Chapitre deuxième. L’installation des militaires et des vétérans étrangers en Phrygie : les formes de l’impact économique
p. 187-280
Texte intégral
1Après avoir tenté d’expliquer les choix qui ont présidé à l’installation de groupes de soldats ou de vétérans perses, gréco-macédoniens et romains au sein de l’espace phrygien, il s’agit à présent de montrer en quoi une approche par le biais de l’économie peut permettre d’éclairer ce que fut l’impact de ces nouveaux venus dans la région, ne serait-ce que parce que ces derniers investirent dans la société civile des compétences techniques ou de gestion qui leur étaient spécifiques, par exemple dans la construction, l’administration et l’entretien du réseau routier1. Il est nécessaire de préciser que se pose ici un problème de sources important : chronologiquement, la documentation est beaucoup plus abondante, comme il se doit, pour la période romaine ; la période hellénistique laisse bien souvent le chercheur sur sa faim et la période achéménide se caractérise la plupart du temps par une grande indigence d’informations, qu’elles soient littéraires, archéologiques ou épigraphiques. Sur le plan thématique, des pans entiers de la documentation concernant des points fondamentaux n’ont souvent pas été conservés pour la Phrygie, par exemple ceux relatifs aux modalités d’installation des soldats au service du Grand Roi ou des monarques hellénistiques : il conviendra donc d’observer, dans le cadre d’une démarche comparative et toujours avec prudence, ce qui pouvait se passer dans d’autres régions pour lesquelles des sources plus abondantes ont pu survivre, Babylonie achéménide, Carie et Lydie séleucides. Demeure la question de l’origine de cette documentation. Si l’on excepte des plaintes de communautés rurales phrygiennes datables de l’époque impériale romaine, l’essentiel de celle-ci émane des autorités étatiques ou civiques, ce qui implique une vision sinon biaisée, du moins orientée des choses. En outre, le système de contrôle de la terre mis en place par les Perses, s’il est décrit de façon relativement diserte par Xénophon, l’est avec les yeux et les conceptions mentales d’un Grec, ce qui, là aussi, suppose un travail de critique important.
2Les savants qui se sont penchés sur le problème des relations économiques entre communautés l’ont abordé de différentes manières selon l’époque dans laquelle ils vivaient et selon les tendances historiographiques dominantes en leur temps. Les travaux de la fin du xixe et du début du xxe siècle ne mettaient que fort peu en corrélation le fait militaire et son impact économique, en dehors de considérations somme toute assez vagues sur le caractère prédateur des armées qui parcoururent l’Asie Mineure. Si des chercheurs comme W.M. Ramsay s’intéressèrent à la distribution des terres aux militaires allogènes, gréco-macédoniens ou romains, avec parfois des a priori qui devaient s’avérer faux2, il n’y avait pas chez eux d’examen poussé des relations ayant pu exister sur un plan social entre les indigènes et leurs nouveaux maîtres, pas plus que de l’implication de ceux-ci dans les circuits économiques en tant que producteurs et consommateurs. Il fallut attendre les années qui suivirent le premier conflit mondial pour que ces questions soient abordées, par exemple dans les sommes de M.I. Rostovcev sur l’économie et la société aux époques hellénistique et romaine3. Malheureusement, en dépit d’un apport de connaissances factuelles absolument considérable, les hypothèses de départ de l’auteur, la plus connue étant celle de l’union entre soldats et paysans contre les couches supérieures de la société à partir du iiie siècle après J.‑C., devaient s’avérer erronées. Aux lendemains de 1945, sous l’influence de la recherche marxiste, une grande importance fut accordée à ce que l’on nommait les « modes de production », ainsi qu’au problème de l’esclavage, sans que ceux-ci puissent tels quels s’appliquer parfaitement à la réalité micrasiatique4. Dans ce cadre, les soldats n’étaient considérés qu’en tant que propriétaires de lots ou de dépendants, mais non point comme force dynamique agissant sur l’économie. Ce furent des savants comme P. Debord5 ou P. Briant6 qui eurent le mérite de tenter, avec succès, de prendre en considération tous les aspects de la vie économique micrasiatique et d’en mesurer les conséquences sociales. Néanmoins, et aucun reproche ne peut leur être fait sur ce point puisque ceux-ci ne tenaient pas un rôle primordial dans leurs travaux, l’importance des militaires y était limitée. À la fin des années 1990, T. Hauken s’intéressa à un point jusque-là peu étudié : celui des pétitions adressées par des communautés rurales se plaignant auprès des empereurs de l’attitude prédatrice de troupes romaines à leur encontre7. Il s’agit d’une contribution particulièrement éclairante, mais qui ne traitait pas des époques achéménide et hellénistique.
3Tenant compte de ce qui vient d’être dit, ce chapitre va tenter d’étudier dans sa globalité l’impact de la présence militaire étrangère sur la Phrygie. Celui-ci fut, au départ, basé sur la force : quels que soient les nouveaux venus, vainqueurs d’un pouvoir précédemment installé et bien armés, ils pouvaient s’emparer de ce qu’ils désiraient. Il va donc falloir examiner ce moment crucial du remplacement d’une puissance étatique par une autre. On ne peut que regretter de ne pas disposer pour la Phrygie d’informations économiques aussi précises que celles existant pour la Babylonie qui auraient permis d’établir des tableaux chiffrés relatifs aux conséquences de la présence militaire et des guerres sur le prix des matières premières agricoles8. Mais ce fut à chaque fois une phase transitoire et les périodes suivantes correspondirent à une évolution vers un statut purement civil des descendants de ces hommes. Les pouvoirs qui dominèrent la région avaient besoin qu’en fût mise en place une exploitation raisonnée, ne serait-ce que pour en retirer des ressources fiscales. D’où la question de savoir quelles étaient celles-ci et sous quelle forme elles étaient perçues.
4L’implantation des militaires fut donc organisée, de même que leur place dans l’économie, et c’est cette organisation et cette place qu’il convient de mettre en lumière. Dans des sociétés où la plus grande partie de la production était liée à l’agriculture et où la possession de la terre était un fort marqueur social, il fallait définir de façon claire les rapports entre une paysannerie phrygienne nombreuse et des militaires en activité ou retraités qui avaient souvent tenté l’aventure de l’engagement dans l’espoir de se retrouver un jour à la tête d’un domaine de plus ou moins grande superficie.
5Face à ce défi, les pouvoirs achéménide, gréco-macédonien et romain trouvèrent des solutions pour résoudre au mieux de leurs propres intérêts et de ceux de leurs hommes le problème de la terre. Certes, la situation des soldats installés dans les katoikiai au service des monarques hellénistiques n’avait rien de comparable avec celle des vétérans romains. Mais les militaires en activité ou en retraite n’étaient pas que des rentiers du sol : pourvus d’un pouvoir d’achat relativement important et munis d’une certaine sécurité de l’emploi (en particulier les Romains), ils constituaient un groupe d’acheteurs potentiels qui interférait sur les activités artisanales et de service locales. Reste à savoir quels types de dépenses ou d’investissements étaient les leurs et si cela entraînait une dynamisation de l’économie locale. En sens inverse, la fabrication de certains produits comme les armes, directement par la troupe, ou la construction de casernements ou de fortifications intégraient celle-ci dans le monde des producteurs et des circuits d’échange, intégration dont l’importance est à peser. Enfin, les différents pouvoirs qui contrôlèrent l’espace phrygien confièrent tous aux militaires des fonctions de police. Il s’agissait non seulement d’assurer la sécurité des cités et du plat pays face à un brigandage d’autant plus endémique que le terrain s’y prêtait bien souvent, mais surtout de sécuriser la production et les échanges et par là même le prélèvement fiscal. Dans cette optique, des implantations de soldats ou de vétérans eurent pour but de mailler l’espace. Si les conséquences pour la tranquillité des paysans ou des marchands furent probablement très positives, il n’en demeure pas moins que, comme à toutes les époques, certains militaires mal contrôlés purent se comporter en véritables prédateurs, agissant à ce moment-là de façon tout à fait négative sur l’activité économique. Il conviendra donc d’essayer de repérer ces dysfonctionnements et d’en mesurer l’impact.
Possession et occupation des terres
6Lorsque les Perses et les Gréco-Macédoniens s’installèrent en Phrygie, ils se trouvèrent face à une population rurale nombreuse dont l’importance avait frappé les auteurs de l’Antiquité. Cette installation s’accompagna d’un important transfert de terres au bénéfice des nouveaux venus, comme cela fut le cas par la suite à l’arrivée des Romains. Au sens propre, aux époques achéménide et hellénistique, le seul à s’approprier la terre fut le roi conquérant qui le faisait au détriment de son prédécesseur, une fois celui-ci vaincu9. Le mode normal était celui du transfert d’autorité d’un monarque à l’autre sur la terre, y compris sans doute celle concédée en apanage à des dignitaires. Le nouveau maître prenait la terre et il pouvait en concéder à sa guise une partie à ses fidèles (courtisans, soldats ou communautés entières). Au sens littéral, les Phrygiens ne furent donc pas « dépossédés » et, au fond des campagnes anatoliennes, seul le nom du maître changeait : c’était le roi, toujours étranger et parlant une langue obscure. Comme nous le verrons ci-après, la politique royale d’implantation pouvait néanmoins entraîner des conséquences plus concrètes : si le roi restait lointain, les colons qui s’installaient, plus nombreux, plus exigeants aussi, disposant de moyens de contrôle et de coercition plus directs et plus efficaces, y compris la force et l’intimidation, pouvaient grandement impacter le mode de vie des Phrygiens. Il est donc probable que la création d’une colonie, quelle que soit sa taille, provoquait effectivement un choc, bouleversait les usages locaux (avec par exemple la monétarisation des échanges) et se traduisait par une pression nouvelle, économique et fiscale, sur les laoi.
7Ces transferts découlaient du droit du vainqueur ; néanmoins, il y eut toujours des intellectuels pour les justifier idéologiquement. Il s’agit là d’un débat qui a traversé les siècles dans la mesure où, si l’historiographie de l’époque coloniale des xixe et xxe siècles justifiait ces actes au nom des bienfaits de la civilisation, ils furent remis en cause au moment de la décolonisation par des chercheurs comme P. Briant, avant que ces dernières années P. Thonemann propose d’autres clés d’interprétation.
Les justifications idéologiques de la mainmise allogène : perception antique et débats historiographiques
8Il est extrêmement difficile d’avoir une idée précise de l’importance et de la densité des populations installées dans les campagnes micrasiatiques, particulièrement en Phrygie. Il s’agit pourtant là d’un point essentiel dans la mesure où si l’on parvenait à une connaissance précise du ratio ayant existé entre civils et militaires, on pèserait plus facilement l’impact des premiers nommés sur l’économie. Le vocabulaire même pose problème, mais l’analyse qu’en a effectuée C. Schuler10 permet semble-t-il d’y voir aujourd’hui plus clair. Selon lui, les termes kômè et péripolion s’appliquaient tout aussi bien à une forme d’établissement paysan qu’à une communauté. Katoikia, que l’on rencontre de plus en plus souvent à la fin de l’époque hellénistique, et démos ne s’appliquaient quant à eux qu’à une communauté. La situation la plus complexe est représentée par les vocables choros et chorion : le premier est presque toujours relatif à un groupe humain, alors que le second l’est à un village11. Les hommes eux-mêmes étaient nommés laoi, ou perioikoi12, ou bien encore proskôroi ou prosoikountes barbaroi13. En tout cas, les sources littéraires antiques confirment l’importance numérique de la population en Phrygie, que ce soit Strabon14, Quinte-Curce15 ou Dion de Pruse16.
9Il convient donc de toujours se souvenir de cette forte disproportion existant entre militaires allogènes et paysans phrygiens. Toute hypothèse relative à ce déséquilibre démographique et toute tentative d’estimation de celui-ci ne peuvent être avancées qu’avec une grande prudence ; c’est le cas par exemple de la supposition proposée par M.C. Miller17 qui pense que l’augmentation de la population, qu’il décèle aux ve et ive siècles avant J.‑C. dans les vallées du Granique, du Caecus, du bas Hermos et du Méandre, était consécutive à l’installation dans cette zone de nombreux soldats afin de créer une zone tampon contre toute attaque venue de la côte égéenne.
10Ce qui est certain en tout cas grâce aux témoignages des auteurs antiques et au très important matériel épigraphique s’y ajoutant, c’est que depuis l’époque achéménide, voire avant, la communauté de référence en Anatolie en général et en Phrygie en particulier était le village18, « structure permanente » ainsi que le caractérise P. Briant19. Sa connaissance concrète demeure malheureusement très lacunaire. Comme l’écrit M. Sartre20, « paysans et villages demeurent encore des fantômes pour l’historien alors que nul ne peut douter de leur existence » ; et d’ajouter :
L’absence d’une archéologie villageoise, le retard pris dans l’étude des cadastres et des parcellaires antiques sont autant de handicaps sérieux à un renouvellement des études : tout reste encore fondé sur l’étude des textes, peu nombreux et n’éclairant que quelques aspects de la vie des campagnes, ceux qui intéressent les propriétaires ou les autorités civiques21.
11Le fait de s’implanter militairement dans une région donnée, ici la Phrygie, fut de tous temps un processus brutal. Cependant, il s’est presque toujours trouvé des intellectuels pour le justifier, tant a priori qu’a posteriori. C’est à leur rencontre qu’il faut aller à présent, afin de saisir comment les nouveaux venus, ou tout du moins l’élite parmi eux qui se piquait de réflexions politiques et philosophiques, justifiait sa domination.
12Il n’est guère possible de trouver la trace d’une théorisation de ce type de relations de la part des élites perses en dehors des inscriptions royales comme celle du tombeau de Darius à Naqsh‑e Rostam22. Celle-ci justifie le pouvoir du Grand Roi sur les peuples qui lui sont soumis par la volonté d’Ahura-Mazda qui les lui a confiés. Les penseurs grecs avaient, dès le ive avant J.‑C., une idée très claire de ce qui devait se mettre en place entre eux et les Barbares, dans le cadre d’un « Drang nach Osten »23 à venir, envisagé comme une solution à tous les problèmes sociaux connus alors par la Vieille Grèce (paupérisation de la partie la plus faible de la paysannerie consécutive à la guerre du Péloponnèse, grande importance du mercenariat, instabilité sociopolitique de nombreuses poleis). Dans le Panégyrique, écrit en 380 avant J.‑C., Isocrate demandait la conquête, point trop risquée selon lui, de l’Asie Mineure sur un Empire perse supposé déjà malade afin d’y déverser le trop-plein de paysans grecs sans terres, au profit desquels travailleraient des indigènes hilotisés24. Le même projet réapparut en 356 avant J.‑C. dans La Paix, mais c’était cette fois la Thrace qui était visée, avec une volonté très nette d’en profiter pour éliminer les indésirables, dont les mercenaires25. En 346 enfin, Isocrate proposa un chef pour cette future expédition, Philippe de Macédoine, à qui il conseillait à nouveau de transformer les populations asiatiques en hilotes26.
13Aristote lui-même, qui était plus proche de Philippe II que ne le fut Isocrate dans la mesure où il était le précepteur de son fils, n’envisageait pas les choses différemment : dans la Politique27, il écrivait ainsi à propos de la gestion des terres dans sa cité idéale que celles-ci devaient être mises en culture par des esclaves ou périèques barbares, au caractère peu irascible, les uns au service des particuliers, les autres à celui de l’État.
14Par-delà ces rêveries quelque peu déconnectées de la réalité géopolitique, certains membres des milieux dirigeants grecs avaient une connaissance réelle de l’Asie et de ses potentialités. Ainsi en était-il de Xénophon qui y avait longuement combattu. Les lecteurs de son Anabase n’ignoraient rien des possibilités économiques de l’Anatolie, qui ne pouvaient que les attirer28.
15Après la conquête et l’installation de communautés gréco-macédoniennes en Asie Mineure29, un certain nombre de proverbes péjoratifs concernant les indigènes, et particulièrement leur incapacité militaire, se répandit parmi les nouveaux venus, comme ce fut le cas chez les colons européens installés en Amérique du Sud, en Afrique ou en Asie entre le xvie et le xxe siècle. Pour en trouver des exemples, il faut se tourner vers une source latine assez tardive qui se contente de reprendre des témoignages de l’époque gréco-macédonienne. Ainsi, dans le Pro Flacco, Cicéron, puisque c’est de lui qu’il s’agit, en fournit toute une liste30, dont on peut extraire deux exemples : « Un Phrygien battu en devient meilleur » et « Si tu veux faire une expérience risquée, choisis un Carien pour la faire », l’Arpinate précisant au passage que dans toutes les comédies grecques figure un Lydien qui joue un rôle d’esclave.
16En l’occurrence, le Romain avait dû, comme beaucoup à son époque, être influencé par une littérature hellénique guère tendre pour les Phrygiens. S. Maillot a souligné cette tendance dans l’œuvre d’Hérondas31. Dans La Jalouse32, on lit : « Si ce que je vais t’infliger ne fait pas de toi un exemple pour tout le pays, cesse de me prendre pour une femme. Et puis est-ce qu’un Phrygien n’y gagne pas ? » ; ces propos sont à peu près repris dans Le marchand de filles33 : « Le Phrygien aujourd’hui encore gagne à être battu, si toutefois le proverbe qui vient de l’ancien temps n’a pas dit un mensonge ». Brute qui ne comprend que les coups, le Phrygien est inculte et illettré34, et traiter quelqu’un de ce nom est lui faire insulte35.
17Les Romains n’étaient d’ailleurs guère plus tendres à l’endroit des Gréco-Macédoniens qui avaient jusque-là tenu le haut du pavé. À la veille d’affronter les Galates, Manlius Vulso tint devant le front de ses troupes un discours des plus révélateurs36, dont l’eugénisme avant l’heure mérite que l’on s’y arrête. Selon le commandant romain, installés en Orient dans un environnement « amollissant », Grecs et Macédoniens ont dégénéré. Par un processus pathétique, ces grands conquérants sont devenus les plus méprisables des Orientaux, Syriens, Parthes, Égyptiens et surtout Phrygiens. Le massacre est donc légitime, l’occupation des terres aussi, cela va de soi. Il n’y a pas ici de légitimation culturelle comme dans le cas d’Alexandre chez Plutarque37. Seule la force brute justifie tout. Toutefois, il est nécessaire de modérer quelque peu ces propos tout autant que l’interprétation qu’il serait possible d’en faire a priori, en sachant qu’ils doivent être mesurés à l’aune de l’ambiance intellectuelle de l’époque augustéenne, postérieure à la bataille d’Actium, opposant l’Occident à un Orient métissé et barbare. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à se rapporter à la IVe Élégie de Properce38 et au Chant VIII de l’Énéide39. De plus, toute la phraséologie prêtée par Tite-Live à Vulso repose sur une lecture politique du corpus médical hippocratique, en particulier du petit traité Airs, eaux, lieux40, qui remonte à la deuxième moitié du ve siècle avant J.‑C. et qui avait dû au demeurant déjà inspirer les conquérants gréco-macédoniens, en tout cas leurs chefs. Dans ce système de pensée, c’est l’environnement qui est censé avoir altéré la graine originelle, le climat ayant modifié les qualités des hommes venus d’Europe, moins courageux, moins endurants à la fatigue et au travail dans une Asie où les productions agricoles sont plus abondantes et le bétail plus gras que de l’autre côté de l’Égée.
18P. Briant41 a judicieusement rappelé combien ces textes antiques avaient orienté la vision presque canonique des rapports entre Gréco-Macédoniens, puis Romains, et indigènes qu’avait eue l’historiographie occidentale au moins jusqu’au début du grand mouvement de décolonisation initié dans les années 1950‑1960 : implantés chez des « peuples sauvages », les Européens s’étaient donnés comme but de les « civiliser », dans le cadre d’une sorte de « fardeau de l’homme blanc » avant l’heure42. Depuis quelques décennies, cette vision simpliste, voire volontairement simplificatrice, a été abandonnée. P. Briant l’a souligné :
Les progrès remarquables accomplis dans l’analyse des États et sociétés du Proche-Orient achéménide (dit parfois encore « pré-hellénistique ») ont radicalement modifié les perspectives de la recherche et de la réflexion historiques. Il ne s’agit plus d’étudier, d’une manière unilatérale, la diffusion de la civilisation grecque à travers le rôle attribué aux fondations coloniales, mais d’analyser les processus complexes et contradictoires des contacts interculturels. Plus personne ne croit aujourd’hui qu’une réponse simple puisse être donnée à une question aussi délicate43.
19Dans un article plus récent, P. Thonemann44 a encore fait progresser la vision que les historiens pouvaient avoir des choses. Il a en effet tenté d’examiner la question non pas du point de vue des occupants, que ceux-ci aient été perses, gréco-macédoniens ou romains, mais de celui des Phrygiens qui avaient à les côtoyer au jour le jour. Il s’agit là d’une tentative très originale, en même temps que très risquée, dans la mesure où l’information provient presque exclusivement des « occupants ». Certaines conclusions, d’une grande originalité, peuvent étonner et certaines généralisations irriter. Néanmoins, l’apport de ce texte à la réflexion sur les rapports économiques entre paysans phrygiens et maîtres du sol tirant leur pouvoir de la conquête ne saurait être négligé. P. Thonemann, s’appuyant sur les travaux de l’anthropologue J.C. Scott45, voit ainsi la « longue durée » phrygienne : pour lui, entre 550 et 330, la Phrygie rentra dans un processus de « de-statification ». La population rurale déclina. L’agriculture intensive, jusque-là majoritaire, fut remplacée par le pastoralisme et la steppe progressa. Un même processus de repli peut être constaté dans l’usage de l’écriture qui disparut presque, alors que les villes se vidèrent lentement de leur population. On peut certes expliquer tout cela en disant que la société phrygienne s’effondra devant la conquête perse. Mais le problème est qu’elle fut la seule semble-t-il en Asie Mineure à ne pas s’être redressée par la suite, à la différence de ses voisines. Pour P. Thonemann, l’explication résiderait dans le fait que les Phrygiens se seraient adaptés rationnellement aux nouvelles circonstances. L’Empire perse était par essence un système d’extraction de tribut délégué aux autorités locales dans la mesure où l’administration provinciale achéménide était très peu développée. Le processus initié par les Phrygiens relevait de la résistance passive ; en agissant ainsi, en abandonnant les villes, en se tournant vers un pastoralisme extensif, ils se positionnaient à l’écart du système d’extraction perse, puisque celui-ci n’avait pas les moyens de les taxer famille par famille. Les Phrygiens avaient aussi la distance pour eux ; les faibles productions de la vallée du Haut Tembris ou de Phrygie orientale ne pouvaient intéresser les satrapes basés à Kélainai ou à Daskyléion. Pour P. Thonemann, la Phrygie des époques achéménide, puis hellénistique et romaine a tourné le dos à l’État. D’une situation centrale à l’époque des grands royaumes qui précédèrent l’arrivée de Cyrus, elle devint une périphérie, « a “post-state” zone ».
20Tout cela va naturellement à l’encontre de l’idée générale que l’on se fait d’un modèle économico-sociétal qui chercherait par nature toujours plus de complexité et de richesse. Bien entendu, le choix des Phrygiens, si choix il y eut, s’accompagna de gros désavantages. La région devint une grosse fournisseuse d’esclaves46 ; mais cela était contrebalancé par un système très égalitaire, une grande autonomie locale et surtout la certitude de n’avoir à payer des taxes à personne.
21Cependant, à partir de l’intervention d’Alexandre et surtout de ses successeurs, les immigrants gréco-macédoniens formèrent une ethno-classe dominante, notamment dans les vallées du centre et du nord. L’acculturation d’une partie de la population phrygienne commença. Le premier siècle de la domination romaine se traduisit par un développement de la vie civique sous la férule d’Italiens installés dans la région. Mais, bien que la Phrygie paraisse alors profondément urbanisée avec l’existence de nombreuses poleis, chacune avec ses monuments et ses institutions, il s’agit pour P. Thonemann largement d’un mirage. Les populations demeurèrent pour l’essentiel dotées d’une organisation rurale cellulaire et la production resta autarcique, même si l’on cherchait à plaire aux nouveaux maîtres par un certain nombre de pratiques sociales et de réalisations évergétiques. Il y a peu de preuves de l’émergence d’une vraie différenciation fonctionnelle ou démographique entre les secteurs urbains et ruraux. Les monuments funéraires, très nombreux et très variés, insistaient sur les valeurs et les outils de la vie agro-pastorale47 bien plus que sur les marqueurs de la romanité. Dans les inscriptions, les défunts se définissaient souvent comme fermiers. Des artisans de toute espèce, en particulier des tailleurs de pierre de Dokiméion, étaient aussi très présents. Cette prééminence accordée au travail démontre combien les Phrygiens ont peu assimilé des valeurs romaines comme celle de l’otium.
22P. Thonemann s’appuie pour conclure sur M. Mann48 qui estime que le développement permanent d’institutions coercitives par une société entraîne de la part de ses membres la constitution d’unités sociales alternatives et la fuite. Pour lui, la Phrygie a expérimenté ce type de réaction dans lequel se manifestait la longue lutte d’une société villageoise contre les empiètements de l’État.
23Comme on le constate, on est loin ici des explications traditionnelles dans lesquelles le seul élément actif est constitué par les envahisseurs iraniens ou européens. Si l’on en croit l’analyse de P. Thonemann, ceux-ci se seraient en fait heurtés à une imperméabilité consciente d’une grande partie des populations phrygiennes à leurs valeurs, qu’elles auraient massivement refusées49. Nous partageons cependant l’avis de H. Bru qui a fait remarquer avec justesse que la thèse du savant britannique s’applique parfaitement aux zones marginales de Phrygie du Nord ou de la frontière pisidienne par exemple, mais beaucoup moins aux grandes vallées où l’implantation étrangère fut beaucoup plus intense, avec des conséquences économiques et sociales plus importantes.
24Néanmoins, arrivé à ce point de notre réflexion, on se retrouve face à un problème majeur et dont on voit difficilement comment il pourrait être résolu : en dépit des hypothèses tout aussi séduisantes de P. Briant que de P. Thonemann, on ne sait pas comment la paysannerie phrygienne perçut l’implantation de ses nouveaux maîtres successifs. Globalement fort mal dira-t-on, certes ; mais les choses sont-elles aussi simples ? Il est possible par exemple que l’instauration de la Pax romana ait justifié aux yeux de ses membres la lourdeur du fardeau fiscal. D’autre part, ce serait commettre une erreur que d’envisager cette paysannerie sous une forme monolithique. Si l’intérêt unique des plus modestes était de parvenir à subvenir à leurs besoins immédiats, les plus aisés pouvaient tirer profit de la présence sur place de soldats pour leur vendre leurs surplus et engager avec les colons un dialogue social et économique leur permettant de se rapprocher d’eux, rapprochement certainement facilité par des unions avec des femmes phrygiennes. On le voit donc, la situation fut certainement beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît à première vue, et les déclarations à l’emporte-pièce des auteurs grecs paraissent avoir été suivies d’effets moins importants que ceux que ces derniers préconisaient.
25Quoi qu’il en soit, et avant d’examiner les formes successives d’implantation, il faut bien avoir en tête que dès l’époque achéménide, les populations agricoles phrygiennes constituaient le substrat de l’exploitation économique. Leur présence et leur force de travail étaient à la base des nouveaux systèmes mis en place. Elles étaient concédées aux militaires allogènes, par délégation du pouvoir royal ou impérial, en même temps que les kléroi dont elles constituaient la force de travail indispensable, quitte à être inscrites sur des listes, comme celle concernant les domaines de Mnésimachos, dans la plaine de Sardes, à la fin du ive siècle avant J.‑C.50. Elles cessaient alors d’être des basilikoi laoi dépendants du roi pour devenir de simples laoi, au service de celui qui avait reçu le bénéfice d’une terre.
« Économie satrapique » et implantations militaires achéménides
26Le premier État à avoir imposé sa tutelle à la Phrygie après la chute du royaume lydien en 546 avant J.‑C. fut la Perse achéménide. Comme les monarchies hellénistiques qui lui succédèrent et comme l’Empire romain, la question de la terre se présenta à ses dirigeants sous une double forme : d’abord comment s’emparer de celle-ci, ce qui fut certainement le problème le plus aisé à résoudre, puisque lié simplement à la victoire militaire et à l’élimination, au moins partielle, des anciennes élites, mais surtout comment la défendre, ce qui nécessita la mise en place de solutions imaginatives et efficaces permettant d’assurer la pérennité de cette mainmise. On aimerait savoir en quoi l’œuvre de Cyrus le Grand et de ses successeurs fut novatrice, sur quelles bases elle était assise et si, oui ou non, elle influença les pouvoirs qui vinrent par la suite. Comme on va pouvoir le constater rapidement, si des traces archéologiques non négligeables de présence iranienne ont survécu, la plus grande partie de la documentation littéraire à la disposition des chercheurs est grecque. Quant à l’épigraphie, elle n’est pas pertinente pour la phase d’installation ; en revanche, elle apporte des données précieuses concernant le devenir de la communauté iranienne à l’époque gréco-macédonienne, puis sous l’Empire romain.
La mise en place du système et son évolution jusqu’à la conquête macédonienne
27Après la conquête achéménide, le Grand Roi mit en place en Phrygie un système militaire à triple objectif : il visait à protéger le pays contre une attaque venue de l’extérieur, à prévenir ou à anéantir les révoltes et à aider à la perception du tribut51. Il n’est pas possible de dire combien de soldats furent installés dans la zone ni même, ce qui serait d’ailleurs plus intéressant, de déterminer quel pourcentage ils représentaient par rapport à la population « indigène ». Toujours est-il qu’il fallait les solder, les nourrir, eux et leurs chevaux, ainsi que leur obtenir des véhicules52. Il est probable aussi que les populations phrygiennes devaient, comme c’était le cas en Babylonie, fournir des valets d’armes pour accompagner la cavalerie53. Au sommet de la hiérarchie se situait bien évidemment le satrape, dont le nom en vieux perse signifiait « protecteur du royaume »54. Sa fonction principale était la défense du territoire royal et son extension55. Pour ce faire, le roi lui concédait certainement de vastes domaines provenant de la terre royale, selon un processus connu par un exemple babylonien postérieur puisque datant du règne d’Antiochos II56. Si l’on en croit les études de M. Stolper57, il est vraisemblable que les satrapes disposaient d’assises foncières très étendues, plus en tout cas que leurs homologues de l’époque séleucide. Il est possible qu’un témoignage de Xénophon vienne préciser ce à quoi pouvaient prétendre les représentants du roi. En effet, dans un passage de l’auteur athénien, Cyrus le Jeune revendique auprès de son frère Artaxerxès II la possession de cités d’Asie Mineure que ce dernier avait auparavant donné à Tissapherne avec leurs revenus58. Ceci signifierait que le satrape, en tout cas dans cette région, se voyait concéder des territoires civiques59. Quoi qu’il en soit, tous ces dons lui permettaient de dégager une masse monétaire dont il devait se servir, en particulier en période de conflits, pour solder les mercenaires et acheter les alliances. Il s’agissait de ce que les sources grecques nommaient ses « ressources personnelles »60, mais qui étaient en réalité « un trésor dont le statut se situait aux frontières des structures étatiques et de la propriété personnelle »61.
28Avec les satrapes étaient venus d’Iran et du reste de l’Empire des nobles en nombre important. Hérodote décrit parfaitement cet aspect des choses pour la région de Sardes au moment de la révolte de l’Ionie62, mais aussi lors de la tentative d’Oroitès qui possédait, outre des forces considérables, une garde de mille Perses, ce qui lui permettait de contrôler les provinces de Phrygie, de Lydie et d’Ionie63. D’après Xénophon64, les subordonnés directs du satrape, qui étaient des personnages importants, disposaient de terres leur permettant d’entretenir des cavaliers prêts à combattre à la demande de leurs maîtres65.
29Ces maîtres du sol installés à demeure, positionnés au centre de la hiérarchie militaire achéménide, entre satrapes et simples cavaliers, n’étaient pas les seuls possesseurs de domaines puisque d’autres avaient été créés pour les envoyés du roi venus en mission en Asie Mineure afin qu’ils disposent de ressources et aident si nécessaire à l’effort militaire66. S’appuyant sur Hérodote67, P. Briant68 a montré combien ce système pouvait être efficace et rapide : à la suite de l’incendie par les Ioniens du temple de Cybèle et du pillage de Sardes, la réponse perse fut immédiate : les forces achéménides positionnées au-delà de l’Halys, très tôt averties, se rassemblèrent et se portèrent rapidement au secours de la Lydie. Ce récit a en outre le mérite de confirmer l’existence sur le territoire perse d’un système de communication permettant de faire transiter au plus vite les nouvelles, que ce soit par messager ou par signaux.
