement soigneux d’une cuve que l’on va réutiliser, plutôt que des réductions qui consisteraient simplement à repousser les ossements au fond de la cuve. Encore faut‑il se demander si ce type de nettoyages exhaustifs est réalisable. Ainsi, lors de la phase I, la notion de cuve individuelle pourrait prédominer dans les tombes à chambre comme dans les caveaux simples. La tombe T5, qui comporte trois cuves et qui a livré les restes de trois sujets, semble aller dans le même sens, même si une réutilisation partielle ne peut être exclue. Elle montre également que les très jeunes enfants (de moins de 6 mois) peuvent être inhumés avec un adulte, sans que l’on puisse déterminer précisément si c’était dans la même cuve. Dans la cuve 3 de la tombe T4, on trouve un cas de figure proche qui, là encore, rappelle ce qui a peut‑être été observé dans la tombe T26 : dans cette cuve, en effet, qui semble être restée en l’état, ont été mis au jour les restes d’un adulte assez jeune ainsi que d’un enfant âgé d’environ 9 ans, qui pourrait bien avoir partagé la même cuve que l’adulte. Ainsi, quelle que soit l’architecture de la tombe, quand il y a inhumation de plusieurs sujets à l’époque hellénistique, cela pourrait avant tout concerner deux sujets, un défunt adulte associé à un enfant. Dans ce cas‑là, les ossements des deux défunts, sans doute liés par d’étroites relations familiales, sont laissés ensemble dans la cuve. En revanche, dans les tombes à chambre par exemple, on ne trouve pas deux adultes dont les ossements auraient été conservés dans la même cuve, si l’on excepte la tombe T15 dont l’architecture et l’interprétation sont complexes : elle peut fort bien être postérieure32.

13Quant aux loculi qui sont utilisés à l’époque hellénistique et sans doute un peu au‑delà, ils ne paraissent guère se différencier par leur occupation. Eux aussi ont été conçus uniquement pour des adultes, d’après leurs dimensions. Malheureusement, aucun loculus n’a livré de restes osseux en place. La gestion des corps dans ces espaces ne peut donc guère être déduite que des caractéristiques architecturales. La hauteur limitée des loculi autour d’Apamée permet de supposer qu’un seul corps reposait dans chaque loculus, en tout cas avant réduction éventuelle des ossements, une opération qui semble rare à l’époque hellénistique. Pourtant, la tombe T16 a permis de mettre au jour un loculus double qui montre donc que l’on avait prévu l’inhumation ensemble de deux adultes33. Cette particularité est notable et vient, en même temps, confirmer l’importance d’accorder une place précise pour chaque défunt adulte, même si la nécessité d’associer étroitement deux sujets adultes dans la mort semble nouvelle. En fait, nous avons vu34 que ces loculi doubles sont avant tout attestés dans les tombes plutôt tardives, appartenant au i^er s. ap. J.‑C. en général : peut‑être est‑ce le signe d’un changement d’attitude par rapport aux pratiques d’inhumation et le début d’une tendance qui s’affirmera par la suite et qui tend à maintenir les liens familiaux au‑delà de la mort par le développement des tombes collectives.

14Aucune sélection liée au sexe des défunts ne peut être établie à partir des ossements étudiés, quel que soit le type de tombes. Il est également impossible de préciser la position habituelle d’inhumation des sujets et même, souvent, l’orientation du corps, bien que quelques tombes, ayant un caveau légèrement trapézoïdal (T19, T23), permettent de supposer que la tête se trouvait dans la partie la plus large du creusement, autrement dit au nord‑ouest (T19) ou au nord (T23). Ces différences d’orientation, pour une même période, ne paraissent guère significatives ; elles pourraient avoir été dictées plutôt par des contraintes topographiques (T23) ou autres. Il est également impossible de faire des remarques d’ordre taphonomique. Cependant, il paraît vraisemblable, grâce à l’architecture des tombes qui sont pour la plupart des caveaux creusés dans le rocher et comportant sans doute des dalles de couverture, ou des loculi dans les tombes à chambre, de supposer que la décomposition a eu lieu en espace vide. Par ailleurs, peu d’éléments viennent permettre d’évoquer des contenants périssables. Des clous ou des fragments de bois ont été mis au jour à Jebel Khalid, pour témoigner de la présence probable de cercueils en bois, tout comme à Palmyre35. Dans les tombes autour d’Apamée, on aurait également retrouvé des clous qui n’ont malheureusement pas été enregistrés, en particulier dans les caveaux du secteur D36, ce qui tendrait à montrer que là aussi des cercueils en bois étaient utilisés lors de la phase I, même si la présence de clous peut trouver d’autres explications et si leur absence ne permet pas d’exclure l’utilisation de coffres en bois, assemblés différemment. D’autre part, les parois rocheuses des caveaux devaient rendre inutile les aménagements latéraux en périssable et nous n’avons trouvé aucune trace de cercueils en terre cuite.

15Rares sont les objets mis au jour dans les tombes qui permettent de préciser quel était le traitement du corps après la mort, à l’exception des unguentaria37, et en particulier des unguentaria brisés qui peuvent avoir été utilisés lors de la toilette et de l’exposition du corps. Si l’absence quasi complète d’accessoires liés à la parure du corps ou au port de vêtement peut s’expliquer par les pillages successifs dans les tombes à chambre, pourtant on peut considérer que ces éléments étaient présents : dans la tombe T24, un bracelet en bronze a été mis au jour (T24.40) ; la tombe T29, qui a livré une petite feuille d’argent et une autre en or (T29.6‑7), pourrait suggérer l’importance sociale du défunt qui était paré d’une couronne (?), confectionnée peut‑être avec une technique mixte, joignant éléments végétaux et métalliques38. On peut également considérer que cette couronne (?) a été utilisée lors de l’exposition du mort, avant les funérailles selon une pratique ancienne, mais qui est toujours en vigueur à l’époque hellénistique, à Alexandrie par exemple tout comme en Anatolie, pour signifier l’héroïsation du défunt, mais aussi le statut social de sa famille39. D’ailleurs, dans la tombe T16, on a aussi mis au jour deux petits fragments de feuille d’or (T16.83‑84) qui ne peuvent pas être attribués en toute certitude à cette phase I, mais c’est une possibilité. En tout cas, ces fragments de couronne et de bijou proviennent de tombes à l’architecture très différente, deux tombes à chambre (sur les quatre connues pour l’époque hellénistique) et une tombe à fosse ; autrement dit, l’architecture n’est pas forcément l’unique marqueur social à l’époque. D’autre part, nous ne disposons d’aucun élément permettant de préciser si le corps était inhumé vêtu et/ou dans un linceul.

16En tout cas, quelle que soit l’architecture de la tombe, pendant l’époque hellénistique, le corps disparaît en principe définitivement après son inhumation, soit dans un caveau ou une cuve, soit dans une fosse, un sarcophage ou un loculus. Cette disposition peut paraître une évidence, mais les phases ultérieures montreront que cette pratique, qui est la plus courante dans le monde grec, n’est pas immuable et connaîtra d’importantes modifications.

La composition des assemblages de matériel

17La première constatation qui s’impose est, pour les tombes autour d’Apamée, la quasi‑absence de matériel autre que des vases de céramique dans les niveaux hellénistiques. Aucun objet en verre ne peut être associé à ces inhumations, aucune lampe, aucune arme, ni aucune monnaie. Cette rareté des monnaies en contextes funéraires à l’époque hellénistique a également été notée à Hiérapolis et, dans une moindre mesure, à Laodicée40, mais aussi à Argos par exemple41. L’obole de Charon ne semble guère une habitude à Apamée, dans les tombes à fosse ou à caveau42. Le rituel hellénistique n’implique pas forcément un tel dépouillement et à Apamée, outre les restes de couronnes d’or et d’argent, quelques traces d’objets précieux ont été conservées, un fragment de miroir de poche en bronze (T21.10) et un bracelet dans le même alliage (T24.40), mais en quantité moindre que sur d’autres sites de la même époque. Ainsi, on a trouvé au moins vingt miroirs dans les tombes de Pergè43. À propos des tombes chypriotes, on nous dit qu’elles contenaient de nombreux objets personnels44, ainsi que des monnaies. À Jebel Khalid, quelques bijoux et quelques fragments d’objets en verre ont été trouvés45, même si les vases en céramique constituent la plus grande part du matériel. À Palmyre, la tombe de Baalshamin montre combien, aux ii^e et i^er s. av. J.‑C., la présence de bijoux et de vases, y compris de vases à parfum, est importante46. Les tombes d’Apamée ne révèlent pas une telle richesse de matériel. Les objets personnels précieux ne sont donc pas absents, mais les pillages multiples ont dû participer à leur disparition.

18La composition des assemblages mis au jour, dans les tombes ayant fonctionné lors de la phase I (tabl. 5‑6)47, montre que sont régulièrement présents et associés dans un même contexte des vases correspondant à des fonctions diverses.

La vaisselle liée à la consommation alimentaire (tabl. 5, p. 388)

19À Apamée, les tombes hellénistiques les mieux conservées et qui ne semblent pas avoir connu trop de réoccupations nous montrent que l’assemblage « type » se compose en moyenne d’un à cinq vases par inhumation dans les tombes à caveau, parmi lesquels on compte quasi obligatoirement au moins une assiette à cupule de type 1 (dans neuf cas sur dix). Évidemment, dans les tombes à chambre qui ont accueilli davantage d’inhumations, le matériel est plus abondant. Pourtant, si on se réfère au nombre de défunts inhumés, on arrive approximativement au même ratio. Ainsi, dans la tombe T5, où deux ou trois individus ont dû avoir été inhumés lors de la phase I, on parvient à ce même chiffre, ou encore dans la tombe T4, où six sujets ont été distingués (avec peut‑être une petite réutilisation postérieure), on a trouvé 12 NMI de vases (6 NMI d’assiettes et 5 NMI d’unguentaria). Plus précisément, dans la cuve 3 qui semble avoir été protégée des exactions des pillards par un éboulis, deux sujets ont été inhumés, auxquels correspondent 2 NMI d’assiettes de type 1, 1 NMI de bol de type 1 et 3 NMI d’unguentaria (dont deux entiers et un brisé). Cette répartition du matériel semble donc à peu près identique, quelle que soit l’architecture de la tombe.

20Les assiettes de type 1 constituent donc l’accompagnement a minima du défunt. On n’a pas, dans ces tombes, la volonté de reconstituer un service complet : les vases à boire manquent souvent. Les assiettes à cupule de type 1 sont aussi très fréquentes dans la nécropole de Jebel Khalid48, tandis que, comme à Apamée, les bols à bord incurvé semblent plus fréquents dans l’habitat. Ces assiettes jouent donc un rôle important dans le rituel funéraire d’époque hellénistique de la région, même si elles sont aussi utilisées en contextes d’habitat. On peut remarquer qu’à Jebel Khalid, tout comme à Apamée, les exemplaires trouvés en contextes funéraires font tous partie de la série la plus petite, avec un diamètre qui se situe le plus souvent entre 12 et 14 cm. Il semble peu probable que ces assiettes aient été fabriquées spécialement pour un usage funéraire : un certain nombre d’exemplaires ont été mis au jour dans les fouilles de l’habitat. Ces assiettes sont destinées à la consommation individuelle. D’autre part, sur aucun exemplaire mis au jour autour d’Apamée, nous n’avons pu trouver de trace d’usage. Ces petites assiettes auraient donc pu être achetées pour être directement déposées dans la tombe.

21La fonction assignée à ces petites assiettes à dépression centrale a fait couler beaucoup d’encre. On a pu considérer que la cupule des assiettes de type grec, dites « à poisson », était destinée à recevoir l’huile s’écoulant de la nourriture49. C’est probablement cette conception du fonctionnement de ces petites assiettes qui pousse les archéologues de Jebel Khalid à proposer que ces assiettes à cupule servaient, en contextes funéraires, à contenir une offrande sous forme d’huile. Cela dit, le ressaut, qui parfois entoure la cupule comme sur T26.5 (fig. 509), montrerait que la dépression permet plutôt de proposer une sauce peut‑être effectivement à base d’huile en accompagnement d’un plat. Cette petite assiette, qui est parfois réduite au rôle de saucière comme dans la publication de Jebel Khalid, pouvait‑elle contenir aussi de la nourriture solide ? Il est actuellement difficile d’établir l’existence d’offrandes de nourriture solide à Apamée : en effet, l’absence de restes fauniques correspondant à des reliefs de repas, ainsi que la rareté des vases à cuire trouvés dans les niveaux hellénistiques des tombes d’Apamée, plaideraient en défaveur de cette éventualité, concernant en tout cas des offrandes carnées, même si on ne peut exclure l’offrande de pièces de viandes sans ossements. Il paraît tout aussi invraisemblable que ces petites assiettes aient été utilisées lors de banquets funéraires ayant eu lieu dans le cadre des tombes : en effet, nulle part dans les tombes ou autour des tombes, on ne trouve de trace de ce type d’activités, et en particulier de déchets alimentaires ; pour aller dans le même sens, les vases à boire sont relativement rares dans les tombes d’Apamée50.

22Doit‑on imaginer que ces vases liés au banquet contenaient des offrandes alimentaires au moment de leur dépôt dans la tombe ? La position dans laquelle certains d’entre eux ont été trouvés peut donner des indications. Seules les tombes T4 (cuve 3) et T24 ont livré des exemplaires entiers (ou parfois cassés avec cassure fraîche) de ces assiettes à dépression centrale (T4.46, T24.16, T24.17 et T24.19). Ces tombes nous montrent donc que ces assiettes étaient déposées intactes dans la tombe. De plus, la tombe T4 (cuve 3) permet d’affirmer que ces assiettes pouvaient être déposées dans la cuve même, au contact du corps. Les autres tombes ont subi des pillages qui peuvent expliquer que les assiettes soient à peu près systématiquement cassées. Il n’est donc pas impossible que ces assiettes aient contenu des offrandes alimentaires, qui n’auraient pas laissé de trace. La présence récurrente de la cupule sur ces assiettes, ainsi que l’absence de tout os ou de toute coquille, laisse penser que, si ce fut le cas, il peut s’agir plutôt de pain ou de mets à base de légumineuses ou de céréales, même si on ne peut exclure la présence de viande désossée, accompagnés d’huile, de sauce, de bouillon ou de fromage. Les habitants d’Apamée, ainsi que de Jebel Khalid, considèrent ces assiettes à cupule comme mobilier funéraire quasi obligatoire, ce qui n’est pas forcément le cas ailleurs, dans des nécropoles grecques de régions avoisinantes51. Cependant, les vases liés au banquet jouent traditionnellement un rôle important dans les offrandes funéraires52 du monde grec. À Apamée, on reprend cette coutume en adaptant un répertoire régional à la tradition grecque.

23En même temps, on peut peut‑être attribuer une attitude très « comptable » des vivants à l’égard des offrandes faites aux défunts, comme le montreraient certains détails qui apparaissent à propos de ces assiettes. Les assiettes à cupule font partie des exemples les plus petits que l’on connaisse de ce type d’assiettes sur les sites concernés. De plus, les proportions de la cupule, et en particulier sa profondeur, semblent diminuer avec le temps, de sorte que le volume de liquide éventuellement contenu est de plus en plus réduit et coûte donc de moins en moins cher.

24Enfin, en considérant la répartition de ces assiettes dans les tombes, un problème d’interprétation se pose : comment comprendre la présence de fragments d’assiette à l’extérieur des tombes T19, T22, T24 et T25 ? Deux hypothèses peuvent être envisagées : d’une part, ces fragments ont été sortis de la tombe par des pillards. Pourtant, les fragments d’assiette trouvés à l’extérieur n’appartiennent jamais, semble‑t‑il, aux assiettes trouvées à l’intérieur de la tombe. De plus, certaines de ces tombes, comme T19, ne portent aucune trace de pillage. On peut aussi imaginer que ces fragments proviennent de tombes plus anciennes, perturbées. Cependant, le décalage chronologique entre le matériel provenant de l’intérieur et de l’extérieur des tombes n’est pas perceptible. Une autre possibilité qu’il faut évoquer malgré ces difficultés pourrait être que les fragments de vase trouvés à l’extérieur appartiennent à des dépôts funéraires qui rendent compte de cérémonies postérieures aux funérailles. L’hypothèse ne peut être confirmée avec ces tombes d’Apamée : les fouilles ont été trop rapides et partielles, mais ce type de pratiques est bien connu en Grèce53, même s’il est assez rarement attesté par l’archéologie qui a souvent considéré ces vases trouvés à l’extérieur de tombes comme des résidus de tombes détruites ou comme des traces de pillage54. Si cette hypothèse se confirmait, elle permettrait également de mettre l’accent sur la modestie des vases accompagnant le défunt puisque, dans ce cas, on n’aurait guère qu’une seule assiette à dépression centrale mise dans la tombe au moment des funérailles (sauf pour la tombe T27 qui en compte deux). Il est donc difficile d’exclure complètement l’existence de dépôts funéraires extérieurs, même si, dans la plupart des cas, les indices pourraient plutôt renvoyer à des pratiques de réoccupation ou de pillage.

25Certes, les assiettes à dépression centrale sont présentes à l’extérieur (tombe T19), mais assez souvent, des fragments de vases fermés leur sont associés, ainsi que des fragments de jarres. Cette différence de composition par rapport au matériel trouvé à l’intérieur pourrait être un argument en faveur de l’hypothèse selon laquelle il s’agirait de vestiges de dépôts funéraires extérieurs. Ainsi, à Apamée, les vases fermés sont plutôt plus nombreux à l’extérieur qu’à l’intérieur des tombes (T21.2, T22.10‑12, T25.3) par rapport aux assiettes. La présence assez fréquente de jarres, à l’extérieur55, peut aller dans le même sens et permettre d’évoquer des gestes de libations pratiqués après l’inhumation, tels qu’ils sont représentés à l’époque classique sur les lécythes peints. Le caractère fréquemment fragmentaire de ces vases trouvés à l’extérieur peut s’expliquer par l’absence de protection et il est impossible, à ce stade, d’évoquer un éventuel bris rituel. La localisation précise de ces vases (et en particulier leur regroupement ou non) n’a malheureusement pas été notée, pas plus que leur emplacement par rapport aux tombes. Enfin, on n’observe pas de décalage chronologique sensible entre le matériel trouvé à l’intérieur et à l’extérieur de la tombe56 : le souvenir des morts, si du moins on a quelques exemples de dépôt extérieur, ne dépasserait pas la génération.

26Un autre type de vases, souvent présent dans les tombes d’Apamée, s’accommoderait aussi d’offrandes alimentaires solides : ce sont les bols à bord incurvé de type 1 qui sont présents dans plus d’une tombe sur deux, toujours en association, bien sûr, avec une assiette à dépression centrale. Ces bols ne paraissent pas destinés à la consommation de boissons : le bord incurvé ne se prête pas à ce type d’utilisation57. Dans l’iconographie du banquet funéraire grec, le plus souvent, l’accent n’est pas mis sur les plats : ceux‑ci sont limités généralement à des représentations, plutôt frugales, de gâteaux et de fruits58, qui paraissent difficilement pouvoir être contenus dans les assiettes à cupule centrale. En revanche, ces mets pourraient bien être associés aux bols à bord incurvé. Leur fréquence dans les habitats hellénistiques montre qu’ils avaient aussi de multiples usages. Ils devaient, de façon générale, être utilisés pour servir de la nourriture solide ou semi‑liquide.

27Dans les tombes hellénistiques d’Apamée, ces vases sont bien présents (tabl. 5‑6)59, mais ils ne constituent pas une offrande indispensable. En même temps, on a l’impression que le traitement de ces bols n’est pas le même que celui qui est subi par les assiettes. Ils sont moins bien conservés dans les tombes : seul T24.29 (fig. 494) présente un profil complet (mais n’est pas entier), dans une tombe, d’ailleurs, où l’on a trouvé des assiettes à cupule centrale complètes60. Cette constatation a également été faite par les fouilleurs de la nécropole de Jebel Khalid et des tombes hellénistiques du barrage de Tabqa61 qui considèrent que ces vases pouvaient avoir été cassés délibérément après avoir été utilisés au cours du rituel ou peut‑être dans la vie quotidienne du défunt. Ces vases auraient donc un statut différent des assiettes à cupule centrale, qui semblent plutôt avoir été achetées spécialement pour être déposées dans la tombe. Une partie du bol à bord incurvé serait ensuite jetée dans la tombe au moment des funérailles, pour signifier la séparation, de façon symbolique. Ce rite a été remis en question à propos des tombes d’Olynthe et des tombes hellénistiques d’Argos62. Pourtant, le bris rituel de vaisselle est attesté dans les nécropoles grecques63, plutôt à vrai dire pour les vases à parfum que pour les vases appartenant au service alimentaire, qui peuvent ne subir qu’un bris partiel des anses. À Apamée et sans doute à Jebel Khalid, si bris il y a, il est plus important. On peut remarquer aussi que ces vases sont relativement rares parmi le matériel trouvé à l’extérieur des tombes : seule la tombe T21 a livré un fragment de ce type de vases à l’extérieur (T21.1). S’il s’agit bien de dépôts funéraires extérieurs, cela confirme que ces bols ne sont pas destinés à contenir des libations liquides, qui constituent la part la plus importante, semble‑t‑il, de ces cérémonies postérieures aux funérailles. Si l’on suppose que ces vases étaient intentionnellement brisés avant d’être jetés dans la tombe, cela signifierait qu’ils ne contenaient pas d’offrandes alimentaires au moment de leur dépôt, mais que ces offrandes avaient été consommées avant l’inhumation, ou bien qu’elles sont simplement évoquées symboliquement par la présence de ces bols qui ne valent, dès lors, que pour eux‑mêmes et aussi éventuellement pour l’utilisation qu’en avait faite le défunt.

28La présence des vases à boire ou liés à la boisson est peu attestée dans les tombes autour d’Apamée (T10.7, T23.2, et peut‑être T29.1), ce qui les différencie nettement d’autres tombes hellénistiques de la région, comme à Chypre, où les pichets sont une des composantes importantes des assemblages64. En fait, des nécropoles hellénistiques plus lointaines confirment que la présence des vases liés à la consommation de boisson est loin de constituer une obligation65. De même, la nécropole de Jebel Khalid montre, comme à Apamée, que ce type de vases ne fait guère partie des assemblages funéraires dans la région66. Cette rareté doit peut‑être aussi être mise en parallèle avec le petit nombre de coupes, skyphoi ou canthares trouvé dans l’habitat d’Apamée.

29Les vases fermés (cruches, amphores de table), ayant pu servir à verser des boissons, sont assez rares dans les tombes hellénistiques d’Apamée : seule la tombe T14 en a livré deux fragments trouvés à l’intérieur (?) [T14.4‑5], dont un fragment glaçuré, auxquels il faut ajouter T10.11 et T29.2 (trouvé à l’extérieur mais appartenant sans doute à l’intérieur de la tombe T29 qui a été perturbée). La même relative rareté des vases à servir les liquides se retrouve dans le matériel des tombes hellénistiques de Jebel Khalid67. Cependant, à Apamée, il faut tenir compte d’un autre élément. À l’extérieur des tombes, ces vases à verser sont assez régulièrement présents : sur les huit fragments livrés par les tombes hellénistiques, trois proviennent sûrement de l’extérieur (T21.2, T22.10, T24.8). Autrement dit, si ce matériel extérieur peut être interprété comme les restes de dépôts funéraires, il semblerait que ces vases à verser soient parfois liés à des rites de libation, postérieurs aux inhumations.

30De ce point de vue, un autre type de vases pourrait intervenir dans ce cadre : les jarres. Parmi les fragments d’époque hellénistique qui ont été mis au jour autour d’Apamée, la majorité, quatre ou cinq d’entre eux, provient de l’extérieur de tombes, T22.11‑12, T24.7, T25.3 et T29.3. Là encore, l’interprétation doit en être prudente ; en effet, dans la tombe T29, des fragments, peut‑être de la même jarre, ont aussi été trouvés à l’intérieur de la tombe, ce qui pourrait évoquer un nettoyage ou une perturbation de la tombe, attestée par ailleurs68. En tout cas, ce type de jarres a aussi été fréquemment repéré dans la nécropole de Jebel Khalid69, à l’extérieur des fosses et au‑dessus des dalles de couverture de certaines tombes. Si ces jarres ont une forme typiquement syrienne et étaient sans doute destinées à contenir un liquide (eau ?), elles ne sont pas sans rappeler d’autres dépôts funéraires qui peuvent comprendre des amphores, en nombre plus ou moins important, mises au jour dans des nécropoles grecques plus lointaines70. Ainsi, ces jarres pourraient constituer un autre témoignage de ces rituels contemporains ou postérieurs aux funérailles71. Contrairement à Jebel Khalid, où plusieurs jarres complètes ont pu être mises au jour, à Apamée, si l’on excepte peut‑être la tombe T29, ces vases paraissent très fragmentaires ; mais cela pourrait s’expliquer par leur position initiale, à l’extérieur de la tombe, et donc sans protection lors des nombreux passages ultérieurs qu’ont connus ces espaces funéraires.

31La typologie des vases à cuire d’époque hellénistique n’est pas établie dans la région, de sorte que leur étude reste délicate. Quatre vases à cuire fragmentaires peuvent peut‑être être attribués, sans aucune certitude, à la phase I (T5.13, T10.12, T21.9, T27.5), même si tous ces fragments proviennent de tombes qui ont été pillées. De toutes les façons, cette rareté des vases à cuire distingue nettement les usages dans les espaces funéraires autour d’Apamée de ceux des nécropoles hellénistiques à Chypre72, en Cilicie orientale73 et dans d’autres nécropoles de la même époque74. À Apollonia du Pont75, la nécropole de Kalfata a bien livré des pots à cuire, mais ceux‑ci n’ont toutefois pas été trouvés dans ou sur les tombes mais dans les zones de foyers rituels ou dans les dépôts funéraires. Très clairement, en revanche, les vases de cuisson n’étaient pas considérés, à Apamée, comme adaptés aux rites funéraires. On ne fait pas la cuisine autour des tombes d’Apamée ; on n’apporte pas, non plus, de plat cuisiné à consommer autour des tombes ou pour accompagner le défunt dans l’au‑delà.

32Ainsi, l’étude détaillée de la vaisselle liée à la nourriture et à la boisson a révélé un certain nombre de gestes et permis de proposer quelques hypothèses de fonctionnement des tombes. Cette vaisselle constitue une part importante des assemblages, qui restent toujours très modestes et assez indifférenciés d’une tombe à l’autre, quelle que soit son architecture. Elle montre qu’aucun vase en lien avec la consommation alimentaire n’est créé spécialement pour accompagner les défunts, mais qu’une certaine sélection des vases est opérée : la petite assiette à cupule de type 1 est l’accompagnement indispensable du défunt ; elle est toujours présente et a approximativement toujours les mêmes dimensions. Cette standardisation, ainsi que la relative rareté de cette petite assiette dans l’habitat, montreraient qu’elle n’appartenait ni au défunt ni à ses proches, mais qu’elle a été achetée pour contenir les offrandes alimentaires de base. Elle peut éventuellement être accompagnée d’un bol à bord incurvé qui aurait pu avoir été brisé intentionnellement et qui, étant beaucoup plus présent dans l’habitat, pourrait peut‑être avoir un statut différent de l’assiette et représenter le lien entre le monde des vivants et le monde des morts en ayant appartenu soit au défunt, soit à un proche. Rien ne dit que ces vases contenaient des aliments quand ils étaient mis dans la tombe, quoique l’importance accordée aux petites assiettes à dépression centrale, parfaitement adaptées pour recevoir aliments solides et liquides ou semi‑liquides en petite quantité, puisse être interprétée ainsi avec vraisemblance. En tout cas, ces deux catégories de vases permettent de restituer le service de table usuel dans l’au‑delà. Ce matériel peut difficilement être comparé à celui d’autres contextes funéraires proches, mis à part la nécropole de Jebel Khalid, où effectivement, le matériel présente de nombreuses similitudes. En revanche, on peut noter qu’à Yüceören, en Cilicie orientale, si les assiettes sont bien présentes, on trouve aussi des vases à cuire ou encore des amphores ou des cruches en contextes funéraires76. Les vases ouverts qui composent le service de table sont très largement majoritaires dans le matériel d’Apamée à l’époque hellénistique, ce qui n’est pas vrai partout : à Apollonia du Pont, par exemple, les vases de table connaissent un net recul dans les tombes de la première moitié du iii^e s.77. D’autre part, cette étude soulève le problème des dépôts funéraires postérieurs à l’inhumation, sans pour autant apporter de certitude : ce serait dans ces moments que les liquides joueraient le rôle le plus important, sous la forme de libations contenues dans des vases fermés, cruches ou jarres, mais cette hypothèse demanderait confirmation.

