1La diversité des formes architecturales prises par les tombes autour d’Apamée est une caractéristique de ces espaces funéraires, mais aussi des nécropoles d’époque romaine mises au jour en Syrie1. Même les nécropoles rurales n’échappent pas à cette richesse de formes2. Cette diversité doit aussi être attribuée à la fourchette chronologique ample, près de mille ans, couverte par ces contextes funéraires. Cependant, il conviendra d’essayer de restituer, si possible, des règles dans le choix des formes architecturales adoptées et de décider des critères de choix qui peuvent être d’ordre chronologique, géologique et topographique, sociologique ou encore personnel, en fonction de l’âge ou du genre des défunts. D’ailleurs, ces questions seront difficiles à envisager dans la mesure où les espaces funéraires n’ont pas été, loin s’en faut, fouillés de façon exhaustive. Chaque catégorie de tombes est représentée par un petit nombre d’exemplaires et certaines tombes sont parfois difficiles à intégrer dans un cadre clair3, ainsi les principes de choix d’une forme de tombe ou d’une autre apparaissent souvent comme difficiles à déterminer4.

2En tout cas, on peut noter que dans les espaces funéraires autour d’Apamée, toutes époques confondues, les tombes les plus fréquentes sont les tombes simples à fosse ou caveau et les tombes rupestres. Ce sont les catégories de tombes qui paraissent dominer le paysage funéraire d’époque romaine en Syrie de façon générale5, ce qui n’exclut cependant pas la variété des formes, comme le montre la typologie établie ci‑dessous. Ainsi, les tombes rupestres, par la décoration de leur entrée, mais aussi par leur plan, leurs variantes et surtout l’utilisation de lits funéraires simples en arcosolia, paraissent renvoyer à une typologie avec de fortes résonances régionales, qui n’avaient pas encore été relevées6. Pourtant, la comparaison nécessaire avec les différents espaces funéraires de Zeugma, de l’autre côté de l’Euphrate, qui présentent une typologie assez différente, montre que d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte, comme la densité de population, l’histoire du site et de sa population, l’origine et l’importance des revenus des familles, la mobilité ou au contraire la stabilité des équipes d’artisans sur un site. D’autre part, les tombes simples et les tombes à chambre coexistent à Apamée comme ailleurs en Syrie7 et en Anatolie, quand la topographie le permet. Autour d’Apamée, on peut aussi constater, en l’état actuel de nos connaissances, l’absence de mausolée construit ou encore de tombes‑tours. En tout cas, toutes les tombes, sauf peut‑être une (T30), sont des tombes à inhumation, comme cela est normal dans la région8. On a également l’impression que les techniques de construction sont regroupées par secteurs, ce qui s’explique, bien sûr, par la nature du substrat. Ainsi, si dans le secteur où le sol est rocheux, on a de simples caveaux creusés dans le rocher (secteur D), en revanche, dans les alluvions (secteur C), le principe des tombes à ciste a été adopté pour mieux renforcer les parois. Les tombes rupestres à chambre correspondent à des tombes nettement plus coûteuses : là, le facteur social a certainement joué un rôle important. Malheureusement, ces tombes ont eu, en général, une histoire longue et complexe, marquée par de nombreuses réoccupations, de sorte qu’il est le plus souvent impossible d’étudier l’ensemble du matériel de ces tombes et donc de comparer la valeur des objets accompagnant les défunts dans les différentes catégories de tombes. D’autre part, on ne peut faire cette étude sans évoquer les ossements qui ont longtemps été les grands absents des tombes dans les publications. La confrontation entre l’architecture des tombes et les ossements mis au jour, leur emplacement, leur nombre, leur état, apporte des éléments intéressants sur la gestion des corps et l’histoire des tombes, qu’il nous faut également évoquer ici. En effet, si l’architecture permet de préciser les intentions de départ concernant, par exemple, le nombre de défunts prévus, leur statut social ou l’époque de construction de la tombe, bien souvent, l’histoire des tombes ne peut guère être précisée sur le long terme que par des indices architecturaux ténus (traces d’agrandissement, de fermeture définitive) qui peuvent aussi être absents, par des vestiges à l’interprétation délicate (objets d’époques variées) et par l’étude de la gestion des ossements qu’elle contient. Nous nous devons donc d’évoquer cet aspect pour préciser les possibles réutilisations d’une tombe et plus généralement, l’histoire du fonctionnement de ces structures funéraires.

3Nous considérerons ces architectures en partant des plus simples pour arriver aux plus complexes.

Les tombes simples

4Ce type de tombes est le plus courant dans la plupart des nécropoles. Il s’agit de tombes qui ont été prévues, à l’origine, pour recevoir un seul corps, mais on peut trouver les restes de plusieurs sujets dans ces tombes qui ont pu être réoccupées. Cela s’est fait alors que les sujets déjà déposés étaient décomposés entièrement ou partiellement, ce qui permet de récupérer de la place pour inhumer un autre sujet. Cette opération peut en plus s’accompagner d’une réduction des ossements qui sont repoussés au fond de la tombe ou d’un nettoyage des restes qui ont été alors entièrement ou partiellement prélevés. Ces pratiques supposent donc au moins plusieurs semaines, voire quelques mois d’intervalle entre deux inhumations9. Ce type de tombes ne paraît pas limité à un secteur précis des espaces funéraires. On trouve ces tombes simples dans les secteurs situés en partie basse (secteurs C et D), mais elles sont aussi attestées sur les pentes du plateau à côté de tombes à chambre. De même, ce type de tombes existe à toutes les époques de fonctionnement des espaces funéraires, mais plus particulièrement au cours des phases I et IV‑V. Elles présentent enfin une grande variété typologique.

Tombes à fosse ou à caveau

5Ces tombes sont constituées d’une simple cavité, en général rectangulaire, creusée dans le sol naturel, qu’il s’agisse de sédiments (fosse) ou de rocher (caveau). Les couvertures de ces tombes présentent des typologies variées ; elles peuvent être absentes, comme être constituées de grandes dalles posées à plat ou en bâtière, de tuiles, de voûte en briques ou d’amas de moellons.

6Les tombes à fosse ou à caveau étudiées, dans le cadre des espaces funéraires autour d’Apamée, sont en principe au nombre de treize (T6‑T7, T14, T17‑T23, T26‑T27, T29), auxquelles il faut peut‑être ajouter une tombe (T28) dont le caveau a été perçu par les fouilleurs, mais qui n’a livré aucun matériel ni aucun ossement. Peut‑être s’agit‑il d’une tombe pillée ou qui n’a jamais été utilisée. Cette architecture est donc fréquente, même si ce type de tombes, en général modeste, a pu échapper beaucoup plus facilement aux prospections et aux recherches que les tombes à architecture plus complexe. D’ailleurs, ce type de tombes représente les seules tombes simples de l’époque hellénistique autour d’Apamée, puisqu’à partir de l’échantillonnage trop limité dont on dispose, les tombes à ciste semblent uniquement appartenir à la phase IV des inhumations10. Les tombes à fosse ou à caveau fouillées sont donc relativement peu nombreuses ; elles ne fournissent qu’un échantillonnage sans aucun doute peu représentatif. Les réflexions qui suivent ne peuvent donc être considérées comme sûres ; elles ne représentent qu’une tentative pour intégrer les données à des considérations plus larges, mais il va de soi qu’il faut attendre que des fouilles systématiques dans des espaces funéraires non monumentalisés aient lieu dans la région pour pouvoir commencer à appréhender ce type de tombes et leur fonctionnement dans la moyenne vallée de l’Euphrate.

7Parmi les quatorze tombes de ce type, treize ont été creusées dans le substrat rocheux (secteurs A et D, T6‑T7, T14, T17‑T23, T26‑T28) et une seule dans les terres alluviales de la plaine (secteur C, T29). La répartition spatiale de ces tombes montre qu’elles sont regroupées en quelques « noyaux » : celles qui ont été creusées dans le rocher, les plus nombreuses, occupent le bas de la pente est de la colline qui domine Apamée (secteurs A et D, fig. 10). La tombe T29, quant à elle, a été creusée plus bas, mais toujours à l’est de l’établissement, peut‑être le long d’une route qui pouvait partir vers l’est sans suivre l’Euphrate, pour rejoindre les sites du plateau et/ou la vallée du Balikh11. Aucun élément ne permet de vérifier que ces tombes appartiennent à des enclos funéraires comme on en voit à l’époque hellénistique sur d’autres sites, à Argos12, à Rhodes13 ou à Apollonia du Pont14 par exemple. Les fouilles ont été trop rapides et trop limitées pour livrer des éléments sur ce point.

8Ces tombes ont souvent pu être datées grâce au matériel qu’elles contiennent : la majorité appartient à la période hellénistique (T14, T17, T19‑T23, T26‑T29). Elles sont regroupées dans les secteurs les plus bas, même si la tombe T23, étroitement associée à la tombe à chambre T24, est située en hauteur. Cependant, quelques‑unes de ces tombes pourraient peut‑être être associées à la phase IV ou V de fonctionnement des espaces funéraires. Il s’agit des tombes T6 (?)‑T7 et, de façon encore plus hypothétique, T18 qui contient des lampes tardives (T18.3‑16), mais peut‑être attribuées par erreur à cette tombe. Il ne semble pas y avoir d’espace funéraire particulier pour la phase tardive des tombes à caveau : elles occupent alors des espaces libres près des tombes rupestres (T6‑T7) avec lesquelles nous n’avons pas pu trouver de lien de fonctionnement clair, mais auxquelles elles offrent peut‑être de la place supplémentaire, alors que les tombes monumentales creusées dans le rocher sont à peu près au complet. L’opportunisme semble de mise pour le creusement de ces tombes à caveau tardives. Les tombes à fosse ou à caveau sont utilisées au Moyen‑Orient de façon continue pendant les époques hellénistique, romaine et byzantine. La répartition de ce type de tombes autour d’Apamée peut donc être le fruit du hasard des découvertes.

9L’orientation de ces tombes est assez variable à l’intérieur même d’un groupe cohérent ; il ne semble pas y avoir d’orientation rituelle véritablement contraignante : ainsi, dans le groupe des tombes du secteur D (fig. 363‑364), la plupart sont orientées nord‑ouest ‑ sud‑est (T14, T17‑T21, T26), mais quelques‑unes sont plutôt nord‑est ‑ sud‑ouest (T7 et T22). Si une orientation est‑ouest est parfois privilégiée, en particulier dans les nécropoles d’époque hellénistique, que ce soit à Apollonia du Pont15, à Agathè et Ampurias16, à Abdère17 ou encore plus près d’Apamée, en Syrie à l’époque romaine18 ou en Égypte19, cette règle n’a cependant rien d’absolu20 et nombreuses sont aussi les nécropoles hellénistiques avec des orientations très variables, en fonction de la tradition locale, du relief ou du tracé des voies de communication21. Des variations d’une tombe à l’autre ont aussi été observées, par exemple dans la nécropole du début de l’époque romaine à Gordion22. En revanche, les tombes à caveau d’époque romaine tardive autour d’Apamée (T6‑T7) sont trop peu nombreuses pour que l’on discerne une orientation privilégiée, est‑ouest, comme à Gordion où la prédominance de cette orientation est attribuée à l’influence du christianisme23. D’autre part, il est difficile de déterminer dans ces tombes quel était l’emplacement de la tête car les ossements sont très mal conservés, voire absents. Finalement, toutes ces variations semblent avant tout démontrer une adaptabilité aux contraintes extérieures qui est sans doute de mise autour d’Apamée, quelle que soit l’époque.

10Aucun recoupement n’a pu être observé entre ces tombes simples : cela permet de supposer qu’une signalisation de surface et des marqueurs existaient sans doute, qui n’ont pas été conservés. Une telle constatation est fréquente pour les nécropoles d’époque hellénistique, et l’on suppose souvent qu’il s’agissait de marqueurs en matière périssable, en bois par exemple (simples poteaux, arbrisseaux, voire même plantes)24.

11Le détail de l’architecture des tombes hellénistiques à caveau ou à fosse n’est pas toujours bien conservé et est parfois difficile à établir précisément. En général, le creusement de ces tombes semble toujours peu profond, voire superficiel25. Autour d’Apamée, la plupart ont été creusées dans le rocher, ce qui permet d’apprécier ce point assez précisément. Les creusements paraissent tous de forme générale rectangulaire, avec des angles bien marqués, profonds d’environ 1 m. Cependant, certains esquissent une forme légèrement trapézoïdale (T14, T19, T22, T23) comme cela a été souvent observé ailleurs : la partie la plus large abritait alors les épaules du défunt. Le haut des parois comporte une feuillure marquant un léger élargissement du creusement destiné à supporter la couverture de la tombe qui était constituée, en général, sans doute de dalles de pierre plates placées côte à côte. Leur plus grande dimension correspond à la largeur du creusement, comme le montre la tombe T22 (fig. 459) qui a conservé trois des dalles de couverture en place ou la tombe T23 (fig. 473) avec deux dalles conservées, tandis que des fragments de dalles étaient tombés à l’intérieur de la tombe T21. La couverture de la tombe T29 présente une construction un peu différente ; bien conservée, elle est constituée de quatre demi‑fûts de colonne remployés et colmatés par de petites pierres de calage (fig. 514). Ce type de couvertures est courant pour les caveaux creusés dans le substrat rocheux, comme on peut le voir également à Zeugma26. En revanche, la couverture de dalles de pierre apparaît plus rarement pour les tombes creusées dans la terre comme cela semble être le cas pour la tombe T29. Cependant, on en trouve des exemples à l’époque hellénistique, par exemple à Kymè27 et à Argos28. Dans les tombes à fosse creusées dans la terre, on ne peut exclure que des aménagements latéraux en périssable aient pu conforter les parois et supporter des planches de bois servant de couverture, comme on peut le voir à Gordion29 ou, plus tardivement, à Porsuk30, mais l’existence de ces dispositifs, difficiles à prouver dans les conditions de fouilles des espaces funéraires autour d’Apamée, semble devoir être de toute façon rare dans la mesure où la plupart des tombes ont été creusées dans le substrat rocheux. De même, aucun clou ne semble avoir été trouvé dans ces contextes, de sorte que l’usage de cercueil ne semble guère probable, mais on ne peut exclure la présence de coffrages de bois installés directement dans les tombes et maintenus en force ou par des chevilles en bois. Quant à la nature du remplissage de la tombe, elle n’est pas précisée et le fait que les creusements aient été remblayés dès l’origine ou non ne peut être déterminé que par l’observation du déplacement de certains os hors du volume du corps. Or, les ossements dans ces tombes sont souvent absents ou très fragmentaires. Enfin, le niveau de circulation des différents secteurs de ces espaces funéraires ne peut être déterminé et l’on ne sait pas si la couverture des tombes était visible. La morphologie précise de ces tombes est donc difficile à préciser.

12Les tombes à fosse ou à caveau d’époque hellénistique semblent correspondre, par leurs dimensions lorsqu’elles sont connues, à des tombes d’adultes et les ossements, quand ils sont conservés, le confirment (T14, T19, T20‑T23, T29), même si parfois, un sujet immature semble avoir pu partager une tombe simple avec un adulte31.

13Le contenu de ces tombes à caveau ou à fosse permet‑il de préciser l’identité sociale du défunt ? On considère traditionnellement que ce type de tombes accueille les défunts les plus modestes32. La comparaison entre le matériel contenu dans les tombes à fosse ou à caveau et celui venant des tombes avec une architecture plus élaborée (tombes à chambre T4, T5, T24, par exemple) montre une absence générale d’objets luxueux dans ces dernières, si l’on excepte deux objets en métal, dont un bracelet en bronze provenant de la tombe T24. Cette modestie des tombes à l’architecture élaborée peut être attribuée aux pillages qui ont marqué les tombes à chambre. Cependant, si l’on ne considère que la céramique présente dans ces tombes, elle semble être rigoureusement la même que celle trouvée dans les tombes à caveau ou à fosse ; il s’agit toujours de production locale. De plus, à partir du matériel mis au jour dans la tombe T24, si l’on ne peut établir la composition de la vaisselle consacrée à chaque défunt, faute de pouvoir restituer en toute certitude l’histoire de la tombe, on remarque malgré tout que la proportion pour chaque type de vases est à peu près conforme à ce que l’on observe dans l’ensemble des tombes d’époque hellénistique (deux à trois assiettes à cupule pour un bol)33. Au‑delà de cette règle, peut‑on imaginer que l’on offre plus de vases, mais selon les mêmes proportions, dans les tombes monumentales, puisque la tombe T24 a livré dix‑huit vases pour, apparemment, un seul défunt ? À moins que ces vases plus abondants rendent compte d’un fonctionnement différent de la tombe, avec des visites qui permettent de laisser des vases à l’intérieur des tombes monumentales, alors que les visites sur les tombes simples ne laissent de vestiges qu’à l’extérieur de la tombe, dans un milieu moins protégé. Si l’architecture funéraire laisse donc deviner des statuts sociaux différents, dans l’état actuel de nos connaissances et à partir du matériel contenu dans chaque tombe, on ne peut pas confirmer ces données : quel qu’ait été le statut du défunt, il semble qu’un minimum d’offrandes lui était dû. On observe aussi que le caveau T23 semble devoir être associé à la tombe à chambre T24. Ce type d’associations apparaîtrait donc dès l’époque hellénistique, signalant soit des défunts de statut social différent, soit un problème de place dans la tombe à chambre, résolu par le creusement d’une tombe à caveau à l’extérieur, avec une difficulté cependant : la tombe T24 ne semble contenir qu’un seul occupant pour plusieurs places. En tout cas, il apparaît que l’architecture très simple des tombes à fosse ou à caveau ne correspond pas systématiquement à une tombe pauvre34.

14De manière générale, ce type de tombes à fosse ou de caveaux est très mal connu, aussi bien en Anatolie35 qu’en Syrie36, par manque d’intérêt pour ces structures très modestes, alors qu’elles étaient probablement les tombes les plus nombreuses37. Cependant, des exemples sont signalés dans de nombreuses nécropoles hellénistiques d’Asie Mineure, par exemple à Antandros, Hiérapolis de Phrygie (sans datation précise)38, Pessinonte39, Laodicée40, Karapınar41, Labraunda42 en Carie et Sillyon43 dans la région d’Antalya, ou encore en Cappadoce44, bien qu’elles ne soient souvent que mentionnées rapidement. Elles sont très bien représentées dans les nécropoles contemporaines de Syrie, comme à Palmyre45, mais également dans la moyenne vallée de l’Euphrate46, ainsi qu’à Zeugma47, à Tell Sheikh Hamad48 dans le Khabour, à Tell Kazel49 et à Doura‑Europos à l’époque parthe50. Ce type de tombes est aussi fréquemment utilisé à l’époque hellénistique en Grèce, par exemple à Astypalée51, mais aussi au Moyen‑Orient, à Beyrouth (Bey 045 et 152)52 et Sidon53, à Chypre54 et à Alexandrie55 entre autres.

15Cette architecture très simple est utilisée pendant toute l’Antiquité56 comme le montrent les espaces funéraires autour d’Apamée. En effet, quelques tombes à caveau plus tardives ont été mises au jour (T6‑T7 et peut‑être T17‑T18). Comme à l’époque hellénistique (T23‑T24), on peut trouver une tombe à caveau peut‑être associée à une tombe à chambre : cette association est bien connue par ailleurs, par exemple à Hiérapolis57. Elle a aussi été observée dans la moyenne vallée de l’Euphrate58. Pourtant, autour d’Apamée, même si les tombes T6 et T7 se trouvent dans des secteurs aussi occupés par des tombes à chambre, aucun exemple assuré d’association n’est apparu, ce qui ne signifie pas que ce type de liens étroits entre des tombes très différentes n’existait pas.

16L’absence ou l’extrême pauvreté du matériel mis au jour ne permet guère de dater ces tombes tardives avec précision : cependant, la tombe T6 pourrait appartenir à la phase IVa de fonctionnement des espaces funéraires autour d’Apamée, la tombe T7 à la phase V. La disposition de ces tombes sur le site est avant tout opportuniste. L’architecture de ces tombes à caveau tardives est, en général, moins soignée que pour les tombes hellénistiques. Le creusement du caveau est généralement moins régulier, les parois moins droites, les angles moins marqués (T17‑T18). Cependant, la tombe T6 présente une architecture qui paraît plus soignée, avec un creusement plus nettement dessiné, même si elle ne fut probablement jamais achevée.

17Pendant l’époque romaine59 et la période protobyzantine, ce type de tombes est très courant en Syrie et dans le Moyen‑Euphrate (Doura‑Europos, Tall as‑Sin, Halabiya, Tell Bi’a, Tell Halawa, Selenkaye, Hammam Sagir, al‑Najm, Boujak avec 41 tombes de ce type répertoriées, Daykdara, Quruq Magara, Zeugma)60, à Yukarı Söğütlü et Tut en Commagène61, mais aussi plus à l’est à Hırbe Helale (Mardin)62 et à Dara‑Anastasiopolis63, et en Anatolie (Pessinonte, Gordion, Amorium, Islamalan et Çatalhöyük, Porsuk, Laodicée, Eumeneia, Séleukeia Sidera, Phaselis, Korykos, Olba‑Diocésarée, Alahan, Kanytelleis, Anazarbe et Hiérapolis‑Castabala) où, pourtant, les exemples étudiés sont rares64. Les sites de Palmyre65 et d’Alexandrie en ont livré également un certain nombre66, ainsi que les sites libanais67 et chypriotes68. Il s’agit d’un type de tombes très répandu dans tout le Moyen‑Orient, mais l’absence de matériel conservé interdit souvent de dater ces tombes. Le plus souvent individuelles, elles paraissent, au‑delà de l’époque hellénistique, être utilisées au moins jusqu’aux ii^e‑iii^e s. ap. J.‑C.69 mais, comme le montrent entre autres les espaces funéraires autour d’Apamée et de nombreux autres sites, on en trouve aussi plus tard.

Tombes à ciste

18Ce type de tombes se caractérise par une fosse creusée, le plus souvent dans la terre, avec un renforcement des parois fait soit par un coffrage de dalles de pierre (type 1.2a), soit de tuiles (type 1.2b). La couverture est généralement elle aussi constituée des mêmes matériaux. Sans doute à cause de la nature rocheuse du substrat dans la plupart des zones où des tombes ont été fouillées, ce type de tombes est rarement signalé autour d’Apamée, même s’il paraît avoir été présent à Zeugma70 alors qu’il est généralement bien représenté en Syrie71, dès l’époque achéménide, mais aussi à l’époque hellénistique72, à Tell Kazel, Sidon, Tell Sheikh Hamad, Séleucie du Tigre, et dans la vallée de l’Euphrate, à Jebel Khalid et Doura‑Europos. Autour d’Apamée, les trois tombes appartenant à ce type semblent plus tardives.

Type 1.2a

19Une seule tombe (T13) appartient à ce type. Les parois sont constituées de dalles de taille relativement petite (deux dalles sur les côtés ouest, est et sud, et une dalle sur le petit côté nord). Le fond et la couverture de la tombe étaient formés de deux dalles posées à plat. La tombe est attribuée, de façon hypothétique, à la phase IV de fonctionnement des tombes et pourrait être une tombe d’enfants, en lien avec la tombe à chambre T11. On trouve ce type de tombes, qui est courant à l’époque hellénistique, par exemple à Erythreai73, Kymè74, Éphèse75, Iasos76, Caunos77, Idyma78, mais aussi à Çankırı au centre de l’Anatolie79, à Belentepe80, ainsi qu’à Lidar Höyük81 et Doura‑Europos82. Les exemples de l’époque romaine tardive et de l’époque byzantine semblent aussi très nombreux en Anatolie83, aussi bien à Hadrianoupolis84, au nord, qu’à Dorylaion, Yalıncak (près d’Ankara)85, Pessinonte86, Gordion, Bahçecik et Islamalan87, Laodicée88, Hiérapolis de Phrygie89 et Idyma en Carie90. On en trouve également à Hırbe Helale (Mardin)91 et à Dara‑Anastasiopolis92, ainsi qu’en Syrie, à Selenkaye93, Halabiya94, ou encore, plus au sud, à Yasileh95 et à Khirbet edh‑Dharih96, à titre d’exemples. Cependant, ce type de tombes est considéré comme rare dans la Syrie romaine après le ii^e s. ap. J.‑C.97. La tombe T13 d’Apamée qui semble abriter un jeune enfant vient en association probable avec la tombe à chambre T11 et montre peut‑être par là le caractère complémentaire, mais pas pour autant négligeable, que ce type de tombes a pu avoir à l’époque romaine.

Type 1.2b

20Les tombes T12 et T34 sont les deux seules tombes d’Apamée à comporter un coffrage et un couvercle de tuiles plates. Le rapport de fouille ne précise pas si ces tuiles étaient liées au mortier. L’utilisation de ce matériau en contextes funéraires est assez fréquente dès l’époque hellénistique98, en particulier dans l’est de la Syrie, même si elle est rarement signalée dans les publications99, sans doute à cause de la modestie des vestiges. Cependant, des exemples sont cités dans la région100, ainsi qu’à Selenkaye101, Halabiya102 et en Anatolie, pour l’époque romaine à Pessinonte103, Gordion, Islamalan et Çatalhöyük104, Hiérapolis de Phrygie105, Tralles106, Laodicée107, Kymè108 et en Cilicie Trachée109, dès l’époque hellénistique par exemple, mais aussi pour la période byzantine110.

21Les tombes autour d’Apamée semblent cohérentes d’un point de vue chronologique. Elles appartiennent sans doute aux phases IV et peut‑être V. Cette période voit une occupation importante des tombes à chambre. Cependant, quelques tombes simples se développent parallèlement, tombes à caveau111 ou tombes à ciste. D’ailleurs, à Gordion, l’apparition des tombes à ciste se fait dans la nécropole datée entre le milieu du iv^e et le milieu du v^e s.112. Malheureusement, leur nombre restreint ne permet guère de tirer des enseignements de leur présence et de comprendre selon quels critères ce type de tombes est adopté.

22L’emplacement de ces tombes à ciste ne présente guère de cohérence et aucun secteur ne paraît vraiment réservé à ce type de tombes ; en particulier, bien qu’elles semblent à peu près contemporaines des tombes à caveau tardives, elles ne les côtoient pas. En revanche, les tombes T12 et T13 se situent sur les pentes du plateau qui dominent la plaine d’Apamée et abritent un certain nombre de tombes à chambre contemporaines ; toutes deux sont en particulier à proximité de la tombe rupestre T11. Cependant, si T13 paraît pouvoir peut‑être lui être associée, T12 en est un peu plus éloignée. Quant à T34, complètement isolée à notre connaissance, elle a été installée sur les ruines de la ville d’Apamée, à près de 900 m de là et doit correspondre à une autre occupation. Le nombre de ces tombes est beaucoup trop restreint pour permettre la moindre réflexion sur ces implantations.

23Outre leur chronologie, ces tombes à ciste (types 1.2a et b) se ressemblent avant tout par les sujets qui y sont inhumés. Si la tombe T34 ne nous donne aucun renseignement, en revanche, les tombes T12 et T13 ont en commun d’abriter des immatures. On peut noter qu’à Gordion, les trois tombes de type 5 (à coffrage et couverture de tuiles), datées entre le ii^e et le iv^e s., abritent aussi des immatures113, tout comme les quelques tombes à ciste tardives fouillées à Hırbe Helale (Mardin)114. Autour d’Apamée, ces tombes paraissent être réservées aux enfants115, même si leur nombre très limité ne permet pas d’être catégorique. Cela ne veut d’ailleurs pas dire que ces tombes soient considérées comme négligeables, ainsi que le montre en particulier le matériel qui y a été mis au jour116.

Tombe à puits avec lit funéraire latéral

24La tombe T15 montre une variante très rare dans la région de la tombe à caveau : un caveau a été creusé et un lit funéraire latéral a été mis en place, au niveau du fond du creusement, le long d’un des longs côtés. À Apamée, ce lit funéraire comporte une couverture voûtée, évoquant un arcosolium117. Il est fermé par un petit muret de briques, construit de façon grossière. À notre connaissance, on ne trouve guère ce type de tombes dans la région, si ce n’est à Zeugma où trois tombes « à puits et à niches latérales » ont été repérées118, ainsi qu’à Sarrin où deux exemples très proches, « avec arcosolia », ont pu être observés119. Il se peut donc que ce type de tombes ne soit pas si rare dans la région, mais qu’il n’ait pas été repéré du fait de sa modestie extérieure. D’autres tombes proches proviennent de Tall as‑Sin où ce type, regroupé dans un secteur particulier (C1), est considéré comme faisant partie des tombes les plus anciennes, pouvant être datées des iv^e et v^e s.120.

25Cette tombe montre un mode opératoire peu documenté dans la région et plus fréquent dans le sud de la Syrie et sur la côte levantine où les tombes à puits phéniciennes peuvent être à l’origine de ce type que l’on trouve en particulier à l’époque hellénistique et pendant l’époque romaine121, même si les proportions ne rappellent guère celles des « puits » à l’origine de cette forme. De même, ces tombes à puits peuvent se trouver dans le domaine parthe, en particulier entre le ii^e et le i^er s. av. J.‑C. dans le nord de l’Iran122, mais aussi à Suse123. Cependant, elles abritent alors, le plus souvent, des sarcophages124. Dans la vallée de l’Euphrate, à Tall as‑Sin, ce type de tombes à chambre latérale, également présent, n’est pas considéré comme étant le résultat de réoccupations, bien que certaines de ces tombes aient abrité plusieurs individus comme la tombe 132125. Les exemples de Sarrin n’ont pas été fouillés et ne livrent donc pas d’informations nouvelles. Autrement dit, les données sont rares pour situer ce type de tombes dans la région.