30P. Briant69 a aussi insisté sur l’importance d’un monument funéraire retrouvé en 1981 à Sultaniye Köy, près de l’antique Daskyléion70. Datant des années 500 avant J.‑C., donc des premiers temps de l’installation iranienne et de la mise en place du système défensif, il permet de bien saisir l’organisation hiérarchique en train d’achever sa mise en place. Il concerne un nommé Addā, dont la dépouille a été mise en terre par un personnage nommé Aryābama. Ce dernier était porteur d’un nom typiquement iranien et paraît avoir été un puissant personnage qui honora un de ses subordonnés, détenteur d’un anthroponyme sémitique, par une stèle décorée de scènes de banquet funéraire et de chasse. Il convient de noter au passage qu’une partie du personnel militaire n’était donc pas forcément d’origine perse71.
31Il est probable qu’une grande partie des relations sociales liant les satrapes et leurs subordonnés immédiats se déroulaient dans le cadre des paradis, qui étaient à la fois des réserves de chasse et des centres d’expérimentation agricole. Il en existait un immense près de Daskyléion, dont Xénophon loue la richesse en animaux et en poissons, ce qui en avait fait un des lieux de résidence privilégié de Pharnabaze72. Il en existait un autre, tout aussi important, à Kélainai, traversé par le Méandre et dans lequel chassait à cheval Cyrus le Jeune73 ; comme de grands domaines appartenant à des nobles iraniens se trouvaient dans le voisinage immédiat de la ville, il y a tout lieu de croire que le satrape les conviait à des chasses au cours desquelles les grands problèmes politiques et stratégiques du moment devaient être abordés. Qui plus est, les activités cynégétiques constituaient une excellente préparation à la guerre.
32N. Sekunda, étudiant la Phrygie Hellespontique, admettait le maintien dans les campagnes de grands seigneurs ralliés à la cause perse, mais insistait sur la mise en place de dukedoms74, vastes territoires concédés par le Grand Roi avec les paysans qui y étaient installés. On peut considérer ainsi qu’Ariaios, qui était à la tête d’importants domaines dans ce qui deviendra le territoire de Colosses75 et qui aida Tithraustès à capturer Tissapherne76, était un de ces dukes, appartenant au groupe des « égaux » ou homotimoi, qui étaient au nombre de 120 000 d’après Xénophon77. Autre exemple, celui de Spithridatès, qui déserta au profit d’Agésilas en emmenant 200 des 600 cavaliers de Pharnabaze78. Comme le montre cet épisode, à la base de cette hiérarchie pyramidale se trouvaient des guerriers dépendants, des « chevaliers », que N. Sekunda nomme knights79, peut-être liés à leurs supérieurs par des relations familiales ou matrimoniales.
33Ces éléments de vocabulaire posent néanmoins un certain nombre de problèmes qui ne sont pas mineurs dans la mesure où il s’agit de la question cruciale de l’identification des élites. Parler de « chevaliers », de « duchés » et de « ducs » renvoie sur un plan social, économique et politique à une réalité féodale et médiévale qui n’est pas celle de la Phrygie achéménide, ce d’autant que bien des choses continuent à nous échapper en ce qui concerne les liens qui unissaient ces personnages. Il nous semble, faute de comparaison satisfaisante avec une autre période historique, qu’il est plus prudent d’utiliser le vocabulaire le plus neutre possible qui ne trahira pas pour autant les liens hiérarchiques existant entre ces hommes. Dans ces conditions, nous proposons de nommer « seigneurs de premier rang » les plus importants d’entre ces personnages, ceux qui ont bénéficié de concessions de terre les plus vastes de la part du pouvoir royal, et « seigneurs » ceux placés sous leur autorité, à la tête de domaines beaucoup moins étendus.
34Asidatès, qui contrôlait un riche territoire dans la vallée du Caïque, était un de ces « seigneurs de premier rang » puisqu’il possédait, d’après Xénophon80, une forteresse capable d’abriter quelques dizaines, peut-être même quelques centaines de combattants. L’épaisseur des murs était telle qu’elle gêna considérablement les faibles potentialités poliorcétiques des Grecs qui l’attaquaient. La plus grosse difficulté pour eux était constituée par une tour dont la simple hauteur dissuadait tout coup de main. Ces défenses étaient bâties en briques, alignées sur huit rangées en épaisseur, ce qui trahit une sorte de « transfert de technologie » depuis la Mésopotamie ou l’Iran.
35Autre information intéressante : Asidatès n’était pas isolé dans la région. Il pouvait compter sur des compatriotes, eux aussi possessionnés en domaines. Lorsque la pression des Grecs devint trop forte, il fit appel, par l’intermédiaire de feux allumés au sommet de la tour, à ses voisins. Cela suppose un véritable système de surveillance bien rôdé et une densité importante d’implantations perses, aussi bien domaines seigneuriaux que garnisons royales. En effet, Xénophon se trouva face à des contingents royaux, avec des cavaliers syriens et pas moins de 800 peltastes, mais aussi à des troupes « seigneuriales », unités à cheval, infanterie légère et hoplites (syriens et non pas assyriens), venues de Parthénion, d’Apollonia et d’autres lieux, menées par leurs maîtres, tel Itaménès. Il convient de noter que Xénophon n’utilise, pour décrire les troupes perses, qu’un vocabulaire militaire grec : ainsi, à propos des hommes défendant la tour, les décrit-il comme ἄνδρας πολλοὺς καὶ μαχίμους ; quant à ceux venus à leur secours, ce sont des ὁπλῖται Ἀσσύριοι καὶ Ὑρκάνιοι ἱππεῖς. Ce manque d’intérêt pour les questions militaires vues du point de vue iranien nous prive de renseignements intéressants en ce qui concerne les noms que portaient ces hommes dans le système militaire achéménide. L’assaut frontal des mercenaires échoua et les Grecs durent s’en remettre à la ruse pour s’emparer d’Asidatès et de ses richesses, celles-ci devant être constituées de chevaux en grand nombre, fruits de l’élevage dans cette zone qui s’y prêtait bien, ceux-ci étant remis à Xénophon, de même que les attelages, qu’il redistribua pour partie.
36Ce système de répartition et d’exploitation des terres est confirmé par un passage de la Cyropédie dans lequel Xénophon décrit la manière dont Cyrus installa ses troupes en Asie Mineure et donc en Phrygie81. Si l’on en croit ce texte, le roi aurait mis en place très rapidement les bases de l’appareil militaire achéménide avec des garnisons dans les forteresses82 et des troupes stationnées dans le plat pays, les deux ne dépendant que de lui pour éviter toute tentative d’usurpation. Il convient néanmoins de ne pas trop attribuer au premier Achéménide : le système fut probablement le fruit d’une installation effectuée sur un temps assez long par les premiers monarques de la dynastie83. Dans l’Économique, Xénophon explique comment le roi prenait garde à ce que les hommes installés dans le plat pays disposent de terres en suffisance pour bien vivre de leur activité agricole84. Si les mercenaires en garnison dans les forteresses étaient ravitaillés directement par les autorités, les soldats installés dans le plat pays devaient vivre des fruits de celui-ci. Pour toutes ces raisons, ils étaient très dispersés puisque, à la différence des mercenaires, ils devaient utiliser les revenus des lots de terres qui leur avaient été concédés pour pouvoir nourrir leurs chevaux, étant entendu que beaucoup d’entre eux étaient des cavaliers. C’est ce que confirme l’analyse de C. Tuplin85 qui estime que les mercenaires (mistophoroi) dont parle l’Athénien recevaient une solde pour l’essentiel en espèce, alors que les hommes stationnés dans les campagnes devaient vivre de l’exploitation de leur lot de terre. Ce système semble trouver un écho dans des pratiques attestées en Babylonie et en Égypte, en particulier par des textes araméens concernant la garnison de l’île d’Éléphantine à l’époque d’Artaxerxès Ier86. Les soldats y étaient payés partie en nature, partie en argent. Ils exploitaient des terres qui leur avaient été concédées parfois personnellement ou bien qui dépendaient de la garnison. Issus de tous les horizons, ils étaient néanmoins commandés par des Perses. Quoi qu’il en soit, en Égypte ou en Phrygie, ce service contre de la terre coûtait cher puisque le soldat devait s’équiper à ses frais, quitter son lot parfois pour plusieurs années et qu’il était en outre toujours astreint à l’imposition annuelle, d’où souvent un recours à l’endettement si l’on en croit des exemples babyloniens de l’époque de Darius II87.
37À côté de ce groupe de soldats « chasés » existaient donc des mercenaires, souvent grecs d’ailleurs, relevant directement (du moins en théorie) du roi lequel, d’après Xénophon, les inspectait lui-même ou par délégation chaque année88 ; le souverain contrôlait directement les soldats et leurs officiers, les phrourarques, positionnés en grand nombre sur les points élevés d’où il leur était aisé de surveiller les campagnes environnantes, de même que des garnisons réparties dans des postes de garde sur l’ensemble du territoire et placées sous l’autorité de chiliarques89. Le satrape était chargé de payer les hommes du roi, mais aussi de les nourrir, eux et leurs montures, par un prélèvement effectué sur les paysans installés dans le voisinage que ceux-ci ne devaient pas beaucoup apprécier90. L’employeur perse avait mauvaise réputation. Le satrape devait payer grâce aux transferts de fonds ordonnés par l’administration centrale, toujours insuffisants, sinon en recourant à ses propres ressources qu’il n’était guère pressé de dépenser. Aussi lui et le souverain avaient-ils un renom bien ancré d’avarice91. Il est très probable que, comme la région de Milet92, une partie de la Phrygie, voire sa totalité, fut cadastrée pour faciliter la levée du phoros93. En outre, la mainmise sur la terre phrygienne ne provenait pas des seuls Perses qui y avaient reçu un lot de terre ; en effet, grâce à leurs salaires, certains mercenaires achetaient des propriétés, probablement dans le voisinage des territoires mis à la disposition de la garnison94. Il convient d’ajouter à ce panorama que, d’après N. Sekunda, des Perses de haut rang se seraient vu attribuer directement les revenus de certaines villes95.
38Dans la mesure du possible, le pouvoir achéménide privilégiait les installations dans les « bons pays », ceux dans lesquels les céréales et les oliviers venaient bien et où il était possible de faire paître les chevaux. Selon un processus certainement aussi brutal que ceux rencontrés durant les épisodes coloniaux des époques moderne et contemporaine, les paysans phrygiens se virent placés sous l’autorité de ces soldats pour lesquels ils durent travailler. Ceci paraît prouvé par une inscription de 243 avant J.‑C. concernant, certes, la cité de Smyrne, mais dont il y a tout lieu de croire que le modèle qu’elle décrit s’appliquait tout autant à la Phrygie. À la suite de la guerre laodicéenne, le droit de cité fut donné à un groupe de Perses96, mené par Omanès, détenteurs de lots de terre héréditaires dans le χωρίον Παλαιμαγνησίαν (ligne 94) qui venait alors de passer sous le contrôle de Smyrne. Non seulement ces hommes furent intégrés au corps civique smyrniote, leurs possessions foncières exemptées d’impôts mais, qui plus est, ceux qui n’avaient pas encore de terres reçurent ce que l’inscription nomme des « lots de cavaliers ». Ces derniers remontaient probablement à l’époque achéménide97 au cours de laquelle, peut-on supposer, les élites combattant à cheval étaient les mieux possessionnées en terres. Quant aux soldats non lotis, les biens qui leur furent attribués purent provenir de plusieurs sources : il pouvait s’agir de terres prises sur un adversaire non précisé ou bien alors ressortissant d’une réserve foncière appartenant à une des deux cités signataires de traité d’isopolitie ou bien encore faisant partie de domaines découpés à l’époque achéménide pour entretenir les soldats du roi et dont une partie se serait trouvée sans maîtres en raison d’une diminution de la population iranienne dans la région. Dans ce dernier cas de figure, on se trouverait donc devant un phénomène d’intégration du système militaro-foncier perse dans celui d’une cité grecque.
39Si l’on en revient au cas particulier d’Asidatès98, une grande partie de sa richesse, on l’a dit, provenait de l’élevage de bovins, de chevaux et de petit bétail. L’épisode le concernant a le mérite de montrer également l’opulence de ces seigneurs iraniens qui attirait les convoitises des hommes de Xénophon alliés aux dynastes grecs de la région. Cette prospérité découlait de l’exploitation de la richesse agricole de la Phrygie et des contrées voisines. L’Athénien signale la capture de 200 esclaves au cours des opérations, mais il faut certainement entendre par là des paysans indigènes libres exploitant les terres d’Asidatès, nuance qui échappa à Xénophon. En effet, les formes de dépendances existant dans l’Empire perse ne correspondaient pas à celles connues en Grèce. Pas plus que pour le vocabulaire militaire, Xénophon ne fit un effort d’adaptation. C’est ainsi qu’il désigne ses prisonniers par le mot ἀνδράποδα, qui s’appliquait à un esclave-marchandise. On peut également émettre l’hypothèse que la fameuse tour, qui a par sa taille tant marqué les assiégeants grecs, n’avait pas qu’une fonction défensive, mais servait aussi de silo pour stocker les récoltes à l’imitation de ce que furent les donjons des xie et xiie siècles en Occident. Si le rôle militaire de la fortification ne peut toutefois être nié, il est manifeste qu’il était autant pensé contre d’éventuelles révoltes des autochtones, probablement pressurés par les rentiers du sol iraniens, que contre des incursions ennemies99.
40En dépit des incertitudes provenant de sources littéraires essentiellement grecques, utilisant souvent un vocabulaire peu adapté à la réalité perse et parfois schématiques dans leur présentation de la vérité du terrain, il semble que les Achéménides aient été les premiers à conceptualiser et à mettre en application un lien étroit entre présence militaire et exploitation économique de l’espace phrygien. D’après Xénophon, cette relation était basée sur le principe du « donnant-donnant » : le Grand Roi fournissait les troupes chargées de chasser les brigands et de protéger les civils contre un envahisseur éventuel, les paysans nourrissaient les militaires. Le grand regret que l’on peut avoir par rapport à ce modèle théorique, confirmé d’ailleurs en partie par le contenu de l’inscription de Smyrne, est qu’il est évidemment irénique. Xénophon présentait dans la Cyropédie le monarque idéal : il ne se préoccupait pas en conséquence de la réalité. Ce que nous aimerions savoir, c’est de combien était ce prélèvement par rapport au montant de la récolte. Certes, il serait possible de faire des comparaisons avec d’autres provinces de l’Empire, comme la Babylonie ou l’Égypte : pour autant, celles-ci seraient-elles pertinentes ? Rien ne garantit en effet, tant s’en faut, que le prélèvement ait été organisé partout de la même façon. L’autre lacune concerne, une fois de plus, la réaction des paysans et leurs contacts avec les soldats. Le découpage des domaines des « seigneurs de premier rang » perses et des autres « seigneurs » avait certainement provoqué de graves frictions. Mais de cela, nous ne savons rien.
Le devenir des colons iraniens sous les pouvoirs gréco-macédoniens et romain
41Cette belle aisance des élites perses de Phrygie traversa-t-elle les siècles ? Autrement dit, l’installation des Gréco-Macédoniens, puis des Romains, produisit-elle une paupérisation des anciens maîtres du sol ? Un certain nombre de documents épigraphiques permettent de répondre, semble-t-il, par la négative, même s’il faut concéder que le faible volant de textes à la disposition des chercheurs ne garantit pas une étude à la fiabilité toute statistique. De plus, les monuments qui ont survécu concernent pour l’essentiel la période impériale, ce qui nécessite d’avancer avec prudence et de ne point tirer de conclusions par trop hâtives.
42Dans le sanctuaire d’Apollon de Claros ont été retrouvés deux mémoriaux, l’un des alentours de 126‑127 après J.‑C. sur lequel figurent un frère et une sœur, Agélaïs et Claudianus, enfants de Persikos100, et l’autre de 150‑151 après J.‑C. sur lequel est mentionné Arsakès, fils d’Athènodoros101, tous originaires de Laodicée du Lykos et porteurs d’anthroponymes ou de patronymes iraniens. Quand on connaît le recrutement élitiste qui présidait à l’envoi de ces délégations auprès du dieu, il est évident que ces familles étaient très aisées. Si l’on prend l’exemple d’Alia, vers le milieu du iiie siècle après J.‑C.102, c’est un personnage à l’onomastique iranienne, puisque son cognomen débutait par la séquence Mithr-, qui fut chargé, peut-on supposer à ses propres frais, de l’érection de la statue du gouverneur de Phrygie et de Carie. À la même époque, en 238 très précisément, à Antioche de Phrygie-Pisidie, Aurelius Mithradatès Ktiménènos donna son écot lors d’une souscription des Xenoi Tekmoreioi103 ; malheureusement, le montant de celui-ci, qui aurait pu fournir une estimation de son niveau de fortune, a disparu. Il en est de même pour la contribution d’Aurelius Mithrès104. Au milieu de ce iiie siècle, dans cette même cité, un nommé Aurelius Persikos était impliqué dans le fonctionnement d’un des gymnases105, y exerçant les fonctions d’épistate et organisant les combats, ce qui laisse entrevoir une réelle aisance pour que ses liturgies puissent faire fonctionner cette lourde machine dévoreuse entre autres de quantités très importantes d’huile et de sable.
43En dépit de sa taille modeste, la cité de Sébasté paraît avoir conservé mieux qu’ailleurs les traces de son élite perse, peut-être parce que pour des raisons stratégiques propres aux autorités achéménides, l’implantation militaire iranienne avait été proportionnellement plus dense ici qu’ailleurs. En 98‑99 après J.‑C., ce ne sont pas moins de trois membres de la gérousia qui portaient des anthroponymes ou patronymes perses, avec Sisinès, fils de Ménèstratos, Gaius Carvilius Mithridatès, fils de Gaius, de la tribu Fabia, et Theudas, fils d’Aribazès106. Compte tenu du nombre de membres probablement assez faible que comptait l’assemblée et du fait que des conditions de cens étaient tout aussi certainement exigées pour y accéder, il est évident que des descendants des premiers immigrants iraniens se maintenaient tranquillement en place et jouaient leur rôle de notables des siècles après la disparition de l’État achéménide. Cette réalité est confortée par une dédicace de 204‑205 après J.‑C.107 : à la demande des esclaves « nés dans la maison », Claudius Memmius Cyrus, son père adoptif, fit ériger un monument à la grande-prêtresse d’Asie Memmia Aristè Teuthrantis. Ce document, outre le statut social de cette famille, est une preuve de sa richesse dans la mesure où elle évoque une familia, semble-t-il assez importante, d’esclaves domestiques. On peut se risquer à penser que la base de la fortune du groupe était d’origine terrienne.
44Jusqu’ici, seules des fortunes foncières moyennes ont été entraperçues. Les deux exemples à venir sont différents, ne serait-ce que par les niveaux de richesse qui sont atteints. À Kibyra tout d’abord, à la fin de l’époque républicaine ou au début de l’époque impériale, le démos et les « négociants romains » décernèrent à Mithrès des récompenses exceptionnelles, en l’occurrence une couronne d’or et une statue probablement du même métal108. Le caractère succinct du texte oblige à se livrer à quelques conjectures : il est à peu près certain que le personnage honoré fit bénéficier la cité d’importantes évergésies, rendues peut-être encore plus nécessaires par la crise politico-militaire consécutive aux dernières guerres civiles au cours desquelles les imperatores accablèrent l’Orient. Des bienfaits étendus à une cité entière supposent a priori une fortune à base foncière, ne serait-ce par exemple que pour distribuer gratuitement ou vendre à bas prix sa propre production céréalière. Il est donc envisageable de faire de Mithrès un descendant d’un de ces « seigneurs » installés à l’époque achéménide, dont les ancêtres avaient fait fructifier les biens immobiliers. Mais il est aussi possible qu’une partie de sa fortune provenait d’autres types d’investissements, par exemple dans le textile, le cuir ou la métallurgie, activités bien identifiées à Kibyra, ce qui lui aurait permis de disposer d’un stock monétaire. Après tout, sa cité ne devait-elle pas attendre qu’en bon évergète il prît à sa charge les frais liés à la fabrication de la statue et de la couronne ?
45On n’oubliera pas enfin le dossier extrêmement complet concernant une des plus riches familles de la cité probablement la plus opulente et la plus active (économiquement parlant) de Phrygie, Apamée, celle des Tiberii Claudii, dont l’activité évergétique très importante est connue par quatre inscriptions réparties sur une période allant de 128 aux environs de 160 après J.‑C.109.
46Ces riches détenteurs du sol d’origine iranienne étaient des descendants de « seigneurs de premier rang » ou bien alors de simples « seigneurs » qui avaient su faire prospérer leurs affaires. Il est à peu près certain qu’ils avaient su opérer des regroupements de terres, dont la rente leur fournissait un capital et des intérêts particulièrement importants. De plus, il est possible qu’ils aient réinvesti une part de ceux-ci dans certaines activités « préindustrielles » : en effet, le soin de la gravure de l’inscription E‑APAM‑1c fut confié « aux artisans de la rue des Cordonniers », ce qui constitue peut-être un indice d’une implication dans le travail du cuir, grâce auquel ils pouvaient ajouter une plus-value aux peaux de leurs troupeaux de moutons. Cette activité économique des descendants de colons iraniens à Apamée peut être comparée avec celle des Romains qui s’installèrent à Éphèse et dont l’histoire a été étudiée par F. Kirbihler110. Entre la fin de l’époque hellénistique et le ier siècle après J.‑C., le grand port égéen vit s’enraciner un nombre important d’Italiens qui jouèrent un rôle fondamental dans l’activité économique de la région. Cette réussite se traduisit, comme à Apamée pour les Iraniens, par une intégration réussie des Romains dans le corps et les structures civiques, par exemple les tribus et les chyliasties. Grâce à leur fortune, ils purent multiplier les actes d’évergésie. Leur communauté ne resta pas pour autant fermée : les plus puissantes parmi les familles locales se romanisèrent et acquirent, dans le cadre d’une intégration croisée, la citoyenneté.
47Tous ces exemples, quels que soient les degrés de fortune des uns et des autres, ont l’intérêt de montrer qu’un certain nombre de descendants de ceux que nous pensons être des colons perses étaient encore à la tête de possessions foncières conséquentes, voire très importantes, sous le Haut-Empire. Et encore faut-il bien se souvenir que seule une partie de la documentation les concernant a survécu au naufrage de la culture antique. Il est de fait infiniment regrettable que la parcellisation et la relative rareté de l’information empêchent de répondre à quelques questions qui amèneraient un éclairage bienvenu sur la manière dont ces élites d’origine iranienne ont pu maintenir leur rang plusieurs siècles après la disparition de l’État achéménide. Ainsi, il est impossible de dire quelle fut la proportion, parmi les descendants de colons perses, de ceux qui parvinrent à demeurer au premier rang social et économique. Autre interrogation : ces notables se situaient-ils dans la droite continuité des « seigneurs de premier rang » et des « seigneurs » mentionnés plus haut, ou bien la conquête macédonienne avait-elle fait bouger les limites au sein de la communauté en promouvant par exemple des personnes issues du personnel militaire « de base », leurs supérieurs ayant été éliminés ? Demeure également la question insoluble de celles et de ceux qui, par mariages ou par choix personnels, laissèrent de côté l’onomastique iranienne pour adopter des noms gréco-macédoniens ou latins : il est probable qu’en raison de cela, une partie des descendants des colons iraniens échappera toujours à l’attention des chercheurs. Il convient enfin de prendre garde au problème tout aussi complexe des anthroponymes portés par des affranchis ou des descendants d’affranchis à qui leurs maîtres ou anciens propriétaires auraient pu donner des noms comme « Persikos ». Seule la critique interne du document, quand elle est possible, permet de proposer une solution valable ; malheureusement, il n’en va pas toujours ainsi, et l’on doit admettre alors que l’on reste souvent dans le domaine de l’hypothèse111.
L’ère gréco-macédonienne : phrouria, katoikiai et colonies
48Si le passage d’Alexandre dans l’espace phrygien n’entraîna que peu de bouleversements, il en alla tout autrement durant les décennies suivantes avec les guerres qui opposèrent les Diadoques pour le contrôle de la région. Outre les déprédations qu’elles provoquèrent, elles induisirent un nouveau problème en ce qui concerne la maîtrise de la terre. En effet, les concurrents en lice et leurs successeurs installèrent sur place, on l’a vu dans le premier chapitre, de nombreux colons qui devaient les aider à assurer leur mainmise sur la Phrygie. Or, non seulement il fallut leur trouver des terres, mais, qui plus est, ils n’étaient pas les premiers sur place, les Iraniens les ayant précédés. Le problème de cette phase de transition, c’est-à-dire de passage d’un pouvoir militaire à un autre, est particulièrement intéressant à aborder, à condition de disposer d’assez de documents pour ce faire et pour éventuellement effectuer des comparaisons avec ce qui se passa au moment où les Romains remplacèrent les Gréco-Macédoniens.
49L’autre point d’interrogation concerne la façon dont ces derniers contrôlèrent les populations indigènes et mirent en valeur le plat pays. On a l’impression (mais peut-être est-elle fausse, due à l’état de la documentation préservée), que ces Européens étaient plus nombreux que les Iraniens qui les avaient précédés. Cela eut-il des répercussions sur leur façon de faire ? Plus généralement, se contentèrent-ils de reproduire le système achéménide ou bien importèrent-ils de nouvelles manières de procéder ? C’est à cet ensemble de questions que les lignes qui suivent vont s’efforcer de répondre112.
Le problème de la transition entre périodes achéménide et hellénistique
50Avant d’étudier les différentes solutions qu’utilisèrent les monarques hellénistiques pour installer leurs hommes sur le territoire phrygien, il convient de s’interroger sur la manière dont s’opéra la transition avec la période achéménide. Autrement dit, leur installation se fit-elle uniquement par le truchement de la force ou bien assista-t-on à la mise en place d’un dialogue entre eux et les anciens maîtres du sol perses ou phrygiens (car il ne faut pas oublier qu’un certain nombre de ces derniers survécurent à l’installation achéménide) ? Les solutions furent multiples et si certains eurent à souffrir de l’arrivée de ces populations européennes, ce furent d’abord les paysans indigènes.
51Le premier problème qui se présente au chercheur étudiant ces années charnières allant de la brusque irruption des armées d’Alexandre aux chocs entre celles des Diadoques en quête du pouvoir suprême est celle du devenir des populations iraniennes installées en Phrygie et notamment de celui des « seigneurs » évoqués plus haut. N. Sekunda113 pensait que très peu de Perses étaient restés sur place à la suite de la contre-offensive achéménide dans la région qui précéda Issos, car nombre d’entre eux étaient alors passés pour des traîtres. On est donc en droit de supposer, si l’on suit cette thèse, que beaucoup auraient été purement et simplement éliminés et que les autres auraient fui vers des terres échappant à la mainmise macédonienne. La situation aurait été aggravée par la suite par les ravages des troupes d’Eumène114 et d’Antigone lors de leur passage en Phrygie. Cette vision, même si elle n’est probablement pas entièrement fausse, mérite cependant d’être nuancée, en particulier grâce aux enseignements tirés de l’étude d’une inscription fort connue provenant de la cité carienne d’Amyzon. Ce texte est très précoce, puisque datant de 321‑320 avant J.‑C.115. Bagadatès et son fils Ariaramnès, deux Perses, sont dits y avoir reçu la citoyenneté à la suite d’un oracle de la Pythie. Le père devint le néocore de la déesse. Sous Antiochos III, le néocore était un autre Ariaramnès, appartenant à la même famille116. Les premiers nommés paraissent avoir entretenu les meilleures relations avec les représentants du pouvoir macédonien et il y a fort à parier que cet exemple carien puisse fort bien s’étendre à la Phrygie.
52Plus que de « mélange de populations », comme l’écrivaient J. et L. Robert, il apparaît qu’il vaut mieux parler de « mélange des élites ». Car enfin, à Amyzon, on ne voit agir que des notables : le riche Bagadatès et son fils Ariaramnès possédaient là des domaines et c’est le satrape macédonien lui-même qui, par le biais d’un oracle pythien, imposa l’introduction dans le corps civique des deux hommes. Il s’agissait là, dans la droite ligne de ce qui fut peut-être la volonté d’Alexandre, d’obtenir une fusion entre les élites perses et gréco-macédoniennes ; rien ne vient prouver notre hypothèse, mais il est fort possible également qu’il ait été sensible, comme le furent certainement aussi les magistrats d’Amyzon, au charme des dariques que devaient posséder en masse les deux Perses. En d’autres termes, appartenir à une même élite sociale facilitait les contacts entre Iraniens et nouveaux arrivants. À cet égard, il ne faut pas perdre de vue que les Gréco-Macédoniens se présentaient avec une surreprésentation masculine et que le choix d’épouses perses dut souvent s’imposer. Après tout, Séleukos Ier demeura fidèle à sa femme Apamée en l’honneur de laquelle il fonda Apamée sur l’Oronte. À un degré de puissance moindre, des calculs durent rapidement s’effectuer pour estimer les avantages qu’il y avait à unir au sein d’un même couple des terres anciennement possédées et d’autres qui venaient d’être distribuées. Si cela était possible, l’étude de ces stratégies matrimoniales et de leurs résultats serait particulièrement intéressante. D’après Justin117, s’exprimant de façon maladroite puisque mêlant des éléments grecs à d’autres romains (le camp, les lares) et reprenant une partie de la tradition antique, ces mariages mixtes, voulus par Alexandre, aboutirent de fait à la colonisation militaire de l’Asie Mineure : le Conquérant aurait en effet incité ses hommes à épouser leurs prisonnières afin que ceux-ci soient moins tentés par un retour vers leur pays natal ; il aurait aussi espéré, grâce aux naissances à venir, pouvoir remplacer ses vétérans par leurs enfants, une fois ceux-ci parvenus à l’âge adulte, ce qui aurait évité de saigner démographiquement la Macédoine. Justin affirme que cette politique nataliste fut continuée par ses successeurs : ces derniers auraient soldé les pères au prorata de l’importance de leur progéniture, celle-ci étant nourrie, entraînée et équipée par l’État.
53De ces exemples malheureusement trop peu nombreux, l’impression qui se dégage est celle d’une transition qui s’opéra dans une relative douceur. Après tout, les uns et les autres y avaient intérêt. Sans revenir sur le problème des femmes qui vient d’être évoqué, les Gréco-Macédoniens se devaient d’entretenir de bonnes relations avec les Perses demeurés sur place qui connaissaient bien le pays et ses habitants. En sens inverse, ces derniers, en s’insinuant dans le groupe des vainqueurs, garantissaient leur position sociale et économique.
54Se pose néanmoins la question de savoir si les modalités d’attribution des dôréai s’inspirèrent de modèles purement macédoniens ou d’un mélange de ceux-ci avec des pratiques achéménides. Dans une longue analyse bibliographique, P. Briant a démontré la tendance récente à ce qu’il nomme une volonté de « réeuropéaniser » ou de « remacédoniser » ce problème118. S’appuyant sur l’exemple bien connu de Mnésimachos119, un officier au service d’Antigone le Borgne, il a pu prouver de façon convaincante que le document le concernant, particulièrement pour ce qui concerne la théorie et la pratique du don, s’inscrit tout à fait dans la tradition perse et que rien ne vient démontrer que le passage à l’ère des Diadoques ait entraîné de quelconques modifications dans la structure et le fonctionnement des dôréai. P. Briant retourne même de façon habile les arguments de ses adversaires en proposant une adoption par les Macédoniens, et ce dès avant la conquête, d’un système qu’ils pouvaient voir fonctionner dans une Asie Mineure toute proche.