Les vases à parfum

33Après la vaisselle de consommation alimentaire, on trouve habituellement, dans les tombes, des vases liés à la toilette, et en particulier de petits vases à parfum que nous avons appelés unguentaria : ils témoignent d’un usage spécifique lors des pratiques funéraires dans le monde grec et constituent souvent l’élément le plus fréquent placé dans les tombes78. Il s’agit d’une des offrandes les plus courantes en contextes funéraires grecs, quelle que soit la région concernée, même si à Yüceören, il est difficile d’évaluer précisément la part qu’ils représentent79. Ces vases à parfum, à huile parfumée ou peut‑être aussi à vin destiné aux libations80, jouent un rôle important dans le rituel funéraire, puisqu’ils contiennent sans doute le parfum utilisé lors de la toilette du mort et de son exposition et qu’ils sont aussi partie prenante dans l’habitude que l’on avait de répandre du parfum et/ou des libations sur le tombeau81, au moment des funérailles ou après. Cependant, leur présence n’a rien d’indispensable dans les tombes et sur de nombreux sites, on peut remarquer qu’ils ne constituent qu’une part assez faible des assemblages en contextes funéraires82, ce qui est le cas à Jebel Khalid83 tout comme à Apamée. Sur ce site et à Séleucie‑Zeugma, il faut ajouter que les exemplaires trouvés en contextes d’habitat sont extrêmement rares84 : leurs fonctions autres que funéraires, qui peuvent varier de la toilette du corps à des rituels de libations domestiques, ne semblent guère avoir été de mise sur ces sites. Par contre, à Séleucie‑Zeugma, il se pourrait que les unguentaria apparaissent assez fréquemment dans les tombes85 puisque, sur une dizaine de tombes fouillées sur le chantier de la maison des Synaristôsai, parmi les quelques tombes qui n’avaient pas été pillées, deux (mais une seule d’époque hellénistique) ont livré des unguentaria. Si l’on considère les espaces funéraires autour d’Apamée (tabl. 6)86, huit tombes (T4, T10 [?], T14, T15 [?] et T21‑T24), sur les quatorze tombes hellénistiques peu ou pas perturbées, ont permis de mettre au jour ce type de vases qui est donc présent dans environ une tombe sur deux. Seules les tombes T4 et T14 en ont livré deux ou plusieurs exemplaires, mais la cuve 3 de T4, à tout le moins, a probablement connu deux inhumations. À Jebel Khalid, on en trouve entre un et trois exemplaires par tombe87, mais la règle paraît plus être d’un à deux, comme à Apollonia du Pont88. En revanche, à Apamée, il semble plutôt que l’on ait un unguentarium dans une tombe sur deux seulement, avec une fréquence un peu plus importante dans les tombes rupestres : les tombes T4, T10 (?) et T24 en témoignent alors que la tombe T5 est la seule tombe à chambre qui en soit dépourvue. Cette relative rareté doit être comparée aux trouvailles, par exemple, de certaines tombes hellénistiques de Chypre89 qui en ont livré un nombre important (mais peut‑être lié à une occupation très dense de la tombe).

34Dans un premier temps, on peut remarquer que les unguentaria, quand ils sont présents dans les tombes d’Apamée, sont systématiquement associés aux deux types les plus courants de vases de consommation alimentaire (assiette à cupule et bol), ce qui est courant90, même si sur certains sites, ces deux catégories de vases semblent beaucoup moins étroitement liées91. En revanche, quand un seul vase de consommation alimentaire est présent dans une tombe (tombes T19, T25), dans ce cas, on ne trouve pas d’unguentarium. Parfois, en plus, les unguentaria sont aussi associés à des vases fermés (T10, T14 et T15 [?]), autrement dit, on trouve de préférence, autant que l’on peut en juger avec le petit nombre d’occurrences dont on dispose, les unguentaria dans les tombes qui ont livré un service de table plutôt développé pour ce site. Il faut ajouter également que le nombre important d’unguentaria trouvés dans la tombe T492, une des tombes hellénistiques à l’architecture élaborée, vient corroborer l’impression selon laquelle ces vases, ou plutôt leur contenu, est certainement considéré comme assez coûteux, tout au moins dans le cadre modeste d’Apamée.

35Pourtant, les unguentaria mis au jour dans les tombes autour d’Apamée sont en majorité d’origine locale (80 % des fragments mis au jour)93. Jebel Khalid nous confirme que, dans les tombes, ce sont plutôt les vases de production locale ou régionale qui apparaissent, contrairement à ce qui est observé dans l’habitat94. Doit‑on en conclure à l’existence d’une production locale ou régionale de parfum et d’huile parfumée ? Peut‑être peut‑on plutôt imaginer que ces vases étaient remplis par des produits importés en gros (et donc moins chers ?)95 : la tendance à mettre dans les tombes des vases bon marché a pu être aussi mise en lumière pour d’autres catégories de vases96 et les unguentaria n’échappent pas à cette tendance ; sans doute étaient‑ils considérés comme de simples contenants de peu de valeur. Les assemblages composés d’un unguentarium (encore mieux d’un unguentarium importé) et d’un vase de table fermé, comme on trouve dans la tombe T14, outre les assiettes à cupule et éventuellement un bol à bord incurvé, seraient représentatifs du matériel céramique le plus développé des tombes d’Apamée à l’époque hellénistique.

36Parmi les unguentaria mis au jour, seule la tombe T4 en a livré deux exemplaires complets (associés à deux individus différents), tous deux trouvés dans la cuve 3. Cela montre que certains unguentaria étaient disposés entiers dans la tombe, et ici, plus précisément dans la cuve, au contact immédiat avec le corps, donc sans doute ont‑ils été mis là lors des funérailles. Probablement étaient‑ils posés à plat puisque le pied très haut et étroit ne permettait guère que le vase reste droit97. La coutume de mettre des unguentaria intacts dans la tombe a été reconnue dans de nombreuses nécropoles grecques d’époque hellénistique98 : on peut supposer, dans ces cas, qu’ils auraient contenu de l’huile parfumée et auraient donc probablement été disposés pleins dans la tombe, sans doute pour servir au défunt dans l’au‑delà, à moins qu’ils ne soient la manifestation d’une libation effectuée sur le corps inhumé, au moment de l’enfouissement. Ce geste servirait à commémorer cet acte et à rappeler que les rites ont été exécutés fidèlement. Quoi qu’il en soit, cette pratique paraît exceptionnelle à Apamée ; elle est liée à la tombe T4, à l’architecture élaborée, sans doute parce qu’elle suppose des dépenses relativement importantes ; en effet, ce dépôt se rajoute sûrement à l’utilisation de l’huile parfumée pour la toilette mortuaire, dont nous avons peut‑être quelques traces également99.

37En effet, à Apamée comme dans d’autres nécropoles hellénistiques, le dépôt de vases à parfum intacts ne paraît pas le seul rituel et n’est pas le geste le plus fréquent. Deux autres éléments du rituel funéraire s’attachent aux unguentaria. Tout d’abord, la fouille a peut‑être livré quelques traces de bris rituel de vases à parfum. La tombe T4, et plus précisément la cuve 3 qui paraît avoir été conservée intacte, nous livre un assemblage très précieux : à côté des deux unguentaria entiers, on a trouvé un autre de ces vases à parfum, cassé en trois parties (T4.51‑53), qui ne recollent pas entre elles. Cette cuve semblant intacte, il n’y a pas lieu d’attribuer ce bris à des pillards. Dès lors, ces fragments sont peut‑être le témoignage d’un bris rituel d’unguentarium, parfois noté dans les tombes grecques100, même si cette pratique semble diversement suivie. Le problème n’est pas abordé à propos du matériel de Jebel Khalid, de sorte que nous ne disposons d’aucune donnée régionale sur ce rituel. Les fragments de la tombe T4 viennent apporter des précisions sur les circonstances éventuelles de ce bris. Il ne serait pas effectué au moment où le corps est mis dans la cuve car alors, on aurait retrouvé l’ensemble des morceaux du vase. Donc, l’unguentarium n’aurait pas été brisé dans la tombe ou à proximité immédiate ; en revanche, des fragments du vase cassé ailleurs, plus probablement dans la maison du défunt, auraient été récupérés et ensevelis avec le défunt lors des funérailles. La reconstitution possible de ces gestes évoque des faits qui ont pu être observés sur d’autres sites en contexte grec. Par exemple, à Apollonia du Pont, on trouve assez fréquemment lécythe intact et lécythe mutilé101 dans une même tombe, même si ces bris ne semblent pas concerner les unguentaria, plus tardifs. Ces vases à parfum brisés avant la mise en terre pourraient correspondre à une phase importante du rituel funéraire, souvent peu perceptible d’un point de vue archéologique : l’exposition du mort qui a lieu dans sa maison. Ce serait au cours de cette première phase des funérailles que l’huile à parfum contenue dans les unguentaria serait utilisée pour la toilette funéraire. Une fois lavé, le corps est enduit de parfum102 et il est tout à fait vraisemblable qu’ensuite le vase ayant contenu ce produit ait été brisé et que quelques morceaux aient été ramassés afin d’être déposés dans la tombe pour rappeler les soins qui ont été prodigués au défunt.

38Bien sûr, les trouvailles de la cuve 3 de la tombe T4 ne suffisent pas à prouver l’existence de ce rituel. Cependant, quand on considère les unguentaria mis au jour à l’intérieur des tombes à caveau ou à fosse, on ne peut que remarquer que tous sont brisés et très incomplets : c’est le cas pour T14.6‑7, provenant d’une tombe qui semble avoir été pillée et pour T23.5 qui sont, respectivement, deux fragments d’embouchure et un fragment de pied d’unguentarium. La fouille, conduite avec soin, aurait sans aucun doute recueilli les autres fragments s’il y en avait eu. De même, la tombe T22 a livré deux fragments d’unguentaria, l’un à l’intérieur (T22.17), l’autre à l’extérieur de la tombe (T22.13). Cette dissémination paraît être le résultat d’un pillage de la tombe, ce qui impliquerait que les deux fragments qui ne recollent pas étaient à l’origine à l’intérieur du caveau, où ils ont été déposés brisés. Pourtant, ce rituel n’a rien d’indispensable et semble même assez rarement pratiqué à Apamée où, comme cela a été observé ailleurs103, la plupart des tombes peu ou pas perturbées n’ont pas livré de fragment d’unguentarium provenant de l’intérieur. Il se pourrait, à la lumière des nécropoles grecques publiées104, que ce geste fût en voie de disparition dès le iii^e s. av. J.‑C. et qu’il ne subsiste que rarement à l’époque hellénistique tardive, à moins qu’il ne s’agisse d’une particularité régionale du rituel funéraire.

39À Apamée, très rares sont les unguentaria qui ont été découverts à l’extérieur des tombes, ce qui semble être cohérent avec les trouvailles de Jebel Khalid105, où la plupart des unguentaria viennent de l’intérieur des tombes. Sur un total d’une vingtaine de fragments d’unguentaria trouvés à Apamée, dans des contextes à peu près sûrs (tabl. 5‑6)106, deux seulement ont été mis au jour à l’extérieur d’une tombe, parmi lesquels, nous l’avons vu, T22.13 semble avoir été déplacé de l’intérieur de la tombe à l’occasion d’un pillage et T15.5 pourrait appartenir au remblaiement de la tombe T15. Il semble donc difficile d’associer des unguentaria à d’éventuelles commémorations postérieures aux funérailles à Apamée. L’utilisation d’unguentaria lors de ces occasions est attestée sur d’autres sites à l’époque hellénistique107 en accord avec l’iconographie antérieure, montrant que la déposition de lécythes sur les tombes à l’époque classique est fréquente, liée très certainement à l’habitude de répandre du parfum sur la tombe108. Cette pratique a‑t‑elle disparu ou tout du moins est‑elle en partie tombée en désuétude lors de l’époque hellénistique, alors qu’elle est bien attestée dans les fouilles les plus récentes de nécropoles romaines109 ? Si les vases fermés et les jarres, trouvés dans les nécropoles de Jebel Khalid et d’Apamée, peuvent peut‑être attester que ces cérémonies commémoratives continuent à être pratiquées à l’époque hellénistique dans la vallée de l’Euphrate en tout cas110, en revanche, l’archéologie semble montrer que les libations de parfum sont rares, voire peut‑être inexistantes à cette occasion. Cette constatation est cohérente avec la rareté des unguentaria à l’intérieur des tombes : très clairement, à Apamée, on utilise avec beaucoup de parcimonie les huiles parfumées, produits probablement onéreux, quelles que soient les cérémonies. Les commémorations ont aussi pu avoir lieu et n’avoir guère laissé de trace, quand prédominaient les offrandes de fleurs ou de fruits111.

40Finalement, si l’on tient compte avant tout des vases fermés et des jarres trouvés à l’extérieur des tombes, on peut considérer que seules peut‑être les tombes T21, T22 et T24 peuvent donner quelques indications sur d’éventuels dépôts funéraires extérieurs. Autrement dit, ces vestiges seraient associés à des tombes très différentes, tombes à fosse ou à caveau, mais aussi chambres funéraires rupestres. Dans ces dernières, si ces indications sont exactes, cela signifierait qu’une partie tout au moins des cérémonies commémoratives a lieu à l’extérieur de la chambre funéraire et non pas à l’intérieur. Cependant, ces données ne sont pas suffisamment nombreuses ni sûres pour que l’on puisse aller au‑delà de ces quelques propositions sur les dépôts extérieurs.

Caractéristiques principales des pratiques funéraires : entre adaptation et sélection

41Il semble que les pratiques funéraires à l’époque hellénistique, à Apamée, soient largement fonction du matériel disponible et que l’on s’adapte à ce qu’offre le marché local. Il n’y a pas à proprement parler de vases réservés à un usage funéraire, même si parfois la fréquence des vases est différente en contextes funéraires et en contextes d’habitat, comme cela semble être le cas pour les assiettes à dépression centrale de type 1, beaucoup plus nombreuses dans les espaces funéraires que dans l’habitat d’Apamée et de Jebel Khalid. Or, même si le matériel des fouilles de l’habitat d’Apamée n’a pas été publié, il est malgré tout évident qu’il n’offre pas une grande variété, ni de grandes possibilités : une seule monnaie a pu être découverte dans ces contextes d’habitat112, les lampes hellénistiques sont aussi très rares, de même que les amphores d’importation ou les petits objets.

42À cette première contrainte, liée aux possibilités locales qui semblent réduites, s’en ajoute visiblement une autre, qui cette fois‑ci est le résultat d’un choix volontaire des habitants d’Apamée. Les céramiques d’importation, et en particulier les sigillées orientales A, mais aussi les céramiques fines à vernis noir sont relativement bien représentées113 dans l’habitat d’Apamée, tout comme à Jebel Khalid d’ailleurs. Pourtant, dans les tombes, on ne trouve quasiment pas de céramiques fines importées, ce qui constitue une caractéristique partagée avec le site de Jebel Khalid114. Les raisons de cette absence ne peuvent être attribuées aux pillages ou à un décalage chronologique entre ces tombes et la date d’apparition de la sigillée orientale A, qui est habituellement fixée vers le milieu du ii^e s. av. J.‑C.115, d’autant que l’on ne trouve pas davantage de céramiques fines à vernis noir dans ces tombes. Nous n’avons aucune raison non plus de considérer qu’il peut exister une différence sociale entre cet habitat et les tombes étudiées, d’autant que ces dernières appartiennent à des types différents, plus ou moins élaborés. Il semble plutôt que l’on répugne à utiliser de la vaisselle fine importée en contextes funéraires, aussi bien à Jebel Khalid qu’à Apamée.

43Le matériel des tombes d’Apamée est donc à la fois le reflet de la médiocrité du cadre de vie dans cette ville à l’époque hellénistique et aussi le résultat d’une sélection du matériel, qui montre que l’on préfère réserver à la vie quotidienne la vaisselle importée, en utilisant dans les différentes cérémonies funéraires les productions locales les plus simples (ou les plus traditionnelles) et sans doute les moins coûteuses. La vaisselle dans ces tombes hellénistiques ne paraît donc guère servir de marqueur social en elle‑même. D’ailleurs, on peut observer une composition du matériel assez semblable quelle que soit l’architecture des tombes, tombes à fosse ou à caveau, très simples, ou tombes à chambre plus monumentales (tabl. 6)116. Tout juste peut‑on remarquer une fréquence plus grande des unguentaria dans les tombes rupestres ; on n’a donc que peu de différences perceptibles entre le matériel des tombes, en fonction des caractéristiques de leur architecture : les tombes rupestres à cuves (plutôt d’inspiration anatolienne117) ou les tombes rupestres à loculi (correspondant plutôt à une tradition limitée en Syrie du Nord, principalement à la vallée de l’Euphrate118) présentent le même matériel de base, en quantité identique. Les familles expriment donc leurs valeurs culturelles, mais aussi leur place dans la société, voire leurs origines, dans l’architecture des tombes et non dans les offrandes de céramique qui accompagnent des gestes identiques.

44De la même façon, il ne semble pas que les assemblages varient en fonction du sexe du défunt. Toutes les tombes relativement bien préservées semblent comprendre des assemblages proches, en tout cas pour ce qui concerne le matériel céramique. Or, elles appartiennent toutes à des tombes d’adultes, sans que le sexe ait pu être déterminé, mais il est probable que les deux sexes sont représentés parmi les défunts. Une telle uniformité du matériel a également été notée pour la même époque à Corinthe119.

45En revanche, pour les niveaux hellénistiques, nous ne disposons que de très peu de tombes d’enfants : certes, les tombes T5 et T26 comprennent les restes d’un jeune enfant, mais il partage la tombe avec des adultes et il est difficile de déterminer à quel défunt le matériel doit être associé. De plus, le matériel de ces tombes ne présente aucune particularité notable. Seule la possible tombe à enchytrisme ou à crémation T30 pourrait correspondre à une inhumation individuelle de jeune enfant, mais l’absence d’ossements conservés et de matériel interdit toute conclusion et l’existence même de cette tombe reste douteuse. Les tombes dans lesquelles aucun ossement n’a été trouvé (T14, T20‑T22, T27, T28), appartiennent‑elles à cette catégorie dont les ossements sont particulièrement fragiles ? Il est impossible d’en être certain et les dimensions des fosses ou des caveaux, quand elles sont disponibles, semblent infirmer cette hypothèse (T14) : ces tombes n’ont parfois livré aucun matériel (T17, T20, T28), tandis que d’autres ont permis de mettre au jour des assemblages se rapprochant de celui des autres tombes. Donc, s’il existe éventuellement une différence entre les tombes d’immatures et les tombes d’adultes, ce ne peut être que par l’absence totale de matériel dans certaines tombes d’enfants. Mais cela reste à prouver pour le moment.

46Enfin, dans ce matériel, il est intéressant de noter que les tombes présentent des assemblages très proches les uns des autres. Cependant, cette standardisation n’est pas complète. Ainsi, on peut signaler un fragment de panse de céramique « parthe » (T14.5) qui, peut‑être comme à Jebel Khalid120, pourrait être plutôt interprété comme un objet de luxe, d’autant qu’il apparaît dans une tombe comportant plusieurs fragments d’unguentaria et un ensemble complet de vases à fonction alimentaire (tabl. 6)121. La cohérence du matériel est donc tout à fait notable, sur un site dont la population semble avoir vécu plutôt modestement dans l’ensemble, en dépit de l’ambition initiale de la fondation. Les seules données qui pourraient être prises en compte et permettre de saisir des différences qui s’exprimeraient, seraient plutôt liées à l’architecture des tombes qu’à la vaisselle céramique. Tombes à chambre, sarcophages et simples tombes à fosse ou à caveau expriment sans doute des différenciations sociales. Malheureusement, la plupart des tombes rupestres à chambre ont été réutilisées et ne permettent guère d’analyse des assemblages (à l’exception peut‑être de la tombe T24) et en particulier de statuer sur la présence, ou non, d’objets plus personnels et plus précieux qui pourraient souligner également ces différences.

47Dans l’ensemble, on peut donc dire que les assemblages mis au jour dans les tombes d’Apamée présentent une grande cohérence et renvoient, de façon générale, aux habitudes grecques. Ainsi, à Corinthe, dans trois tombes hellénistiques datant de la fin du iii^e et du ii^e s. av. J.‑C., on a mis au jour de petites oinochoai, des unguentaria, des canthares, de petites jarres à parfum et des lampes122. Dans la nécropole hellénistique d’Eua de Thyréatide, dans chaque tombe, vases à boire, vases à verser et souvent lampes voisinent. Pourtant, il ne semble guère y avoir de règle et, à Asinè, on trouve régulièrement de petits vases fermés (alabastres et unguentaria) qui ne sont pas forcément associés à des vases de consommation alimentaire123.

48Plus près d’Apamée, la nécropole hellénistique de Salamine de Chypre montre des associations récurrentes d’amphores, de cruches et de lampes, auxquelles viennent s’ajouter, plus rarement, bols et assiettes à cupule. Le répertoire des formes est tout aussi varié dans les tombes Evrychou V et MP3339124. Autrement dit, il apparaît qu’une des exigences du matériel mis dans une tombe est sa diversité formelle et fonctionnelle, limitée cependant par les possibilités du marché local et le souhait de ne pas consacrer les vases les plus coûteux aux morts.

49Les assemblages trouvés dans les tombes d’Apamée répondent à ces considérations. Ils sont constitués, en effet, en très grande majorité, par des vases de production locale (seules exceptions : T10.9, T14.5, T21.3, T22.13, T22.17 et T24.28) qui, en général, ne correspondent pas à un usage spécifiquement funéraire. C’est la sélection des formes qui importe ici : en effet, le mobilier est choisi en fonction de sa forme, de sa fonction et de ses dimensions. Il semble donc que les assemblages s’adaptent aux possibilités offertes par les productions locales125. Comme toujours cependant, dans les tombes grecques, les vases destinés à la consommation d’aliments solides ou liquides sont importants et sont accompagnés de vases à parfum en priorité. En revanche, l’absence complète de lampe est notable, mais renvoie à la rareté de ces dernières dans l’habitat.

50En conclusion, la céramique hellénistique, les données de l’anthropologie et l’architecture des tombes d’Apamée permettent d’ouvrir le dossier des pratiques funéraires à cette époque dans la vallée de l’Euphrate. Malheureusement, les sites proches qui pourraient compléter ou appuyer ce travail sont rares. Seule la nécropole de Jebel Khalid présente d’étroites similitudes avec ce que l’on a pu observer à Apamée : même type de matériel, avec une prédominance des assiettes à cupule et des bols à bord incurvé, même place particulière accordée aux vases fermés et aux jarres, ainsi qu’aux unguentaria. Si le substrat des rites funéraires se situe bien dans un contexte grec, qui s’appuie sur des formes particulières de vases (vases ouverts et unguentaria, par exemple) et sur des gestes bien connus, associant vases de consommation alimentaire et vases à parfum par exemple, en revanche, au‑delà de cette koinè, de fortes similarités permettent de proposer qu’il existe un profil régional à ces gestes, communs à Jebel Khalid et Apamée : par exemple, la relative rareté des unguentaria est remarquable, de même que le choix de vases de petite taille126, tout comme la possible utilisation quasi exclusive des vases fermés et des jarres, pour les dépôts extérieurs. Ce profil régional se caractérise donc par une parcimonie certaine à l’égard des morts : le mobilier est toujours en nombre limité, de petite taille et ne comprend guère, semble‑t‑il, de produits coûteux : les vases sont des céramiques communes de production régionale et les huiles parfumées sont utilisées en petite quantité127. Autrement dit, on essaie de se conformer aux habitudes funéraires grecques tout en limitant au maximum les dépenses : ce qui importe, ce sont avant tout les gestes, plus que la valeur même des offrandes. Nous avons pu définir un mobilier indispensable, a minima constitué avant tout d’une assiette à cupule, complétée assez souvent par un bol brisé (?) à bord incurvé. Ces quelques objets pourraient correspondre à des croyances bien établies dans les vertus propitiatoires des offrandes et l’éventualité de la poursuite d’une vie matérielle dans l’au‑delà, tout en affirmant la nécessaire séparation avec les proches et le monde des vivants (bris de bol). Pourtant, le nombre limité de tombes hellénistiques étudiées, l’ignorance dans laquelle nous sommes de l’étendue et de l’importance des espaces funéraires et donc de la représentativité des données collectées, enfin, l’urgence dans laquelle ces fouilles se sont déroulées invitent à la prudence.

Le i^er s. av. J.‑C.‑1^re moitié du i^er s. ap. J.‑C. (phase II)

51Cette phase n’est pas représentée dans le matériel des tombes autour d’Apamée. Nous ne disposons donc d’aucun élément pour préciser quelles sont les pratiques funéraires sur cette rive de l’Euphrate entre le i^er s. av. J.‑C. et le milieu du i^er s. ap. J.‑C. On peut le regretter tant la coupure avec les pratiques funéraires d’époque hellénistique apparaît importante quand on considère la phase III. Il apparaît clairement que, pendant cette phase II, le regard porté sur la mort a changé ; il est dommage de ne pas pouvoir saisir les processus qui ont abouti à cette évolution tout à fait spectaculaire qui s’est déroulée en l’espace d’environ un siècle et demi, donc finalement en assez peu de temps à l’échelle des habitudes profondément ancrées dans la culture d’une population.

52Ces bouleversements, qui suivent la destruction de l’établissement hellénistique d’Apamée, se manifestent par ce qui apparaît comme étant un abandon à peu près total de la rive gauche de l’Euphrate (ou un déplacement systématique des lieux d’ensevelissement et sans doute de la population). En même temps, la région est touchée par l’arrivée des Parthes sur cette rive de l’Euphrate128 et ensuite par la proximité qui se met en place pendant cette période avec la frontière orientale de l’Empire romain, fixée au cours du i^er s. ap. J.‑C., au niveau du cours du fleuve129. Puis, finalement, à l’extrême fin du ii^e s. ap. J.‑C., la rive gauche de l’Euphrate passe sous domination romaine. On peut imaginer que, dès le i^er s. ap. J.‑C., les contacts sont nombreux entre les deux rives du fleuve et que l’afflux à Zeugma de populations plus ou moins en contact avec le pouvoir romain a pu être également ressenti sur la rive gauche. Autant de changements politiques, économiques et culturels qui ont, sans aucun doute, participé à la modification des pratiques funéraires.

L’époque romaine : 2^de moitié du i^er‑milieu du iii^e s. (phase III)

53Pendant cette phase, on ne réoccupe pas les tombes plus anciennes, même si un doute subsiste sur l’histoire de la tombe T16130. On préfère construire de nouvelles tombes, ce qui participe de cette rupture et de ce nouveau paysage funéraire qui se met en place pendant la phase III. Ainsi, dans le secteur B on construit plusieurs tombes rupestres (T1, T3, T9 [?], T11, T33 [?]), mais aussi peut‑être dans les secteurs G (T31) et F (T32 [?])131. Malheureusement, les réoccupations ultérieures ont bien souvent perturbé les vestiges de cette phase III, de sorte que les pratiques funéraires, pour cette période, peuvent très difficilement être définies. Pourtant, si les données de l’anthropologie restent lacunaires, l’architecture, mais aussi le matériel mis au jour dans ces contextes permettent, sinon d’éclairer les pratiques funéraires, du moins de mettre l’accent sur les ruptures que l’on peut observer dans ce domaine par rapport à la phase I.

La gestion et le traitement des corps

54Pour cette période, on ne peut pas savoir directement quel traitement du corps est pratiqué à Apamée, si ce n’est que l’inhumation seule est attestée. D’autre part, la présence d’unguentaria dans les tombes (T16.151) montre que le rituel de la toilette du corps avec des huiles parfumées et la consécration des vases les ayant contenues devaient continuer à être pratiqués. Les vestiges d’occupation pendant la phase III sont trop légers et surtout trop bouleversés par les réoccupations postérieures pour pouvoir être associés à des ossements précis, de sorte que le nombre exact ou encore l’âge ou le sexe des occupants ne peuvent être déterminés. Cependant, les bouleversements par rapport à l’époque hellénistique paraissent indéniables et peuvent avant tout être appréhendés à partir de l’architecture et du matériel céramique qui nous renseignent sur les pratiques funéraires.

55Nous n’avons tout d’abord repéré aucune tombe simple qui puisse être attribuée à cette phase. Peut‑être est‑ce là le résultat du hasard des recherches qui n’ont jamais pu être systématiques, puisque ce type de tombes semble généralement fréquent à l’époque romaine132. En revanche, pour les tombes à chambre, les nouveautés sont importantes pendant la phase III, puisque cette période voit, sans aucun doute, l’introduction d’un nouveau type de tombes : les tombes à arcosolia, ce qui entraîne de nombreux changements dans la gestion des corps133. En principe, cette architecture facilite l’accessibilité des corps et donc les différentes opérations de réduction, de nettoyage et de réutilisation éventuelle des lits funéraires. Cependant, si ces tombes ont pour la plupart connu un fonctionnement long, avec de nombreux remaniements des restes osseux qui en rendent la lecture complexe, on verra aussi que, finalement sur le long terme134, la gestion des corps dans ces tombes n’est pas si différente de ce qui se passe dans les tombes plus anciennes.