26Le site d’Apamée apporte quelques autres éléments : la tombe T15 se trouve dans un secteur (secteur D) où dominent les tombes simples d’époque hellénistique dont elle se rapproche par la forme légèrement trapézoïdale et les dimensions du creusement ; d’ailleurs, elle a livré un matériel hellénistique fragmentaire qui peut permettre d’assigner son creusement à cette période, à moins qu’il ne s’agisse simplement de fragments appartenant au comblement et provenant de tombes voisines détruites. Quelques éléments peuvent instiller le doute sur la datation de cette tombe. Les tombes T17‑T18, situées à proximité, semblent montrer que le secteur a peut‑être fait l’objet d’une réoccupation tardive, lors de la phase IV (et peut‑être V), à moins que le matériel tardif de la tombe T18 ne lui ait été attribué par erreur. Pourtant, il faut ajouter qu’à l’extérieur de la tombe T21, toujours dans le même secteur, des objets en verre tardifs (T21.3‑5) pourraient aussi permettre d’évoquer la présence de traces de passage et peut‑être de quelques tombes de la phase IV. Le muret très grossier fait de briques, qui isole le lit funéraire latéral, se retrouve de façon très proche dans des tombes semblables de Tall as‑Sin, et pourrait, dès lors, conforter la datation tardive de ce type d’architecture126. En revanche, la présence d’une couverture voûtée au‑dessus du lit funéraire peut trouver des parallèles dès le i^er s. av. J.‑C., à Yüceören par exemple127. Le problème est donc de déterminer la date de creusement de la tombe : étant donné sa situation et le matériel trouvé dans la tombe, elle a pu avoir été creusée au cours de la phase I, même si la niche latérale a pu avoir été ajoutée dans un deuxième temps, lors d’une réutilisation située pendant la phase IV, hypothèse retenue au départ par les fouilleurs 128. La répartition spatiale des ossements, qui se trouvent tous dans cette niche, tendrait à montrer que les quatre défunts correspondent à une même phase et que les inhumations furent rapprochées, sans pour autant apporter de certitude. D’autre part, cette réouverture pourrait expliquer la construction grossière du muret de briques qui fermait la niche. On peut constater, cependant, l’absence complète de matériel tardif pour accompagner les défunts de T15, ce qui semble rare dans les tombes des phases IV ou V à Apamée. L’absence de tout vase de cuisson et surtout de tout vase en verre et de tout objet personnel pourrait confirmer que cette tombe est antérieure, même si pour le moment nous préférons laisser la question en suspens, les données de fouille étant trop rares et imprécises. Si l’on choisit de dater cette tombe de la phase I, peut‑être pourrait‑elle constituer un des rares témoignages, dans la région, non pas tant du passage des Parthes que de celui de personnes étrangères, venues peut‑être de la côte moyen‑orientale de culture phénicienne, ce qui pourrait expliquer la présence de ce type d’architecture funéraire probablement importée. Cette hypothèse pourrait aussi correspondre à la présence d’un type de vases fermés d’inspiration plutôt orientale (T15.6) dans la niche latérale. Il conviendrait d’avoir d’autres exemples de ce type de tombes dans la région, pour en comprendre la signification et surtout, en établir la date de creusement.

Tombe à réceptacle en céramique

27Une seule tombe, dans les espaces funéraires autour d’Apamée, peut appartenir à cette catégorie (T30) et encore elle ne semble pas avoir été reconnue comme telle par les fouilleurs et son interprétation reste très incertaine. Sur l’enregistrement, elle est désignée comme étant une « structure annexe » de la tombe T29, cependant, l’organisation de cette structure évoque plutôt la présence d’une tombe. Les os des tout jeunes enfants, très fragiles, ont pu disparaître.

28Cette possible tombe se trouve dans la région basse, là où les tombes étaient creusées dans les alluvions. Elle côtoie une tombe à fosse d’adulte (T29) datée de la seconde partie du ii^e s. av. J.‑C. : cette structure doit elle‑même dater approximativement de cette période. La jarre posée verticalement, qui aurait abrité les restes, était d’un type régional bien connu et courant à l’époque hellénistique. Elle était protégée par un coffre de pierre dont un côté ainsi que peut‑être le couvercle avaient disparu, sans doute arrachés en même temps que l’extrémité de la tombe T29. La jarre elle‑même semble avoir été cassée au niveau de la panse : est‑ce le résultat de la destruction postérieure ou bien était‑ce pour faciliter l’introduction du corps ? Malheureusement, les traces de cassures volontaires129 n’ont pas été cherchées lors de la fouille et une partie de la jarre a disparu depuis. À l’extérieur de la tombe voisine T29, la présence de l’embouchure d’une jarre de ce type (T29.3) peut suggérer que le vase funéraire a été fermé après son inhumation, par la partie supérieure remise en place, selon un procédé que l’on trouve, par exemple, à Marseille130, ou bien qu’il a été cassé ultérieurement. La présence à l’intérieur de la fosse T29 d’autres fragments de jarre peut être interprétée comme les restes d’au moins une autre tombe à réceptacle en céramique qui aurait été détruite, à moins qu’il ne s’agisse de fragments de la jarre de T30 qui auraient été déplacés quand ces tombes ont été perturbées et partiellement détruites.

29Ce type de dispositifs peut abriter soit une incinération, soit l’inhumation d’un périnatal ou d’un très jeune enfant131. En l’absence d’observations plus précises en ce qui concerne la tombe T30 et de restes humains qui puissent lui être associés, il est difficile de trancher. La pratique funéraire de la crémation est rarement attestée en Syrie et en particulier dans la région132, même si elle est présente en Anatolie à l’époque hellénistique133 ou encore à Apamée sur l’Oronte, peut‑être au i^er s. ap. J.‑C.134. De plus, il existe des exemples où inhumations et crémations voisinent dans une même nécropole135 comme ce serait le cas alors pour les tombes T29 et T30.

30Cependant, on peut aussi comprendre ce dispositif comme un exemple d’enchytrisme, même si le doute peut subsister en l’absence de tout reste organique dans le vase. Les os des tout jeunes enfants, très fragiles, sont souvent difficilement repérables, ce qui peut expliquer leur absence totale. Ce type d’inhumations de très jeunes enfants est bien connu depuis longtemps, aussi bien en Orient qu’en Anatolie dès le III^e millénaire ou que dans le monde grec dès l’âge du Bronze136. Par ailleurs, ce mode d’inhumation est très courant pour les enfants en bas âge, dans le monde grec, par exemple à Agathè137, à Ampurias, à Marseille138 ou encore sur l’île d’Astypalée, dans le Dodécannèse, en Crète, à Abdère139, mais aussi à Apollonia du Pont dans certains secteurs ou à certaines époques140. Si parfois des zones sont réservées à ce type de recrutements comme au Céramique à Athènes141, il apparaît qu’à partir de la fin de l’époque hellénistique en particulier, l’habitude a été, en général, de mêler sépultures d’adultes et de très jeunes enfants142, comme cela pourrait être le cas autour d’Apamée. Finalement, cette pratique de l’enchytrisme a aussi été fréquemment observée à l’époque hellénistique à Alexandrie dès le iii^e s. av. J.‑C.143, mais elle est encore peu attestée à la même époque et de façon générale au Moyen‑Orient, probablement faute de fouille systématique de nécropoles. Pourtant, des tombes à enchytrisme ont été publiées en Anatolie144, par exemple à Stratonicée145 en Carie, à Laodicée146, Tralles147, Caunos148, Kymè149 ou Tarse150, mais aussi en Syrie à l’époque hellénistique à Tell Kazel151 et à l’époque romaine, par exemple, à Selenkaye152 et Doura‑Europos153 où pourtant ce type de contenants destinés aux enfants paraît plutôt se concentrer vers les limites orientales de la Syrie, en Mésopotamie parthe. La signification symbolique de ce type d’inhumations a déjà été maintes fois développée à partir des textes anciens : le vase représenterait l’utérus que vient de quitter le nouveau‑né154.

31En l’absence de restes humains, il est difficile de trancher entre ces deux hypothèses. Souvent les vases ayant contenu un enchytrisme sont posés à l’horizontale dans la terre155, ce qui ne semble pas être le cas de la jarre d’Apamée. Cependant, des exemples de vases ayant contenu des enchytrismes et placés verticalement existent aussi à Agathè156 par exemple. Les réceptacles abritant des crémations semblent le plus souvent être placés verticalement dans la fosse ; cet argument pourrait aider à l’interprétation de cette structure s’il n’y avait pas des exceptions à ces usages.

32L’architecture de cette tombe trouve des parallèles relativement proches dans le monde grec, quand il s’agit de faire un coffrage pour protéger un vase‑conteneur : ainsi, les coffrages faits de petites pierres sont‑ils attestés dans le cadre d’enchytrismes de nouveau‑nés, entre autres, à Astypalée157. À Apollonia du Pont, on trouve un système de ciste, constituée de blocs soigneusement travaillés sur leur face latérale pour s’aligner, alors que la face interne est irrégulière158, qui constitue un parallèle proche de ce que l’on a pu observer à Apamée. Cette façon de protéger un vase‑conteneur a aussi pu être observée à Belentepe, en Carie à l’époque hellénistique (pour un vase contenant une crémation)159. En tout cas, cette architecture soignée montre que ce type de tombes n’était pas laissé au hasard et qu’une charge émotionnelle lui était aussi attachée. La tombe d’Apollonia du Pont (à crémation d’ailleurs) daterait de la fin de l’époque classique. Il est également intéressant de noter une particularité que l’on peut observer sur cette possible tombe T30 et qui a aussi été repérée à une tout autre époque et dans une autre aire géographique, à Pompéi160 : les coffrages pouvaient avoir une fonction de signalisation, puisque même quand il y avait recoupement, dans le cas de vases à coffrage, le contenant était quasiment toujours respecté, ce qui semble aussi avoir été le cas pour la tombe T30, si du moins la perturbation est ancienne. On peut trouver aussi, au‑dessus de ce type de tombes, des marqueurs de toutes sortes, pierres ou marqueurs en matériau périssable161, qui ont pu signaler l’existence de cette tombe et permettre de la préserver en partie.

33L’utilisation de toutes sortes de vases de céramique est possible pour contenir les cendres d’une crémation. Pour les enchytrismes, le cas le plus fréquent est constitué d’amphores. Ce type de vases de transport de denrées est relativement rare à Apamée, y compris dans les fouilles d’habitat. Aussi ne faut‑il pas s’étonner que le récipient choisi dans la tombe T30, s’il s’agit d’un enchytrisme, soit une jarre d’un type très courant dans la région. Le mode d’introduction du corps, dans le cas d’un enchytrisme, n’est pas clair pour la tombe T30, puisque l’on ne sait pas exactement quand la partie supérieure de la jarre a été cassée. On connaît des exemples de vases coupés en deux au milieu de leur panse pour faciliter cette opération162 ; d’ailleurs, le diamètre des embouchures de jarres, du type de celle qui a été utilisée, semble trop étroit (autour de 9 cm) pour permettre l’introduction du corps sans briser le vase : le diamètre minimum nécessaire pour une telle opération semble plutôt se situer autour de 11 ou 12 cm163. Aucun système de fermeture du vase n’a été trouvé. Le matériel associé aux enchytrismes est plutôt rare164. L’exemple d’Apamée, très endommagé, ne peut permettre d’apporter des données nouvelles sur ce point, de même que de façon générale il est difficile d’établir quel est le traitement des périnatals sur ce site165.

34En tout cas, quelle que soit l’explication de cette architecture, elle est unique autour d’Apamée et relève d’une pratique funéraire, enchytrisme ou crémation, qui n’est attestée que par cette tombe, si du moins il s’agit bien d’une tombe.

Tombe à sarcophage

35Une seule tombe fouillée autour d’Apamée correspond à ce type (T25). L’usage de sarcophages est peu attesté autour d’Apamée. Les seules autres traces de ce type de contenants proviennent de la tombe construite T2 (empreinte de possibles cuves en pierre). La tombe T25 peut être datée, quant à elle, de l’époque hellénistique.

36Les sarcophages correspondent à un type d’inhumations très courant en Anatolie. On en trouve en Lydie, à Sardes166, ainsi qu’à Kymè d’Éolide167 par exemple, ou à Gürlevik168 (Cilicie Trachée), de l’époque classique au début de l’époque romaine. On trouve également ce type de contenants dans le monde grec d’Occident, à Marseille, par exemple dans la nécropole Sainte‑Barbe, où trois exemplaires datant du iii^e s. av. J.‑C. ont été mis au jour169. À l’époque hellénistique, l’usage des sarcophages est bien attesté170 et la tombe T25 en apporte un nouvel exemple. À l’époque romaine, ce type de contenants se développe encore davantage, toujours en Anatolie, par exemple à Sagalassos171, Hiérapolis de Phrygie172, Laodicée173, Éphèse174, Kymè175, Phaselis176, Yavu, en Lycie177, Termessos178, Kanytelleis179 en Cilicie, Korykos180, Adrassos en Cilicie Trachée181, Olba182, Diocésarée183 et Hiérapolis‑Castabala184, ou dans la vallée de l’Euphrate, à Akarcay Höyük185, plus à l’est, à Hırbe Helale (Mardin)186 et en Syrie187, à Manbij, Sarrin et Tell Khamis (époque hellénistique), mais aussi dans le Massif calcaire188. Enfin, des sarcophages de pierre sont attestés à Zeugma189. La diffusion de ce type de contenants est très vaste, en particulier à l’époque romaine, où ils sont présents en nombre au Liban190, conformément à une tradition ancienne qui s’exprime en particulier dans la nécropole de Sidon, ainsi que plus au sud, par exemple à Sepphoris, en Galilée191. Les détails de la forme de la cuve, du couvercle et de la position du sarcophage peuvent changer selon les régions et les époques192. Le sarcophage de la tombe T25 d’Apamée semble ne présenter aucun décor et faire partie des exemples les plus simples. Il a dû être utilisé de façon isolée puisqu’il a été mis au jour dans un secteur de tombes à caveau, loin des tombes complexes. Il paraît peu probable qu’il ait été inclus dans une construction. Il est, d’autre part, difficile d’établir s’il a été inhumé, ainsi que le proposent les fouilleurs193 et comme cela est le cas, par exemple en Syrie, à Selenkaye ou à Douris194, ou s’il est resté visible, posé éventuellement sur un socle qui aurait disparu ou que l’on n’a pas retrouvé.

37Étant donné ses dimensions, il était destiné à un adulte dont on a retrouvé une partie des ossements très cohérents. Il s’agit donc d’une tombe individuelle, ce qui n’est pas forcément la règle pour un sarcophage195. Le coût du sarcophage en calcaire pourrait montrer que le défunt était relativement aisé196, sans être riche, d’autant qu’alors qu’un sarcophage pouvait être utilisé par toute une famille par économie, cela ne semble pas avoir été le cas pour la tombe T25. En croisant la nature du monument funéraire et les inscriptions indiquant l’identité sociale de leur occupant, une étude faite en Asie Mineure a pu montrer que ce sont les artisans et les affranchis qui utilisent le plus volontiers les sarcophages en pierre197. Une telle approche doit être associée à une vue globale des espaces funéraires et des possibilités de choix plus ou moins larges ; ainsi pourraient s’expliquer les différences entre les nécropoles voisines de Laodicée où les tombes à fosse dominent et de Hiérapolis de Phrygie où les sarcophages et les tombes construites semblent avoir la préférence.

38En ce qui concerne Apamée, ce sarcophage se trouvait dans la région basse, au milieu de tombes à caveau. Pourtant, au même moment, des tombes rupestres comme la tombe T4 étaient aussi mises en place, tandis qu’une zone de carrière fonctionnait près du site, de sorte que la pierre devait y être relativement abondante et peu coûteuse. Autrement dit, à l’époque hellénistique, un choix relativement large existait sur ce site et les carrières proches devaient réduire d’autant le coût des sarcophages. On peut donc s’étonner de leur rareté sur le site, à moins qu’une partie importante d’entre eux ait été réutilisée, d’autant plus facilement qu’ils pouvaient être en partie visibles, en tout cas dans l’Antiquité.

39D’autre part, le matériel de la tombe T25 ne permet pas de saisir de différence de matériel avec les autres tombes de la même phase. Le sarcophage n’a malheureusement pas été retrouvé entier. Il a donc subi des dommages et on peut imaginer qu’il a perdu une partie du matériel qui y avait été déposé. Le seul objet, clairement associé à cette inhumation, l’assiette fragmentaire T25.4, fait partie des objets qui accompagnent quasi obligatoirement les inhumations d’adultes de l’époque hellénistique, quel que soit le type de tombes considéré, tombe rupestre (T4 par exemple) ou tombe simple à caveau (T19 ou T23 par exemple).

Les tombes à chambre

40Ces tombes sont fréquentes dans les espaces funéraires autour d’Apamée. Les tombes à chambre, souvent prévues dès leur construction pour abriter plusieurs individus (de la même famille ?), sont pour la plupart d’entre elles rupestres, c’est‑à‑dire creusées dans le rocher qui constitue le flanc du plateau dominant la plaine de l’Euphrate. Cette tradition des tombes à chambre rupestres, en particulier en ce qui concerne les tombes à plusieurs chambres, remonte à l’époque urartu198. Ces tombes à chambre sont bien implantées dans l’Anatolie orientale dès cette période : par exemple, à l’est d’Erzincan, des tombes à chambre rupestres des viii^e‑vii^e s. av. J.‑C.199 sont signalées. En Anatolie, ce type de tombes se développe par la suite dans différentes régions, en prenant souvent des caractéristiques particulières, propres à chacune d’entre elles200. Ces tombes sont aussi attestées très tôt dans tout le Moyen‑Orient. Les tombes à chambre de Judée201, attestées dès les ix^e‑vii^e s. av. J.‑C. à Jérusalem (nécropole de Silwan)202, connaissent un essor considérable à partir de l’époque hellénistique203, à Maresha204 ou à Jérusalem205, peut‑être sous l’influence des tombes à chambre hellénistiques d’Alexandrie206. Ce type de tombes devient courant ensuite au Moyen‑Orient, que ce soit à Chypre207, en Syrie, par exemple à Doura‑Europos, Palmyre ou dans le Hauran208. Pourtant, les tombes rupestres de ces régions présentent souvent un dispositif permettant de les signaler en surface et une façade très décorée209, autant d’éléments qui paraissent généralement absents dans les espaces funéraires autour d’Apamée.

41Souvent, les tombes dans la vallée de l’Euphrate réoccupent d’anciennes carrières ; c’est le cas à Sarasat, à Shash Hamdan et à Qouzak Shemali210. Des centaines de tombes rupestres à chambre ont pu être comptabilisées dans la vallée de l’Euphrate syrien211. À la suite des sites de Zeugma212, de Doliché213, de Yukarı Söğütlü et de bien d’autres sites en Commagène214, les espaces funéraires autour d’Apamée révèlent que ce type d’architecture funéraire est également très fréquent au nord de la frontière turco‑syrienne. Les tombes rupestres dans cette région se caractérisent, comme nous le verrons à partir des tombes autour d’Apamée, par une grande diversité de plans215. L’un des intérêts des espaces funéraires étudiés est de révéler un des schémas d’évolution de ces tombes à chambre dans une région précise, depuis l’époque hellénistique jusqu’à l’époque romaine tardive, voire l’époque protobyzantine. Certes, l’échantillonnage n’est pas complet et n’est pas très fourni ; il est aussi très probable que le nombre de ces tombes qui représentent, autour d’Apamée, environ 30 % de l’ensemble des tombes repérées toutes époques confondues, soit surévalué par rapport aux autres types de tombes, dans la mesure où elles sont plus faciles à repérer que les tombes simples et où elles ont davantage intéressé les chercheurs par leur monumentalité216. Ces tombes, même si elles n’ont pu être repérées de façon systématique, révèlent malgré tout toute la souplesse des pratiques funéraires dans la région et les influences variées qui interagissent. Au‑delà de cette diversité, un autre intérêt de cette étude est de montrer l’existence d’un certain nombre de points communs qui réunissent l’ensemble de ces tombes rupestres et constituent des marqueurs des habitudes régionales, en donnant à cette architecture funéraire son originalité. Parmi ceux‑ci, le plus important est peut‑être constitué par les façades qui, comme souvent avec celles des tombes rupestres d’Isaurie217, ne portent guère de décoration particulière et ne sont pas architecturées, contrairement à ce que l’on peut observer dans d’autres régions d’Anatolie comme la Lycie ou la Carie. Ces tombes rupestres à façade simple, marquées par la quasi‑absence de décoration extérieure, constituent l’ensemble du corpus autour d’Apamée. Seule l’entrée de la tombe a parfois reçu un travail de polissage et peut être surmontée d’un arc simple (fig. 8 et 308). Ces façades austères peuvent avoir été imposées, en partie du moins, par la mauvaise qualité de la pierre locale, très tendre et difficile à travailler. Des considérations d’ordre économique ont aussi pu entrer en ligne de compte218 comme le montreraient le couvrement plat de ces espaces funéraires219, l’absence de polissage et le travail approximatif des parois intérieures qui présentent souvent des angles peu marqués et des traces d’outils. Ces tombes à façade simple peuvent aussi peut‑être correspondre à des traditions locales comme cela a pu être observé en Carie220. Les tombes rupestres qui s’intègrent dans un schéma régional relativement régulier, bien qu’évoluant avec le temps, sont les plus nombreuses. Il s’agit des tombes T1, T3-T5, T8-T11, T16, T24, T31 et T33.

42Deux tombes à chambre (T2 et T32) échappent à ces habitudes et ont été construites. Cette différence de technique peut relever, certes, de contraintes géologiques221, mais d’autres facteurs expliquent aussi probablement le choix de la technique utilisée sur des sites où cohabitent les tombes rupestres et les tombes construites222. Ainsi, ce choix révèle peut‑être aussi des conceptions différentes de l’espace funéraire. Si la tombe T2 appartient à un type tout à fait particulier sur lequel nous reviendrons et qui explique en bonne partie cette particularité technique223, en revanche, la tombe T32 entre assez bien dans la typologie régionale de ces tombes à chambre, mais il se peut qu’ayant une localisation particulière dans la plaine alluviale, elle n’ait pu profiter des niveaux de pierre calcaire du plateau et ait dû être construite. Autrement dit, cette tombe ne semble se différencier que par cet aspect technique, important certes, mais qui aurait pu être imposé par le choix du lieu d’implantation de la tombe et les contraintes géomorphologiques.

43Les tombes à chambre, quel que soit leur mode de construction, paraissent plus coûteuses que les tombes simples. Pourtant, si l’on rapporte le coût de leur construction au nombre de personnes ensevelies, cette constatation devient moins évidente224. Il se peut aussi que ces tombes aient été financées par l’association de plusieurs familles : cette pratique serait assez rare dans la Syrie romaine225 ; cependant, autour d’Apamée, cette pratique apparaît. Ainsi, si la tombe T1 a été construite, puis sans doute restaurée par une seule personne (Api3 et Api4), en revanche, la tombe T11 a été creusée grâce à l’association de deux personnages (Api9), comme souvent à Édesse, où les deux pratiques sont présentes226. Ces associations sont également le moyen, pour le groupe familial, d’exprimer sa cohérence et son pouvoir autour de l’ancêtre fondateur de la tombe. Elles expriment donc aussi un renforcement des liens familiaux et la volonté de mettre en exergue ce groupe, ses solidarités et son importance sociale, ne serait‑ce qu’en marquant le paysage227. Le critère de choix de l’architecture, mais aussi les dimensions de ces tombes à chambre peuvent donc, au‑delà de l’aspect économique, être liés au défunt ou encore à la place occupée par la famille dans la société. À l’époque romaine, les jeunes enfants étaient fréquemment inhumés en tombe simple, cependant, certains d’entre eux peuvent aussi rejoindre les grandes tombes à chambre et probablement familiales, en fonction peut‑être de leur place dans la famille et de leur âge228.

44De façon générale, ces tombes à chambre ont eu une longue durée de fonctionnement, qui peut s’étendre sur plusieurs siècles229, comme le montrent des exemples de Palmyre, de Hama, mais aussi certaines tombes autour d’Apamée (T11 par exemple), ce qui rend leur étude particulièrement complexe. En effet, ces réoccupations ont souvent entraîné le déplacement, mais aussi le pillage des inhumations précédentes et des objets qui leur sont associés. Pourtant, et contrairement à ce que l’on a longtemps cru, ces interventions ne conduisent pas à un « nettoyage » systématique du matériel. Les tombes autour d’Apamée le montrent bien, même s’il est évident que les occupations les plus anciennes finissent par être peu perceptibles à force de « nettoyages » et qu’il devient parfois difficile de distinguer le matériel lié à ces premières occupations d’un matériel intrusif. Il convient donc d’essayer de restituer à quelle phase appartient chaque objet mis au jour, si l’on veut comprendre l’histoire complète d’une tombe complexe.

45Nous réservons le terme d’hypogée aux tombes à chambre excavées sous le niveau du sol de fonctionnement, qui sont ensuite enterrées. Une seule tombe répond à cette description autour d’Apamée, la tombe T2. En revanche, nous utilisons le terme de tombe rupestre pour les tombes excavées dans les flancs du plateau qui borde la vallée de l’Euphrate, mais qui ne sont pas enterrées et dont on peut voir la façade. Ce dernier type est, de loin, le plus courant. Les types de tombes à chambre sont présentés en commençant par le plus simple, pour finir par les architectures les plus élaborées. Cette typologie prend en compte la structure de la tombe (plan, dimensions, organisation externe et surtout interne), ainsi que celle de ses composantes principales, parmi lesquelles, autour d’Apamée, la disposition de la sépulture paraît être particulièrement significative.

Tombes rupestres à chambre unique et banquettes‑cuves ou cuves simples

46Ce type de tombes se trouve en plusieurs exemplaires autour d’Apamée. Les tombes T5 (fig. 147) et T24 (fig. 473‑474) appartiennent à ce type, ainsi que peut‑être la tombe T4 (fig. 117‑118) qui pourrait, dans un premier temps de son évolution, avoir correspondu aussi à ce type. Ces tombes comportent une seule chambre funéraire de forme quadrangulaire, creusée dans le rocher, à couvrement plat, dans laquelle se trouvent des banquettes‑cuves (T5)230 ou de simples cuves (T4 et T24) creusées à partir du niveau de sol : en général, trois sépultures sont disposées le long des trois murs libres de la tombe, en pi. La tombe T4 fournirait une variante avec deux cuves alignées le long du côté nord de la tombe. Ces trois tombes, si elles ne sont pas voisines, se situent malgré tout toutes trois sur les collines qui dominent la plaine d’Apamée, à l’ouest de la route sans doute ancienne qui se dirige vers le nord depuis la porte nord‑est d’Apamée (fig. 10).

47Ces tombes rupestres ne comportant aucun décor de façade, un simple accès rectangulaire et présentant ce type de plans simples, avec une chambre quadrangulaire sans niche ni alcôve, sont assez fréquentes, en particulier dans le nord de la vallée de l’Euphrate et dans l’est de l’Anatolie, où elles sont souvent attribuées à l’époque urartu, même s’il a été montré qu’elles paraissent n’entretenir que peu de liens avec les sites de cette époque231. On peut aussi se tourner vers l’ouest : les tombes creusées dans le rocher, avec une disposition en pi des inhumations, sont fréquentes, par exemple en Macédoine à la fin du iv^e et au iii^e s. av. J.‑C.232, mais les différences sont importantes : à l’extérieur, la façade est souvent décorée et à l’intérieur, on trouve un plafond voûté, des banquettes ou des klinai et non des banquettes‑cuves ou de simples cuves creusées comme celles des tombes autour d’Apamée. En revanche, une disposition extérieure et un plan relativement proches, avec des inhumations disposées en pi, paraissent plutôt caractéristiques de tombes de l’époque archaïque à l’époque hellénistique de l’Anatolie de l’Ouest233, en Cilicie aussi234 par exemple, où les lits funéraires prédominent cependant. Dans la région d’Halicarnasse, on peut citer la tombe du Lion de Turgutreis, entre autres235, qui montre une disposition intérieure avec des cuves en pi, mais une décoration de façade développée. En Carie, quelques tombes semblent fournir des rapprochements possibles, à Labraunda, à Mylasa et à Sarnıç236, aussi bien pour l’absence ou la quasi‑absence de décoration extérieure que pour la disposition intérieure en cuves, tout comme d’autres tombes situées dans les alentours de Stratonicée237, qui pourraient dater, sans certitude, du iv^e s. av. J.‑C. Il faut ajouter que dans ces tombes occidentales on trouve des espaces votifs très sommaires238 : ce sont en général de simples tablettes aménagées à l’extrémité d’une des cuves, selon une disposition que l’on observe aussi à Apamée (tombes T5 et T24).