Faire face aux anciens possesseurs et aux éventuels envahisseurs : les formes de contrôle et de défense du territoire
55Ces remarques liminaires faites, il faut à présent s’intéresser aux différents modèles d’emprise territoriale rencontrés à l’époque hellénistique. Les Gréco-Macédoniens possédaient depuis la vague de colonisation de l’époque archaïque une pratique de la domination d’un espace et de ses habitants. Le problème est que cette lointaine période n’a bien souvent laissé que des bribes d’informations, qui plus est concernant des régions très éloignées de la Phrygie, telles l’Italie du Sud, la Sicile ou le pourtour de la mer Noire. Plutôt que de se risquer à un jeu de comparaisons dangereux, mieux vaut tenter de cerner quelle fut la réalité phrygienne, quitte à avouer, si nécessaire, quelles sont les lacunes dans nos informations.
56Dans l’espace phrygien comme ailleurs en Asie Mineure et au Proche-Orient, là où s’étaient établis les pouvoirs royaux nés de la conquête d’Alexandre, les souverains créèrent des établissements dont la plupart avaient une vocation militaire et dans lesquels ils établirent des colons. Pour ce faire, ils pouvaient concéder à ceux-ci une partie plus ou moins importante de la terre royale qui leur appartenait en vertu du « droit de la lance ». Il a beaucoup été glosé à propos de la nature de la chôra basilikè. La thèse classique, celle de M. Rostovcev120, était partisane d’une continuité entre époque achéménide et époque hellénistique : le monarque aurait été propriétaire de la totalité du sol, à l’exception de ce qu’il avait bien voulu concéder aux cités et aux temples, et aurait donc pu agir selon son libre choix. H. Kreissig121, s’inspirant à la fois de M. Rostovzev et le critiquant également, en particulier sur des problèmes méthodologiques, estimait que dans la partie de l’Anatolie aux mains des Séleucides coexistaient deux ensembles : en premier lieu, la terre royale, dont ils conservaient la pleine et entière propriété, même s’ils pouvaient la céder de façon précaire sous forme de dôréai, c’est-à-dire de grands domaines confiés à des proches ; en second lieu, la terre donnée, que ce soit aux sanctuaires, aux cités, aux dynastes, à des amis ou à des membres de la famille, terre pour laquelle ils abandonnaient la propriété du sol, même s’ils conservaient le droit de lever les impôts. Si les chercheurs continuent à s’accorder sur la continuité entre les époques achéménide et hellénistique122, certains travaux123 proposent de voir dans la terre royale à l’époque perse l’ensemble du royaume, mais pour l’époque hellénistique, ils restreignent les territoires tenus « en direct » par le monarque attalide ou séleucide à ceux administrés par ses fonctionnaires qui y levaient les taxes et y organisaient éventuellement l’exploitation agricole124, un peu à la façon du domaine royal de la France médiévale et moderne. C’est à cette épineuse question concernant la nature de la tagè, dont le sens premier est « commandement », que R. Descat a tenté de répondre en revenant à l’Économique du Pseudo-Aristote, en particulier au livre II qui décrit une situation postérieure à la mort d’Alexandre125. Il rappelle que si la perception du prélèvement revenait indubitablement au satrape, le texte grec précise126 : περὶ δὲ τὰ ἐξαγώγιμα καὶ εἰσαγώγιμα πότε καὶ τίνα παρὰ τῶν σατραπῶν ἐν τῇ ταγῇ.
57R. Descat estime que le mot tagè, contrairement à ce qu’il avait lui-même longtemps soutenu, ne désignait pas « la “part royale” de la production, l’équivalent de “terre de la couronne” ». Selon lui, il s’agissait en fait d’une unité de réception des revenus (en tè tagè) et non pas d’une structure de prélèvement, qui aurait alors été désignée par l’expression ek tès tagès. À l’époque séleucide, la tagè, alimentée par des prélèvements divers, est à rapprocher du basilikon et non pas de la chôra basilikè. Quant aux « entrées et sorties », elles concernent l’ensemble des revenus du roi et pas seulement ce qui provenait des « biens privés de la tagè ». Comme on peut le voir, il convient de rester très prudent à propos de ces problèmes, prudence accrue par le fait qu’il est peu probable qu’une situation identique dans le rapport entre le monarque et les communautés rurales, aussi bien au niveau de la nature de la terre que du prélèvement, ait existé au sein des États qui se succédèrent dans l’espace phrygien après la conquête macédonienne.
58De toute manière, cela ne devait pas changer grand-chose au sort de la paysannerie. Les sources épigraphiques et littéraires attestent, on l’a dit, l’importance du nombre de villages et elles fournissent en outre quelques indices, pas forcément aisément décryptables d’ailleurs, concernant l’organisation de ceux-ci et leurs rapports avec les autorités. Les rois attalides ou séleucides (sans parler des dynastes qui s’étaient attribué de leur propre autorité certains cantons de Phrygie), à partir de cette base humaine et foncière, installèrent colonies, katoikiai et phrouria127, selon un système hiérarchiquement conçu dès le départ.
59Au premier niveau se trouvaient les simples forteresses, les phrouria, situées en des points névralgiques, abritant une garnison de soldats royaux dont le nombre ne devait pas dépasser quelques dizaines d’individus dans la plupart des cas. En dehors du terrain consacré à la construction des bâtiments et peut-être de quelques annexes autour de ces derniers, l’emprise foncière était assez limitée. Il n’en était pas de même avec les katoikiai. Si à l’origine le mot signifiait en grec le « lieu d’habitation » et, par extension, la ferme ou la maison de campagne, il avait fini par désigner un établissement colonial au sein duquel étaient installés des colons. Ces derniers recevaient de la terre royale et des paysans pour la cultiver, à charge pour eux de répondre aux ordres de mobilisation du roi quand celui-ci l’exigeait. Ces hommes participaient aussi à la sécurisation des campagnes. Enfin, au dernier niveau de la mainmise gréco-macédonienne, se situaient les cités coloniales, les poleis, dont l’assise économique était elle aussi basée sur l’attribution à leurs habitants de vastes territoires peuplés de travailleurs phrygiens, habitants dont on n’est pas certain d’ailleurs qu’ils aient été également astreints à un service militaire.
60Les phrouria étaient donc des postes fortifiés établis dans les points clés, servant à contrôler les accès et les routes principales. Comme on pourra le constater ci-après, on en trouvait à la fois dans les villes et les campagnes, isolées ou quelquefois en contact direct avec la population. Le phrourion doit être perçu comme une réalité spatiale et militaire et non comme une implantation ou un établissement à proprement parler. Cela tient au statut de la terre puisque tout laisse penser qu’une garnison ne recevait pas, au moment de son installation, une concession foncière lui permettant d’assurer ses besoins et rien ne prouve que les garnisaires aient eu un droit reconnu de « prélèvement » sur les laoi alentour, même s’il est loin d’être exclu qu’ils aient pu se livrer à des abus. Eux-mêmes, leur relève et leur entretien étaient gérés par l’officier royal le plus proche qui devait avoir accès aux entrepôts royaux128, comme on le voit dans les garnisons antigonides de Grèce continentale. Le lien de la garnison avec le pays était d’abord topographique : elle était installée sur le territoire d’une cité (dans la chôra ou même quelquefois dans la ville même, avec un droit de logement chez l’habitant) ou bien au voisinage d’une katoikia (c’était peut-être le cas des soldats postés dans le district d’Ériza, près des deux katoikiai de Moxoupolis et de Krithinè129), voire peut-être quelquefois en pleine terre royale. Pour résumer, une garnison pouvait générer une solidarité passagère entre ses membres qui rédigeaient des décrets ou des dédicaces, mais elle n’avait pas de personnalité ou d’identité collective durable : il ne s’agissait pas d’une communauté humaine « implantée » à un endroit, vouée à se reproduire et à persister.
61Sur le plan archéologique, quatre forteresses130 ont pu être identifiées. La plus modeste se trouvait sur le territoire de Kotiaéion, plus précisément sur la colline de Seyitömer, à 26 km au nord de la ville131. Le site avait déjà été occupé à l’époque perse132, protégé par une enceinte de deux à trois mètres d’épaisseur épaulée par quatre tours. Cet ensemble fut amélioré au cours du ive siècle, avec notamment le renforcement de la tour sud. Avec l’arrivée des Gréco-Macédoniens, un nouveau mur fut bâti, appuyé sur des bastions, le tout entourant un petit hameau de trois maisons. La garnison ne pouvait guère dépasser en période de paix dix à quinze individus. Il est vraisemblable que ces soldats étaient nourris, en plus du salaire qu’ils percevaient, par des prélèvements que les autorités devaient effectuer, à la mode achéménide, sur les paysans du voisinage, c’est-à-dire qu’une part des récoltes était stockée et donnée aux militaires qui étaient censés, en contrepartie, protéger les agriculteurs. Si ceci se confirmait, on peut émettre l’hypothèse que cela ne contribuait pas à améliorer les relations entre Phrygiens et militaires, d’autant qu’il paraît légitime de supposer que ces derniers ne se gênaient pas toujours pour exiger plus que ce qui leur était dû.
62Le deuxième exemple, purement hellénistique cette fois, est celui de la forteresse bâtie sur une terrasse au-dessus d’Euménéia, au flanc est du Sarıbaba, dans une position qui commandait la vallée du Clydros et permettait d’observer au loin le cours du Méandre133. Il ne s’agissait pas là d’un fortin, comme à Seyitömer, mais d’une construction beaucoup plus ambitieuse qui utilisait pour se protéger à la fois le relief et des murs en appareil rectangulaire ou trapézoïdal134. Le nombre d’habitations était par conséquent plus important et il est possible qu’un des bâtiments de forme rectangulaire ait servi de temple. La garnison était plus nombreuse qu’à Seyitömer. Mais comme rien n’est jamais aussi simple qu’il n’y paraît à première vue, il est difficile de dire qui en faisait partie. En effet, en l’état actuel de la recherche, il est impossible de dire si la forteresse fut bâtie avant la construction de la cité d’Euménéia ou en même temps. Dans le premier cas, on se trouverait devant une situation identique à celle de Seyitömer, avec un prélèvement encore plus fort sur les paysans phrygiens des alentours, dans la mesure où la garnison devait compter quelques dizaines de membres, ce qui devait peut-être accroître les frictions. Dans le deuxième cas, celui d’une érection concomitante des deux ensembles, comment savoir si les hommes de garde étaient des mercenaires rétribués directement par les autorités attalides ou des colons d’Euménéia qui devaient exercer ce service ou bien encore un mélange des deux ?
63Autre exemple de construction d’époque hellénistique, celui de la forteresse de Kale Tepesi135, sur le site de l’ancienne Tyriaion, avec ses murs de sept mètres de hauteur, ses tours et son bastion contrôlant la route menant aux portes de Cilicie et les implantations agricoles phrygiennes l’entourant. Il est possible que les relations de la garnison gréco-macédonienne et galate, probablement installée par les Séleucides, avec les ruraux n’aient pas été plus aisées qu’à Euménéia.
64Le dernier exemple de fortification est constitué par Blaundos. Mais on se situe ici à un niveau intermédiaire, en tout cas très différent de celui des trois exemples précédents, dans la mesure où ce fut une véritable ville qui fut bâtie sur un site défensif exceptionnel, protégé de tous côtés par un à-pic surplombant l’Hippourios et au nord par un puissant mur. Les fouilles des équipes d’A. Filges136 ont montré qu’on se trouvait en présence d’une agglomération dotée d’un plan grosso modo hippodamien sur une superficie totale de 4 à 5 ha. Il est hors de question qu’une telle surface, avec des aménagements urbains, ait pu être conçue pour une simple garnison. En effet, le théâtre pouvait accueillir 1 500 personnes137, ce qui, d’après P. Thonemann138, représentait une population totale de 5 000 individus, à 75 % ruraux. Il est tout à fait envisageable qu’un certain nombre d’habitants aient été des soldats chargés de surveiller la frontière stratégique entre la Lydie et la Phrygie et rémunérés comme tels. Mais le reste de la population était constitué de colons travaillant directement ou par le biais de dépendants phrygiens les lots qui leur avaient été attribués. On retrouve ici la notion d’agroville évoquée plus haut à propos de Traianopolis. Dans le cas de Blaundos plus que dans ceux de Seyitömer, de Kale Tepesi et de Sarıbaba, aux dimensions plus restreintes, il est possible que la fortification ait été ouverte aux paysans locaux afin qu’ils puissent s’y réfugier en cas d’attaque.
65Au niveau supérieur dans le contrôle territorial se situaient les katoikiai. L’étude de ces dernières est essentielle dans ce travail dans la mesure où leur identité militaire est parfaitement établie. La première difficulté les concernant, et qui n’est pas la moindre, est celle de leur identification139. En effet, les documents retrouvés en Phrygie utilisent très rarement le mot katoikia. Seule une brève dédicace gravée à Sébasté en 126‑127 après J.‑C. en fait usage. Mais quel sens donner à ce mot à une date aussi tardive ? Faut-il y voir chez les commanditaires la réminiscence d’une situation antérieure de plusieurs siècles ? Cela paraît peu probable et, pour le coup, il conviendrait plutôt d’incliner vers le sens général de « communauté », sans caractère militaire spécifique.
66À la différence des phrouria, les katoikiai furent dès le départ installées et même attachées durablement à un endroit précis par le geste fondateur de la concession foncière140 ; elles étaient souvent identifiées par une origine ou un pseudo-ethnique collectif. Elles s’enracinaient dans un paysage, au point de tisser des liens forts avec les villages indigènes qui dépendaient d’elles ou ceux voisins qui continuaient d’appartenir à la terre royale141. La traduction même du mot katoikia pose des difficultés depuis longtemps : la solution la plus neutre, « établissement », manque de clarté ; il n’est pas maladroit de parler à leur propos de « colonies » (et donc ne pas réserver ce terme aux cités), car on a bien affaire à un groupe d’hommes ou de familles déplacé et établi sur une terre concédée d’où il tirait des revenus issus du labeur des laoi. La locution « colonie militaire » est aussi acceptable si l’on comprend bien qu’une katoikia n’est pas une garnison en armes, mais un groupe humain voué à fournir des hommes pour le service du roi et lié à la maison royale par une sorte de pacte fondateur. Ce groupe était conscient et fier de son origine ; il avait sa propre organisation, même s’il ne s’agissait pas de celle propre à une cité. Cette organisation proto-politique apparaît dans la capacité de ces « établissements » à adresser une requête aux autorités comme à Tyriaion ou à Apollonioucharax142. De plus, ceux de ses membres qui étaient Macédoniens venaient d’un pays entièrement divisé en cités depuis l’époque de Philippe II : autrement dit, ils arrivaient en Asie Mineure avec une culture civique qui ne demandait qu’à refleurir. De fait, plusieurs de ces katoikiai évoluèrent au fil du iiie siècle, aspirant à devenir des cités et en obtenant le privilège à tel ou tel moment, soit déjà sous les Séleucides (mais il n’y a pas d’exemple probant), soit sous les Attalides dans le cas de Tyriaion, mais qui ne doit pas être le seul, soit de façon spontanée dans la période plus obscure entre 133 et 31 avant J.‑C., voire plus tard encore143.
67Combien étaient ces établissements ? Une des solutions utilisables pour résoudre ce problème est purement mathématique : parmi les vingt-neuf communautés de Phrygie144 pour lesquelles une présence gréco-macédonienne découlant d’un certain nombre d’indices révélateurs (anthroponymie « royale », utilisation du calendrier macédonien, cultes particuliers, revendications identitaires, etc.) a été considérée comme prouvée, huit ne sont pas des katoikiai puisque l’information disponible, qu’elle soit littéraire ou épigraphique, en fait de manière certaine des colonies145 : il s’agit d’Antioche de Phrygie-Pisidie, d’Apamée, d’Apollonia, de Dionysopolis, d’Euménéia, de Laodicée du Lykos, de Peltai et de Synnada146. Restent donc vingt-et-une communautés qui pourraient être des katoikiai. Il convient à nouveau de rester très prudent et de croiser les informations.
68Si l’on prend le cas de Blaundos étudié plus haut, le fait qu’une série de frappes monétaires allant de l’époque de Vespasien à l’ère antonine147 y affirme une ascendance macédonienne est intéressant dans la mesure où la précocité de certaines émissions, ajoutée au fait qu’une telle revendication n’aurait pas été d’un grand secours pour intégrer le Panhellénion, fait pencher pour un réel apport de soldats venus d’Europe. En quel nombre ? Cela est impossible à dire : la surface de la cité, mentionnée plus haut, ne doit pas induire en erreur. Il est fort probable qu’une partie de celle-ci ne fut jamais bâtie, ce qui obère d’ailleurs quelque peu les calculs de P. Thonemann qui tablait sur une population totale de 5 000 individus148. Des frappes revendiquant cette même ascendance macédonienne ont été émises à Dokiméion, mais pas avant le règne d’Antonin149, ce qui est beaucoup moins probant qu’à Blaundos. Le culte de la Tauropole, la grande déesse d’Amphipolis, protectrice du serment, dévotion fortement ancrée parmi les soldats macédoniens, qui est avéré à Métropolis150, celui de Séleukos Ier Nikator à Tymandos151, qui pourrait y avoir installé des colons, enfin celui d’Apollon Archégète, patron des entreprises de colonisation et de la dynastie séleucide à Hiérapolis152, militent tous pour une présence militaire sur place et donc l’installation de katoikiai. À Thémisonion, c’est la précocité de l’inscription E‑THEN‑2, de 115 ou 114 avant J.‑C., détaillant de façon précise les institutions de la communauté (boulè, démos, gymnase, concours gymniques, magistratures diverses), qui va dans le même sens. Il aurait été bon de posséder des sources mentionnant explicitement la chose militaire : hélas, une telle pratique n’a pas été fréquente. À Eukarpia fort heureusement, une épitaphe de la fin du iie siècle après J.‑C.153 et une dédicace postérieure à 212 après J.‑C.154 sont, elles, parfaitement claires. Les deux hommes dont il est fait mention y sont qualifiés de clérouques, ce qui signifie que leurs ancêtres avaient reçu des lots de terre contre un service militaire ; les deux également sont appelés triacontarques. L’explication de ce mot est moins évidente : il semble qu’il puisse s’agir à l’origine d’un grade, celui d’un officier qui aurait commandé trente kléroi, avant qu’il finisse par désigner une magistrature civile. Les choses paraissent tout aussi intéressantes pour la zone d’Ériza, de Moxoupolis et de Khritinè155 : des phylakites, c’est-à-dire des fantassins légers, y étaient positionnés, de même que des κατοικοῦντες, qui peuvent avoir été des fantassins lourds et/ou des cavaliers, et ce dès le iiie ou le iie siècle avant J.‑C.
69Pour ce qui est des autres localités, il est nécessaire de demeurer prudent ; tous les Gréco-Macédoniens qui y étaient installés n’étaient pas forcément des soldats. Cela étant, ils pouvaient néanmoins avoir reçu un lot de terre de la part des autorités royales. D’autre part, il serait dangereux de faire mécaniquement des plus petites unités repérées des katoikiai et des plus importantes des colonies : à titre d’exemple, Hiérapolis n’avait rien à envier en termes de taille à Peltai. Il n’en demeure pas moins qu’il est impossible de fournir une évaluation chiffrée du nombre d’habitants de chaque katoikia ; cependant, en avançant un chiffre de départ de quelques dizaines d’individus à chaque fois, on risque de ne pas être trop éloigné de la réalité. La véritable opposition avec les colonies ne résidait pas là mais dans le statut beaucoup plus prestigieux de ces dernières, détentrices dès le départ d’institutions civiques. Avec toutes les précautions d’usage156, il est possible de présenter dans le tableau 16 et la carte 17 ci‑dessous ce qui ne se veut rien d’autre qu’une esquisse de la liste des katoikiai phrygiennes à l’époque hellénistique et de leur implantation :
Tabl. 16 – Les katoikiai phrygiennes à l’époque hellénistique : essai de reconstitution.
| Nom de la cité | Fondateur | Plus ancienne mention connue | Katoikia ou pas |
| Acmonéia | ? | Époque impériale romaine | Oui (Mènophilos, E‑ACMO‑2, se dit « Macédonien » ; présence de colons militaires juifs) |
| Aizanoi | Un roi séleucide | Entre 41 et 81 ap. J.‑C. | Oui (grande utilisation du calendrier macédonien ; nombreux anthroponymes dynastiques) |
| Appia | ? | Premier quart du iiie s. ap. J.‑C. | Probable (porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Blaundos | ? | 88 ap. J.‑C., avant avril | Oui (revendication macédonienne épigraphique et numismatique ; porteurs d’anthroponymes dynastiques ; utilisation du calendrier macédonien ; gros travaux urbanistiques et défensifs sur le site) |
| Dokiméion | Dokimos | Époque hellénistique ? | Oui (nombreux rappels de la fondation par Dokimos ; porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Doryléion | Un roi séleucide ? | ier-iie s. ap. J.‑C. (règne d’Hadrien ?) | Oui (très nombreux porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Ériza, Moxoupolis et Khritinè | ? | iiie-iie s. av. J.‑C. | Oui (présence de phylakites et de « colons ») |
| Eukarpia | Alexandre | Fin du iie s. ap. J.‑C. | Oui (revendication de la fondation par Alexandre ; présence de clérouques et de triacontarques) |
| Hiérapolis | Antiochos Ier ou Antiochos II | ier-iie s. ap. J.‑C. | Oui (culte d’Apollon Archégète ; noms des tribus ; revendication d’origines macédoniennes [E‑HIER‑13a‑c et 14] ; très nombreux porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Kadoi | ? | Probablement 112‑113 ap. J.‑C. | ? (importante utilisation du calendrier macédonien ; un seul porteur d’anthroponyme dynastique) |
| Kibyra | ? | 166 à 84 av. J.‑C. | Probable (monnaies précoces avec au revers un cavalier équipé à la macédonienne [N‑KIBY‑1‑43] ; utilisation du calendrier macédonien ; porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Kotiaéion | ? | Époque hellénistique pour le fortin de Seyitömer | Oui (occupation du fortin ; porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Métropolis | Un roi séleucide ? | ier s. av. ou ier s. ap. J.‑C. | Oui (culte de la Tauropole ; porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Motella | Un roi de Pergame | 108‑109 ap. J.‑C. | Oui (utilisation du calendrier macédonien ; porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Nakoléia | Un roi séleucide ? | iiie s. ap. J.‑C. | Oui (porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Philomélion | Philomélos ou Lysias | 150‑175 ap. J.‑C. | Probable (porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Sébasté | ? | ier s. av.-ier s. ap. J.‑C. | Probable (utilisation du calendrier macédonien ; porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Thémisonion | Thémisôn | 115 ou 114 av. J.‑C. | Oui (institutions civiques précoces ; utilisation du calendrier macédonien) |
| Traianopolis | ? | 119 ap. J.‑C. | ? (utilisation du calendrier macédonien ; un seul nom dynastique) |
| Tymandos | ? | ier-iie s. ap. J.‑C. | Oui (culte de Séleukos Nikator ; porteurs d’anthroponymes dynastiques) |
| Tyriaion | Un roi séleucide ? Poliadisation effectuée par Eumène II | Vers 188 av. J.‑C. | Oui (présence de la forteresse de Kale Tepesi ; la chose est expressément mentionnée dans la lettre d’Eumène II. Présence de Gréco-Macédoniens et de Galates) |
Carte 17 – Les katoikiai en Phrygie à l’époque hellénistique : essai de localisation.

70Il est évident que la plupart des témoignages concernant les katoikiai sont tardifs, souvent du iie, voire du iiie siècle après J.‑C.157 ; seuls des recoupements effectués avec d’autres éléments, épigraphiques, archéologiques ou numismatiques, permettent de se prononcer et encore ne peut-on échapper parfois à la simple probabilité (Appia, Kadoi, Kibyra, Philomélion, Sébasté, Traianopolis).
71Enfin, au troisième niveau de contrôle, se situaient les cités coloniales qui présentaient un modèle économique et politique établi dans la longue durée. Il y eut au départ une distinction nette entre, d’un côté, le semis de katoikiai et, de l’autre, des fondations plus ambitieuses : les « cités royales ». On peut les décrire comme des communautés humaines plus larges auxquelles le roi donnait une chôra, un politeuma, des lois (et donc une autonomie plus grande dans le cadre de son « alliance ») et pour lesquelles il jouait le rôle de héros fondateur. Leur positionnement en des points stratégiques reprenait parfois un schéma d’installation plus ancien, d’époque achéménide par exemple. Ce fut le cas d’Apamée qui remplaça Kélainai. De plus, en ce qui concerne les Attalides en tout cas, la taxation des villages par les cités selon le modèle observable alors le long du littoral égéen devait apparaître bien plus efficace que celle effectuée directement par les autorités royales, ce qui les aurait amenés à se lancer dans une politique ambitieuse de créations ex nihilo ou d’accord du statut civique à certaines katoikiai158. L’existence de ces poleis, auxquelles était dévolue une bonne partie de la fiscalité, renforçait ce que M. Mann nomme « infrastructural power »159, qui permet à l’État de pénétrer profondément dans les sociétés et de faire appliquer plus efficacement ses décisions dans les périphéries. Cette politique attalide eut pour corollaire un accroissement de la pression fiscale sur les communautés rurales phrygiennes qui venait compenser la perte de revenus occasionnée pour la monarchie par le fait que les poleis jouissaient d’exemptions fiscales bien plus importantes que les simples katoikiai160. Ces créations de cités coloniales étaient en outre à forte valeur propagandiste, les Séleucides leur attribuant ainsi systématiquement des noms dynastiques. Le nombre d’habitants installés, les travaux d’urbanisme entrepris et l’importance des terres attribuées étaient bien entendu d’un tout autre niveau que ce qui pouvait se faire pour une simple katoikia. Aux yeux des habitants de ces dernières, ces colonies représentaient un idéal à atteindre, ne serait-ce que pour profiter de leur prestige et de l’autonomie, toujours révocables certes, que voulaient bien leur accorder les monarques161. Reste à savoir si l’augmentation du nombre de poleis s’accompagna mathématiquement d’une hausse du nombre des katoikiai. Il est intéressant de noter qu’à partir des années 160‑150 avant J.‑C., qui correspondent à une vaste politique de poliadisation menée par les Attalides, on assiste à une nette augmentation des monuments honorifiques élevés par des katoikoi macédoniens ou mysiens en Lydie orientale et septentrionale en faveur d’officiers royaux ou de membres de leur propre communauté. D’après P. Thonemann162, qui a attiré l’attention sur cet état de fait, il ne s’agit probablement pas là d’une coïncidence et le développement des deux types de structures devait être étroitement mêlé.
72En installant ces colons militaires et ces garnisons, le premier enjeu pour les pouvoirs royaux était clairement de contrôler au mieux l’espace phrygien face à toute révolte venue de l’intérieur et de le protéger contre une agression extérieure. La chose était d’importance pour un royaume comme celui des Attalides qui était passé d’une superficie d’environ 1 000 km2 à l’origine, soit celle du territoire civique de Corinthe, à 80 000 km2, soit la taille de l’Irlande, à la suite du traité d’Apamée163. Le second enjeu était aussi de regrouper tous ces soldats allogènes, qui constituaient l’épine dorsale de ces nouveaux États, autour de la personne charismatique du souverain dans le cadre d’une démarche de contrôle régional164. Tant que ces monarchies demeurèrent fortes, ce programme s’appliqua certainement sans trop de problèmes. En revanche, dès que survinrent des crises dynastiques ou des signes d’affaiblissement du pouvoir central, alors put-on assister au développement de forces centrifuges, qui sont au demeurant toujours en germes dans ce type de système politique dont le bon fonctionnement est lié à la force du pouvoir suprême. On se trouva alors face à un processus de morcellement du territoire, chaque détenteur d’une dôréa, quelle que soit son importance, ayant de plus en plus tendance à considérer celle-ci comme un bien privé, exempt de charges militaires.
73Il est intéressant de comparer cela avec l’évolution tout à fait semblable que connut à l’époque la Babylonie. La chance a voulu qu’un document particulièrement éclairant ait été préservé : il s’agit d’un procès-verbal des délibérations du kiništu de Babylone, datant de 236 avant J.‑C.165. À l’origine, Antiochos II avait donné à sa femme Laodice et à ses fils des terres situées le long de l’Euphrate avec l’ensemble des revenus que celles-ci pouvaient dégager166. La reine avait par la suite cédé ses biens aux habitants de Babylone, de Cuthea et de Borsippa en prévoyant que la dîme prélevée sur les récoltes serait consacrée à l’entretien des principaux temples de ces villes. Le šatammu chercha à obtenir d’autres exemptions fiscales, que le roi Séleukos II lui accorda en même temps que de nouvelles terres dont on sait qu’elles portaient des céréales aussi bien que des palmiers dattiers. Le kiništu fit ériger une stèle pour remercier le roi et sa famille, tout en y faisant graver le caractère inaliénable de ce don. Trois éléments importants sont à retirer de l’étude de ce texte. Le premier d’entre eux concerne la nature des terres cédées par Antiochos II : nommées bīt ramānišu (« sa maison »), elles appartenaient directement au souverain et étaient gérées par l’administration royale. Le deuxième élément, appuyé sur les conclusions des travaux de M. Stolper167, semble montrer que les domaines de la famille royale étaient bien plus étendus avant la conquête d’Alexandre, cette diminution provenant probablement à l’époque séleucide du trop grand nombre de dons effectués. En théorie, ces terres une fois concédées étaient protégées contre toute confiscation arbitraire ; pour ce faire, elles étaient rattachées aux territoires civiques de Babylone, de Cuthea et de Borsippa, ce qui montre une communauté de pratiques avec des situations connues en Asie Mineure, dans le cas d’Aristodikidès par exemple168. Le troisième élément, conséquence du précédent, va dans le sens d’un phénomène de privatisation de l’ancienne terre royale, selon un processus lent et graduel169. Il semble donc bien que les situations babyloniennes et phrygiennes, marquées par un amoindrissement continu de la mainmise royale sur la terre au bénéfice de propriétaires « privés », aient été identiques.
L’implantation des colons
74Le deuxième problème fondamental concernant l’histoire de ces implantations militaires est celui de la manière dont les terres, prises sur les biens royaux, furent distribuées. On aimerait posséder un texte retrouvé en Phrygie décrivant ce processus. Malheureusement, en l’état actuel des connaissances, il n’en existe pas. Il faut donc se tourner vers un exemple proche, en admettant que les choses durent se dérouler à l’identique dans l’espace phrygien.
Une réalité de terrain complexe
75La chance a permis de conserver, malheureusement sous une forme trop lacunaire, une lettre d’Eumène Ier de Pergame, datable des environs de 260 avant J.‑C., découverte sur trois fragments de marbre bleu gris dans le théâtre de la capitale attalide170. Le fragment A montre que des délégués des soldats (il est fait mention ici de cavaliers, mais il est fort probable qu’il y avait parmi eux aussi des fantassins) ont obtenu du roi un certain nombre d’avantages fiscaux concernant les terres qui leur avaient été remises. C.B. Welles comprenait le fragment B comme une possibilité donnée aux soldats d’acheter et de vendre les lots qui leur avaient été cédés171. Le texte est tellement lacunaire et la restauration du verbe « vendre » si aléatoire, qu’on peut tout aussi bien comprendre que c’est la production du kléros qui était exempte de taxes. C.B. Welles suggérait aussi que la présence de « Grecs » s’explique par l’intrusion de civils dans la colonie militaire qui auraient racheté à des soldats en difficulté financière des lots de terre. Pourquoi ne pas prendre ce nom propre plutôt comme un synonyme d’une spécialité militaire et voir là ces fameux fantassins dont on notait ci‑dessus l’absence, en y voyant par exemple des phalangites172 ? Il est en revanche probable que la dernière ligne du fragment C mentionne bien des basilikoi laoi, qui étaient sans doute un des éléments constitutifs de chaque kléros concédé. Il faut donc comprendre que les membres de cette katoikia, dont on ne connaît pas l’implantation, constituée de Grecs et de Macédoniens, obtinrent, en plus des terres et des paysans qui les travaillaient, des exemptions fiscales sur la vente de la production agricole et peut-être aussi sur les impôts calculés sur la valeur de la terre. En outre, ils recevaient le droit de construire une de ces fameuses tours qui parsemaient les campagnes d’Asie Mineure173, au sein de laquelle ils pouvaient se réfugier en cas d’attaque avec leurs dépendants, qui n’étaient cependant pas des esclaves-marchandises. Le fait que le mot soit utilisé au singulier laisse supposer à la fois que le bâtiment était d’une certaine envergure, mais également que le nombre de soldats et de paysans n’était pas non plus énorme.