56Alors que précédemment le corps disparaissait définitivement après les funérailles, soit dans un caveau ou une fosse, soit dans un loculus ou une cuve, pendant la phase III on voit apparaître une nouvelle façon de gérer les corps, qui est en rupture complète avec les pratiques antérieures. Dans les tombes rupestres à arcosolia en tout cas, les corps paraissent souvent avoir été déposés sur des lits funéraires. Les conséquences sont nombreuses sur les pratiques funéraires : l’emplacement des coussinets montre que, comme précédemment sans doute, l’orientation des corps n’a que peu d’importance et qu’elle varie plutôt en fonction de l’emplacement du corps dans la tombe135 ; on s’arrange en général pour que, quand on entre dans la tombe, la tête se trouve vers la droite, ce qui n’est d’ailleurs peut‑être pas dénué d’un sens symbolique. De plus, la présence de ces coussinets ainsi que de légers recreusements sur la surface supérieure des lits sont révélateurs de la façon dont le corps est déposé sur le lit funéraire, sans contenant rigide, même si on ne peut exclure que certains corps aient aussi été mis dans des cercueils de bois posés à terre. Des clous, en effet, ont été mis au jour dans les tombes T1 (T1.161), T11 (T11.64, T11.90, T11.117 et T11.137) et T16 (T16.71, T16.85, T16.126, T16.136 et T16.156), mais rarement en quantité suffisante pour permettre d’imaginer que ces lits funéraires en pierre étaient uniquement symboliques, comme on peut le voir à Alexandrie136. Le nombre de clous est d’autant plus insuffisant qu’ils ont été trouvés dans des tombes utilisées pendant plusieurs siècles, bien qu’on ne puisse exclure la possibilité d’assemblages de planches maintenus par des cordes et renforcés par quelques clous. D’ailleurs, les lits funéraires, dans les régions où l’on dépose les corps sur des lits, ne comportent pas de literie figurée en pierre, même quand les lits sont représentés avec beaucoup de détail. Sans doute les corps étaient‑ils déposés sur une literie réelle, comme cela pourrait avoir été le cas à Apamée : les coussinets peuvent être suffisamment hauts pour justifier la présence d’un matelas en périssable137.

57D’autre part, l’usage du cercueil paraissant devoir être exclu ou tout du moins ne pas être majoritaire138, le corps devait être enveloppé d’un linceul, ou d’un contenant souple tel que des nattes, comme on peut le voir en Palestine139 ou encore en Égypte et particulièrement à Alexandrie. Dans la région, les témoignages archéologiques permettant d’évoquer l’utilisation de linceuls sont relativement fréquents à l’époque romaine, que ce soit en Palestine140, à Khirbet Qasone141, à Doura‑Europos142, à Palmyre143, ou encore à Porsuk à l’époque protobyzantine144 (ou plus tard)145 et à Çatalhöyük146. Dans les espaces funéraires autour d’Apamée, on peut remarquer qu’il n’y a guère de trace de tels dispositifs : les linceuls, par exemple, n’étaient pas fixés avec des épingles, puisque l’on n’a retrouvé qu’un très petit nombre de ces objets (T16.160, mais il ne s’agit pas d’une tombe à arcosolia). De simples bandelettes de tissu ou de cuir, ou des cordes pouvaient faire l’affaire. D’autre part, le corps semble n’avoir guère été recouvert et caché. La rareté des tuiles retrouvées dans les tombes d’Apamée, bien qu’elles aient aussi pu être récupérées, permet de douter qu’elles aient pu être utilisées pour recouvrir les corps147. Enfin, les feuillures destinées à supporter un couvercle fait de fines dalles ou de planches en bois, souvent observables au niveau du haut des cuves sur le mur de fond des arcosolia, sont rares autour d’Apamée où, de plus, les arcosolia eux‑mêmes ne semblent guère avoir été fermés148.

58Pourquoi ce changement si important dans le traitement du corps ? Cette habitude de poser les corps sur des lits funéraires, plutôt que dans des cuves ou des loculi fermés, pourrait être une réminiscence de pratiques en vigueur en Anatolie, mais aussi dans la moyenne vallée de l’Euphrate depuis au moins le III^e millénaire av. J.‑C., où les lits funéraires se rapprochent de ceux d’Apamée, à la fois par la forme des pieds, la présence d’un coussinet et l’absence de literie représentée149. Autrement dit, il pourrait y avoir, pendant la phase III, un retour vers les traditions régionales (avec aussi les inscriptions en araméen édessénien ou encore l’introduction des arcosolia150 dans la région), qui pourrait avoir été suscité en réaction à l’histoire tourmentée de la région et, peut‑être, plus particulièrement à la présence romaine toute proche. En même temps, cette gestion des corps impose la fermeture de la chambre funéraire, ce qui influe sur l’architecture de ces tombes rupestres. Alors que, à l’époque hellénistique, on ne trouve que des tombes à une seule chambre sépulcrale dans laquelle pouvaient avoir lieu certaines cérémonies, puisque les corps étaient dissimulés dans les cuves fermées ou les loculi, la phase III voit se mettre en place les tombes à deux chambres151, avec un passage étroit entre les deux permettant d’occulter facilement la salle sépulcrale, où les corps sont encore partiellement visibles sur les lits funéraires, tout en permettant éventuellement à certaines cérémonies de se dérouler dans la première salle.

59Les tombes rupestres de la phase III ont eu une durée d’occupation très longue. Il est donc extrêmement difficile, pour cette phase, de définir quels ossements lui correspondent, quel type d’occupations ces tombes ont connu ou encore ce qu’il advenait des immatures. On ne peut que remarquer que les dimensions des lits funéraires sont prévues pour des adultes, ce qui, bien sûr, n’empêche pas d’utiliser ces lits pour des immatures, partageant éventuellement la couche avec un défunt adulte, mais il est impossible de le vérifier. Il est également difficile de définir à quelle phase appartiennent les objets personnels et les parures qui ont été trouvés dans ces tombes. De plus, toutes ces tombes sont rupestres, avec souvent une entrée visible qui a attiré l’attention des pillards. Donc on ne trouve que très peu d’objets personnels associés à cette phase. En revanche, le matériel céramique, mieux datable, montre de grands changements aussi dans les gestes du funéraire.

Architecture et déroulement des cérémonies

60Pendant cette phase III, l’architecture monumentale des tombes se développe et surtout se modifie : les tombes rupestres semblent en général comprendre deux pièces en enfilade152. Cette nouvelle architecture livre des éléments sur l’emplacement des cérémonies. Ainsi, la galerie d’accès, étroite, laisse peu de place pour les cérémonies et ne livre guère de matériel qui puisse suggérer que des activités avaient lieu à cet endroit153. Seule la galerie d’accès de la tombe T1 a livré un peu de matériel pouvant être attribué à la phase III, sans certitude cependant. Il s’agit d’une amphore régionale de type 1 (T1.1) et d’un fragment de support d’amphore (T1.10). Cependant, ce dernier recolle avec un autre fragment (T1.102) trouvé à l’intérieur de la tombe, de sorte que la présence de ces fragments semble plus probablement devoir être expliquée par leur déplacement de l’intérieur à l’extérieur de la tombe, lors d’un nettoyage ou d’un pillage.

61En revanche, la salle 1 ou l’antichambre de ces tombes à chambre double paraît un lieu clef pour les cérémonies de funérailles et de commémorations, en tout cas pendant la phase III, alors que l’antichambre ne semble pas encore avoir été investie par des lits funéraires154 et que les défunts sont encore déposés à l’abri des regards, sur les lits funéraires de la salle sépulcrale. Tout d’abord, ces antichambres sont plus grandes que les espaces sépulcraux155 et donc conçues pour abriter plus de monde. Il est difficile d’estimer combien de personnes pouvaient se regrouper et participer à ces cérémonies. Cependant, les dimensions des antichambres montrent qu’outre le corps, environ six ou sept personnes pouvaient pénétrer ensemble dans la pièce156, ce qui réduit les participants aux seuls proches du défunt. On peut aussi imaginer le contraste impressionnant existant entre l’extérieur de la tombe, lumineux, et la descente, par quelques marches, vers ces antichambres sombres et humides. Ces pièces peuvent comporter un autel en leur centre (T1 et T11), qui devait constituer le centre des cérémonies. Le matériel mis au jour dans ces salles témoigne‑t‑il de ces pratiques ? Malheureusement, sa répartition spatiale est difficilement exploitable dans la mesure où les tombes ont été fréquemment réoccupées et pillées157. Seules quatre des six tombes à espaces doubles ont été fouillées et ont livré des informations. Dans trois de ces tombes (T1, T3 et T9), la répartition du matériel est claire : la chambre sépulcrale n’a livré quasiment aucun matériel alors que les ossements et le mobilier ont été mis au jour dans l’antichambre. Ce type de répartition très inégalitaire est bien connu dans ces contextes158 et peut être interprété de différentes façons : on peut considérer que cette antichambre était le lieu de la plupart des cérémonies qui se déroulaient dans la tombe, ou bien que ce matériel a été déplacé et disposé près de l’entrée au cours de « nettoyages » ou de pillages divers. La répartition spatiale des ossements, qui est identique à celle du mobilier, permettrait de privilégier cette dernière hypothèse. Cette répartition n’est donc pas significative de l’utilisation qui était faite de cette antichambre. La tombe T11 montre une répartition du matériel moins tranchée, bien que le nombre de fragments de vases et d’ossements trouvés dans l’antichambre reste nettement supérieur à ce qui provient de la chambre funéraire. Là encore, des nettoyages auraient eu lieu lors des réoccupations de la tombe. Autrement dit, aucun dépôt en place et aucune donnée archéologique ne permettent de reconstituer les pratiques qui se déroulaient dans l’antichambre et la chambre sépulcrale, en dehors des cérémonies de funérailles. Ainsi, seule l’architecture peut fournir des éléments sur cette question du déroulement des cérémonies commémoratives. Il paraît probable qu’au cours de la phase III, une partie d’entre elles se soit déroulée dans l’antichambre des tombes à deux pièces. L’antichambre a pu avoir été ajoutée à la fois pour accroître la monumentalité de la tombe lors d’une phase de prospérité de la moyenne vallée de l’Euphrate, mais aussi peut‑être pour permettre de continuer à procéder à des cérémonies à l’intérieur de la tombe, comme lors de la phase I, alors que le mode de dépôt du corps avait changé et posait de nouveaux problèmes de promiscuité avec les dépouilles.

Un assemblage type ?

62Au cours de la phase III, le matériel associé à une inhumation pourrait se composer, de façon privilégiée, d’un vase à cuire, d’un vase à parfum en verre (ou en terre cuite) et, parfois, d’une lampe (tabl. 8)159. Les contextes fiables associés à cette phase sont très rares. Cependant, dans la tombe T16, le loculus 9 pourrait n’avoir guère été perturbé, si ce n’est par quelques ajouts postérieurs. De façon significative, il comprend déjà pour la phase IIIa une lampe (T16.147), trois cols d’unguentaria en verre (T16.149‑151), quatre fusaïoles (T16.152‑155) et peut‑être une épingle (T16.160), auxquels il faut peut‑être ajouter le vase à cuire T16.127‑135. Si l’unguentarium en verre se substitue le plus souvent, mais pas obligatoirement160, à l’unguentarium en terre cuite de l’époque hellénistique, en revanche, l’introduction des vases à cuire et, dans une moindre mesure, des lampes en contextes funéraires constituent deux nouveautés qui se perpétueront dans les siècles suivants. Malheureusement, aucun autre contexte funéraire contemporain n’a été publié dans la proche région, de sorte que les comparaisons manquent cruellement, d’autant que la variété des pratiques semble grande d’une région à l’autre.

Les objets personnels

63On peut constater l’existence d’un matériel plus riche qu’à l’époque hellénistique pour accompagner les défunts. Bien sûr, il est difficile, étant donné les perturbations subies par la tombe T16, d’associer avec certitude les objets trouvés dans la tombe et les inhumations. Cependant, les feuilles appartenant à une couronne en or (T16.83‑84) pourraient avec vraisemblance correspondre à une inhumation du i^er s. ap. J.‑C. : elles ont été trouvées dans le loculus 1, avec l’assiette ou la coupe T16.76 (fig. 416) ; ce type de couronnes, qui renvoie sans doute au rituel de l’exposition du mort, est utilisé en contextes funéraires à l’époque hellénistique et au début de l’époque romaine dans la région161, en particulier à Zeugma, même si cet usage peut perdurer jusqu’au iii^e s. ap. J.‑C. Il semble donc possible, sans que l’on puisse en être certain, d’associer ces trouvailles aux inhumations de la phase IIIa, probablement présentes dans la tombe T16. De même, on voit apparaître dans cette tombe des fusaïoles (T16.69 et T16.152‑155). Là encore, il est difficile d’associer ces objets à une période précise d’utilisation de la tombe. Pourtant, trouvés en nombre à Zeugma162, ils sont toujours associés à des niveaux romains. On peut donc considérer que ces fusaïoles appartiennent aux inhumations romaines de la tombe T16, inhumations de la phase III ou IV. Il faut aussi noter que ces objets, qui distinguent les tombes féminines, n’apparaissent que dans la tombe T16 et que l’on n’en trouve pas dans les autres tombes, relativement nombreuses, qui auraient fonctionné lors de la phase III. Cela ne suffit pas à démontrer que les fusaïoles appartiennent à une des inhumations de la phase IIIa, cependant la majorité d’entre elles a été mise au jour dans le loculus 9, où les objets semblent correspondre de façon certaine à une (ou plusieurs) inhumation(s) de la phase III. D’ailleurs, dans le même loculus, une épingle en bronze a été trouvée (T16.160), qui renvoie aussi, soit aux activités, soit à la parure du défunt. En tout cas, on observe, par rapport à l’époque hellénistique, une tendance à la différenciation des tombes probablement par des objets qui accompagnent le défunt, le définissent et lui appartiennent personnellement163.

Les vases de consommation et de stockage alimentaire

64En ce qui concerne les vases trouvés dans la tombe T16, qui peuvent être associés aux premières inhumations romaines, on observe à la fois une nette rupture, puisque ces vases – et en particulier les vases de consommation alimentaire – disparaissent presque, et en même temps peut‑être une certaine continuité par rapport à la période antérieure, puisque l’on trouve une assiette (ou une coupe) fragmentaire (T16.76), qui pourrait rappeler les indispensables assiettes et bols de type 1 des tombes hellénistiques164, sans doute associée à une inhumation de la seconde moitié du i^er s. ou du début du ii^e s. D’ailleurs, ce fragment n’appartient pas davantage à la production en sigillée orientale A, qui est pourtant si fréquente dans les niveaux du Haut‑Empire de Zeugma165. Tout comme à l’époque hellénistique, on préfère offrir au défunt une imitation locale. La vaisselle fine n’est toujours pas un objet utilisé dans le rituel funéraire166. Ce vase de consommation alimentaire a pu contenir des fruits ou toute autre offrande alimentaire167. Il est impossible de préciser si ce vase a fait l’objet d’un bris rituel. Contrairement donc aux tombes d’époque hellénistique, les vases de consommation alimentaire sont rares dans ces tombes, mais il est difficile de saisir la signification de ces changements : en effet, la même évolution peut être perçue dans les fouilles d’habitat, où le matériel de table tend à diminuer jusqu’à quasiment disparaître dans les contextes de la première moitié du iii^e s.168. La disparition de ce type de vases pourrait donc n’être que la conséquence de son absence sur le site (mais aussi à Zeugma), ce qui confirmerait une attitude déjà observée à l’époque hellénistique : on utilise ce qui est à disposition pour les pratiques funéraires. En même temps, sauf à imaginer la présence de vases de service en matériaux périssables, on voit que les offrandes alimentaires solides ne trouvent plus de conteneur adéquat, mis à part les vases à cuire qui apparaissent en force lors de la phase III.

65Les seuls autres vases qui pourraient commencer à apparaître dans les tombes, pour peut‑être en partie compléter l’assemblage, sont les vases fermés et en particulier les amphores régionales de types 1 et 2 (tabl. 8)169. Certes, le flou de leur typologie interdit de les attribuer à une phase précise, pourtant leur présence annonce peut‑être l’importance qui sera la leur lors de la phase suivante. La présence régulière d’amphores dans les tombes a déjà été relevée à Chypre, et en particulier à Paphos à l’époque hellénistique, ainsi que le soin avec lequel on les appuyait contre une paroi de la tombe pour les maintenir à la verticale170. La coutume continue à l’époque romaine171. La présence de deux supports d’amphore dans la tombe T1 (T1.10 + T1.102 et T1.25) rejoint sans doute cette pratique et montre que les vases étaient probablement disposés pleins dans la tombe. Ces vases auraient contenu de l’eau, et peut‑être du vin, liquides aussi précieux pour accomplir les libations que pour les purifications nécessaires après un contact avec le mort et pour assurer le bien‑être du défunt dans l’au‑delà.

Les vases à cuire

66À côté de cette évolution du matériel funéraire, une autre nouveauté peut être observée pendant la phase III : à partir de ce moment‑là, on trouve des vases à cuire autour d’Apamée, assez régulièrement dans les tombes. Certes, dans les tombes d’époque hellénistique, quelques fragments ont été repérés172, mais ils sont tellement rares que leur présence est très difficile à interpréter. En revanche, à partir de la phase III, ils semblent plus fréquents (tabl. 13)173 et représentent près de 40 % du matériel, voire plus (tabl. 8)174, même si l’on est obligé de raisonner sur un nombre restreint de fragments. Cette évolution peut être datée du i^er ou ii^e s. ap. J.‑C. d’après le vase T16.127‑135, mais, comme pour les lampes, l’absence de tombe entre le début du i^er s. av. et le début du ii^e s. ap. J.‑C. ne permet pas de préciser le moment où ce matériel est apparu en contextes funéraires. Certes, de façon générale, les pots semblent plus nombreux dans les contextes funéraires, tout comme d’ailleurs dans l’habitat. La prépondérance du pot à cuire dans le répertoire de la vaisselle culinaire a déjà été établie à Zeugma, où le mobilier est trouvé en contextes domestiques. Les proportions par formes, toutes périodes et tous chantiers confondus, y sont les suivantes : les pots représentent près de 60 % des vases à cuire, viennent ensuite la casserole (12,3 %) et le plat à four (11,3 %)175. Le pot à cuire est bien la principale forme du répertoire de céramique culinaire entre le ii^e et le vii^e s., toutefois sa représentation, à plus de 90 % en général, reste exceptionnelle dans l’assemblage de matériel trouvé à Apamée : nous supposons qu’elle est liée à une fonction particulière des vases dans ce contexte. Pourtant, lors de la phase III, cette répartition n’est peut‑être pas encore tout à fait établie et doit être nuancée : dans la tombe T16, on trouve une casserole (T16.15) et un couvercle (T16.16) associés aux pots à cuire. L’assemblage ainsi formé est typique de celui des contextes de destruction des maisons trouvées à Zeugma : pot, couvercle et casserole, auxquels s’ajoute le plat à cuire, constituent en effet le vaisselier culinaire typique de cette période176.

67Dès la phase III, nous trouvons des vases de cuisson dans les tombes T1 (T1.26‑27, T1.106) et T16 (T16.15‑16, T16.115‑116, T16.127‑135). Leur présence est encore peu marquée, elle le sera beaucoup plus dans les phases postérieures : le nettoyage systématique des tombes à chambre dans les phases IV et/ou V avant leur réutilisation pour de nouvelles inhumations explique sans doute la relative pauvreté du matériel des trois premiers siècles de notre ère.

68Un changement de mobilier funéraire semble donc intervenir dans les tombes d’Apamée à partir de la phase III, avec l’apparition des vases de cuisson : ce changement est‑il lié à l’arrivée d’Italiens dans la région après la conquête romaine ? Il ne semble pas lié à l’influence parthe : à Suse, les grands hypogées voûtés des i^er‑ii^e s. et peut‑être du début du iii^e s. n’ont apparemment livré aucun vase culinaire, ni aucun indice de repas funéraires177. Dans le monde romain, par contre, la céramique culinaire est souvent présente en contextes funéraires, soit en matériel de dépôt lié à des repas ou des offrandes, sur ou près des tombes, soit comme urnes cinéraires. À Musarna178, la nécropole impériale a ainsi livré de nombreux vases à cuire utilisés lors de repas funéraires. En comparant un lot de vases culinaires en provenance de la nécropole à du mobilier trouvé en contextes domestiques, C. Batigne‑Vallet remarque que les vases de la nécropole sont de plus petite taille. Elle pose donc la question du choix de ces vases : sont‑ils faits spécifiquement pour un usage funéraire ou a‑t‑on délibérément choisi, parmi le vaisselier domestique, les vases les plus petits parce qu’ils sont plus pratiques à transporter vers la nécropole ou moins coûteux179 ?

69Une production de vaisselle culinaire spécifiquement liée aux usages funéraires est possible, déjà à Apollonia du Pont pour l’époque classique et hellénistique : parmi les vases culinaires découverts dans les zones de dépôts et de foyers, des pots à cuire miniatures ont été mis au jour, sans que les archéologues puissent proposer une interprétation fonctionnelle de ces objets180. Mais concernant le mobilier des espaces funéraires autour d’Apamée, il est important de préciser que les tailles des vases à cuire correspondent au mobilier trouvé à Zeugma en contextes domestiques.

70Cette relation entre vases à cuire et pratiques funéraires est courante à l’époque romaine. À Chypre, cette coutume semble plutôt ancienne et, dès l’époque hellénistique, des vases à cuire apparaissent en contextes funéraires181, alors qu’ils sont peu présents dans les tombes d’époque hellénistique d’Apamée182. Leur utilisation s’amplifie à l’époque romaine183. On peut noter pourtant que dans les quelques tombes hellénistiques et romaines de Jablé qui ont été publiées, aucun vase à cuire n’a été trouvé.

71Nous pouvons également évoquer, à propos du lien entre rituels funéraires d’époque impériale et vaisselle culinaire, l’exemple de Corinthe184. Dans une tombe à chambre utilisée du ii^e au vi^e s., un pot à cuire daté du ii^e s. a été trouvé intact, posé sur les marches d’accès à la tombe, avec deux vases à boire et un grand plat. Les auteurs proposent de relier ces vases à la pratique de banquets funéraires, et de justifier leur dépôt dans la tombe par l’impureté rituelle acquise alors par ces vases : on ne peut plus les utiliser en contextes domestiques en raison de cette impureté, ils sont donc laissés sur place.

72Pour le même site, les auteurs évoquent une nouveauté qui caractérise le mobilier funéraire dès l’époque augustéenne : lampes et pots à cuire sont presque toujours trouvés ensemble, posés sur ou dans les sarcophages et tombes.

73Cette association se retrouve dans les tombes autour d’Apamée, qui ont livré de nombreuses lampes, et continuera à être fréquemment attestée lors des phases postérieures.

74Dans les rituels funéraires d’époque romaine, les pots à cuire peuvent aussi être utilisés comme urnes cinéraires, ce qui n’est pas le cas autour d’Apamée. M. Tuffreau‑Libre185, dans la nécropole de Porta Nocera à Pompéi, observe que les urnes funéraires sont souvent des vases culinaires, mais la vaisselle culinaire y apparaît aussi en dépôts liés aux cérémonies funéraires (commémorations, banquets).

75Nous supposons donc que, autour d’Apamée, les pots à cuire ont été utilisés dans des rituels commémoratifs, par exemple des repas funéraires, ou plus vraisemblablement pour des offrandes de nourriture, à la place des assiettes à cupule de type 1 utilisées à cet effet à l’époque hellénistique et à défaut de vases de consommation d’aliments solides disponibles sur le marché local. Le fragment de dispositif de cuisson T1.105 et le fond de pot à cuire T8.7, trouvé à l’extérieur de la tombe et peut‑être couvert d’un dépôt de restes alimentaires, nous incitent à considérer cette hypothèse comme valable.

76De façon générale, lors de la phase III, nous percevons donc quelques éléments d’évolution, trop légers cependant pour prêter à de plus amples développements. Cependant, ils suffisent à montrer que c’est dès cette époque qu’a commencé l’évolution des pratiques funéraires qui a abouti, lors de la phase IV, à constituer un faciès des assemblages très différent de ce que l’on avait pu restituer pour l’époque hellénistique.

Les vases à parfum

77Les vases à parfum sont toujours présents dans les tombes de la phase III. Cependant, les unguentaria en terre cuite ont été remplacés par les unguentaria ou les petits flacons ou pots en verre (T1.154 [?], T16.149, T16.151), qui rappellent l’importance, déjà constatée à l’époque hellénistique, de la toilette du mort ainsi que, peut‑être, de l’aspersion du corps au moment de l’inhumation186. D’ailleurs, cette catégorie de vases est très présente dans les assemblages en contextes funéraires d’époque romaine, que ce soit à Hiérapolis187, Stratonicée188, Pergè189 ou encore à Chypre190, à Jablé191 et dans de nombreux sites de Syrie192 ou à Corinthe193. En Commagène, la nécropole de Perrhè a livré un grand nombre de ces vases194. Ces fioles qui apparaissent à peu près dans toutes les tombes et se ressemblent, sans varier en fonction du sexe ou du statut social du défunt, semblent avoir plutôt une valeur générale à l’époque romaine et permettre avant tout aux proches de montrer qu’ils se sont acquittés de leurs devoirs envers le défunt et de se sentir proches les uns des autres195. Il est impossible de s’appuyer sur l’état de conservation de ces vases en verre pour comprendre l’utilisation qui en était faite. En revanche, plusieurs exemplaires bien conservés contenaient encore des résidus organiques qui ont été analysés196. Ils montrent que certains de ces vases étaient mis dans la tombe sans que leur contenu ait été répandu avant les funérailles, lors de la toilette mortuaire ou au moment des funérailles sur la dépouille. Peut‑être ces vases contribuaient‑ils à remplir l’atmosphère de la tombe de parfums, par exemple à base de cire d’abeille et de poix de conifère comme l’ont montré les analyses en particulier du contenu de T16.149. Il a été proposé que les unguentaria en verre, plus fragiles, étaient placés majoritairement à proximité de la dépouille et non dans l’espace commun dans les tombes à chambre197. Dans les tombes d’Apamée, il est difficile de travailler sur la répartition spatiale de ces vases, en particulier pour la phase III. Cependant, les exemplaires T16.149 et T16.151, qui proviennent d’un loculus à peu près intact, pourraient confirmer cela.

Les lampes à huile

78Dans les tombes autour d’Apamée, les lampes font leur apparition lors de la phase III. L’introduction de ces objets parmi les offrandes funéraires est difficile à dater précisément puisque l’on ne dispose d’aucune tombe entre le début du i^er s. av. J.‑C. et, au mieux, la seconde moitié du i^er s. ap. J.‑C. ou le ii^e s. Cependant, les fragments T16.24‑25 permettent de supposer que cette habitude avait été introduite, au plus tard, dès la fin du i^er s. ou le début du ii^e s. Comme le reste du matériel de cette phase III, les lampes sont rares à Apamée et fragmentaires. Cependant, leur présence ne fait aucun doute dans la tombe T16 (T16.24‑26, T16.117, T16.147). Parmi ces fragments, T16.147 a été trouvé dans le loculus 9 qui a été conservé à peu près intact. On aurait donc une lampe mise au côté du corps. Cela dit, beaucoup d’entre elles devaient être disposées plutôt sur le sol de la chambre commune. En effet, dans les phases postérieures, on verra que les lampes sont absentes des tombes à fosse ou à caveau, alors qu’elles sont très fréquentes dans les tombes à chambre ; autrement dit, le défunt ne doit pas absolument être accompagné d’une ou de plusieurs lampes. En revanche, les lampes sont utilisées plutôt lors des cérémonies et peut‑être à l’extérieur des tombes, pour évoquer l’âme du mort. En tout cas, l’apparition des lampes en contextes funéraires constitue un changement considérable du rituel dans les espaces funéraires autour d’Apamée : les lampes jouent dorénavant un rôle important, peut‑être dès l’exposition du corps jusqu’à l’inhumation et les cérémonies de commémoration.