48Au‑delà de ces rapprochements, il semble que ce plan très simple puisse correspondre à des traditions plus généralement peut‑être anatoliennes de l’Ouest, qui perdurent et s’étendent aux époques hellénistique et romaine grâce à la circulation des personnes et des cultures. Dans la région de la vallée de l’Euphrate, ce type de tombes rupestres, sans niche funéraire, paraît rare239, mais on ne dispose malheureusement que de très peu de descriptions précises de tombes de cette région. Il se pourrait aussi que les cuves creusées dans le sol au Moyen‑Orient correspondent à une habitude ancienne qui remonterait à l’époque perse et que des traditions variées convergent pour participer à la création de ce type de tombes240. En tout cas, la présence de deux, voire trois tombes de ce type autour d’Apamée pourrait indiquer que ces tombes sont relativement fréquentes dans cette partie de la vallée de l’Euphrate, sans que l’on puisse privilégier une origine précise pour ce schéma architectural, pour le moment.

49Au‑delà de la rareté de ce type dans la région, les exemples d’Apamée sont intéressants, à la fois par leurs ressemblances et leurs différences architecturales, mais aussi par le matériel que contenaient ces tombes. Les plans de T5 et de T24 sont proches. Toutes deux ont été fermées par une grande dalle de pierre, deux blocs ont été nécessaires pour fermer la tombe T4 ; l’entrée est surélevée par rapport au sol de la chambre funéraire dans les tombes T5 et T24, de sorte que dans la tombe T5, trois marches descendent vers celle‑ci ; dans la tombe T24, aucun dispositif ne subsiste, alors que là encore, le sol de la chambre est nettement plus bas que le niveau d’accès : sans doute y avait‑il quelques marches ou une rampe en bois. Les tombes T5 et T24 comptent trois sépultures disposées en pi. On observe que la disposition des cuves n’est pas toujours exactement symétrique : dans les tombes T5 et T24, la cuve qui se situe le long du mur de fond est légèrement décentrée vers la gauche, pour laisser un espace libre, sans doute destiné à poser des objets. Cette disposition se retrouve d’ailleurs fréquemment dans d’autres tombes du même type, à Labraunda241, dans la péninsule d’Halicarnasse242 ou encore près de Stratonicée243 par exemple. D’autre part, la façon dont les sépultures des tombes T4, T5 et T24 ont été taillées est différente : dans T4 et T24, on a de véritables cuves, taillées à partir du sol de la chambre, aplani, alors que pour T5, une banquette a été réservée sur les côtés de la tombe, puis a ensuite été recreusée, de sorte que le fond des cuves ne descend pas plus bas ou guère plus bas que le niveau de circulation central (fig. 147) ; elles constituent plutôt des sortes de banquettes‑cuves. Ces différences sont‑elles significatives ? Des tombes rupestres quadrangulaires simples avec trois banquettes‑cuves le long de trois côtés se trouvent assez fréquemment en Carie244, par exemple à Idyma245, peut‑être dès le iv^e s. av. J.‑C., ou encore à Labraunda246, à Türkbükü et à Gürice, près d’Halicarnasse247, mais aussi à Zeytinköy et Imize, à côté de Stratonicée248, à Caunos249, à la limite entre la Lycie et la Carie, ainsi que plus à l’est, à Sillyon, dans la province d’Antalya250. On trouve aussi en Carie des cuves creusées à même le sol, même si elles sont apparemment moins nombreuses que les banquettes‑cuves. Ainsi, peut‑on observer des cuves de ce type dans la région d’Halicarnasse, dans la tombe du Lion de Turgutreis251, où cette disposition intérieure est considérée comme traditionnelle et propre au sud‑ouest de la Carie, depuis l’époque géométrique jusqu’à l’époque hellénistique. De même, dans la Carie centrale, on trouve à Idyma par exemple, la même disposition intérieure, ainsi qu’à Mylasa et à Sarnıç252. Au‑delà de ces parallèles cariens, il semble que ce plan très simple se retrouve aussi plus à l’est, en Pamphylie, près d’Antalya, dans la nécropole de Karaçallı, dès le v^e‑iv^e s. av. J.‑C.253, tandis qu’en Anatolie orientale, les tombes rupestres simples comportent plutôt des banquettes funéraires254 et surtout des niches latérales abritant les sépultures, qui sont absentes des tombes d’Apamée. Cette organisation intérieure très simple pourrait donc correspondre plutôt à une tradition du sud‑ouest de l’Anatolie, qui semble s’être étendue vers l’est et parvenir dans la moyenne vallée de l’Euphrate à l’époque hellénistique, quand la circulation des hommes s’intensifie.

50Ces tombes autour d’Apamée présentent un matériel cohérent datant clairement de l’époque hellénistique. Autrement dit, ce type de tombes rupestres semble faire partie des plus anciens de la région. Le matériel des tombes T5 et T24 est particulièrement significatif dans la mesure où leur contexte est relativement aisé à analyser : la tombe T24 n’a connu que des occupations d’époque hellénistique. Les plus anciens vases mis au jour dans cette tombe semblent pouvoir être datés de la fin du iii^e ou du début du ii^e s. av. J.‑C., ce qui en fait la tombe la plus ancienne qui ait pu être fouillée autour d’Apamée et ce qui permet de situer assez précisément, au milieu de l’époque hellénistique, le creusement de cette tombe. L’analyse de la tombe T4 est plus complexe, puisqu’il est difficile de déterminer quelle forme a pris la première occupation de la tombe, même s’il peut paraître plus vraisemblable qu’elle ait appartenu à ce type lors de sa première phase de fonctionnement255 : dans ce cas, la mise en place de la tombe pourrait être attribuée à la fin du ii^e s. av. J.‑C., tout comme la première phase de fonctionnement de la tombe T5. Ce type de tombes devrait donc, dans la région d’Apamée, être attribué à la période hellénistique et pouvoir être daté, à tout le moins, des iii^e‑ii^e s. av. J.‑C. Nous ne disposons pas d’un échantillonnage suffisamment important pour attribuer une signification aux différences architecturales. On peut seulement remarquer que les cuves les plus simples (creusées à même le sol, sans feuillure pour recevoir une couverture) appartiennent à la tombe probablement la plus ancienne (T24).

51Comment peut‑on comprendre cette possible influence de l’Anatolie du Sud‑Ouest dans la vallée de l’Euphrate ? Doit‑elle être conçue comme révélatrice de l’origine de certains habitants les plus aisés d’Apamée, avec la fondation de Séleucos Nicâtor au début du iii^e s. av. J.‑C. ? La circulation des hommes a pu être encouragée par les conquêtes hellénistiques et les opportunités qui se présentaient à ces occasions. Certes, des colons macédoniens ont pu participer à ces fondations, soutenus par des populations locales déplacées256. Mais la présence de populations hellénisées d’Asie Mineure ne peut être exclue. Une inscription votive d’Apamée datant de l’époque hellénistique ou du début de l’époque romaine et invoquant la Mère des Dieux257, suggère que la dédicante, Théodôra, était peut‑être originaire d’Asie Mineure, et plus précisément de Phrygie, où le culte à cette déesse est particulièrement attesté. Les Cariens, de leur côté, avaient déjà une tradition certaine de migration, en particulier vers l’est : un certain nombre d’entre eux a été identifié en Babylonie dès l’époque achéménide258, sans doute comme mercenaires, mais aussi comme artisans ; ils semblent aussi avoir gardé des marqueurs forts de leur identité encore à l’époque hellénistique259. Rappelons qu’au iii^e s., les Cariens gardaient intacte leur volonté d’échapper à leur rude pays et que Zénon de Caunos, par exemple, s’était enrôlé dans l’administration et l’armée des Ptolémées et s’était établi en Égypte. Il n’est donc pas complètement invraisemblable que des colons, ayant participé à la fondation d’Apamée de l’Euphrate ou s’y étant établis ensuite, aient pu être originaires du sud‑ouest de l’Anatolie et avoir souhaité être inhumés dans des tombes de taille relativement importante, signe de leur place dans la société d’Apamée, mais aussi rappel de leur origine familiale.

Hypogée construit à couverture voûtée et tumulus (?)

52Seule la tombe T2 correspond à ce type qui semble rare autour d’Apamée, à plus d’un titre : son emplacement, sur le sommet d’une colline, le fait qu’elle soit construite et enfin les caractéristiques architecturales de cette tombe en font une tombe exceptionnelle dans cette zone. D’ailleurs, la tombe T2 est considérée comme classique par Algaze260. La présence d’un tumulus au‑dessus de la tombe n’est pas assurée, dans la mesure où aucune trace n’en a été conservée. Pourtant, la situation très ostentatoire de la tombe, son architecture et les parallèles qui existent dans la région, permettent de supposer avec vraisemblance l’existence du tertre.

53Ces tombes construites en sous‑sol ou hypogées stricto sensu, et souvent enterrées sous tumulus, ont attiré l’attention des chercheurs. Pourtant, leur étude est délicate car elle suppose que l’on connaisse bien leur structure qui n’est pas toujours décrite de façon claire. En effet, en théorie deux types de tombes à tumulus peuvent être distingués261 : certaines ont une chambre funéraire enterrée et sont des hypogées proprement dits, recouverts par le tumulus qui joue le rôle de marqueur de tombe, comme c’est peut‑être le cas pour la tombe T2 ou encore comme la tombe à tumulus de Sesönk, d’autres ont la chambre funéraire construite, puis englobée dans le tumulus, comme les tombes du Nemrut Dağı et de Karakuş. Il peut être important de distinguer ces deux types de tombes à tumuli, même si ces deux techniques de construction ne répondent pas à un objectif différent : il s’agit toujours de dissimuler une structure funéraire sous un tertre. Malheureusement, les publications ne précisent pas toujours cet aspect technique, de sorte qu’il est encore difficile de comprendre ce qui a pu déterminer le choix des constructeurs.

54De manière générale, ces tombes à tumulus ont des antécédents qui peuvent être anciens comme à Chypre262, mais aussi en Anatolie, en particulier en Lydie263, et dans la vallée de l’Euphrate264 dès l’âge du Bronze. Cette tradition s’est poursuivie à l’époque achéménide265, autour de Sardes, par exemple à Aktepe où une chambre funéraire voûtée et approximativement carrée sous tumulus est datée du v^e s.266, ou encore en Carie, à Esentepe267. Ces tombes peuvent ensuite aussi avoir emprunté certains traits à la Macédoine268 où le modèle de la tombe à tumulus avec chambre voûtée en berceau a pu constituer une source d’inspiration et permettre le développement de schémas architecturaux, qui sont repris dans les royaumes hellénistiques, viennent compléter les modèles architecturaux traditionnels et se diffusent à partir du iii^e s. av. J.‑C., par exemple en Bithynie et en Carie269, à Akkaya270 ou encore à Beçin, près de Mylasa271, en Galatie272, en Phrygie, à Hiérapolis273 et à Amorium274 à la fin de l’époque hellénistique ou encore à Laodicée du Lycos275. Enfin, pour poursuivre sur cette tradition des tumuli, sans doute ne faut‑il pas oublier le tumulus du Nemrut Dağı qui, depuis le i^er s. av. J.‑C., marque profondément le paysage de la région et a pu participer à la réactivation d’une pratique funéraire présente de façon plus ou moins diffuse en Anatolie pendant toute la période hellénistique.

55D’autres chambres funéraires construites, surmontées d’un tumulus, ont été étudiées, en particulier dans la vallée de l’Euphrate, en aval, dans la région du barrage de Tabqa276 et plus au sud dans le Hauran277. Si les exemples du Hauran sont généralement situés aux i^er s. av. et ap. J.‑C., ceux de la vallée de l’Euphrate restent difficiles à dater mais pourraient être attribués au iii^e s., voire plus tard278. À Soura, des hypogées construits, rectangulaires et couverts d’une voûte, ont été mis au jour sans pouvoir être précisément datés279. À Kara Qouzak, des tumuli abritant de « petites chambres rectangulaires » ont été repérés280. À Halabiya, trois tumuli ont été vus sans avoir pu être explorés avant leur disparition, bien qu’ils semblent être des hypogées recouverts281 tout comme les tombes à tumulus de Doura‑Europos qui appartiendraient à la période parthe du site, mais aussi à la période romaine282. Ainsi, des datations très larges peuvent‑elles être proposées pour ces tombes à tumulus. Il convient donc de limiter géographiquement et, dans la mesure du possible, typologiquement, les données en essayant de déterminer les quelques éléments sûrs dont on peut disposer dans la région d’Apamée.

56Dans la moyenne vallée de l’Euphrate, un chaînon manque entre l’âge du Bronze et l’époque hellénistique283. Autour de Selenkaye, où quatre tumuli du iii^e s. ap. J.‑C., ou plus tardifs, ont été observés284, des tumuli de l’âge du Bronze ont été étudiés et dominaient le paysage encore à l’époque romaine, où ils prirent peut‑être un sens particulier285. En revanche, l’époque achéménide est encore très mal connue et, dans le domaine du funéraire, seules des tombes à ciste semblent avoir pu être mises au jour pour cette période286. Pourtant, à partir de la fin de l’époque hellénistique, la tradition de l’architecture funéraire à tumuli connaît des développements importants en Commagène, comme le montrent les exemples exceptionnels du Nemrut Dağı et de Karakuş. On ne sait trop quelles traditions précisément ont impulsé cette renaissance287. En tout cas, d’autres tumuli sont connus à Perrhè288, Sesönk, Turuş, Halilbaşlı289 et surtout Sofraz Köy, où le tumulus A fournit un parallèle très proche à notre tombe T2. Ce tumulus comportait encore deux sarcophages en pierre en place dans la chambre funéraire enterrée, construite et voûtée, rectangulaire, mesurant environ 3 x 4 m, quand il fut découvert et fouillé290. Cette chambre funéraire était précédée d’une pièce d’entrée, suivie d’un premier couloir voûté conduisant à une petite pièce allongée, centrale, ouvrant vers un second couloir qui débouchait sur la chambre funéraire proprement dite. Dans la tombe T2, l’ensemble du dispositif n’est pas conservé : seuls étaient encore visibles une partie de la pièce centrale allongée et le dernier couloir conduisant jusqu’à la chambre funéraire. La fouille du tumulus A de Sofraz Köy, qui avait été pillé, n’a pas livré de matériel. Pourtant cette tombe est attribuée à l’époque romaine et plus précisément peut‑être, sur la base de la technique de construction, à la fin du i^er ou au ii^e s. ap. J.‑C. Ce tumulus de Sofraz Köy, bien mieux que la tombe T2, montre que la porte fermant la tombe se trouvait avant la petite pièce centrale. Celle‑ci joue sans doute le rôle de vestibule et l’on peut supposer qu’une partie des cérémonies lors des funérailles et lors des commémorations se déroulait dans cet espace. Malheureusement, la tombe T2 n’apporte pas de réponse sûre à cette hypothèse, même si elle ne semble pas avoir été pillée. En effet, l’érosion de la colline, où se situe la tombe, a été importante et a emporté une partie du vestibule avec le matériel qu’il pouvait éventuellement contenir.

57La région de l’Euphrate offre bien d’autres exemples tout à fait intéressants de tombes à tumulus291. C’est en particulier le cas du site voisin de Zeugma où deux tumuli ont été repérés, à l’ouest du site, près de l’aire funéraire ouest292 ; ils pourraient bien d’ailleurs ne pas être isolés, puisqu’une bonne dizaine d’autres exemplaires ont récemment été signalés, qui sont distribués dans chacun des espaces funéraires du site293. De façon générale, ces tumuli sont datés de l’époque hellénistique, sur une base historique et non archéologique. Ils sont considérés comme construits pour les élites gouvernant la région avant l’intégration dans la province romaine de Syrie294. Cependant, un certain nombre d’éléments oblige à reconsidérer cette hypothèse. Le site de Zeugma, de ce point de vue, constitue une base de réflexion nouvelle. Tout d’abord, la localisation de ces tumuli, et en particulier la présence d’un tumulus dans l’espace funéraire est295, qui marque les limites orientales de la ville à partir du ii^e s. ap. J.‑C.296, montre qu’à l’époque romaine encore des tumuli étaient érigés. D’autre part, le tumulus TS 13 de Zeugma, fouillé en 2006, présente un plan tout à fait différent de la chambre funéraire T2 : il comporte deux chambres funéraires creusées dans le rocher, des loculi et des arcosolia, et a été utilisé au cours de l’époque romaine, même s’il a pu être bâti à l’époque hellénistique, une datation qui s’appuie sur la présence de loculi297. Malheureusement, la fouille de ce tumulus n’est pas publiée à ce jour, nous n’avons pas le plan précis de la tombe et finalement les loculi semblent, en tout cas pour certains d’entre eux, avoir été creusés jusqu’au début de l’époque romaine, voire au‑delà298. On le voit, les éléments de datation font défaut pour ce type de tombes. Cependant, on peut noter que les tumuli sont des marqueurs de tombes relativement fréquents dans la moyenne vallée de l’Euphrate entre l’époque hellénistique et l’époque romaine.

58Pour la région de la vallée de l’Euphrate, on ne dispose donc d’aucune fouille qui permette véritablement d’établir une chronologie sûre. Les données de la fouille de la tombe T2 apportent un certain nombre d’informations, d’autant plus fiables que la tombe ne paraît pas avoir donné lieu à des réutilisations, même si elle n’a pu être fouillée dans sa totalité. Aucune trace de reprise de l’architecture n’a pu être observée. Aux deux probables sarcophages de la tombe correspondent trois sujets que l’étude des ossements permet de dénombrer. Le petit nombre de sujets confirme qu’il n’y a pas eu de réoccupation de cette tombe. Elle semble donc être assez cohérente. Parmi le matériel mis au jour, la même impression domine. Rien dans le matériel ne semble pouvoir être daté de l’époque hellénistique. En revanche, les objets mis au jour dans la tombe appartiennent tous à l’époque romaine et pourraient être situés plus précisément, entre la seconde moitié du iii^e et le iv^e s. (phase IV). On peut en particulier remarquer dans ce matériel l’absence de lampes attestées dans la couche de destruction du milieu du iii^e s. à Zeugma (type 2).

59La disposition intérieure de la tombe peut être précisée, malgré l’absence d’une fouille complète. Tout d’abord, la porte est décalée vers le mur ouest comme cela a été fréquemment observé dans ce type de tombes299. L’espace de la chambre sépulcrale semble obliger à n’imaginer que deux sépultures, disposées en gamma, et non pas trois disposées en pi. Cette disposition de deux lits en gamma est attestée dès le vi^e s. en Phrygie300. D’ailleurs, en Carie par exemple, les tombes à tumulus de façon générale semblent n’avoir contenu que deux corps301. La sépulture située en face de l’entrée pourrait avoir abrité le personnage le plus important302. Les retours marqués au sol peuvent avoir servi à délimiter et à caler des couches funéraires, éventuellement même en bois. Des rainures dans les parois, à une hauteur d’environ 0,75 m, montrent que des éléments longs d’environ 2 m étaient fixés à celles‑ci, au‑dessus des sarcophages. La petite épaisseur et profondeur des rainures suggère que ce sont des éléments en bois qui étaient ainsi insérés. Il paraît probable qu’il s’agisse du couvercle de sarcophages303 qui étaient ainsi bloqués, à moins qu’il ne s’agisse d’étagères. Des dispositifs proches ont été observés dans des tombes rupestres principalement romaines, à Etenna304, dans les confins de la Cilicie, de la Pamphylie et de l’Isaurie, mais aussi en Lycie, à Limyra305. Là, des rainures creusées dans le rocher, au‑dessus de l’emplacement de sarcophages ou de lits funéraires posés sur le sol, sont interprétées comme étant la marque d’un autre niveau de lits funéraires. Cependant, les rainures observées sur les parois de la tombe T2 ne sont pas assez profondes pour avoir pu supporter une couche funéraire sur laquelle un corps aurait reposé, à moins qu’elle n’ait été posée sur le couvercle du sarcophage inférieur. Cependant, les deux places disponibles au niveau du sol peuvent très bien avoir été suffisantes pour les trois sujets repérés dans la tombe, d’autant que le troisième sujet est un immature. Ces rainures peuvent donc aussi avoir servi à mettre en place des sortes d’étagères sur lesquelles des objets auraient été posés.

60Cette tombe, avec sa situation et son architecture ostentatoires, pourrait avoir recueilli les restes d’un personnage important. Le coût de construction pour ce type de tombes fut certainement élevé : les murs sont formés de blocs de grande taille, le linteau de l’accès à la chambre sépulcrale est même monolithe. De plus, elle se situe, comme beaucoup de tombes à tumulus, au sommet d’une colline, visible de tous. Malheureusement, il est impossible de préciser dans quel contexte historique précis elle fut construite : en effet, au cours du iii^e s., la rive gauche de l’Euphrate a été marquée par une certaine instabilité. On peut remarquer que ces tombes à chambre voûtée et le plus souvent à tumulus sont présentes aussi bien sur la rive droite (Sofraz Köy) que sur la rive gauche de l’Euphrate (Apamée), dans des régions qui ont donc eu, à cette époque, une histoire qui a pu être différente. En même temps, la destruction de Zeugma au milieu du iii^e s. a pu inciter certaines familles à s’implanter sur la rive gauche de l’Euphrate et à y importer des savoir‑faire et des habitudes. Le grand nombre de tumuli dans la région du barrage de Tabqa est attribué à l’influence de soldats romains venus défendre les frontières orientales de l’Empire306. Faut‑il voir plus généralement le développement de ce type de tombes à chambre voûtée, sous tumulus, dans la vallée de l’Euphrate, lié à cette présence militaire ? On peut remarquer que les tumuli semblent assez nombreux dans la région, au sens large, de Samosate à Zeugma, deux villes de garnisons romaines, tandis que le site de Kara Qousak, où plusieurs autres tumuli ont été repérés, se trouve à l’emplacement d’un rétrécissement du fleuve, face au site de Kara Qousak 1307, qui fut un camp romain et un point de franchissement du fleuve important pour l’armée romaine. Est‑ce dans ce cadre, dans le contexte de la mise en place d’une ligne défensive sur l’Euphrate308 et de la présence de militaires qu’il faut comprendre la construction de cette tombe T2 ? Les tombes monumentales inspirées du passé peuvent permettre d’enraciner les nouveaux venus dans le paysage rural309 ou permettre aux habitants de la rive gauche d’affirmer leur originalité culturelle. Même si le mausolée d’Auguste avait pu servir de modèle310, il paraît aussi possible de voir, dans cette tombe à chambre et peut‑être à tumulus, l’influence du Nemrut Dağı et du tumulus de Karakuş qui pourraient avoir été à l’origine du développement de ces tombes, ou plus exactement de ce type de marqueurs de tombes auprès des grandes familles de la région. La reprise, jusqu’à plusieurs siècles après, de ce type de tombes faisant allusion à la royauté, pourrait constituer une forme d’affirmation de la puissance et de l’ancienneté de ces familles311 au moment où la présence romaine se fait peut‑être plus sensible dans la vallée de l’Euphrate. Ces tumuli pourraient permettre l’affirmation identitaire de ces familles en rappelant le souvenir d’une dynastie qui assumait une culture complexe, propre à cette région orientale de l’Empire romain. D’ailleurs, les tombes à tumuli, également fréquentes autour de Hiérapolis, y sont associées aux familles aristocratiques de l’époque hellénistique et du début de l’époque romaine312. Ces tombes auraient aussi peut‑être un rôle politique puisqu’elles pourraient participer à la définition du territoire d’une cité et de l’emprise sur ce territoire des grandes familles de la région. Les hypothèses sur les raisons de la présence de ce type de tombes au‑dessus d’Apamée sont nombreuses : seul l’examen précis des tombes à tumulus de la région et du matériel qu’elles contiennent pourra permettre d’avancer sur ces questions.

Tombes rupestres à chambre unique et loculi

61Ces tombes rupestres sont définies par la présence d’une salle quadrangulaire unique autour de laquelle s’organisent des cavités creusées perpendiculairement à la paroi pour recevoir les corps. Autour d’Apamée, deux tombes présentent ce type de dispositifs, les tombes T4 (fig. 117‑118) et T16 (fig. 378), qui se trouvent toutes deux en hauteur, du côté de la ville d’Apamée. Le nombre de loculi est variable, passant de trois loculi dans la tombe T4 à neuf loculi dans la tombe T16.

62Ces deux tombes présentent un même type d’accès. Certes, une galerie taillée dans le rocher précède la tombe T16, ce qui n’est pas le cas pour T4 qui se trouve en front de falaise. La galerie d’accès de T16 ne semble pas comporter de marches. Comme tous les couloirs de ce type, elle se termine par une zone plate près de l’ouverture de la tombe, nécessaire au maniement des grosses dalles qui généralement ferment ces tombes anciennes. Au‑delà de cette différence d’approche liée à la configuration des lieux, les deux tombes T4 et T16 présentent un même type d’accès. Il s’agit d’une petite porte rectangulaire à angle droit, sans décor (fig. 8, accès droit). Ces portes sont de petites dimensions ; l’accès à la porte de la tombe T4 mesure 0,90 m de large pour une hauteur d’environ 1,40 m. Cet accès est le plus souvent fermé par une dalle simple (ou plusieurs dalles), sans feuillure d’encastrement. Ce type de fermetures très simples semble généralement utilisé autour d’Apamée, mais aussi à Zeugma313 avant que le système des grosses pierres circulaires ou des meules remployées ne soit mis en place314. On trouve encore ce mode de fermeture fréquemment à l’époque romaine à Doliché315, même s’il est rarement illustré, mais aussi à Tall as‑Sin à l’époque romaine tardive et encore à la période protobyzantine, pour des tombes à arcosolia. Parfois, une feuillure autour de la porte à l’extérieur peut permettre de caler les dalles de fermeture, comme on peut le voir à Halilbaşlı au début de l’époque romaine316 et à Tall as‑Sin plus tard317.

63Une fois la porte passée, la chambre funéraire de T4 se trouve en contrebas léger, marqué par une marche. Ce même dénivelé s’observe aussi à Zeugma318 et paraît très généralement mis en place dans les tombes d’Anatolie, dès l’époque hellénistique au moins, comme à Yuceören319, mais aussi au Moyen‑Orient, comme on peut le voir à Maresha320, en Judée, à Jérusalem321 ou à Chypre322.

64Les deux tombes à loculi d’Apamée permettent d’observer quelques particularités. Tout d’abord, la combinaison de plusieurs formes de sépultures est relativement rare ; pourtant, la combinaison de loculi et de cuves creusées dans le sol, comme dans la tombe T4, est une solution courante pour augmenter les capacités d’une tombe, qui peut être observée à Chypre à l’époque hellénistique323, ou encore à Yasileh324 à l’époque romaine. On trouve cette même présence de cuves dans des tombes à loculi à Qweilbeh (tombeau des Bustes)325 au ii^e s. ap. J.‑C. Cependant, en général, le creusement au sol des cuves vient dans un second temps, quand les autres structures funéraires sont au complet326. Dans la tombe T4, il semblerait, sauf erreur de notre part, que ce soit le contraire et que les loculi aient commencé à être creusés lors du réaménagement de la tombe, dans un deuxième temps, sans avoir pu être achevés327.

65Des colonnes taillées dans le rocher, très approximativement, pour soutenir le plafond de la chambre funéraire, comme celle que l’on observe dans la tombe T16, peuvent aussi être observées dans des tombes rupestres, quel que soit le type de chambres funéraires et l’époque, à Mayra Kabira328, dans la vallée du Sajour, mais aussi à plusieurs reprises à Zeugma329 ainsi qu’à Tell as‑Sin330. Aucune autre décoration n’apparaît dans les tombes à loculi d’Apamée. Seule une niche rectangulaire, avec un mur de fond arrondi, profonde au maximum de 0,08 m, a été creusée dans la paroi orientale de la tombe T4. Haute d’environ 0,40 m, sa limite inférieure se trouve à une hauteur d’environ 0,60 m du sol de fonctionnement de la tombe. La profondeur limitée de cette niche pourrait faire penser qu’elle était peut‑être destinée à abriter une lampe331.

66Cependant, la caractéristique principale des tombes T4 et T16 d’Apamée réside dans la forme de sépulture utilisée, le loculus332. L’origine des loculi a fait couler beaucoup d’encre. Dès la fin du iv^e s. av. J.‑C., quelques tombes à loculi apparaissent dans le monde grec333. À Alexandrie, on trouve des loculi à l’époque hellénistique334, dès le début du iii^e s. av. J.‑C. Les loculi pourraient être associés à la tradition grecque tandis que la tradition phénicienne a aussi été invoquée, en mettant l’accent sur la présence de loculi dès le iv^e s. av. J.‑C., voire plus tôt, à Amrit ou Sidon335. Ce type d’architecture funéraire, peut‑être issu de la convergence des traditions grecque et phénicienne, se développe ensuite dans tout le Moyen‑Orient à partir peut‑être de la Palestine méridionale et d’Alexandrie. Présente dans les tombes alexandrines d’époque hellénistique et romaine336, on trouve cette forme de sépulture très fréquemment utilisée aux mêmes époques sur une vaste zone allant de Chypre337 à Beyrouth338, à Tyr339, à la Judée, à Maresha par exemple340, à Jérusalem341 et en Syrie du Sud342, par exemple à Doura‑Europos, où ce type d’aménagements semble prédominant dans les hypogées dès l’époque hellénistique et continue à être utilisé à l’époque parthe, avec des dimensions plus importantes343, puis à l’époque romaine344. Les loculi semblent aussi avoir été utilisés pendant longtemps à Halabiya par exemple : ils peuvent avoir été creusés sous les arcosolia et donc être datés de l’époque byzantine345. En revanche, les loculi seraient beaucoup plus rares en Anatolie. Un seul exemple a été noté à Hiérapolis ; il s’agit de la tombe A6 qui comporte deux rangées de six loculi face à face346. Des exemples ont aussi été observés à l’époque hellénistique en Lycie, à Patara347 et à Xanthos348, ainsi qu’en Carie, à Cnide349, dans la nécropole hellénistique de Belentepe350 ou dans la région d’Halicarnasse351. Cependant, ces aménagements restent très minoritaires et ne correspondent visiblement pas à une tradition anatolienne.

