1Les fouilles des espaces funéraires autour d’Apamée de l’Euphrate auront mis environ un quart de siècle avant d’être publiées. À l’échelle du temps archéologique, c’est finalement assez peu. Cependant, alors que le site, complètement immergé depuis 2000, retombe peu à peu dans l’oubli après les retentissantes fouilles de sauvetage conduites entre 1996 et 1999, il a paru absolument nécessaire de publier ce dossier, laissé plus ou moins à l’abandon. Les conditions de sa publication ne sont pas idéales : les données de fouilles, pour certaines d’entre elles inaccessibles malgré nos demandes réitérées, peuvent parfois manquer pour une interprétation précise des contextes. Pourtant, la nécessité de cette publication paraît évidente même après tout ce temps.

2La méthodologie suivie lors de la fouille et du post-fouille a, en effet, rarement été mise en œuvre dans cette région où trop souvent les tombes rupestres perturbées par les occupations successives ne sont pas considérées comme intéressantes à fouiller : dans les meilleurs des cas, on se contente généralement de simples relevés des structures. Nous nous sommes attachés à considérer les tombes comme des contextes globaux, ouverts ou fermés, dont l’étude la plus précise possible peut être éclairée par les apports complémentaires de l’architecture, de la fouille, de l’anthropologie et du matériel mis au jour, ce qui justifie à nos yeux l’intérêt de cette publication, en permettant ainsi, par le croisement de données très diverses, d’aboutir à des conclusions qu’une approche plus traditionnelle n’aurait pas obtenues. Cette façon d’appréhender les contextes funéraires les plus complexes, nous l’espérons, contribuera à attirer une attention nouvelle et pluridisciplinaire sur ce type de contextes au Moyen-Orient.

3Si nous n’avons pas pu déterminer les limites de ces espaces funéraires, ce qui est préjudiciable pour leur interprétation, en revanche la diversité des époques représentées, des architectures et des pratiques funéraires, permet de tenter de proposer une première évaluation de la richesse du paysage funéraire et de sa diversité, encore en grande partie méconnue dans la vallée de l’Euphrate, entre l’époque hellénistique et l’époque islamique. De nombreuses questions se posent à propos de ces contextes funéraires : ainsi, peut-on se demander dans quelle mesure les nombreuses péripéties historiques traversées par la région ont influencé l’évolution des pratiques sur le long terme, à moins que des permanences puissent être démontrées. On peut aussi tenter de trouver dans les tombes des réponses à des questions pour lesquelles les fouilles des sites proches n’ont pas toujours fourni de piste claire : quel type d’occupation du territoire prévaut sur la rive nord de l’Euphrate ? Qui sont les occupants de cette partie de la vallée de l’Euphrate et de cette rive ? Cette population est-elle culturellement et socialement homogène ? Les deux rives de l’Euphrate présentent-elles des similarités dans leur rapport avec la mort ? Se distinguent-elles par leur civilisation matérielle ? L’objectif de cette étude est donc de mettre en lumière, par-delà l’étude des pratiques funéraires, la complexité culturelle de la région.

4Le titre de l’ouvrage peut surprendre, alors que dans les différents rapports de fouille publiés à l’issue des campagnes d’exploration, nous parlions tout simplement des nécropoles d’Apamée de l’Euphrate. Deux difficultés sont apparues : tout d’abord, le terme de « nécropole » ou « ville des morts » semble s’appliquer plutôt en référence au cas originel d’Alexandrie, à un espace densément occupé, formant une unité spatiale cohérente, assez différent des espaces que nous allons décrire, qui sont constitués de noyaux de tombes, discontinus et plutôt lâches. Cependant, la plupart des espaces funéraires au Moyen-Orient que nous aurons l’occasion d’évoquer sont communément considérés comme des nécropoles dans les publications ; aussi, par commodité, utilisera-t-on également dans les développements ce terme pour les désigner, sans pour autant nous avancer sur le bien-fondé de l’utilisation de ce mot. D’autre part, l’étude précise du matériel des tombes a permis de montrer que la majorité d’entre elles est postérieure au fonctionnement de la ville d’Apamée, ce qui explique le titre de cette étude : ces espaces funéraires ne sont pas systématiquement liés à l’établissement ; il est plus juste de les définir comme des espaces funéraires à proximité ou autour du site d’Apamée, avec lequel ils n’ont souvent aucun lien.

5Les approches diverses et complémentaires utilisées pour l’étude de ces espaces funéraires expliquent l’importance de l’équipe mobilisée autour de ce projet. Que soient ici remerciés, évidemment en premier lieu les fouilleurs qui ont, sous ma direction et dans des conditions très difficiles, conduit la phase passionnante de la découverte et de la mise au jour de ces tombes, A. Desreumaux, J.-S. Caillou, mais aussi J.-B. Yon et M.-C. Marcellesi. Ensuite, il a fallu attendre une dizaine d’années avant de réussir à réunir une équipe pluridisciplinaire pour prendre en charge l’abondant matériel ainsi mis au jour, depuis le lavage et le rangement dans les réserves des musées de Gaziantep et de Ṣanlıurfa, jusqu’à l’enregistrement, la documentation et l’étude proprement dite. Un anthropologue, A. Lefebvre, s’est chargé des ossements humains tandis qu’un archéozoologue, N. Émériau, a identifié la faune présente. Le matériel archéologique mis au jour a été intégralement pris en considération, qu’il ait été fragmentaire ou en bon état de conservation. J’ai étudié le matériel céramique, à l’exception des vases à cuire confiés à A.‑S. Martz et des lampes étudiées par M. Feugère. Le matériel métallique a été partagé entre N. Dieudonné-Glad (objets en fer), M. Feugère (autres métaux) et D. Frascone (monnaie). Enfin, le verre a été pris en main par O. Dussart. Je tiens aussi à souligner que ce travail n’aurait jamais pu être effectué sans l’aide constante du ministère turc de la Culture et du Tourisme et de la direction générale des Monuments et Musées. Sur place, nous avons eu la chance de profiter de l’appui scientifique et logistique, sans faille, de nos collègues turcs, des différents co-directeurs de la fouille et directeurs des musées de Gaziantep et Ṣanlıurfa, R. Ergeç, E. Bucak, F. Bulgan, A. Beyazlar, A. Denizhanoğulları, M. Önal, H. Güllüce, N. Aydemir, H. Karabulut, N. Dervişoğlu, M. Ercan et A. Yavuzkır.

6Enfin, la fouille, l’étude et une partie de la publication ont été financées par le ministère français des Affaires étrangères, par l’Agence nationale de la recherche, l’université de Lorraine, l’université Lumière Lyon 2, l’UMR 5189-HiSoMA, l’UR 15071-HeRMA, ainsi que par le prix Rolex Award for Enterprise, obtenu en 1998, et l’aide supplémentaire de Rolex dans le cadre de son programme Perpetual Planet Initiative.