79Il faut dire que sur certains sites, les lampes apparaissaient en contextes funéraires depuis déjà longtemps. À Jablé ou à Chypre par exemple, dès l’époque hellénistique, on trouve des lampes associées à des unguentaria198 et cette association se poursuit à l’époque romaine. À Chypre, le changement de rituel funéraire est aussi perceptible. Les lampes en contextes funéraires deviennent très présentes à partir de la fin de l’époque hellénistique et du début de l’époque romaine199, quand les exemplaires moulés font leur apparition. De même, à Pessinonte, les lampes sont nombreuses dans la nécropole dès le i^er s. ap. J.‑C.200, tout comme à Parion, près de Troie201, à Hiérapolis202 et plus au sud, à Jablé203 et de façon générale en Syrie204, pour l’époque romaine. Le dépôt de lampes dans les tombes est alors une des pratiques les plus répandues205. À Corinthe, les lampes apparaissent tôt, dès le iii^e s. av. J.‑C.206 et elles continuent à être utilisées en contextes funéraires pendant toute l’époque romaine, comme à Kenchreai207. Les exemples de lampes attribuables à la phase III ne sont pas suffisamment nombreux pour que l’on puisse travailler sur leur répartition spatiale ou leur état lorsqu’ils ont été déposés dans les tombes. Ainsi, le statut et l’utilisation des lampes dans les tombes autour d’Apamée ne pourront pas être déterminés dès cette phase. Il est difficile de préciser à quel moment du cérémonial elles correspondent. De même, leur aspect très fragmentaire ne permet pas de préciser si elles ont été utilisées avant d’être déposées dans la tombe.

80La valeur symbolique de ces objets a souvent été soulignée208 et peut varier, sans aucun doute, d’une région à l’autre et d’une époque à l’autre. Les lampes peuvent signifier, par la lumière qu’elles représentent, qu’elles protègent les vivants des démons pendant les funérailles, ou encore le défunt pendant son voyage dans l’au‑delà. Elles sont fréquemment associées aux rites de passage, plus généralement dès le monde grec classique, et ces liens se poursuivent à l’époque romaine, y compris à Rome même209. Elles peuvent aussi, quand elles sont en position fonctionnelle, symboliser l’esprit du défunt, comme flamme de vie sur le point de s’éteindre ; la lampe éteinte peut également évoquer le défunt, éteint et sans vie, qui a définitivement quitté ce monde. Enfin, les lampes peuvent évidemment avoir une utilité immédiate dans les tombes à chambre très sombres. L’habitude de mettre des lampes dans les tombes est prise, à Apamée, sans doute à partir du Haut‑Empire, et elle continuera à être respectée très longtemps, jusqu’à l’époque byzantine210, voire au‑delà.

81L’association au Haut‑Empire entre unguentaria et lampes dans les tombes a souvent été constatée en Occident et est interprétée comme un indicateur important d’acculturation et de romanisation211. Le sens est‑il le même à Apamée ? Étant donné le contexte historique de la rive gauche de l’Euphrate au moment où ces changements se produisent dans les pratiques funéraires, ces constatations sont tout à fait remarquables. On sait en effet que l’Euphrate fait fonction de frontière jusqu’à la fin du ii^e s.212 et qu’Apamée se trouve en zone parthe213, même si la principauté des Abgarides, autour d’Édesse, constitue un relais pour les Romains dans la région ; à part lors d’épisodes très limités, comme l’expédition parthique de Trajan entre 112‑117 et ses conséquences immédiates214, il faut attendre l’épisode de Pescennius Niger et les différentes péripéties qui s’ensuivent entre 193 et 198, pour que la rive gauche de l’Euphrate soit véritablement sous contrôle romain. Cependant, si l’on accepte de considérer que l’assemblage de la tombe T16 correspond bien à un contexte cohérent, il se pourrait que dès les i^er‑ii^e s., des habitudes nouvelles aient été introduites autour d’Apamée. Le voisinage du site de Zeugma qui était, dès cette époque, marqué par la présence romaine et les relations probables entre les habitants des deux rives du fleuve, a certainement joué un rôle plus important que les péripéties historiques. Certes, le fait qu’un seul assemblage, dans T16, puisse être pris en considération, interdit toute conclusion véritable215. Pourtant, on voit aussi dans le domaine de l’architecture une évolution parallèle entre les deux rives de l’Euphrate, avec l’émergence de formes architecturales comme les arcosolia qui paraissent, de façon paradoxale, marquer une résurgence des traditions régionales, tandis que les pratiques funéraires semblent caractérisées par une forme plus « universelle » et minimaliste. Le matériel de la phase IV, plus abondant, avec des contextes parfois plus préservés, permettra d’avancer dans cette réflexion.

L’époque romaine tardive : 2^de moitié du iii^e‑1^re moitié du v^e s. (phase IV)

82La phase IV est une période de forte occupation des espaces funéraires (fig. 13). C’est le moment où le plus grand nombre de tombes fonctionne. Cette phase se caractérise donc par un matériel assez abondant, même si des réoccupations postérieures ont pu en enlever une partie. Nous avons cependant la possibilité de définir des assemblages récurrents et significatifs qui se situent souvent dans la continuité des quelques traces perceptibles lors de la phase précédente. Ces assemblages sont parfois d’autant plus fiables que des tombes ont été définitivement fermées lors de cette phase et semblent ne pas avoir connu de pillage ultérieur.

La gestion et le traitement des corps

83Si l’inhumation est toujours la seule pratique attestée, cependant, le traitement des corps varie selon l’architecture de la tombe, qui offre plus de variété que lors de la phase précédente. Cette caractéristique est d’ailleurs probablement l’effet du hasard des découvertes et du nombre de tombes mises au jour. La pratique consistant à déposer le corps sur un lit funéraire se fait toujours en général, dans les tombes à chambre et arcosolia, selon les mêmes modalités que lors de la phase III216. Cependant, la diversité des pratiques attestées lors de cette phase conduit aussi à utiliser des sarcophages ou des coffres, peut‑être entièrement ou partiellement en bois, dans la tombe à chambre T2 et à réutiliser des loculi dans la tombe T16. Finalement, des inhumations dans des caveaux ont lieu, peut‑être directement, sans l’usage de coffrages divers, puisqu’aucun clou n’y a été mis au jour.

84Des pratiques très différentes semblent donc avoir été en vigueur lors de cette phase. Des inhumations dans des tombes à chambre, mais aussi des inhumations simples individuelles (T13) et collectives (T12 ou T15 [?]) sont attestées au cours de la phase IV : ces pratiques sont difficiles à étudier car beaucoup de tombes en usage pendant la phase IV ont fait l’objet de réoccupations plus tardives et de pillages qui ont complètement perturbé le matériel et les restes osseux. Cependant, il existe quelques tombes appartenant à cette phase, qui ont été ensuite abandonnées définitivement, de sorte qu’elles apportent des informations précieuses. C’est le cas pour les tombes T2, T5 [?], T10, T12 et T13, qui appartiennent à des types de tombes tout à fait différents, allant de la tombe à chambre (T2, T10) aux caveaux simples.

85Les tombes à chambre nous apprennent qu’elles accueillent en général un groupe (familial ?) restreint de sujets : ainsi, dans la tombe T2 qui dispose sans doute de deux emplacements, a‑t‑on mis au jour les restes de trois sujets, deux adultes et un immature. La tombe T5, de son côté, a pu faire l’objet seulement d’une réoccupation légère (un sujet ?) lors de la phase IV. La tombe T10 était conçue à l’origine pour abriter trois sujets, mais un seul individu, sans doute adulte, y a finalement été inhumé, en tout cas, lors de cette dernière phase de son fonctionnement. Autrement dit, il apparaît que ces tombes accueillent toujours un nombre limité de sujets, correspondant approximativement à la capacité de la tombe, même quand il peut y avoir réutilisation (tombe T5). Cette particularité semble pouvoir se situer dans le prolongement des pratiques antérieures, qui montrent un respect certain pour les défunts, allant sans doute de pair avec une population relativement peu nombreuse et donc une absence de pression importante sur les espaces funéraires, même si l’augmentation du nombre de tombes en activité peut être le signe d’une population en augmentation sur cette rive de l’Euphrate.

86Cependant, les tombes simples permettent de mieux cerner l’évolution des pratiques dans la gestion des corps. De façon générale, le matériel mis au jour dans les tombes à caveau tardives est plutôt rare. L’absence de clous permet de supposer qu’il n’y avait pas de cercueil en bois, même si cela laisse la possibilité qu’il y ait des assemblages de bois sans clous, et nous n’avons trouvé aucune trace de cercueil en terre cuite. Le défunt était mis directement dans le caveau ou la fosse, avec ou sans linceul.

87Le cas de la tombe T15 est peut‑être instructif des pratiques funéraires de cette époque. Cette tombe appartient à une typologie très rare217, pour laquelle les parallèles les plus probants dans la région datent de l’époque romaine tardive218 ; elle n’offre qu’un lit funéraire. Pourtant, trois sujets adultes différents et un immature y ont été retrouvés ; leurs ossements étaient regroupés sur ce lit. La volonté de laisser en place les restes paraît prédominer, sinon les os auraient été à tout le moins repoussés dans l’espace central du puits pour laisser la place, sur le lit, au dernier défunt. Le problème est de déterminer la date de creusement et d’utilisation de la tombe : étant donné sa situation et le matériel trouvé dans la tombe, elle a pu avoir été creusée lors de la phase I, même si la niche latérale a pu avoir été ajoutée dans un deuxième temps, lors d’une réutilisation, hypothèse retenue au départ par les fouilleurs219. La répartition spatiale des ossements, qui se trouvent tous dans cette niche, tendrait à montrer que les quatre défunts correspondent plutôt à une même phase et que les quatre inhumations furent rapprochées. Ainsi, cette tombe T15 pourrait‑elle être également attribuée à la phase I ou bien à la phase IV de fonctionnement des espaces funéraires d’Apamée. Si cette dernière hypothèse semble être la plus plausible d’un point de vue architectural, elle montre que les inhumations collectives d’adultes peuvent être alors pratiquées.

88De même, on peut se demander s’il n’existe pas une évolution en ce qui concerne les tombes d’enfants à cette époque, mais cela demanderait à être vérifié par des exemples plus nombreux : les habitudes ont peut‑être quelque peu changé et l’on accorderait dorénavant, parfois, à de jeunes enfants, une tombe individuelle (T13) dans des espaces funéraires occupés aussi par des adultes. Ainsi, la tombe T17 pourrait avoir été creusée spécialement pour un enfant, à une période difficile à déterminer, mais qui pourrait être une phase tardive de l’occupation des espaces funéraires autour d’Apamée, si l’on tient compte des caractéristiques architecturales du caveau. Les tombes d’enfants seraient alors parfois des tombes simples à fosse, à caveau ou à ciste (T12‑T13). Autour d’Apamée, le nombre de tombes, et en particulier de tombes simples datant de cette phase, n’est malheureusement pas suffisant pour confirmer cette hypothèse, mais cela recoupe une tendance perceptible sur de nombreux sites de cette époque, que ce soit à Gordion220 pour l’époque romaine, à Porsuk221 pour l’époque tardo‑antique (voire au‑delà), mais aussi à Chypre222 ou à Athènes223, entre autres. En même temps, il faut souligner que la tombe T13 se situe à proximité d’une tombe à chambre ayant fonctionné au même moment, de sorte que l’on peut se demander si cette tombe n’est pas un ajout effectué par manque de place dans la tombe à chambre T11. Autrement dit, ce jeune enfant aurait dû normalement être inhumé dans la tombe à chambre avec d’autres défunts, mais le manque de place disponible aurait obligé à creuser ce caveau près de l’entrée. Autour d’Apamée, lors des phases tardives de fonctionnement des espaces funéraires, la pratique de la mise en place de tombes individuelles ou de tombes simples collectives224 spécifiques pour les enfants semble avoir été parfois instaurée, même si on trouve aussi des enfants inhumés avec des adultes, en particulier dans les tombes à chambre225.

89La tombe T12 révèle un cas intéressant. Cette tombe à ciste contient les restes de trois sujets immatures et d’un périnatal et ne semble pas avoir subi de pillage, comme le montre le vase en verre intact trouvé à l’intérieur. Le périnatal qui semble être le mieux conservé pourrait avoir été le dernier sujet à avoir été inhumé. La longueur de la fosse (environ 1,10 m), d’autre part, semble montrer qu’elle a été creusée pour un enfant plus âgé. Le matériel découvert est homogène et peut être daté du iii^e ou du début du iv^e s. (phase IV). La richesse relative de cette tombe permet de supposer qu’elle n’a pas été pillée et que ces inhumations de jeunes enfants ne sont pas considérées comme négligeables, malgré l’architecture très modeste de la tombe et sa réutilisation à plusieurs reprises, sans doute à peu de temps d’intervalle, puisque quelques mois suffisent pour que la décomposition des corps permette de récupérer de la place dans une fosse ou un caveau. La similitude, en particulier des bracelets qui paraient ces enfants, suggère effectivement que ces inhumations ne sont guère distantes dans le temps. Peut‑être ces réoccupations ne doivent‑elles d’ailleurs pas être interprétées uniquement sous l’angle de l’économie d’effort. Il peut aussi s’agir de l’affirmation du lien familial qui unit ces enfants : les parents ont pu souhaiter réunir symboliquement les membres d’une même famille, et peut‑être d’une même fratrie, dans cette tombe. Cela pourrait aussi expliquer que les bijoux de chacun des enfants n’aient pas été récupérés. Cette tombe constitue donc un indice de l’investissement émotionnel accordé à ces inhumations de jeunes enfants, bien que leur architecture soit très simple et ce d’autant plus qu’il semble qu’en général, on ait évité de déplacer ou de relever les restes d’enfants226.

90Les tombes spécifiques d’immatures retrouvées autour d’Apamée sont rares, ce qui semblerait montrer que, étant donné l’importante mortalité des enfants, la plupart des restes d’enfants nous aient échappé. Ces tombes ne concernent que des enfants jusqu’à l’âge de 3 ans. L’échantillonnage très limité explique probablement cette particularité. D’ailleurs, dans la tombe T2, un immature d’âge indéterminé a été inhumé avec deux adultes dans une tombe à chambre. Il est difficile de déterminer comment expliquer ces différentes pratiques. La coexistence de ces différents modes de gestion des corps de jeunes enfants ne révélerait qu’une « variabilité des pratiques au sein de la société » liée ou non à l’origine sociale de la famille des défunts, à moins qu’il ne s’agisse, dans des établissements modestes, de pratiques mises en place pour pallier le manque de place dans certaines tombes à chambre. Il peut aussi s’agir de pratiques différentes en fonction de l’âge des immatures, comme on pourra mieux le percevoir lors de la phase V227. Autant de questions que nous n’avons pas les moyens de résoudre mais qui méritent d’être posées. En tout cas, dans un certain nombre de nécropoles, les immatures, et en particulier les enfants de moins de 3 ans, ont été inhumés dans des tombes spécialement creusées pour eux. C’est le cas, en Anatolie, du site de Gordion228, mais aussi de la tombe 163D de Hiérapolis de Phrygie229, et plus loin, du site de Sufetula (Sbeitla)230, du site de Douch231 ou encore de la nécropole de Gabbari à Alexandrie232, où les très jeunes défunts de plusieurs familles sont regroupés. Sur ces sites, on peut aussi observer que des bébés peuvent être inhumés aux côtés d’adultes, dans les tombes à chambre. La même variabilité semble donc de mise. Cependant, la présence de tombes conçues uniquement pour de jeunes enfants met aussi l’accent sur l’importance de ces défunts. Le mobilier associé à ces immatures est souvent constitué de bijoux, comme c’est le cas dans la tombe T12. Cette préférence apparaît également dans le mobilier des tombes romaines tardives d’enfants à Alexandrie233 et en Syrie234.

91Ainsi, aussi bien pour les adultes que pour les enfants, l’usage des inhumations collectives dans des tombes simples semble apparaître ou tout du moins se développer lors de la phase IV, tout comme les tombes spécifiques prévues pour des enfants. Cette tendance demanderait à être confirmée sur un nombre de tombes bien supérieur, mais elle pourrait montrer à la fois une évolution des liens entre adultes et jeunes enfants et aussi la nécessité, pour tous les défunts, de garder des liens étroits avec leurs proches, y compris dans la mort. Cette tendance semble s’affirmer lors de la phase IV, quand on peut détailler les pratiques funéraires. Il y aurait, de façon générale, une volonté de maintenir le cadre de vie du défunt, à la fois de façon symbolique, en maintenant les liens qui l’unissaient à ses proches, mais aussi en l’entourant d’objets qu’il aimait ou qui lui rappelaient ses proches. L’évolution est donc très nette par rapport à l’époque hellénistique où les tombes, plus impersonnelles, contenaient avant tout des objets symboliques, identiques d’une tombe à l’autre.

92Finalement, on ne peut préciser quels vêtements portaient les défunts lors de leur inhumation pendant la phase IV. La présence de bijoux, assez fréquente à cette époque235, semble cependant montrer que les morts étaient inhumés habillés et souvent parés des bijoux portés pendant leur vie236. La présence d’unguentaria ayant contenu des onguents et des huiles parfumées237 laisse à penser que ces produits étaient utilisés lors de la toilette du mort.

Architecture et déroulement des cérémonies

93Cette phase IV est caractérisée par une grande variété de l’architecture, voire même une grande souplesse : si, pour la construction de nouvelles tombes monumentales, on semble préférer les tombes à une seule chambre, cependant, même dans cette catégorie la variété est de mise, entre la tombe T2 (hypogée à chambre et à sarcophage construit peut‑être sous tumulus) et la tombe T8 (tombe rupestre à chambre unique et arcosolia). On se rend compte aussi que, quand il s’agit de réutilisation, là encore l’adaptation est privilégiée : quand il y a de la place, on ajoute des arcosolia ou des alcôves, sinon on réutilise des loculi (T16 par exemple). Dans les tombes à chambre, quelles que soient les nouveautés ou les modifications apportées, clairement, il s’agit d’utiliser tout l’espace disponible pour les inhumations. Il devient difficile de réserver une salle, l’antichambre, pour les cérémonies, même si la tombe T2, sans doute construite lors du début de la phase IV, montre encore un attachement au déroulement des cérémonies dans la tombe même : le vestibule allongé et probablement voûté qui précède la salle sépulcrale peut permettre de suggérer qu’une partie des cérémonies se déroulait dans cet espace limité, il devait donc s’agir de la partie familiale des funérailles ; en même temps, sa forme tendrait à montrer que cette pièce était utilisée pour abriter un lit funéraire lors de l’exposition du mort précédant les funérailles, à moins qu’elle n’ait été destinée à recevoir des dépôts votifs, ce qui pose aussi la question de la hiérarchie des dépôts entre vestibule et salle sépulcrale238. Mais il s’agit d’une tombe privilégiée qui ne peut témoigner pour l’ensemble des structures funéraires. En effet, l’antichambre de la plupart des tombes à chambre (T1 et T3 par exemple) paraît être de plus en plus investie par des inhumations sur lits funéraires. De même, à cette époque, on peut remarquer le nombre de caveaux qui a été creusé et également peut‑être leur diversité, même si le hasard des découvertes joue certainement un rôle important. Ainsi, les tombes T12 et peut‑être T34 sont des tombes à ciste en tuiles, T6 est un simple caveau et T13 est une tombe à ciste construite avec des dalles de calcaire.

94Cette diversité, ainsi que ce choix d’optimiser l’espace dans les tombes à chambre peuvent être dus à la pression démographique qui paraît relativement importante à cette époque à Apamée et peut être associée à l’abandon partiel du site de Zeugma après sa destruction du milieu du iii^e s.239. L’évolution de l’architecture des tombes à chambre a sans doute impacté le déroulement des funérailles et des cérémonies commémoratives qui privilégieraient, dorénavant, les manifestations à l’extérieur de la tombe, évitant ainsi le plus possible toute promiscuité avec les défunts qui occupent dorénavant l’antichambre, quand il y en a une, et ce d’autant qu’ils reposent le plus souvent sur les lits funéraires sans couverture véritablement fixe et occultante240. Ce même type de fonctionnement a d’ailleurs été suggéré pour les tombes à chambre de Hiérapolis241. Il s’agirait donc d’une rupture assez nette avec le cérémonial antérieur, qui tendrait à établir une plus grande dichotomie entre les espaces réservés aux défunts et le monde des vivants. Il se peut donc que cette évolution architecturale qui voit, soit des lits funéraires occuper l’antichambre, soit la tombe ne comporter qu’une seule pièce, aille de pair avec une évolution de la fréquentation de la tombe : celle‑ci pourrait n’être plus ouverte qu’à l’occasion d’une nouvelle inhumation ; les cérémonies de commémoration n’ont plus lieu dans l’antichambre, à proximité des défunts, mais à l’extérieur de la tombe qui n’est donc ouverte que plus rarement. Ces changements sont peut‑être aussi révélateurs d’une conception nouvelle de la place du corps dans les pratiques funéraires, qu’il faudrait mettre sur le compte de l’apparition du christianisme au iv^e s. dans la région. Selon Origène, dès le iii^e s., le corps de chair, tel qu’il est, ne ressuscitera pas242. Au iv^e s., de même, Grégoire de Nysse ne voit pas la continuation de la personne dans la présence du corps. Ainsi, peut‑être faudrait‑il intégrer ces changements de cérémonial à une modification de la conception des rapports entre l’âme et le corps des défunts.

Les assemblages habituels

Les vases de consommation alimentaire

95La vaisselle utilisée lors de la phase IV semble prolonger et confirmer partiellement, par sa composition, les rares éléments que nous avons associés à la phase III243. Cependant, de façon générale, elle paraît peu nombreuse dans ces tombes, tout comme d’ailleurs à Gordion244. On peut noter que les vases de consommation des aliments solides ou liquides ont complètement disparu, au profit des amphores qui font leur apparition en nombre significatif, ainsi que les vases en verre.

96Pour comprendre ces évolutions, il faudrait pouvoir comparer le matériel des tombes avec celui de l’habitat, ce qui est impossible pour Apamée. En revanche, si l’on considère les (rares) niveaux d’occupation du iv^e s. et du début du v^e s. dont on dispose à Zeugma245, on peut considérer que l’évolution du matériel des tombes correspond moins à une évolution des pratiques funéraires, et donc à une sélection propre aux contextes, qu’à une évolution générale de la vaisselle à cette époque.

97En ce qui concerne la disparition des vases de consommation alimentaire, la même tendance a pu être observée en contextes d’habitat, et ce dès le iii^e s.246. Autrement dit, cette absence peut s’expliquer par des modifications de l’approvisionnement en vaisselle de table. Cependant, on peut également remarquer l’absence, dans les tombes d’Apamée, des grands bassins247, qui sont parfois considérés comme des vases de consommation alimentaire collective et/ou de préparation culinaire, qui étaient d’ailleurs déjà connus dès le i^er s. ap. J.‑C.248 et déjà absents des contextes funéraires. Le matériel de consommation alimentaire (en tout cas en matériau non périssable) semble avoir fait l’objet d’une sélection très rigoureuse par rapport aux contextes d’habitat. La préparation et la consommation d’aliments dans les tombes paraissent difficiles à imaginer, au vu du matériel. De même, l’archéozoologie ne peut guère nous donner qu’un aperçu de l’éventuelle consommation carnée. Pourtant, dans les tombes autour d’Apamée qui n’ont plus été utilisées au‑delà de la phase IV (tombes T2, T10), on peut remarquer la quasi‑absence de restes d’espèces communément consommées, contrairement à ce qui a été observé à Shash Hamdan249. Donc, de manière peu surprenante, étant donné le fonctionnement des tombes à chambre que l’on peut imaginer, la tenue de banquets funéraires paraît peu probable dans les tombes rupestres d’Apamée, ce qui n’exclut cependant pas l’usage d’aliments solides ou liquides dans les rituels, comme nous le verrons à propos des autres catégories de vases.

Les vases de stockage

98La présence d’amphores, et en particulier d’amphores à décor peigné de type 1, doit être soulignée. Elles ne représentent qu’une petite proportion du total du matériel de la phase IV (tabl. 9)250, mais elles apparaissent régulièrement : on peut noter que, comme les lampes, elles sont toujours absentes des tombes simples, ce qui montrerait qu’elles sont surtout associées au déroulement des funérailles, peut‑être de quelques commémorations et/ou à des tombes d’adultes. Si l’on considère les tombes à chambre, ces amphores sont présentes assez régulièrement, mais toujours en petit nombre, un exemplaire (parfois deux), qui va parfois de pair (tombes T1 et T16) avec une jarre de stockage destinée plutôt aux produits solides : ces deux types de vases seraient donc complémentaires. Ces amphores et ces jarres sont nombreuses en contextes d’habitat dès le iii^e s.251 et sans doute au‑delà. Ces vases n’ont donc pas été fabriqués spécialement pour la réalisation de gestes du funéraire. D’autre part, aucune trace de réutilisation de ces vases, comme réceptacle funéraire ou comme couverture ou marqueur de tombe, n’est attestée à Apamée.

99Donc, la présence de ces amphores et de ces jarres dans des tombes d’époque romaine tardive peut s’expliquer à la fois par leur nombre croissant dans les maisons et par une certaine continuité de leur utilisation lors des cérémonies des funérailles, qui comprenaient des aspersions de la dépouille avec du vin, de l’huile ou des onguents comme l’indiquent les textes252 ou des libations ou offrandes de liquides principalement253, mais aussi de céréales comme des grains de blé254 ou d’orge255, effectuées à l’occasion de visites faites à la tombe, si du moins on suppose que les proches pénètrent de nouveau dans les tombes à chambre après les funérailles, pendant cette phase. Certes, on peut s’étonner de la quantité relativement importante de liquide (vin ? eau ? lait ? miel ?256) qui serait déversée s’il ne s’agissait que de libations : au nom de cette vraisemblance, on a pu refuser aux amphores le moindre rôle dans les rituels funéraires257. Cependant, à la lumière des fouilles d’habitat, on voit que, dans la région, ce type de contenants, qui d’ailleurs a une capacité relativement limitée, est quasiment le seul, de production régionale, qui permette à la fois le transport de liquide et son service ; les vases fermés de plus petites dimensions n’existent guère sur les tables de la région à cette époque258. L’étude du matériel de la phase V montre que les amphores régionales peintes occupent aussi une place dans le matériel funéraire de cette phase259, probablement en continuité avec la phase IV. Le rôle réel de ces amphores est difficile à démêler précisément et peut donc être multiple : ont‑elles été utilisées pour contenir les liquides d’aspersion de la dépouille, des libations ou des offrandes liquides ? Leur contenu a‑t‑il été partiellement bu à l’occasion des cérémonies de funérailles, puis le liquide restant a‑t‑il été partagé avec le défunt ? Servent‑elles de réserve alimentaire pour le défunt ? Sont‑elles utilisées pour signaler et individualiser chaque inhumation, comme signe, symbole et souvenir du défunt260 ? Enfin, on peut aussi évoquer le nettoyage des lieux et les nécessaires purifications après le déroulement des cérémonies.

100Les vases à cuire, qui accompagnent constamment ces amphores dans les contextes funéraires de la phase IV, apportent quelques éléments supplémentaires.

Les vases à cuire

101Les vases à cuire constituent la catégorie la plus importante des vases en céramique et une part sensible du matériel des tombes en représentant environ 15 % de l’ensemble du matériel de cette phase et près des trois‑quarts de la vaisselle en terre cuite. Rappelons que les vases à cuire étaient apparus dans les tombes autour d’Apamée, sans doute au cours de la phase III261.

102Les vases à cuire que l’on peut associer à la phase IV de fonctionnement des tombes sont présents quasi systématiquement dans toutes les tombes ayant fonctionné lors de cette phase, à l’exception de la tombe T5. Le nombre de vases à cuire associés à une tombe varie de 1 à 6 NMI. Ces vases à cuire peuvent logiquement être associés à la préparation des repas funéraires et des offrandes alimentaires au défunt. Les tombes autour d’Apamée ne permettent guère de préciser si la majorité de ces vases provient de l’intérieur des cuves ou des espaces centraux et extérieurs, autrement dit, lors de quelles phases des cérémonies ces vases étaient utilisés. Cependant, il est certain que leur usage ne se limite pas aux cérémonies commémoratives, d’autant que celles‑ci, lors de la phase IV, doivent plutôt se dérouler à l’extérieur de la tombe à chambre262. En effet, la tombe T12, une tombe simple qui a dû contenir les dépouilles de quatre enfants, a permis de mettre au jour deux vases à cuire différents à l’intérieur de la fosse263. Il semble donc qu’à un individu corresponde au maximum un ou deux vase(s) à cuire qui a (ont) été mis en terre en même temps que le défunt, lors des funérailles (T12.2‑4). S’agit‑il d’une offrande faite par une famille pauvre qui ne disposerait que de ce type de vases264 ? L’état fragmentaire de ces vases peut s’expliquer par la réouverture de la tombe lors des dernières inhumations, tout comme il peut aussi témoigner d’un bris volontaire de ces vases utilisés lors d’un repas autour de la tombe avant la mise en terre265.

103On peut remarquer que la typologie de ces vases à cuire est plus limitée que ce que l’on trouve dans l’habitat de Zeugma à la même période266, puisque les pots sont quasiment les seuls vases à cuire représentés (formes 4.1 et 4.2) et que les plats à four et les casseroles sont absents. D’autre part, la typologie des vases trouvés à l’extérieur des tombes est identique à celle des vases trouvés à l’intérieur. Cette homogénéité et cette sélection des formes pourraient aussi être un argument en faveur de l’utilisation des vases à cuire dans les cérémonies de commémoration, puisque certains d’entre eux peuvent se trouver à l’extérieur de tombes à ciste (T12.1, T13.1‑2). Les vases à cuire attestés sur ces tombes (un pot de type 4.2 pour T12, deux pots de type 4.2 pour T13) peuvent être liés à des repas pris sur la tombe, à des offrandes de nourriture ou à une contamination liée au pillage et passages divers dans la tombe T11 toute proche.