76La possibilité de transposition de ce modèle (attribution de kléroi, exemptions fiscales) à la Phrygie est rendue tout à fait possible grâce au fameux passage de Flavius Josèphe concernant l’implantation de Juifs babyloniens, qui paraît s’être déroulée de façon quasi identique174. À la suite de mouvements séditieux ayant eu lieu en Phrygie et en Lydie, le roi ordonna à Zeuxis, son représentant sur place, d’y transférer deux mille familles dont la fidélité à l’égard de la dynastie était éprouvée. Les autorités séleucides prirent en main le voyage depuis le Proche-Orient, voyage « difficile » si l’on en croit le texte, probablement en raison de la distance et du train de charrois qu’il fallut organiser. Les choses ne devaient guère être plus aisées lorsqu’il s’agissait de colons venus d’Europe. Chaque famille reçut un kléros favorable à la céréaliculture et à la viticulture et dix années d’exemption fiscale sur sa production afin de faciliter la réussite de l’implantation. En attendant les premières récoltes, le roi s’occupait de nourrir les « serviteurs » par des distributions de blé. Ces dépendants pouvaient certes avoir accompagné leurs maîtres depuis la Mésopotamie, mais il y a fort à parier qu’il s’agissait pour beaucoup de basilikoi laoi donnés en même temps que les terres.
77Le processus décrit dans le corpus de Pergame et celui narré par Josèphe sont extrêmement proches : dans les deux cas, on a affaire à un don de kléroi, prélevés sur la terre royale pour le premier d’entre eux, avec présence sur ceux-ci de paysans pour les exploiter, et à une exemption de taxes diverses dues au trésor royal. En ce qui concerne l’exemple attalide, le voyage depuis l’Europe n’est pas mentionné, à la différence de celui depuis la Babylonie ; en revanche, la mention de plusieurs types d’officiers laisse supposer l’existence d’une hiérarchie chez les Macédoniens, qui devait d’ailleurs aussi exister chez les Juifs, avec, en conséquence, l’obtention par les stratèges et hipparques, ou par leurs homologues, de lots plus importants que ceux attribués aux simples troupiers. On notera enfin la possibilité accordée aux Macédoniens de bâtir une forteresse et pour les Juifs de vivre selon leur droit ancestral. On peut donc supposer que les installations de katoikiai (comme d’ailleurs de colonies) se déroulèrent vraisemblablement toujours à peu près de façon identique dans la mesure où il y allait de l’intérêt bien compris des deux parties : prise en charge du voyage par les autorités royales, distribution de lots de terres avec leurs laoi dans des zones fertiles, exemptions fiscales temporaires et aides en nourriture avant la première récolte. En contrepartie de tous ces avantages, un certain nombre d’entre les nouveaux venus étaient astreints à un service armé à la requête du roi.
78Il est fort probable que si certains katoikoi gréco-macédoniens se contentèrent d’exploiter leurs lots de terre avec l’aide des paysans phrygiens qui y étaient auparavant installés, on assista également, de la part des plus chanceux ou des mieux doués en agriculture, à des processus de concentration foncière qui finirent par en faire de véritables rentiers du sol175. La superficie de ces katoikiai ne saurait être déterminée avec précision : répétons-le, il fallait qu’elle soit suffisante pour y installer quelques dizaines de colons, parfois avec leur famille. Pour la paysannerie phrygienne, le contrôle de son activité productrice par les nouveaux venus fut certainement plus poussé, au moins dans les premiers temps, que lorsque la terre dépendait directement du roi et de fonctionnaires peu présents. Cela dut entraîner des tensions avec les nouveaux arrivants ; il en fut sans doute de même à propos des exemptions fiscales, dont ces derniers paraissent avoir été souvent bénéficiaires, qui entraînèrent, par un simple principe de vases communicants, une augmentation de la charge pesant sur leur voisinage.
79Mais l’installation de ces katoikiai n’allait pas toujours de soi et de nombreux problèmes pouvaient apparaître. Deux documents récents viennent en témoigner. Le premier est une inscription de Pessinonte relative à un hégémon au nom iranien, Aribazos176. Elle a été datée de façon convaincante par P. Thonemann de 183 avant J.‑C.177. L’officier en question avait servi d’abord les Séleucides avant de passer dans le camp attalide après le traité d’Apamée. Il est remarquable de noter que l’on a affaire ici à un des rares exemples de texte dans lequel un individu s’adresse directement à un membre d’une dynastie, en l’occurrence au futur Attale II. Aribazos commandait en premier lieu une katoikia installée sur le territoire d’Amorion et d’autre part des Galates positionnés à Kléonnaeion, précisant qu’il était « enregistré » avec eux. M. Ricl178 a montré que ces derniers avaient remplacé des mercenaires qui avaient été licenciés à la suite de troubles qui demeurent inconnus, troubles ayant entraîné l’absence d’avantages pour leurs officiers en raison de mesures punitives prises par les autorités royales. Aribazos possédait des kléroi dits de rang « hégémonique », probablement en raison de leur superficie et de leur qualité, et donc réservés aux officiers. Il est possible, car le texte manque de clarté, qu’il ait voulu signifier que ces derniers se situaient entre la région intérieure de Pessinonte et les districts situés « plus bas », c’est-à-dire plus à l’ouest, vers la Phrygie à proprement parler179. S’estimant lésé, Aribazos demandait à grimper dans la hiérarchie de l’armée attalide et à passer au rang de stratège, avec tous les privilèges inhérents, peut-être des exemptions fiscales180. Naturellement, il attendait d’Attale qu’il lui confirmât la possession des kléroi « hégémoniques ».
80Le premier enseignement à tirer de l’étude de ce texte est donc de constater qu’il existait – mais est-ce vraiment une surprise ? – des lots de terre de superficies différentes selon le grade du bénéficiaire. Dans le cadre d’un face-à-face avec un pouvoir royal fort, leur jouissance, de même que l’obtention des avantages probablement fiscaux qui allaient avec un grade supérieur, dépendait de la bonne volonté du monarque ou de son représentant. Il semble qu’ici Attale ait fait droit à la demande d’Aribazos, ne serait-ce que pour conforter l’établissement de sa dynastie dans une région depuis peu mise sous tutelle.
81L’autre grand intérêt de ce texte est de montrer d’où provenaient les terres attribuées à la communauté coloniale de Kléonnaeion. Dans un article lumineux, P. Thonemann181 a comparé une série de frappes de bronze de Pessinonte et une autre, portant la mention ΛΕΟΝΝΑΙΤΩΝ, dont l’attribution était longtemps demeurée énigmatique, toutes avec au droit, la tête d’une déesse crénelée et au revers un lion assis regardant à droite. En montrant que le K initial avait disparu, il a prouvé que la bonne lecture était KΛΕΟΝΝΑΙΤΩΝ ; il en a logiquement déduit que Kléonnaeion, qui tirait probablement son nom de son fondateur, Kléonnas ou Kléonikos, était une garnison gréco-macédonienne, peut-être pas encore passée au rang de katoikia d’après P. Hamon182, située sur le territoire de Pessinonte et qui n’acquit que plus tard le statut civique, qu’elle n’aurait pas, selon le savant anglais, conservé longtemps183. Ceci expliquerait, d’après P. Thonemann184, pourquoi le document épigraphique a été retrouvé à Pessinonte. Concernant le nom de la communauté coloniale, inspiré de celui de son fondateur, il rappelle que la présence de noms gréco-macédoniens associés à des noms indigènes n’a rien d’extraordinaire dans la région : Tralles et Alabanda se nommèrent par exemple Séleucie et Antioche entre 260 et 190 avant J.‑C.185. Ici, le nom Pessinonte concernait l’« État-temple » et les indigènes qui y habitaient, avec son clergé influent qui correspondait avec les Attalides186 et Kléonnaeion désignait l’établissement gréco-macédonien, avec probablement ses magistrats, ses lois et son gymnase, ce qui implique au demeurant un réexamen qui reste à faire de tout ce qui a pu être écrit jusqu’ici sur l’histoire du sanctuaire à l’époque hellénistique. Concernant la cohabitation entre ce dernier et la katoikia, on ne possède aucun document explicite permettant d’éclairer ce problème. On peut simplement rappeler que dans le cas très proche d’Aizanoi187, les choses paraissent s’être mal déroulées, en tout cas à la fin de l’époque hellénistique et au début de la période romaine, puisqu’Hadrien fut contraint d’y envoyer le primipilaire Septimius Saturninius afin d’y restaurer les limites entre les territoires « civils » et ceux du temple188.
82Un autre exemple de ces difficultés est à rechercher dans le complexe dossier de la katoikia attalide d’Apollonioucharax, située au nord-ouest de Daldis. Cette place commandait le Marmara Gölü et la plaine de Sardes, ainsi que la route reliant cette cité à Pergame. À la suite de l’invasion gauloise de 168‑166 avant J.‑C., elle se trouvait dans une situation délicate, qu’elle rappela par une lettre envoyée à Eumène II en 165‑164 avant J.‑C., à laquelle le roi répondit, fournissant à cette occasion d’autres informations189. Elle était peut-être peuplée par des Mysiens, dans la mesure où, on le verra plus bas, elle entretenait d’excellentes relations avec la communauté de Kornoubeudos, qui en était constituée190. Son nom même est révélateur : elle possédait un fort autour duquel était installée une partie de l’habitat, sans que l’on puisse estimer la taille de celui-ci, pas plus d’ailleurs que généraliser la présence de ce type de bâtiment à toutes les katoikiai. Les habitants étaient en tout cas de façon certaine astreints au service militaire ; parmi eux, une partie avait déserté l’armée royale en 167‑166 avant J.‑C. Le document n’en précise pas la raison, mais le fait que ces événements se soient déroulés à la fin de la guerre contre les Galates et non pas au cours de celle-ci pourrait inciter à penser que ces hommes quittèrent leurs unités pour rejoindre leur communauté dont ils avaient appris qu’elle avait été ravagée. En effet, tant la pétition des habitants que la réponse royale mentionnent les incendies et les destructions commis par les envahisseurs à l’extérieur du fort et la nécessité de rebâtir. D’ailleurs, Eumène II, tout en flattant la fidélité potentielle de ses sujets, décida de limiter ce service à un homme sur trois, sans que l’on puisse savoir qui serait ou non concerné par ce passage par l’armée.
83Sur le plan économique, de façon conjoncturelle et dans le cadre bien conçu d’une politique de relèvement, le monarque accorda cinq années de dégrèvement de droits de douane, une pour la dîme et, la chose restant plus mystérieuse, une également pour la capitation pour ceux (mais lesquels ?) sur qui elle était levée. Il fournit également des maçons pour la reconstruction. Mais le grand intérêt du document est de montrer que la crise que connaissait Apollonioucharax était bien plus ancienne, et donc structurelle.
84Une première exemption de taxes douanières de cinq années, pour des raisons inconnues, avait déjà été acceptée par les autorités. La pétition des habitants mentionne des dettes dues au trésor royal, en numéraire et en céréales, dont elle demande la remise. C’est peut-être pour y faire face ou pour faire face à d’autres engagements que les habitants avaient concédé l’usufruit d’un village de leur territoire, Sibloë, à un certain Méléagros, inconnu par ailleurs, pour une somme importante dont le montant total reste inconnu. De façon rusée, ils demandèrent à Eumène que le trésor rachetât la dette, car les revenus du village seraient alors consacrés au culte de Zeus Stratios et à celui du roi, en suggérant aussi que l’asylie du sanctuaire fût étendue géographiquement. En outre, les hommes d’Apollonioucharax, invoquant leur pauvreté, demandèrent que les terres et les maisons des villages de Thileudos et Plazeira, qui leur avaient été promises sans qu’il y eût de suite, leur fussent effectivement remises et que les paysans en fussent déplacés ; le γεωδότης (« répartiteur de terres ») Lykinos était chargé du découpage des nouveaux kléroi191. Il y avait donc manifestement un manque de terres et un manque de population pour que cette katoikia pût se développer aisément. Le désir des habitants de pratiquer un synœcisme192 avec leurs voisins mysiens, qui avait été fidèles aux Attalides au cours de la guerre contre les Celtes, plutôt que de voir ceux-ci transportés par le pouvoir royal vers des terres incultes à Kastollos (ce qui montre au passage que l’État se réservait la possibilité de déplacer les communautés en cas de besoin), est révélateur de ce problème économique et démographique.
85L’intérêt des monarques était d’installer les colons dans des zones fertiles, même éloignées des points stratégiques essentiels, comme la région du Latmos. Mais ce n’était pas toujours possible dans un premier temps et la pression fiscale de l’État venait aggraver la situation, ce qui était parfaitement contradictoire avec le but initial recherché, provoquant ainsi l’endettement des katoikiai ; il fallait alors, comme ici, transférer de la terre royale à ces communautés en crise pour assurer leur pérennité. D’après P. Thonemann193, il semble que les Attalides aient agi de cette façon au bénéfice de Temnos, d’Olbasa, et peut-être d’Apollonia du Rhyndakos et de Saittai, dans l’est de la Lydie. L’exemple du village des Kardakoi, près de Telmessos, dans l’ouest de la Lycie, qui était peuplé d’anciens colons séleucides, est assez proche de la situation rencontrée à Apollonioucharax. Ces hommes souffraient de la pauvreté de leurs terres et d’une forte émigration. Eumène II les exempta de capitation pour l’année 182‑181 avant J.‑C., le montant de celle-ci étant diminué. Les émigrés furent encouragés à rentrer, avec la promesse de deux années d’exemption de taxes, et le roi promit aussi cela, mais pour trois ans, aux étrangers qui voudraient bien s’installer sur place. Une partie des terres ayant été engagée auprès du dynaste Ptolémée, dont Eumène avait hérité, ce dernier annula tout simplement la dette.
86En dehors des périodes de crise (et peut-être aussi pour éviter celles-ci), le but pour les membres de ces katoikiai était l’obtention du statut civique, beaucoup plus prestigieux cela va de soi. La découverte en 1997, sur l’emplacement de l’ancienne cité de Tyriaion, en Phrygie Parorée, d’un édit royal d’Eumène II remontant aux environs de 188 avant J.‑C. a permis de préciser comment se déroulait cette promotion194. Une ambassade composée d’Héliadès et de Brennos (il convient de noter le nom purement celte de celui-ci, ce qui signifie qu’une partie des colons installés sur place était d’origine galate, peut-être des mercenaires ou des descendants de mercenaires ayant reçu un kléros) vint trouver le roi afin, dit le texte, d’obtenir « une politeia, le droit d’utiliser vos propres lois et de fonder un gymnase et de vous accorder d’autres avantages qui vont avec » (lignes 8‑10). Pourquoi cette demande à ce moment-là ? Parce que, comme le précise le monarque dans la suite de sa réponse, le territoire venait de lui être remis par les Romains après le traité d’Apamée et relevait de la chôra basilikè. Et manifestement, les katoikoi de Tyriaion, très probablement installés par les Séleucides, avaient senti d’où venait le vent : ils garantissaient à Eumène II leur fidélité, ce qui n’était pas sans importance pour lui permettre de contrôler un territoire éloigné du centre de gravité de son royaume. La phrase fondamentale se situe aux lignes 26‑28 : « Je vous accorde à la fois à vous [les ambassadeurs] et à ceux qui vivent avec vous dans des villages [χωρίοις] le droit de vous organiser en un corps civique [πολίτευμα] et d’utiliser vos propres lois ». On détient donc la preuve que ces hommes et leurs familles étaient dispersés dans la campagne au contact des indigènes avec qui une réelle coopération s’était établie, qui allaient eux aussi bénéficier de la promotion, la mention de ces derniers étant suffisamment rare pour être notée195, attestant en outre ici de contacts probablement matrimoniaux avancés entre les deux groupes de population ; ils devaient déjà posséder quelques institutions de délibération et de gouvernement communes, même informelles. Le roi prévoyait de leur donner un tour officiel, avec la création d’un conseil, de magistrats, de tribus (dont on peut supposer que bon nombre d’entre elles portèrent un nom faisant référence à la dynastie attalide) et bien entendu d’un gymnase où seraient accueillis les neoi. Le ravitaillement en huile, toujours ruineux, de cette institution risquant de poser un problème, Eumène prévoyait dans une deuxième lettre que les surplus de taxes prélevées par l’agoranome de la nouvelle cité y seraient affectés, en attendant que l’hémiolos196 Hérôïdès examine la chose de plus près et y affecte par exemple 10 % des revenus d’un domaine royal. Par la suite, il était prévu que les ressources tirées de l’agoranomia reviendraient au trésor royal, ce qui démontre au passage que la nouvelle cité était tributaire de l’État attalide.
87La date de passage au statut de polis pour les autres katoikiai de Phrygie est loin d’être aussi aisément déterminable. Le processus dura plusieurs siècles. Il était achevé à Thémisonion avant 115 ou 114 avant J.‑C. dans la mesure où, à cette date, les institutions civiques étaient en place et semblaient fonctionner depuis un temps assez long ; il en est de même à Kibyra qui frappa ses propres monnaies au moins à partir de 166 avant J.‑C. À l’autre extrémité de la chaîne, Traianopolis, constituée jusque-là de modestes villages, ne fut promue que par Trajan, et éventuellement même par Hadrien197. À Tymandos, les chercheurs hésitent entre un passage au statut supérieur au cours du iie siècle après J.‑C.198 ou bien sous la Tétrarchie199. Pour les autres localités, il convient de rester très prudent. Néanmoins, selon P. Thonemann200, le processus se serait accéléré au cours du ier siècle avant J.‑C., profitant peut-être de l’anarchie relative régnant dans la région et de la volonté des divers pouvoirs qui s’affrontaient de se créer des appuis. Les premières évidences de l’activité épigraphique de Dokiméion se rencontrent au début du ier siècle avant J.‑C.201. Les deux inscriptions les plus anciennes d’Acmonéia honorent le patron italien de la cité et un légat romain qui y avait établi un marché d’esclave entre 70 et 60 avant J.‑C.202. Une inscription d’Aizanoi de 49‑48 avant J.‑C. précise qu’à cette date elle possédait une organisation civique avec une boulè, des magistrats, des éphèbes et des neoi, sans que l’on puisse préciser de quand datait cette mutation203. La première inscription de Prymnessos est plus tardive, il s’agit d’une bilingue du début du ier siècle après J.‑C. élevée par le démos et les résidents romains pour un autre Romain204. Naturellement, pour toutes ces cités, l’acquisition du statut poliade avait pu se faire des années, voire des décennies auparavant. Pour les autres, aucune information n’a survécu.
88La mainmise sur la terre phrygienne, son économie agricole et ses paysans s’effectua également dans le cadre de la création directe de colonies, huit au total, qui reçurent de la part de leurs fondateurs gréco-macédoniens des terres, avec les hommes qui les cultivaient, des institutions civiques, des monuments constitutifs d’un cadre poliade (gymnase, enceinte, théâtre) et où s’installèrent des colons grecs, macédoniens, thraces, lyciens et gaulois. Le tableau 17 et la carte 18 ci-après permettent de synthétiser les conditions de cette mise en place :
Tabl. 17 – Les colonies en Phrygie à l’époque hellénistique.
| Nom de la colonie | Fondateur | Origine des colons | Remarques |
| Antioche | Antiochos Ier ? | Macédoniens, Magnètes du Méandre, Thraces, Juifs ? | À l’époque impériale romaine, de nombreux habitants sont porteurs de noms basés sur la racine Makédo- |
| Apamée | Antiochos Ier (vers 275 av. J.‑C.) | Macédoniens, Grecs, Gaulois, Juifs | Les habitants de Kélainai participèrent à la fondation |
| Apollonia | Antiochos Ier ou Antiochos II | Gréco-Macédoniens ? Thraces, Lyciens | Une ville appelée Mordaion ou Mordiaion existait avant la fondation. On ne possède aucune précision sur l’origine géographique des colons gréco-macédoniens |
| Dionysopolis | Eumène II et Attale II | Gréco-Macédoniens | On ne possède aucune précision sur l’origine géographique des colons gréco-macédoniens |
| Euménéia | Attale II | Achéens ? Argiens ? Macédoniens, Juifs, Gaulois ? | La présence d’Achéens et d’Argiens n’est pas prouvée. Un magistrat monétaire partait un nom gaulois entre 48 et 40 av. J.‑C. |
| Laodicée du Lykos | Antiochos II (entre 261 et 253 av. J.‑C.) | Macédoniens, Grecs (dont Ioniens ?), Thraces, Juifs | Une ville appelée Diospolis, puis Rhoas, existait avant la fondation. La présence d’Ioniens n’est pas prouvée |
| Peltai | Séleucides ou Attalides | Macédoniens, Grecs ? | - |
| Synnada | Antigone ? Dokimos ? Un roi attalide ? | Macédoniens, Doriens du Péloponnèse ? Ioniens ? | La présence de Doriens et d’Ioniens est certainement une invention de la période impériale |
Carte 18 – Les colonies en Phrygie à l’époque hellénistique : essai de localisation.

89Il convient de relever un certain nombre d’éléments qui apparaissent dans ce tableau. Chez les Séleucides, toutes les cités reçurent des noms dynastiques, ainsi Rhoas-Diospolis qui devint Laodicée du Lykos, alors que les katoikiai de même origine, vues plus haut, conservaient leurs noms indigènes, par exemple Tyriaion. À l’inverse, lorsque les Attalides multiplièrent le nombre de cités en accordant le statut civique à des établissements coloniaux plus anciens qui n’en bénéficiaient pas, il n’y eut pas de changement de nom, comme le démontre une nouvelle fois l’exemple de Tyriaion. La raison de cette différence vient probablement du fait que Séleucides et Attalides n’avaient pas le même rapport avec leurs sujets. P. Thonemann205 estime que les premiers continuaient, dans la lignée des anciens empires proche-orientaux et de l’État achéménide, à pratiquer une sorte de despotisme dans lequel tout remontait à la personne royale qui devait être honorée à toute occasion, y compris par le biais de la toponymie. Inversement, les Attalides auraient mené une politique beaucoup plus décentralisatrice, y compris dans le domaine de la propagande dynastique, basée sur des relations horizontales plus que verticales entre le roi et ses sujets, ce qui d’ailleurs aurait permis à l’État de pénétrer bien plus efficacement et profondément dans les sociétés et d’y faire appliquer ses décisions.
90Certains cas sont ambigus, comme celui de Peltai : elle affichait une origine macédonienne sur ses monnaies d’époque impériale206 et l’on sait que, dès le iie siècle avant J.‑C., elle possédait les attributs institutionnels d’une cité207. Est-elle née comme une katoikia ou comme une polis, et quand ? Il est très difficile d’être affirmatif, mais le critère du nom peut aider à trancher : Peltai n’est pas un toponyme grec, mais anatolien. Il n’y a aucune raison de croire qu’elle fut fondée comme une cité directement par un roi ; il est plus vraisemblable qu’une katoikia de Macédoniens s’installa sur place, près d’une localité phrygienne, à la fin du ive ou au iiie siècle (puisque, rappelons-le, il n’y a plus de « stocks » de « Macédoniens » disponibles après 188). La transformation en cité de la communauté des Peltènoi (sans doute devenue mixte par rapprochement des katoikoi et des indigènes) a pu intervenir à l’époque attalide, de façon spontanée mais par autorisation royale, sur le modèle de ce qu’on observe vers 183 à Tyriaion208, voire après 133. Le même scénario pourrait s’appliquer à Synnada, qui est une place importante, mais dont le nom est phrygien et l’est resté : il est vraisemblable que c’est d’abord une katoikia (abritant peut-être une garnison) dès l’époque des Diadoques ; elle deviendra cité sans doute au iie siècle avant J.‑C.209, peut-être aussi par la grâce des Attalides. Le fait qu’elle ait servi, comme Tyriaion, d’atelier pour apposer des contremarques « cistophoriques » sur des monnaies dans les années 180‑160 en est sans doute l’indice210. D’autres cas pourraient appartenir à la même catégorie (Colosses, Acmonéia, Blaundos), ce qui montre que le paysage militaire et politique de la Phrygie ne cesse de se recomposer au fil des décennies, avec des inflexions sans doute liées à l’histoire événementielle.
91On a pu voir ci‑dessus que les hommes installés dans les katoikiai avaient un lien ontologique et organique avec l’armée royale, incluant des obligations de service ; en revanche, on ignore totalement si cette prestation existait aussi dans le cadre des colonies, à propos desquelles on a pu constater dans la première partie de ce travail qu’elles possédaient une autonomie politique, quoique révocable. La présence de garnisons royales à Apamée, à Laodicée du Lykos ou à Euménéia pourrait faire pencher vers une réponse négative, mais il convient de demeurer extrêmement prudent en la matière.
92Il n’a malheureusement pas été conservé, pour les colonies de Phrygie, de description du processus d’installation comparable à celle que Julien fournit pour Antioche de Syrie211, avec le découpage du territoire en 10 000 lots. Il est impossible de savoir combien de kléroi avaient été prévus à l’origine pour chacune, d’autant que des modifications ont pu s’opérer avec l’installation des Juifs de Babylonie à la demande d’Antiochos III ou encore avec la venue de renforts éventuels amenés par les Attalides lorsque la région passa sous leur autorité. Toutefois, il y a tout lieu de croire qu’à une échelle moindre, le processus fut identique à celui décrit pour la Syrie.
Conséquences économiques et rapports avec les indigènes
93Sur un plan économique, la distribution de kléroi, que ce soit dans le cadre de colonies ou de katoikiai, visait à améliorer la mise en valeur de la terre royale. Ainsi que le fait remarquer L. Capdetrey212, « il est parfaitement vain de vouloir distinguer une occupation militaire d’une colonisation agraire ». Les anciens basilikoi laoi de la zone la plus proche de la cité, celle répartie en lots, passèrent de fait dans la dépendance des nouveaux propriétaires dont ils devenaient les métayers (sauf si s’étaient mises en place d’autres formes de dépendances personnelles), à moins que dans le cas d’un faire-valoir direct voulu par le nouveau maître, ils aient été tout simplement expulsés213. Une inscription de la colonie cilicienne lagide d’Arsinoé, postérieure à 238 avant J.‑C.214, démontre que ces évictions effectuées par la force n’étaient point rares. On ne peut qu’imaginer les effets suscités par une telle opération de « cantonnement », comme on aurait dit dans l’Algérie de la conquête française. Cela représentait une forme de marginalisation d’une violence extrême.
94Sauf dans le cadre de fondations de petites tailles, au-delà de la zone lotie, les paysans indigènes, bien qu’attribués à la nouvelle entité, continuaient à vivre et à travailler de façon traditionnelle, regroupés en villages, payant à la cité un phoros, certainement pour l’essentiel en nature215, et contrôlés par les magistrats civiques. Leur situation ne variait donc apparemment pas par rapport à ce qu’elle était à l’époque achéménide, voire auparavant. Néanmoins, il semble que le contrôle exercé par les nouveaux arrivants, du fait de leur nombre et de leur proximité géographique, dut être supérieur à celui des périodes précédentes et par là même d’autant moins supportable. Contraints à des versements de redevances en nature et en espèces et à effectuer des corvées, les paysans phrygiens étaient totalement soumis à leurs maîtres. Il est probable que nombre de ceux-ci, les petits et les moyens en tout cas, laissaient leurs dépendants cultiver selon des techniques pluriséculaires tant que celles-ci permettaient de dégager une rente satisfaisante. Les grands propriétaires s’appuyaient quant à eux sur des intendants ou autres directeurs de travaux, ce qui ne devait pas garantir d’ailleurs une rentabilité très supérieure, la meilleure arme de défense des paysans restant leur force d’inertie216.
95Il ne semble pas y avoir eu en Phrygie de tentatives d’acclimatation de végétaux nouveaux ou d’introduction d’outils plus efficaces comme ce fut le cas de la part des autorités royales en Syrie ou en Égypte217. Toutefois, des inscriptions montrent que dans certaines cités, des terres, sacrées la plupart du temps, furent affermées suivant des baux emphytéotiques à des preneurs gréco-macédoniens. Ce fut le cas à Aizanoi218, où il s’agissait manifestement d’améliorer les rendements, de développer peut-être des cultures spéculatives, ce qui permettait aux preneurs un enrichissement personnel, éventuellement réinvesti dans des évergésies. La comparaison peut être effectuée, à un tout autre niveau il est vrai, avec ce qui se passait dans l’Égypte lagide. Les papyrus de Zénon ont montré comment Ptolémée II fit acclimater, dans la dôréa d’Apollonios, des espèces de blé hâtif, des vignes, des figuiers, des grenadiers, voire des abricotiers219. Ces produits n’étaient bien entendu pas destinés à la consommation ordinaire du paysan égyptien, mais au contraire à être vendus à des tarifs élevés aux immigrants gréco-macédoniens, ce qui assurait un supplément de ressources pour le roi. Cet argent passait ensuite pour partie dans le système des évergésies, qui était donc paradoxalement subventionné par ceux qui en bénéficiaient. Les Séleucides ne procédaient pas autrement quand ils faisaient curer les canaux de Babylonie220 pour favoriser l’acclimatation de la vigne ou ailleurs du pistachier et du pêcher221.
96Pour en revenir à Aizanoi, la rédaction des baux ne pouvait être qu’extrêmement précise. Les paysans indigènes qui travaillaient ces domaines se voyaient donc contraints de modifier des pratiques culturales anciennes et entraient bon gré mal gré dans un type de production spéculatif intégré à un marché régional ou interrégional, même si la polyculture traditionnelle ne disparut pas toujours. Quoi qu’il en soit, leur production vivrière passait forcément au second plan. Il est dommage que l’on ne possède pas pour Aizanoi (comme éventuellement pour d’autres cités phrygiennes) de sources indiquant quelles furent leurs réactions par rapport à ces « nouvelletés », ainsi qu’on les nommait dans la France moderne, où elles entraînèrent souvent des mouvements de rejet violents222. Les sources égyptiennes montrent que les paysans des dôréai, telle celle d’Apollonios, dans lesquelles se déroulaient les principales tentatives d’intensification de la production, manifestaient une nette mauvaise volonté et multipliaient les protestations contre les innovations qu’on leur imposait223. À propos de cette même Égypte, mais au iiie siècle après J.‑C. cette fois, les travaux de D. Rathbone224 ont démontré, en particulier dans le domaine de la viticulture, l’intensité du processus de rationalisation économique mis en place par les détenteurs des grandes exploitations, processus dans lequel les paysans ne jouaient qu’un rôle de force de travail.
97Les rapports des paysans indigènes avec les nouveaux arrivants venus d’Europe avaient ainsi peu de chances d’être sereins. Tite-Live225 et Strabon226 parlent d’ailleurs de la présence dans les campagnes de postes de garde, les phrouriai. En dépit de l’absence de preuves archéologiques, épigraphiques ou littéraires concernant l’espace phrygien, il y a tout lieu de supposer que des tours, que l’on rencontre dans d’autres régions d’Asie Mineure227, y existaient aussi. E. Bikerman pensait qu’elles pouvaient dépendre tout aussi bien de la cité que du pouvoir royal228. Tels les châteaux forts dans l’Europe du Moyen Âge, leur fonction devait être double. D’un côté, elles protégeaient les paysans contre les soldats errants, les mercenaires en rupture de ban et les brigands, constituant un lieu de refuge dans lequel le stockage d’une partie de la production agricole devait être possible. D’un autre, elles tenaient en respect les populations autochtones et pouvaient servir d’abri aux colons gréco-macédoniens, dont une partie vivait et travaillait à l’extérieur de la cité, à la manière des forts parsemant l’Ouest américain lors de la conquête229.