67De même, en Syrie du Nord, le loculus ferait figure d’exception en étant assez peu attesté et en ayant une présence plus limitée qu’au sud ; cependant, ce type d’aménagements est utilisé dans la vallée syrienne de l’Euphrate352, à Quruq Magara, Sarasat, Manbij et Tabouz, mais aussi dans l’Émésène353 et à Palmyre354. Plus au nord, à Zeugma, les loculi sont fréquents355 ; on en trouve en nombre aussi à Édesse356. Ils sont attestés dans la nécropole de Perrhè357 ainsi qu’à Halilbaşlı358, alors qu’ils semblent absents de Doliché, ce qui pourrait s’expliquer soit par des choix régionaux (la vallée de l’Euphrate pouvant être un vecteur de ce type de tombes), soit par une chronologie différente des tombes. Cependant, la durée d’utilisation des loculi semble relativement large dans la région et on peut voir, dans certaines tombes de Zeugma par exemple359, cohabiter les loculi et les arcosolia. Ces deux types de disposition ont pu être utilisés conjointement dans la région360. Certes, les arcosolia semblent être apparus plus tardivement que les loculi, en revanche, à Zeugma, les loculi auraient été utilisés plus tardivement qu’à Apamée, peut‑être parce que la densité d’occupation du site est plus importante à l’époque romaine361. À Apamée, il semble que les deux types de dispositif n’aient pas été utilisés conjointement, ou du moins aucune des tombes étudiées n’atteste de cette association.

68On ne dispose guère d’éléments de datation pour les exemples de loculi repérés dans la vallée de l’Euphrate. À Doura‑Europos, les tombes à loculi sont nombreuses. Les quelques exemples d’époque hellénistique comptent un nombre restreint de loculi (entre un et trois)362, tandis que dès l’époque parthe et en particulier dès 100 av. J.‑C., les hypogées à loculi prennent des proportions plus importantes et se rapprochent dès lors de la tombe T16 (mais aussi peut‑être de la tombe T4 qui est restée inachevée). On voit donc que la présence de loculi dans les tombes à chambre remonte à l’époque hellénistique dans la région, comme le montre également la tombe n^o 2 de Khirbet Tell Métouali363. Le matériel des tombes T4 et T16 nous permettra de préciser à quel moment ces aménagements furent creusés. Pour la tombe T4 (et peut‑être T16), on peut remarquer que la première phase d’occupation remonte à la phase I de fonctionnement des tombes, et la phase de creusement des loculi, plus précisément sans doute à la fin du ii^e s. av. J.‑C. ou au début du i^er s. av. J.‑C. (T4 qui aurait connu, avant les loculi, le creusement des cuves au sol), juste avant que la ville d’Apamée ne cesse d’être habitée, ce qui expliquerait l’inachèvement des loculi. Le creusement des tombes à loculi, à Apamée, remonte donc probablement à cette période.

69La tombe T16 donne des informations plus ambiguës : sa première occupation peut en effet soit appartenir à la même phase Ib et être contemporaine des aménagements de loculi dans la tombe T4, soit être repoussée à la phase IIIa. En revanche, il apparaît qu’au cours des périodes IIIb et IV (seconde moitié du ii^e‑iv^e s.) en particulier, qui voient un développement important des espaces funéraires autour d’Apamée, aucun loculus n’est creusé dans les tombes à chambres. Seuls les arcosolia sont utilisés. Le site de Zeugma livre des informations complémentaires sur ces aménagements. Tout d’abord, la répartition spatiale des tombes à loculi est intéressante : si l’on prend les cinq tombes à loculi répertoriées par R. Ergeç, quatre se situent dans l’aire funéraire orientale364, qui date avant tout de l’époque romaine et qui semblerait avoir été mise en place à partir du ii^e s. ap. J.‑C. En effet, dans le chantier 6, plus à l’ouest, on a mis au jour une maison, la maison des Synaristôsai, dont la construction a entraîné l’abandon d’un espace funéraire de la fin de l’époque hellénistique et du début de l’époque romaine avec, en particulier, une tombe à loculi (E258) qui constitue un parallèle assez proche à la tombe T16 : la salle centrale de chacune de ces deux tombes a des proportions voisines, elles sont toutes deux approximativement carrées et semblent avoir été prévues pour recevoir trois loculi sur chacun des trois côtés libres, même si la tombe E258 n’a pas été complètement utilisée. Enfin, chacune de ces deux tombes comporte un loculus double, ce qui est une particularité assez rare, mais malgré tout repérée à plusieurs reprises à Zeugma365. L’aire funéraire où se trouve la tombe E258 aurait été abandonnée au début du ii^e s. ap. J.‑C.366, quand un quartier d’habitation la remplace et que l’espace funéraire oriental est mis en place. Cette opération marquerait le moment où les limites orientales de la ville ont été déplacées pour la laisser se développer dans cette direction. Cela indique que cette tombe à loculi E258 est antérieure au début du ii^e s. ap. J.‑C., mais elle semble avoir récemment été creusée au moment où elle est abandonnée, puisque tous les loculi, sur sa paroi nord, n’ont pas été taillés et qu’elle n’a pas été utilisée au maximum de ses capacités, si tant est qu’elle ait été utilisée. Elle pourrait donc avoir été creusée relativement peu de temps avant son abandon, probablement au cours du i^er s. ap. J.‑C. Si l’on considère le matériel trouvé dans la tombe T16, très proche de E258, on voit qu’il contient très peu de matériel d’époque hellénistique (T16.9 et T16.10). L’interprétation de ces fragments isolés est délicate ; il peut s’agir du seul vestige de la première phase d’occupation qui aurait échappé aux nombreuses réoccupations, ou bien ces fragments peuvent aussi avoir été apportés par des passages ultérieurs et être intrusifs. En revanche, il est intéressant de noter que, dans cette tombe, un petit groupe de vases appartient clairement à la phase IIIa, par ailleurs très peu représentée (T16.19 [?] et T16.24‑26). Pourraient‑ils en fait correspondre à la phase de construction et à la première phase de fonctionnement de la tombe ? Cette interprétation permettrait d’établir une cohérence chronologique entre les tombes T4 et T16 d’Apamée, et la tombe de Zeugma E258 : toutes trois pourraient être situées aux i^er s. av. et ap. J.‑C. Cependant, on le voit, cette hypothèse demande encore à être confirmée par l’étude d’autres exemples de ce type d’aménagements, bien datés, même si une certaine convergence est perceptible pour situer ces aménagements à la fin de l’époque hellénistique et au début de l’époque romaine.

70Finalement, les loculi seraient encore utilisés à Zeugma aux ii^e‑iii^e s. ap. J.‑C., comme le montre la présence de quatre tombes à loculi dans la nécropole orientale. De même, l’aire funéraire sud comporte elle aussi un certain nombre d’autres tombes avec ce type d’aménagements367. Cette utilisation tardive des loculi a également été observée plus au sud, que ce soit en Syrie du Sud, en Jordanie ou en Palestine368. Cependant, si on étudie les caractéristiques des loculi considérés comme tardifs à Zeugma, on voit qu’ils diffèrent de ce que l’on peut observer à Apamée, mais aussi dans la tombe E258 de Zeugma dont le terminus ante quem se situe au début du ii^e s. ap. J.‑C. En effet, le travail des loculi à Apamée et dans la tombe E258 de Zeugma est très simple : la surface inférieure est parfaitement aplanie, la couverture est elle‑même plate ; seules les dimensions varient. La longueur des loculi à Apamée est adaptée à la taille de défunts adultes ; dans la tombe T4, elle varie de 1,45 m (mais il s’agit du loculus inachevé) à 1,92 m. La hauteur limitée des loculi (autour de 0,75 m) permet de supposer que chaque loculus était creusé pour accueillir un seul corps et que toute nouvelle inhumation supposait une réduction ou un nettoyage des ossements. La tombe E258 de Zeugma présente des caractéristiques proches : les loculi ont une longueur à peu près identique qui varie de 1,90 à 2 m pour une largeur variant de 0,60 à 0,80 m. En revanche, les tombes à loculi présentes dans les espaces funéraires sud et est de Zeugma et pouvant probablement être datées des ii^e et iii^e s. diffèrent : elles comportent généralement un plus grand nombre de loculi, les loculi doubles sont plus fréquents, les loculi sont souvent plus hauts et la surface de repos dans les loculi est parfois recreusée369 de 0,60 m de profondeur (lors d’une réoccupation ou dès l’origine ?), permettant de placer le corps et de poser un couvercle s’appuyant sur le ressaut du bord de la cuve. Une telle disposition permet de supposer qu’une autre inhumation pouvait être placée au‑dessus de la première, selon une disposition également attestée, par exemple, dans le tombeau n^o 9 de Bosra370. Ces caractéristiques que l’on ne retrouve pas à Apamée ni, d’ailleurs, dans la tombe E258 de Zeugma, permettraient de différencier les loculi des ii^e et iii^e s. ap. J.‑C. par rapport aux loculi antérieurs. Cette augmentation des dimensions des loculi, en largeur et en hauteur, est généralement considérée comme la marque de l’époque romaine371. A contrario, les loculi plus simples, comme ceux des tombes autour d’Apamée, semblent pouvoir être plutôt attribués à l’époque hellénistique. Les tombes E258 et K94 de Zeugma sont typologiquement proches et elles peuvent dater toutes deux du Haut‑Empire. Ainsi, il apparaît que les loculi ne sont pas forcément des aménagements datant de l’époque hellénistique372; cependant, à l’époque romaine, ils sont fortement concurrencés par les arcosolia qui constituent dorénavant les aménagements majoritaires dans les tombes à chambre, même si, en particulier dans la vallée de l’Euphrate, les loculi peuvent encore à l’occasion être utilisés. Leur extrême rareté à l’ouest de la vallée de l’Euphrate et en Anatolie pourrait expliquer qu’ils n’apparaissent pas dans le catalogue des tombes de Doliché.

71D’autre part, il existe dans l’organisation des loculi autour d’Apamée et à Zeugma des particularités qui sont peut‑être à attribuer à des préférences régionales. Ainsi, on remarque que sur ces sites, on ne trouve pas de loculi en rangées superposées selon ce qui constitue leur disposition la plus courante en Syrie du Sud, en Palestine, mais aussi à Palmyre373. Cette disposition est également attestée à Édesse374. Cela peut peut‑être s’expliquer, de même que le petit nombre de loculi dans la tombe T4, par une population plutôt clairsemée sur un site où la ville hellénistique n’était pas aussi importante que prévu par ses fondateurs et, pour l’époque romaine, par l’absence probable de centre urbain. En revanche, la multiplication sur le plan horizontal des loculi dans les tombes des ii^e et iii^e s. de Zeugma375 peut se comprendre par une urbanisation croissante de la ville. Cependant, elle montre aussi combien la superposition sur deux rangées en hauteur des loculi est une pratique étrangère à la région, même lorsque des problèmes de place se posent.

72Il semble finalement que les loculi soient passés de mode sur la rive gauche de l’Euphrate, au plus tard à partir du ii^e s. ap. J.‑C. : aucune des tombes dont le creusement peut être situé précisément, grâce à des inscriptions, aux ii^e‑iii^e s. (tombes T1, T11 et T31) n’en présente ; pourtant, le nombre de tombes découvertes est relativement restreint et il se peut que la forme développée des tombes à loculi, que l’on peut voir à Zeugma encore à cette époque, ait aussi existé autour d’Apamée mais que le hasard des découvertes n’ait pas permis d’en repérer d’exemplaire.

73Ces loculi montrent qu’on peut discerner plusieurs types d’influences à Apamée : si les tombes à cuves nous ont paru pouvoir être une architecture plutôt anatolienne, de leur côté, les tombes à loculi sembleraient renvoyer à une influence méridionale avec une architecture funéraire qui se serait façonnée dans le sud du Moyen‑Orient, au contact du monde phénicien et du monde alexandrin. Cette influence méridionale, très vivace par exemple à Doura‑Europos, a pu remonter vers le nord, le long de la vallée de l’Euphrate. En tout cas, l’adoption de ce type d’architecture autour d’Apamée marque une véritable rupture par rapport aux tombes à cuves, à caractéristiques plutôt anatoliennes, et l’on peut s’interroger sur les circonstances qui ont amené ces changements. L’apport de nouvelles populations venant du sud du Moyen‑Orient, et en particulier du sud de la vallée de l’Euphrate à la fin du ii^e ou au début du i^er s. av. J.‑C., peut avoir conduit à implanter cette nouvelle architecture et, bien sûr, on peut imaginer que l’arrivée, peut‑être d’ailleurs progressive, de populations parthes dans la région a pu provoquer ces changements d’habitudes, du moins partiellement. Il est intéressant de noter que ces tombes à loculi se trouvent aussi, en tout cas au i^er s. ap. J.‑C., sur la rive droite de l’Euphrate qui ne fut pas sous contrôle parthe. Autrement dit, les contacts entre les populations des deux rives de l’Euphrate étaient sans doute étroits, au‑delà des frontières politiques d’ailleurs très fluctuantes dans la vallée de l’Euphrate, au i^er s. av. J.‑C. et ensuite jusque vers 60 ap. J.‑C.376.

Tombes à chambre(s) et à arcosolia

74Autour d’Apamée, les tombes à arcosolia constituent la disposition la plus utilisée pour les tombes à chambre. Plus précisément, les arcosolia se trouvent dans neuf des quatorze tombes à chambre repérées. Il s’agit des tombes T1, T3, T8‑T11 et T31‑T33. Elles se situent dans différents secteurs : si elles sont plus nombreuses dans le secteur B où l’on compte cinq tombes à arcosolia, on en trouve aussi trois dans le secteur A et une dans le secteur F. Les arcosolia sont très courants dans tout le Moyen‑Orient d’époques romaine et protobyzantine. L’architecture des tombes à arcosolia est très diverse. Le nombre de ces tombes étant relativement important autour d’Apamée, cela va nous permettre d’analyser avec une certaine sécurité les différentes caractéristiques de ces tombes dans la région, aussi bien pour le plan que pour leur décoration et leur chronologie. Les tombes à arcosolia mises au jour autour d’Apamée présentent en effet, au‑delà de la variété de leur plan, un certain nombre de caractéristiques communes dans le traitement de détail de leur architecture.

Les galeries d’accès et les accès

75Ces tombes semblent avoir été précédées par une galerie d’accès (souvent appelée dromos dans les publications, un terme qui suppose un couloir à ciel ouvert, une caractéristique dont il est difficile de vérifier l’existence étant donné l’état de conservation de la plupart de ces galeries), selon la tradition qui se perpétue depuis l’époque hellénistique à Apamée377. Certaines de ces galeries d’accès ont été creusées dans le substrat rocheux (T1, T3, T8, T33), quand d’autres sont construites (T9‑T11 et T32). Ces deux techniques sont d’ailleurs utilisées conjointement à Zeugma et à Doliché378. Autour d’Apamée, le choix de la technique dépend de la topographie des lieux ; cependant, quand on a une galerie creusée dans le rocher à l’avant d’une tombe rupestre, on peut difficilement être certain qu’elle n’a pas été prolongée vers l’extérieur et la terrasse d’où elle part par une galerie construite puisque, en général, l’état de conservation de ces galeries d’accès est d’autant plus mauvais que l’on s’éloigne du substrat rocheux et de la tombe rupestre. Cette situation explique aussi qu’il soit souvent difficile de préciser si les galeries comportent ou non des marches, comme cela semble souvent être le cas à Zeugma, Doliché ou Halabiya et, à plus forte raison, lorsqu’on a affaire à des hypogées stricto sensu comme à Tall as‑Sin. En effet, la partie proche de la tombe comporte nécessairement un palier plat permettant de manier commodément la lourde fermeture de la tombe et souvent il est seul à être conservé. L’accès à ces galeries, souvent taillées en front de falaise, devait certainement nécessiter des dispositifs (fig. 8 pour T4 et T8, par exemple) qui ont disparu. Peut‑être s’agissait‑il d’escaliers en bois.

76L’exemple de la tombe inachevée entre T4 et T8 (fig. 8 et 117) nous montre que l’on commençait à tailler la galerie d’accès et même à l’aménager avant de creuser la tombe. Ainsi, un arc a été sculpté au‑dessus de l’entrée, avant que l’on ne s’aperçoive que le projet recoupait une tombe antérieure, ce qui a conduit à l’abandon des travaux. Cette pratique a déjà pu être observée à Chypre dès l’époque classique379. En revanche, l’état de conservation de cette galerie inachevée, qui n’est pas meilleur que celui des autres galeries voisines, permet de supposer qu’elle est restée visible comme les autres galeries, qui ne semblent pas avoir été remblayées à l’abandon des tombes (d’ailleurs T8 a été occupée très longtemps, peut‑être jusqu’à la phase VI380), contrairement à ce qui a pu être observé à Kition. La réoccupation assez systématique des tombes autour d’Apamée, le passage très fréquent de pillards, ainsi que la découverte dans certaines galeries d’accès de couches différentes (T1, T11), pourraient indiquer que, le plus souvent, le comblement s’est effectué progressivement, de façon naturelle avant que les colluvions, hétérogènes, n’aient parfois complètement dérobé la vue les tombes (T11 par exemple). En revanche, il ne semble pas que le comblement de la galerie se faisait après chaque inhumation. De plus, certaines de ces couches, comme la couche 2 dans T1, comportent du matériel provenant de l’intérieur de la tombe (T1.10 et T1.102) : ainsi avons‑nous la certitude que, lors d’un des pillages de la tombe, le niveau de circulation dans la galerie était proche du sol original. La meule fermant la tombe T11 a été endommagée par des pillards dès l’Antiquité ; l’entrée de la tombe devait alors encore être visible et accessible. D’ailleurs, une des seules tombes qui paraît avoir connu un arrêt brutal de son activité, sans pillage, la tombe T2, était un hypogée, précédé certes d’une galerie, mais qui fut plus facile à remblayer sans doute que les galeries des tombes rupestres.

77Quand la galerie est creusée dans le rocher, ses dimensions, à proximité de l’entrée de la tombe, apparaissent clairement : sa largeur se situe entre 1,23 m (T8), 1,65 m (T3) et 1,95 m (?) [T33], mais elle paraît souvent plus étroite à Halabiya381. Elle peut varier en longueur, suivant la configuration des lieux et, bien sûr, son état de conservation, mais elle atteint devant la tombe T3 jusqu’à près de 3 m au moins de long382. En revanche, devant la tombe T8 qui se trouve en front de falaise, elle est quasi inexistante, avec une profondeur de 1,20 m et tient plus du porche destiné à monumentaliser l’entrée. L’entrée de la tombe inachevée qui avait d’abord été creusée, avant que les constructeurs ne trouvent accidentellement la tombe T4 (fig. 8 et 117), faisait près de 2 m de long pour une largeur de 1,06 m, ce qui en ferait la galerie d’accès la plus étroite des tombes autour d’Apamée, mais il est vrai qu’elle ne fut pas terminée. Ces deux galeries d’accès, ainsi que celle des tombes T3 (fig. 108) et T33 (fig. 525), montrent également qu’elles sont voûtées, avec un couvrement taillé dans le rocher, en tout cas à proximité de l’entrée. Le site de Zeugma offre des exemples de galeries d’accès voûtées et creusées dans le rocher383, mais aussi les sites de Doliché384, Yavuzeli385, Perrhè386, Yukarı Söğütlü387, plus au nord, près de Tunceli388 ou encore, vers l’est, à Édesse389 et au nord de Sarrin, à Daykdara390, à Quruq Magara391et à Halabiya392. Du fait du très mauvais état de conservation de ces galeries d’accès, il est difficile d’en déterminer le plan. Pourtant, la tombe T3 est précédée d’une galerie qui se rétrécit légèrement vers l’extérieur. La tombe T33 (fig. 525) semble nous montrer que la galerie, à 0,60 m de l’entrée dans l’antichambre, s’élargissait pour atteindre environ 2 m de large. S’agissait‑il d’une pièce fermée, constituant une sorte de vestibule le plus souvent allongé comme celui qui précède certaines des tombes de Doliché393 ou encore certaines tombes à tumulus comme T2394 ? D’autres galeries d’accès ont été construites, le plus souvent en appareil irrégulier, fait de moellons de tailles variées, liaisonnés à sec (T9‑T11), qui parfois (T11) s’appuient contre la colline taillée ; dans ce cas, il peut s’agir d’une reprise liée à la réoccupation tardive de la tombe. D’autre part, on peut remarquer que les tombes T9 (fig. 276) et T10 semblent avoir été creusées assez tardivement, au iv^e s. pour l’une et peut‑être au vi^e s. pour l’autre. Il faudrait vérifier sur un plus grand nombre d’exemples si véritablement ce type de galeries est tardif. En effet, on trouve aussi sur le site de Zeugma ce type de constructions de la galerie d’accès395. La tombe T32, que malheureusement nous n’avons pas pu voir, semble construite de gros blocs appareillés ; il est probable que sa « longue galerie d’accès en pente et voûtée »396 présentait la même technique que l’on trouve cependant à plusieurs reprises en Carie, à Belentepe, dès l’époque hellénistique397. Dans certains cas, la galerie d’accès semble avoir été fermée par une porte398 à son extrémité extérieure. Malheureusement, autour d’Apamée, cette partie de la galerie d’accès n’est jamais conservée.

78Aucune trace de niche ou de décor n’a pu être mise au jour dans les galeries d’accès des tombes autour d’Apamée, comme on peut en voir à Tall as‑Sin399. On ne trouve pas non plus de vestibule à l’extrémité de ces galeries, contrairement à ce que l’on peut observer à Zeugma ou à Doliché400, où ces espaces, parfois vastes, s’ouvrent juste avant la porte d’accès à la tombe401 et comportent des portraits sculptés des défunts ou de leur famille, dont le rôle n’a pas été véritablement élucidé402. Cette pièce, en avant de la tombe, pouvait avoir son utilité lors des funérailles ou des cérémonies commémoratives et la galerie d’accès peut aussi avoir été le lieu de certaines activités cultuelles, comme cela a été montré à Chypre403. Rien de tel n’apparaît autour d’Apamée, et en particulier, aucune niche ne semble avoir abrité de dépôt dans la galerie d’accès, ce qui ne laisse pas de poser des questions : ces absences de vestibule et de décoration sont‑elles liées à leur coût ou bien à des différences dans le rituel funéraire ? En même temps, le matériel trouvé dans les galeries d’accès qui a parfois un faciès particulier404 pourrait permettre d’imaginer le déroulement de cérémonies à l’extérieur de la tombe.

79Souvent, quand la galerie est réduite à un simple porche surmontant d’un arc l’accès à la tombe (fig. 8), on peut se demander si cette avancée n’est pas destinée à protéger l’entrée de la tombe des intempéries, mais elle prend aussi valeur décorative : la surface du rocher est souvent régularisée par polissage autour de la porte, comme on peut le voir à Zeugma405, à Jebel Ḥammam406, à Tall as‑Sin407 et même, parfois, en Galilée408. Cette disposition se trouve également plus à l’ouest, dans les tombes rupestres d’Alahan409 ou encore en Cappadoce410 ou à Karabacak, près de Yozgat411 et même, en au moins un exemplaire, à Labraunda412. À Etenna, de façon tout à fait révélatrice, on peut trouver un décor semblable dans son principe, mais avec un couvrement plat ou en bâtière413, daté peut‑être de la fin de l’époque hellénistique ou du début de l’époque romaine. Aucun autre décor de l’entrée n’a été observé autour d’Apamée (à l’exception de la tombe T9 dont le linteau de la porte présente deux croix sculptées414). Cette austérité des façades des tombes de la vallée de l’Euphrate a déjà été soulignée pour Doura‑Europos, Halabiya et Baghouz415. Cependant, on peut trouver parfois des décors autour des ouvertures des tombes et sur leur façade à Édesse416, où la présence de colonnes, de petits frontons et de reliefs est signalée, même si ce n’est pas le cas le plus fréquent.

80Toutes les tombes à arcosolia comportent une porte d’accès étroite. Elle présente, quelles que soient les époques et le mode de construction de la tombe, une grande régularité d’aspect : toutes les portes conservées sont rectangulaires, mais avec en général les angles arrondis, contrairement aux tombes à loculi qui comportent des portes à angles droits417. Leur largeur varie entre 0,60 m (T8) et 0,80 m (T11) pour une hauteur qui oscille entre 0,90 m (T8) et 1,20 m (T10). Ces portes imposent donc de se courber fortement pour entrer dans la tombe418. Elles montrent également que la dépouille du défunt était introduite sur un brancard étroit ou simplement portée dans son linceul. La forme des ouvertures paraît plus diversifiée à Doliché où l’on trouve des portes rectangulaires à angles arrondis419, à angles droits420 ou en arc en berceau ou surbaissé421, tout comme à Zeugma422. À Tall as‑Sin, à l’époque romaine tardive, les portes semblent le plus souvent rectangulaires aux angles arrondis423, mais elles peuvent aussi parfois présenter des angles droits424 ou être voûtées425. Sur le même site, une feuillure autour de la porte à l’extérieur peut permettre de caler les dalles de fermeture426. Autour d’Apamée, aucune disposition analogue n’a pu être observée, ce qui s’explique par le moyen de fermeture adopté sur ce site.

81En effet, les tombes à arcosolia autour d’Apamée ont été fermées, en général, avec un gros disque de pierre qui souvent doit être un moyen de réutiliser des meules. Un encastrement profond est prévu le plus souvent à gauche de l’entrée de la tombe, pour permettre de rouler ce disque et d’ouvrir de nouveau la tombe. La pierre a parfois gardé les encoches destinées à faciliter sa manipulation à l’aide de leviers (T9, fig. 277). On trouve ce dispositif de fermeture à glissière fréquemment attesté dans les espaces funéraires autour d’Apamée (T1‑T3, T8‑T9, T11, T32), mais toutes les tombes à arcosolia ne présentent pas ce système de fermeture, comme le montre la tombe T10 qui fut sans doute fermée par une ou des dalle(s) posée(s) de chant et simplement appliquée(s) contre la baie, sans autre dispositif, comme on peut l’observer dans le Massif calcaire427 ou à Hiérapolis par exemple428. L’usage d’un disque de pierre pour fermer la tombe est assez courant dans la région, à Zeugma429, Doliché430, Yukarı Söğütlü431 et ailleurs dans la vallée de l’Euphrate432, mais aussi à Édesse433 et plus à l’ouest en Syrie du Nord, dans le Massif calcaire434, où ce système de fermeture est avant tout considéré comme romain et comme étant progressivement abandonné au cours du ii^e s., alors qu’il semble avoir été utilisé plus longtemps autour d’Apamée, comme l’attestent par exemple la tombe T11 qui aurait été creusée vers 250 et peut‑être même la tombe T9 qui pourrait dater de la phase V. En revanche et très logiquement, ce système de fermeture est absent des hypogées (Tall as‑Sin par exemple), où sa mise en place aurait été compliquée, mais aussi de nombreuses tombes de Zeugma, où l’on préféra fermer les chambres funéraires soit avec de simples dalles, soit avec une porte, le plus souvent sans doute en bois, à un vantail et avec un mécanisme perceptible sur les chambranles435. Des disques de pierre ont été utilisés pour fermer des tombes aussi plus au sud, en Galilée, à Dor436, en Judée, à Maresha à l’époque romaine437 ou en Palestine où ce système de fermeture est particulièrement courant438. Cependant, leur usage semble moins systématique que dans la moyenne vallée de l’Euphrate. L’importance de la vie rurale à l’époque romaine dans la plaine d’Apamée a aussi peut‑être joué un rôle dans le choix de ce système de fermeture, qui paraît plus généralement utilisé que sur le site plus urbain de Zeugma par exemple. Ce dispositif présente l’avantage de permettre une réouverture relativement facile pour les tombes à chambre.

82La porte donne accès à la chambre funéraire ou à une antichambre en fonction du plan de la tombe. Cette première salle, quelle qu’elle soit, est généralement en contrebas de la porte. Selon les cas, ce dénivelé peut être traité par une seule marche (T1, T11 et T33), deux marches (T3, T9) ou même trois marches (T10). On retrouve un tel dénivelé entre l’entrée et la salle sépulcrale déjà dans les tombes hellénistiques d’Apamée (T24), mais aussi dans la plupart des tombes de Doliché439, de Zeugma440, de Soğmatar441 ou encore de Tall as‑Sin442, où le dénivelé paraît en général important et n’est pas toujours compensé par des marches creusées dans le rocher. Un tel dénivelé paraît être une constante mise en place au moins dès l’époque hellénistique dans les tombes du Moyen‑Orient, comme on peut le voir à Jérusalem443, et continue à être utilisé encore à l’époque romaine tardive444.

Les plans et l’organisation intérieure

83Les tombes à arcosolia, contrairement aux types précédents, présentent une grande diversité de plans et d’organisations intérieures. Ainsi, l’espace intérieur de la tombe peut‑il être unique, comme dans les types précédents, mais il peut se dédoubler, voire devenir triple.