104Pour les tombes à chambre rupestres, il est plus difficile de préciser le moment où les vases à cuire ont été utilisés. La plupart ont été trouvés à l’intérieur des tombes rupestres, dans les espaces centraux, où ils ont souvent pu être déplacés lors des réutilisations ou pillages : dans ce cas, il est impossible de préciser si ces vases correspondent à des offrandes effectuées lors des funérailles ou lors d’éventuelles visites ultérieures, bien que celles‑ci puissent avoir été rares lors de cette phase267. Il est également impossible de déterminer si ces vases étaient déposés dans la cuve elle‑même contre le mort ou bien dans l’espace central pour les tombes à chambre.

105Une première hypothèse sur la fonction de ces vases à cuire peut être éliminée à la lumière des vestiges archéologiques : contrairement à ce que l’on observe fréquemment, ces vases à cuire ne paraissent pas pouvoir avoir servi d’urne cinéraire268. L’inhumation paraît être une constante à Apamée comme dans la région269, quelle que soit la phase considérée. Nous avons déjà évoqué l’apparition de ce type de vases en contextes funéraires, sans doute lors de la phase III270. Là encore, si leur apparition montre un changement dans les pratiques funéraires, leur quantité importante est aussi le reflet de la situation que l’on trouve en contextes d’habitat271. Les vases à cuire en brittle ware sont très fréquents dans les contextes domestiques car ils sont fragiles ; ils se cassent facilement et doivent donc être fréquemment remplacés. D’autre part, la présence de vases à cuire en contextes funéraires de l’époque romaine tardive est bien attestée, que ce soit en Grèce272, souvent accompagnés d’une lampe à Corinthe273, à Chypre274 ou encore peut‑être en Syrie, même si dans cette région les données ne sont pas encore claires275.

106Les vases mis au jour dans les espaces funéraires autour d’Apamée sont en général très fragmentaires276 ; il est donc difficile de repérer les traces d’utilisation ; trois vases à cuire (T1.28, T2.15 et T11.72) portent cependant des traces de leur passage sur le feu. S’agit‑il de vases qui ont été utilisés en contextes domestiques avant d’être offerts dans le cadre d’un rituel funéraire ? Ou bien s’agit‑il de vases uniquement destinés à préparer et à consommer un repas funéraire ou à consacrer une offrande sur une tombe ? Rien ne permet de le dire. Il se pourrait cependant que certains d’entre eux aient été intentionnellement brisés277. D’autre part, l’étude des dimensions de ces vases ne révèle aucune sélection particulière en fonction de leur taille278 : l’ensemble des diamètres d’ouverture de ces vases correspond aux diamètres des vases mis au jour en contextes d’habitat, à Zeugma279. Si des fragments d’objets parfois interprétés comme des fourneaux ont été trouvés (T9.18, T11.49 et T11.93), ils semblent correspondre à des niveaux plus tardifs d’occupation des tombes, d’autre part, leur fonction prête à discussion280 ; enfin, aucune trace de foyer n’a été vue à l’intérieur des tombes rupestres. Ainsi, ces remarques, de même que l’absence des grands bassins caractéristiques des contextes domestiques281, sembleraient montrer que l’on ne pratiquait pas la cuisine dans les tombes et que, peut‑être, si ces grands bassins servaient effectivement à la consommation collective des repas, l’on ne prenait pas non plus de repas auprès des tombes lors des cérémonies de funérailles ou de commémorations. Malgré l’état fragmentaire de beaucoup de ces vases, un exemplaire nous montre en tout cas qu’il contenait des restes probablement alimentaires. Il s’agit du vase à cuire T8.7, que l’on ne peut pas attribuer à une phase précise, mais qui peut dater de la phase IV. Les vases à cuire auraient donc contenu des aliments préparés ailleurs (à la maison ?), qui auraient peut‑être été partagés par les participants aux funérailles ou simplement, et avec plus de vraisemblance étant donné le matériel céramique associé, déposés tels quels dans les tombes, au moment des funérailles, soit pour assurer l’alimentation des morts post mortem, soit en souvenir d’un banquet funéraire ayant eu lieu ailleurs, soit en souvenir des cérémonies de funérailles et en partage d’un plat entre les vivants et le défunt282. Malheureusement, nous n’avons pas pu faire analyser ces restes. D’autre part, ces aliments solides et cuits sont probablement plutôt des bouillies de légumineuses ou de céréales283, car les os d’animaux présents dans les tombes ne paraissent pas correspondre à une consommation carnée : ils sont rares et n’appartiennent quasi exclusivement qu’à des espèces sauvages (mustélidés, lièvres). Le pot à cuire, qui est quasiment la seule forme repérée, se prête bien à la cuisson des légumineuses et/ou des céréales qui nécessitent une cuisson lente, sans perte de liquide284. Ces vases à cuire pourraient aussi servir de simples conteneurs pour des offrandes alimentaires, à une période où les assiettes ou les bols en céramique commune ont complètement disparu285. Certes, on peut remarquer que, dans d’autres régions à des périodes un peu différentes, on trouve vases à cuire et plats, assiettes ou bols286, associés dans le matériel d’une même tombe, ce qui pourrait montrer que les vases à cuire ont alors peut‑être une fonction spécifique ou correspondent à des offrandes alimentaires particulières (aliments cuisinés ?). À Apamée, lors de la phase IV, rien d’une telle complémentarité n’a pu être observé, y compris quand on prend en compte les vases en verre287.

107Très rares sont les vases à cuire (et les amphores) découverts à l’extérieur des tombes et pouvant être attribués à la phase IV. Seuls T11.11‑12 et T12.1 répondent à ces critères. Il est donc impossible de déterminer les raisons de leur emplacement, et en particulier s’ils ont été déplacés par des pillards ou s’ils sont plus ou moins in situ et s’ils correspondent à des gestes du funéraire liés à des cérémonies commémoratives se déroulant à l’extérieur de la tombe. Cependant, le matériel de la phase V, plus fréquent à l’extérieur, apporte plus d’informations sur le sujet288.

108Enfin, il est peut‑être possible de proposer une corrélation entre inhumation d’enfants et vaisselle culinaire. Dans la tombe T12, la vaisselle céramique n’est représentée que par des vases de cuisson. Ni lampe, ni amphore ne viennent compléter le matériel. Les vases culinaires sont associés à un riche mobilier : flacon en verre, bracelets en fer et en bronze. De même, dans la tombe T16, où cinq enfants ont été inhumés, nous trouvons une majorité de vases de cuisson (correspondant à 61 % de la vaisselle céramique). La fonction symbolique des vases de cuisson dans ces tombes où plusieurs enfants sont inhumés, si elle existe, est pour l’instant difficile à interpréter, comme le remarque déjà M. Tuffreau‑Libre à propos du matériel de la nécropole de Porta Nocera à Pompéi289.

109Ces vases fragmentaires ont‑ils, d’autre part, subi un bris rituel ? La plupart des vases mis au jour dans les nécropoles sont fragmentaires, voire très fragmentaires, ce qui peut s’expliquer aussi par la fragilité des brittle ware qui constituent la majorité de ces vases à cuire. Pourtant, le bris de vase au moment des funérailles est une pratique bien attestée dans le monde grec, et qui se poursuit à l’époque byzantine. J.L. Rife le rappelle à propos du mobilier des tombes romaines et byzantines fouillées à l’Isthme de Corinthe290, tout en précisant que la signification de cette pratique reste difficile à comprendre. Il propose d’y voir le symbole de la dissolution du corps physique du défunt ou une volonté de rendre inutilisables les vases dont on s’est servi pendant les funérailles. Il note la présence d’un pot à cuire dans une tombe d’enfants, datée de la fin du vi^e ou du début du vii^e s.291, et considère que celui‑ci a été brisé intentionnellement avant d’être placé dans la sépulture avec la terre de remplissage.

110Il apparaît donc qu’à l’époque romaine tardive, aucun type de vases, aucune dimension de vases en terre cuite n’est destinée plus particulièrement aux rituels funéraires292. On utilise la même vaisselle que dans l’habitat, avec cependant une sélection qui élimine les grands bassins pour privilégier les pots à cuire et les amphores, qui sont aussi les formes prédominantes de la céramique commune dans l’habitat de cette époque. Les offrandes alimentaires, sans doute accompagnées de libations, dont on garde la trace à l’intérieur des tombes (caveaux, tombes à fosse ou à chambre), sont faites au moment des funérailles, tandis qu’après les funérailles ou lors des cérémonies commémoratives on allie peut‑être libations et offrandes alimentaires, mais à l’extérieur des tombes, y compris des tombes à chambre. Dès lors, les traces de ces cérémonies nous échappent en grande partie.

111Finalement, le petit nombre de vases retrouvés dans ces tombes ne nous permet guère d’entrevoir le mode de gestion des tombes ; cependant, les réoccupations et les pillages qui eurent lieu ont sans doute davantage cassé que fait disparaître ces vases sans valeur. Le fait que les tombes à chambre étaient sans doute fermées entre deux inhumations à cette époque empêche les dépôts importants de matériel et explique le nombre limité de vases mis au jour dans ces tombes.

Les vases en verre

112Lors de la phase IV, la présence de vases en verre vient compléter le matériel des tombes et notre perception des pratiques funéraires, même s’il est souvent difficile d’apprécier l’importance relative de ces artefacts qui semblent présents dans une tombe sur deux en moyenne (tabl. 9)293. Cependant, la fragilité du matériau peut conduire à sous‑estimer leur présence dans les tombes. Déjà lors de la phase III, nous avions pu constater294 que les unguentaria en terre cuite de l’époque hellénistique pouvaient être remplacés par des bouteilles en verre. Cette évolution du matériel se confirme lors de la phase IV. Les fragments en verre sont plus nombreux et surtout de formes plus variées. Cependant, ils ne modifient guère la composition générale des vases trouvés dans les tombes et pouvant être associés à la phase IV. En effet, les fragments de vases en verre, qui représentent environ 15 % de l’ensemble du matériel des tombes, n’appartiennent que rarement à de la vaisselle de table : on ne trouve, dans les tombes d’Apamée, que trois fonds de bol ou de gobelet (T1.157, T8.12 et T8.365) et deux fragments de petite cruche en verre (T4.13 et T8.366), pouvant éventuellement être associés à la phase IV. Les autres vases en verre sont surtout des flacons, de petites bouteilles, des unguentaria et des pots qui pourraient avoir contenu des huiles parfumées et des onguents. Ces vases sont donc avant tout liés aux soins accordés au corps avant et pendant les funérailles et témoignent de la continuité des pratiques dans ce domaine depuis l’époque hellénistique, même si les vases conteneurs ont changé. La présence de ces vases à parfum ou onguent en verre n’est pas systématique dans les tombes autour d’Apamée et ne semble donc pas être un objet accompagnant obligatoirement le défunt au cours de la phase IV. D’ailleurs, à Corinthe, l’usage des unguentaria semble cesser dès le ii^e s. ap. J.‑C. pour reprendre peut‑être vers la fin du iv^e s.295. Cependant, il se peut aussi que l’absence d’unguentaria dans les tombes puisse s’expliquer autrement : dans certains cas, on remportait peut‑être ces fioles après les funérailles au lieu de les laisser dans la tombe. La tombe T12, une tombe d’enfants à ciste, nous montre qu’un flacon en verre a été mis entier dans la fosse, sans avoir été brisé ; sans doute était‑il rempli d’huile parfumée au moment de son dépôt. Cette pratique apparaissait aussi à l’époque hellénistique296, en tout cas dans les tombes les plus riches. Le caractère relativement précieux de ce type de dépôts funéraires paraît être d’autant plus sensible à l’époque romaine que le nombre général d’objets déposés dans les tombes tend alors à diminuer297 ; en effet, le flacon en question (T12.15) est particulièrement élaboré et il se trouve dans une des rares tombes dans lesquelles des bijoux ont aussi été mis au jour.

113D’autre part, la tombe T16 qui fournit plusieurs exemplaires de flacons de verre permet d’aller plus loin dans l’étude de ce type de dépôts. Certains exemplaires ont été trouvés dans la salle sépulcrale (T16.63‑64, T16.68), tandis que d’autres ont été mis au jour à l’intérieur d’un loculus. Certes, ceux qui proviennent de l’espace central peuvent fort bien avoir été déplacés. Mais on sait aussi, à partir d’autres sites comme Corinthe298 par exemple, que des unguentaria ont été trouvés sur la couverture de tombes, montrant ainsi que juste après les funérailles, on versait une dernière libation sur la tombe qui venait d’être refermée. On ne peut exclure cette utilisation pour certains des unguentaria trouvés à l’extérieur des loculi de la tombe T16, bien que l’architecture des loculi rende cette pratique difficile. On peut aussi imaginer que ces unguentaria servaient à répandre une libation sur le corps ou à oindre le corps d’un produit parfumé juste avant de le placer dans le loculus. Plusieurs exemplaires d’unguentaria bien conservés avaient gardé des dépôts organiques noirâtres (T16.63‑64, T16.68, T16.125, T16.149‑150) qui ont pu être analysés299 ; ces flacons avaient contenu divers produits à base de matière grasse animale, aromatisée avec de la poix de conifère ou plus rarement de la résine. Cela confirme de façon générale que l’usage du contenu de ces vases est sans doute lié à la toilette. Ils devaient contenir un produit assez liquide pour pouvoir s’écouler par le col étroit du vase, comme un lait ou une huile parfumée. Il apparaît que la composition du contenu des unguentaria trouvés à l’extérieur est différente de ce que contenaient les vases trouvés à l’intérieur des loculi. De plus, la paroi extérieure d’un de ces flacons (T16.125), retrouvé probablement in situ dans le loculus 8, révèle les traces d’un produit laitier, comportant un peu d’huile végétale, le tout parfumé de poix de conifère. Ce produit est différent de celui que contenait le vase. On peut dès lors se demander, à la suite de N. Garnier, s’il s’agirait là de traces de libation ou d’onction du corps, qui auraient coulé le long de la paroi du flacon T16.125, placé au contact du corps, alors qu’il contenait plutôt une huile parfumée300. Et cette libation ou cette onction aurait‑elle pu être faite à l’aide d’un unguentarium tel que T16.64, qui contenait aussi un produit laitier, avant qu’on ne l’abandonne sur le sol de l’espace central ? Cette tombe montre aussi que certains de ces flacons (T16.125, T16.149‑150) avaient été déposés avec leur contenu à l’intérieur d’une tombe, au contact du corps, dans les loculi 8 et 9, ce dernier en particulier ne semblant guère avoir été perturbé. Dans le loculus 9, trois unguentaria différents ont été déposés près du corps. L’analyse du contenu de deux d’entre eux301 montre des produits proches : ce n’est donc pas parce qu’ils contenaient des produits de natures différentes qu’ils ont été mis tous les deux dans la tombe302. Ils peuvent aussi peut‑être rendre compte des proches qui ont assisté aux funérailles et estimé nécessaire le dépôt de ces petites bouteilles en souvenir de leurs liens respectifs avec le défunt. Ces vases à parfum, contenant encore du produit, pouvaient aussi, accessoirement, avoir servi à masquer les odeurs puissantes qui pouvaient régner dans les tombes.

Les lampes à huile

114De façon générale, au cours de l’époque romaine tardive, la plus grande part du matériel des tombes est constituée par les lampes qui forment plus de 60 % de l’ensemble des artefacts de cette période. Il s’agit toujours des deux mêmes types de lampes, les types 4a (33 NMI) et 4b (21 NMI) [tabl. 9‑11]303. La cohérence de ce matériel et sa quantité assurent la pertinence des conclusions qui pourront être tirées de l’étude de ce matériel.

115Ce type de lampes avec ses deux variantes n’a jamais été trouvé dans les contextes de destruction de Zeugma, datant du milieu du iii^e s. On peut donc être certain qu’il est nettement postérieur au milieu du iii^e s. Il semble pouvoir être daté principalement du iv^e et de la première moitié du v^e s.304. Les types 4a et b utilisés dans les tombes ne diffèrent en rien des lampes utilisées en contextes d’habitat. Elles ne sont donc pas fabriquées en vue d’une fonction précise. On utilise dans les tombes les mêmes lampes que celles de la maison305.

116La présence de ces lampes est attestée dans toutes les tombes rupestres dont on pense qu’elles ont fonctionné pendant cette phase IV (tabl. 10)306, à l’exception de la tombe T3 qui a été minutieusement nettoyée. D’autre part, on peut remarquer que ces lampes sont absentes des tombes T12 et T13, qui sont toutes deux des tombes simples à ciste. Cette possible différence de matériel en fonction de l’architecture de la tombe307, déjà remarquée en Syrie pour d’autres types d’objets comme les encensoirs ou les vases à boire308, permet d’avancer à propos de la place des lampes dans le cérémonial, en tout cas pendant la phase IV. Leur absence ou quasi‑absence dans les tombes simples, qui a également été constatée ailleurs309, semble suggérer qu’en général à Apamée elles ne font pas partie du matériel imposé par le rituel des funérailles, mais plutôt qu’elles ont un rôle fonctionnel en servant tout simplement à éclairer les tombes à chambre au cours des funérailles310. Ensuite, elles auraient été abandonnées dans la tombe, étant considérées comme souillées et donc comme ne pouvant plus être utilisées dans la vie quotidienne. D’ailleurs, rares sont les lampes (T1.4,T8.11,T9.6‑10) qui ont été trouvées dans les galeries d’accès ou à l’extérieur des tombes. Cela dit, il se peut aussi que, lors des funérailles, on ait posé une lampe allumée à proximité de la cuve ou du lit funéraire, en accordant une valeur symbolique à ce geste311. Ces lampes portent, pour la plupart d’entre elles, des traces d’utilisation. Plusieurs éléments semblent impliquer qu’elles étaient utilisées lors des funérailles et qu’elles étaient laissées dans la tombe, à l’issue de ces cérémonies. L’ensemble des lampes appartenant à la phase IV a été trouvé à l’intérieur des tombes. Il ne s’agit donc probablement pas de lampes ayant pu servir lors de cérémonies de commémoration, bien que leur usage, à cette occasion, soit attesté par ailleurs312. Dans la tombe T16, des lampes, parmi lesquelles une part importante appartenant au type 4a, ont été trouvées empilées devant les ouvertures de loculi313 et considérées, lors de la fouille, comme découvertes in situ, déposées donc au cours de cérémonies de commémorations. Il paraît plus probable, étant donné les passages nombreux qu’a connus cette tombe et les phases différentes auxquelles renvoient ces lampes empilées, qu’elles aient été disposées ainsi lors d’un des passages tardifs. Les lampes ainsi trouvées dans les espaces centraux des tombes à chambre sont les plus nombreuses. Elles doivent donc avoir servi avant tout à éclairer les cérémonies des funérailles.

117Certaines des lampes provenant des tombes peuvent peut‑être aussi être associées à une fonction plus symbolique. Cette catégorie est difficile à saisir dans la mesure où, pendant la phase IV, une part importante des inhumations se fait en déposant le corps sur un lit funéraire, par définition plus accessible aux pillages divers. De ce point de vue, les tombes réutilisées, à cuves (T4) et à loculi (T16), apportent peut‑être des témoignages intéressants. Parfois, des lampes ont été trouvées à l’intérieur d’une cuve ou d’un loculus ; elles sont toujours en nombre restreint et le parfait état de celles qui proviennent de la tombe T16, par exemple, pourrait suggérer que certaines d’entre elles étaient mises dans le loculus avec le corps à l’origine, comme on a encore pu le voir lors des fouilles, dans les loculi 1 (T16.77‑78), 2 (T16.98), 3 (T16.114) et 8 (T16.121‑122), tandis que d’autres étaient peut‑être laissées sur le sol de la chambre sépulcrale. De même, dans la cuve 1 de la tombe T4, au moins 4 NMI de lampes appartenant à cette phase ont été mis au jour dans une cuve, qui a peut‑être accueilli les restes d’au moins deux sujets. Ainsi, ces lampes auraient une fonction différente, celles ayant été trouvées dans les loculi ou les cuves pourraient avoir accompagné et protégé le défunt. Elles auraient pu être déposées près du corps, peut‑être d’ailleurs en position fonctionnelle et auraient eu une valeur symbolique : il s’agissait, soit d’éclairer le mort au cours de son voyage dans l’au‑delà, soit de le protéger ou simplement de l’éclairer dans sa dernière demeure314. D’autre part, l’absence de lampe dans les tombes à ciste montrerait que leur présence à titre symbolique ne constitue pas une obligation, soit parce que ce sont des objets relativement coûteux que l’on ne souhaite pas céder au défunt, soit parce que cet objet ne convient pas au défunt, s’il s’agit d’enfants (tombes T12‑T13).

118De plus, il est remarquable que toutes les lampes de cette phase IV aient été mises au jour à l’intérieur des tombes. Cela montre que ce type d’objets n’intéressait pas les pillards de l’époque byzantine, ou au‑delà. Il faut dire que les lampes tardives sont elles‑mêmes très nombreuses dans les tombes315 : ce type d’objets, fréquent, n’exerce donc que peu d’attrait sur les pillards. De même, l’absence de lampe à l’extérieur des tombes montre que, s’il y avait des cérémonies qui se déroulaient à l’extérieur, et en particulier à l’extérieur des tombes à fosse ou à caveau, elles ne supposaient sans doute pas l’utilisation ou le dépôt de lampes.

119La présence de lampes dans les nécropoles de l’époque romaine et de l’époque romaine tardive a été depuis longtemps relevée, que ce soit en Occident316, en Grèce317, en Anatolie318, à Chypre319 ou dans la province de Syrie et plus généralement au Moyen‑Orient320. Cependant, si les catalogues abondent, l’emplacement précis où elles ont été trouvées est rarement mentionné, de sorte qu’il est difficile de préciser si leur présence correspond à des pratiques funéraires identiques dans ces différentes régions.

120La plupart des lampes correspondant à la phase IV sont plutôt bien conservées, de sorte qu’il est certain qu’elles étaient mises entières dans la tombe. Bien sûr, dans les espaces funéraires autour d’Apamée, les premières lampes font probablement leur apparition lors de la phase III321, conformément à un usage romain bien établi ailleurs. La pratique se perpétue et s’amplifie peut‑être avec la phase IV, qui se situe, en ce sens, dans le prolongement de la phase précédente, sans que l’on puisse établir de lien précis entre l’importance quantitative des lampes et une éventuelle christianisation de la région322. En effet, les lampes de type 4a ne présentent pas une iconographie caractéristique, qui permette de les associer à une pratique religieuse précise. Le décor est variable mais le plus souvent composé d’oves, associés ou non à des motifs curvilignes. Les quelques lampes de type 4b présentent un décor de perles, de chevrons ou de bâtonnets rayonnants ; le fond est moulé avec, le plus souvent, des cercles en relief ou un fond annulaire creux. L’absence de tout symbole chrétien, si l’on excepte peut‑être quelques mandorles sur le fond de lampes de type 4b (T4.26, T16.108‑109, T16.122), ne signifie évidemment pas que ces lampes ne sont pas utilisées par des chrétiens323. Quant à la continuité de l’usage des lampes dans le rituel funéraire, entre les phases III et IV, elle peut être une illustration de la fluidité des pratiques religieuses en vigueur à l’époque324.

Une personnalisation accrue de l’inhumation ?

121On peut remarquer, grâce à ces différents assemblages, une personnalisation un peu plus grande des tombes, si l’on compare avec l’époque hellénistique, grâce aux petits objets et aux objets remarquables qui accompagnent les défunts et dont le nombre augmente légèrement, tout comme dans la nécropole romaine de Gordion325. À vrai dire, il est impossible d’attribuer ces objets plus précisément à la phase III ou IV. En revanche, leur présence, si l’on compare avec l’époque hellénistique, est nettement plus marquée et signale, sans doute, de nouvelles relations entre les morts et les vivants.

122Ainsi, quelques fusaïoles en stéatite (T16.69 et T16.152‑155) peuvent peut‑être être attribuées à cette phase, sur la base des trouvailles faites dans l’habitat à Zeugma326, même si elles peuvent aussi éventuellement être associées à l’occupation de la phase III. Ces objets liés au filage sont considérés comme caractéristiques des tombes féminines, depuis l'âge du Bronze. De même, on peut noter que les objets de parure se font plus nombreux et que les accessoires personnels sont présents, cependant dans moins d’une tombe sur deux327 en moyenne. Le matériel non céramique se limite souvent à la présence de bijoux, relativement nombreux, ce qui distingue les tombes romaines de celles d’époque hellénistique, à Apamée. À l’époque romaine tardive, les bijoux sont plus modestes qu’au Haut‑Empire328, mais relativement fréquents. Si à cette époque, de façon générale, le nombre d’objets déposés dans les tombes décline, cependant, les tombes d’enfants semblent échapper à cette tendance329. On peut sans aucun doute associer à cette période les quatre bracelets en fer et en bronze de la tombe T12 (T12.6‑9), destinés à des enfants entre 2 et 5 ans et trouvés avec une boucle d’oreille en bronze (T12.10). Ce type de bracelets, qui est adapté à la taille du défunt, accompagne fréquemment les tombes d’enfants dans les nécropoles grecques d’époque classique et cet usage pourrait se perpétuer à Apamée et, plus généralement au Proche‑Orient, bien au‑delà330. De plus, la tombe T12, qui n’a pas été perturbée, permet de vérifier la correspondance entre les défunts et les bracelets : il y avait, dans cette tombe, un bracelet par défunt, adapté à sa taille. Il ne semble donc pas faire de doute qu’il s’agit d’un objet personnel de l’enfant. On retrouve, dans le contexte plus complexe de la tombe T8, des bracelets en fer (T8.379‑380 et T8.383), très proches, destinés encore à des enfants du même âge, ainsi qu’une boucle d’oreille de bronze et qu’une bague. Pourtant, dans cette tombe, deux autres bracelets en fer ont dû être portés par des adultes (T8.381‑382). Les boucles d’oreilles, présentes à deux reprises, dont une fois sûrement associées à une tombe d’enfants (T12), constituent des trouvailles traditionnellement attribuées plutôt à des tombes féminines331, dès l’époque grecque classique. La tombe T12 nous montre que cette habitude concerne aussi certainement les fillettes. Les boucles d’oreilles apparaissent en exemplaire isolé dans chacune des deux tombes d’Apamée, ce qui semble assez courant332. De plus, ces bijoux sont fréquents dans les tombes d’enfants dans le monde grec, dès l’époque classique, comme le montre le site d’Olynthe333. La bague à chaton, en fer (T8.378), est unique autour d’Apamée ; ce genre de bijou, attesté dès l’époque grecque334 dans les nécropoles, continue à accompagner les défunts d’époque romaine335 en Occident comme en Orient. Le diamètre de l’exemplaire d’Apamée semblerait montrer qu’il s’agit, comme le plus souvent pour les bagues, d’un bijou porté par un adulte. Il faut ajouter, toujours dans la tombe T8, les restes d’un collier de perles monochromes (T8.367), ainsi que les fragments d’un autre bijou du même type trouvé à proximité de la tombe T21 (T21.5), sans pour autant devoir être associé à cette tombe. Les perles constituent sans doute des ensembles qui devaient être portés par les défunts et qu’ils ont gardés au cou dans la tombe. Les perles de verre ou de pierre sont souvent portées, isolées ou en collier, par les enfants ou par les femmes336, peut‑être pour leur valeur apotropaïque. Enfin, un pendentif (amulette ?) en verre bleu, une couleur très appréciée qui protège337, a été trouvé dans la tombe T11 (T11.63) et constitue, lui aussi, au‑delà de son iconographie tout à fait orientale, un type de matériel habituel dans les contextes funéraires, souvent associé aux tombes d’enfants338. Le contexte de la tombe T11 n’est malheureusement pas clair et il apparaît impossible d’associer cette amulette à un sujet précis. Cependant, parmi les occupants de la tombe, on peut remarquer qu’on compte au moins un enfant et un adolescent. Enfin, parmi les objets remarquables appartenant sans doute à la phase IV, il faut évoquer le flacon de verre bicéphale T12.5, trouvé lui aussi dans une tombe d’enfants. Finalement, si les objets en céramique ne constituent visiblement guère l’accompagnement personnel du mort, dans le cas de la tombe T2, un fragment de statuette339 (T2.33) a été trouvé, à propos duquel on peut émettre l’hypothèse qu’il appartenait à l’immature qui était inhumé dans cette tombe340. Il apparaît donc que, lors de cette phase IV, les tombes d’enfants contiennent plus d’objets personnels et plus d’objets relativement coûteux que les autres tombes. Cette particularité a été maintes fois relevée ailleurs341.