98Des révoltes paysannes éclatèrent dans des régions proches de la Phrygie, ainsi le soulèvement des « villages sacrés » contre leur cité tutélaire, Apollonia de la Salbakè, en Carie, au cours des derniers temps de la présence séleucide, à propos de l’exploitation des terres sacrées230, ou celui des Pèdiens qui s’allièrent contre Priène, dont ils dépendaient, avec Magnésie, vers 260 avant J.‑C.231. Il existe aussi des exemples, rares certes, de revendications menées pacifiquement par les villageois contre des exigences jugées exorbitantes. Ainsi, après 188 avant J.‑C., un groupe de villages envoya une ambassade à Rhodes pour se plaindre de la cité d’Apollonia de la Salbakè ; en effet, les légats romains en charge du secteur après la défaite d’Antiochos III à Magnésie avaient confié la Carie à la grande cité insulaire. Les Apolloniates rétorquèrent en y envoyant à leur tour un ambassadeur, peut-être porteur d’encouragements obtenus à Apamée auprès des Romains232. La cité carienne rencontrait manifestement à ce moment-là de grosses difficultés avec les indigènes qui peuplaient son territoire. Ceux-ci, peut-être à la suite d’affrontements violents, n’avaient pas hésité à se plaindre et à présenter leurs doléances, profitant éventuellement de la redistribution des cartes politiques qui venait d’avoir lieu en Asie Mineure occidentale, et à demander leur émancipation ou au moins un changement favorable de leur statut, ce qui montre qu’une partie d’entre eux était tout à fait capable de jouer le jeu de la diplomatie grecque, en utilisant en outre à bon escient la langue de leurs maîtres. Ce cas présente l’intérêt de s’être déroulé à peu de distance de la vallée du Lykos, ce qui pourrait laisser supposer que ce type de revendication a pu se rencontrer également en Phrygie.
99Si l’on en revient aux colonies identifiées en Phrygie, il est nécessaire de rappeler que trois d’entre elles ne furent pas des créations ex nihilo, c’est-à-dire qu’elles reçurent un apport d’indigènes durant leur phase d’installation. Il s’agit d’Apamée qui succéda à l’agglomération phrygienne de Kélainai233, d’Apollonia, qui fit de même par rapport à une localité préexistante dont le nom varie selon les auteurs234, et de Laodicée du Lykos, dont le fondateur utilisa comme base le bourg autochtone de Rhoas ou Diospolis235 (Peltai, quant à elle, passait pour être entourée d’une population très mélangée, parmi laquelle coexistaient Phrygiens, Pisidiens et « autres peuples »236). La question se pose de savoir sur quelles bases cette installation d’indigènes au sein de ces trois colonies s’effectua. L. Robert estimait à propos d’Apamée que le nombre de colons européens aurait été trop faible et qu’Antiochos Ier se serait tourné vers des habitants du lieu pour combler les vides. De plus, il pensait que nombre d’entre eux étaient des Iraniens, ce qui aurait permis au roi d’honorer ainsi sa mère bactrienne237. Certes, l’information est ici très superficielle ; par conséquent, il est très difficile d’affirmer, que ce soit pour Apollonia, pour Apamée ou pour Laodicée, que l’on a affaire à une fondation double, c’est-à-dire à un quartier européen venant se juxtaposer à une ancienne ville indigène, comme cela put être le cas de Béroia, près d’Alep238, ou bien alors que l’ancienne ville fut détruite, en partie ou totalement, et dans ce dernier cas que les autochtones furent déplacés de force vers la colonie239. Car l’anéantissement pur et simple d’une ancienne agglomération dans le cadre d’un nouveau projet urbanistique n’était pas rare : Séleukos Ier n’hésita pas à faire raser « jusqu’au sol »240 Antigonéia pour créer à sa place Antioche de Syrie.
100On en revient à la question épineuse de l’« utilisation » des populations indigènes au sein des nouvelles cités. En dépit du caractère souvent peu précis des sources, il y a fort à parier qu’une partie d’entre elles y fut amenée pour pallier une insuffisance en main-d’œuvre, agricole particulièrement241. On ne sait pas qui était contraint de venir : étaient-ce seulement les hommes en âge de travailler ? Ou bien avaient-ils le loisir d’emmener tout ou partie de leur famille ? Des villages entiers étaient-ils concernés ? Ou bien encore n’était-ce qu’une partie d’entre eux ? Ce qu’écrivait P. Briant242 à propos de la Mésopotamie hellénistique s’applique certainement à la situation phrygienne : « Ces déportations ont cassé les liens spatiaux, familiaux, sociaux qui cimentaient les communautés villageoises ou urbaines d’Asie, et ont permis aux conquérants de remodeler le “tissu social” à leur convenance ». Déplacer des populations indigènes à quelques dizaines de kilomètres de leur lieu d’installation primitif était, de la part des nouveaux venus européens, en premier lieu une manifestation à tous évidente de leur force militaire et en second lieu un moyen commode et peu onéreux d’augmenter la masse de travailleurs susceptibles de mettre en valeur les nouvelles fondations. Tout cela ne tenait bien entendu pas compte des conséquences sociales et économiques frappant les communautés indigènes qui ont été parfaitement éclaircies par les spécialistes de la période à propos de l’Afrique coloniale des xixe et xxe siècles243.
101Parmi les Phrygiens devaient se trouver des artisans. Nombre d’entre eux restèrent dans la campagne, mais il est plus que probable que d’autres s’installèrent à l’intérieur des nouveaux espaces urbains, ne serait-ce que pour répondre aux besoins immédiats des Gréco-Macédoniens en matière de construction, de production textile ou métallurgique. L’habileté de ces artisans, bien connue, était couplée à des rémunérations basses244. Si l’on ajoute la présence à leurs côtés de serviteurs et de servantes, de manœuvres employés au coup par coup mais indispensables, il est peu probable que le caractère purement gréco-macédonien des fondations coloniales se soit maintenu longtemps. Autrement dit, deux populations cohabitaient dans une même cité, mais la règle fut certainement, en tout cas au départ, la ségrégation sociale et géographique, c’est-à-dire des quartiers différents pour les Gréco-Macédoniens et les indigènes. Dès l’époque d’Alexandre, celle-ci existait dans des cités comme Alexandrie d’Égypte245 ou Alexandrie-Charax246 et il est bien probable qu’il en ait été de même dans les fondations de Phrygie. Il n’est pas possible de dire si cette séparation était liée à l’existence d’une « barrière invisible », qui dissuadait les indigènes de pénétrer dans le secteur européen en dehors de leur journée de travail, ou bien si cette limite était matérialisée sur le terrain par un mur d’enceinte séparant les deux quartiers dont il n’a été retrouvé nulle trace en Phrygie.
102Il convient enfin de rappeler qu’existaient dans les campagnes des allotissements individuels. Certains avaient été remis à de hauts personnages de l’encadrement de l’armée en guise de gages. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à une longue inscription de Sardes247, certainement datable de la fin du ive siècle avant J.‑C.248, par laquelle un officier d’Antigone le Borgne, Mnésimachos, céda des domaines, que le roi lui avait concédés en tant que dôréai, au temple d’Artémis de Sardes à qui il devait l’énorme somme de 1 325 statères d’or, somme qu’il se trouvait dans l’impossibilité de rembourser. Dans l’inscription, Mnésimachos et ses héritiers garantissaient qu’ils avaient la pleine propriété de ces terres et s’engageaient à ne pas contester leur transfert à de nouveaux propriétaires. Mais, comme rien n’est simple, ce bien, que l’ancien propriétaire possédait de façon héréditaire et qu’il pouvait certainement gager, était en fait susceptible d’être récupéré par Antigone. On devine la complexité des situations engendrées, même si le poids du monarque devait invariablement faire pencher la balance en sa faveur en cas de litige. En tout cas, rien n’empêche que ce type de situation, à savoir un domaine individuel constitué d’une surface de terre agricole plus ou moins importante, avec les agriculteurs qui l’exploitaient, le tout donné sous forme de dôréa à un haut gradé, ait existé en Phrygie.
103La propriété privée de la terre découla aussi, à un niveau de fortune moins élevé, de l’incapacité de certains monarques à exiger de leurs colons leur venue à l’armée. Ce phénomène classique, plus tardif que le précédent, aboutit à la transformation de tenures précaires ou viagères, dont la détention était liée à un service militaire, en tenures héréditaires, ce qui ne modifia pas forcément les conditions de vie des métayers ou des ouvriers agricoles phrygiens qui les travaillaient.
Conclusion
104Toutes ces réflexions permettent de tirer certaines conclusions concernant la façon dont les Gréco-Macédoniens gérèrent leur installation sur le territoire phrygien et son exploitation. Contrairement au fonctionnement mis en place par les Achéménides, basé sur une stricte séparation entre des garnisons, confiées à des mercenaires, et des troupes, essentiellement de cavalerie, positionnées dans le plat pays et obéissant à un système hiérarchique d’inspiration « féodale » dans lequel tout le monde obéissait au roi, on se trouve ici devant un modèle structuré de façon différente. À la base se situaient des garnisons, dépendantes du pouvoir monarchique, surveillant les points les plus sensibles stratégiquement parlant. Si les traces archéologiques de quatre d’entre elles ont été retrouvées en Phrygie, il est probable que leur nombre ait été plus élevé, ne serait-ce que pour surveiller un aussi vaste espace.
105Les deux autres éléments constitutifs de la structure militaire hellénistique étaient les katoikiai et les colonies. Leur existence supposait des transferts importants de populations depuis l’Europe, mais aussi depuis certaines régions d’Orient, comme ce fut le cas pour les Juifs de Babylonie. Ces Gréco-Macédoniens, puisque c’étaient eux les plus nombreux, amenèrent avec eux leur façon de vivre, ce qui est logique, mais également leur vécu politique. Ainsi que le montre la fameuse inscription de Tyriaion, ces katoikiai disposaient de leur propre système délibératif. Pour leurs membres, le but était de parvenir à obtenir du monarque le passage au statut supérieur, plus rare numériquement parlant mais bien plus prestigieux : celui de polis. Il est regrettable que l’on ne dispose pas de témoignages assez nombreux pour appréhender quelle était la réalité des relations entre ces dernières et le pouvoir royal au-delà des déclarations de bonnes intentions de ce dernier. L’étude des exemples de Pessinonte et d’Apollonioucharax a en tout cas montré que l’installation et la vie quotidienne des communautés d’immigrants n’allaient pas sans aléas importants.
106Comme pour le pouvoir perse, il aurait été bienvenu de connaître la façon dont se fit le transfert des propriétés foncières au profit des colons. Il faut avouer que l’on reste dans l’expectative. Certes, l’inscription de Tyriaion indique que Gréco-Macédoniens et indigènes vivaient en bonne intelligence dans les campagnes de cette région. Mais ailleurs, la présence de tours dans le plat pays et les mentions de fortes tensions dans la proche Carie invitent à suspecter des rapports conflictuels. Le furent-ils plus qu’à l’époque perse ? Il est difficile de répondre a priori à cette question, dans la mesure où la documentation remontant à cette période est beaucoup plus lacunaire que pour l’époque hellénistique et la plupart du temps d’origine grecque. Cela étant, le nombre plus important de colons venus d’Europe amena obligatoirement à une emprise foncière plus forte, donc à des rapports plus tendus. Il est dommage que rien n’ait subsisté quant à l’importance de la rente foncière exigée par les nouveaux arrivants, qui devait d’ailleurs différer selon les lieux. Il est probable en tout cas, surtout à l’époque attalide, que la présence de ces katoikiai et de ces colonies participa à optimiser le fonctionnement de la fiscalité en transférant une grande partie de celle-ci à ces nouvelles entités, quitte à en créer là où elles n’existaient pas en nombre suffisant, par exemple en Lydie et en Phrygie qui avaient été assez peu touchées par la politique séleucide249. On peut aussi regretter l’impossibilité qu’il y a à saisir, au sein de la paysannerie phrygienne, l’existence d’une élite qui put s’accorder économiquement et socialement avec les Gréco-Macédoniens, les intermariages jouant probablement un rôle important dans ces rapprochements.
Les pratiques romaines : colonies militaires et installations de vétérans
107À la différence de ce qui s’était passé à l’époque hellénistique où l’implantation de soldats ou d’anciens militaires allogènes avait été le fait de plusieurs autorités étatiques, pas toujours identifiables avec certitude d’ailleurs, l’émergence de la domination romaine eut pour conséquence des pratiques d’installation plus coordonnées que l’État prit directement en charge en ce qui concerne les colonies et indirectement, par le biais des salaires et des primes versées, pour ce qui fut des vétérans. Le nombre de documents épigraphiques, beaucoup plus important que pour les périodes précédentes, laisse espérer que l’on pourra répondre plus facilement aux questions récurrentes concernant l’emprise foncière, les formes d’exploitation de la terre et les rapports établis avec les indigènes.
Les colonies : Antioche de Phrygie-Pisidie et les autres…
108Au sein de l’espace phrygien, quatre colonies, fruit d’une démarche volontariste de l’État romain, ont pu être identifiées. La plus connue est sans conteste celle d’Antioche, située à la frontière de la Pisidie et de la Phrygie. Elle fit l’objet d’une fondation effectuée par Auguste sous le nom de colonia Caesarea, en même temps qu’Olbasa, Cremna, Comama et Parlais, probablement en 25 avant J.‑C.250. La déduction fut opérée à partir de vétérans issus de la V Gallica et d’une légion VII qui avait été sous les ordres d’Octave durant les guerres civiles. Le processus fut donc ici parfaitement classique.
109Une deuxième colonie fut implantée à Apollonia. Son organisation est beaucoup moins connue que celle d’Antioche. En effet, les sources numismatiques251 et épigraphiques252 y ont démontré la présence, en association avec les Apolloniates, de « Thraces », de « Lyciens » et de « colons », dont il a longtemps été difficile d’expliquer qui ils étaient. Les analyses de J. et L. Robert253 et de S. Mitchell254 ont prouvé qu’il ne pouvait s’agir que de vétérans romains installés sur place peut-être vers 25 avant J.‑C.255.
110Les données apaméennes ont montré l’existence dans cette cité d’une autre colonie ; en effet, une série d’inscriptions du iie siècle après J.‑C. en l’honneur d’une famille de grands notables d’origine iranienne a été gravées à la demande de la boulè, du démos et des « colons » romains256. La date de cette création peut être située à la fin des guerres civiles, lorsqu’Octave dut démobiliser une bonne partie des effectifs énormes qui avaient été recrutés au cours des dernières décennies de la République.
111Reste le cas de Hiérapolis. Au moins six inscriptions relatives à la présence de vétérans y ont été relevées257, ce qui en fait une des densités les plus importantes de Phrygie. Il était difficile d’expliquer cela jusqu’à la publication par G. Scardozzi258 d’un article démontrant l’existence sur le plateau d’Uzunpınar, à l’est de la cité, d’un carroyage orthogonal, avec des terres divisées en grandes unités rectangulaires de 660 m dans le sens est-ouest et de 480 m dans le sens nord-sud, elles-mêmes subdivisées en quatre unités égales de 330 sur 240 m259. L’auteur penche pour une datation remontant à l’époque hellénistique, mais n’en exclut pas une plus tardive. Si l’on considère en outre qu’existait à Hiérapolis un synédrion ou conventus de citoyens romains260, il paraît légitime de conclure à l’installation de colons à une date assez précoce.
112Se pose à présent la question de savoir sur quelles terres ces différentes implantations ont pu s’effectuer. Il faut bien avouer qu’il n’y a pas vraiment d’informations concernant Apollonia, Apamée et Hiérapolis. Tout au plus peut-on suggérer que cela se fit à partir de terrains relevant de l’ager publicus. Mais rien ne vient fournir de renseignements quant aux dates de confiscations ni au détriment de qui celles-ci auraient pu avoir lieu.
113Les données sont un peu plus claires à propos d’Antioche261. Pour mieux comprendre la situation, il faut remonter aux alentours de 76 avant J.‑C. et à la campagne de Publius Servilius Vatia Isauricus262 contre les pirates et leurs alliés de l’intérieur263 au cours de laquelle il confisqua de nombreuses terres, transformées par la suite en ager publicus. L’importance de la superficie saisie est confirmée par Cicéron264. D’après S. Mitchell265, une grande partie de celle-ci fut donnée par Antoine à Amyntas dans le but de favoriser sa lutte contre les tribus insoumises du Taurus. Après que le roi eut trouvé la mort face à elles et suite à l’élimination d’Antoine après Actium, Auguste aurait récupéré ces terres pour y fonder Antioche et les autres colonies de Pisidie. À cette hypothèse s’ajoute celle de B.M. Levick, A.H.M. Jones, E.N. Lane et H. Bru266, appuyée sur un autre passage de Strabon267, qui estiment que l’empereur envoya ses représentants confisquer les vastes propriétés du dieu Mên. Rien n’empêche au demeurant qu’Auguste ait pu jouer sur les deux tableaux, puisque le nombre de colons était manifestement assez élevé268.
114L’idéologie ayant présidé à la création de ces quatre colonies ne se préoccupait de toute manière guère des populations déjà installées sur le terrain. Comme l’écrit A. Rizakis269, tout « était dicté [pour l’administration romaine] par les circonstances qui l’amenèrent à la deductio coloniale et en second lieu par les finalités qu’elle voulait atteindre ». S’appuyant sur l’analyse de G. Chouquer et F. Favory270, A. Rizakis estime que dans le fait « d’envoyer outre-mer des citoyens pauvres ou des soldats, la quête de nouvelles terres [constituait] toujours un enjeu politique mais aussi socio-économique de taille »271. Que ce soit à Antioche ou dans les autres colonies, aucun texte ne vient préciser la façon dont s’opéra la distribution de terres. Si l’on se fie aux travaux de L. Capogrossi Colognesi272 et de L. Gagliardi273, on peut supposer que le territoire de la colonie fut cadastré, puis distribué en partie aux colons (agri divisi et adsignati), le reste n’étant pas assigné (agri divisi et non adsignati) ou n’ayant pas été divisé (subsiciva)274. Il s’agit d’un processus classique, bien connu par exemple à Orange où les terres furent partagées entre les colons et les Tricastins275.
115La réalité et la complexité de ces implantations se lisent parfaitement à Antioche grâce à la présence sur le terrain de monuments funéraires retrouvés à quelques kilomètres de la cité, à l’ouest et au sud-ouest de celle-ci. M. Christol et T. Drew-Bear ont montré qu’ils étaient répartis en deux ensembles276, le premier situé dans une fourchette de 7 à 8 km du centre urbain, dans les actuels villages d’Üyüklü277 et de Kurusari278, le second, plus éloigné, à des distances de 14 et 17 km, dans les localités de Celeptas279 et de Tokmaçık280. Ces monuments n’étant pas des « pierres errantes », ils devaient donc se situer sur les domaines de ces vétérans. Les Gréco-Macédoniens ou les Phrygiens, qui jusque-là avaient pu exploiter depuis plusieurs décennies l’ager publicus, n’étaient eux que des possessores, à qui furent remises des subsiciva, ce qui fait qu’ils n’avaient pas la pleine propriété des terrains qu’ils travaillaient ; officiellement, ils n’avaient pas le droit de les vendre ou de les transmettre et pouvaient se retrouver expulsés du jour au lendemain, à moins que le nouveau propriétaire du sol ne s’en accommode comme métayers ou ouvriers agricoles. Qui plus est, ils étaient astreints, comme à Orange, au paiement du vectigal281.
116Les relations qui s’établirent avec les colons romains durent être aussi tendues que celles nées du transfert de terres au profit des Gréco-Macédoniens durant la phase d’installation des katoikiai et des colonies à l’époque hellénistique. Ce fut certainement pour ces derniers que les choses furent les plus difficiles à admettre. De rentiers du sol, ils passaient à un statut de dépendants devant verser, là où ils avaient pu se maintenir, des redevances en nature et en espèce. Un passage d’Hygin le Gromatique282 signale en outre de façon très claire que des abus eurent lieu en Phrygie dans l’estimation de la valeur des terres soumises au vectigal, le montant de celui-ci devant être proportionnel aux potentialités de chaque jugère, et que cela provoqua des troubles. Si certains colons romains s’intéressèrent à la mise en culture de leurs lots, il est probable aussi que beaucoup, par incapacité ou par fainéantise, n’y portèrent pas grand intérêt tant que la rente demeurait suffisante. Quant aux gros propriétaires, ceux qui étaient parvenus à rassembler plusieurs lots, le recours à des intendants ne devait pas garantir une forte productivité283.
117En ce qui concerne Antioche, si la confiscation des terres du temple de Mên devait être confirmée284, cela signifierait que ses hieroi ou hierodouloi seraient passés sous l’autorité des nouvelles autorités civiques et auraient été probablement « distribués » à certains vétérans. Il n’est pas certain qu’ils aient forcément perdu au change par rapport à leur situation antérieure. Pour ce qui est de l’introduction de nouvelles cultures spéculatives, il est fort possible que les colons de Hiérapolis, à l’imitation de ce qui a été décrit ci‑dessus concernant les royaumes lagides et séleucides, aient profité de la nature des sols et de la bonne orientation du lieu où fut installé leur établissement pour y développer la culture de la vigne, les productions de celle-ci étant célèbres dans l’Antiquité, ce qui indique que les champs étaient bien travaillés285.
Les installations individuelles
118À côté de ces installations organisées par l’État romain se maintint tout au long de la période une implantation individuelle de vétérans sur le sol phrygien. Les documents manquent la plupart du temps de clarté pour faire la distinction entre des hommes nés ou ayant grandi sur place et décidés à finir leurs jours dans leur petite patrie et des vétérans originaires d’autres provinces qui choisirent de rester auprès de leurs anciens camarades après leur démobilisation. Et même lorsqu’une origine locale est avérée, bien des points restent en suspens. Parmi ceux-là, le plus frustrant est celui de savoir comment les vétérans investirent les sommes à leur disposition une fois redevenus civils, dans une société où la possession de la terre était à la fois source de prestige et de richesse. Ainsi, si l’on prend le cas des deux frères prétoriens d’Aizanoi286, dont l’origine locale ne fait pas de doute, on ne peut dire s’ils achetèrent un bien en rentrant chez eux, s’ils se contentèrent d’agrandir une propriété familiale ou bien s’ils investirent autrement leur argent. Pour les vétérans nés en dehors de la Phrygie, mais ayant choisi de s’y retirer, on se trouve face à des questions identiques.
119Il faut se souvenir que dans le monde romain, les soldats étaient parmi les seuls travailleurs à bénéficier d’un salaire fixe, auquel s’ajoutaient des primes assez fréquentes287 et un bonus versé lors de la démobilisation, qui passa pour un légionnaire de 3 000 deniers sous Auguste à 8 250 deniers en 212 après J.‑C.288. Si l’on ajoute à cela les reliquats de soldes non distribués aux soldats et conservés dans la caisse de l’unité, qui leur étaient remis au moment de leur libération, plus les éventuelles économies, le pouvoir d’achat des vétérans n’était pas négligeable. Là où ils se trouvaient nombreux, c’est-à-dire dans des cités comme Apamée et Euménéia sur le territoire desquelles des unités ou des garnisons étaient stationnées à demeure, il est possible que ces achats, effectués par des hommes relativement aisés, aient provoqué une hausse des prix de la terre.
120Il convient de signaler que l’on devine l’existence de réseaux préalables reliant certaines unités à l’espace phrygien, en termes de recrutement certes, mais aussi au point de vue de l’installation de vétérans, les deux phénomènes ayant dû être étroitement mêlés. L’examen du corpus épigraphique montre par exemple des liens entre la VIII Augusta et les cités de Motella, où se retira l’aquilifer Gaius Iulius Longus289, et d’Acmonéia et de Téménothyrae, dont était originaire le tribun angusticlave Lucius Egnatius Quartus290. Bien que la conservation des sources ne permette pas de l’affirmer, il est toutefois probable que des légions danubiennes comme la IIII Flavia, la VII Claudia et la XI Claudia, auxquelles il faut ajouter la XII Fulminata, positionnée elle en Orient, qui paraissent avoir recruté beaucoup en Phrygie, aient vu un nombre important de leurs vétérans faire le choix de s’installer dans cette région après leur libération. Si certains en étaient originaires, d’autres furent probablement incités à y rejoindre des camarades avec lesquels ils avaient partagé une vingtaine d’années de service. Il semble difficile d’imaginer que les autorités militaires n’aient pas joué un rôle dans ce processus, mais il paraît pour l’heure imprudent d’avancer une hypothèse en la matière.
Conclusion
121Les informations fournies par les documents épigraphiques d’époque romaine ont permis de constater qu’en dehors de vétérans s’étant retirés de façon individuelle dans certaines cités pour des motifs qui leur étaient propres et par définition difficilement discernables, de nombreux anciens soldats furent installés dans les quatre colonies de Phrygie. On ne dispose pas de données chiffrées à propos de ces dernières, mais la libération massive opérée par Auguste au sein des armées de la fin de la République laisse supposer l’installation d’un nombre important de colons. L’exemple d’Antioche permet de saisir comment ceux-ci se virent attribuer des terres appartenant au sanctuaire de Mên et aux anciens possesseurs du sol, indigènes et surtout gréco-macédoniens. Encore une fois, on ne peut que rester dans le domaine de l’hypothèse : mais il y a fort à parier que cette emprise importante de la part des vétérans entraîna des réactions de rejet marquées, en particulier venant des Gréco-Macédoniens qui tenaient jusque-là le haut du pavé, même s’il n’y a pas de traces de révoltes de leur part au cours de la phase de confection du cadastre. En outre, on ne dispose d’aucune donnée chiffrée concernant la rente foncière exigée par les nouveaux venus, pas plus que d’informations sur les liens qui s’établirent entre les vétérans et les autres populations, que ce soit sur le plan économique ou social.
Conclusion de la première partie
122Que pouvons-nous retirer de l’étude des relations économiques ayant existé entre le monde des soldats d’un côté et la terre phrygienne et son système de production de l’autre ? Il faut en premier lieu se souvenir que ce fut au sein d’une importante masse paysanne que s’installèrent militaires et vétérans venus d’Iran, des Balkans ou des différentes régions de l’État romain. Lorsqu’ils s’emparèrent par la force d’une partie du sol, ils purent compter sur une justification idéologique de cet état de fait, conceptualisée par des intellectuels tels Isocrate ou Aristote. Ce débat sur la place de la paysannerie phrygienne (comme en général celle des paysanneries de l’Antiquité) traversa d’ailleurs l’historiographie des xixe et xxe siècles.
123Pour ce qui est de l’époque achéménide, et en dépit des précautions à prendre car les informations en traitant sont issues, pour leur très grande majorité, de sources grecques qui cherchèrent bien souvent à définir un modèle administratif idéal, un certain nombre d’éléments peuvent être dégagés. Les soldats au service du Grand Roi étaient répartis en deux catégories. Les mercenaires, souvent grecs mais pas seulement, installés dans des garnisons, recevaient une solde fixe. Le satrape devait les nourrir, eux et leur monture, par un prélèvement effectué sur la production agricole locale. À côté d’eux existaient des colons militaires possessionnés selon un système hiérarchisé. Les plus puissants et les mieux en cour avaient reçu de vastes territoires, avec leurs villages et leurs paysans ; ils avaient sous leur autorité des subordonnés moins bien lotis à qui obéissaient des hommes de troupes. Tous possédaient des terres dont l’étendue variait selon leur rôle au sein de l’armée. En retour, ils devaient répondre aux levées effectuées par les autorités royales qui contrôlaient également la bonne gestion des « fiefs » distribués. Manifestement, tous ces maîtres du sol iraniens ne disparurent pas avec la conquête gréco-macédonienne puisqu’en pleine période romaine on a pu retrouver de richissimes notables, comme la famille de Tiberius Claudius Pison Mithridatianos d’Apamée, qui pouvaient se livrer à des dépenses somptuaires, très probablement grâce à la possession de vastes biens-fonds.
124Après le passage d’Alexandre, les rois séleucides et attalides, pour des raisons identiques à celles de leurs prédécesseurs achéménides, installèrent sur place une partie de leurs soldats dans le cadre de katoikiai ou de nouvelles cités. Contre la jouissance d’un lot de terre, les bénéficiaires étaient astreints en général à un service militaire. Pour les paysans locaux, ce processus, certainement plus important qu’à l’époque perse, entraîna expulsions et transformation du statut, avec le passage pour nombre d’entre eux au métayage. Il est probable que les rapports avec les Gréco-Macédoniens ou leurs affidés thraces, lyciens ou juifs aient été également plus tendus, en raison justement de ce nombre et de cette proximité.
125Vint enfin la conquête romaine. L’époque républicaine vit la transformation de certains territoires confisqués en ager publicus, sans que les conditions de vie et de travail des ruraux aient probablement beaucoup changé. À l’époque impériale, des vétérans furent installés à Antioche, Apamée, Apollonia et Hiérapolis ; il s’agissait pour l’essentiel d’y caser une partie des nombreux soldats rendus à la vie civile à la fin des guerres entre imperatores. Même si aucun document n’a traversé les siècles pour en témoigner, il serait fort douteux que ces installations aient pu s’opérer sans les processus d’expropriation et de changement de statut qui avaient eu lieu aux siècles précédents.
126Au total, les divers pouvoirs qui dominèrent l’espace phrygien utilisèrent toujours la terre au service de leur politique militaire et les soldats ou les vétérans tirèrent un immense profit de cette situation. Cela étant, sur le terrain où se jouait l’essentiel de la pièce, quelle était l’attitude des paysans indigènes ? La plupart du temps incapables de s’opposer par la voie légale ou par la force, il est fort probable que leur attitude fut très proche de celle que décrivait F. Braudel à propos des paysanneries de l’Europe médiévale et moderne291 : « La paysannerie, c’est le nombre, l’énorme majorité des vivants. Il s’ensuit chez elle un coude à coude, donc des possibilités de résistance ou d’inertie spontanée ». Quoi qu’il en soit, il faut insister sur le fait que lors de la phase d’installation des soldats allogènes, et ce quelles que soient les époques, ces derniers ne recevaient jamais de la terre « nue », mais toujours accompagnée de la force de travail que représentaient les paysans phrygiens, qu’il s’agisse de quelques familles, d’un hameau, voire de plusieurs gros villages, ce qui amène à opérer une distinction très nette entre les continuités agricoles d’un côté et l’occupation militaire de l’autre. D’où la question cruciale de savoir ce que fut le modèle économique transplanté par les colons gréco-macédoniens et les vétérans romains. Il est probable que certains d’entre eux (mais était-ce la majorité ?) se contentèrent de vivre en rentiers du sol, intégrant à un niveau plus ou moins élevé l’aristocratie foncière locale ; d’autres choisirent probablement d’investir dans le secteur agricole, ce qui leur permit de valoriser leurs domaines, appliquant éventuellement des techniques de gestion apprises durant leur carrière sous les enseignes. On peut d’ailleurs se poser la question de savoir si cet effort se prolongea ou non sur plusieurs générations et supposer qu’à partir d’un certain niveau de richesse, les descendants de ces « entrepreneurs » se transformèrent en grands propriétaires absentéistes. En ce qui concerne la paysannerie indigène, il est probable qu’elle accueillit plus favorablement ceux qui se contentaient de vivre de la rente foncière que leurs homologues qui choisissaient d’intensifier et de rationaliser la production.
127Quant à son niveau de vie, il est bien difficile à estimer. Un curieux monument funéraire provenant de Kotiaéion, servant à la fois d’acte de propriété, d’épitaphe et de testament, permet de s’en faire une idée292. Trois frères avaient hérité de parcelles de terre dont l’étendue n’est pas précisée. À sa mort, le fils de l’un d’entre eux, Aurelius Papylos, qui possédait la citoyenneté romaine après que lui-même ou un de ses ascendants l’eût reçu de Caracalla, outre une nombreuse descendance, laissa à deux de ses fils ses outils et de la terre, à deux de ses filles trente mesures de céréales et à sa femme trente autres mesures et un (!) mouton. On mesure à la lecture de ceci la modestie des ressources de ces gens. Manifestement, le père défunt exerçait en plus de ses activités agricoles un métier dans l’artisanat du bois et du fer pour joindre les deux bouts. Il n’est pas possible de dire si le passage d’une domination à l’autre entraîna pour la paysannerie phrygienne ou une partie d’entre elle une forme de paupérisation. En tout cas, les distributions de terres aux vétérans, le poids de l’État et de l’entretien des troupes, pourtant assez peu nombreuses, se faisaient durement ressentir.
Les soldats et les vétérans, consommateurs et producteurs
128En dehors de cette relation étroite à la terre et à la production agricole qui vient d’être examinée, les vétérans et les militaires en activité se trouvaient impliqués, selon des processus parfois différents, dans l’activité économique par le simple fait qu’ils étaient des consommateurs détenteurs d’un pouvoir d’achat plus élevé que celui de la masse des civils. Ils pouvaient donc se permettre de faire l’acquisition de produits et de services d’assez bonne qualité. Sans tomber dans le piège d’une généralisation de mauvais aloi, on peut néanmoins supposer que la mentalité d’une partie plus ou moins importante d’entre eux ne tendait pas vers la thésaurisation. Cependant, les autorités militaires romaines les y incitaient en favorisant la pratique des dépôts dans le sanctuaire aux enseignes : ceci ne devait pas être forcément perçu comme une contrainte dans la mesure où beaucoup de troupiers entretenaient des familles, certes illégales, aux alentours de leurs lieux de casernement, dont il fallait assurer la subsistance. Il s’agira donc ici de tenter de peser leur impact sur la production artisanale et les échanges, mais aussi d’inverser la visée en essayant d’estimer le poids de leur propre production au sein des circuits commerciaux.