Tombes à arcosolia et deux espaces centraux différenciés

84Le plan à deux espaces intérieurs différenciés semble avoir été préféré, autour d’Apamée, à l’époque romaine : sans doute par sa monumentalité, correspond‑il mieux à la volonté de mettre en valeur un certain nombre de tombes de familles importantes, tout comme les arcosolia et les lits funéraires décorés, en tout cas dans un premier temps. On ne peut également exclure que ces types différents de tombes, avec un seul ou deux espaces centraux, correspondent à des pratiques funéraires différentes. Les tombes avec deux espaces centraux différenciés sont représentées dans les environs d’Apamée par les tombes T1 (fig. 17), T3 (fig. 108), T9 (fig. 275), T11 (fig. 310) et T33 (fig. 525). Autant dire que ce type de plans paraît fréquent dans ces espaces funéraires, où il représente près des deux tiers des tombes rupestres. La fréquence de ce plan semblerait supérieure sur la rive gauche de l’Euphrate, par rapport à la rive droite445.

85Constitué de deux pièces en enfilade, ce plan présente une première salle ou antichambre plus ou moins nettement séparée de la chambre funéraire arrière ou chambre sépulcrale. Les dimensions des deux pièces varient ; cependant, de façon générale, l’antichambre est toujours légèrement ou nettement plus grande que la chambre funéraire, comme on peut également l’observer à Doliché446. Il s’agit donc d’une règle quasi intangible qui ne souffre guère d’exception447, liée sans doute au fonctionnement de la tombe.

86Ce plan à deux espaces différenciés trouve des parallèles nombreux au sud de la Commagène et en Syrie du Nord, régions dont il semble assez caractéristique, en particulier à l’époque romaine. Il est attesté plus précisément à Doliché448, Yavuzeli449, Gaziantep‑Şahinbey450, Zeugma451, Édesse452, Soğmatar453, Daykdara, Qouzaq Shemali, Hammam Saghir, Sarrin et Boujak454, Khirbet al‑Berge455 ou encore à Tell Wardiyat456, mais les éléments de chronologie manquent le plus souvent. Cependant, comme la ville de Doliché connaîtrait son apogée au iii^e s., on peut penser qu’en tout cas une partie de ces tombes date de cette époque, mais évidemment, cela reste une hypothèse. Une autre tombe trouvée à Apamée sur l’Oronte457 peut être rapprochée de la tombe T3, tout comme des tombes d’Édesse458 datées, pour certaines d’entre elles, du iii^e s. ap. J.‑C. sur une base fragile (graphie sur deux mosaïques trouvées dans cette nécropole), ainsi qu’un tombeau construit et enterré à Anab as‑Safina459. À Jaade al‑Magara, une tombe avec plusieurs chambres funéraires s’articulant autour d’un vestibule, dont une qui présente un plan cruciforme, est datée du iii^e s. par une inscription460. Le plan à deux espaces centraux différenciés se trouve aussi à Halabiya461, où les deux tombes concernées présentent un décor sculpté de colonnettes d’angle. Cette disposition générale que l’on trouve très tôt à Chypre462 et en Anatolie463 peut aussi rappeler le type des tombes à deux salles axiales d’Alexandrie464 dans la nécropole de Gabbari, dès l’époque hellénistique (d’abord associées à des loculi), où l’on distingue une salle de prière qui précède la chambre funéraire proprement dite. La nécropole d’Anfouchi a aussi livré ce type de plan avec la tombe 2 qui a récemment été reprise et attribuée au début ou à la première moitié du ii^e s. av. J.‑C.465. Les éléments de datation pour ce plan double sont donc rares. S’il s’agit d’une organisation générale qui a peut‑être été mise en place à Chypre, puis développée à Alexandrie à l’époque hellénistique, on la retrouve à la même époque à Mylasa466. Finalement, ce plan monumental a été adapté aux goûts et pratiques régionaux au fil du temps, aussi bien en Orient qu’en Grèce467, et a été utilisé très couramment à l’époque romaine.

87Le site de Zeugma ne peut guère apporter d’éléments complémentaires : les tombes rupestres à arcosolia du chantier 6, pour lesquelles un terminus ante quem au début du ii^e s. ap. J.‑C. paraît vraisemblable, ont été considérablement remaniées quand on les a intégrées à l’habitat ultérieur et leur plan d’origine est difficile à lire. Cependant, elles semblent être régulièrement constituées de deux espaces en enfilade : d’est en ouest, les espaces, qui constitueront plus tard les pièces P4 et P9 de la maison des Synaristôsai, pourraient appartenir à une première tombe à deux espaces différenciés, tout comme les espaces P8 et E252, les espaces P13 et P11 (E253) et enfin l’enfilade P12 et E254468. Si on admet cette lecture des structures, certes très hypothétique, il paraît logique de supposer que ces tombes rupestres à espace double et à arcosolia ont été construites et utilisées au plus tard au début du ii^e s. ap. J.‑C. Cependant, les tombes autour d’Apamée apportent d’autres éléments bien plus assurés.

88L’ensemble de ces tombes peut être subdivisé en fonction d’éléments du plan et de la décoration intérieure qui semblent significatifs. Toutes les tombes à deux espaces intérieurs autour d’Apamée (sauf la tombe T9) comportent, dans la chambre funéraire, trois arcosolia uniques qui donnent à cette pièce un plan cruciforme. Au‑delà de ce premier critère de classification, les tombes T1, T3 et T33 sont les seules à Apamée où les deux salles sont très nettement séparées par un passage étroit, large de 0,90 à 1 m, qui isole nettement la chambre sépulcrale de l’antichambre. Ce passage peut être traité très simplement (T3) ou monumentalisé comme dans les tombes T1 et T33 : outre l’arc qui surmonte souvent ce passage à Apamée comme à Édesse469, il est flanqué de pilastres reposant sur des bases moulurées et qui présentent, sur leur face antérieure, une surface rectangulaire encadrée d’un liseré étroit pouvant présenter une inscription (T1). Très souvent également, un dénivelé sépare l’antichambre de la chambre sépulcrale et oblige à ménager au moins une marche entre les deux espaces. Autour d’Apamée, les tombes à deux espaces différenciés comportent ce dénivelé, sauf la tombe T33. Le plus souvent, le niveau du sol de la salle sépulcrale est légèrement plus haut que celui de l’antichambre (T1, T9). Des dénivelés semblables apparaissent très régulièrement, aussi bien à Doliché470 qu’à Édesse471. Des rapprochements entre les tombes T1 et T3 peuvent aussi être faits pour la décoration élaborée des lits funéraires de la chambre sépulcrale. Peut‑être peut‑on donc proposer pour la tombe T3 une histoire proche de celle de la tombe T1, avec un premier groupe d’inhumations, caractérisé par des lits avec une décoration développée472, installé dans la salle sépulcrale, puis un agrandissement postérieur de la tombe avec le rajout des arcosolia de l’antichambre et peut‑être de la fosse près de l’entrée. Pour le creusement initial de ces tombes, il semble donc possible de proposer une date proche de celle donnée par l’inscription Api3 pour la tombe T1, dans la seconde moitié du ii^e s. ou le début du iii^e s. Le plan, mais aussi le couvrement des aménagements funéraires sont identiques entre les tombes T1 et T33. La première pièce, dans les deux tombes, est plus grande que la seconde, ce qui est banal473. Surtout, l’organisation des inhumations dans la chambre sépulcrale est semblable, avec la même couverture en bâtière pour les arcosolia, même si la décoration sculptée des lits funéraires paraît être absente de la tombe T33. Ces ressemblances paraissent convaincantes bien que l’on n’ait pas pu retrouver la tombe T33 et qu’il soit difficile de juger de la fidélité du relevé. On peut pourtant se demander si le comblement inévitable de l’antichambre de la tombe T33 n’aurait pas poussé J. Wagner à restituer les parties non visibles de la tombe, et en particulier peut‑être l’alcôve est, qui semble être unique à Apamée, alors que ce type d’alcôves très développé est utilisé couramment à Zeugma, site familier à J. Wagner.

89Le plan général de la tombe T11 est proche de celui de la tombe T3474 ; cependant, le passage entre l’antichambre et la chambre funéraire est beaucoup plus large dans la tombe T11 puisqu’il mesure 1,82 m et la décoration est absente, même si une inscription donne encore le nom des constructeurs : la tombe T11 pourrait, grâce au matériel qu’elle contient et surtout à l’inscription Api9, fournir pour ce type de tombes une datation en apportant ainsi des éléments sûrs qui faisaient défaut jusqu’à présent. Cette tombe semble avoir été creusée au milieu du iii^e s. et être donc sensiblement postérieure au premier groupe que nous avons distingué. Elle s’en différencie surtout par la largeur de la communication entre les deux espaces et l’absence de décoration.

90Le plan général de la tombe T9 (fig. 275) n’est pas sans rappeler celui de la tombe T1, à la fois par l’enfilade des deux salles et par la présence d’alcôves avec trois lits perpendiculaires. En même temps, les variantes à l’intérieur de ces caractéristiques sont nombreuses, et la souplesse du plan et son adaptabilité sont de rigueur. La salle 1 comportait une seule alcôve dans la tombe T1, elle en comporte deux dans la tombe T9. Surtout, la salle 2 se différencie nettement des salles funéraires des autres tombes doubles d’Apamée : elle ne comporte pas trois arcosolia uniques comme dans les autres tombes, mais deux alcôves à trois lits perpendiculaires et un arcosolium unique. L’histoire de la tombe T9 paraît différente de celle des autres tombes : ces dernières semblent avoir été construites à l’époque romaine (phase III), au ii^e ou iii^e s. Les arcosolia des salles 2 correspondent à cette première phase d’occupation, tandis que les alcôves des antichambres pourraient appartenir à l’agrandissement postérieur des tombes. Pour T9, la rareté du matériel céramique comme osseux, ainsi que sa cohérence ne semblent pas renvoyer à une histoire aussi complexe. En revanche, plusieurs éléments pourraient indiquer une date nettement postérieure pour le creusement de la tombe. Tout d’abord, la largeur du passage entre les deux espaces n’a jamais été aussi importante à Apamée. La place prise par les alcôves à trois lits perpendiculaires, qui se trouvent aussi dans la salle sépulcrale et ne peuvent plus être considérées comme des éléments d’agrandissement, constitue un autre changement important qui va de pair avec un matériel particulièrement tardif dans cette tombe : elle pourrait avoir été construite au vi^e s. Cela dit, des incertitudes demeurent sur l’histoire de cette tombe. L’arcosolium unique de la salle 2 ne pourrait‑il pas renvoyer à une première utilisation de cette tombe (et constituer un reliquat du plan cruciforme habituel pour cette salle), qui ensuite aurait été « nettoyée » et considérablement agrandie avec les alcôves ? Malheureusement, aucun élément ne permet d’aller plus loin. Seule l’étude de la chronologie des alcôves à lits perpendiculaires pourra apporter quelque élément de discussion475 et conforter l’impression que le schéma architectural de l’alcôve à lits perpendiculaires est plutôt tardif et correspond généralement à des réoccupations dans les tombes romaines.

91À partir de cette confrontation entre les plans des diverses tombes à espace intérieur double, on voit se dégager quelques tendances sur l’évolution de ce type, qui doivent encore être confirmées par d’autres études portant sur un plus grand nombre de tombes. Au ii^e s. ap. J.‑C., ces tombes paraissent constituer une caractéristique régionale et être un mode d’inhumation tout à fait privilégié (T1, T3), caractérisé par une nette séparation entre l’antichambre et la salle sépulcrale. Outre les dimensions, l’importance sociale de ce type de tombes est alors accentuée par la décoration, ainsi que les inscriptions qui viennent préciser le nom du propriétaire et l’année de construction. Au iii^e s., la tombe T11 nous montre que ces tombes évoluent vers davantage de simplicité : s’il reste une inscription, la décoration a disparu et l’ouverture entre les deux espaces est plus large et n’est plus soulignée par des moulures. D’ailleurs, ces caractéristiques permettent de rapprocher la tombe T11 de la plus grande part des tombes de Doliché, en général datées du iii^e s., et peut‑être aussi de la tombe T9. À partir du iv^e s., le type de tombes à deux espaces différenciés évolue encore, dans le cadre de réoccupations importantes qui investissent l’antichambre. De façon générale, le schéma cruciforme des trois arcosolia isolés est courant au iv^e s. (T10) à Apamée476, dans des tombes à chambre qui n’ont qu’un seul espace intérieur, dépourvu de toute décoration, et il se développe même sur d’autres sites comme Halabiya ou Tall as‑Sin. Cependant, il semblerait qu’autour d’Apamée d’autres solutions sont aussi tentées avec l’utilisation fréquente des alcôves à trois lits perpendiculaires (T9), une solution particulièrement prisée pour agrandir les anciennes tombes romaines de grande taille, que l’on réoccupe volontiers.

92Les tombes T1 et T3, en révélant dans leur salle arrière des lits décorés, contrairement à ce que l’on peut observer dans l’antichambre de ces tombes, permettent de proposer l’hypothèse selon laquelle, tout comme à Alexandrie, la chambre sépulcrale aurait été au départ la seule à recevoir des inhumations, alors que l’antichambre était consacrée aux prières et aux cérémonies, comme l’indique peut‑être la superficie le plus souvent supérieure de cette pièce. À Alexandrie, l’usage de lits funéraires décorés en pierre, que l’on retrouve dans les chambres sépulcrales des tombes T1 et T3 des environs d’Apamée, est attesté dès l’époque hellénistique, contrairement à Chypre477.

93On ignore quels étaient les aménagements des antichambres. Sur d’autres sites, on a pu remarquer la présence, dans les salles communes, de bancs en pierre478, qui pouvaient supporter des lampes à huile, des vases ou des offrandes diverses. En leur absence dans les tombes autour d’Apamée, on peut imaginer qu’il y avait des bancs en bois qui pouvaient, en tout cas dans leurs premières phases de fonctionnement, ceindre ces espaces. Ces antichambres devaient aussi contenir un autel au centre, dont des traces ont été retrouvées autour d’Apamée dans les tombes T1, T3 et T11. La présence d’autels dans la cour devant la tombe ou dans la première salle d’une tombe se retrouve à Alexandrie479 dès le iii^e s. av. J.‑C., souvent accompagnés de bancs (qui peuvent être en bois) et de dispositifs hydrauliques. Ces éléments permettent d’interpréter ces espaces, en tout cas autour d’Apamée et lors de la première phase d’occupation de ces tombes, alors qu’ils sont sans doute dépourvus d’inhumations, comme des lieux de prières et de commémorations (?), séparés de la salle sépulcrale par un passage. Il se peut donc que le modèle hellénistique alexandrin des tombes à espace double, qui se poursuit par des tombes à deux espaces et à arcosolia480 à l’époque impériale, soit aussi à l’origine, via le Levant, des tombes à deux chambres que l’on trouve autour d’Apamée. De même, le passage qui reste ouvert entre l’antichambre et la chambre funéraire paraît également être un emprunt au modèle alexandrin. Aucun système de fermeture entre les deux espaces n’a pu être observé dans les tombes autour d’Apamée. L’étroitesse du passage, en particulier dans les tombes T1, T3 et T33, permet d’imaginer la possibilité d’une fermeture légère faite de planches et/ou d’un tissu, bien qu’aucun dispositif de fixation n’ait été observé. Dans les tombes autour d’Apamée, les corps qui reposent sur un lit funéraire dans l’espace sépulcral481, sans séparation stricte apparente avec l’antichambre, posent le problème des cérémonies commémoratives et du déroulement des visites dans les tombes482. Si on peut comprendre que les cérémonies de funérailles aient pu se dérouler dans l’antichambre, d’ailleurs prévue par sa taille pour accueillir un certain nombre de participants, en revanche, les cérémonies commémoratives semblent n’avoir guère pu se dérouler si près des corps, étant donné la façon dont ils reposaient, peut‑être sans couverture fixe pour certains d’entre eux483, à plus forte raison quand les arcosolia ont investi l’antichambre. Il paraît probable que les cérémonies de commémoration et les visites des proches se déroulaient alors plutôt soit dans la galerie d’accès et devant la fermeture de la tombe484, soit même éventuellement devant l’entrée de la galerie qui n’a jamais été conservée à Apamée. D’ailleurs, rappelons que la porte lourde et difficile à manier de la tombe se trouve avant l’antichambre. C’est elle qui devait être fermée à l’issue des funérailles et ne devait être rouverte qu’exceptionnellement lors d’un nouveau décès dans la famille.

94Si au début du fonctionnement de ces tombes, il paraît possible de supposer qu’une partie des cérémonies de commémoration ait encore eu lieu dans l’antichambre, ces célébrations ont sans doute rapidement été déportées à l’extérieur de la tombe. Cette évolution semble avoir été actée à partir du milieu du iii^e s. (T11), quand le passage entre les deux espaces s’élargit, de sorte qu’ils ne sont plus véritablement séparés et qu’ensuite, finalement de façon très naturelle, des inhumations sont installées dans l’antichambre, qui n’est plus guère distinguée de la chambre sépulcrale. En revanche, le passage étroit entre antichambre et chambre sépulcrale (T1 et T3) au ii^e s. garde peut‑être la trace d’un fonctionnement autre, dans lequel les cérémonies des funérailles et peut‑être aussi les plus importantes des cérémonies de commémoration pouvaient encore avoir lieu dans l’antichambre, comme on pense pouvoir l’imaginer à Alexandrie sans difficulté, tant que les loculi ou les sarcophages sont utilisés pour renfermer la dépouille485. Ainsi, ces deux espaces nettement différenciés témoigneraient d’un fonctionnement des tombes encore relativement ouvertes aux vivants. Ce plan de tombes, mis en rapport avec une utilisation des lits funéraires486 peut‑être particulière autour d’Apamée, n’est pas sans poser, pour des raisons sanitaires évidentes, la question de l’adoption d’un plan importé pour le prestige et la monumentalité, mais pas forcément adapté à la tradition sans doute anatolienne487 des lits funéraires et à l’usage qui en est fait autour d’Apamée. L’évolution de l’architecture de ces tombes, qui voit le passage entre les deux espaces s’élargir jusqu’à n’être plus guère perceptible, l’absence de couverture des lits funéraires488 et l’installation de ces lits également dans les antichambres, rend compte d’une évolution certaine des pratiques, difficile à expliquer, mais qui peut être liée à des habitudes régionales différentes et peu compatibles avec l’adoption de cette architecture importée ou au choix d’un coût plus limité des tombes et d’une architecture plus simple. Cette évolution ne peut pas n’être que le résultat d’une pression plus forte sur l’occupation des tombes, qui d’ailleurs reste à prouver pour le secteur autour d’Apamée. Elle résulte aussi d’un changement des pratiques funéraires, voire aussi peut‑être d’une sensibilité différente qui tend à séparer plus nettement le domaine des morts de celui des vivants.

95La durée d’utilisation de cette antichambre comme lieu de prières et de cérémonies est donc difficile à déterminer. Certes, de nouveaux lieux d’inhumation ont été creusés dans l’antichambre des tombes T1 et T3, mais l’autel semble être resté en place pendant très longtemps, peut‑être d’ailleurs sans avoir été utilisé : dans les tombes d’époque protobyzantine à un seul espace funéraire, aucun autel ne semble avoir été trouvé, que ce soit à Halabiya ou à Tall as‑Sin. En tout cas, il est probable qu’avec l’installation de tombes dans l’antichambre, sans doute le plus souvent à l’époque romaine tardive ou à l’époque byzantine, mais probablement bien avant, le déroulement des cérémonies commémoratives a dû être modifié. La construction de tombes à un seul espace funéraire au iv^e s. autour d’Apamée489 pourrait aller dans le même sens : l’ensemble des cérémonies, en particulier de commémoration, a sans doute lieu hors de la tombe dorénavant, soit à l’extérieur même de la tombe, soit dans un espace de prière particulier.

Tombe à arcosolia et à trois espaces funéraires différenciés

96On trouve une seule tombe (T31), malheureusement non relevée faute de temps, qui comporte en fait trois salles, une antichambre, ainsi qu’une salle sépulcrale qui la prolonge, tandis qu’un des côtés de l’antichambre présente un passage vers une seconde salle sépulcrale. Un tel plan, qui semble de façon générale très rare, est attesté à Doliché490, avec une seule salle supplémentaire sur un des côtés de l’antichambre, ou encore à Boujak491 et Édesse492. Cependant, à Doliché le plan le plus fréquent présente, dans sa forme complète, outre la salle sépulcrale qui se trouve dans le prolongement de l’antichambre, deux salles funéraires supplémentaires, de part et d’autre de l’antichambre493. On peut aussi observer ce plan en Commagène, à Yukarı Söğütlü494. Ce plan apparaît à Chypre dès la fin de l’époque hellénistique, associé à des loculi495, et semble être une variante du type précédent, puisque l’on trouve toujours les deux salles en enfilade, auxquelles vient se rajouter une seconde salle sépulcrale sur un côté de l’antichambre, voire une troisième salle. Nous n’avons malheureusement que peu d’éléments pour dater ce plan qui paraît être une variante régionale du type à deux espaces différenciés, lui‑même attesté plutôt en Syrie du Nord et dans le sud de la Commagène. Comme lui, le plan à trois espaces différenciés date probablement, dans la vallée de l’Euphrate, de l’époque romaine et plus particulièrement des ii^e et iii^e s. Sa présence à Doliché pourrait confirmer qu’il est en vigueur au iii^e s. Le travail du piédroit du passage de l’antichambre à la troisième salle, qui comporte un cartouche en creux avec une inscription (Api10), rappelle par son emplacement l’inscription Api3 de la tombe T1, datée de la fin du ii^e s. L’écriture peut également être datée de la fin du ii^e ou du iii^e s. La présence de ce piédroit ainsi daté est importante : elle montre, en effet, que ce piédroit qui marque le passage vers la troisième pièce est d’époque romaine, autrement dit que cette pièce a été prévue probablement dès la construction de la tombe ou a été ajoutée peu après. Cela différencie donc nettement, d’un point de vue chronologique, ces pièces latérales de l’ajout d’alcôves étroites, comme on peut le voir par exemple dans l’antichambre de la tombe T1.

Tombes à arcosolia et à espace central unique

97Une minorité des tombes à arcosolia autour d’Apamée ne comporte qu’une seule salle centrale, souvent flanquée d’un arcosolium le long de chacun des trois côtés libres, ce qui donne à ce plan un aspect cruciforme. La salle centrale est généralement de forme légèrement irrégulière, mais tendant vers la forme carrée ou trapézoïdale. Les dimensions de cette chambre funéraire oscillent selon les côtés, entre 2,97 m (T10) et environ 3,50 m (T8, T10). Les tombes T8 (fig. 117) et T10 (fig. 294) correspondent à ce plan. La tombe T32 (fig. 524), avec ses deux alcôves, est légèrement différente en plan, mais la forme générale de la chambre funéraire et ses dimensions respectent ces principes. Elles ont donc toutes les trois une superficie qui se situe autour de 10 m², ce qui permet également de les rapprocher des tombes à un espace central unique de Doliché496 et d’Édesse, qui présentent à peu près les mêmes dimensions. En revanche, à Tall as‑Sin, la moyenne des superficies des espaces centraux est nettement inférieure497.

98Il convient de différencier ce plan de celui d’autres tombes à espace apparemment unique et précédé d’un large vestibule qui n’est pas creusé sous le rocher, mais qui semble à ciel ouvert ou peut‑être dans certains cas, couvert d’un toit de tuiles498. On trouve des exemples de ces tombes à Zeugma, avec par exemple la tombe d’Areisteos499, datée de l’époque romaine (et peut‑être du ii^e s. sur des bases stylistiques fragiles). Aussi attestées fréquemment à Doliché500, ces tombes présentent dans le vestibule des dispositifs qui suggèrent que des cérémonies s’y déroulaient. On peut donc considérer que ces tombes à vestibule comportent deux espaces différents et constituent une variante, absente autour d’Apamée, du type à deux espaces différenciés.

99Les trois tombes à espace central unique autour d’Apamée représentent un tiers des tombes sur un total de neuf tombes à arcosolia. Ce résultat est à peu près conforme à ce que les nécropoles de Doliché indiquent, puisque là aussi les tombes à plusieurs espaces sépulcraux sont majoritaires. En revanche, il apparaît clairement que sur d’autres sites de la région, et en particulier d’autres sites plus méridionaux, les tombes à espaces funéraires multiples sont assez rares501, en particulier dans le sud de la haute vallée de l’Euphrate, voire quasiment absentes, alors qu’à Tall as‑Sin ou encore à Halabiya, sites tardifs, les tombes à un seul espace central sont très majoritaires502. Ces tombes à arcosolia et à un seul espace funéraire semblent avoir été utilisées pendant un laps de temps assez long : la date de construction d’une tombe de plan semblable en Syrie du Nord, entre Dana et Burdaqli, mentionnée par une inscription et attribuée à l’année 135 ap. J.‑C., donne une indication précieuse503. Cependant, ces tombes à arcosolia et à espace central unique sembleraient en général plus tardives. Les deux seuls exemples autour d’Apamée, qui ont pu être fouillés (T8 et T10), auraient été creusés au cours de la phase IV, probablement au iv^e s. ap. J.‑C.504. Les données apportées par le site de Doliché sont d’interprétation difficile. Certes, la présence de tombes de ce type pourrait indiquer qu’au iii^e s. ce plan est déjà utilisé dans la région. Pourtant, quelques remarques s’imposent à propos de ces tombes à espace unique et sans vestibule : tout d’abord, elles proviennent quasiment toutes de la même nécropole qui se situe à l’écart de la ville, à l’ouest du sanctuaire de Jupiter Dolichenos. Sans données archéologiques, on ne peut que constater cette répartition spatiale, mais elle pourrait avoir une signification, chronologique ou autre. Sur ce même site, on doit aussi noter que toutes les tombes qui comportent des arcosolia organisés en pi dans des alcôves505 appartiennent au type à espace unique et sans vestibule506. Parmi ces tombes, si quatre d’entre elles forment un groupe compact dans la partie nord de la nécropole de Doliché, les autres font partie de la nécropole à l’ouest du sanctuaire. L’association étroite de ce plan et des arcosolia organisés en pi est un autre argument en faveur d’une date plutôt tardive de ce plan : les alcôves en pi paraissent en effet être utilisées principalement à partir du iv^e s.507. Des tombes à arcosolia et à plan cruciforme sont construites et utilisées fréquemment de l’époque romaine jusqu’à l’époque byzantine dans la vallée de l’Euphrate508, comme à Halabiya509 mais aussi en Commagène510, à Édesse511 et vers l’ouest, à Elaiussa Sébastè512 ou encore en Phrygie513. L’utilisation de deux alcôves en pi comme on peut le voir dans la tombe T32, associées à ce plan à chambre unique, est plus rare, mais est attestée dans la vallée de l’Euphrate, plus au sud514, et constitue certainement une variante du plan à trois alcôves en pi. Une étude plus poussée du schéma de l’alcôve dans ces tombes permettra de mieux dater la tombe T32515.

100Ces espaces centraux entourés d’inhumations ont peut‑être servi de lieu de cérémonie, au moins lors des funérailles, comme le montre la présence d’un autel au milieu de la salle centrale d’une tombe présentant ce plan, à Doliché516. En revanche, aucune trace d’autel ou d’encastrement d’autel n’a été conservée dans des tombes à chambre unique autour d’Apamée. Les tombes T8 et T10 sont relativement tardives et rendent peut‑être compte de changements dans le déroulement des cérémonies qui auraient eu lieu au plus tard à la fin du iii^e ou au iv^e s. Ces tombes à une seule pièce entourée de sépultures pourraient montrer qu’une partie des cérémonies funéraires, en dehors des funérailles elles‑mêmes, ne se déroulait plus dans la tombe même mais avait lieu à l’extérieur. Cette évolution du plan pourrait correspondre à une fermeture plus grande de la tombe et à une séparation plus nette entre vivants et défunts.

Les arcosolia

101L’histoire des arcosolia a fait récemment l’objet de plusieurs études qui révèlent l’origine de ce dispositif et permettent d’en comprendre le développement517. En architecture funéraire, la présence d’arcosolia est généralement considérée comme un élément tardif518, qui semble cependant être attesté à partir du i^er s. ap. J.‑C. en Palestine519, même si des arcosolia apparaissent dans des tombes chypriotes considérées comme hellénistiques520 et qu’en Anatolie, les premiers exemples attestés à Kanytelleis, en Cilicie, sont supposés dater de la première moitié du i^er s. av. J.‑C.521. Cependant, ces datations ne sont pas assurées et la possibilité de réutilisation des tombes n’est guère envisagée. Les publications les plus récentes sur le site renvoient plutôt à des datations aux i^er et ii^e s. ap. J.‑C., en s’appuyant en particulier sur des inscriptions522. À Alexandrie, l’apparition des salles à arcosolia est aussi située à l’époque impériale, même si la date d’apparition précise des salles cruciformes à arcosolia est difficile à établir. Pourtant, les données apportées par les fouilles du secteur 2 du pont de Gabbari sembleraient montrer que les salles à arcosolia apparaissent au plus tard au i^er s. ap. J.‑C. Sur le même site, ce dispositif est au cœur de l’hypogée de Kôm el‑Chougafa qui est daté de l’époque flavienne523.