123En fait, à partir de ces quelques exemples, il paraît difficile de suggérer que les objets personnels, ayant appartenu en propre au défunt sont, en grande partie au moins, réservés aux tombes d’enfants. En effet, les tombes d’adultes, qui sont principalement des tombes à chambre, ont été davantage pillées et les objets ont pu disparaître, alors qu’ils étaient peut‑être plus nombreux que dans les tombes simples, comme on peut le voir à Corinthe342. De plus, les pratiques paraissent variables d’une tombe à l’autre. Ainsi, la tombe T13, une tombe à fosse et à ciste intacte ayant recueilli un enfant d’environ 3 ans, ne comporte aucun matériel (non périssable) et montre que les pratiques peuvent varier343 pour un même type d’inhumations et une même catégorie de défunts : les enfants. Si, dans les tombes d’enfants, les objets personnels semblent souvent prédominer, en revanche, les assemblages répondant à des gestes du rituel ne paraissent pas véritablement nécessaires, même si dans la tombe T12, un flacon de verre rappelle les pratiques perceptibles dans la plupart des tombes de cette époque. Les jeunes enfants sont peut‑être davantage définis par les liens qui les unissent à leur famille que par leur intégration dans la communauté et les rituels communs qui en découlent.

124Les contextes de l’époque romaine tardive sembleraient donc rendre compte d’une nette évolution des liens qui unissent, au‑delà de la mort, les vivants aux défunts, par rapport à ce qui a pu être observé à l’époque hellénistique. Les tombes sont, grâce aux petits objets, un peu plus marquées par une individualisation qui tend à distinguer les tombes féminines et surtout les tombes d’enfants. Ainsi, on peut penser que les vivants s’attachent à ce que le défunt soit accompagné d’objets personnels, qu’il a aimés ou utilisés de son vivant. Cette attitude est d’autant plus remarquable à l’égard des jeunes enfants344 ; de même, au‑delà de cette attention qui leur est portée, on les voit partager les tombes à chambre avec des adultes345, même s’ils peuvent aussi être regroupés dans de simples caveaux ou tombes à fosse. En même temps, on peut observer une certaine diversification de ce mobilier, ainsi peut‑être qu’un accroissement, certes modeste, de sa valeur, qui est lié à l’attention apportée à la sépulture. Cette tendance perceptible à Apamée paraît assez générale à partir de l’époque romaine et surtout de l’époque romaine tardive346. À côté des éléments symboliques qui accompagnent le mort dans l’au‑delà, comme les lampes, apparaissent dorénavant des accessoires qui révèlent davantage sa personnalité. En même temps, la valeur toute relative de ces parures ou de ces objets montre‑t‑elle qu’une certaine aisance règne dans la plaine d’Apamée lors de cette phase IV ? Déjà la tombe hellénistique T29 a livré de petits fragments de feuille d’argent et d’or (T29.6‑7) et, bien sûr, ces restes de métaux précieux sont les premiers à disparaître dans les pillages. À vrai dire, seule une comparaison entre ces tombes et l’habitat leur correspondant pourrait peut‑être nous permettre d’alimenter cette réflexion et de déterminer si les conditions économiques se sont améliorées au cours de la fin du iii^e et du iv^e s. sur cette rive de l’Euphrate. Malheureusement, il n’a pas été possible de fouiller d’habitat contemporain de ces tombes, dans la plaine d’Apamée.

L’époque byzantine : 2^de moitié du v^e‑début du vii^e s. (phase V)

125Par bien des points, cette phase se situe dans la continuité de la phase IV. En effet, très peu de constructions de nouvelles tombes peuvent être notées, en revanche, les réutilisations de tombes antérieures sont très fréquentes347, ce qui entraîne une continuité topographique certaine avec la phase précédente (fig. 15).

La gestion et le traitement des corps

126L’inhumation est toujours, comme lors des phases précédentes, la seule pratique attestée. Lors de cette phase V, des inhumations sont pratiquées dans des tombes à chambre le plus souvent, mais aussi dans de simples caveaux (T7). Certes, dans les tombes à chambre, on n’a fréquemment affaire qu’à des dépôts perturbés par des nettoyages ou des pillages, de sorte qu’on ne peut malheureusement pas dire précisément comment se sont effectuées les réoccupations de tombes. De même, les nombreux passages dans ces tombes ont fragmenté et fait disparaître une grande partie des ossements. Cependant, il est possible, lors de cette dernière phase de fonctionnement de ces espaces funéraires, d’établir un bilan de l’occupation de ces tombes et, à partir de là, de tenter de comprendre quelle fut la gestion des corps tout au long de l’histoire de ces tombes et ce que signifie réutiliser une tombe à chambre autour d’Apamée.

127Le nombre de défunts et leur âge (tabl. 17) peuvent permettre de proposer quelques éléments de gestion des corps dans ces tombes qui semblent avoir eu une longue durée de fonctionnement en général. Le nombre de lits funéraires, pour les tombes à chambre, peut aller d’une tombe à l’autre de trois (T10) ou quatre (T8), à treize emplacements (T9). Quant au nombre de défunts contenus par chaque tombe, tout au long de son histoire, il peut aussi varier : si l’on n’a repéré que deux sujets dans la tombe T9 alors qu’elle contient treize emplacements, en revanche, la tombe T8, qui compte quatre lits funéraires, contient les restes de treize sujets. Certes, la proportion d’ossements attribués est plutôt faible en général dans les tombes à chambre (tabl. 2), ce qui rend très aléatoires ces calculs. On peut penser cependant que la part des ossements attribués correspond le plus souvent aux ossements les mieux conservés et donc les plus récents. Cette variabilité apparente des chiffres montre sans doute qu’il n’y a guère d’habitudes dans la gestion des tombes à chambre et que l’histoire de chacune de ces tombes lui est propre et participe à expliquer ces situations extrêmes. Ainsi, la tombe T9 semble avoir abrité un défunt adulte particulier : elle est la seule autour d’Apamée à porter des traces nettes du christianisme. Elle semble donc avoir fait l’objet d’un traitement particulier peut‑être en lien avec le sujet adulte inhumé, qui pourrait avoir eu un statut privilégié. Le cas de la tombe T8 est différent : d’abord, on peut noter le nombre important d’immatures qui semblent en général avoir partagé le lit funéraire d’un adulte, puisque les dimensions de ces lits sont toujours conçues pour un adulte, ce qui réduit d’autant les possibles réoccupations. Cependant, on compte malgré tout sept adultes au moins pour quatre lits funéraires, ce qui montrerait bien qu’il y eut réoccupation d’une part importante de ces lits. Pourquoi dans cette tombe alors que cela ne semble pas forcément être le cas pour d’autres tombes à arcosolia ? Est‑ce lié à l’impossibilité, du fait de l’architecture à une seule chambre de la tombe, de l’agrandir en creusant des lits supplémentaires dans l’antichambre ? Cette hypothèse paraît plausible quand on compare avec les autres tombes à chambre. On peut remarquer en effet que dans la plupart des tombes à arcosolia, le nombre de places disponibles, quand la tombe comprend deux espaces différents, est supérieur ou à peu près proportionnel à celui des sujets identifiés, avec cependant une sous‑occupation apparente des tombes assez souvent : ainsi, la tombe T1 qui dispose au total de six lits, a‑t‑elle livré les restes de quatre sujets au minimum, ou encore la tombe T11 qui compte cinq lits et qui semble avoir abrité les restes de cinq sujets. En revanche, la tombe T3 n’a abrité qu’un seul individu identifié, la tombe T9, qui a été conçue avec beaucoup d’ambition, n’a recueilli les restes que de deux sujets, ou encore la tombe T10, qui a connu une occupation un peu antérieure (phase IV), n’a livré les restes que d’un seul sujet pour trois lits funéraires (et une niche). Certes, il est probable que cette différence soit à imputer, en partie, à la difficulté d’attribuer des ossements très fragmentaires à un sujet particulier et, peut‑être, cela tend‑il à sous‑estimer la densité d’occupation des tombes. Ces caractéristiques peuvent aussi sans doute être mises en parallèle avec l’aspect très rural de l’occupation aux époques tardives et la présence d’une population certainement peu importante. En conséquence, il semble bien que les réutilisations de lits funéraires, et en particulier les réductions de corps, soient finalement peu nombreuses dans ces tombes. Faut‑il alors supposer des nettoyages très minutieux qui auraient fait disparaître la quasi‑totalité des ossements plus anciens ? Cela paraît peu vraisemblable. Certes, il y eut des réoccupations de tombes (tombes T1, T11 par exemple), mais elles correspondent plutôt à la construction de nouveaux lits funéraires dans les antichambres qu’à la réutilisation des lits funéraires existants et donc à la réduction ou au nettoyage des ossements antérieurs. Autrement dit, il n’y aurait guère eu de déplacement d’ossements lors des phases de fonctionnement de ces tombes à arcosolia ; les ossements ont été respectés, ce qui correspond en général, à l’impression donnée par d’autres nécropoles de cette époque. Le respect des ossements, qui prévaut déjà sans doute dans les phases antérieures, semble être une donnée bien attestée à l’époque byzantine. Les écrits évoquent ce problème, mais aussi les gestes perceptibles, par exemple à Hiérapolis et à Aphrodisias, quand la topographie des nécropoles changea et qu’un certain nombre de tombes furent détruites ou remblayées348.

128De ce point de vue, le cas de la tombe T16 est particulier et oblige peut‑être à nuancer quelque peu ce type de gestion des corps : son architecture indique qu’elle a été probablement creusée lors des premières phases de fonctionnement des espaces funéraires ; pourtant, son occupation très longue montre comment cette tombe est réoccupée, tout en présentant un cas très particulier de réoccupation. En effet, les loculi ne constituent plus, lors des phases III‑V, des contenants habituels, ce qui ne les empêche pas d’être réinvestis dans cette tombe (comme peut‑être de façon partielle dans la tombe T4). Dans ce cas, cette réoccupation paraît plutôt de type opportuniste, contrairement à ce que l’on peut observer dans les autres tombes à chambre, et en particulier dans les tombes à arcosolia, où de gros travaux sont entrepris pour préparer ces réutilisations et installer de nouveaux lits funéraires349. Ce n’est pas du tout le cas dans la tombe T16 où les loculi sont réoccupés tels quels. Dès lors, la densité d’occupation est plus forte : pour neuf places disponibles, on compte onze sujets adultes et, en particulier, deux sujets adultes inhumés ensemble dans deux loculi différents. Ainsi, des réductions de corps pourraient peut‑être avoir été effectuées dans cette tombe, bien que la présence de clous puisse aussi suggérer que des coffrages en bois aient aussi été disposés sur le sol de la chambre funéraire pour contenir certains corps. Cependant, si la réoccupation de loculi a effectivement été pratiquée, elle est peut‑être à expliquer, tout comme pour T4, par une rupture qui a pu se produire dans l’occupation de ces tombes. Le souvenir des occupants antérieurs s’étant effacé, il devenait plus facile de les réoccuper. On pourrait aussi supposer que la réoccupation de T16 qui, visiblement, n’a pas entraîné de travaux, correspond à une volonté assumée de pratiquer des inhumations rapides et peu coûteuses, en profitant de ces cavités toutes prêtes. D’ailleurs, les inscriptions très succinctes, qui surmontent certains de ses loculi et que l’on ne retrouve pas dans des tombes à arcosolia, pourraient exprimer la volonté de « personnaliser » ces loculi et donc montrer le sentiment d’être dans un espace considéré comme étranger, qu’il s’agit de s’approprier à bon compte.

129Dans les tombes à chambre, de nombreux ossements ont été déplacés ; ils ont souvent été trouvés au centre de la chambre funéraire, ce qui vient renforcer cette impression (T1 ou T11). On peut supposer que, une fois la décomposition achevée, l’intégrité du corps est considérée comme moins importante et que les restes peuvent être bougés350, puisque la personne sociale et son souvenir ont disparu. En fait, l’emplacement où la plupart des ossements ont été trouvés, dans les antichambres, près de la porte d’accès aux tombes, voire dans la galerie d’accès (par exemple fig. 164 pour T8 ou fig. 380 pour T16), laisserait plutôt penser qu’il s’agit avant tout d’actes de pillages ou de nettoyages postérieurs à l’abandon des tombes. De même, ces déplacements d’ossements sont avant tout perceptibles dans les tombes où des occupations ou passages tardifs sont aussi attestés par la présence d’objets, comme les tombes T1, T8, T11, mais pas en T4 par exemple, qui paraît avoir été « oubliée » après la phase V. La tombe T16 montre une répartition des ossements tout aussi particulière, qui doit peut‑être être associée à la disposition en piles de lampes d’époques différentes devant les loculi. Autrement dit, cette pratique de déplacement des ossements paraît devoir être associée avant tout aux tombes qui ont connu une occupation ou des passages importants, tardifs (phase VIb) et sans doute pas à caractère funéraire, et non pas à la phase V où le traitement des corps serait, finalement, assez semblable à celui des phases antérieures.

130Un autre point paraît remarquable dans l’occupation des tombes à arcosolia : il s’agit de la présence des enfants, qui est tout à fait sensible (tabl. 17)351. En effet, dans les tombes qui ont connu une occupation lors de la phase V, leur présence est attestée à partir du moment où l’on a plus d’un adulte dans ces tombes. Les enfants sont donc présents de façon régulière et quasi systématique. De plus, il ne faut pas oublier que des tombes individuelles datant des phases tardives (T13, T17 [?]) ont été repérées pour des sujets immatures352, dans des secteurs où se trouvaient aussi des tombes d’adultes. Il apparaît donc que les enfants ne sont plus enterrés majoritairement (ou uniquement ?) dans des espaces qui leur seraient spécialement dédiés, mais aussi en compagnie des adultes. Pourtant, des nuances sont à apporter à l’importance accordée à ces tombes d’immatures : tout d’abord, les lits funéraires creusés dans les tombes à chambre n’ont jamais les dimensions d’un enfant ; ils sont toujours prévus pour des adultes. Les tombes d’enfants sont donc toujours considérées comme venant en supplément des tombes d’adultes et l’on peut supposer que les enfants étaient disposés sur des lits déjà occupés par un sujet adulte ou prévus comme devant être occupés aussi, par la suite, par un adulte. D’autre part, il est parfois délicat de proposer l’âge d’un immature. Plus précisément, sur onze sujets immatures repérés, cela n’a guère été possible que dans neuf cas. Sur ces neuf cas, un seul très jeune enfant, probablement âgé d’environ 6 mois, a été reconnu dans la tombe T8. Sinon, les huit autres immatures mis au jour dans les tombes à chambre sont âgés de 3 ans et plus : dans la tombe T8, on trouve un enfant de cet âge‑là ; les autres enfants sont plus âgés. Évidemment, ce déficit de très jeunes sujets peut être expliqué par la grande fragilité de leurs os ; pourtant, il se peut aussi que les enfants de moins de 3 ans aient un statut en général particulier et qu’un espace spécifique leur soit attribué ou, à tout le moins, une tombe particulière, à l’écart des adultes. Ainsi, la tombe T12, qui est un peu antérieure, abrite‑t‑elle uniquement de très jeunes enfants, puisque les plus âgés auraient environ 3 ans.

131La répartition par âge de ces enfants n’est peut‑être pas anodine : on sait que, dans le monde antique, certains passages de la vie sont importants ; ainsi, la fin du sevrage qui se situe vers trois ans, constitue‑t‑il un moment décisif qui scande l’enfance353. L’âge de six ans est aussi considéré comme important354 et représente souvent le moment à partir duquel les offrandes funéraires commencent à être sexuées355. Peut‑on imaginer que, pour intégrer la tombe à chambre au côté des adultes, il faut avoir passé l’une de ces étapes de l’enfance et avoir pleinement intégré l’entité sociale ? En tout cas, et malgré le petit nombre de tombes fouillées autour d’Apamée, il semble apparaître que presque tous les enfants au‑delà d’environ 5 ou 6 ans ont été trouvés en association avec des adultes (T4, T8, T9, T11, T12, T26), quelle que soit l’époque à laquelle attribuer leur inhumation. En revanche, avant cet âge, plusieurs pratiques semblent avoir été de mise, depuis au moins la phase IV356.

132Il se pourrait que les tombes d’immatures retrouvées, et en particulier de très jeunes enfants, aient été exceptionnelles et que, étant donné l’importante mortalité des enfants, la plupart nous aient échappé. Le mobilier associé à ces immatures, qui ont peut‑être un statut spécial, est souvent constitué de bijoux, comme c’est le cas dans la tombe T12, mais aussi d’ailleurs dans les tombes rupestres à chambre (T8 par exemple). Cette particularité apparaît également dans le mobilier des tombes romaines tardives d’enfants à Alexandrie357 et en Syrie358.

133Très rares sont les objets personnels de parure attribuables à cette phase, contrairement à la phase précédente : le défunt était déposé en terre ou sur les lits funéraires apparemment sans bijou ni parure, en tout cas perceptible. Pourtant, cette austérité n’est pas générale à cette époque : à Elaiussa Sébastè par exemple, des bijoux et des accessoires vestimentaires ont été mis au jour assez fréquemment dans des tombes datées entre le v^e et le vii^e s.359. À cela, il faut ajouter que l’on ne trouve plus guère, lors de la phase V, les petites bouteilles d’onguents et d’huiles parfumées qui rappelaient la toilette du mort lors de la phase IV. Cette apparente pauvreté du matériel dans les tombes du début de l’époque byzantine rejoint probablement les pratiques de réoccupation des tombes qui demandent moins de moyens que les constructions nouvelles. Cela ne renvoie d’ailleurs pas forcément à une prospérité moindre des populations, encore que les études anthropologiques faites, par exemple à Hiérapolis, sembleraient l’induire360. Il peut s’agir aussi de changements de croyances et de perceptions de la mort liés au développement de la religion chrétienne.

De nombreuses réutilisations de tombes

134Parmi les tombes qui peuvent être sûrement attribuées à cette phase, toutes fonctionnaient au cours de la phase IV, sauf T7 et T9. Cette pratique de réutilisation des tombes est couramment attestée à l’époque byzantine au Moyen‑Orient361, mais aussi en Anatolie362.

135La continuité topographique avec la phase précédente est donc claire. On peut ajouter que les tombes à chambre réutilisées se situent aussi bien dans le secteur A (T4, T8, T16) que dans le secteur B (T1, T3, T9 [?], T11). Les seules exceptions à la continuité d’usage entre les phases IV et V pourraient être fournies par la tombe T7, un simple caveau qui n’a fourni que très peu de matériel, et peut‑être la tombe T9, qui offre un matériel dans l’ensemble homogène, allant avec un nombre d’individus très réduit. L’architecture complexe de cette tombe, qui contraste avec l’utilisation réduite qui en a été faite apparemment, pourrait suggérer soit que la tombe a été construite pour les deux individus inhumés et qu’elle n’a pu être pleinement utilisée : dans ce cas, cela ferait de cette tombe la seule tombe à chambre construite pendant la phase V. L’autre hypothèse serait qu’elle a été construite antérieurement, puis qu’elle a subi un nettoyage systématique et a été réutilisée lors de la phase V. L’architecture de cette tombe à deux espaces centraux différenciés363 nous conduit à privilégier cette hypothèse bien que la possibilité d’un nettoyage qui aurait fait disparaître tous (ou quasiment tous) les ossements antérieurs soit difficile à accepter.

136Nous ignorons dans quelles conditions ces réoccupations ont été effectuées. Il peut s’agir d’une continuité familiale, ce que pourrait montrer l’absence générale de phase d’abandon, précédant l’utilisation de la phase V, si l’on excepte la tombe T4 qui a été redécouverte accidentellement. On sait en effet que certaines tombes sont restées dans la famille de leur fondateur pendant plusieurs générations364. D’ailleurs, la mention du nom du constructeur d’une tombe ou de celui qui l’a restaurée est probablement liée à cette pratique365. Mais quand la famille s’éteint ou qu’elle quitte la région, les tombes sont souvent réoccupées, ce qui n’est pas étonnant en ce qui concerne les tombes à chambre, puisque leur coût était important et qu’elles fournissaient un écrin visiblement très recherché aux dépouilles. Ces tombes étaient‑elles revendues par les héritiers de la famille ? En tout cas, il apparaît que le temps entre deux occupations peut être assez court366, comme le montre aussi la continuité entre les phases IV et V, qui apparaît le plus souvent dans les tombes autour d’Apamée. Restait‑il de la place dans les tombes lors de leur rachat, afin de s’assurer que les restes antérieurs ne soient pas déplacés ? C’est ce que suppose C. Laforest367 et ce que l’occupation finalement assez limitée des tombes autour d’Apamée pourrait suggérer : il semblerait qu’au départ, ces tombes étaient construites pour une durée d’utilisation courte, de l’ordre de deux générations368 qui, par exemple, auraient trouvé place, autour d’Apamée, dans les tombes à arcosolia et à chambre double de la phase III, sur les lits de la salle sépulcrale du fond. C’est par exemple le cas dans la tombe T8 où, pour cinq lits funéraires, on compte un NMI de sept sujets adultes, un adolescent et cinq immatures. De même dans la tombe T16, pour neuf loculi, on a pu dénombrer au total un NMI de onze adultes et cinq immatures, qui pouvaient d’ailleurs partager le lit funéraire d’un adulte. Évidemment, ce calcul ne tient pas compte de la présence éventuelle de structures en matériaux périssables qui, dans la tombe T16, peuvent aussi avoir existé puisque des clous assez nombreux y ont été découverts. Au‑delà de ces calculs, il semblerait que lors du rachat d’une tombe, on pouvait aussi « nettoyer » une tombe et les ossements qu’elle contenait pour faire de la place369. C’est peut‑être ce qui peut expliquer, par exemple, que le matériel de la phase III, mis au jour dans la tombe T1, soit rare (tabl. 1)370. Cependant, pour les ossements les plus petits, on a du mal à imaginer qu’ils aient été complètement enlevés et qu’ils aient ainsi échappé aux études anthropologiques. Le rassemblement fréquent des os dans les espaces funéraires centraux pourrait plutôt être le fait des pillages ultérieurs. Parfois, les inscriptions peuvent montrer aussi le respect accordé au propriétaire. Ainsi, dans la tombe T1, le nom du fondateur de la tombe reste bien visible, peut‑être en signe de respect, et, de l’autre côté de la porte d’accès à la chambre sépulcrale, est inscrit le nom de celui qui a restauré la tombe371. On peut remarquer que dans cette tombe, le nombre limité de sujets repérés (4 NMI) est inférieur au nombre de lits funéraires (six). De même dans la tombe T11, où le nom des fondateurs de la tombe est gravé, on peut compter cinq sujets (trois adultes et deux enfants) pour cinq lits funéraires. Est‑ce à dire que, dans les tombes où le nom du propriétaire est conservé, il y a plus de respect pour les ossements, dans une succession peut‑être plus linéaire, ou en tout cas, organisée ? Ces hypothèses doivent être vérifiées sur un plus grand nombre de cas. De plus, on voit qu’il est souvent difficile de distinguer utilisation sur la longue durée et réoccupation après une phase d’abandon, d’autant que le matériel découvert dans ces tombes ne peut être, dans l’état actuel de la recherche, daté précisément. En tout cas, on ne voit pas d’accumulation de squelettes dans les tombes à chambre autour d’Apamée, comme cela a pu être observé, par exemple, à Corinthe au v^e s., où dix à douze individus pouvaient partager le même caveau ou le même sarcophage372. Les réutilisations autour d’Apamée semblent se faire de façon en général organisée, et peut‑être avec la volonté de ne pas trop perturber les occupations antérieures.

137Bien sûr, les espaces funéraires autour d’Apamée n’ont été fouillés que partiellement ; on ne peut donc affirmer que cette pratique de réutilisation des tombes à chambre est majoritaire : des caveaux et des tombes à fosse ou à ciste, peut‑être nombreux, ont pu échapper aux recherches archéologiques. D’autre part, rien n’apparaît, dans les tombes de la phase V, d’une éventuelle restructuration des aires funéraires autour de lieux de culte comme des églises ou des lieux saints373 ; autant dire que rien ne garantit la représentativité des tombes étudiées, même s’il faut parfois relativiser l’importance de cette réorganisation des espaces funéraires alors que souvent, comme à Amorium, on continue à utiliser les anciennes nécropoles374. En tout cas, ces réoccupations montrent bien que l’habitat dans la plaine d’Apamée s’est maintenu à l’époque byzantine et que, tout au moins partiellement, les habitudes funéraires de l’époque romaine se sont perpétuées, avec l’utilisation (ou plutôt la réutilisation) de grandes tombes rupestres à chambre. Le souvenir de ces tombes est resté bien présent, laissant penser à une continuité d’occupation au‑delà du phasage que nous avons adopté pour la présentation des contextes.

138À côté de ces réutilisations, on voit que quelques tombes nouvelles apparaissent lors de cette phase ; mais ce sont alors de simples caveaux (T7) et des tombes à ciste de tuiles (T34 ?). Cette tendance à privilégier pour les nouvelles tombes, les tombes individuelles, a aussi été soulignée à propos de Hiérapolis et est interprétée par un relâchement des liens familiaux, ainsi que le développement des croyances en la résurrection, faisant de la tombe un simple lieu de repos temporaire375. Le nombre des tombes de cette époque mises au jour autour d’Apamée n’est pas suffisamment important pour confirmer cette tendance et pour définir si, lors de cette phase V, une orientation est‑ouest de ces tombes est privilégiée, comme souvent en Anatolie à cette époque376. Tout juste peut‑on dire que le caveau T7 est orienté nord‑est ‑ sud‑ouest. La tombe T34 qui a été trouvée, isolée, dans les ruines de la ville hellénistique est, de ce point de vue, caractéristique d’une pratique bien connue à cette époque, l’aménagement de tombes dans les décombres d’un bâtiment antérieur377. S’il s’agit souvent d’une église, ce n’est pas toujours le cas et toutes les ruines peuvent aussi faire l’affaire, comme on peut le voir à Palmyre, entre le iv^e et le vii^e s., tout comme à Porsuk378 et à Apamée.

Une sélection du matériel et un assemblage type ?

Les vases ouverts

139De façon générale, on peut constater qu’une certaine sélection est associée à ces contextes de la phase V, ce qui apparaissait moins nettement lors de la phase IV. En effet, la phase V est marquée par la présence relativement importante à Zeugma de vases de consommation alimentaire en céramique fine (principalement sigillées phocéenne, chypriote et africaine)379, dans l’habitat. Or, dans les espaces funéraires autour d’Apamée, ils ne représentent qu’une part infime du matériel (moins de 1 %), avec probablement un seul vase attesté dans la tombe T11 (T11.1 et T11.66‑67). On peut d’ailleurs remarquer que la part des bassins ou des jattes, pourtant eux aussi assez fréquents dans les contextes d’habitat380, est aussi réduite. Cette élimination volontaire d’une part importante des vases domestiques de l’époque apporte plusieurs informations. Tout d’abord, cette sélection reprend des gestes ou des attitudes déjà perçus dans les phases antérieures et confirme, s’il en était besoin, que le matériel de la phase V doit être associé, en tout cas pour sa plus grande part, à des niveaux d’occupation correspondant soit à une fonction de stockage, soit à une fonction funéraire ; en revanche, les réoccupations de ces espaces, lors de la phase V, ne correspondent clairement pas à l’installation d’un habitat. L’étude plus précise du matériel de cette phase permettra d’avancer sur cette question de la réoccupation des tombes. On peut souligner tout d’abord, peut‑être, la répugnance à laisser dans les tombes de la céramique fine, ce qui était déjà perceptible lors de la phase I et ce qui s’est ensuite confirmé (phases III‑IV) ; est‑ce la valeur de cette catégorie de céramique qui dissuade de l’utiliser en contextes funéraires ? Surtout, cela montre le peu d’intérêt que semble représenter la céramique de consommation alimentaire (et peut‑être aussi de préparation) dans ces contextes, comme nous avons pu le constater lors de la phase IV381. Il est probable que l’on ne se livrait pas à des banquets lors des funérailles dans ces tombes, ce qui ne fait que confirmer ce que le matériel associé à la phase IV pouvait déjà suggérer. De ce point de vue, on n’observe guère de modification entre les phases IV et V de fonctionnement des espaces funéraires autour d’Apamée. En revanche, pour préciser la fonction de cette assiette en céramique fine, il n’est peut‑être pas anodin de remarquer qu’elle appartient à la seule grande tombe qui n’ait pas livré, à l’intérieur, de vase à cuire pouvant être associé à la phase V382.

140D’autre part, quelques fragments de grands bassins ou pétrins de céramique commune ont aussi été mis au jour (T9.18, T11.49 et T11.93), non tournés. Leur datation et leur attribution à la phase V ne sont pas assurées ; ils peuvent aussi appartenir à la phase VI383. Pourtant, si tel était le cas, on peut noter que les deux exemplaires mis au jour à l’intérieur de la tombe T11 ne sont pas associés à des fragments de pots à cuire, auxquels ils se substituent peut‑être, comme l’assiette en céramique fine, pour l’exposition d’offrandes alimentaires solides.