Pouvoir d’achat et dépenses
129Pour bien saisir l’impact de la présence militaire étrangère en Phrygie, encore faut-il tenter d’estimer combien ces hommes purent être et comment ils dépensèrent leur argent. La tâche n’est guère aisée : on connaît la difficulté à trouver des chiffres précis en histoire ancienne.
Actifs et vétérans : un nombre énigmatique
130L’impact sur l’économie phrygienne des soldats, actifs ou retraités, tant comme producteurs que comme consommateurs, doit d’abord être pesé par rapport à leur nombre et au ratio que celui-ci représentait face aux civils. Or, les chiffres précis font cruellement défaut. À l’époque achéménide, leur présence paraît avoir été assez importante autour d’Aizanoi, d’Apamée, d’Antioche, de Kibyra, de Laodicée et de Sébasté. Malheureusement, Xénophon n’a pas détaillé les effectifs comme il a pu le faire à propos des accrochages qui eurent lieu lors du siège de la forteresse d’Asidatès293. Le nombre de soldats gréco-macédoniens installés en Phrygie est tout aussi impossible à déterminer que celui de ceux au service du Grand Roi. B. Bar-Kochva294 a calculé que l’ensemble des colonies d’Asie Mineure était susceptible de fournir à Antiochos III 8 000 fantassins lourds et 500 cavaliers. Plus récemment, M. Aperghis a estimé qu’à la fin des années 190 avant J.‑C., ce monarque disposait d’une armée de campagne de 72 000 hommes et de troupes de garnison se montant à 10 000 combattants295. Les contingents attalides furent toujours beaucoup plus modestes : 6 000 fantassins et 1 000 cavaliers lors de la troisième guerre de Macédoine, 2 000 fantassins et 700 cavaliers à Magnésie du Sipyle d’après J. Ma296, qui estime que les rois de Pergame ne purent jamais rassembler plus d’un maximum de 12 000 combattants en mobilisant toutes leurs ressources en temps de guerre. Mais quelle part tenait dans ces montants la Phrygie, à condition d’ailleurs que ces nombres soient absolument fiables ? De plus, les monarques séleucides et attalides employaient des mercenaires pour compléter leurs effectifs, qu’il serait nécessaire de rajouter au total si l’on avait la moindre idée de leur nombre. Peut-être les choses sont-elles un peu plus sûres en ce qui concerne la période romaine.
131Certains chercheurs se sont livrés à des calculs pour d’autres provinces d’Orient. M.A. Speidel estime ainsi, sans donner de précision quant à sa méthode, qu’il y avait au second siècle environ 10 000 vétérans dans la vallée du Nil, soit 2,1 ‰ de la population, auxquels il conviendrait de rajouter une garnison d’active représentant 3 ‰ de celle-ci297 ; pour la province d’Asie dans son ensemble, il pense que ce chiffre descendait très en deçà des 1 ‰. En partant du principe que la superficie totale de l’Empire à l’époque antonine était de 5 millions de km2, avec un nombre total de soldats gravitant autour de 450 000, il y aurait eu une « densité militaire » théorique d’environ 1 militaire par km2. Pour ce qui est de la Syrie, N. Pollard avoue que l’on ignore absolument leur nombre et le pourcentage qu’ils pouvaient représenter par rapport aux civils298. On est certainement très loin des chiffres estimés par M.A. Speidel pour l’Égypte en ce qui concerne la Phrygie, où la présence d’une troupe permanente n’est attestée qu’à Euménéia.
132Parmi les unités qui y demeurèrent le plus longtemps figurait la cohors I Raetorum equitata, comptant officiellement 1 000 hommes, mais qui ne détacha sur place que la moitié de ses effectifs299. Si l’on ajoute à cela la quinzaine d’hommes qui paraissent avoir été stationnés dans le castellum d’Aulutrene, sur le territoire d’Apamée, les membres des nombreuses stationes dont la présence a pu être relevée à travers l’espace phrygien, et les militaires affectés à la surveillance des domaines impériaux et des carrières de marbre, le tout estimable peut-être à 200 ou 250 individus, il est alors possible d’admettre qu’entre 700 et 750 soldats étaient affectés en Phrygie à demeure. À ces hommes en activité, il faut ajouter les vétérans, même si leur impact sur l’économie fut différent : aucune source ne permet d’en connaître le nombre. Tout au plus peut-on estimer qu’ils furent relativement nombreux au début de la période impériale lorsqu’eurent lieu les grandes phases d’installation et que ce chiffre décrut par la suite.
133Quel que soit le résultat obtenu en ajoutant soldats en activité et vétérans300, il n’aurait de sens que comparé au chiffre de la population phrygienne dans sa totalité. Or, celui-ci est inconnu et risque fort de le demeurer à tout jamais. Les tentatives faites par certains chercheurs pour estimer la population globale de provinces ou de cités de l’Empire demeurent sujettes à caution. D.L. Kennedy a par exemple tenté de déterminer quelle était celle d’Apamée de Syrie entre le ier et le vie siècle après J.‑C. en appliquant au nombre de maisons qu’il pense y avoir existé un coefficient de quatre habitants pour chacune. Comme toutes tentatives de cet ordre, que ce soit pour l’Antiquité ou pour les époques médiévale et moderne, la démarche paraît excessivement risquée, voire vouée à l’échec301.
La question des revenus
134C’est donc sur ces bases très fragiles qu’il convient d’entreprendre l’étude de l’impact de ces hommes sur l’économie phrygienne, en commençant par la question cruciale des salaires de ceux en activité.
135Pour ce qui est de la solde des troupes au service perse installées en Phrygie, si les colons militaires devaient se débrouiller avec la production de leurs lots de terres, les mercenaires, dont beaucoup étaient grecs, recevaient une somme d’argent mensuelle, plus ou moins régulièrement payée, frappée en une monnaie utilisable à leur retour éventuel au pays. Dans l’Anabase, source la plus précise, la solde est payable en dariques, à raison d’une par mois (soit 25 drachmes attiques) au début de l’expédition, puis d’une et demie à partir de Tarse302. Si le salaire de base ne semble donc pas avoir été très élevé, il était multiplié par plusieurs centaines, voire quelques milliers de bénéficiaires, ce qui faisait que se fournir en métal précieux n’était pas toujours aisé pour les employeurs. Il fallait parfois déthésauriser de force l’or et l’argent, en particulier celui conservé dans les temples, ainsi que le fit Datamès, satrape de Cappadoce, d’après le Pseudo-Aristote303. L’autre solution était de multiplier les impôts exceptionnels sur tout ce qu’il était possible de taxer en or et en argent, comme le fit en Égypte Tachos, sur le conseil de Chabrias304. L’emploi de mercenaires dans l’Empire perse, y compris dans une région un peu marginale comme la Phrygie, participa indéniablement à la monétarisation de l’économie dans la mesure où la frappe se trouva accrue et que beaucoup parmi les mercenaires devaient avoir plus l’habitude de dépenser sans compter que de faire des économies, même si un certain nombre d’entre eux pouvaient économiser dans le but d’acheter de la terre en Asie ou dans leur patrie d’origine. En revanche, la pression fiscale fut certainement supérieure à ce qu’elle était auparavant, puisqu’il fallait absolument se procurer du métal.
136À l’époque hellénistique, les choses n’avaient guère changé. Le fameux accord passé entre Eumène Ier et ses mercenaires révoltés de Philétaireia et d’Attaléia montre que ces hommes étaient engagés pour dix mois et rétribués en nature et en argent, avec la possibilité d’accéder à un marché à tarifs préférentiels305. La rétribution en argent paraît avoir été d’environ une drachme par jour pour un fantassin lourd et de deux à trois drachmes pour un cavalier306. La permanence du niveau de rétribution par rapport à celui pratiqué à l’époque de Cyrus le Jeune est frappante, probablement en raison d’une offre et d’une demande demeurées stables. Les difficultés de paiement des soldes étaient fréquentes. Il fallait alors recourir aux mêmes expédients qu’à l’époque précédente pour se procurer de l’or et de l’agent. Les effets furent identiques : monétarisation307 et donc dynamisation de l’économie, mais pression fiscale plus importante, ce d’autant que les mercenaires étaient souvent exemptés de taxes308. Lorsque les payes n’étaient plus assurées, les effets pouvaient devenir catastrophiques : en 320‑319 avant J.‑C., 3 000 mercenaires au service d’Antigone, que celui-ci ne parvenait plus à solder, l’abandonnèrent pour aller piller la Phrygie et la Lycaonie309 avec l’impact économique et humain que l’on peut supposer sur ces régions.
137En ce qui concerne enfin l’époque romaine, le salaire des divers éléments constitutifs des forces armées est bien connu, en tout cas pour ce qui est des troupiers. Au cours de son service, un légionnaire touchait 900 sesterces par an entre les règnes d’Auguste et de Domitien, 1 200 jusqu’à Septime Sévère, 2 400 entre le règne de ce dernier et celui de Caracalla, 3 600 à partir de celui-ci et 7 200 avec le doublement des soldes attribué à Maximin le Thrace310 ; pour les mêmes périodes, les fantassins auxiliaires recevaient successivement 750, puis 1 000, 2 000, 3000, enfin 6 000 sesterces ; les cavaliers auxiliaires de cohorte 900, 1 200, 2 400, 3 600 et 7 200 sesterces ; les cavaliers auxiliaires d’aile 1 050, 1 400, 2 800, 4 200 et 8 400 sesterces311. En admettant de façon artificielle que les 500 hommes d’Euménéia percevaient le même salaire et que parmi les autres soldats positionnés en Phrygie, 200 étaient de simples légionnaires, ce qui ne paraît pas irréaliste, ils détenaient un pouvoir d’achat total annuel théorique312 important que montre le tableau 18 :
Tabl. 18 – Les revenus en sesterces des troupes romaines installées en Phrygie au Haut-Empire.
| Période | Auxiliaires | Légionnaires | Total |
| D’Auguste à Domitien | 375 000 | 180 000 | 555 000 |
| De Domitien à Septime Sévère | 500 000 | 240 000 | 740 000 |
| De Septime Sévère à Caracalla | 1 000 000 | 480 000 | 1 480 000 |
| À partir de Caracalla | 1 500 000 | 720 000 | 2 220 000 |
Les postes de dépenses : les plaisirs immédiats
138Sans être très riches, les militaires soldés, comme les colons et les vétérans, jouissaient donc d’une certaine aisance. Comment employaient-ils leur argent et comment celui-ci agissait-il sur l’économie locale ?
139Il est fort probable qu’une grande partie passa dans l’achat de plaisirs immédiats, à savoir la boisson et les femmes, même si les militaires n’étaient pas toujours les dépravés que certains moralistes dépeignaient. Malheureusement, aucune trace de cela n’a été conservée en Phrygie, bien que l’on puisse supposer que, comme partout ailleurs, des paysans devaient venir vendre à l’entrée des baraquements quelques produits pour améliorer l’ordinaire, accompagnés de cabaretiers et de proxénètes313. D’autres achats pouvaient être plus raisonnés, comme celui d’huile d’olive dans une région qui, pour l’essentiel, n’en produisait pas, de vêtements, d’armes ou de céramiques de luxe. Les recherches archéologiques effectuées dans l’espace phrygien n’ont pas été très généreuses en termes de résultat. Néanmoins, à Ikiztepe, à l’ouest de Téménothyrae, la fouille d’un tumulus a permis l’exhumation de pièces d’orfèvrerie iraniennes314, dont un brûleur à encens typique des modèles achéménides, posé sur un trépied, avec un couvercle conique possédant des ouvertures en forme de pointes de flèches. Cet objet était probablement beaucoup trop onéreux pour avoir appartenu à un simple soldat. Il faut reconnaître qu’on ne peut garantir le caractère militaire de son propriétaire qui pourrait tout aussi bien être un gros propriétaire ou un membre de l’administration qu’un officier.
140Les découvertes faites dans le cimetière militaire perse de Deve Hüyük315, dans l’Anatolie du Sud-Est, aux confins du désert syrien, en dépit du fait que le site ait été pillé, permettent d’étudier les achats effectués par des soldats au service du Grand Roi entre 480 et 380 avant J.‑C. Il y a fort à parier qu’une fouille identique effectuée en Phrygie fournirait un résultat très proche. Y figuraient des céramiques d’origine caspienne, des lampes anthropomorphes de style grossier, un rhyton zoomorphe, de la vaisselle attique de bonne qualité, de la faïence égyptienne, des yeux « oudjat », des figurines de cavaliers en terre cuite, des phiales et des bols de bronze perses, quelques pièces de monnaies, des armes (épées, haches à double tranchant, morceaux de carquois, pointes de flèches et de lances) et des éléments de harnachement de cheval. Autrement dit, un ensemble révélant les origines diverses et les goûts variés de ces soldats venus de tout l’Empire, et peut-être d’au-delà, pour servir le pouvoir achéménide.
141En ce qui concerne les troupes romaines en Phrygie, il n’y a pas eu à ce jour de découvertes archéologiques les concernant316 ; on peut néanmoins comparer leur situation à celle des garnisons du désert Oriental d’Égypte, telles qu’elles ont été examinées par H. Cuvigny dans son étude des ostraca retrouvées dans cette zone317. La correspondance des militaires traduit des achats très divers, parfois étonnants. On peut citer ainsi ce qui était peut-être une pièce de moulin qui avait dû se briser, des chaussettes de laine tricotées ou bien encore de la nourriture, en l’occurrence ce qui devait être une espèce de radis318. Certes, on est ici dans le cadre de demandes très prosaïques, mais qui traduisent parfaitement le vécu de ces troupiers, loin des objets de luxe ou des armes de qualité qui ont été mentionnés ci‑dessus.
142Un autre point de comparaison peut être établi avec les marins égyptiens des flottes impériales connus par un certain nombre de papyri datant du iie siècle après J.‑C. Un texte rédigé en latin à la demande du matelot Claudius Terentianus est un véritable inventaire à la Prévert des achats demandés par ce soldat à son père : il y est question d’un manteau, d’une tunique, d’un sayon, de braies, d’un glaive, d’une hache, d’un grappin, de deux lances319. En contrepartie, profitant de sa solde, il fit parvenir à sa famille d’abord deux amphores d’olive320, par la suite deux manteaux, deux capes, deux serviettes de lin, deux sacs, un lit (!) en bois, un panier avec douze vases à boire, deux phiales, deux rouleaux de papyrus avec de l’encre, cinq calames et vingt pains. Il priait son père de lui expédier en retour des chaussures montantes de cuir, des brodequins de feutre et une hache321. Il est intéressant de constater au passage que l’équipement donné par l’État était insuffisant et probablement de mauvaise qualité, quand il n’était pas volé par les camarades ou les gradés. Les achats pouvaient être plus originaux ; arrivé à Misène, le marin Apion envoya à son père une lettre en grec pour le rassurer sur son sort, accompagnée d’un voile de lin sur lequel était peint son portrait322. La chose est assez émouvante dans la mesure où, étant donné le risque de mort prématurée par maladie ou accident qui pesait sur cet homme, il s’agissait probablement pour ses parents d’un dernier témoignage de son existence.
Honorer les dieux et préparer son tombeau
143Un autre poste de dépenses, beaucoup plus coûteux celui-ci, était lié à tout ce qui pouvait concerner la fabrication et la gravure de monuments dédicatoires et funéraires. En ce qui concerne le premier point, les soldats et les vétérans avaient l’habitude de remercier les divinités à qui ils se sentaient redevables de leur chance lors des combats ou pour leur retour au pays. Les dédicaces aux dieux et aux déesses pouvaient être individuelles, mais aussi collectives, ainsi qu’en témoignent deux exemples apaméens : la première323, probablement adressée à Silvain, fut gravée au cours du iiie siècle après J.‑C. à la demande d’Aurelius Zoticus et d’Aurelius Bello, de la IIII Flavia, pour leur centurion Iulius Licinus ; la seconde324 le fut par les hommes stationnés dans le castellum d’Aulutrene à Jupiter Optimus Maximus et à Junon Reine, pour le salut de la maison impériale. La cotisation de plusieurs personnes dotées d’un niveau de vie supérieur à celui du paysan phrygien de base permettait la réalisation de monuments sortant du tout-venant. On pouvait faire appel à un ou plusieurs tailleurs de pierre et/ou à un graveur de qualité. La dédicace en lettres régulières à Silvain figurait ainsi sur un autel décoré en bas d’une moulure en saillie325 ; celle à Jupiter et Junon, aussi bien gravée, fut réalisée sur un autre autel326. Il est malheureusement impossible de dire combien pouvait coûter ce type de monument.
144Sur le plan individuel, on connaît la dédicace commanditée à Doryléion, au iiie siècle après J.‑C., par le vétéran du prétoire Aurelius Aristonikos : il remercia un grand dieu local, Zeus Patrikos Sungénikos Biadèrianos, de l’avoir ramené sain et sauf dans sa patrie327. Les dépenses édilitaires des officiers supérieurs étaient d’un niveau bien plus considérable. Ainsi, à Antioche de Phrygie-Pisidie, l’ancien tribun Caius Iulius Asper Pansinanus fit réaliser et décorer avec des lettres de bronze une architrave de 23 mètres de long placée sur une des portes de la cité pour célébrer la venue d’Hadrien328. Il convient toutefois de signaler que la plus grande partie de cet argent ne devait pas provenir du traitement qu’il avait pu recevoir au cours de sa carrière, mais bien de l’exploitation des biens-fonds en sa possession en tant que probable rentier du sol. Ces militaires en activité ou en retraite investissaient donc leur capital dans des monuments visibles aux yeux de tous, qui présentent un effet de sources particulièrement intéressant puisqu’ils montrent leur aspiration à se rattacher fermement au modèle socio-économique et culturel des vainqueurs, ceci dans le but de se différencier de la paysannerie indigène. Agissant ainsi, ils se rapprochaient, pour ceux qui n’en faisaient pas partie jusque-là, des modes de fonctionnement des élites romaines en adhérant à des notions comme la gravitas ou la sanitas.
145L’art funéraire est tout à fait révélateur à la fois de l’importance que soldats et vétérans pouvaient attacher à leur lieu de repos en même temps que des sommes importantes qu’ils étaient prêts à lui consacrer. L’archéologie des tombes ne parle pas forcément du quotidien du défunt, mais elle aide le chercheur contemporain à décrire le statut social de la personne décédée, parfois aussi celui auquel elle aurait aimé accéder. Ces dépenses ostentatoires permettaient en outre aux militaires, quelle que soit leur origine, de se distinguer des paysans phrygiens et des autres habitants de leurs cités par les sommes engagées et par la qualité des monuments obtenus.
146L’aisance des seigneurs perses installés en Phrygie (ou de notables locaux iranisés) apparaît dans la richesse de la décoration du fameux tumulus de Tatarlı, dont la relation au monde des guerriers ne saurait être mise en doute, avec la présence d’archers à cheval, de conducteurs de chars de guerre, de batailles contre les Scythes et de danses armées329. Non seulement le creusement du monument et l’établissement de sa couverture durent nécessiter de faire appel à une main-d’œuvre nombreuse, éventuellement dans le cadre de corvées, mais la décoration des poutres et des murs ne peut s’envisager sans le recours à des artistes, peintres et décorateurs, qu’il fallut payer en nature, mais certainement aussi en espèces selon un ratio difficilement appréciable. Au total, toutes ces journées de travail, quelle que soit la manière dont elles furent rétribuées, supposent de la part du commanditaire la possession d’un capital de départ très important.
147Un autre exemple de ce type de monuments solidement reliés à la présence militaire perse a été retrouvé sur le territoire de Peltai330, plus précisément le long de la route reliant cette cité à Kélainai. Il s’agit d’un ensemble complexe constitué de deux tumuli positionnés sur un éperon rocheux surplombant une gravure rupestre située à quelques mètres de hauteur au-dessus de la chaussée. Cette dernière, bien qu’abîmée, montre deux cavaliers flanquant un chariot tiré par un seul cheval. Ici aussi, l’investissement de départ fut certainement très important, toujours pour les raisons évoquées ci‑dessus, dénotant une volonté d’afficher aux yeux de tous les valeurs militaires de la société iranienne. Un des postes budgétaires les plus coûteux fut probablement constitué par le recours à un ou plusieurs sculpteurs en charge du bas-relief.
148À une échelle plus modeste, aux époques hellénistique et romaine, les hommes désireux de se préparer un monument devaient s’adresser à des spécialistes de la taille et de la gravure. Parfois, on s’en remettait en plus à un poète local pour versifier une épitaphe de belle facture. Ce fut le cas pour le chef de mercenaires apaméen d’origine galate Brikkon, fils d’Ateuristos, tué près de Maronée à une date mal déterminée331, ou pour Anthios, fils adoptif d’un tribun d’Antioche de Phrygie-Pisidie332. Si l’on étudie les sépultures érigées à la demande des seuls vétérans, là en tout cas où les éditeurs ont donné assez d’informations333, on obtient le tableau 19 ci-après, particulièrement révélateur des dépenses que ceux-ci étaient prêts à engager pour que se conserve leur mémoire et de la qualité des monuments obtenus :
Tabl. 19 – Les monuments funéraires des soldats romains au Haut-Empire.
| Nom du vétéran et référence | Description du monument |
| Gaius Iulius […]us/E‑ACMO‑7 | Trois dalles appartenant à une stèle-porte retaillée à l’époque byzantine, décorées de couronnes. Dimensions : 120 x 72 x 34 cm. |
| Anonyme/E‑AIZA‑44 | Stèle avec, au fronton, un aigle et des serpents. |
| Publius et Caius Carbo/E‑ANTI‑68 | Bloc rectangulaire ; les inscriptions sont placées chacune sous un buste figurant le défunt en relief. Dimensions : 64 x 95 x ? cm. |
| Marcus Ceius/E‑ANTI‑70 | Colonne entièrement conservée, cannelée dans sa partie haute ; au lit supérieur, mortaise avec canal de coulée de chaque côté. Dimensions : 210 (dont cannelures 58) x 37 (diamètre bas) à 31,5 (diamètre haut) cm. |
| Titus Cissonius, fils de Quintus/E‑ANTI‑71 | Bloc, brisé en haut, à gauche et à droite, restes de moulure en bas. Matériau : calcaire. Dimensions : 37,5 x 39 x 40 cm. |
| Titus Cissonius, fils de Sergius/E‑ANTI‑72 | Bloc, avec texte gravé entre deux enseignes légionnaires. Dimensions : 86 x 75 x 45 cm. |
| Lucius Pomponius Niger/E‑ANTI‑73 | Bloc rectangulaire, avec pédiment à acrotères aux deux extrémités et au sommet. Dans l’espace triangulaire ainsi défini, au sommet un scutum de forme oblongue, avec une épée placée derrière, en bas à gauche, une corbeille et, de l’autre côté, une capsa avec un trou de serrure et une courroie. Dimensions : 46 x 76 x 67 cm. |
| Marcus Tiberius/E‑ANTI‑74 | « Bloc […] carré avec un panneau mouluré en retrait et décalé vers le bas, dans lequel se trouve l’inscription. […] Sur la face supérieure se trouvent des trous de fixation à droite et à gauche, ce qui montre que cette pierre faisait partie d’un monument funéraire » (Christol, Drew-Bear 1998b, p. 317). Matériau : calcaire. Dimensions : 69 x 71 x 32 cm. |
| Quintus Vibius Aquila/E‑ANTI‑75 | Bloc, brisé de tous côtés, avec en son centre la figuration en relief d’une porte à quatre panneaux dans un cadre mouluré surmonté d’un fronton triangulaire. Heurtoir dans le panneau supérieur gauche et serrure dans le panneau supérieur droit, inscription de part et d’autre de la porte. Matériau : calcaire blanc. Dimensions : 90 x 125 x ? cm. |
| Anonyme/E‑APAM‑27 | Bloc, avec « inscription gravée au-dessus d’une ligne marquant la fin du champ central et sans doute la moulure inférieure du bloc. Une palme à cinq branches conclut l’inscription. […] » (Labarre et al. 2011, p. 138). Dimensions : 52 x 62 x 30 cm. |
| Patroklès/E‑EUKA‑2 | Bomos. Dimensions : 84 x 36 (en haut), 28 (au milieu), 38 (en bas) x 28 cm. |
| Aurèlios Dionysios/E‑EUME‑33 | Autel funéraire, surmonté d’une pomme de pin, elle-même positionnée au-dessus « d’un tore décoré de feuilles reliées par un sarment […] L’inscription sur la face 1 se trouve au-dessus d’une couronne en relief (brisée en bas) qui entoure un objet endommagé ; à droite sur la face 2 est la partie supérieure d’un bas-relief représentant un personnage debout, la tête défigurée, avec un bras (brisé depuis le coude) écarté du corps ; le côté opposé (face 3), le plus usé, porte sur la moulure, et juste au-dessous, l’inscription la plus intéressante ; sur la face arrière est un relief qui montre un bouclier rond avec deux lances parallèles par-derrière » (Drew-Bear 1978, p. 84‑85). Matériau : bloc de pierre. Dimensions : 110 x 62 (en haut) à 46 (au milieu) x 65 (en haut) cm ; H. l. : 1,9 cm. |
| Marcus Seius Démagoras/E‑EUME‑36 | Autel, avec corniche au sommet et piédestal à la base, surmonté d’un fronton avec une couronne et une tabula, à l’intérieur de laquelle est gravée l’inscription. Matériau : marbre blanc. Dimensions : 136 x 52 x 54 cm. |
| Aurelius Azéios/E‑HIER‑85 | Sarcophage. Dimensions : 35 x 20 cm. |
| Marcus Aurelius Iulianus Longus/E‑HIER‑87 | Sarcophage. Dimensions : 40 x 20 cm. |
| Aurelius Magnus/E‑HIER‑88 | Sarcophage. Dimensions : non renseignées. |
| Aelius Antiochianus/E‑KIBY‑29 | Grand bloc rectangulaire, avec des vestiges de statue. Matériau : calcaire. Dimensions : 169,5 x 63 x 68,5 cm. |
| Gaius Sentius Priscus/E‑KIBY‑30 | Colonne avec guirlande. Matériau : marbre ou calcaire. Dimensions : 108 x 167 cm. |
149La plupart de ces dix-huit documents sont de taille importante. L’un d’entre eux (peut-être deux) est en marbre334 : même si les carrières de Dokiméion ne se trouvaient pas à une distance considérable, le prix d’achat n’avait rien à voir avec celui d’un simple bloc de calcaire335. Il a fallu faire appel à chaque fois à des tailleurs de pierre ou à des sculpteurs, qui n’ont malheureusement pas laissé traces de leurs noms. Il semble que ces vétérans aient parfois choisi de suivre des modes locales en matière de monuments funéraires336 : à Hiérapolis par exemple, ce sont les petits sarcophages, destinés à recevoir les cendres du défunt et de ses proches, qui paraissent l’emporter337, alors qu’à Euménéia, la tendance semble avoir penché vers des autels funéraires338. Les vétérans d’Antioche privilégiaient, eux, la stèle-porte339, que l’on rencontre aussi à Acmonéia340. Il est complexe de savoir si ce choix était lié à une imitation de modèles déjà répandus sur place dans le reste de la population, ou bien s’il était spécifique aux vétérans. Concernant la stèle-porte341, M. Christol et T. Drew-Bear estiment que cette dernière fut importée en Phrygie par les vétérans romains depuis « les régions rurales de l’Italie centrale ou septentrionale »342. À l’inverse, M. Waelkens pensait qu’il s’agissait là d’un type de tombe purement anatolien343. Dans une contribution récente344, U. Kelp a supposé que ces stèles-portes relevaient de ce qu’elle nomme « an invented tradition »345, dans la mesure où, si les monuments sont très difficiles à dater, il semble néanmoins que leur floraison corresponde au iie siècle après J.‑C., reprenant pour beaucoup des figures de la vie quotidienne, s’attachant au genre, à la profession, au statut du défunt346. Peut-être d’origine italienne, en tout cas adoptées par les élites locales puis les milieux populaires, surtout en Phrygie centrale, mais beaucoup moins fréquemment dans les grandes vallées, ces stèles-portes auraient paradoxalement servi aux paysans phrygiens à se réapproprier leur identité nationale et leurs héros fondateurs et auraient agi comme facteurs d’intégration.
150Outre les sarcophages et les stèles-portes, les monuments funéraires se déclinaient en d’autres types (sans compter ceux que leur état de conservation ne permet pas de définir) : colonnes347, bomoi348 ou stèles349 par exemple. Beaucoup d’entre eux étaient décorés de gravures qui pouvaient représenter des objets personnels chers aux défunts, ce qui est traditionnel350. D’autres étaient plus particuliers et révèlent un milieu d’anciens soldats, avec des enseignes légionnaires entourant l’inscription351, une épée et un scutum352, ou des lances de part et d’autre d’un bouclier353. En certains cas, le ou les propriétaires de la tombe n’hésitaient pas à se faire représenter sous forme de bustes354. Ceux-ci, de style local, ne sont d’ailleurs pas particulièrement avenants : ils sont plats, avec des mains et des têtes larges. Les objets du quotidien sont parfois si grossièrement représentés qu’il est très difficile de dire ce qu’ils sont vraiment. Rien de comparable avec ce que l’on rencontre dans les grands centres d’Asie Mineure. Pourtant, la situation matérielle de ces vétérans leur avait permis d’atteindre sur le plan de l’épigraphie funéraire un niveau qui n’aurait jamais été le leur s’ils étaient restés de simples civils. Comme le notent très justement M. Christol et T. Drew-Bear à propos de ceux d’Antioche, s’ils étaient demeurés chez eux, « ces gens n’auraient pas eu droit de présence dans l’épigraphie lapidaire. Mais contraints par le dénuement de s’engager dans le service militaire, ils étaient mieux lotis en Anatolie, où ils devenaient des personnages assez importants pour nous laisser des traces »355.
151Cette nécessité de traiter au mieux les défunts, même dans l’urgence, sans trop regarder les sommes qui y étaient consacrées, transparaît dans l’épitaphe que le centurion Valerius, fils de Iulianus, de la VII Claudia, fit graver après 170‑171 après J.‑C. pour son épouse, subitement décédée à Apamée ; cet officier n’hésita pas à racheter un tombeau préexistant tombé en déshérence, dont le fisc romain s’était emparé de façon tout à fait légale356. Mêmes dépenses pour la famille du soldat Aurelius Eirénaios, un spécialiste de la chasse aux brigands, qui finit par trouver la mort loin de sa cité et se vit élever par ses proches un cénotaphe à Kératapa, peut-être sous le principat d’Antonin le Pieux357. Il n’en demeure pas moins frustrant qu’à l’imitation de ce qu’il a été mentionné plus haut pour les dédicaces, il soit impossible de connaître le coût final de ces divers monuments, car aucun de ces vétérans n’a fait mentionner, comme c’était l’habitude en Italie, le montant des travaux. Il est simplement possible d’effectuer une comparaison avec le tombeau élevé à la mémoire du décurion antiochien Statius Anicius, probablement sous le règne d’Auguste358. Le défunt avait prévu une somme de 400 deniers, à laquelle son affranchi ajouta 400 autres. Si l’on considère le fait que la consommation de céréales annuelle d’un adulte était de 60 modii, soit 135 sesterces ou 33,75 deniers359, la somme engagée était très importante. Il est donc loisible d’affirmer que le coût final des monuments funéraires commandés par ce groupe de vétérans n’atteignait pas cette somme très élevée, mais on ne peut guère aller au-delà en termes de précision. Il convient enfin de ne pas oublier que ces commandes de tombeaux dynamisèrent des entreprises préexistantes dédiées à ce type de constructions ou contribuèrent à en créer d’autres. Il est en revanche bien difficile de savoir qui était à la tête de celles-ci, entrepreneurs phrygiens ou immigrants occidentaux. Il va de soi que si la thèse d’une origine italienne des stèles-portes se vérifiait, la deuxième solution serait de loin la plus vraisemblable à l’inverse de ce qui pourrait se présenter si ce type de monument se confirmait comme étant lié à la tradition phrygienne360.