102On peut se demander si l’apparition des arcosolia autour d’Apamée n’est pas le résultat de plusieurs traditions qui se développent en Anatolie, au Proche‑Orient et peut‑être en Occident pour finalement converger. Des exemples de chambres funéraires souterraines décorées d’arcs plus ou moins évidents sont attestés dans la vallée de l’Euphrate dès le III^e millénaire av. J.‑C. C’est par exemple le cas sur le site du Bronze ancien de Tell Halawa, à l’emplacement du lac al‑Asad524. À Chypre, les tombes avec des niches longitudinales le long des parois apparaissent dès l’époque géométrique, tandis que les premiers arcosolia dateraient, sur cette île, de l’époque classique ou du début de l’époque hellénistique525. En Palestine, les tombes rupestres avec niches apparaissent aussi dès le début de l’âge du Fer526. En Anatolie, certaines régions comme l’est, mais aussi la Lydie527, présentent des tombes rupestres dotées de niches parallèles aux parois destinées à abriter les corps. Une tombe avec salle funéraire unique et niches longitudinales avec bancs funéraires a été creusée à Van (peut‑être à l’époque urartu ou achéménide ?) et rejoint des plans proches qui semblent se développer indépendamment en Phrygie, en Carie et en Cilicie à partir de l’époque hellénistique, voire peut‑être plus tôt528. La tombe rupestre de Bellérophon, à Tlos par exemple, développe une chambre sépulcrale contenant trois niches funéraires avec couvrement horizontal dès le début du v^e s. av. J.‑C.529. Une tombe de Karapınar, en Carie, datée à titre tout à fait provisoire du début de l’époque hellénistique530, témoigne de ce phénomène et présente une décoration simple qui évoque les lits funéraires hellénistiques531. Le site de Xanthos présente aussi des tombes avec des lits funéraires intégrés à des niches au couvrement légèrement vouté532. À Yüceören, en Cilicie, des hypogées présentent un plan très proche du plan cruciforme simple, avec en général des banquettes pleines creusées le long des trois côtés libres de la chambre funéraire. Ce site est important puisqu’il a livré du matériel associé à chacune de ces tombes. Il apparaît que certaines d’entre elles, qui comportent des arcosolia rudimentaires dont le couvrement n’est que très peu travaillé, pourraient dater de la fin de l’époque hellénistique pour leur première utilisation : c’est le cas pour les tombes K‑11533 et K‑15534, dans lesquelles des vases datant de la fin du ii^e ou du i^er s. av. J.‑C. ont été mis au jour. La phase d’utilisation la plus ancienne de la nécropole est située au iii^e s. av. J.‑C.535, mais cette date n’est guère donnée que par quelques monnaies qui fournissent plutôt un terminus post quem. Cette nécropole fournit donc un exemple tout à fait intéressant de la phase immédiatement antérieure aux arcosolia proprement dits. De même, à Chypre, des tombes à Tsambres, Aphendrika (tombe 33), Marion (tombes 14 et 41) et Vouni (tombe 4), datées de l’époque hellénistique, présentent aussi des lits funéraires intégrés à des niches avec arcosolia et pourraient désigner cette île comme l’origine de ce type de couvertures, si du moins il n’y a pas eu de réoccupation de ces tombes536. Finalement, la mise en place d’une couverture voûtée au‑dessus de ces niches est‑elle une création propre à ces régions et une forme dérivée des niches longitudinales existantes auparavant ? Certains ont aussi voulu voir là une influence occidentale, en particulier à propos de l’apparition de ce même schéma architectural de l’arcosolium en Crète537, à Cnossos et Matala, entre le milieu du i^er s. et le ii^e s. ap. J.‑C.538, sans qu’il ne semble y avoir d’antécédent à cette forme de couverture539. La question est donc loin d’être résolue, même si le sud de l’Anatolie ou Chypre semblent être, pour le moment, les régions les plus vraisemblables d’invention de l’arcosolium.

103Enfin, l’utilisation de lits funéraires pourrait être une autre caractéristique qui a participé à l’invention des arcosolia, même si, bien sûr, il se trouve aussi des arcosolia qui abritent des banquettes‑cuves simples. Cette couverture, en effet, permet de mettre en valeur les lits qui, pour certains d’entre eux, sont traités avec beaucoup de soin. L’usage des klinai funéraires renvoie à des traditions multiples, complexes et anciennes540. Des banquettes ou lits funéraires ont été sculptés dans les parois de tombes rupestres, dans des régions très variées, de la moyenne vallée de l’Euphrate et de l’Anatolie dès le III^e millénaire av. J.‑C.541 ; on retrouve ce motif en Anatolie centrale et orientale, puis en Lydie542 et en Phrygie en particulier543, où les premières klinai apparaissent autour du milieu du vi^e s. av. J.‑C.544, par exemple dans deux tombes de Yazılıkaya. La période achéménide voit le développement de ces couches funéraires dans les tombes lyciennes et cariennes où ces dispositifs portent parfois des pieds moulurés qui rendent explicite l’allusion aux klinai545. Avec l’époque hellénistique, l’usage de ces lits funéraires en pierre se diffuse au Proche‑Orient, par exemple en Palestine, à Maresha546, tout en empruntant à l’ameublement perse certains détails de leur décoration547, tandis qu’à Alexandrie, ils semblent s’inspirer de modèles macédoniens548, qui eux‑mêmes sont dérivés de modèles inspirés par des influences à la fois perses et anatoliennes549.

104Le souvenir de ces riches klinai reste perceptible dans la décoration des lits funéraires de certains arcosolia d’époque romaine. En Syrie, on considère que les arcosolia sont apparus après le i^er s. ap. J.‑C.550 et au i^er s. ap. J.‑C. en Grèce551. Dans la vallée de l’Euphrate, leur apparition est souvent attribuée, sans donnée archéologique fiable, à la fin de l’époque hellénistique et au début de l’époque romaine552. Cependant, cette question peut être précisée par la fouille de la maison des Synaristôsai553 à Zeugma : en effet, les constructions sur la terrasse de cette maison ont investi une ancienne zone funéraire qui comprenait des tombes à caveau, plusieurs tombes à arcosolia et une tombe à loculi554. Ce n’est qu’au début du ii^e s. ap. J.‑C. que la terrasse a changé de fonction et que les tombes ont été abandonnées555. Ce chantier confirme donc un terminus ante quem situé au début du ii^e s. ap. J.‑C. pour la construction d’arcosolia à Zeugma et permet, avec vraisemblance, d’avancer la date d’apparition des arcosolia au i^er s. ap. J.‑C. dans la région, tandis qu’une inscription atteste de l’existence d’arcosolia en Syrie du Nord dès 135556. Les espaces funéraires autour d’Apamée n’apportent pas de nouveaux éléments sur ce problème puisque les tombes des i^er s. av. et i^er s. ap. J.‑C. sont très rares. La première tombe près d’Apamée bien datée, qui semble avoir adopté les arcosolia, est la tombe T1 dont la construction est située, par une inscription, à la fin du ii^e s. ap. J.‑C. : elle a donc été creusée à un moment où les arcosolia étaient déjà généralisés dans l’architecture funéraire de la région. La tombe T3, par ses caractéristiques architecturales et décoratives, semble devoir lui être antérieure, même si le caractère élaboré de sa décoration ne suffit pas à l’assurer. Malheureusement, cette tombe n’a livré que très peu de matériel.

105Dans les espaces funéraires autour d’Apamée, les arcosolia semblent constituer un dispositif utilisé de façon très générale à partir des ii^e et iii^e s. ap. J.‑C. En effet, seule cette forme de sépulture est attestée dans les tombes à chambre de cette époque, comme les tombes T1 (fig. 23), T3 (fig. 110‑113) et T11 (fig. 311‑312). Les arcosolia constituent également le dispositif privilégié dans les nécropoles romaines de la région, que ce soit à Zeugma557 ou à Doliché558. La période pendant laquelle on creuse ce type de dispositifs, dans sa typologie la plus simple, avec un couvrement en berceau et sans autre décoration, semble se poursuivre bien au‑delà de cette période, comme le montrent certaines tombes autour d’Apamée (tombes T8, T10 et surtout la tombe T9 qui aurait pu avoir été creusée au cours de la phase V). D’autres sites relativement proches viennent confirmer cette utilisation très large des arcosolia simples à l’époque romaine tardive et protobyzantine559, comme Dara‑Anastasiopolis560, Halabiya561 ou Tall as‑Sin562. À l’époque romaine, les arcosolia paraissent donc plutôt caractéristiques des sites du nord de la Syrie563. Cette forme architecturale devient ensuite beaucoup plus fréquente dans l’ensemble du Moyen‑Orient à partir du iv^e s. Grâce à l’amplitude de leur chronologie, les espaces funéraires autour d’Apamée permettent de montrer qu’il existe des différences dans la structure architecturale des arcosolia, leur décoration mais aussi leur disposition au cours de cette très longue période, et qu’à tout le moins, il est possible de tenter d’en suivre l’évolution pour la région.

106Le nombre de lits funéraires permet de restituer le nombre de places prévues au départ, puis souvent après il y eut ajout de nouveaux lits dans l’antichambre. Nous verrons que ce nombre a été grossièrement respecté pendant la longue utilisation de la plupart de ces tombes564. Il est très variable d’une tombe à l’autre et peut aller de trois (T10) à treize lits (T9). Pourtant, au‑delà de ces variations, une constante demeure, qui d’ailleurs a été également relevée à Corinthe565 et peut être aussi observée à Doliché, où l’échantillon est important et d’autant plus significatif : la plupart des tombes offrent un nombre impair de places. À Doliché, cinq tombes sur six sont dans ce cas. Autour d’Apamée, seule la tombe T1 peut accueillir un nombre pair de défunts (six), si l’on ne considère pas la niche à l’ouest de l’antichambre comme une niche funéraire. Ces lits autour d’Apamée sont systématiquement inclus dans un arcosolium.

107La plupart des arcosolia ont une couverture voûtée en berceau sans autre décoration (fig. 312), comme dans beaucoup de nécropoles du Moyen‑Orient. Ce type de couverture est généralement daté entre le ii^e et le vi^e s. ap. J.‑C.566. Cependant, plusieurs exemplaires dans les tombes autour d’Apamée présentent un couvrement en bâtière. C’est le cas pour certains arcosolia des tombes T1 (fig. 18, 20 et 22‑23) et T33 (fig. 525). De plus, les arcosolia en bâtière de la tombe T1 présentent des piedroits décorés de petits pilastres comme on peut en voir aussi à Doliché567. Enfin, dans la tombe T3, on peut observer un couvrement plat au‑dessus des lits funéraires de la salle 2 ou salle sépulcrale, constituant une sorte de baldaquin travaillé. On doit souligner que ces arcosolia, qui se distinguent par leur décoration, semblent ne pas être utilisés de façon aléatoire, même si évidemment le petit nombre de tombes mis au jour autour d’Apamée empêche toute généralisation : il semble qu’on les trouve plus souvent dans les tombes les plus monumentales, à deux salles, et de façon privilégiée dans les salles funéraires où ils couvrent les trois couches. De façon plus épisodique, ce couvrement est utilisé aussi dans les antichambres (T1 et T33) : dans ce cas, ce type de couvrements en bâtière se combine avec le couvrement en berceau ; dans ces deux tombes à alcôve, l’alcôve présente un couvrement en berceau alors que le lit funéraire du fond présente un couvrement en bâtière. À Zeugma, dans la tombe d’Areisteos, on trouve la combinaison étroite d’une couverture en bâtière à l’avant, combinée avec une couverture voûtée à l’arrière, dans des arcosolia abritant deux lits funéraires parallèles, selon un dispositif que l’on ne trouve pas à Apamée568. On peut noter aussi que tous les lits funéraires décorés de reliefs sculptés ont reçu un couvrement particulier, en bâtière ou plat (T1 et T3). Autrement dit, ces types de couvrements, plats ou en bâtière, qui ne sont pas sans rappeler la tradition des couvrements de niches funéraires hellénistiques ou antérieures569, peuvent désigner soit des tombes privilégiées, soit les tombes les plus anciennes, soit avoir les deux caractéristiques en même temps. De plus, quand une seule sépulture comporte une couverture en bâtière, il s’agit toujours de la sépulture du fond de l’alcôve (T1 et T33), qui est considérée comme la plus prestigieuse. D’ailleurs, à propos de la couverture en bâtière des loculi d’Alexandrie, il a été proposé qu’elle rappelle peut‑être la couverture des naiskoi570 participant à l’héroïsation du défunt. On a également ces couvertures d’arcosolium en bâtière à Doliché571 et à Édesse572, alors qu’elles semblent totalement absentes de Tall as‑Sin et de Halabiya. La répartition spatiale de ces arcosolia semble correspondre approximativement à ce que l’on peut observer autour d’Apamée : si les arcosolia avec ce type de couvrement en bâtière peuvent aussi se trouver de façon assez exceptionnelle dans des tombes à une seule chambre funéraire (Édesse, tombe 69 ; Doliché, tombes K9 et K74), en revanche, ils sont presque toujours situés face à l’entrée de la tombe, à l’exception de la tombe K74 de Doliché573. Les arcosolia (ou plus exactement les niches longitudinales) à couvrement plat sont encore plus rares, cependant, on peut en observer quelques exemples à Zeugma574, à Doliché575, à Quruq Magara576 et à Tall as‑Sin (tombes 13, 150, 156, 168 par exemple), mais aussi à Hiérapolis577. Leur emplacement dans les tombes présente les mêmes caractéristiques que pour les arcosolia à couvrement en bâtière, en particulier à Doliché, autrement dit, ce type de couverture signale en général les tombes les plus importantes, tout comme la décoration des lits funéraires. Cette constatation n’est pas vérifiée partout ; à Tall as‑Sin, les couvrements plats paraissent plutôt caractéristiques de l’ensemble d’une tombe que d’un réceptacle particulier. Cependant, autour d’Apamée et malgré ces variantes locales, une certaine hiérarchie apparaît : elle privilégie avant tout, dans les tombes à deux salles, les sépultures de la salle du fond qui peuvent être les plus anciennes et/ou celles qui ont été creusées pour le premier propriétaire de la tombe et ses proches578. On peut observer qu’à Doliché, la pratique est un peu différente : les tombes à deux salles ne comportent généralement qu’une seule sépulture avec une couverture remarquable dans la salle funéraire proprement dite (tombes K10, K18, K31, K41, K46), d’ailleurs, généralement celle qui est située en face de l’entrée, et non les trois comme autour d’Apamée. À Halabiya, en revanche, aucune distinction ne semble pouvoir être établie entre les différents côtés de la chambre funéraire579.

108Ce type de couvertures a‑t‑il une signification chronologique ? Ces couvertures particulières, plates ou en bâtière, sont utilisées pour les trois arcosolia de la chambre sépulcrale (S2) des tombes T1, T3 et T33, qui ont certainement été les premiers à être occupés. La mise en place de ces arcosolia pourrait donc être à peu près contemporaine de la construction de ces tombes. Or, nous avons pu établir que la tombe T1 avait été creusée à la fin du ii^e s. ap. J.‑C. Aucune donnée, en revanche, ne permet de dater les tombes T3 et T33. À Zeugma, dans la tombe d’Areisteos, qui aurait fonctionné du début du ii^e s. à l’époque sévérienne, on trouve les lits couverts en bâtière en avant alors qu’en arrière on trouve les lits recouverts d’une voûte : ces derniers peuvent‑ils être le résultat d’agrandissements de la tombe par un dédoublement des lits funéraires ? Dans ce cas, cela tendrait à montrer effectivement que les couvertures en bâtière des arcosolia sont plus anciennes et peuvent être datées plutôt du ii^e s. Cependant, les données sont plus complexes : les combinaisons multiples dans les alcôves, avec la couverture en berceau, peuvent aussi témoigner que les différents éléments de couverture continuent à être utilisés conjointement, lors des agrandissements de ces tombes. Dans les espaces funéraires autour d’Apamée, la couverture en bâtière au fond de l’alcôve de la salle 1 de la tombe T1 montre qu’on utilise encore ce type de couvrements, en tout cas à Apamée, pour signaler peut‑être la sépulture la plus importante de l’alcôve, un schéma architectural qui semble avoir été mis en place à l’époque romaine tardive ou à l’époque protobyzantine580. Il se peut que l’utilisation du couvrement en bâtière soit plus une particularité régionale qu’un indice chronologique.

109D’autre part, les arcosolia des tombes autour d’Apamée ne présentent en général aucune décoration, ni sculptée, ni peinte. Pourtant, les tombes T1 et T3 se distinguent de ce point de vue : en effet, certains de leurs lits funéraires portent une décoration assez élaborée sur leur face antérieure, qui rappelle les lits funéraires caractéristiques du domaine anatolien et permet peut‑être d’avancer sur le problème de l’origine des arcosolia. Pour chacune de ces deux tombes, ces décors sculptés semblent renvoyer à leur première phase d’utilisation, puisqu’on trouve ces décors uniquement dans les arcosolia de la chambre sépulcrale. Ils peuvent donc être situés au ii^e s. ap. J.‑C., de façon sûre pour la tombe T1, de façon hypothétique mais très vraisemblable pour la tombe T3.

110Cette dernière présente la version la plus élaborée de la décoration de ces klinai. Les pieds sont de type A selon la classification établie581. Ils sont tous différents dans le détail et se caractérisent par une section circulaire, un rythme général qui tend à une diminution du diamètre vers le bas et par la présence d’une moulure principale à mi‑hauteur. Il faut noter qu’à Alexandrie, presque tous les lits funéraires sont de type B (avec des pieds de section rectangulaire), comme les lits macédoniens. Seuls quatre lits ont des pieds de section circulaire (type A)582. Dans la tombe T3, les détails de la moulure des pieds diffèrent : il peut s’agir d’une moulure en doucine simple (fig. 112, coupe C) ou à facettes (fig. 112, coupe D), ou d’une moulure campaniforme pour la klinè du fond. Cette dernière pourrait être considérée comme un élément peut‑être inspiré d’un motif perse qui aurait été adopté à l’époque hellénistique et romaine sur les lits de luxe583. Le rythme général des pieds des lits latéraux avec moulure en doucine se retrouve, quant à lui, sur plusieurs reliefs funéraires originaires de Palmyre. Parmi ceux‑ci, on peut relever en particulier deux reliefs fragmentaires provenant de pillages en Syrie et actuellement entreposés au musée d’Art et d’Histoire de Genève584. Il s’agit de panneaux qui appartiennent sans doute à des sarcophages distincts imitant des lits funéraires. Les pieds tournés sont très proches, par leurs moulures en doucine, des pieds des lits latéraux de la tombe T3. Ces deux reliefs sont datés sur des critères stylistiques de la première moitié du ii^e s. et peuvent être attribués à Palmyre ou à sa région. À Palmyre, les pieds des lits sont fréquemment posés sur de hauts socles comme dans la tombe T3 où, de plus, les pieds des lits latéraux comportent un haut abaque cylindrique. Il semble donc qu’une part de la décoration de ces lits funéraires soit d’inspiration orientale, ce qui paraît logique dans la mesure où, quand la tombe T3 a été construite, Apamée était dans le domaine parthe. D’ailleurs, malgré le nombre important de tombes à arcosolia que l’on connaît à Zeugma comme à Doliché, aucun parallèle à ces lits, à notre connaissance, n’a pu y être trouvé. Si le traitement de détail de ces lits peut permettre d’évoquer une certaine influence orientale, ils n’en présentent pas moins de grandes différences avec ce que l’on peut observer sur des sites comme Palmyre ou Doura‑Europos. Le système même de la couche funéraire diffère des sarcophages et loculi plus habituels sur ces sites et renvoie plutôt au domaine anatolien585. De plus, la représentation devant le lit d’un petit tabouret, avec une décoration de denticules sur la tranche, rappelle probablement le modèle des représentations de banquets traditionnellement répandues dans le domaine perso‑anatolien586, qui est parfois repris à Alexandrie587, alors qu’à Palmyre, on préfère mettre à cet emplacement des portraits de famille et sans doute d’ancêtres.

111Ces lits de type A ont le plus souvent un cadre simple, de section rectangulaire, peu ou pas décoré. Dans la tombe T3, le cadre ne comporte effectivement qu’un décor minimum à base d’un bandeau aux extrémités arrondies pouvant évoquer un cadre de bois décoré, tandis qu’au‑dessus des pieds se trouve parfois un petit bandeau rectangulaire qui pourrait être la représentation simplifiée d’une mortaise de la traverse perpendiculaire. Ce type de décors très simples du cadre est fréquent à l’époque romaine588. De plus, à part le repose‑tête, aucune literie n’est figurée sur ces couches de la tombe T3, contrairement à ce que l’on peut observer, par exemple, dans la tombe d’Amarynthos en Eubée dans la seconde moitié du iii^e s. av. J.‑C.589 ou encore sur les lits funéraires symboliques d’Alexandrie590.

112La structure des klinai de la salle sépulcrale de la tombe T1 (fig. 22‑23) est une version très différente, en bas‑relief, qui ne révèle aucune moulure des pieds et aucun décor du cadre. Tous ces éléments sont rendus par une simple moulure de section rectangulaire. Elle trouve des parallèles sans doute à peu près contemporains dans une tombe de Doliché591. Ce type de représentations de lit funéraire, de par sa simplicité même, a été utilisé pendant très longtemps, mais il s’agit surtout, semble‑t‑il, d’exemples anatoliens : on en trouve une version du vi^e s. av. J.‑C., avec pieds moulurés de type B en Phrygie, à Yazılıkaya592, en Lycaonie593, en Carie, à Karapınar (époque hellénistique ?)594 ou encore à Rhodes595.

113Les dimensions des lits funéraires ont été conçues pour abriter des corps d’adultes. Ils varient en longueur, de 1,65 m (T9) pour les plus petits d’entre eux à 2,50 m (T1) pour les plus grands et en largeur de 0,50 m (T9) à 1 m (T9), sans qu’il y ait véritablement de correspondance entre longueur et largeur et sans que l’on puisse déterminer si ces variations sont destinées à s’adapter à la corpulence du défunt ou sont le fruit du travail des artisans et de ses aléas.

114Comme cela a été défini à propos de Halabiya, les arcosolia peuvent abriter des cuves profondément excavées, ou des banquettes ou lits funéraires pleins, dont la surface supérieure, qui reçoit le corps, est plane ou légèrement recreusée. Ces différents types de réceptacles cohabitent à Halabiya596. Autour d’Apamée, la typologie des réceptacles semble plus simple. Il s’agit en effet toujours d’un type intermédiaire entre le lit à la surface supérieure plane et la cuve funéraire. La surface supérieure est partiellement recreusée, plus ou moins profondément. La profondeur des recreusements varie : autour d’Apamée, on trouve des lits avec des recreusements limités à environ 0,20 m pour les moins profonds (T9) jusqu’à 0,35‑0,40 m, ce qui semble être la profondeur maximale la plus courante (tombes T9, S2, T11 ou encore T32). Les variations sont trop peu importantes pour permettre de différencier les différentes phases de creusement des arcosolia d’une tombe par ce biais. À Apamée, l’espace sous le lit est toujours plein : il n’est jamais utilisé pour y creuser des loculi, contrairement à ce qui a pu être observé, par exemple, à Halabiya (tombe 63). On trouve, en général, le même modèle de réceptacle à Doliché597. Le nombre important de tombes relevées sur ce site permet d’aller plus loin : la profondeur des recreusements varie souvent autour de 0,25 à 0,40 m (tombes K60, K62, K63, K68, par exemple), comme dans les espaces funéraires autour d’Apamée. En général, elle semble à peu près cohérente à l’intérieur d’une même tombe et parfois même d’une même nécropole. Ainsi, les recreusements sont‑ils généralement peu profonds dans la nécropole dite « nécropole du Prêtre », sur la colline de Dülük Baba Tepesi598 ; en revanche, on trouve des recreusements plus importants, de l’ordre d’environ 0,80 m, dans certaines tombes de la nécropole de Doliché proprement dite (tombes K26, K31, K57, par exemple). La profondeur des recreusements varie donc sur ce site en fonction des tombes. Cela montrerait que les lits sont aménagés le plus souvent en une fois, peut‑être lors du creusement de la tombe, et non en fonction des besoins successifs. Évidemment, cela suppose qu’il n’y ait pas eu d’agrandissement et de réoccupation de la tombe. En revanche, la signification des variations entre les différentes nécropoles est difficile à déterminer. Ces différences ont‑elles une signification chronologique ? Sont‑elles fonction des artisans qui ont creusé ces tombes ? À Tall as‑Sin, il apparaît que les réceptacles sous les arcosolia sont du même type que ceux de Doliché. Là encore, la profondeur des recreusements varie : ainsi, les recreusements sont peu marqués dans la tombe 13599 ; en revanche, ils sont profonds (environ 0,70 m) pour les arcosolia de la tombe 17600, par exemple. Sans doute s’agit‑il donc de pratiques artisanales différentes. Ces lits funéraires pleins, aussi bien présents à Doliché qu’à Tall as‑Sin, sont utilisés autour d’Apamée, sur un long laps de temps, du ii^e au vi^e s., aussi longtemps que des arcosolia sont creusés, comme le montrent les tombes T1 et T9. En revanche, on ne trouve pas ces recreusements dans les nécropoles de Halabiya601, datées finalement de l’époque protobyzantine. On le voit, il existe des différences notables dans les aménagements funéraires entre les sites de Tall as‑Sin et de Halabiya602, alors qu’ils sont attribués à la même période. Ces différences doivent donc peut‑être être imputées à des habitudes d’artisans locaux.

115La surface supérieure des lits funéraires autour d’Apamée présente certaines dispositions récurrentes. Elle comporte très régulièrement un coussinet ou repose‑tête. Une petite surélévation au niveau de la tête est créée, qui en général ne dépasse pas 0,10 à 0,20 m de haut, simplement en recreusant moins la surface supérieure du lit d’un côté603. Cela permet d’évoquer un oreiller. En même temps, la hauteur de cet élément pourrait justifier l’ajout d’un matelas périssable assurant le « confort » du défunt. On a pu observer la présence plus ou moins marquée de ces repose‑tête dans presque toutes les tombes autour d’Apamée qui comportaient des arcosolia, à l’exception peut‑être de la tombe T32. Cette caractéristique des lits funéraires, bien qu’elle ne soit pas toujours observée dans les publications, se retrouve aussi très régulièrement sur d’autres sites de la région, à Doliché604 où quasiment toutes les tombes à arcosolia présentent cet élément, mais aussi en Commagène, à Yukarı Söğütlü605, à Zeugma606, et plus au sud, à Quruq Magara, Sarasat et Shaqlé607. On en trouve également quelques exemples à Tall as‑Sin (tombes 19 et 49). Les repose‑tête paraissent être d’un usage très largement répandu. Ils apparaissent dans les tombes à arcosolia depuis la Paphlagonie608 en passant par Hiérapolis609, Elaiussa Sébastè610, Patara611, et à de nombreuses reprises dans des nécropoles d’autres régions, par exemple à Giv’at Seled612 en Judée, au nord de Maresha, en Galilée, à Dor613, à Haifa614, à Kabul615 et à Jérusalem616, mais également en Grèce, par exemple à Corinthe617. On pourrait imaginer que ces repose‑tête qui paraissent étroitement associés aux tombes à arcosolia puissent avoir la même chronologie comprise entre l’époque romaine et la période protobyzantine. Cependant, autour d’Apamée, la tombe T5 nous montre que dès la fin de l’époque hellénistique (ii^e‑i^er s. av. J.‑C.), des repose‑tête étaient déjà réservés dans certaines cuves. Cela renvoie peut‑être à des habitudes plus anciennes, attestées en Lydie et Phrygie618, où les repose‑tête apparaissent très tôt. On les retrouve aussi de façon quasi systématique à Etenna, entre la Pamphylie, la Cilicie et l’Isaurie, mais aussi à Xanthos et Limyra619 et dans de nombreuses autres tombes rupestres datant de la fin de l’époque hellénistique et de l’époque romaine620. En revanche, dans les espaces funéraires autour d’Apamée, on ne trouve pas de lit funéraire avec deux coussinets à chacune de ses deux extrémités comme cela peut arriver621.

116L’examen de ces repose‑tête donne des indications sur l’orientation des inhumations, en particulier dans les cas où, comme à Doliché, des observations ont été effectuées sur un grand nombre de tombes. La diversité des orientations à l’intérieur des tombes montre qu’il n’existe pas de norme imposant une orientation précise du corps dans ces tombes622. Il semble plutôt que ce soit la place dans la tombe qui définit l’orientation : ainsi, à Doliché, il apparaît que l’habitude est de disposer les défunts tête‑bêche, de part et d’autre des côtés de la tombe623, et même quand il s’agit d’une tombe à alcôve, de chaque côté de l’alcôve624. Le lit du fond présente toujours le repose‑tête à droite quand on entre dans la tombe. Cette disposition des défunts paraît correspondre à une tradition ancienne que l’on retrouve dès le vi^e s. av. J.‑C.625. Cependant, des exceptions ont toujours existé626, qui montrent que ce n’est pas une règle absolue. Autour d’Apamée, la même disposition semble être de mise (T1, T5, T8-T10). Là encore, la tombe T33 constitue apparemment une exception dans la mesure où la même règle est respectée, mais elle est inversée. Cette disposition, que l’on retrouve d’ailleurs dans les aires funéraires de Zeugma627, ne reprend pas la disposition habituelle du triclinium à la romaine avec laquelle on l’a souvent rapprochée628, quand les convives ont la tête qui convergerait vers le centre de la pièce. Cette disposition présentant une succession en ligne devrait plutôt être rapprochée de l’image classique du symposion grec629, qui peut être suggérée par les sols mosaïqués romains d’Antioche et de Zeugma d’ailleurs630. Le souvenir de la disposition du symposion grec, avec des klinai séparées et alignées le long des murs, semble donc être resté bien présent en Orient, peut‑être jusqu’à la fin du iv^e s. ap. J.‑C.631, et se prête évidemment beaucoup mieux à sa reprise dans la chambre funéraire que la disposition du triclinium, avec des réceptacles/lits nettement séparés et alignés.