141La tombe T9, qui est probablement la seule tombe monumentale correspondant à la phase V qui soit relativement homogène, aussi bien pour les ossements que pour le matériel, fournit un exemple d’assemblage sans doute peu perturbé par les pillages postérieurs. Elle montre donc la composition du matériel caractéristique d’un contexte funéraire, limité probablement à l’inhumation d’un seul individu adulte (et d’un immature). Le matériel trouvé à l’intérieur de la tombe se compose avant tout de trois types d’objets, des fragments d’amphores peintes (1 NMI) [T9.15‑17], un vase à cuire en brittle ware, en l’occurrence une cruche (T9.19‑20) et des lampes (T9.21‑40) [5 NMI]. Il faut ajouter à ces objets la présence, beaucoup plus rare, d’un grand bassin ou pétrin (T9.18), qui remplace peut‑être les pots à cuire habituels384. Cette régularité dans la composition des assemblages, qui ne sont pas sans rappeler, d’ailleurs, ceux de la phase précédente, est la garantie qu’il s’agit bien, dans l’ensemble, d’une occupation de type funéraire. Si nous avions affaire à des réoccupations à caractère domestique, ou à de simples traces de visites ou de pillages, le matériel serait beaucoup plus varié et hétérogène.

142La tombe T7 vient compléter ces données : il s’agit d’un simple caveau qui semble lui aussi homogène et ce, d’autant plus qu’il n’a recueilli les restes que d’un seul sujet. Comme pour les tombes simples de la phase précédente, on voit un matériel qui n’est pas sans rappeler celui des tombes à chambre plus vastes, mais qui est incomplet. Seule une lampe y a été découverte, ainsi qu’une monnaie sur laquelle nous reviendrons385. En revanche, cette fois, ni vase à cuire, ni amphore ne sont présents dans cette tombe.

143Ainsi, il existe encore bien un ensemble de vases qui constitue l’assemblage funéraire type de la phase V, mais il semble qu’aucun d’entre eux ne soit absolument nécessaire, sauf peut‑être les lampes.

Les vases fermés

144Le premier élément important des assemblages à caractère funéraire est constitué par des vases fermés, amphores, jarres ou cruches. Leur présence était déjà bien attestée lors de la phase IV386, elle s’affirme au moins autant pendant l’époque byzantine. Les vases fermés représentent au total entre 12,5 et 17 % du matériel trouvé à l’intérieur des tombes (tabl. 12)387, et ils sont proportionnellement plus fréquents à l’extérieur, où ils constituent plus de 40 % du matériel mis au jour. La typologie de ces vases n’est guère précise et il se peut que leur présence soit un peu surévaluée en prenant en compte, en particulier, quelques vases postérieurs à cette phase. Ces vases font partie du matériel habituel en contextes funéraires depuis fort longtemps388 et leur présence dans les tombes d’époque byzantine s’affirme389 en continuité avec les habitudes d’époque romaine. La phase V semble montrer une accentuation de la présence des vases fermés, allant de pair avec une certaine diversification des formes. En effet, on ne trouve pas que des amphores régionales de types 3‑5 qui semblent avoir pris la suite des amphores de type 1 des phases III et IV et qui sont aussi très fréquentes en contextes d’habitat. On trouve également, dans les tombes byzantines, des cruches et des pichets (T1.7‑8, T8.125, T8.130, T8.135‑136, T8.389), qui sont le plus souvent de fabrication régionale390. Autrement dit, il se peut que cette variété de formes s’explique par une diversification des productions régionales de vases fermés, plutôt que par des exigences particulières du rituel.

145Quand on considère la répartition de ces vases fermés, on note que leur présence semble en général nécessaire, sauf dans les tombes dont le matériel est le plus réduit (T7)391. L’usage des vases fermés est réservé aux tombes à chambre, comme cela a déjà été observé pour la phase IV392. Certes, l’utilisation de ces vases pourrait évoquer l’usage domestique comme espaces de stockage393, qui est souvent attribué aux tombes une fois abandonnées. Cependant, leur présence systématique, constatée dans des tombes qui ont conservé une part importante des ossements humains, pourrait infirmer cet usage. Est‑il possible d’imaginer cette cohabitation systématique des restes humains avec les amphores de stockage ? De plus, on peut relever que la présence de ces vases fermés et, en particulier, des amphores régionales nord‑syriennes est d’autant plus importante que le nombre d’ossements conservés dans la tombe est grand. Ainsi, la tombe T9, qui semble n’avoir abrité qu’un adulte accompagné d’un immature, ne compte que 2 NMI de vases fermés (une amphore nord‑syrienne et une cruche de céramique commune). En revanche, la tombe T8, dans laquelle au moins treize individus différents ont pu être distingués, qui n’appartiennent peut‑être pas tous à cette phase V, les vases fermés, cruches, mais aussi amphores nord‑syriennes sont bien représentés. Il y aurait donc une certaine corrélation entre le nombre d’ossements présents dans les tombes et la quantité de vases fermés mis au jour. Cela confirmerait que ces vases fermés (et en particulier ces amphores nord‑syriennes) trouvent une place dans les espaces funéraires, et ne sont pas majoritairement des preuves de réutilisation domestique de ces espaces. Un autre point mérite d’être souligné : la rareté des couvercles‑coupelles dans ces tombes, qui souvent servaient, entre autres, à fermer les amphores nord‑syriennes394. On n’en trouve, en tout et pour tout que deux fragments (tombes T1 et T8), sans doute d’ailleurs appartenant plutôt à la phase VI. Autrement dit, ces amphores nord‑syriennes n’étaient peut‑être pas mises fermées dans la tombe (ou bien comportaient un système de fermeture périssable).

146Dès lors, l’utilisation de ces vases fermés pourrait être à caractère funéraire : ils pourraient avoir été utilisés pendant les funérailles, pour contenir soit les produits qui auraient servi à enduire le corps du défunt (huile, vin, eau), soit les différents produits qui vont accompagner le défunt et qui permettent aussi aux vivants d’échanger et de signifier leur intégration à une communauté, comme lors de la phase IV395. En tout cas, après avoir été utilisés en contextes funéraires, ces vases ne pouvaient être employés dans le quotidien ; ils étaient donc abandonnés. En même temps, l’absence de ces vases dans les tombes les plus modestes pourrait signifier, soit qu’ils ont été mis au rebut ailleurs, soit que le déroulement des funérailles n’est pas exactement le même. Le nombre important de ces vases trouvés à l’extérieur des tombes montrerait que leur utilisation va au‑delà des funérailles, et qu’ils sont aussi utiles pendant les cérémonies de commémorations, même si certains d’entre eux ont sans doute été déplacés par suite des visites et des pillages subis par les tombes. D’autre part, on peut noter qu’en général, on trouve soit des amphores peintes, soit de plus petits vases fermés dans une tombe : c’est le cas pour les tombes T1, T3 (?), T4 et T16. Les deux types de vases, à la contenance très différente, ne cohabitent que rarement, sauf s’il y a eu plusieurs inhumations. Les seules exceptions sont constituées par des tombes qui ont connu une occupation plus lourde lors de la phase V (tombes T8 et T11), caractérisée aussi, par exemple, par un important nombre de lampes. Si on considère le NMI de ces vases fermés, on voit que dans la tombe T9 par exemple, qui n’a abrité que deux inhumations, on ne compte que 1 NMI d’amphore peinte associé à une cruche. Il semblerait donc qu’un vase fermé, quelle que soit sa contenance, corresponde généralement à une inhumation. Leur fonction, quelle que soit leur forme, serait la même, ils seraient donc substituables. Seule la capacité de ces vases change peut‑être et donc la quantité et la valeur des libations et autres offrandes. Cependant, les assemblages se ressemblent beaucoup d’une tombe à l’autre. Il est difficile de distinguer les tombes riches des tombes pauvres, en tout cas au sein des tombes à chambre.

147À l’extérieur des tombes, on a une vision plus confuse de la répartition de ce matériel. Cependant, quand des vases ont été mis au jour à l’extérieur d’une tombe, on trouve toujours parmi eux au moins un vase fermé, et de préférence plutôt une amphore peinte. Cette présence s’explique peut‑être par des activités diverses, d’ordre domestique, qui pourraient avoir eu lieu dans les parages, puisque ce type de vases est parmi les plus courants en contextes d’habitat. On peut également invoquer une intense activité de pillages qui aurait occasionné des déplacements et des fragmentations, d’autant plus importantes que le vase était gros. Mais on doit aussi mentionner la présence constante de ce type de vases à l’extérieur des tombes, en nombre relativement important dès l’époque hellénistique396 : on ne peut donc exclure la possibilité de gestes du rituel se déroulant, non pas dans l’espace central des tombes à chambre, mais à l’extérieur, alors que les tombes sont fermées. En revanche, il ne paraît pas nécessaire d’imaginer que ces vases étaient des marqueurs de tombes puisqu’ils ne se trouvent pas à l’extérieur de tombes à fosse ou à caveau.

148On sait que la pratique des libations se poursuit à l’époque protobyzantine397. Les libations et offrandes liquides offertes lors des funérailles ou, à l’extérieur des tombes, lors des cérémonies de commémoration devaient être constituées de produits divers. Certes, les amphores peintes sont souvent considérées comme ayant contenu du vin398, un liquide qui est particulièrement apprécié en contextes funéraires à l’époque byzantine. Les textes parlent aussi d’aspersion de la dépouille avec de l’eau ou de l’huile399 au moment des funérailles. Mais on peut aussi imaginer que ces vases étaient réutilisés avec un changement de contenu, voire même renfermaient parfois des aliments solides400. Il convient donc d’être prudent sur la fonction exacte des vases fermés dans le rituel funéraire.

Les vases à cuire

149Les vases à cuire constituent un autre élément important des assemblages autour d’Apamée. Ils représentent environ 35 % du matériel trouvé à l’extérieur des tombes et près de 14 % du matériel mis au jour à l’intérieur des tombes et pouvant être attribué à la phase V (tabl. 12)401. Ils représentent donc une part moins importante que pendant l’époque romaine tardive quand on considère l’ensemble du matériel céramique trouvé dans les tombes. Cependant, la présence de ces vases paraît toujours être appréciée pour un bon déroulement du rituel, en tout cas dans les tombes rupestres à chambre. En revanche, ces vases sont absents du caveau T7. Pourtant, lors de la phase IV, une tombe à ciste (T12) contenait deux vases à cuire. De même, on peut noter que la tombe T11 ne comporte pas non plus de vase à cuire pouvant être attribué à la phase V, alors que l’occupation byzantine de cette tombe est relativement importante. Cette tombe présente une autre particularité : elle est la seule à comporter, dans son matériel, une assiette en céramique fine. On peut donc se demander si cela ne montrerait pas que la fonction de ces deux catégories de vases est identique et si vases à cuire comme assiettes ne seraient pas destinés, comme nous l’avons déjà proposé, aux dépôts d’offrandes alimentaires solides ou semi‑liquides cuisinées402.

150Tous les vases à cuire, comme dans l’habitat, appartiennent à la même production, sans doute importée à cette époque, que l’on appelle brittle ware. Au‑delà de ces constatations, peut‑on cerner, comme pour la phase IV, une sélection des vases en fonction de leur forme ? Les formes 5.1, 5.2 et 5.3 sont représentées dans le matériel de la phase V (tabl. 12‑13)403, avec une nette prédominance de la forme 5.1, qu’il s’agisse du matériel trouvé à l’intérieur ou à l’extérieur des tombes. Les formes 5.1 et 5.2 appartiennent à des pots à cuire qui sont donc très largement majoritaires, voire quasiment les seules formes représentées dans les niveaux byzantins des espaces funéraires, à l’image de ce que nous avons pu observer pour la phase IV404. Cette situation doit cependant être évaluée à la lumière des niveaux d’habitat. Certes, il existe d’autres formes de vases à cuire, comme les casseroles405 ou les cruches, mais les pots sont toujours très majoritaires dans les niveaux d’occupation d’époque byzantine à Zeugma406. Autrement dit, la sélection est ici moins évidente qu’elle ne le fut peut‑être pour la phase IV. L’utilisation de la cruche T9.19‑20 est sans doute liée au chauffage de l’eau, sans que l’on sache si elle est destinée à l’alimentation ou à la toilette du mort. Cependant, l’absence de foyer à proximité, si l’on considère T9.18 plutôt comme un pétrin que comme un fourneau portatif, pourrait conduire à considérer que cette cruche était utilisée tout simplement comme un des vases fermés mis au jour, tandis que les deux pots à cuire trouvés à l’extérieur (T9.4‑5) complétaient éventuellement l’assemblage avant d’être déplacés. Ces pots à cuire n’ont pas fait l’objet d’une sélection liée à leurs dimensions : les diamètres d’ouverture reflètent bien les variations également observées sur le site de Zeugma407. D’autre part, la fragilité de ces vases empêche d’avoir des données fiables sur l’éventualité des bris rituels. Aucun exemplaire n’est conservé entier, mais comme ils semblent le plus souvent avoir été déposés devant les cuves et les lits funéraires, après les funérailles, puis déplacés lors des pillages des tombes, cela n’a rien d’étonnant. Cette disposition des vases à cuire devant les cuves et non à l’intérieur est montrée par leur répartition spatiale dans les tombes et en particulier dans T16, où les loculi semblent n’avoir subi que de légers nettoyages : aucun vase à cuire ne vient de l’un d’entre eux, contrairement aux lampes. Tous viennent de l’espace central, comme les amphores. Dans cette même tombe, un vase à cuire de forme 5.1 (T16.21) et deux vases de forme 5.2 (T16.22 et T16.100‑106) sont conservés presque complets, si l’on met à part le fond du vase qui manque à chaque fois : il s’agit sans doute là d’une simple coïncidence.

151Ces vases à cuire appartenant à la phase V sont en nombre assez restreint. À l’intérieur des tombes on en compte entre un et trois ; cependant, leur nombre peut aller jusqu’à 6 NMI (T16) et même 8 NMI dans la tombe T8. On peut remarquer que les variations du nombre des vases à cuire se rapprochent de celles du nombre de lampes : les tombes dans lesquelles les lampes sont les plus nombreuses sont aussi celles dans lesquelles les vases à cuire sont les mieux représentés. Cependant, ceux‑ci restent toujours en nombre moins importants que les lampes, le rapport se situant autour d’un vase à cuire pour trois lampes (tombes T8 et T16). Cette différence s’explique aisément si l’on considère que les lampes, en contextes funéraires, remplissent plusieurs fonctions, des plus pratiques aux plus symboliques408.

152Ces vases à cuire révèlent parfois des traces d’utilisation et, en particulier, des traces de feu : c’est le cas, par exemple, pour les vases T8.159‑162, T8.177‑188, T8.189‑193, T16.21, T16.119, T16.127‑135. Pourtant, en l’absence de la moindre trace de foyer ou de structure de cuisson mis au jour dans ces tombes, on doit imaginer, comme pour la phase IV, que ces vases ont servi à cuire à la maison les aliments destinés aux morts ou à partager avec les morts lors des cérémonies de funérailles, à l’intérieur de la chambre sépulcrale, il peut s’agir de vases d’abord utilisés en contextes domestiques, qui ont ensuite été mis dans la tombe. Ils pourraient avoir contenu un plat tel que la kollyva, ce mélange de céréales bouillies, de graines de grenades et d’épices fait pour les enterrements.

153Les exemples de vases à cuire trouvés dans des tombes d’époque byzantine sont plutôt fréquents. Si curieusement J.‑P. Sodini n’évoque pas cette habitude à propos des nécropoles byzantines de Grèce, depuis son article, des exemples sont signalés dans cette région409 tout comme au Moyen‑Orient410. La présence assez régulière de vases à cuire et d’amphores à l’extérieur des tombes et dans les galeries d’accès peut être interprétée de deux façons. Soit ces vases ont été emportés depuis l’intérieur des tombes par des pillards, soit ils attestent de l’existence de cérémonies commémoratives à proximité des tombes. Dans certains cas, en particulier lorsqu’on observe des collages entre des vases à l’intérieur et à l’extérieur d’une tombe, par exemple entre T8.9 et T8.189‑193, on peut privilégier l’hypothèse des pillages. Cependant, ces cas sont rares. De plus, les lampes trouvées à l’extérieur des tombes ne représentent que 4 NMI (T1.4, T9.6‑8), soit environ 5 % des lampes de la phase V mises au jour, ce qui tendrait à minimiser l’importance de ces pillages, d’autant que les lampes sont des objets décorés et plutôt attractifs. Dès lors, il paraît plausible d’attribuer en tout cas une partie des amphores et des vases à cuire, provenant de l’extérieur des tombes ayant fonctionné pendant la phase V, à l’existence de cérémonies commémoratives au cours desquelles on offrirait des liquides (amphores, cruches), mais aussi des aliments solides (vases à cuire). Le pot T8.7, trouvé à l’extérieur de la tombe, contenait probablement des restes alimentaires. En revanche, il est difficile d’établir si ces pratiques sont nouvelles ou si elles prolongent celles de la phase IV411.

154À l’issue de l’étude des vases en céramique des niveaux byzantins, on voit que, comme pour la phase IV, aucun vase n’est fabriqué spécialement pour être utilisé en contextes funéraires à Apamée412. En revanche, il apparaît que n’importe quel vase n’est pas utilisable et que, en particulier, on hésite à abandonner de la céramique fine dans les tombes alors qu’elle est pourtant relativement fréquente à cette époque en contextes d’habitat. Peut‑être est‑ce un indice intéressant sur la valeur relative de ces productions : les vases à cuire en brittle ware seraient bien moins onéreux et, à ce titre, utilisés de façon quasi automatique pour contenir les offrandes alimentaires. L’association d’amphores et de vases à cuire évoque immanquablement les banquets funéraires413. En même temps, la quasi‑absence de la céramique fine de table414 montre que, s’il y a consommation alimentaire dans (ou sur) les tombes, elle ne se déroule pas de la même façon qu’à la maison : peut‑on imaginer que l’on mange à même le vase de cuisson ? Mais ces vases, dans lesquels on a probablement cuisiné, ne peuvent être transportés dans la nécropole qu’une fois refroidis. Dès lors, n’a‑t‑on pas plutôt consommé une partie des mets à la maison ou dans un bâtiment particulier pour ensuite porter le reste avec la dépouille du défunt ou pour le poser sur la tombe ou dans la galerie d’accès ?

Les lampes à huile

155Si l’on considère les objets pouvant appartenir à la phase V, on retrouve régulièrement ce type de matériel : toutes les tombes ayant fonctionné à l’époque byzantine comportent des lampes. Les lampes paraissent donc être un élément essentiel du rituel, et cela est vrai quelle que soit la région415. Leur importance, dans les espaces funéraires autour d’Apamée, se situe dans la continuité des phases antérieures416. Lors de la phase V, elles constituent environ 70 % du total du matériel trouvé à l’intérieur des tombes (tabl. 12)417 ; elles représentaient des proportions légèrement moindres lors de la phase IV (tabl. 9)418. Ces lampes qui appartiennent aux types 3, 4c et 5a (variante ancienne)419 se trouvent avant tout à l’intérieur pour la majorité d’entre elles, et plus particulièrement dans l’espace central des tombes rupestres. Comme pour la phase IV, la plupart d’entre elles sont intactes ou presque et elles montrent toutes des traces d’utilisation. Une seule nouveauté est peut‑être apportée par le matériel de la phase V : le caveau T7 a permis de mettre au jour une lampe, alors qu’aucune lampe ne provenait de tombes simples lors de la phase IV. Nous n’avons aucun moyen de préciser si le dépôt de lampes fait partie du rituel des funérailles lors de la phase V. Cependant, il est vraisemblable que, comme pour la phase IV420, ce soit le cas, comme pourrait aussi le montrer leur présence, en petit nombre, dans la tombe T16, dans les loculi 1, 2, 3 et 8, où elles auraient été déposées avant la fermeture du loculus. Leur présence en grand nombre dans les espaces centraux des tombes à chambre montrerait qu’elles ont eu leur utilité aussi pour les vivants. Certes, la plupart de ces tombes ont fait l’objet de visites et de pillages. Pourtant, la présence récurrente des lampes, leur nombre, leur état de conservation souvent excellent et les traces d’utilisation qui apparaissent semblent montrer qu’elles n’ont en général que peu souffert de ces péripéties et qu’elles correspondent à l’usage qui était fait de ces lampes lors de la phase précédente421. Elles peuvent aussi avoir été utilisées pour éclairer la tombe pendant les funérailles, puis avoir été laissées sur place.

156Il est difficile de préciser le nombre de lampes nécessaires par individu inhumé. Cependant, l’ensemble des contextes montre que, dans une tombe très simple comme T7, on trouve une lampe et pas d’autres vases (autrement dit, laisser dans la tombe une lampe au moins paraît obligatoire dans le rituel des funérailles) ; de plus, les tombes T9 et T16 indiqueraient que l’on reste à peu près dans ces chiffres aussi dans les tombes les mieux dotées : dans la tombe T9, on a un NMI de six lampes pour deux inhumations ; dans la tombe T16, on a trouvé, dans le loculus 1, trois lampes, dans les loculi 2 et 3, une lampe et dans le loculus 8, deux lampes. On voit que dans chaque emplacement, on trouve entre une et trois lampes par défunt. C’est approximativement le nombre de lampes par individu que nous avons aussi pu déterminer pour la phase IV422.

157De façon générale, donc, entre une à trois lampes (au maximum) semble(nt) avoir été disposée(s) à côté du corps, dans le caveau ou le loculus, avec une fonction symbolique qui prédomine alors. D’autres lampes, plus nombreuses, ont été laissées devant les cuves, les loculi, les lits funéraires ou dans l’espace central après les funérailles, quand elles ont eu avant tout une fonction pratique. Cette habitude a déjà été relevée pour la Grèce d’époque byzantine où les lampes, fréquemment attestées, apparaissent plutôt à l’extérieur des tombes qu’à l’intérieur423, ainsi que pour d’autres régions, même s’il existe de nombreuses exceptions à cette disposition. Certes, ces lampes trouvées dans les espaces centraux des tombes à chambre pourraient aussi faire penser à la coutume qui subsiste de nos jours, d’allumer une flamme sur les tombes424. Pourtant, le fait que, à Apamée, ces tombes à chambre paraissent avoir été fermées par une lourde porte425 entre chaque cérémonie de funérailles semble infirmer cette hypothèse.

158Les lampes byzantines trouvées dans les espaces funéraires autour d’Apamée sont souvent décorées de motifs religieux, en particulier sur le bec où le canal est fréquemment occupé par un motif explicitement chrétien : croix, Golgotha (?), mais aussi ancre ou double crosse. Le fond creusé est souvent marqué d’un motif moulé, en général de type rayonnant (type 5a), pouvant évoquer une croix. Ce décor plus explicitement chrétien que ce que l’on a pu observer sur les lampes de la phase IV426 permet peut‑être de saisir la progression de cette religion dans la région, même si les gestes du funéraire, de façon générale, n’ont guère évolué depuis l’époque romaine tardive. Le choix des décors n’est en rien conditionné par le contexte funéraire puisque les mêmes lampes sont utilisées en contextes d’habitat.

Une disparition du matériel en verre et des vases à parfum ?

159Si la continuité des pratiques semble dominer l’usage qui est fait des vases en céramique, il n’en est pas de même pour le verre byzantin que l’on trouve en quantité bien moindre qu’à l’époque romaine tardive, si tant est que l’on puisse être sûr de la datation des formes. Lors de la phase IV, le verre constituait environ 14 à 15 % de l’ensemble du matériel (tabl. 9)427. À l’époque byzantine, ce matériau est quasi absent à l’intérieur des tombes (à la seule exception peut‑être de T8.369). D’autre part, les flacons de verre qui devaient avant tout contenir des laits et des huiles parfumés428 ne sont pas remplacés, à Apamée, par des lécythes en terre cuite429. Dès lors, plusieurs hypothèses se présentent : il se pourrait que le rituel de toilette du défunt ait subi des modifications et que l’usage, sans doute relativement coûteux, des huiles ou parfums, ait diminué, voire ait disparu en même temps que celui des flacons en verre d’importation, forcément assez chers et très fragiles, en tout cas pour la partie des tombes que nous avons pu étudier. Il se pourrait aussi que des vases en verre ayant contenu des produits parfumés aient toujours été utilisés, mais qu’ils n’aient plus été abandonnés dans la tombe. En tout cas, à notre connaissance, ces changements n’ont pas été explicitement observés ailleurs dans la région et l’on trouve des fragments de flacons de verre dans la nécropole byzantine de Tall as‑Sin, tout comme à Palmyre430 ou à Khirbet edh‑Dharih431 par exemple.

160Comment comprendre cette évolution du matériel ? Il se pourrait que cette disparition du matériel de verre à Apamée à l’époque byzantine, quelles qu’en soient les modalités exactes, soit à mettre au compte d’un appauvrissement, non pas de l’ensemble de la population de la région à cette époque, mais du moins de la population à laquelle on peut associer ces tombes. En effet, le verre d’époque byzantine est assez fréquent dans l’habitat de Zeugma432. On peut aussi peut‑être mettre en parallèle cette absence avec celle d’autres éléments, comme les parures personnelles (bijoux en particulier) qui étaient relativement bien présentes lors de la phase IV, si l’on s’en tient aux datations, certes très approximatives, qui peuvent être faites de ces objets dans les contextes funéraires autour d’Apamée et qui semblent ne plus compter parmi les artefacts accompagnant les défunts lors de la phase V. Certes, on peut imputer en partie la disparition de ces objets relativement précieux aux pillages qu’ont subis certaines de ces tombes. Cependant, les tombes occupées lors de la phase IV ont aussi été soumises à ces « visites ». D’autres sites montrent que la situation diffère selon le lieu, voire peut‑être d’une partie de la nécropole à l’autre. Ainsi, des objets métalliques relativement fréquents (bracelets, croix) ont été mis au jour dans la nécropole de Tall as‑Sin433 ou encore dans celle de Yasileh434 et de Khirbet es‑Samra435, par exemple. Peut‑être peut‑on aussi replacer ces constatations dans un cadre plus large qui verrait, de façon générale, le nombre d’objets accompagnant le mort dans son dernier voyage diminuer, sans disparaître, au fur et à mesure que l’on avance dans l’époque protobyzantine436, ce qui peut être attribué à des raisons économiques ou religieuses.

161Ces flacons de verre pouvaient certes rappeler la toilette mortuaire, mais leur fonction dans la tombe, où ils étaient mis alors qu’ils contenaient encore des produits parfumés, pouvait aussi être de combattre les odeurs fortes qui devaient régner dans les espaces funéraires en cours d’utilisation. En leur absence et au cours de la phase V, peut‑être voit‑on se mettre en place une autre façon de lutter contre ce problème. C’est ce qui expliquerait l’apparition autour d’Apamée d’encensoirs (T4.9, T4.20‑21, T8.225‑238)437 qui pouvaient contribuer à combattre ces odeurs438. Le développement des pratiques liées à l’usage de l’encens au cours des funérailles semble être une caractéristique notée par Tertullien en Afrique du Nord439 : pour lui, l’usage de l’encens, au même titre que la toilette mortuaire, fait partie du respect dû aux morts et les chrétiens en font un usage apparemment plus abondant que les païens. Autrement dit, certains gestes du funéraire changent pendant cette période, peut‑être sous la nécessité et/ou avec le développement de nouvelles croyances. La disparition des vases à parfum, qui ne constituent plus des éléments fréquents des assemblages de type funéraire, en est un exemple. Mais il est délicat de déterminer si ces modifications sont liées au prix de ces produits ou à des changements de croyance religieuse, accordant par exemple une importance moindre à la parure et aux soins du corps ou donnant un sens symbolique à l’encens, qui devient une métaphore de la prière, comme chez Augustin440.

Les monnaies

162Une monnaie, mise au jour dans une tombe d’Apamée, a été attribuée de façon assez hypothétique à la phase V (T7.2), sur la base de l’identification de la monnaie datant du milieu du iv^e s. et de son usure importante, alors qu’aucune monnaie n’avait pu être associée à la phase IV. Il est impossible d’en tirer la moindre conclusion dans la mesure où les monnaies de la phase IV, s’il y en avait, auraient tout à fait pu être récupérées par les réutilisateurs de la phase V ou les pillards.

163La présence de monnaies dans les tombes d’époque byzantine est relativement courante en Grèce441, en Anatolie442 comme au Moyen‑Orient443, pendant toute l’époque byzantine. On a pu associer ces trouvailles à la pratique de l’obole de Charon444, mais il pourrait s’agir aussi d’une adaptation de ce rituel aux nouvelles croyances chrétiennes ou bien de l’expression d’un conservatisme populaire exacerbé par la peur de la mort445. S’il est certain que T7.2 était bien la seule monnaie dans la tombe, en revanche, il est difficile autour d’Apamée, d’évaluer quantitativement la présence des monnaies dans les tombes de l’époque protobyzantine. On ne sait donc pas si mettre dans la tombe une (ou plusieurs) monnaie(s) lors de la phase V est une pratique courante autour d’Apamée, s’il s’agit d’un geste plus personnel ou simplement si elle a été accidentellement perdue lors des funérailles.