152À côté de cette implication individuelle des soldats dans l’économie, il ne faut pas oublier les achats effectués par des unités entières. Il a été rappelé que les mercenaires, à l’époque hellénistique, avaient accès à des marchés où les prix étaient inférieurs à ceux pratiqués entre civils et il est possible que ce type de structure ait existé à l’époque romaine grâce à la mise sur le marché de produits venant des propriétés impériales d’Épictète ou de Kibyratide par exemple, comme cela était le cas en Syrie autour de Doura361. De façon plus globale, il est fort probable que l’unité installée à Euménéia avait l’habitude d’acquérir sur place des quantités importantes de vêtements, de chaussures, d’armes et de nourriture. Ici encore, les achats étaient payés en monnaie. Cependant, contrairement à ce qu’écrit Dion Cassius, l’alimentation des hommes de troupe ne devint pas gratuite après 218 après J.‑C.362.
Présence militaire et frappe monétaire
153Tout cela amène à considérer l’impact global des dépenses effectuées par les militaires, à titre individuel ou par le biais de l’unité installée à Euménéia à l’époque romaine, sur l’ensemble de l’économie phrygienne. Aux époques achéménide et hellénistique on l’a dit, les mercenaires étaient payés en dariques d’or et/ou en drachmes d’argent. Dans un article de 2008363, P. Thonemann a rappelé l’existence d’une série de pièces portant des « contremarques cistophoriques » représentant un étui pour arc, accompagné de quelques lettres, frappées par les Attalides après le traité d’Apamée364. Parmi celles-ci, l’une possède la mention TOP, dont l’identification a longtemps constitué une énigme. Le savant britannique pense qu’il s’agit en fait de Tyriaion, que la chancellerie royale nommait Toriaion. En tant que nouvelle cité ayant obtenu le statut civique après 188 avant J.‑C., elle ne possédait certes pas ses propres monnaies et il fallut utiliser des tétradrachmes de Sidè, mais P. Thonemann rappelle que ce fut aussi le cas pour la petite cité lydienne de Sala qui n’eut pas de monnayage autonome avant le règne de Domitien. Ce qui est plus étonnant, c’est que les importantes voisines de Tyriaion, Philomélion et Laodicée Katakékaumène, n’eurent pas le privilège de voir sur leurs frappes ces contremarques, alors qu’elles étaient bien plus importantes sur un plan démographique et économique. L’explication est probablement à aller chercher dans les liens particuliers établis entre Tyriaion et la famille attalide, aussi bien sur le plan pratique qu’idéologique, les contremarques manifestant aux yeux de tous la protection particulière de la dynastie. Sur un plan économique strict, il est tout à fait possible également que la promotion civique ait impliqué un apport de numéraire depuis Pergame, car la nouvelle cité connaissait, semble-t-il, des difficultés financières puisque les revenus du marché, qui d’ordinaire alimentaient le trésor royal, furent attribués pour un temps au gymnase365. De façon plus globale, P. Thonemann pense que la politique monétaire du roi visait à faire de la ville le centre économique de la Phrygie Parorée, ce qui échoua pour des raisons inconnues. Cet épisode a néanmoins le mérite de montrer de façon indubitable les liens existant entre poliadisation consécutive à l’installation d’un groupe de colons militaires et politique monétaire étatique.
154Le rapport entre la guerre et la frappe monétaire paraît parfois plus évident, en particulier au cours des graves périodes de crise du dernier siècle de la République, même s’il convient, on va le voir, de demeurer toujours prudent. Lors de la première guerre contre Mithridate, en 88 avant J.‑C., le préteur Quintus Oppius s’était en effet réfugié à Laodicée du Lykos avec des cavaliers et des mercenaires et avait fini par y être assiégé366. Pour solder ses hommes, on a longtemps pensé qu’il avait ouvert un atelier monétaire sur place. Cette thèse n’est plus admise aujourd’hui et l’on relie les frappes de bronze en question à Rome et à l’année 46 avant J.‑C.367. Rien n’interdit cependant de penser qu’au cours des soubresauts du ier siècle avant J.-C. des magistrats ou promagistrats romains ont fait produire des monnaies dans quelque lieu encore inconnu de Phrygie qu’un progrès prochain de la science permettra de découvrir.
155Sous l’Empire, trois métaux étaient utilisés pour les monnaies destinées à payer les troupes. En premier lieu, les soldats recevaient une paie en deniers d’argent. Lors de grandes campagnes ou à l’occasion de la présence en Phrygie de l’empereur, des frappes civiques d’argent servaient aussi à solder les hommes. Ce fut probablement le cas lors de la visite d’Hadrien avec des monnaies de ce type émises à Aizanoi368, Euménéia369, Hiérapolis370, Laodicée du Lykos371 et Synnada372. Le denier était globalement une bonne monnaie, en dépit d’une dévaluation lente mais continue. C’est simplement au début du iiie siècle après J.‑C. qu’il fut en partie remplacé par l’antoninianus, valant officiellement deux deniers, mais constitué en fait d’un alliage de billon et d’argent. Parfois, en particulier à l’occasion des donativa, les troupes recevaient un supplément de solde sous forme de pièces d’or à fort pouvoir d’achat, les aurei.
156Pour les militaires, toutefois, les pièces de bronze jouaient un rôle important dans le paiement de la solde. En Orient en général et en Phrygie en particulier, la concentration de ces frappes sur une période de quelques décennies correspondant aux règnes des Antonins et des Sévères est très révélatrice : elle est indéniablement liée à la nécessité de payer les troupes dans une période d’activité militaire intense. C’est en effet le moment où sont engagées les grandes campagnes parthiques de Trajan, de Lucius Verus, de Septime Sévère et de Caracalla, puis l’expédition persique de Sévère Alexandre. Or, pour les achats du quotidien, les deniers, sans même parler des aurei, présentaient un pouvoir d’achat bien trop important et s’avéraient alors peu commodes. Il fallait donc que légionnaires et auxiliaires disposent de monnaie divisionnaire. M. Amandry a étudié cette question pour l’époque flavienne373. Il a pu montrer qu’entre 69 et 73 après J.‑C., Titus avait fait frapper dans les ateliers d’Antioche de Syrie et de Césarée l’équivalent de 76 000 000 de deniers, dont la moitié fut versée à ses 50 000 légionnaires et auxiliaires. Comme le pouvoir d’achat de ces pièces était trop fort pour les dépenses quotidiennes, et ce en dépit de l’inflation galopante qu’avait dû connaître la zone eu égard à l’enrichissement de la troupe provenant des pillages et du versement des donativa, il estime que les cités de la région furent incitées à fabriquer en masse du bronze avec des pièces aux types semblables afin de payer la troupe. La ressemblance existant entre ces monnaies devait en outre représenter aux yeux des soldats une garantie de leur valeur374. Tous les savants ne sont pas d’accord sur cette question. Pour C. Howgego375 et N. Pollard376, ces monnayages civiques de bronze n’auraient pas été liés à une volonté délibérée de la part des autorités impériales de les imposer aux cités afin de payer l’armée dans la mesure où ceux-ci n’auraient que peu circulé dans les zones à forte densité militaire et où les contremarques des légions sur ces espèces furent rares. À l’inverse, et de façon plus convaincante, J.‑P. Callu377 estime que ces bronzes étaient frappés en guise de compléments de soldes et M.H. Crawford378 va même jusqu’à écrire qu’il s’agissait d’une forme d’imposition frappant les poleis, ces deux hypothèses se complétant et devant être les plus proches de la réalité comme le montre l’exemple phrygien.
157Ici en effet, ce processus contraignant lié directement au paiement de l’armée paraît avoir été mis en place, sinon on ne voit pas comment ces cités, si jalouses de leur autonomie, auraient pu utiliser les mêmes coins sans que ceux-ci leur aient été imposés par les autorités. Il est d’abord frappant de noter les similitudes de types, tant de droit379 que de revers380, existant entre des pièces issues des ateliers de diverses cités phrygiennes aux époques antonine et sévérienne, similitudes ne pouvant pas relever du hasard. Certaines monnaies sont presque identiques, seule la légende changeant. Si les coins de droit, représentant l’empereur ou un membre de sa famille, ne varient guère, le choix est beaucoup plus large pour les coins de revers, qui figurent la plupart du temps une divinité, ce qui permet l’obtention d’un nombre de combinaisons assez important. Si la présence de ce type de frappe à Euménéia peut paraître logique au vu de l’installation dans la cité de troupes auxiliaires, c’est en fait la plus grande partie de l’espace phrygien qui est concernée, puisque ces séries se retrouvent à Antioche, Apollonia, Blaundos, Dokiméion, Hiérapolis, Laodicée du Lykos, Lysias, Peltai, Philomélion, Synnada et Téménothyrae381. On a manifestement ici affaire à des « impériales grecques », c’est-à-dire à des monnaies frappées par les cités de Phrygie avec l’assentiment des autorités romaines382. Tout le monde y trouvait son avantage : les villes y voyaient la marque de leur autonomie et appréciaient le prestige immense que conférait le fonctionnement d’un atelier ; l’administration romaine estimait, à juste titre, que cela entraînait pour elle une économie très importante dans la fabrication du numéraire. En effet, il lui aurait été ruineux de fabriquer une monnaie de très faible valeur dans un ou plusieurs ateliers régionaux qu’il aurait ensuite fallu distribuer à travers l’Asie. Lorsqu’on connaît le coût des transports de pondéreux dans l’Antiquité, l’opération n’était pas envisageable. La possibilité conférée aux cités de fabriquer ces pièces était donc un excellent calcul pour l’État, alors que la disposition d’un atelier monétaire permettait à une cité de dynamiser fortement son activité économique et ce en dépit des frais liés aux coûts de l’acquisition du métal brut et de la frappe. Quant aux soldats, ils avaient dans leurs bourses de quoi régler leurs menus achats et pouvaient, s’ils le souhaitaient, thésauriser une partie de leur solde en denier dans la caisse de leur unité de rattachement.
158Une bonne partie du métal nécessaire à la frappe provenait certainement, on l’a dit, des impôts levés dans l’espace phrygien. Il est probable qu’à l’époque achéménide et au moins durant le début de la présence gréco-macédonienne, cela entraîna pour les paysans la nécessité de payer une partie de leurs impôts en monnaie, les obligeant à produire plus et à commercialiser une partie de leur production, le tout entraînant une accélération de l’économie, notamment dans les zones les plus marginales. Ce système, bien mis en avant par K. Hopkins383, et très comparable à ce qui se passa dans certaines colonies européennes au xixe et au xxe siècle, perd quelque peu de sa valeur démonstratrice pour l’époque impériale où l’imposition n’était plus une innovation. Il faudrait de toute manière être capable d’estimer si la Phrygie était ou non exportatrice, en plus du marbre, de produits agricoles, ce qui paraît difficile à juger à l’heure actuelle, même si l’on est en droit de supposer que les grands domaines impériaux et sénatoriaux travaillaient plus pour la vente à distance que pour la consommation locale.
159À la fin du iie siècle et au début du iiie siècle après J.‑C., la hausse de la fiscalité participa probablement au dérèglement de l’économie locale, de même que l’augmentation des impôts en argent. Il est possible que les choses aient été encore aggravées par une baisse du nombre de contribuables consécutive à l’impact de la peste antonine384. Une des marques les plus évidentes de ces tensions économiques est peut-être à rechercher dans les nombreuses plaintes de communautés rurales phrygiennes concernant les exactions des soldats qui paraissent se multiplier à cette époque385. Cela étant, les troupiers de base eux-mêmes n’étaient pas que des privilégiés sur un plan économique, essentiellement parce que leurs salaires restaient fixes sur de longues périodes alors qu’existait une inflation constante. Il n’y a pas de documents permettant d’estimer pour le Haut-Empire la perte de pouvoir d’achat des troupes romaines installées en Phrygie. Il est néanmoins possible de comparer avec un calcul effectué par R. Duncan-Jones386 à partir de deux papyrus datant de 299 et 300 après J.‑C. concernant l’armée d’Égypte. D’après lui, la paie des légionnaires aurait été multipliée par six depuis le règne de Domitien, mais dans le même temps, le coût de la vie l’aurait été par soixante-sept ! Même si ce dernier chiffre ne peut être appliqué tel quel aux troupes stationnées en Phrygie, en particulier parce qu’il n’est pas question ici des désordres monétaires résultant de l’anarchie militaire, on comprendra plus aisément la tendance bien établie de la troupe à la « reprise individuelle ».
Conclusion
160De tout ce qui vient d’être écrit, il ressort que l’impact militaire des soldats installés en Phrygie en tant que consommateurs fut indéniable. Certes, seul le salaire des soldats romains peut être reconstitué sans trop de risques d’erreurs, en tout cas pour les hommes de troupe. Si on le compare à celui des mercenaires au service du Grand Roi ou des pouvoirs hellénistiques, ce qui en fit la supériorité ne fut pas tant son montant brut que la régularité avec laquelle il était versé, qui plus est pour toute l’année, et pas seulement pour la saison des combats. Même si les augmentations successives et les diverses donativa ne parvenaient pas à rattraper l’inflation, il n’empêche que les soldats de Rome disposaient d’un pouvoir d’achat plus élevé que celui de leurs prédécesseurs, ce qui dut certainement entraîner un impact économique sur la région plus important.
161Ces militaires dépensaient une partie de leurs revenus (et il est fort dommage qu’il soit impossible d’estimer combien ils parvenaient en moyenne à thésauriser), mais, contrairement à une idée reçue, tout ne passait pas dans la boisson et les femmes. Ils achetaient des produits de consommation courante, armes et vêtements, et, en ce qui concerne au moins les époques achéménides et romaines, certains d’entre eux dépensaient des sommes très importantes dans des dédicaces, mais surtout dans des monuments funéraires. Dans des systèmes économiques où la consommation était relativement faible et où le secteur de la construction pesait d’un poids considérable, il y a ici matière à réflexion : ces soldats étaient indéniablement des vecteurs d’une accélération de la production locale et encore ne peut-on saisir, en raison de la disparition d’une partie considérable de la documentation, que la partie émergée de l’iceberg. Cette dynamisation eut aussi pour cause et pour conséquence une accélération de la monétarisation de l’espace phrygien. La cause en fut que les mercenaires au service du Grand Roi ou des monarques hellénistiques, de même que les troupes romaines, étaient payés pour l’essentiel en monnaie. Si une partie de ces pièces fut dépensée sur place, leur pouvoir d’achat étant trop important pour un usage quotidien en raison de l’utilisation de l’or et de l’argent, les autorités locales, au moins à l’époque romaine et à l’instigation du pouvoir impérial, se mirent à frapper du bronze dont la faible valeur permit de toucher tous les secteurs économiques et d’être utilisé par l’ensemble de la population. Le point noir de tout cela fut que la nécessité de se procurer du métal aboutit à des hausses d’impôts dont le montant ne peut être évalué.
Des concurrents pour les producteurs locaux ?
162Là où des soldats ou des vétérans avaient reçu un lot de terre qu’ils exploitaient en faire-valoir direct ou avec l’aide de travailleurs agricoles, ils rentraient bien évidemment dans le système de production et d’échange. C’était le cas des colons installés par le pouvoir achéménide, de certains membres des katoikiai et des nouvelles poleis fondées à l’époque hellénistique. Il n’est pas impossible non plus que des mercenaires aient acheté un lot de terre qu’ils cultivaient entre deux campagnes. Quant aux vétérans de l’armée romaine, beaucoup parmi eux, quel que soit leur lieu d’installation, devaient se trouver à la tête d’une petite exploitation dont les surplus étaient mis sur le marché387. À côté de produits purement agricoles, il convient de rappeler que certaines de ces modestes unités de production fabriquaient également des céramiques, souvent de médiocre qualité, et des tissus, pour une part vendus. Concernant les derniers nommés, leur production paraît avoir été spécialement intense dans la vallée du Lykos autour de Laodicée et de Hiérapolis388 où la teinture de la laine profitait de la présence de racines locales remplaçant pourpre et cochenille, mais aussi des eaux lourdement chargées des rivières locales389. Les sources insistent aussi sur la présence de grands troupeaux de moutons dont il fallait protéger les cultures390. Ces laines, une fois préparées et teintes, permettaient l’obtention de tissus luxueux, nommés Laodicena, renommés dans tout l’Empire391. Comme une préparation aussi complexe n’aurait pas eu d’intérêt avec des matières premières de qualité ordinaire, il est à peu près certain que les anciens militaires gréco-macédoniens ou romains installés dans cette zone y acclimatèrent une race ovine spécifique. Il est important de faire remarquer que si le développement d’une activité artisanale à tendance industrielle provenait de la mise en œuvre d’activités qui relevaient de la responsabilité et du choix des maîtres de la terre, il semble bien que dans la majorité des cas, ceux-ci privilégièrent l’exploitation agricole en tenant fort peu compte des autres compétences des populations locales.
163Tout cela relève d’une activité productrice en dehors du temps de service. Mais qu’en était-il justement au cours de celui-ci ? Autrement dit, en quoi les soldats interféraient-ils directement dans l’activité économique en tant que producteurs ?
La construction
164En premier lieu, ils pouvaient être impliqués dans les activités de construction. Après tout, un phrourion comme celui de Seyitömer, dont l’édification débuta à l’époque perse, ou bien encore des fortifications comme celles de Sarıbaba, au-dessus d’Euménéia, de Kale Tepesi, sur le site de l’ancienne Tyriaion, ou celle de 1 500 m de longueur ceinturant Apamée n’ont pu être improvisées. Cependant, il est peu probable que les hommes au service du Grand Roi ou des monarques hellénistiques aient pu être concernés par leur édification392. Question de mentalité certes, mais aussi présence d’une main-d’œuvre phrygienne abondante. Après tout, les constructions de briques n’exigeaient pas un savoir-faire technique exceptionnel. Quant aux enceintes de pierre, c’était tout le contraire : la taille et la mise en place des blocs ne pouvaient être le fait que d’ouvriers qualifiés dirigés par des maîtres d’œuvre393.
165Dans l’armée romaine, les choses étaient envisagées tout à fait autrement. Les activités édilitaires étaient vues par les officiers comme un moyen d’exercer les hommes et de renforcer leur physique, bien que les cavaliers fussent dispensés de ces tâches en raison de leur entraînement plus contraignant que celui des fantassins, ainsi qu’en atteste le discours d’Hadrien à Lambèse. Il n’existe pas pour la Phrygie d’exemples identiques à ceux de l’Afrique où l’armée s’était par exemple occupée de la construction de l’aqueduc de Saldae, que les civils désespéraient de parvenir à bâtir394, sans parler de l’édification de la cité de Timgad dans sa totalité395 ou bien encore, cette fois à moindre distance, de l’implication des hommes de la IIII Scythica dans les aménagements de Zeugma396. Toutefois, les casernements phrygiens furent construits par les soldats, chaque unité ayant à sa disposition un certain nombre de spécialistes des travaux publics pour diriger le travail397.
166Ainsi en fut-il de la caserne d’Euménéia, située au sud-ouest d’Ak Göz, dans laquelle stationnaient les auxiliaires398. D’après P. Thonemann399, son édification eut lieu au plus tôt sous le règne de Vespasien, peut-être en relation avec les aménagements routiers que l’empereur fit développer en Asie, ou bien encore en raison de troubles que connaissait à ce moment-là la région, puisque Laodicée et Hiérapolis frappèrent des monnaies en l’honneur du proconsul T. Clodius Eprius Marcellus et d’Homonoia400. Vers 196 après J.‑C., la construction souffrit des effets d’un tremblement de terre401 ; elle fut rebâtie par les hommes de la cohorte I Raetorum sous les ordres du procurateur Vitellianus. C’est pour célébrer l’achèvement des travaux que les hommes firent graver une dédicace à Septime Sévère.
167Un autre exemple est celui du castellum d’Aulutrene, sur le territoire d’Apamée. Le fortin n’avait pas la taille du casernement d’Euménéia, bien que les ruines qui demeurent visibles dans le village turc actuel d’Elderne ne permettent pas de reconstituer la forme et la date du bâtiment. Même si les spécialistes ne sont pas d’accord quant à la date de construction, hésitant entre les règnes d’Hadrien et de Septime Sévère402, il est indéniable que des soldats de la IIII Flavia y produisirent des tuiles légèrement arrondies, de couleur brun clair, portant des lettres en relief de 2,5 cm inscrites dans un cartouche en creux403 ; Y. Le Bohec404 considère qu’on a ici affaire à certaines des marques les plus précoces qui aient été retrouvées en Orient, ce qui irait plutôt dans le sens d’une construction d’époque antonine.
168En dépit de sa petite taille, le castellum possédait sa propre fabrica pour produire les tuiles ; il est tout à fait envisageable qu’une autre de ces unités de fabrication de briques ou d’armes ait existé à Euménéia, sans oublier les céramiques, dont on sait par exemple que l’armée de Bretagne les produisait en grande quantité405. Une découverte archéologique permettrait certainement d’illustrer ce point, bien que la différenciation entre production civile, locale ou importée, et production militaire soit difficile a priori. Comme les unités qui occupèrent cette caserne furent toujours en partie ou totalement montées, rien n’empêche non plus de penser que des terres lui avaient été rattachées afin d’y faire paître les montures ou d’y récolter du fourrage406.
169Les stationes de Phrygie407 n’ont pas fait l’objet d’un examen archéologique important comme cela a pu être le cas pour celles des provinces occidentales408. La chose est regrettable dans la mesure où il est impossible de donner des informations sur leur aspect architectural, de même qu’on ne peut dire en quoi les soldats furent impliqués dans leur construction, bien que l’on puisse avancer l’idée que les traditions de l’armée romaine allaient plutôt dans ce sens. Néanmoins, l’intervention d’entreprises civiles locales ne peut être totalement exclue.
Les travaux routiers
170Deuxième secteur d’activité économique qui concernait directement les soldats, celui des voies de communication. La construction et l’amélioration du réseau routier avaient certes pour objectif de faciliter les mouvements de troupes. Mais tous les acteurs de la vie économique y trouvaient leur compte, pouvant circuler sur des itinéraires sûrs et bien conçus.
171À l’époque achéménide, la charge du tracé et de l’entretien des importantes routes qui traversaient l’Empire incombait aux satrapes409. Kondalos, subordonné de Mausole en Carie, considérait ainsi que les branches d’arbres tombées sur la route appartenaient au roi et les faisait vendre410. Elles étaient bordées d’entrepôts dans lesquels les troupes en marche se ravitaillaient411. Les satrapes pouvaient requérir des corvées de paysans en temps de paix412. En temps de guerre, c’était vers les militaires qu’ils se tournaient. L’armée perse possédait un corps de pionniers, déjà signalé par Hérodote413 lorsque Xerxès fit déboiser une partie de la Piérie en 480 avant J.‑C. pour y construire une route. Un siècle plus tard, un passage de Xénophon414 précise comment étaient équipés ces spécialistes qui servaient Cyrus : il s’agissait de fantassins légers, archers, frondeurs et acontistes, point trop embarrassés par un lourd équipement, entre lesquels étaient répartis haches, pioches et pelles qui leur permettaient de faire face à toutes les situations. Ils pouvaient dégager la végétation, briser un sol trop dur et tasser la terre pour construire une voie carrossable. Il semble que le roi les avait placés en dehors du groupe des combattants, soit pour raison de santé, soit pour raison disciplinaire. Mais l’armée disposait aussi de pontonniers qui eurent à s’employer, cela va de soi, devant les grands fleuves de Mésopotamie, mais aussi en Phrygie, avec les problèmes de franchissement posés par la Méandre ou le Lykos. Ils étaient tout à fait à même de jeter des ponts de bateaux impressionnants, comme celui commandé par Darius en 513 avant J.‑C. pour franchir le Bosphore de Thrace415 ou celui bâti pour Xerxès en 480 sur l’Hellespont416. À moindre échelle certes, un ouvrage d’art de « sept bateaux » avait été mis en place sur le Méandre, à Apamée417.
172Au temps de la conquête macédonienne et à l’époque hellénistique, l’implication de la troupe dans la construction et l’entretien des routes et des ponts se maintint, sans pour autant qu’il soit possible de faire la part entre ce qui relevait de pratiques européennes anciennes et ce qui provenait d’un héritage de l’époque précédente. Ainsi Alexandre envoya-t-il, alors qu’il voulait se rendre au plus vite de Phasélis à Pergè, une troupe de Thraces, une nouvelle fois des fantassins légers, ouvrir un chemin à une partie de l’armée à travers les montagnes418. Après la mort du Conquérant, des pionniers préparèrent une route capable de voir circuler le char funèbre colossal qui devait rallier Babylone à la Macédoine419. Des passages d’Arrien relatifs au franchissement des fleuves de Mésopotamie et d’Inde prouvent également que l’armée macédonienne possédait des corps de pontonniers420. Il est probable qu’à la suite de l’établissement en Asie Mineure des pouvoirs séleucide et attalide, ce furent les représentants locaux de ceux-ci, satrapes et stratèges, qui furent chargés de l’entretien et du développement du réseau de communication. Faute de documents précis, on peut néanmoins supposer qu’ils s’en remettaient durant les périodes de paix à la corvée pesant sur les paysans phrygiens et qu’en période de guerre ils se tournaient vers des corps spécialisés faisant partie de l’armée.
173L’implication des soldats romains dans les opérations de construction et d’entretien de routes, et ce à travers tout l’Empire, n’est plus à démontrer. En ce qui concerne la Phrygie, malgré l’absence de preuves, il est légitime de penser qu’on les vit agir dès la période républicaine, obéissant en cela aux ordres des gouverneurs. Cette implication est démontrée par le texte d’une borne milliaire datant au plus tard du iie siècle après J.‑C. et retrouvée sur le territoire d’Euménéia421. Des soldats provenant d’une vexillatio de la XII Fulminata avaient participé à ces travaux de voirie. P. Thonemann422 a rappelé combien il était peu usuel que ne figurent sur ce type de monument ni le nom de l’empereur ni celui du gouverneur ; de plus, il s’agit là du seul exemple connu d’une intervention directe d’une unité militaire dans ce type de travaux pour la province d’Asie. D’après lui, ce caractère exceptionnel était dû au caractère stratégique particulier de cet itinéraire reliant la « capitale » administrative et économique d’Apamée au centre militaire d’Euménéia. Les soldats eux-mêmes profitaient en tant que consommateurs de l’existence de ce réseau routier dans la mesure où celui-ci facilitait l’importation en Phrygie de produits de qualité et de denrées alimentaires venant par exemple de la côte égéenne ou de Syrie. Il convient d’ajouter que l’armée romaine disposait elle aussi de pontonniers, dont l’existence et les techniques sont signalées par un passage d’Arrien423, qui participaient probablement aux travaux effectués sur les ouvrages d’art de Phrygie. L’implication des militaires dans la construction du système routier amène à se poser la question de leur rôle en ce qui concerne son exploitation. En dépit d’une absence de preuves, on peut néanmoins s’interroger sur d’éventuels conflits d’intérêts entre eux et les civils : ainsi, dans le cas de l’existence de péages en des points donnés du tracé routier, qui bénéficiait des sommes levées ? Chargés de l’entretien de celui-ci, objet de travaux pénibles de leur part, les soldats pouvaient selon eux légitimement y prétendre, même si cela était illégal. Si une telle tension a existé, il va de soi que les exigences de l’armée ont dû être beaucoup plus fortes durant les périodes d’affaiblissement du pouvoir central (fin de la République, crises successorales suivant l’assassinat de Néron ou de Commode, débuts de l’anarchie militaire).
Conclusion de la deuxième partie
174Ainsi qu’il a été énoncé ci‑dessus, l’impact probablement le plus important de l’installation de soldats allogènes en Phrygie fut une accélération de la monétarisation de cet espace. En effet, les mercenaires au service du Grand Roi et des monarques hellénistiques voulaient être payés en bonnes monnaies, réutilisables lors de leur éventuel retour chez eux. Il fallut donc déthésauriser les richesses conservées sous forme brute dans les temples ou dans les trésors royaux par exemple et accroître la pression fiscale, essentiellement supportée par les ruraux, mais aussi parfois par les cités. En dépit de la violence de ces procédés, ils aboutirent à une dynamisation globale de l’économie locale, dynamisation confirmée à partir de l’époque augustéenne par l’implantation de légionnaires, d’auxiliaires et même de troupes issues de la garde, tous payés régulièrement en monnaies de bonne qualité. Relativement à leur aise pour ne parler que des simples troupiers, ces hommes achetaient des vivres, de l’huile et du vin, quelques produits de luxe, des armes et se payaient les services de prostituées. Leurs officiers avaient bien entendu la possibilité de viser plus haut en termes de dépenses.
175Rendus à la vie civile, les vétérans préparaient leur dernier voyage en se faisant ériger des monuments qu’ils n’auraient pas eu les moyens de commander s’ils étaient demeurés des civils. En sens inverse, mais seulement à l’époque romaine, les militaires devenaient aussi des producteurs lorsqu’ils construisaient leurs propres lieux de casernement et participaient à la réfection du réseau routier. Le problème est de mesurer l’impact de tout cela au niveau de l’économie phrygienne dans son ensemble ; or, la chose est rendue quasiment impossible par l’ignorance devant laquelle se trouve le chercheur de l’importance même de la population globale et donc de la place qu’y tenaient les soldats424. Il convient donc de rester très prudent et de se contenter d’affirmer qu’il y eut un « trickle down effect » lié à la présence militaire, mais que celui-ci fut beaucoup plus important autour des garnisons, des divers types de colonies militaires et des postes de police installés dans la campagne qu’ailleurs.
De la surveillance à la prédation
176L’implication des militaires en activité ou vétérans dans l’activité économique ne se vivait pas qu’en termes de production ou d’achat. Les soldats étaient astreints par leurs employeurs à un rôle de police. Il faut comprendre que la sécurisation des campagnes, face au danger toujours présent du brigandage ou des attaques de pillards pisidiens, ne pouvait être exercée par les maigres effectifs des milices civiques commandées par des amateurs. Seuls les militaires possédaient le savoir-faire et l’organisation susceptibles d’éloigner les indésirables. Dès l’époque achéménide, ce fut une des fonctions des hommes du Grand Roi. Il s’agissait de permettre aux paysans de produire tranquillement afin de faciliter la perception des impôts. Les monarques séleucides et attalides n’agirent pas autrement. Quant aux Romains, après la période anarchique de la fin de la République, Auguste, puis Tibère, mirent en place un système de contrôle que la propagande impériale présentait comme quasiment parfait.
177Il va de soi que les choses n’étaient pas aussi simples et que la traque des brigands n’était pas toujours chose aisée en raison des complicités dont ils pouvaient bénéficier au sein de la population. De la répression à la prédation, le pas ne semble pas avoir toujours été difficile à franchir. À l’époque impériale romaine en particulier, un nombre relativement important de témoignages vient étayer la théorie d’une implication des militaires chargés de la sécurité dans de nombreuses exactions. Cela ne préjuge naturellement pas de l’inexistence de ce type de pratiques au cours des époques antérieures et pose la question de l’impact de ce type de méfaits sur l’activité économique.
Les fonctions de police
178Depuis l’époque achéménide, le positionnement des garnisons perses obéissait, certes, à des considérations stratégiques visant à empêcher un ennemi potentiel d’emprunter les grands axes de circulation à son aise, en particulier la route royale, mais pas seulement. Les soldats devaient également garantir la tranquillité des agriculteurs contre les attaques des brigands ou de populations mal ou pas du tout soumises comme les Pisidiens. Diodore de Sicile, relatant les événements de l’année 466 avant J.‑C., les décrivait comme des ennemis irréductibles du pouvoir puisque lors de la bataille de l’Eurymédon, les Perses paniquèrent en croyant qu’ils les attaquaient à revers425. Pharnabaze mena une expédition contre eux426 et Cyrus le Jeune trompa ses mercenaires au début de sa campagne en leur faisant croire qu’il agissait de même427. Xénophon, qui les rencontra probablement à ce moment-là, était très conscient de leurs qualités de pillards, agissant subitement et se retirant dans leurs réduits inaccessibles428. On les retrouve bien entendu lors de la grande révolte contre Artaxerxès II429. Il n’est donc pas étonnant que des traces de présence iranienne soient assez nombreuses à Antioche de Phrygie-Pisidie430 ou à Kibyra431 dans le but d’y faire face.