117D’autre part, le traitement de la surface supérieure du lit funéraire, avec notamment la présence régulière d’un repose‑tête, montre que le défunt devait être posé le plus souvent directement sur la couche funéraire, sans cercueil632. La présence régulière à Apamée, comme à Zeugma, d’un oreiller de pierre sans autre literie représentée indiquerait que l’on est dans une région de déposition du mort sur la banquette633. Le corps devait reposer sur une véritable literie, sans doute enveloppé d’un linceul ou d’un contenant souple634. Finalement, aucun dispositif n’est visible permettant d’occulter la lunette de l’arcosolium ou de l’alcôve à lits multiples635. Certes, un dispositif de fixation d’une fermeture en bois ou en métal de la lunette d’un arcosolium a été repéré à Olba Diocésarée636, mais il semble renvoyer à une réoccupation tardive de la tombe.

118Dans les tombes à double espace bien différencié et passage étroit entre les espaces, les corps n’étaient pas directement visibles. La porte ou la fermeture légère de l’accès à l’espace sépulcral « arrête les regards, interdit les indiscrétions, dissuade parfois les velléités de pillage, freine voire empêche l’agression des agents atmosphériques : la lumière et l’eau qui menacent la quiétude du mort »637. Dès lors, le corps ne nécessite pas une couverture lourdement protectrice : on peut alors imaginer, en l’absence de traces de couverture, que le lit funéraire n’en comporte pas, ce qui semble souvent être le cas dans les espaces funéraires autour d’Apamée. Les tuiles sont par ailleurs quasi complètement absentes dans les tombes, ce qui semble exclure la possibilité d’imaginer que le corps en ait été recouvert, comme cela a pu être proposé à propos de tombes de Zeugma638. Cela dit, les tuiles constituent un matériau de récupération prisé et ont pu avoir disparu. Certaines marques dans le mur de fond des arcosolia donnent des indications précises sur les moyens de fermer les sépultures sous arcosolia ; il s’agit de saignées d’encastrement ou de feuillures que l’on peut observer à peu près au niveau du haut de la cuve639. À Doliché, des feuillures sont quasi systématiquement présentes dans le mur du fond des arcosolia, avec cependant quelques exceptions640 qui sont toutes regroupées semble‑t‑il dans la nécropole dite « nécropole du Prêtre », là où nous avons déjà remarqué que les recreusements sont souvent peu profonds641. Dans cette nécropole, sur dix‑sept tombes incluses dans le catalogue, treize comportent des arcosolia, parmi lesquelles environ la moitié ne présente pas la feuillure habituelle, tandis qu’à Yavuzeli toutes les tombes présentent cette feuillure642. À Zeugma, le système de la feuillure est aussi très courant. Nous ne disposons malheureusement pas de données chiffrées pour ce site. Cependant, les photographies montrent leur présence aussi bien dans l’espace funéraire oriental643 que dans les tombes situées à l’ouest du site644 ou au sud645. Plus au sud, les feuillures apparaissent à Boujak, Daykdara, Bir Jalu, Shaqlé, Sarasat ou encore à Quruq Magara646. Dans les espaces funéraires autour d’Apamée, curieusement, cette feuillure est rare : sur les neuf tombes à arcosolia que nous avons repérées, seules trois d’entre elles présentent ces feuillures, et toujours seulement sur un nombre de lits restreint. La tombe T3 n’en comporte une que dans l’arcosolium du fond de la salle sépulcrale, en face de l’entrée et dans les deux arcosolia de l’antichambre (fig. 108‑110). On observe aussi une feuillure dans les tombes T32 (fig. 524) et T33 (fig. 525) que nous n’avons pas pu voir, mais qui sont toutes deux particulières, l’une étant construite, l’autre comprenant une grande alcôve. En revanche, aucune des cinq autres tombes à arcosolia que nous avons fouillées (T1, T8-T11) ne présente de ressaut sur le mur de fond des arcosolia, destiné à recevoir une couverture. Les tombes des nécropoles de Halabiya semblent ne pas avoir non plus cette feuillure, tout comme celles du site de Tall as‑Sin, alors que dans ce dernier site, les recreusements des lits funéraires varient comme à Apamée. Il est difficile de tirer des informations de sites où les tombes ne sont pas publiées de façon systématique ou ne sont datées que sur des éléments très généraux. Il serait pourtant important de comprendre le sens de cette différence de traitement. Le site d’Apamée, qui a une certaine ampleur chronologique, semblerait montrer que les pratiques ne changent guère avec l’époque et que l’on trouve des lits funéraires avec un recreusement léger et sans feuillure au moins à partir de la fin du ii^e s. ap. J.‑C. (T1) et jusqu’à l’époque protobyzantine (T9). Est‑ce à expliquer par un travail plus rapidement fait ? La tombe T3, qui est particulièrement décorée et qui présente un certain nombre de feuillures, y compris dans les arcosolia de l’antichambre, pourrait le suggérer. Il semblerait donc qu’outre les habitudes des ateliers locaux, les considérations de coûts soient primordiales dans les choix architecturaux de ces tombes : il est certainement plus cher de faire une feuillure, de recreuser davantage le lit et de prévoir une couverture de la sépulture faite de dalles de pierre. La tombe T3 est aussi sans doute, en tout cas dans sa première phase de fonctionnement, la plus ancienne tombe à arcosolia que nous ayons pu étudier. Il se peut, mais cela reste à vérifier, que la chronologie entre aussi partiellement en ligne de compte et que la plupart des tombes d’époque protobyzantine à arcosolia ne comportent pas de feuillure pour supporter une éventuelle couverture. L’absence de feuillure semble plutôt aller de pair avec des lits funéraires peu recreusés, comme c’est le cas souvent à Apamée ou dans la nécropole dite « nécropole du Prêtre » à côté de Doliché. Cette correspondance semble logique à la fois d’un point de vue financier et pratique ; en effet, lorsque le recreusement du lit funéraire est peu important ou inexistant, le corps, en tout cas avant qu’il ne soit décomposé, empêche de placer un couvercle s’appuyant sur le haut de la paroi du lit. En revanche, il est sans doute possible de recouvrir le corps d’une structure de tuiles éventuellement liées au mortier ou en bois, reposant directement sur le corps, à moins qu’il n’y ait rien pour couvrir le corps à part le linceul.

119Les arcosolia des tombes à chambre autour d’Apamée ne présentent en général aucune décoration, ni sculptée, ni peinte, si l’on excepte la décoration en relief de certaines klinai647. Cependant, à Zeugma648 et à Édesse649, des exemples de décoration peinte sont préservés. On ne peut donc pas exclure que ce type de décorations ait aussi été utilisé autour d’Apamée. De façon générale, ces décorations participent d’une conception « sociabilisée » de la mort, dans laquelle les visites au mort viennent conforter le prestige de la famille tandis que le défunt participe encore, à sa façon, au jeu social. Quand la séparation avec la dépouille des défunts se fera plus stricte, quand la tombe restera fermée entre deux inhumations, elle trahit une conception de la mort plus intime, plus personnelle, un rapport avec les défunts plus spirituel et un rituel socialement moins marquant. Cette nouvelle conception de la mort semblerait peut‑être se mettre en place à partir du iii^e s. autour d’Apamée.

Arcosolia à lit unique, isolé le long d’une paroi

120Ce type d’arcosolia s’organise souvent autour d’une salle funéraire flanquée sur ses trois côtés libres d’un arcosolium unique. Cette salle funéraire peut être le seul espace de la tombe (T10) ; plusieurs tombes doubles présentent aussi cette organisation des arcosolia (T1, T3, T11, T31 et T33) dans la salle sépulcrale proprement dite.

121La tombe T10 (fig. 294 et 296), avec un seul espace funéraire, constitue le type le plus simple et le plus courant des tombes à arcosolia650. En Anatolie et à Chypre651, on trouve très tôt652 cette organisation de chambre sépulcrale, dite « à plan cruciforme », avec des niches longitudinales inscrites dans les parois, par exemple à Yüceören, en Cilicie, ce plan est utilisé au i^er s. av. J.‑C.653, alors que le dispositif de l’arcosolium n’est pas encore fixé.

122Ce plan à un seul espace funéraire avec trois arcosolia est attesté plus ou moins fréquemment dans la région, à Doliché654, Yavuzeli655, Édesse656 et Soğmatar657. À Zeugma, en l’absence d’une publication exhaustive des nécropoles, il est difficile de se prononcer. Pourtant, ce plan simple semble y être rare. Les tombes avec un arcosolium par côté se trouvent aussi en aval dans la vallée de l’Euphrate, à Quruq Magara, ou encore à Sarasat, al‑Najm et Daykdara, au nord de Sarrin658, sans élément chronologique fiable. Les tombes de ce type sont également présentes en Syrie, à Hama dans une tombe peut‑être datée du iv^e s. ap. J.‑C.659 et dans le Massif calcaire, à Deir Seta660 et à Turin661, où ce type représente 15 % des tombes recensées ; il s’agit du type de tombes le mieux représenté à Tall as‑Sin662 dans des contextes tardifs, tandis que des exemplaires apparaissent aussi, entre autres, à Resafa663 et à Halabiya664, où ce type de disposition organise l’espace de la majorité des tombes troglodytiques. Ces chambres funéraires simples à trois arcosolia apparaissent aussi à Chypre, au cap Drepanon665, à Alexandrie666 et en Syrie du Sud667, tout comme en Palestine, à Jérusalem668, Shiqmona669, Horbat Burgin670, Horbat Tittora671, Ar’ara672, près de Samarie673 et à Khirbet el‑Lauz674. Les exemples les plus anciens de cette disposition au Moyen‑Orient sembleraient pouvoir être datés, au plus tôt, du i^er s. ap. J.‑C.675, dès sans doute l’apparition des arcosolia.

123Dans la région d’Apamée, les éléments permettant de dater l’apparition de ce type d’organisation des arcosolia manquent cruellement. Les exemples les plus anciens d’arcosolia semblent se trouver à Zeugma, dans le chantier 6676. Cependant, si ces tombes fournissent des éléments chronologiques pour l’introduction des arcosolia dans la région, leur disposition n’apparaît pas de façon certaine et ne peut donc pas être rattachée sûrement à ce schéma. À plusieurs reprises, ce type de disposition des arcosolia dans la région est daté de l’époque romaine, à Doliché (où la ville est supposée avoir été détruite au milieu du iii^e s.), à Édesse et à Soğmatar, malheureusement rarement sur des bases archéologiques, même si les inscriptions sur mosaïques funéraires d’Édesse apportent parfois de bons éléments677. La tombe T10 qui semble avoir été creusée au iv^e s. ap. J.‑C. est la seule, autour d’Apamée, à livrer des éléments chronologiques sûrs. Elle montre que ce plan dit « cruciforme » est sûrement utilisé lors de la phase IV, à l’époque romaine tardive. Ce type de tombes est souvent réoccupé jusqu’à la fin de l’Antiquité, comme à Deir Seta, ce qui ne facilite pas la datation des premières phases678.

124Pour les époques antérieures, la présence de cette disposition des arcosolia dans les tombes à espaces doubles apporte d’autres éléments importants et permet de confirmer que cette organisation intérieure en plan cruciforme peut aussi être datée des ii^e et iii^e s., mais généralement dans un plan global différent. Ainsi, autour d’Apamée, sur six tombes à espaces doubles, cinq présentent, dans la salle sépulcrale proprement dite ou salle 2, un plan cruciforme (T1, T3, T11, T31, T33). Ce schéma semble donc particulièrement apprécié dans ce type de tombes. Cette présence importante du plan cruciforme dans les tombes doubles nous permet d’en préciser la chronologie, et en particulier de situer l’apparition de ce schéma architectural autour d’Apamée. Ainsi, nous savons par une inscription que la tombe T1 a été creusée en 192 ap. J.‑C. et T11 en 250 ap. J.‑C. Ce plan cruciforme est donc bien en usage autour d’Apamée au cours des ii^e et iii^e s. ap. J.‑C., mais plutôt dans des tombes à espaces doubles, ce que les sites de Doliché, de Zeugma et d’Édesse confirment par ailleurs679.

125L’emplacement privilégié pour l’utilisation de ce plan cruciforme face à l’entrée de la tombe, annoncé par l’ouverture en arc monumentalisée entre les deux espaces, montre bien que ce plan, en tout cas à l’origine dans les premières tombes où il est utilisé (T1 et T3), constitue un mode d’inhumation qui veut mettre l’accent sur l’importance sociale des défunts, tout comme d’ailleurs à Alexandrie où ce schéma architectural est considéré comme relevant de modes d’inhumations privilégiées680. La présence de décoration sur les lits correspondant à ce schéma dans les tombes T1 et T3 accentue ce caractère. Il semble probable que les occupants de ces lits aient été le constructeur de la tombe et sa famille proche. Ce schéma semble perdurer jusqu’au iii^e s. Ensuite, dans des compositions plus simples et moins monumentalisées, on utilise cette organisation interne dans des chambres sépulcrales uniques (T10).

126Ce type de disposition des arcosolia coexiste avec d’autres formes d’organisation, cette fois‑ci plutôt situées dans l’antichambre ou salle 1 et déclinées avec d’infinies variantes. Dans la tombe T1, il se combine avec une alcôve en arcosolium et en pi ou avec des arcosolia simples comme dans la tombe T11. Enfin dans la tombe T33, il se combine avec un arcosolium simple et une alcôve multiple. D’autre part, ce type de disposition, avec un seul arcosolium par côté, limite de façon drastique la capacité de la tombe. Ces tombes seraient donc plus adaptées à un contexte rural à habitat dispersé qu’à un contexte urbain, ce qui expliquerait peut‑être la relative rareté apparente de cette disposition des arcosolia, aussi bien à Zeugma qu’à Doliché.

Arcosolia à lit unique, dédoublés sur un ou plusieurs côtés de la salle funéraire

127La tombe T8 correspond à cette variante relativement rare de la disposition la plus simple et la plus courante des arcosolia681. En effet, elle comporte deux arcosolia sur chacun de ses côtés nord et ouest (fig. 117). Ce type est aussi attesté fréquemment dans la région, à Yukarı Söğütlü682, à Doliché avec deux arcosolia sur un ou plusieurs côtés683, à Zeugma684, à Yavuzeli685 et à Tuğlu, près de Gaziantep686. En Anatolie, on trouve cette disposition à Alahan à l’époque byzantine687. Elle est aussi fréquente dans la vallée de l’Euphrate, en aval d’Apamée, à Quruq Magara688 où les arcosolia ont cependant un couvrement plat. On trouve aussi ce type de tombes à Tujar Şagir, dans la vallée du Sajour689, à Boujak690, à Jaade al‑Magara, dans une des chambres funéraires de l’hypogée du iii^e s.691, à Sergilla692 et à Dayr Tell‑Adeh693. À Tall as‑Sin, un seul exemplaire de ce type a été mis au jour, mais il ne comprend qu’un lit funéraire le long du mur de fond694. D’ailleurs, cette tombe byzantine est la plus grande de la nécropole. Ce type de tombes apparaît aussi au vi^e s. à Qasr al‑Gharbi695.

128Des tombes avec cette organisation intérieure ont été repérées plus au sud, à Gezer696, Shiqmona697, Kafr Iam698, Ḥorbat Burgin699 et Khirbet Bir el‑Baten, en Palestine700 à l’époque byzantine. Ce type de dispositions semble caractéristique de l’époque romaine tardive et de l’époque byzantine au Moyen‑Orient701.

129Cette disposition, qui est beaucoup moins fréquente que le schéma le plus simple, correspond à la même conception de l’espace que la variante précédente : une grande chambre sépulcrale est longée par les lits funéraires qui, ici, sont multipliés afin d’accroître les capacités de la tombe. Cela dit, il s’agit d’un type de tombes qui ne peut être le résultat d’un agrandissement opportuniste ; dès le moment de la construction, les arcosolia sont prévus en nombre plus important que dans le type précédent. Il est très difficile de préciser la date d’apparition de cette disposition et, en particulier faute de données fiables, de savoir si elle est apparue au même moment que le type précédent dont elle est proche, ou bien si elle est postérieure. On peut remarquer que la plupart des exemples à Doliché proviennent de la « nécropole du Prêtre » qui présente d’autres particularités, comme nous l’avons vu plus haut702, en particulier à propos du détail du traitement des lits funéraires. Est‑ce le fait d’un atelier particulier ? Est‑ce lié à une chronologie différente de cette nécropole par rapport à la nécropole de la ville ? La tombe T8, dont le creusement semble devoir être attribué à la fin du iii^e ou au iv^e s., n’apporte guère d’élément, si ce n’est qu’il s’agit d’une mise en œuvre qui appartient à l’époque romaine tardive. Ce type de plans, même s’il est avant tout attesté à partir du iv^e s. au Moyen‑Orient, pourrait donc être (mais cela reste à vérifier) antérieur et dater aussi de l’époque romaine, comme le type précédent dont il constitue une variante, en tout cas dans la région de la vallée de l’Euphrate. D’ailleurs, la tombe d’Areisteos à Zeugma, qui présente cette disposition particulièrement développée, aurait été creusée au début du ii^e s. : pourtant, la datation de la tombe, justifiée par le style des sculptures, ne paraît guère fiable. On peut aussi remarquer que ce plan est souvent associé dans une même nécropole au plan précédent, comme c’est le cas à Doliché, voire dans une même tombe, comme à Jaade al‑Magara au iii^e s.

Arcosolia organisés en pi dans une alcôve elle‑même en arcosolium

130Cette disposition est souvent désignée comme une disposition en triclinium703. Cependant, nous lui préférons l’appellation en pi, puisque dans un triclinium les lits sont en fait perpendiculaires aux murs et non parallèles comme c’est le cas dans cette disposition. Une alcôve est caractérisée également par un passage étroit entre les sépultures, qui ne mesure pas plus de 0,90 m de large. Cette disposition n’apparaît, pour les tombes à espace central unique, que dans la tombe T32 (fig. 524) où, cependant, le lit funéraire du fond de l’alcôve orientale n’a pas été creusé. On retrouve ce schéma d’une alcôve incomplète, avec seulement les deux lits funéraires latéraux et sans lit du fond, répété à trois reprises dans une même tombe à Doliché704, sans que l’on puisse cerner si cette caractéristique correspond à une contrainte particulière.

131Le motif de l’alcôve parfois légèrement surélevée, comprenant en principe trois inhumations disposées perpendiculairement les unes aux autres en pi, qui ne sont séparées que par un étroit passage et avec couvrement de l’ensemble sous arc en berceau ou en bâtière, est également présent dans les tombes à espaces centraux doubles : T9 (à quatre reprises dans les deux salles funéraires de la tombe) [fig. 275 et 278] et T1 (dans l’antichambre, pour ce qui nous a semblé constituer un agrandissement postérieur de la tombe) [fig. 17‑18]. Ce dispositif pourrait correspondre à une évolution destinée à augmenter la capacité de la tombe en multipliant les lits funéraires sur les côtés. Il pourrait donc être associé à une phase plutôt de réaménagement et d’expansion des espaces funéraires. Quant à la tombe T32, elle n’a pas été fouillée mais peut être associée à une occupation située à Tilöbür Höyük et datée entre le iii^e s. et l’époque byzantine705, ce qui permet de fixer le terminus post quem pour cette tombe au iii^e s.

132Ce type d’alcôves semble généralement fréquent en Syrie du Nord et est associé à des plans de tombes très différents706; des alcôves de ce type se trouvent ainsi en grand nombre à Quruq Magara707 ou encore à Horori, au nord de Sirrin708 et Boujak709, sans indication chronologique. Ce même type d’alcôves, s’il n’a pas été clairement relevé à Zeugma710, a pu être observé à plusieurs reprises à Doliché711, comme à Daykdara et dans le wadi Ali Darich, au sud du Sajour, où des hypogées constituent aussi des parallèles proches au plan de la tombe T1, avec une combinaison de la pièce à plan dit « cruciforme » et des alcôves à trois inhumations712 : aucun élément de datation ne peut leur être associé. Le plan précis de l’hypogée T32, quant à lui, peut être rapproché d’une variante attestée dans la vallée de l’Euphrate, à Sarasat et à Boujak713. Il faut noter que la combinaison d’arcosolia simples et d’au moins une alcôve à arcosolia en pi est plutôt rare à l’intérieur d’une tombe : outre les tombes T1 et T32, on retrouve cependant cette combinaison dans la région714, à Quruq Magara ou encore à Doliché715.

133Nous avons vu que les arcosolia simples peuvent être mis en œuvre au plus tard à partir du i^er s. ap. J.‑C. et jusqu’à l’époque byzantine716. Quand ces deux types de dispositifs funéraires ont été utilisés conjointement, il est souvent difficile de préciser s’il existe véritablement une antériorité de l’arcosolium simple par rapport aux alcôves en pi dans les tombes. L’interprétation du plan de la tombe T32 peut soit suggérer que l’arcosolium simple a été creusé parce que, pour une raison inconnue, l’alcôve orientale n’a pas pu être complétée avec le lit funéraire du fond, soit que l’on a d’abord creusé l’arcosolium unique avant de creuser les alcôves, soit par besoin de places supplémentaires, soit par un changement de goût. Cela signifierait qu’alcôves et arcosolium correspondent à une même phase de fonctionnement de la tombe à situer à l’époque romaine tardive ou à l’époque byzantine. Mais nous n’avons aucun moyen de vérifier cette hypothèse. En revanche, dans la tombe T1, la différence de facture entre les lits funéraires décorés dans la salle 2 et ceux, beaucoup plus simples, dans l’alcôve de la salle 1, pourrait suggérer la postériorité de cette alcôve par rapport aux arcosolia individuels de la salle 2, datés de la fin du ii^e s. De plus, nous savons que la tombe T1, grâce à l’inscription Api4, a été réaménagée en 368 ap. J.‑C. Il se pourrait que, parmi les travaux mentionnés, on puisse compter le creusement de l’alcôve de la salle 1. Le matériel mis au jour dans cette tombe et daté de la fin du iv^e et du v^e s. peut correspondre à la première utilisation de cette alcôve. D’autre part, la présence d’alcôves de ce type dans les nécropoles de Doliché montre peut‑être que ce type de dispositifs peut être antérieur au milieu du iii^e s. et à la destruction de la ville, mais de peu si l’on considère sa rareté dans les tombes de Zeugma. De plus, à Doliché, les tombes qui présentent ce type d’alcôves sont toutes regroupées à l’extrémité nord‑est de la nécropole de la ville et dans sa partie basse717, sans que le sens de ce regroupement n’apparaisse (chronologique ? familiale ?). Les données chronologiques sur ce site sont si minces, qu’il est difficile d’en tirer argument. A. Egea Vivancos semble apporter un autre élément de datation à propos d’une tombe de Khirbet al‑Berge qui pourrait être associée à du matériel du ii^e s. ap. J.‑C.718. En fait, la publication est beaucoup moins affirmative et évoque également du matériel byzantin sur ce site. Finalement, à Apamée, la tombe T9 n’a malheureusement livré que très peu de matériel, mais toujours tardif (vi^e‑vii^e s.), même si un « nettoyage » très efficace ne peut être exclu.

134Au‑delà de la région, les alcôves à inhumations multiples en pi, à couvrement voûté et à passage central étroit, quelle que soit l’organisation générale de la tombe à laquelle elles appartiennent, ne fournissent que peu d’éléments supplémentaires. Elles pourraient apparaître à partir du iii^e s., voire peut‑être dès la fin du ii^e ou le début du iii^e s., à Beth She’arim719, mais elles ne deviennent relativement fréquentes au Moyen‑Orient qu’à partir du iv^e s. ap. J.‑C. dans les nécropoles de Shiqmona720, Yasileh721 et bien d’autres722. Ce type d’alcôves pourrait donc correspondre principalement à l’époque romaine tardive et à la période byzantine, en tout cas dans son utilisation régulière. Les tombes autour d’Apamée semblent confirmer cette datation.

135Ce dispositif d’alcôves ne paraît guère avoir été utilisé au nord de la région d’Apamée, ni en Anatolie. Ce schéma, outre la région de la moyenne vallée de l’Euphrate, est donc surtout localisé vers le sud et il a semble‑t‑il trouvé un milieu favorable en Galilée et en Judée. Il pourrait découler du besoin de développer la capacité des tombes à arcosolia simples et d’en diminuer le coût de construction. Autour d’Apamée, la mise en œuvre de cette disposition semble également correspondre à une période d’occupation importante (phases IV‑V). En revanche, il paraît difficile en l’état actuel de nos connaissances de déterminer exactement où et quand ce schéma architectural a été créé.

Alcôve en arcosolium, à cuves multiples, principalement parallèles

136Le seul exemple de ce type d’alcôves dans les environs d’Apamée est fourni par la tombe T33 (fig. 525), où une alcôve à cuves multiples se développe le long du côté est de l’espace funéraire. Cette tombe pose des problèmes d’interprétation dans la mesure où nous n’avons pas pu la voir. Cette disposition d’alcôve est considérée comme constituant une variable non répertoriée en tant que telle dans la typologie des tombes de la vallée de l’Euphrate723. Elle est attestée, de façon encore plus développée que dans la tombe T33, à de nombreuses reprises à Zeugma724, aussi bien dans les espaces funéraires est qu’à l’ouest. Cette présence en nombre de ce type d’alcôves à cuves multiples sur ce site pourrait montrer qu’il fut en usage et apprécié avant le milieu du iii^e s. ap. J.‑C., date de la destruction de la ville par les Sassanides. En revanche, on peut s’étonner de l’absence de ce dispositif dans les tombes de Doliché. Un exemple a aussi peut‑être été repéré à Qalat Ḥadid, au nord de Sarrin725 et au moins deux autres à Quruq Magara726 et à Tell al‑Hajj727, à l’époque romaine ou au début de l’époque byzantine. Plus au sud, la tombe 5 de Yasileh, qui pourrait dater de l’époque romaine tardive, présente une alcôve de ce type sur sa paroi est728. Cette organisation d’alcôve paraît assez rare dans cette région de façon générale, même si elle est aussi attestée à Beth‑She’arim ainsi qu’à Sepphoris729. Cette disposition serait donc plutôt caractéristique du nord de la Syrie.

137Le problème de la chronologie de ces arcosolia à multiples cuves funéraires se pose également : on a pu considérer qu’ils étaient postérieurs aux arcosolia simples730. Dans la tombe T33, il est possible de considérer l’alcôve à arcosolium et à cuves multiples dans l’espace funéraire de l’antichambre comme étant probablement postérieure aux arcosolia uniques de la pièce sépulcrale, ce qui pourrait confirmer cette hypothèse. Pourtant, à Beth‑She’arim, ce type d’arcosolia abritant des lits multiples semble avoir été utilisé dès la fin du ii^e s. ou le début du iii^e s. ap. J.‑C., ce qui correspondrait bien aux données apportées par les tombes de Zeugma ; autrement dit, il n’y aurait pas de signification chronologique à l’emploi d’une alcôve à cuves multiples ou d’un arcosolium simple. Il s’agirait simplement d’une adaptation au besoin de places plus important dans les tombes et d’un moyen efficace d’en augmenter la capacité : là encore, le site de Zeugma qui connaît son expansion maximale dans la première moitié du iii^e s., juste avant sa destruction par les Sassanides, confirmerait cette hypothèse, selon laquelle ces alcôves correspondraient à une période d’expansion de la population, comme l’ont montré les fouilles du site731. En revanche, sur la rive gauche de l’Euphrate, on voit mal une telle pression démographique, à moins qu’il ne s’agisse de l’intervention d’artisans habitués à travailler à Zeugma, qui auraient exporté leur savoir‑faire à Apamée, ou bien d’habitants de Zeugma ayant traversé l’Euphrate et souhaitant construire sur la rive gauche une tombe proche de ce qu’ils connaissaient à Zeugma. Enfin, on peut aussi considérer tout simplement que la construction de cette tombe qui comptait neuf places a été conçue pour abriter une famille sur au moins deux générations, donc sur un temps un peu plus long que les autres tombes.

La décoration (hors lits funéraires)

138La décoration, au‑delà de celle de quelques lits funéraires732, est très limitée dans les tombes autour d’Apamée, alors qu’elle semble mieux attestée et plus variée à Zeugma733, ainsi qu’à Doliché734 et dans la région735. Autour d’Apamée, la décoration se limite à l’intérieur de la tombe où d’ailleurs elle reste très rare : quasiment aucune décoration extérieure ne vient rappeler aux vivants le souvenir des défunts.