Autres objets et personnalisation des tombes

164Finalement, on ne peut qu’être frappé par la rareté des objets personnels et des signes qui pourraient évoquer la foi religieuse. De très rares bijoux ou parures ont été découverts, contrairement à la phase IV où ils semblaient être plus nombreux. Nous n’avons attribué à la phase V que les restes d’un collier de perles monochromes (T8.367), auxquels il faut peut‑être ajouter quelques‑uns des bracelets mis au jour dans cette tombe. En effet, les bijoux ont pu avoir une durée de vie assez longue et des objets précieux semblant remonter à la phase romaine tardive peuvent en réalité avoir été inhumés lors de la phase V. Il est donc impossible de déterminer sûrement les objets personnels qui ont pu accompagner les défunts. Cependant, ils semblent assez peu nombreux et ce n’est sans doute pas le résultat de pillages ultérieurs, puisque des objets des phases antérieures avaient été conservés dans des tombes ayant continué à fonctionner lors de la phase V (tombes T1 et T8 par exemple). Cette même rareté des objets précieux et des bijoux a aussi été notée ailleurs pour la même époque, en Grèce446 par exemple.

165Si l’on met à part le décor des lampes de type 5a qui est très banal et n’a probablement pas de véritable signification, on ne relève aucun objet qui pourrait se référer à la religion chrétienne. Seule l’inscription Api5 gravée sur la paroi de la tombe T9447 est bien connue pour avoir été apposée aussi sur des linteaux de porte de maisons ou d’églises. Cette inscription a pu être considérée comme la marque de la conversion d’une personne, et donc comme le « jalon d’un front pionnier de la christianisation, le signe d’un combat entre le paganisme et le christianisme à l’intérieur d’un village »448. Cependant, la fréquence de cette inscription dans certains villages et son échelonnement chronologique semblent infirmer une telle interprétation pour lui conférer, peut‑être avant tout, une signification apotropaïque, tout à fait appropriée dans une tombe. Cela dit, la décoration de la même tombe comporte aussi plusieurs croix différentes gravées sur le fronton au‑dessus de l’entrée. Sur la face interne du mur qui sépare les salles 1 et 2, est aussi gravée une croix quadrata en queue‑d’aronde449. La spécificité de la tombe T9 apparaît : c’est la seule où s’affirme de façon si explicite la foi chrétienne. Il est, de ce point de vue, intéressant de remarquer que cette tombe, en revanche, ne semble pas vraiment se distinguer des autres par le matériel de la phase V. La seule originalité de cette tombe est le nombre réduit d’individus qui semblent y avoir été inhumés alors que l’architecture, monumentale, comporte treize lits funéraires et en fait la plus grande tombe mise au jour autour d’Apamée : cela signifie‑t‑il que les chrétiens clairement affichés sont rares ? En tout cas, l’homogénéité des ossements et du matériel trouvés dans cette tombe exclut qu’elle ait été plus vigoureusement pillée que les autres, ultérieurement, dans le cadre d’une réaction contre la religion chrétienne. Cela peut‑il être interprété différemment ? Par exemple, l’affichage de la foi chrétienne ne peut‑il se faire qu’une fois un « nettoyage approfondi » des occupations antérieures de la tombe, considérées comme païennes, effectué ? À moins qu’il ne s’agisse de la tombe d’un personnage important dans la communauté. D’ailleurs, sur les autres sites contemporains de la région, les tombes sur lesquelles apparaissent des signes chrétiens sont rares, mais ce sont souvent les mêmes tombes qui reçoivent aussi une décoration, comme on peut le voir à Halabiya450. Au‑delà de ces problèmes d’interprétation, on peut en tout cas peut‑être souligner que cet affichage de la foi ne semble pas anodin à Apamée. Le même nombre limité de symboles chrétiens ou d’inscriptions à caractère religieux a pu être constaté dans d’autres nécropoles de la même époque en Syrie451. Peut‑on en déduire que les tombes qui ne comportent pas de signes chrétiens et qui sont majoritaires, aussi bien à Apamée qu’à Tall as‑Sin, correspondent à des défunts ayant d’autres croyances ? Sans doute est‑ce une déduction bien rapide, même si la coexistence de différentes religions au vi^e s. dans la région est attestée par les textes452. Dans la tombe T11, on utilise aussi les inscriptions pour caractériser cet espace funéraire : leur sens n’est pas clair et on ignore s’il s’agit d’exprimer un sentiment de compassion ou de signaler le nom du propriétaire. Quoi qu’il en soit, ce sont les inscriptions qui donnent à la tombe ses spécificités et ce ne sont pas les objets qu’elle contient. Les mêmes remarques pouvaient être faites lors des phases III et IV, dans les tombes T1 et T11 où, là encore, ce sont l’architecture et les inscriptions qui participaient à la définition du contexte familial, social et culturel dans lequel s’inscrivaient ces tombes.

166Au vi^e s., les espaces funéraires autour d’Apamée ne se situent sans doute pas sur le front de la christianisation, d’autant moins que celle‑ci serait déjà bien avancée dès le début du v^e s. dans la région voisine de l’Antiochène orientale453. On peut ajouter qu’une stèle funéraire comportant une épitaphe chrétienne, datée à partir de la fin du v^e s. par l’écriture, a été trouvée à Zeugma454, qui vient confirmer le climat religieux de la région au vi^e s., de même que l’iconographie des lampes de type 5a où les symboles chrétiens s’affichent clairement, ainsi que quelques vestiges architecturaux455. Enfin, plusieurs textes des v^e et vi^e s. évoquent la vie religieuse et la présence de moines à Zeugma456. Donc il ne fait guère de doute qu’une communauté chrétienne existe autour d’Apamée au vi^e s., mais ces croyances nouvelles n’influent guère sur les gestes du funéraire. L’un des seuls changements notables pourrait être une redéfinition de la hiérarchie sociale autour d’autorités religieuses ou de personnages particulièrement vénérés, comme le suggérerait peut‑être la tombe T9.

La continuité des pratiques funéraires

167Ainsi, les pratiques funéraires autour d’Apamée lors de la phase V se situent dans le prolongement de ce qui a été observé lors de la phase IV, à un moment où les croyances religieuses des habitants d’Apamée sont beaucoup plus difficiles à cerner : si quelques lampes de type 4 présentent peut‑être, sur le fond, le motif chrétien de la mandorle (tabl. 15)457, en revanche, d’autres objets semblent se rattacher au fonds religieux traditionnel, comme T11.63.

168Nous avons à Apamée un nouvel exemple de cette continuité perceptible dans les gestes du funéraire, entre païens et chrétiens. La tolérance de l’Église face à des pratiques funéraires traditionnelles, comme les offrandes ou les libations, explique la présence des mêmes objets dans les tombes, qu’elles soient païennes ou chrétiennes458. Cela amène à considérer que, en tout cas dans le domaine du funéraire, le changement de religion s’est effectué de façon très progressive, sans rupture nette dans les habitudes et le rituel. Tout au plus peut‑être, les objets renvoyant trop ostensiblement aux croyances païennes disparaissent‑ils du matériel des tombes avec le temps. Les mêmes gestes semblent donc être accomplis avec les lampes par exemple, depuis l’époque romaine : seule la décoration de ces objets change. Cette continuité dans le rituel funéraire constitue sans doute une donnée importante sur le mode de christianisation des campagnes. On voit que le glissement entre les religions pouvait se faire de façon très progressive et discrète : les usages païens, ou en tout cas leurs expressions matérielles, se maintiennent encore dans la communauté de la plaine d’Apamée au vi^e s., au nom sans doute du respect de la tradition, plus fort finalement que les dogmes religieux, surtout dans le domaine inquiétant de la mort. Les habitudes antiques survivent, comme le montre le maintien, peut‑être occasionnel, de la tradition de l’obole de Charon459, par exemple. D’ailleurs, l’Église n’a pas cherché à modifier ces pratiques qui relèvent de la vie privée et de la volonté des familles. « L’Église n’impose, ni ne propose, aucun rituel pour les funérailles d’un chrétien aux iv^e et v^e siècles »460. Cette conception des pratiques funéraires, d’abord démontrée en Occident, pourrait fort bien s’appliquer aussi en Orient.

169Toutefois, l’usage des pleureuses ou le déploiement d’un grand luxe sont critiqués par des Pères de l’Église : seules les prières et les aumônes des survivants peuvent aider les défunts, selon eux461. Est‑ce dans le cadre de cette évolution de la pensée que l’on peut constater, par rapport à la phase IV, une certaine dépersonnalisation du défunt, ou en tout cas, une austérité assez sensible des tombes ? On ne trouve plus d’objets qui permettent de rattacher le mort à une activité précise ; on ne trouve plus guère de traces d’élément de parure lui ayant appartenu. Cette austérité nouvelle, et toute relative, des tombes de la phase V pourrait être un signe de l’évolution lente des habitudes à l’époque byzantine, sous l’effet des critiques apportées par les Pères de l’Église. Le souci d’humilité chrétienne a‑t‑il commencé à toucher la population ? L’Église n’a jamais interdit les inhumations dotées d’un riche mobilier funéraire, même si à partir du v^e s., un glissement progressif se dessine, qui conduit lentement à une influence de l’Église sur le quotidien. En tout cas, dans l’Anatolie byzantine, la plupart des tombes ne livrent aucun matériel462. Les causes de cette évolution doivent aussi sans doute être recherchées dans la situation de la région d’Apamée au vi^e s., qui semble s’être dégradée463.

170Grâce enfin à cette continuité des pratiques et des assemblages, qui voit une sélection du matériel autour des vases fermés et des lampes, on peut être quasi assuré que la plus grande partie du matériel attribué à cette phase V appartient encore à un contexte funéraire et que l’occupation des tombes lors de cette phase n’a pas changé de caractère. La phase VI, en revanche, pourrait voir une modification profonde, bien que discrète, de l’occupation de certaines tombes.

L’époque islamique : à partir du milieu du vii^e s. (phase VI)

171Les espaces funéraires autour d’Apamée connaissent sans aucun doute une diminution de leurs activités lors de la phase VI, bien qu’il soit difficile de distinguer le matériel omeyyade de la céramique de la fin du vi^e ou du début du vii^e s. (fig. 16). Le matériel omeyyade ne paraît guère être présent de façon significative que dans les tombes T1, T8 et T11. La tombe T9, quant à elle, ne semble pas pouvoir être avec certitude considérée comme ayant connu une phase omeyyade. Le matériel qu’elle contenait n’est jamais daté strictement de cette époque. Les autres tombes autour d’Apamée ont été abandonnées et « oubliées » très rapidement ; elles ne semblent même pas avoir reçu beaucoup de « visites » pendant cette phase et même les réoccupations de type domestique paraissent rares. Pour la présence très occasionnelle de matériel tardif, on ne peut guère citer que les tombes T3 (T3.2 et T3.6 [?]) et T5 (T5.11‑12).

172Cependant, quelques espaces funéraires continuent à être utilisés, comme c’est assez souvent le cas pour les nécropoles romaines et/ou byzantines, où cependant le problème se pose différemment en Anatolie, puisque les exemples disponibles restent dans la sphère byzantine464, qu’au Moyen‑Orient passé sous la domination omeyyade465. À Apamée, il faut donc distinguer les différents types de traces correspondant à la phase VI et essayer de définir à quel type d’occupations elles correspondent. Au‑delà de cette question, il apparaît clairement que les tombes, qui ont continué d’une façon ou d’une autre à fonctionner lors de la phase VI (tabl. 16), se trouvent toutes à proximité du vallon qui sépare les secteurs A et B, autrement dit, au‑dessus d’une voie de communication sans doute importante à l’époque. En revanche, les tombes plus à l’écart ont été abandonnées et l’on peut imaginer que les collines qui surplombent la plaine n’ont alors connu que peu de passages, ce qui peut révéler une diminution globale de la population dans les environs466.

173Sur les trois tombes sûrement réutilisées tardivement, deux (T1 et T11) appartiennent au type le plus monumental, constitué par deux espaces centraux467. Seule la tombe T8 ne comporte qu’une seule pièce. Ce goût pour les grands espaces rupestres peut s’expliquer soit parce que ces tombes comportaient encore de la place pour de nouvelles inhumations ou bien parce que ces tombes monumentales étaient encore bien visibles et faciles d’accès, soit parce que l’espace était un critère de choix, ce qui pourrait faire songer à une réutilisation de ces tombes comme espaces de stockage. L’étude du matériel trouvé dans ces tombes permettra de mieux définir quelle fut leur utilisation tardive.

La gestion et le traitement des corps

174Deux types de données peuvent, à ce point du raisonnement, apporter des contributions importantes. Tout d’abord, la quantité et l’emplacement des ossements humains mis au jour dans ces contextes pourraient nous permettre de mieux cerner la gestion des ossements au cours de cette dernière phase d’utilisation. Dans aucune des tombes concernées, on ne trouve d’ossements humains en place. Tous sont rassemblés dans les espaces centraux. Évidemment, cette répartition pourrait s’expliquer par les passages récents (ou moins récents) des villageois dans ces tombes. Aucune inhumation ne semble donc en place, et on ne peut attribuer sûrement aucun ossement à cette phase VI.

175De même, aucun objet personnel ou de parure appartenant à cette phase n’a pu être découvert. Ainsi, il est impossible d’essayer de restituer les pratiques funéraires de cette phase VI à partir d’un travail sur les ossements ou les petits objets.

176En revanche, le matériel céramique attribué à cette phase peut nous apporter un certain nombre d’informations.

Des assemblages funéraires ?

177C’est en essayant de restituer des récurrences de matériel dans les quelques tombes réoccupées lors de cette phase que nous pourrons tenter de définir l’usage qui était fait de ces espaces lors de la phase VI. En effet, même si une occupation est perceptible dans certaines tombes, cela ne signifie pas pour autant qu’elles avaient gardé leur fonction de tombe. On peut très bien supposer que ces tombes avaient été transformées en lieu de stockage par exemple. Pour en juger, il nous faut tout d’abord considérer les quelques rares assemblages disponibles pour cette phase et leur composition.

178Le matériel islamique de la tombe T11 est plus abondant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Cependant ici, on peut observer une certaine correspondance entre le matériel tardif trouvé à l’extérieur (en particulier les fragments de vases à cuire T11.14 et T11.50‑51) et les vases provenant de l’intérieur comme T11.74. Il est assuré qu’il y eut un pillage de ces vases tardifs. Ce pillage eut‑il lieu au début de l’époque omeyyade ou plus tard ? Le matériel d’époque islamique trouvé dans et autour de cette tombe est chronologiquement relativement cohérent. À l’intérieur de la tombe, deux lampes semblent pouvoir appartenir aux types 5c et 6 et sont donc encore dans la continuité du matériel byzantin. De même, un fragment de vase à cuire pourrait se rapprocher de ces lampes (T11.74) et avoir ses pendants à l’extérieur. Les os, d’autre part, qui proviennent de tous les niveaux distingués à la fouille, renforcent cette impression d’un pillage qui correspondrait au dernier passage dans la tombe. Étant donné donc la nature et les formes du matériel correspondant à cette phase VI et reprenant en partie le type de matériel mis au jour dans les tombes de la phase V (lampes et vases à cuire), on peut se demander si ces objets ne correspondent pas à un dernier moment d’utilisation de type funéraire de la tombe, qui aurait ensuite été pillée. Les deux tombes T1 et T8 vont permettre de poursuivre cette réflexion.

179Dans la tombe T1, les traces d’occupation de la phase VI sont plus conséquentes. À l’intérieur, le matériel d’époque omeyyade est représenté par deux vases fermés (T1.95 et T1.99), un couvercle d’amphore (T1.101) et trois lampes (T1.129, T1.152‑153), provenant tous de la couche 2. En revanche, on peut noter l’absence de vases de cuisson de cette époque. D’autre part, cette occupation islamique ne semble pas homogène, même si la datation de ce matériel n’est guère précise. Les deux vases fermés et les deux lampes T1.129 et T1.152 pourraient être associés. La lampe T1.153 paraît postérieure au reste du matériel daté de l’époque omeyyade et se situant dans le prolongement du matériel d’époque byzantine. La composition de ce matériel omeyyade rappelle aussi la composition du matériel trouvé dans les tombes de la phase V, avec la présence prédominante de vases fermés et de lampes. Il s’agit d’un type d’assemblages tout à fait différent de ce que l’on trouve en contextes d’habitat ou de lieu de production, où l’on a moins de lampes, et en revanche, davantage de bols, d’assiettes et/ou de plats, de jattes et de bassins468. On aurait donc là les vestiges d’une phase d’inhumation omeyyade, avec une sélection du matériel. En revanche, la lampe tournée T1.153 renvoie plutôt aux viii^e‑ix^e s. et pourrait bien être la trace d’un dernier passage dans la tombe, au cours duquel auraient été sortis certains objets renvoyant au début de l’époque omeyyade (par exemple la lampe T1.4) et l’ensemble des ossements aurait été déplacé au centre de la tombe, y compris les dernières inhumations, peut‑être omeyyades.

180Le matériel islamique de la tombe T8 est, lui aussi de façon générale, caractéristique des assemblages en contextes funéraires. La présence en grand nombre d’amphores nord‑syriennes ne permet guère une évaluation précise, dans la mesure où ces vases peuvent appartenir aussi bien au vi^e qu’au vii^e s. On retrouve des lampes relativement nombreuses qui dominent, en nombre, ce matériel (T8.295‑305, T8.337). On voit que les lampes de type 5c, d’époque omeyyade, constituent environ un quart de l’ensemble du matériel lychnologique. De plus, on trouve dans cette tombe des fragments de vases à cuire (T8.202‑223) et d’amphores (T8.143‑144, T8.146‑147, T8.148‑149, par exemple), accompagnés d’un couvercle (T8.151), qui peuvent être associés de façon certaine à ces lampes omeyyades. Cette dernière occupation pourrait être plus longue que dans les tombes précédentes et située entre la seconde moitié du vii^e s. et le ix^e s., comme le montreraient les amphores découvertes dans cette tombe qui, pour certaines d’entre elles comme T8.149, se distinguent nettement des formes et des décors habituels sur les amphores peintes régionales des vi^e et début du vii^e s., tout en s’en inspirant.

181Dans ces tombes que l’on peut attribuer à l’époque omeyyade, il existe donc un matériel invariablement constitué de lampes (type 5c ou 6) et de vases fermés : il peut s’agir d’amphores nord‑syriennes (majoritaires) ou de cruches, pichets ou petites jarres. Quelques exemples de vases à cuire attribuables à cette phase VI ont aussi été trouvés dans les tombes T8 (T8.202‑223) et T11 (T11.14‑44). Ce faciès de l’occupation omeyyade reprend avec fidélité les différentes catégories de matériel, présentes dans les tombes de la phase V, et diffère du matériel omeyyade trouvé en contextes d’habitat par exemple. Ainsi, les tombes T1 et T8 (et peut‑être T11) pourraient témoigner, grâce aux assemblages caractéristiques qu’elles présentent, d’une continuité de l’occupation dans certaines des tombes autour d’Apamée à l’époque omeyyade. Certes, le nombre de tombes dont l’utilisation se poursuit en tant que telle est très limité, mais il suffit à montrer que l’abandon des espaces funéraires s’est fait de façon progressive. D’autres sites ont révélé une réoccupation tardive ponctuelle de certaines tombes, à Hiérapolis469 par exemple.

182Un dernier point commun aux trois tombes qui ont connu une occupation à l’époque omeyyade est constitué par la présence, dans chacune d’entre elles, de grands bassins qui n’apparaissent nulle part ailleurs. Il s’agit de T1.9, T8.152, T8.153, T11.8 et T11.9. La typologie de ces vases n’est guère établie, de sorte que leur attribution à une phase précise reste hypothétique. Cependant, la coïncidence peut être évidemment significative. D’autre part, la majorité de ces vases a été mise au jour à l’extérieur des tombes. La seule exception à cette répartition spatiale est constituée par les fragments T8.152‑153. Tous ces éléments restent difficiles à expliquer : ces bassins se substituent‑ils aux vases qui pouvaient contenir des restes alimentaires, comme les vases à cuire, en particulier à l’extérieur ? On trouve d’ailleurs fréquemment des vases fermés probablement d’époque omeyyade à l’extérieur de ces tombes (T1.5, T1.7‑8, T8.3, T11.5 [?]). Certes, une partie pourrait avoir été emportée de l’intérieur de la tombe, cependant, on peut se demander si ces vases ne seraient pas aussi les vestiges des cérémonies de commémoration à l’extérieur des tombes (repas funéraire, offrande alimentaire ?), dont des traces avaient peut‑être aussi pu être observées au cours de la phase V470.

183On pourrait aussi objecter que les espaces funéraires ont peut‑être continué à être assez largement utilisés, mais que les tombes d’époque islamique, sans matériel, ne se distinguent pas de celles de la période précédente et peuvent même être imperceptibles. Pourtant, les traces de passages d’époque islamique, autour des tombes et au‑dessus des tombes se limitent à peu près aux tombes qui présentent aussi du matériel à l’intérieur. Cette coïncidence renforce l’hypothèse selon laquelle les tombes qui ne comportent pas de matériel appartenant à la phase VI ont bien été abandonnées.

Une continuité des pratiques funéraires

184Il est difficile de cerner les modalités d’occupation des trois tombes T1, T8 et T11 au début de l’époque omeyyade. S’agit‑il de quelques individus qui ont été inhumés de manière isolée et marginale dans ces anciennes tombes dont le souvenir subsistait ? S’agit‑il plutôt de quelques familles qui restent attachées à ce lieu d’inhumation ancien ?

185La composition des assemblages, particulièrement dans les tombes T1 et T8, semblerait plutôt indiquer que cette seconde hypothèse est la plus vraisemblable. En effet, on ne peut être que frappé par la continuité qui existe dans la composition du matériel et donc probablement dans les pratiques funéraires, avec la période précédente. On retrouve les lampes qui semblent représenter une proportion à peu près identique à celle de la phase V471, par rapport aux vases fermés. La présence même de ce matériel, plutôt rare en contextes d’habitat, nous montre qu’une sélection du matériel a été opérée. De même, l’absence de vases de consommation alimentaire du type plat, assiette ou bol, souligne également ce fait, alors que ces formes sont courantes en contextes d’habitat à l’époque islamique, comme le montre le site de Zeugma472. On se situe donc dans la continuité de la phase V, aussi bien topographique que, sans doute, rituelle.

186Bien sûr, la continuité des pratiques funéraires par rapport à la période byzantine souligne dans un premier temps la façon très progressive dont la région est passée sous l’influence de l’Islam. Tout comme les nécropoles de Syrie ont souvent continué à être utilisées pendant au moins la période omeyyade, de même, le rituel a persisté à l’identique, semble‑t‑il, sans qu’il soit véritablement possible de déterminer s’il était le fait de familles chrétiennes ou pas. Cette continuité au début de l’époque islamique a été notée à de nombreuses reprises en ce qui concerne les dynamiques territoriales dans les centres urbains473 ou les formes de céramiques474 par exemple. Elle semble pouvoir également être envisagée pour les pratiques funéraires avec, en particulier, l’importance que paraissent continuer à jouer les lampes dans ce cadre. Bien sûr, on ne peut dire si cette continuité s’explique parce que les familles qui sont attachées à ces tombes sont toujours chrétiennes ou bien si c’est parce que les gestes du rituel funéraire sont encore considérés comme faisant partie de la sphère du privé et donc ne sont pas touchés par les éventuelles conversions à l’Islam, voire simplement par la force de l’habitude et la nécessité de se rassurer. Tout au plus peut‑on remarquer que la tombe T9 qui est très ouvertement chrétienne n’est sans doute plus utilisée après la phase V.

187De même, l’utilisation des tombes en tant que telle ne semble guère s’être poursuivie au‑delà du début du viii^e s., soit environ trois générations après la fin de la phase V, alors que la mémoire de la phase byzantine commençait à s’effacer. L’attachement aux lieux et aux gestes est donc peut‑être la raison principale de la poursuite très partielle des inhumations dans les espaces funéraires autour d’Apamée.

Une transformation de certaines tombes ?

188Quelques tombes présentent du matériel tardif qui se distingue nettement, par sa composition, de celui des tombes ayant connu une réoccupation de type funéraire.

189Les rares traces de passages dans certaines tombes, comme T1 (T1.153), T3 (T3.2 [?]), T5 (T5.11‑12), T8 (T8.3 [?]), T9 (T9.17), semblent, le plus souvent, se limiter à l’extérieur des tombes (tombes T3 et T8) ou à des témoignages d’occupations opportunistes qui ne sont d’ailleurs pas forcément des pillages. Ces tombes peuvent avoir fourni des espaces de stockage (T5), à vrai dire rarement, leur situation en hauteur rendant cette reconversion des espaces peu commode, mais aussi des abris aux bergers par exemple ; à l’occasion, ceux‑ci ont certainement largement contribué au déplacement du matériel et des os, sans apparemment avoir beaucoup modifié la composition des assemblages de céramiques, comme le montrerait leur régularité, si ce n’est peut‑être pour les objets précieux. En ce qui concerne la tombe T3, un seul vase trouvé à l’extérieur de la tombe peut être attribué avec certitude à la phase VI (T3.2). Il est complètement isolé et plus tardif que tous les autres vases observés dans les environs. Il ne peut être que le vestige d’un passage et ne participe probablement pas du fonctionnement de la tombe voisine T3. De même, l’amphore isolée T3.6 qui peut être assignée à la phase V ou VI ne suffit pas, à elle seule, à signifier que la tombe a connu une occupation de type funéraire pendant cette période. En revanche, elle atteste d’un passage léger, difficile à définir.

190Ces vestiges de passages ne sont pas tous contemporains : ainsi, les fragments T9.17 et T3.2 pourraient montrer que ces passages eurent lieu dès l’époque omeyyade pour des tombes abandonnées à l’issue de la phase V, alors que dans les tombes T1, T5 et T8, on se situe sans doute au‑delà. On ne peut donc que constater la rareté probable de ces changements de fonction, pour des tombes qui semblent en majorité avoir été simplement abandonnées.

Conclusion

191Ainsi, malgré les conditions très difficiles d’étude de ces espaces funéraires, un certain nombre d’éléments concernant les pratiques funéraires a pu être dégagé. Il apparaît tout d’abord que, malgré la fourchette chronologique très étendue, des points communs à toutes ces périodes doivent être soulignés. Ainsi, d’une part, il y a une certaine unité des assemblages funéraires, quelle que soit la période : ils sont toujours composés de la même façon, par à peu près le même type de matériel, quelle que soit l’architecture de la tombe. On ne trouve que de la céramique commune avec toujours, dans une même phase, le même répertoire très limité de formes complémentaires, destinées d’une part à recevoir divers produits, de consistances différentes, probablement solides et semi‑liquides ou liquides, et d’autre part à recevoir des produits parfumés, onguents, huiles ou encens. Ces vases semblent répondre à des pratiques obligatoires qui se perpétuent pendant quasiment toutes les phases de fonctionnement des tombes.

192À côté de ce corpus commun, d’autres éléments apparaissent, qui révèlent une certaine évolution des pratiques funéraires : les plus importants sont les lampes, complètement absentes des tombes à l’époque hellénistique, elles deviennent progressivement prépondérantes. Cette évolution doit sans doute être envisagée sous plusieurs angles. Déjà, le site de Zeugma montre bien que l’usage des lampes à huile se développe à l’époque romaine dans la région, quand les lampes moulées sont produites : ces objets deviennent très courants et, à ce titre, peuvent être plus volontiers laissés dans les tombes, tout comme on préfère consacrer aux morts de la céramique commune plutôt que de la céramique fine. Leur utilisation devient d’autant plus nécessaire quand, lors de la phase III, de grandes tombes à deux chambres, particulièrement profondes et sombres, sont créées. De plus, les lampes, outre leur rôle pratique, acquièrent aussi un rôle symbolique qui sera repris et peut‑être amplifié lorsque la religion chrétienne se développera.

193Enfin, beaucoup de gestes du funéraire nous échappent en grande partie : il s’agit en particulier des gestes les plus personnels et intimes, comme le fait de mettre dans la tombe des objets ayant appartenu au défunt ou à ses plus proches parents, bijoux ou ustensiles du quotidien, qui souvent ont disparu ou bien qui peuvent difficilement être datés précisément. Certes, cet aspect ressort un peu plus nettement lors de la phase IV, mais il reste très discret et toujours d’interprétation délicate. On ne peut que le regretter puisque ce sont avant tout ces éléments qui permettraient de reconstituer tout l’univers personnel du mort, son statut et la relation qui l’unit aux vivants au‑delà de la mort.