139Des traces de décoration peinte ont été repérées à plusieurs reprises dans les espaces funéraires de Zeugma736, ainsi qu’à Yavuzeli737 et à Édesse738. Autour d’Apamée, en revanche, aucune décoration peinte élaborée n’a pu être observée. Certes, les peintures auraient pu disparaître, mais le traitement de surface à l’intérieur des tombes est généralement rapide, laissant de nombreuses traces d’outils visibles (T3, T4, T9, T10, T16, T24), ce qui rend peu vraisemblable la présence de décors peints. Seule la tombe T3 présente une grande partie supérieure de ses parois qui a été poncée, puis piquetée comme si l’on avait voulu y mettre un enduit qui n’a malheureusement pas été conservé, si du moins il a finalement été appliqué. Il est intéressant de noter que cette tombe T3 est aussi la seule à présenter une décoration sculptée intérieure et une des plus anciennes tombes romaines autour d’Apamée, datant sans doute du ii^e s. Or, généralement en Syrie, les tombes les plus élaborées paraissent plutôt antérieures au milieu du ii^e s.739, à l’exception de régions rurales comme le Hauran, le Massif calcaire et le Moyen‑Euphrate. Le territoire autour d’Apamée appartient probablement à cette catégorie : si les familles semblent apprécier la décoration des tombes au ii^e s. comme le montrerait la tombe T3, elles ont rapidement renoncé à cette habitude contrairement à ce qui se passe à Zeugma, site, il est vrai urbain, où un certain nombre des tombes décorées appartient sans doute à la période de grande prospérité de la ville qui s’étend jusqu’à la première moitié du iii^e s., même si on ne dispose d’aucune datation s’appuyant sur du matériel archéologique. On se rend donc compte que les habitudes de construction et de décoration des tombes sont très différentes entre Apamée et Zeugma dès l’époque romaine. Pour la période tardive d’occupation des espaces funéraires autour d’Apamée, quelques traces sur le tympan de l’entrée de la tombe T9 ont été observées. La décoration peinte appartient sûrement à une phase tardive. On retrouve ce type de décors à la peinture rouge, avec une inscription chrétienne et une croix, au‑dessus de l’entrée d’une tombe à Tall as‑Sin740 ou encore à Olba en Cilicie741; il est daté entre les iv^e et vii^e s. On peut aussi remarquer à Édesse la présence de mosaïques à l’intérieur de certaines tombes742, une pratique totalement inconnue autour d’Apamée.

140En revanche, à Zeugma, la décoration sculptée est fréquente et variée ; elle apparaît dans de nombreuses tombes743, ainsi qu’à Doliché744 et dans la région745. Ce type de décoration peut occuper une partie de la galerie d’accès, du vestibule de la tombe, son antichambre, mais aussi les espaces sépulcraux. Autour d’Apamée et malgré l’exemple des tombes de Zeugma, la décoration sculptée reste toujours très limitée ; on a pu relever uniquement la présence de bucranes dans la tombe T3. Deux bucranes, motifs funéraires bien connus, sont sculptés au‑dessus, de part et d’autre de la porte d’entrée (fig. 109), à l’intéreur de la tombe, et pourraient appartenir à sa première phase d’aménagement, bien qu’ils soient traités de façon assez peu détaillée. Des bucranes apparaissent aussi en relief sur les parois de tombes à Yukarı Söğütlü746, Édesse747, Doliché748 et Yavuzeli749, seuls, intégrés dans une guirlande750 ou en complément d’un décor de banquet funéraire sur la paroi d’un sarcophage751. Ce motif décoratif est relativement fréquent en général en Syrie en contextes funéraires752, par exemple à Meskené753. Deux têtes de taureau assez similaires dans leur facture et leur disposition se trouvent aussi au‑dessus de l’entrée d’une petite chambre dans l’hypogée n^o 147 de Gezer en Palestine754. Sans doute s’agit‑il d’évoquer symboliquement le sacrifice de l’animal, qui faisait partie du rituel funéraire.

141Les autres décorations sculptées repérées dans ces tombes relèvent de leur réoccupation à l’époque protobyzantine et présentent uniquement des symboles chrétiens. Certaines d’entre elles sont constituées de croix gravées, deux croix quadratae simples sur le tympan de l’entrée dans la tombe T9, seule décoration extérieure observée sur les tombes autour d’Apamée, ainsi que deux autres à l’intérieur, l’une au‑dessus de l’entrée, aux bras anglés (fig. 279), l’autre croix, dans la salle 2, sur le mur la séparant de la salle 1, est pattée (fig. 281). Tous ces symboles chrétiens sont bien connus au Moyen‑Orient. Les croix quadratae gravées décorent assez souvent à l’époque byzantine les stèles, les linteaux et les parois des hypogées de la région755. On trouve des croix quadratae simples dans une tombe de Qouzak Shemali756 et à plusieurs reprises des croix quadratae ou pattées dans la nécropole de Tall as‑Sin757 et de Halabiya758, mais aussi dans une zone d’habitat de Sarasat (croix quadrata)759. Les croix aux bras anglés (à moins qu’il ne s’agisse d’un staurogramme inversé ?), comme celle qui décore la salle 1 de la tombe T9, sont beaucoup plus rares. D’autre part, la présence de croix de types différents dans la tombe T9 montre bien qu’on ne peut attacher aucune valeur chronologique à ces variations. Cependant, en plus de l’inscription Api5760, elles ont le mérite d’insister sur les croyances des derniers occupants de la tombe. L’abondance de ces symboles dans la tombe T9 nous oblige à nous interroger sur les autres tombes qui ont également connu une occupation tardive et ne présentent pas ces marques affirmées de christianisme. Certes, il ne semble guère répandu de marquer les tombes de symboles chrétiens761 dans les nécropoles byzantines de Syrie. Pour autant, est‑ce à dire que leurs occupants n’ont pas embrassé la foi chrétienne ? Il se peut que cette abondance de symboles chrétiens signale une tombe particulièrement vénérée.

Les niches et autres structures utilitaires

142Les tombes, quelle que soit la complexité de leur plan, comprennent parfois des niches, dont les dimensions, l’emplacement et la structure varient et qui ont sans doute des fonctions différentes. Leur classification est d’autant plus difficile que souvent leurs dimensions et leur situation exacte ne sont pas précisées dans les publications.

143Nous avons tout d’abord distingué des niches murales de taille assez importante. Autour d’Apamée, leur longueur se situe autour de 0,90 à 1 m au minimum (T10, fig. 294‑295), tandis que dans la tombe T1, une niche mesure 1,30 m de long (fig. 17). Ces deux niches se situent à gauche de l’entrée et sont directement accessibles depuis celle‑ci, à hauteur des arcosolia. En revanche, dans certains cas et sur d’autres sites, ces niches peuvent avoir été creusées au‑dessus des arcosolia762. La niche de la tombe T1 présente un couvrement en bâtière, comme la majorité des lits funéraires de la même tombe. En revanche, la niche de la tombe T10 présente un couvrement en arc, tout comme les autres arcosolia de cette tombe. Il y a donc une certaine unité volontairement respectée à l’intérieur d’une tombe.

144Ce type de niches, d’assez grandes dimensions, variant généralement en longueur entre 0,45 et 1,30 m et ayant une profondeur minimale d’environ 0,40 m, est assez fréquent : on peut mentionner des exemples à Zeugma763, Soğmatar764, Yukarı Söğütlü765, Doliché766, Quruq Magara, plus au sud767, mais aussi à Yüceören768 ; cependant, ces exemples présentent souvent des proportions différentes des niches trouvées autour d’Apamée. La fonction de ces niches est délicate à déterminer et peut varier en fonction de leurs dimensions, de leurs proportions et de leur emplacement. Les niches des tombes T1 et T10 pourraient‑elles avoir abrité des corps d’enfants769 ? Cependant, aucun reste d’immature n’est attesté dans T10770. Ce type de niches peut aussi avoir servi d’ossuaire771 quand une tombe était réutilisée, ce qui est le cas pour la tombe T1, mais pas pour T10, à moins que cette niche n’ait été prévue à l’avance et n’ait finalement pas été utilisée, puisque T10 semble n’avoir connu qu’une occupation limitée, ou bien avoir subi un nettoyage très efficace. Dès l’époque hellénistique, des niches rectangulaires sur le mur de certaines tombes de Belentepe, en Carie772, étaient destinées à abriter de petits coffres de pierre considérés comme des osthéothèques773. On a aussi pu suggérer que ces niches qui, la plupart du temps, en dehors des tombes autour d’Apamée, sont plus hautes que larges, abritaient des urnes et seraient donc le témoignage de l’existence de la crémation dans la région774. Leur profondeur, autour de 0,40 m, suffirait effectivement pour abriter une urne775. Ce type de niches peut aussi avoir été utilisé pour entreposer des objets de culte ou être lié à des activités rituelles776 : des offrandes ont pu y être déposées, une hypothèse développée à propos de la tombe de Bellérophon à Tlos notamment, mais aussi de tombes de Patara. Dans l’une d’entre elles, des statuettes et des unguentaria ont été trouvés in situ, autour d’un crâne, tandis que dans une autre tombe du même site, sept crânes ont été découverts, alignés dans une niche777. Autour d’Apamée, malheureusement, aucun élément n’a été trouvé dans ces niches, ce qui n’a rien d’étonnant puisque les tombes ont été réutilisées et pillées pendant une très longue durée. Cependant, leur emplacement à Apamée, ainsi que leurs proportions, plus longues que hautes et la forme de leur couvrement identique à celui des lits funéraires, pourraient conforter l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’emplacements prévus pour des tombes d’enfants ou de petits ossuaires. Pourtant, dans la tombe T10, la forme en arcosolium de la niche trouve des parallèles fréquemment repérés à Zeugma778 tout comme à Tall as‑Sin779, où ces niches sont en général à l’extérieur de la tombe, sur les parois de la galerie d’accès. Cette architecture en arcosolium, qui insiste sur l’importance de la niche, peut‑elle pour autant impliquer qu’il s’agit bien d’une structure funéraire destinée à abriter des ossements ? Cette niche pourrait‑elle faire double emploi avec la fosse dans le sol de T10 dont d’ailleurs la fonction funéraire n’est pas mieux établie780 ? On ne dispose donc d’aucun élément assuré pour interpréter la fonction de ces niches.

145À côté de ces grandes niches dont la fonction est difficile à établir, on trouve aussi parfois des niches aux dimensions plus restreintes : elles ont moins de 0,45 m de long pour une profondeur très limitée. À vrai dire, elles paraissent particulièrement rares à Apamée. Si on en trouve une dans la tombe T4 qui n’est pas une tombe à arcosolia, il y en a deux dans la tombe T32 (fig. 524). Il s’agit de petites niches en hauteur qui mesurent entre 0,20 et 0,35 m de large, pour une profondeur d’environ 0,10 m ; en général, elles sont plus hautes que larges et se trouvent à hauteur d’homme, à 1,60 m au‑dessus du sol dans la tombe T32. Elles se situent au sud de l’entrée de la tombe ainsi que sur la paroi nord, près de l’angle nord‑est, autrement dit, elles se trouvent à l’opposé l’une de l’autre, l’une près de l’entrée, l’autre au fond de la tombe. Leurs dimensions et leur situation semblent suggérer qu’elles sont destinées à recevoir un simple objet de petite taille, peut‑être une lampe. La disposition des deux niches, aux deux extrémités de l’espace funéraire, pourrait permettre d’éclairer le plus efficacement possible la tombe. Au vu du nombre assez important de lampes mises au jour dans les tombes d’époques romaine tardive et byzantine autour d’Apamée, on peut s’étonner de la rareté de ces niches si tel était bien leur usage, mais il était toujours possible de poser les lampes par terre, sur le sol de rocher ou sur un lit funéraire. De telles niches semblent assez fréquentes sur les sites en général. On en trouve, par exemple, à Olba, dans une zone consacrée au culte des morts781, mais aussi dans des tombes à Doliché782, ainsi qu’à Zeugma783 et à Soğmatar784 et plus au sud, dans la vallée de l’Euphrate où des exemples sont signalés à Boujak785 et Daykdara786. En revanche, elles semblent être quasi absentes de Tall as‑Sin à l’époque byzantine. La plupart de ces niches se trouvent à proximité de l’entrée de la tombe, à la fois parce qu’il s’agit d’un mur libre, en général, et aussi parce qu’il peut être pratique de poser sa lampe dès que l’on entre dans la tombe, avant de s’adonner aux différentes activités qui ont lieu dans cet espace. Cependant, ces petites niches peuvent avoir des emplacements plus diversifiés, en particulier sur le mur de fond de la tombe (T32) près d’Apamée, mais aussi à Zeugma787, à l’intérieur d’un arcosolium ou au‑dessus. On a également pu observer dans la tombe à cuves T5, deux petites niches situées face à face, pour lesquelles on peut aussi suggérer qu’elles supportaient un petit dispositif en bois, comme une étagère.

146Outre les niches sur les murs, le sol de certaines des tombes est creusé de fosses de relativement petites dimensions qui ne présentent pas les proportions allongées de cuves normales, que ce soient des cuves prévues pour des adultes ou des enfants. On peut noter que toutes ces fosses ont été mises au jour dans des tombes à arcosolia, alors que les cuves au sol semblent plutôt, autour d’Apamée, mais aussi à Doliché, à quelques exceptions près788, se trouver dans les tombes à loculi (T4) ou les tombes expressément prévues pour ce type de cuves (T5). On trouve ces fosses rectangulaires dans les tombes T3 et T10. Elles occupent toutes deux la même place dans la tombe, immédiatement à gauche de l’entrée, et ont des dimensions analogues, autour de 0,70 m de long pour une largeur d’environ 0,40 m et une profondeur qui varie entre 0,55 et 0,60 m. Dans la tombe T3, la présence d’une feuillure permet en plus d’affirmer que cette fosse était couverte à l’origine. Il est difficile d’établir la présence de ces fosses quand les tombes n’ont pas été nettoyées de leurs gravats, cependant, les fosses de ce type, creusées dans le sol d’une des chambres funéraires, semblent rares en Syrie du Sud789, mais plus fréquentes en Phénicie, en Syrie du Nord790 ou le long de l’Euphrate ; elles sont signalées à Halabiya791, mais aussi plus au nord, où elles paraissent plus fréquentes792. De même, à Édesse, immédiatement à droite de l’entrée de la tombe 69 qui a été utilisée du iii^e au vi^e s. ap. J.‑C., une fosse de 0,69 m de long sur 0,56 m de large et d’une profondeur de 0,33 m a été observée ; elle contenait des ossements793. Ce type de fosses est rare à Doliché, mais un exemple se trouve dans la tombe K65794. Ces fosses ne sont peut‑être pas sans rappeler les recreusements qui occupent souvent une partie de l’espace central de tombes rupestres mises au jour en Israël795. Les proportions de ces fosses montrent qu’il ne s’agit probablement pas de cuves ajoutées ; elles sont trop larges et profondes par rapport à leur longueur. Le fait qu’en général, elles ne coexistent pas avec des cuves au sol pour accroître clairement les capacités de la tombe, peut laisser supposer qu’il s’agit plutôt d’ossuaires où l’on aurait recueilli les ossements des occupants précédents de la tombe. Les capacités limitées des tombes d’Apamée, qui peuvent accueillir tout au plus entre trois et six personnes, pourraient permettre d’appuyer cette hypothèse en rendant nécessaire la récupération des ossements pour libérer des places. En même temps, plusieurs tombes qui semblent avoir renfermé les restes d’un nombre important d’individus par rapport au nombre de places qu’elles renferment, comme T8 (treize individus pour cinq lits funéraires) ou encore T16 (seize individus pour neuf loculi), ne comportent pas ce dispositif qui n’était donc pas nécessaire à la gestion de la tombe sur le long terme. Malheureusement, les données ostéologiques ne peuvent aider à l’interprétation de ces fosses puisque les deux tombes où elles se trouvent ont fait l’objet d’un nettoyage très efficace qui n’a laissé que peu de vestiges osseux. L’absence de trace de couverture pour la fosse de T10 peut aussi suggérer que, plutôt que d’être un ossuaire, elle abritait des offrandes ou du matériel nécessaire aux cérémonies, par exemple.

147La petite fosse circulaire que l’on peut observer à l’entrée de la tombe T9 (fig. 275) paraît, par sa forme et ses dimensions, avoir une fonction différente. Avec un diamètre de 0,50 m et une profondeur de 0,30 m, elle pourrait être associée à la croix gravée juste au‑dessus, comme on peut le voir dans la zone d’habitat de Sarasat796, où une croix est aussi associée à une petite fosse circulaire qui pourrait avoir contenu des offrandes. En contextes de culte des morts, on trouve aussi de petites cavités creusées dans le sol rocheux à Olba797 et dans la région798, mais aussi à Pessinonte799 et, dès l’âge du Bronze, en contextes religieux dans la vallée de l’Euphrate à Gre Virike800 par exemple. En contextes funéraires, cette cavité pourrait avoir abrité à Apamée un vase ayant contenu de l’eau ou des aliments destinés à des libations. On ne peut exclure, cependant, qu’elle ait servi à recueillir les restes d’un nouveau‑né dont tous les ossements auraient disparu.

148Ces tombes à arcosolia d’époque romaine diffèrent des tombes rupestres antérieures d’époque hellénistique par un coût certainement supérieur qui s’exprime par une superficie de la chambre funéraire supérieure, en particulier quand des alcôves, voire une seconde chambre funéraire, sont creusées dans le rocher. De plus, même si la décoration ou l’usage des inscriptions n’est jamais très développé autour d’Apamée, quelques tombes d’époque romaine (T1, T3) présentent un décor sculpté intérieur qui devait participer à cette élévation du coût des tombes déjà remarquée en Syrie801.

Conclusion

149L’architecture des tombes d’Apamée et autour d’Apamée permet d’avancer sur un certain nombre de points, même si le corpus est peu important et aléatoire. En effet, il est évident que beaucoup de tombes, et même de tombes monumentales, nous ont échappé. Ainsi, nous ne pouvons pas avoir une vision complète des architectures funéraires de la région. En particulier, il est impossible de tirer quelque conclusion que ce soit de certaines absences marquantes comme celle des tombes‑tours, nombreuses dans la vallée de l’Euphrate802 et en Osrhoène803. De même, à partir de ces tombes, nous ne pouvons pas évaluer les fluctuations de l’occupation du site puisque de très nombreuses tombes individuelles nous ont aussi échappé. Par exemple, nous n’avons à peu près aucune tombe qui puisse être datée des i^ers s. av. et ap. J.‑C.

150Si les tombes simples, fouillées en très petit nombre, dans des secteurs qui n’ont même pas pu être explorés de façon exhaustive, ne permettent guère d’avancer sur les pratiques funéraires, si ce n’est pour confirmer et parfois préciser des gestes déjà relevés ailleurs, en revanche, les tombes monumentales à chambre donnent malgré tout la possibilité de proposer quelques éléments qui devront être repris ultérieurement, avec un échantillonnage plus important.

151Comment ces tombes se répartissent‑elles selon leur chronologie ? Pour résumer, on observe trois tombes rupestres qui peuvent être attribuées à l’époque hellénistique, plus précisément aux iii^e‑ii^e s. av. J.‑C., soit entièrement (T24), soit dans leur première phase d’occupation (T4‑T5). Toutes ces tombes semblent être des tombes rupestres à cuves, avec peut‑être à la fin de la période, le creusement de loculi (T4 et peut‑être T16). Un type de tombes monumentales prédomine donc, le type à chambre unique et à cuves qui pourrait avoir été inspiré par l’architecture funéraire du sud‑ouest de l’Anatolie. Malheureusement, pour la même période, il est difficile de comparer les deux rives de l’Euphrate : on ne connaît guère l’architecture funéraire d’époque hellénistique à Zeugma. Cependant, cette influence anatolienne pourrait être à mettre au compte de l’origine des colons qui ont peuplé la ville nouvelle d’Apamée de l’Euphrate. Elle montre, en tout cas, une attraction culturelle de cette région de la vallée de l’Euphrate vers l’ouest et vers le monde hellénisé ou en contact avec l’hellénisation.

152Évidemment, les changements politiques n’impactent pas directement les pratiques funéraires. Cependant, ils peuvent entraîner des mouvements de population qui modifient, à la longue, certaines habitudes, en particulier dans le domaine de l’architecture monumentale funéraire, qui concerne les élites proches du pouvoir et, en ce sens, plus à même d’introduire de nouveaux schémas architecturaux. La période parthe et osrhoénienne qui s’étend du i^er s. av. J.‑C. à la fin du ii^e s. ap. J.‑C. correspond, autour d’Apamée, à la mise en place de trois tombes avec des architectures assez différentes, mais nouvelles : la tombe à loculi T16 pourrait être la première (peut‑être avec la deuxième phase de la tombe T4). Cette période voit aussi la mise en place de deux tombes rupestres à arcosolia et doubles espaces intérieurs (T1 et T3). Or, cette période est marquée dans la région par une grande phase d’instabilité804. On ne peut retrouver trace de ces différents épisodes dans l’architecture funéraire, pourtant un point apparaît : au‑delà de l’éclectisme architectural de cette période autour d’Apamée, on voit clairement un déplacement de l’attraction culturelle de la région vers le sud. Les convergences architecturales avec l’Anatolie semblent oubliées, en revanche, l’adoption des tombes à loculi, dont on atteint semble‑t‑il une des limites nord, marque l’influence nouvelle du sud, via sans doute la vallée de l’Euphrate (Doura‑Europos est un des sites où se développe ce type d’architecture), qui permet la circulation depuis la partie sud‑ouest de l’empire parthe. De même, l’adoption des arcosolia, si elle plonge dans les racines régionales et le goût pour les lits funéraires de pierre somptueux, adopte également un schéma architectural qui semble s’être constitué à Chypre ou à Alexandrie, où les tombes à espaces doubles se développent dès l’époque hellénistique. Ces éléments contribuent à créer un paysage funéraire particulier, qui montre bien l’originalité de la région, zone de passages et d’influences diverses. Pendant cette période de son histoire en tout cas, la moyenne vallée de l’Euphrate semble marquée par de nouveaux schémas architecturaux, où le Levant, Palmyre et Alexandrie jouent un rôle certain, même s’il reste délicat à définir dans le détail. Malheureusement, Zeugma n’apporte guère encore d’éléments de comparaison : les tombes de ce site n’ont pas été fouillées et sont datées sur des critères stylistiques peu fiables. Pourtant, la présence de loculi et d’arcosolia sur ce site semblerait montrer que les deux rives sont proches par certains aspects, et que la vallée de l’Euphrate garde une unité culturelle certaine, qui s’affirme en tout cas pendant les i^ers s. av. et ap. J.‑C., peut‑être face à une culture véhiculée dans la région par les Romains805.

153Cependant, au cours du ii^e s. et de la première moitié du iii^e s. ap. J.‑C., on assiste à une apparente évolution différente entre les deux rives, correspondant peut‑être à la scission politique qui a eu lieu au cours du i^er s. ap. J.‑C., quand la frontière orientale de l’Empire romain s’est stabilisée sur l’Euphrate, mais qui est aussi nourrie, sans doute, par la différence entre le site urbain de Zeugma, qui connaît un développement important, et le caractère rural de la rive gauche de l’Euphrate. Pour la même période, nous avons la chance de disposer du témoignage des nécropoles de Zeugma, qui permettent une comparaison étroite. Il apparaît qu’à partir du ii^e s. ap. J.‑C., les tombes à arcosolia font l’objet d’une préférence marquée sur les deux rives, qui avait été amorcée précédemment. En même temps, on voit un même schéma architectural donner naissance à une architecture nettement différente, sur les deux rives de l’Euphrate. Ainsi, à Zeugma, d’une part la capacité des tombes est souvent bien supérieure à celle des tombes des environs d’Apamée, ce qui entraîne le développement de plans différents. Il s’agit là sans doute d’une adaptation à la densité de la population dans cette ville. D’autre part, les éléments décoratifs sont particulièrement appréciés à Zeugma, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur des tombes : des stèles et des bustes sculptés évoquent en particulier les défunts, leur nom et leurs qualités, le tout en grec. Les tombes d’Apamée ne présentent pas les mêmes caractéristiques. Leur décoration est quasiment inexistante, et en tout cas complètement détachée de la personnalité des défunts. Seules deux inscriptions, toutes deux en araméen édessénien (Api3 et Api9), provenant de l’intérieur des tombes T1 et T11, mentionnent les constructeurs de ces tombes. Le rapport entre les vivants et les défunts semble différent : sur la rive droite, on expose volontiers les défunts, on les individualise, afin de définir plus étroitement les liens entre les vivants et leurs parents décédés. C’est aussi une façon d’utiliser les morts et la parentèle ancienne en suggérant leur position, la force du groupe familial et son importance sociale, marquée par les habits et les bijoux, conformément aux habitudes « romaines »806. De telles préoccupations paraissent beaucoup moins évidentes à Apamée où les noms, inscrits à l’intérieur de la tombe, sur la paroi entre l’antichambre et la chambre sépulcrale, sembleraient plutôt être une affirmation de la propriété sur la tombe et un moyen de la protéger, qu’une exaltation sociale du constructeur et de sa famille. Il existe donc une différence dans l’appréhension de l’espace funéraire sur les deux rives de l’Euphrate, qui rend probablement compte de la présence à Zeugma de familles ayant intégré les valeurs sociales romaines, aux ii^e et iii^e s. L’architecture funéraire apparaît comme un moyen de revendiquer la proximité avec le pouvoir, en mettant l’accent sur la mémoire et la filiation. À Apamée, ces valeurs semblent ignorées et l’on reste fidèle à l’austérité des premières tombes familiales. Ces tombes ne servent pas véritablement de faire‑valoir à la famille ou aux vivants par leur décoration, même si leur position, parfois très visible, invite à ne pas ignorer leur pouvoir, en tout cas sur le territoire proche. Cependant, la population ne semble pas avoir intégré les valeurs du monde romain et les codes qui les accompagnent. En fait, il se pourrait que Zeugma constitue un cas particulier, peut‑être de par son importance militaire et commerciale, de part aussi l’ancienneté de son entrée dans la province de Syrie, qui a attiré des populations marquées par une romanisation plus avancée. En revanche, en dehors de ce site, les valeurs traditionnelles semblent perdurer au ii^e et au moins pendant une partie du iii^e s., alors que la rive gauche de l’Euphrate est passée sous domination romaine.

154L’époque romaine tardive et l’époque byzantine sont marquées par des chamboulements historiques importants dans la région, comme la destruction de Zeugma en 252‑253 et les attaques sassanides qui poussent à militariser l’Euphrate. Une intense activité se manifeste dans les espaces funéraires autour d’Apamée. Quelques nouvelles tombes sont creusées ou bâties (T2, T8, T9 [?], T10 [?], T11 [?]) et des tombes anciennes sont agrandies et réoccupées (T1, T3). On voit, dans les campagnes, se maintenir les tombes monumentales, contrairement aux centres urbains qui ont eu à pâtir des assauts sassanides du milieu du iii^e s. Les sites de Zeugma et de Doliché ne semblent plus guère apporter de points de comparaison, même s’il faudrait étudier de façon plus approfondie les réoccupations dans ces nécropoles. Autour d’Apamée, les tombes à arcosolia simples ou à alcôves organisées en pi semblent utilisées de façon privilégiée. Elles se situent dans la continuité des tombes de l’époque antérieure et ne comportent aucun décor, même pour les lits funéraires. En revanche, elles semblent, par les agrandissements et les réoccupations que nous avons observés, trahir un certain besoin de place, qui pourrait montrer que la population rurale autour de l’ancien site d’Apamée connaît une expansion, en dépit des troubles incessants qui ne semblent guère affecter cette zone rurale807. L’architecture plus simple révèle certainement la nécessité de baisser les coûts de construction, mais aussi peut‑être l’évolution des pratiques funéraires, une hypothèse que l’étude du matériel permettra peut‑être de développer. Les tombes romaines tardives et byzantines sont aussi caractérisées par des schémas architecturaux fréquents dans le sud de la vallée de l’Euphrate, que ce soit à Halabiya ou à Tall as‑Sin et dans l’ensemble du Levant. De ce point de vue aussi, la période révèle une certaine continuité avec l’époque précédente : l’attraction culturelle joue principalement vers le sud, probablement par le biais de la vallée de l’Euphrate qui reste un axe de circulation des denrées et des idées important808.

155En même temps, deux tombes de cette époque se distinguent nettement et témoignent aussi de la complexité du paysage culturel et de la difficulté que nous avons à le cerner. Tout d’abord la construction probable de la tombe T2, une tombe sans doute à tumulus, montre la présence, sur la rive gauche, d’un commanditaire sans aucun doute puissant et qui plus est désireux d’affirmer des valeurs fortes qui peuvent être interprétées différemment, soit comme un fier rappel de traditions locales, soit peut‑être comme une allusion bien visible à la présence militaire romaine dans la région. En tout cas, quelle que soit l’interprétation que l’on peut faire de cette tombe, elle témoigne sans doute, par sa présence même, de la diversité et de la richesse des échanges culturels. Dans les espaces funéraires d’époque protobyzantine, on peut aussi constater la quasi‑absence de signes de christianisation de ces tombes. Au contraire, la tombe T9 se caractérise par une présence presque envahissante de ces signes. Cela contraste avec l’occupation limitée de la tombe qui pourrait, de ce point de vue, être interprétée comme une tombe de dignitaire de l’Église ou de personnage particulièrement vénéré. Là encore, la complexité de l’interprétation des données archéologiques, mais aussi sans aucun doute de la situation dans la région, apparaît.