Le système achéménide
179Les riches campagnes de la vallée du Lykos et du Méandre, qui faisaient vivre seigneurs et soldats perses, étaient aussi largement surveillées, symbolisant ainsi aux yeux de tous la souveraineté du Grand Roi. Il n’y a pour s’en convaincre qu’à réexaminer l’importance de l’implantation iranienne autour d’Apamée432, de Laodicée433 ou de Sébasté434. Les autorités achéménides avaient tout intérêt à ce que la mise en valeur du sol s’opérât dans les meilleures conditions afin que le prélèvement soit le plus important possible et donc que la redistribution d’une partie du phoros au profit des soldats se fasse sans problème. La chose avait été parfaitement vue par Xénophon, qui faisait dire à Socrate dans l’Économique435 que le Grand Roi avait partagé le pouvoir dans chaque circonscription administrative entre fonctionnaires civils, chargés du prélèvement fiscal et de la surveillance des agriculteurs, et phrourarques, responsables des troupes et des garnisons, afin que les deux hommes puissent mutuellement s’accuser auprès du pouvoir central si l’un d’entre eux ne faisait pas correctement son travail. Socrate affirmait également436 que le monarque récompensait régulièrement les plus braves des guerriers qui avaient protégé les cultures et tout de suite après les meilleurs parmi les paysans qui avaient nourri leurs protecteurs efficacement.
180Autrement dit, chacun des deux groupes avait tout intérêt à ce que l’autre fonctionne au mieux de ce que l’on attendait de lui, les paysans en produisant beaucoup, les soldats bien nourris en protégeant les travailleurs. Ici aussi, la présentation de Xénophon est certainement quelque peu idéalisée et le prélèvement sur la paysannerie phrygienne s’opérait peut-être dans des conditions moins parfaites437. Toujours d’après l’auteur athénien, les agriculteurs n’auraient pas eu à souffrir lors des guerres internes à l’Empire perse : en effet, ils n’auraient dans ce cas fait que changer de maître, et s’en prendre à eux physiquement aurait été s’en prendre au roi lui-même. Naturellement, la même bienveillance ne s’appliquait pas aux récoltes, qui étaient volées ou détruites.
181Une autre fonction des soldats consistait en la protection des routes royales, assurant ainsi la tranquillité des voyageurs et celle des ruraux établis dans leur voisinage, traquant en particulier les bandes de brigands438. Ils étaient installés dans des postes de garde établis à intervalle régulier le long des tracés. D’après le Livre de Néhémie439, ils pouvaient servir d’escorte à un haut personnage si cela leur était intimé par un ordre royal ou celui satrapique. La protection du plat pays était également assurée par les garnisons établies par les satrapes dans certaines villes, qui pouvaient intervenir rapidement dans un lieu menacé : Thucydide mentionne leur présence à Milet et à Antandros440.
182Un problème demeure cependant insoluble pour cette période, celui des hommes de troupe et de leurs officiers placés par les autorités achéménides en dehors du service actif : on ne saurait dire s’ils jouaient ou non un rôle dans la sécurisation de l’espace phrygien et dans la traque des hors-la-loi.
L’époque hellénistique : la continuité dans le changement
183Il n’y a pas de raisons de croire que les choses aient changé en profondeur à l’époque hellénistique au cours de laquelle les enjeux de souveraineté étaient d’ailleurs tout aussi importants. Durant les périodes de paix, les autorités royales avaient tout intérêt à ce que la sécurité règne dans les campagnes de Phrygie, ne serait-ce que pour que les impôts rentrent régulièrement et que les installations coloniales réussissent à se développer. Les problèmes étaient toujours identiques : présence de bandits et risque d’attaques pisidiennes, sans parler alors de la principale crainte, celle du raid gaulois. La présence de phrouria et celle de garnisons dans certaines cités comme Apamée dans lesquelles étaient installés des soldats de l’armée royale dissuadaient probablement les bandits de s’en prendre aux paysans installés à proximité441. Mais la protection de ces derniers devait être moins efficace pour les plus isolés.
184Face aux Pisidiens, les Séleucides d’abord, les Attalides ensuite, avaient continué la stratégie de contingentement achéménide en installant de nombreux colons gréco-macédoniens, thraces et lyciens entre Apollonia et Antioche. De façon plus globale, on l’a vu442, on trouve la trace de membres de ces katoikiai à l’échelle de la Phrygie entière. Ces hommes, qui devaient un service militaire, jouaient sans aucun doute un rôle dans la police des campagnes. Habitués au maniement des armes, regroupés en petites communautés assez soudées, ils devaient être tout à fait capables de refouler des attaques de faible et moyenne envergure. On peut supposer qu’il en était de même pour les anciens soldats retirés du service à qui avait pu être concédé un domaine ou qui l’avait acheté avec leur propre argent. La grande question est de savoir pendant combien de temps les uns et les autres purent agir ainsi : au bout de deux ou trois générations, le phénomène de normalisation qui tendait à en faire des civils les discréditait probablement pour toute action violente d’assez grande envergure443. Ils devaient donc alors se retrouver dans une situation fragile, guère meilleure que celle des paysans phrygiens, sauf peut-être les plus riches d’entre eux qui étaient capables d’armer leurs dépendants pour se protéger.
185De toute manière, en cas d’attaque galate d’importance, il est probable que la meilleure solution pour les paysans phrygiens et pour tous les habitants des campagnes était la fuite vers l’abri des murs d’une cité (à condition que l’on veuille les y recevoir) ou la recherche d’une cachette sûre (c’est après tout ce qu’avaient fait les habitants de Thémisonion444). Capturés, ils étaient ramenés comme esclaves en Galatie, à moins que leurs ravisseurs proposent leur rachat. En 267 avant J.‑C., les membres des deux communautés des Neoteicheitai et des Kiddiokômitai, dépendants de Laodicée du Lykos, eurent la chance de voir les leurs rachetés par Banabélos, intendant des domaines d’Achaios l’Ancien445, et Lacharès, fils de Papos, son administrateur financier446. Tous ne durent pas avoir cette chance, mais il serait faux aussi de penser que le cas fut exceptionnel : les envahisseurs avaient en effet tout intérêt à se débarrasser au plus tôt, contre argent sonnant et trébuchant, d’une partie de leur troupeau humain, qui aurait pu ralentir leur repli.
186Encore fallait-il pour les paysans phrygiens que les soldats royaux ou les katoikoi chargés de les protéger se comportent bien ; car si tel n’était pas le cas, le remède pouvait être pire que le mal, même si aucune plainte contre des militaires n’a été conservée pour cette époque. Lorsque les choses s’étaient bien déroulées, une dédicace venait remercier l’officier qui avait su tenir ses hommes. Il n’en existe malheureusement pas pour la Phrygie, mais une inscription d’Apollonia de la Salbakè, cité si proche économiquement et géographiquement de la vallée du Lykos, est à cet égard révélatrice. Elle remercie, à une date inconnue, mais sous le règne d’un Séleucide, un hipparque, Philo(?), qui s’était assuré de la bonne attitude de ses soldats et avait accompagné une ambassade envoyée auprès de deux fonctionnaires royaux, leur prêtant peut-être des chevaux de la troupe à cette occasion447. Il est possible aussi que tout ce système de surveillance ait été placé en Phrygie sous l’autorité d’un stratège, tel Dionysos, fils de Théophilos, qui était chargé lui de la Carie, de la Lydie et des régions voisines de la cité d’Éphèse448, ou bien encore d’un autre émissaire royal ayant autorité sur une simple cité comme Sôtas, fils de Patroklos, « préposé » à la ville d’Olbasa449. Certes, tout dans leurs attributions ne relevait pas de l’activité militaire et de la surveillance des brigands, mais on est en droit de supposer que leur simple présence à la tête de quelques troupes devait dissuader les plus indisciplinés de tenter l’aventure de l’extra-légalité.
187Lorsque les troupes royales et les katoikoi n’y suffisaient point, les cités prenaient en main la surveillance de leur territoire. La question est complexe dans la mesure où l’on n’est pas sûr que les habitants des fondations coloniales aient été eux aussi astreints à un service militaire, ce qui leur aurait fourni les bases pratiques pour s’occuper eux-mêmes du maintien de la sécurité. Tout ce que l’on peut avancer, et même s’il n’en existe pas d’attestation en Phrygie pour l’époque hellénistique, c’est qu’il est fort probable que certaines d’entre elles disposaient d’orophylaques ou d’autres magistrats aux fonctions identiques chargés de patrouiller les campagnes avec l’aide de « gendarmes », les diogmites. L’institution était si nécessaire qu’elle est attestée dès 321‑320 avant J.‑C. à Amyzon de Carie450, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’ait pas été plus ancienne.
188Durant des périodes de crises dynastiques graves ou de vacance du pouvoir, des chefs de brigands finirent par s’emparer de cités et y installèrent leur propre autorité. L’exemple le plus connu est celui de Moagétès de Kibyra, qui ravageait depuis son fief les régions environnantes, tant et si bien qu’il entraîna contre lui l’intervention intéressée de Vulso451. Rien ne vient confirmer que son attitude à l’égard des paysans placés sous son autorité ait été plus détestable que celle des représentants des autorités « officielles ». Après tout, il avait lui aussi besoin des fruits de leur labeur pour nourrir ses hommes. Le fait que ces chefs de bandes se rencontrent fréquemment bien après la phase d’installation des colons venus d’Europe semble constituer un indice fort de la démilitarisation de ceux-ci incapables, à date tardive, de faire régner l’ordre en lieu et place des garnisons royales alors en voie de disparition
La densification du système de sécurité à l’époque impériale
189Le passage de la Phrygie sous la coupe romaine se fit dans des conditions aussi terribles que pour le reste de l’Asie Mineure. Si l’itinéraire des armées pontiques est moins connu ici que pour d’autres régions, on sait néanmoins qu’elles traversèrent l’Épictète452 et assiégèrent Laodicée du Lykos, qui finit par se rendre453. Les sources ne font pas mention de massacres de citoyens romains, mais en dépit du fait que Mithridate donna de l’argent à Apamée454 touchée par un séisme, on est en droit de supposer que les populations civiles souffrirent énormément de cet épisode et des amendes imposées par Sylla. Jusqu’à l’avènement de l’Empire, les autorités romaines pensèrent bien davantage à pressurer les populations qu’à assurer la paix dans la région. Dans ces conditions, les soldats servirent de bras armé aux magistrats et aux publicains pour exiger toujours davantage des provinciaux. La remise en ordre augustéenne transforma pratiquement du tout au tout le rôle des militaires. De simples pillards qu’ils avaient été jusque-là, ils se virent transformés en force de police dans le cadre de ce que C. Brélaz a justement nommé une « provincialisation et démilitarisation des contrées anatoliennes »455. L’objectif était identique à celui des pouvoirs précédents : assurer la bonne marche du commerce et de l’agriculture (en particulier dans les grands domaines sénatoriaux ou impériaux), faciliter l’exploitation des carrières de marbre de Synnada et l’exportation des blocs, éliminer en conséquence les bandes de latrones, affirmer sa souveraineté et dissuader les Pisidiens d’en revenir à leurs vieux démons, le tout sous le contrôle unique de Rome et dans le cadre idéologique de la Pax Augusta456.
Stationarii, regionarii et autres beneficiarii
190Au quotidien, sur le terrain, après la disparition des armées royales et avec la mainmise de Rome, la sécurité était assurée par les hommes de la garnison d’Euménéia qui appartenaient à des unités entièrement ou partiellement montées, ce qui facilitait leurs patrouilles à travers la région. Détachés de ces unités ou d’autres stationnées en dehors de la province, des soldats et des officiers457, nommés stationarii458, regionarii459, beneficiarii460 ou frumentarii461, occupaient dans les campagnes de petites forteresses, castella, praesidia, burgi ou simplement stationes, dont la plus connue est le castellum d’Aulutrene, et dans lesquelles paysans ou voyageurs pouvaient se réfugier462. Il n’y a pas de traces en revanche en Phrygie de pouvoirs de justice donnés directement à des centurions comme ce fut le cas en Dalmatie sous le règne de Caligula463. D’après Suétone464, ce maillage des campagnes avait été voulu par Auguste et Tibère pour lutter contre l’omniprésence du brigandage465 et cette fonction de poursuite et d’éradication était toujours parfaitement perçue par Tertullien, qui écrivait466 : Latronibus uestigandis per uniuersas prouincias militaris statio sortitur.
191Il faut encore ajouter, aux hommes positionnés le long des grands axes, ceux en charge de la surveillance des domaines impériaux et des fameuses carrières de marbre de Dokiméion qui étaient propriété impériale. L’épigraphie d’époque romaine, plus généreuse que celles des périodes précédentes, permet de relever la présence de stationarii467 ou de leurs équivalents sur le territoire de diverses cités ; il n’en demeure pas moins qu’il convient de rester prudent dans la mesure où, bien souvent, c’est simplement le contexte de l’inscription qui permet de rattacher tel ou tel soldat ou officier à ces fonctions de police, sans que la certitude soit absolue. En outre, il est plus que probable que de nombreuses stationes n’ont laissé aucune trace de leur existence et que le contrôle territorial était certainement plus dense que celui qui a pu être reconstitué ci‑dessous. Tout ceci permet en tout cas de proposer une synthèse de la présence des forces de police militaire, telle qu’elle exista sous l’Empire, à partir du tableau 20 :
Tabl. 20 – L’implantation des forces de police militaires au Haut-Empire dans l’espace phrygien.
| Cité et référence | Nom du ou des soldats et de leur unité | Appellations et remarques |
| Aizanoi/E‑AIZA‑42 | Iulius Théodôros, soldat d’une unité inconnue | Beneficiarius |
| Amorion/E‑AMOR‑4 | Caius Salvius Calpurnianus + des membres d’une vexillatio de la XII Fulminata | Probablement des membres d’une statio |
| Antioche/E‑ANTI‑42 | Aurelius Dionysios, de la XII Fulminata | Centurion regionarius, ayant bénéficié d’une dédicace métrique |
| Antioche/E‑ANTI‑65 | Deux beaux-frères nommés Asklépios, le premier singulares et le deuxième, défunt, beneficiarius, de la cohorte I Cyrenaica | Probablement membres d’une statio |
| Antioche/E‑ANTI‑66 | Anonyme | Beneficiarius ? Cité pour mémoire, car la reconstitution du mot est très aléatoire |
| Apamée/E‑APAM‑12 | Aurelius Valens, centurion d’une légion inconnue (Antonius Candidianus, librarius) | Probablement chargé de la direction du maintien de l’ordre dans la région |
| Apamée/E‑APAM‑13 | Iulius Ligys, vir egregius, primipile | Probablement chargé de la direction du maintien de l’ordre dans la région |
| Apamée/E‑APAM‑14 | Lucius Varius Maximus, centurion de la légion VII Claudia | Probablement chargé de la direction du maintien de l’ordre dans la région |
| Apamée/E‑APAM‑15 | Marcus Vettius Herennianus, primipile, centurion princeps | Probablement chargé de la direction du maintien de l’ordre dans la région |
| Apamée/E‑APAM‑16 | Valerius, fils de Iulianus, centurion de la légion VII Claudia | Probablement chargé de la direction du maintien de l’ordre dans la région |
| Apamée/E‑APAM‑17 | Iulius Licinus, centurion de la légion IIII Flavia, Aurelius Zoticus, tesserarius et Aurelius Bello, soldat | Affectés au castellum d’Aulutrene |
| Apamée/E‑APAM‑18 | Nonius Felix, primipile, commandant la vexillation ; Flavius Sabinianus, tesserarius, Val(erius) Silvanus, Valerius Castus, Mucatralis Dolei, Aurelius Senpronius et Aurelius Tarsa, de la XI Claudia ; Iulius Vitalis, Iulius Firmus et (?)us Sosus, de la I Italica | Affectés au castellum d’Aulutrene |
| Apamée/E‑APAM‑20 | Publius Aelius Maximus, soldat | Éventuellement chargé du maintien de l’ordre |
| Apamée/E‑APAM‑21 | Aurelius Aurelianus, soldat de la légion IIII Flavia, et son compagnon de tente | Affectés probablement au castellum d’Aulutrene |
| Apamée/E‑APAM‑22 | Aurelius Buris et Aurelius Auluzenus, soldats de la XI Claudia | Affectés au castellum d’Aulutrene |
| Apamée/E‑APAM‑23 | Aurelius Marcellinus et Aelius Victor, cavaliers de l’ala Flavia I Gaetulorum | Affectés au castellum d’Aulutrene |
| Apamée/E‑APAM‑24 | Iulius Aquila, soldat de la Ire cohorte prétorienne | Éventuellement affecté à une statio |
| Apamée/E‑APAM‑25 | Valerius Valerianus et Valerius Maximus, cavaliers de l’ala Flavia I Gaetulorum, Aurelius Marcelus, soldat de la XI Claudia | Affectés au castellum d’Aulutrene |
| Apamée/E‑APAM‑26 | Marcus Aurelius Athenio, vétéran de la légion IIII Flavia | Beneficiarius |
| Apamée/E‑APAM‑27 | Anonyme, de la VII Claudia | Éventuellement affecté à une statio |
| Augustopolis-Eulandra/E‑AUGU‑1 | Tiberius Claudius Vibianus, centurion de la légion XIII Gemina Pia Fidelis | Frumentarius |
| Augustopolis-Eulandra/E‑AUGU‑2 | Anonyme | Stationarius, dont l’installation était demandée par la communauté villageoise des Anossènoi |
| Colosses/E‑COLO‑3 | Lucius Macedo, centurion | Éventuellement placé à la tête d’une statio |
| Dionysopolis/E‑DION‑3 | Marcus Iulius Capito | Beneficiarius (il fait peut-être partie de la même unité que celle mentionnée à Motella) |
| Dokiméion/E‑DOKI‑9a‑d | Aelius Antoninus | Surveillant d’une caesura dans les carrières de marbre |
| Doryléion/E‑DORY‑19 | Quintus Cassius Saturninus, centurion de la V Macedonica et de la IIII Scythica | Présence probablement liée à la surveillance des carrières de marbre. |
| Doryléion/E‑DORY‑23 | Plusieurs soldats anonymes, dont un appartenant peut-être à la IIe cohorte prétorienne | Présence probablement liée à la surveillance des carrières de marbre |
| Hiérapolis/E‑HIER‑83 | Diodôros, fils de Théophilos, soldat | Éventuellement affecté à une statio |
| Hiérapolis/E‑HIER‑84 | Gaius Seius Atticus, dit Moschas, de la légion VII, optio | Probablement affecté à une statio |
| Hiérapolis/E‑DIVE‑2 | Quintus Plautius Venustus | Honoré par les Hiérapolitains, les Dionysopolitains, les Blaundéiens et le koinon de la plaine Hyrgaléenne, il n’est pas certain que cet homme ait été un soldat |
| Hiérapolis de la Pentapole/E‑HIPE‑1 | Aurelius Menander, cavalier de la cohors I Raetorum equitata, défunt, honoré par Nikanor, son décurion | Très probablement affectés à une statio |
| Kératapa/E‑KERA‑1 | Aurelius Eirénaios | Stationarius, mort à Limyra de Lycie |
| Kibyra/E‑KIBY‑28 | Marcus Aurelius Victorius, aquilifer de la légion VIII Augusta | Éventuellement placé à la tête d’une statio |
| Kotiaéion/E‑KOTI‑4 | Marcus Aurelius Asklépiadès, soldat de la légion VII Claudia | Probablement chargé de surveiller les domaines impériaux |
| Kotiaéion/E‑KOTI‑5 | Philetus, soldat du prétoire | Probablement chargé de surveiller les domaines impériaux |
| Motella/E‑MOTE‑21 | Groupe de soldats anonymes | Membres d’une statio (ils font peut-être partie de la même unité que celle mentionnée à Dionysopolis) |
| Philomélion/E‑PHIL‑10 | Kosmos | Peut-être affecté à une statio |
| Sébasté/E‑SEBA‑11 | Caius Septumius Carbo, décurion de l’ala Bosporeana | Stationarius, remercié par les habitants du village d’Eibéios(on ?) |
| Synnada/E‑SYNN‑11 | Titus Aelius Valerianus, tribun | Probablement affecté à la surveillance des carrières |
| Synnada/E‑SYNN‑12 | Tiberius Claudius Asiaticus, tribun | Probablement affecté à la surveillance des carrières |
| Synnada/E‑SYNN‑13 | Marcus Aurelius Epictetus, evocatus des empereurs | Probablement affecté à la surveillance des carrières |
| Synnada/E‑SYNN‑14 | Iulius Celsus, soldat de la IIII Flavia | Probablement affecté à la surveillance des carrières |
| Takina/E‑TAKI‑2 | Anonymes | Stationarii, mentionnés dans une longue lettre adressée aux magistrats de la cité |
| Téménothyrae/E‑TEME‑7 | Anonyme, centurion des Bataves | Probablement affecté à la direction d’une statio |
| Téménothyrae/E‑TEME‑8 | Aquila, porte-enseigne de la I Italica | Très probablement affecté à une statio |
| Tyriaion/E‑TYRI‑6 | Flavius Alkibiadès, soldat, cavalier | Très probablement affecté à une statio |
| Village d’Ilias/E-VIIL‑1 | Ulpius Valerius Longus, centurion | Peut-être affecté à la direction d’une statio |
192La plupart de ces hommes appartenaient à des légions, avec parfois la présence de sous-officiers et de centurions, voire de tribuns à Synnada ; d’autres étaient issus de la garnison de Rome, en particulier des cohortes prétoriennes. Comme l’écrit C. Brélaz468 : « Le fait que des soldats soient pris des effectifs de l’Urbs et des corps de gardes impériaux pour être placés dans des postes militaires dans les provinces démontre l’importance qu’accordent les autorités impériales au service assuré par les stationarii ». Le recrutement des militaires affectés à ces structures de contrôle s’opérait manifestement au sein d’unités installées loin de la Phrygie afin d’éviter tout risque de rapprochement excessif avec les populations locales, selon un schéma parfaitement décrit par Aelius Aristide pour l’ensemble de l’Empire469.
193À partir de tout cela, et tout en tenant compte du fait que le taux d’incertitude reste important, il est possible de fournir un schéma de l’implantation de ces postes de surveillance dans l’espace phrygien (carte 19). En effet, même si certains témoignages ont forcément disparu et que d’autres sont discutables, il semble néanmoins que ceux subsistant fournissent une vision globale des choix stratégiques effectués par le commandement romain470.
Carte 19 – La présence militaire romaine en Phrygie au Haut-Empire d’après les données épigraphiques.

194Sans surprise, on retrouve des militaires exerçant des fonctions de police près des grands domaines impériaux, Kibyra, Takina, Kotiaéion, Doryléion. En dehors de ces implantations, il y avait des stationes le long des grands axes de communication, telle la Via Sebaste, la vallée du Lykos ou celle du Méandre, avec un choix particulier pour les carrefours comme Apamée, particulièrement représentée, Téménothyrae, Sébasté, Amorion, Kotiaéion et Doryléion encore une fois. La plus grosse densité se rencontre dans la zone des carrières en raison de la présence de celles-ci, de grands domaines appartenant à l’empereur et à sa famille et d’un enchevêtrement de plusieurs axes importants, dont l’ancienne route royale perse. Les hommes installés à Dionysopolis et à Motella (à condition qu’il y ait bien eu deux postes et non pas un seul) étaient probablement chargés d’assurer la sécurité des pèlerins se rendant au sanctuaire d’Apollon Lairbénos. Le maillage était le plus dense dans la Phrygie centrale, autour du Méandre et du Lykos, là où l’importance de population agricole était la plus forte et, comme il vient d’être dit, autour de Synnada. Au nord, aux limites de la steppe, là où l’élevage l’emportait, les stationes paraissent avoir été beaucoup moins nombreuses. Au centre de ce dispositif, la garnison d’Euménéia se tenait prête, en cas de nécessité, à envoyer une partie de ses hommes en renfort.
195Il demeure toutefois impossible d’estimer précisément le nombre de soldats installé dans chaque statio, qui devait d’ailleurs beaucoup varier selon les lieux.
Le rôle des vétérans
196Aux côtés de ses hommes appartenant à l’armée d’active, la sécurité était également assurée, dans un premier temps au moins, par les vétérans. L’installation par Auguste de colonies tout autour du massif pisidien, avec au premier chef Antioche, ne relevait pas du hasard. Il s’agissait de pouvoir surveiller, sinon bloquer, les voies principales permettant aux pillards de se répandre dans la plaine471. La présence d’autres implantations de vétérans est avérée à Apollonia472, qui commandait la route vers la Phrygie du Nord, à Apamée473, principal centre de l’activité économique et nœud de communications essentiel, et à Hiérapolis474, qui surveillait la fertile vallée du Lykos. L’état-major romain avait bien saisi l’importance stratégique de ces divers lieux.
197Sur un plan sémantique, le mot veteranus, qui est attesté à partir du début du ier siècle av. J.‑C., commença par désigner un soldat qui comptabilisait de nombreuses campagnes à son actif. Progressivement, il correspondit à un statut juridique défini par certains privilèges obtenus après l’accomplissement d’une durée continue de service établie en 13 av. J.‑C. Ceci est important pour Antioche de Pisidie, dans la mesure où, quelle que soit la date que l’on retienne pour sa fondation, 25 ou 19, elle est antérieure à 13. Pour rendre les choses encore plus complexes, il ne faut pas oublier qu’à l’époque de César et du deuxième triumvirat, même si l’écrasante majorité des colonies étaient déduites au bénéfice des vétérans, certaines accueillaient aussi des citoyens civils qui y étaient installés en compensation de leur radiation des listes des bénéficiaires des distributions de blé475.
198On pourrait donc estimer que le rôle défensif de ces anciens soldats fut limité. Il nous semble pourtant qu’en installant ceux-ci dans les principales zones stratégiques de Phrygie, outre le fait de leur donner une terre à exploiter, les autorités entendaient bien les utiliser comme supplétifs pour les forces de police militaire dont les effectifs n’étaient pas pléthoriques quand on les compare à l’étendue de l’espace à surveiller. Il ne faut pas oublier qu’ils possédaient une expérience récente des choses de la guerre et étaient regroupés en communautés d’autant plus solidaires que, dans un premier temps en tout cas, elles constituaient des îlots de latinité dans un océan phrygophone ou hellénophone. En cas d’attaque de brigands, ces hommes pouvaient s’armer rapidement et, sous l’autorité de leurs anciens officiers ou centurions, au moins contenir les agresseurs en attendant l’arrivée de renforts. Rien n’empêche non plus, même si aucune trace n’en est restée, qu’ils aient mené des patrouilles dans les écarts, à la recherche de marginaux. Plus globalement, leur simple présence devait décourager les brigands les plus sensés de se frotter à eux. Si des vétérans étaient installés en nombre important autour d’Euménéia476, c’est certainement qu’en cas de besoin, et probablement sans que les commandants de la garnison aient beaucoup à les forcer, ils pouvaient être mobilisés pour prêter main-forte à leurs camarades toujours en service si le besoin se faisait impérieux.
199Leur statut d’« anciens combattants » ne doit pas induire en erreur quant à leur potentiel physique. Ceux qui avaient été légionnaires avaient une quarantaine d’années au moment de leur démobilisation, ils avaient été nourris et soignés convenablement au cours de leur service et leur aisance financière relative leur permettait de continuer à jouir de ces avantages. Autre élément favorable à leur fonction de maintien de l’ordre, la proximité plus importante qu’ils pouvaient avoir avec les paysans phrygiens par rapport aux relations que ces derniers entretenaient avec les soldats des stationes par exemple. Certes, en tant que propriétaires fonciers, ils dominaient socialement et économiquement cette force de travail humaine qui exploitait leur terre à titre privé. Cela étant, dans les travaux quotidiens, des liens pouvaient se créer et des langues se délier, informant des activités délictuelles de tel ou tel. Bien entendu, comme pour les soldats en activité, rien ne vient garantir que les relations qu’ils entretenaient avec la population qu’ils étaient chargés de protéger, même indirectement, aient toujours été iréniques. La détention d’armes et l’habitude de l’usage de la force plaideraient plutôt en sens inverse.
200Combien de temps dura ce rôle policier des vétérans ? Il est probable qu’au bout de quelques générations, comme cela avait été le cas pour les katoikoi de l’époque hellénistique, leurs descendants étaient devenus des civils qui n’entretenaient plus que des rapports très lointains avec l’armée. Une inscription d’Antioche de Phrygie-Pisidie, haut lieu de leur installation et de la conservation de la tradition militaire romaine, est, à cet égard, très révélatrice. Au début du iiie siècle après J.‑C., les habitants honorèrent d’une dédicace le centurion regionarius Aurelius Dionysios, de la XII Fulminata, qui avait été envoyé rétablir l’ordre dans la région à la tête d’un détachement, peut-être en raison d’un accroissement du banditisme, ce que les descendants des vétérans d’Auguste s’avéraient incapables de faire477. Leur situation se rapprochait probablement de celle des Phrygiens, sauf encore une fois pour les plus riches d’entre eux qui avaient de quoi entretenir des milices privées plus ou moins importantes chargées de protéger leurs biens et leurs personnes.
La lutte contre les brigands : entre théorie et réalité
201Velleius Paterculus avait exposé le programme augustéen de surveillance du plat-pays en termes fort clairs478 : Pax Augusta homines per omnes terrarum orbis angulos a latrociniorum metu servat immunes. Si l’on en croit Aelius Aristide, qui écrivait au iie siècle après J.‑C., l’efficacité de ce système frôlait en tout cas la perfection479 :
οὕτω δὴ καθαραὶ μὲν φρουρῶν πόλεις, μόραι δὲ καὶ ἶλαι ἀποχρῶσιν ἐθνῶν ὅλων εἶναι φυλακὴ, καὶ οὐδ’ αὐταὶ κατὰ τὰς πόλεις ἑκάστῳ τῶν γενῶν πολλαὶ ἱδρυμέναι, ἀλλ’ ἐν ἀριθμῷ τῶν ἄλλων ἐνεσπαρμέναι ταῖς χώραις· ὥστε πολλὰ τῶν ἐθνῶν ἀγνοεῖν ὅπου ποτ’ ἐστὶν αὐτοῖς ἡ φρουρά. εἰ δέ που πόλις δι’ ὑπερβολὴν μεγέθους ὑπερῆρκε τὸ δύνασθαι σωφρονεῖν καθ’ αὑτὴν, οὐδὲ τούτοις ἐφθονήσατε τῶν ἐπιστησομένων τε καὶ διαφυλαξόντων.
202En réalité, le nombre d’inscriptions louant les hommes en place ou leurs officiers pour leur bonne conduite480 est assez faible et il est difficile de s’empêcher de penser que le comportement des uns et des autres n’était pas exemplaire481. Certes, tous les habitants libres de l’Empire avaient des droits. Mais loin des yeux de leurs supérieurs, les soldats pouvaient agir comme de petits tyrans locaux. Toutefois, à Augustopolis-Eulandra, c’est le village des Anossènoi qui supplia le procurateur de lui fournir un stationarius, pour le protéger des empiètements de ses voisins482. Aelius Aristide lui-même n’est pas en accord avec son propre panorama élogieux de l’action des stationarii. En effet, dans son Cinquième Discours Sacré483, il raconte un voyage aller-retour depuis Cyzique. Parti trop tard de la cité, aux alentours de midi, il voulut y retourner de nuit. Ses serviteurs, effrayés par les menaces potentielles qui se cachaient dans la nuit, refusèrent de continuer. Il dut donc improviser un campement sur place ; le lendemain, il se dirigea vers un de ses domaines où il passa la nuit, puis, de là, il gagna Laneion. Beaucoup de prudence donc pour faire quelques centaines de stades dans une zone réputée peu dangereuse.
203Mieux renseignée sur le positionnement des soldats exerçant des fonctions de police à l’époque romaine, la recherche dispose aussi de plus d’informations sur les adversaires qu’ils avaient à affronter. Si les Pisidiens se tinrent tranquilles durant le Haut-Empire, les brigands484 continuaient à constituer l’ennemi principal qu’il convenait d’éradiquer. Le problème est que ce déterminant simple peut être en réalité parfaitement trompeur. Rien de plus facile, pour dévaloriser un adversaire politique, que de le traiter de brigand ou de pirate, Sextus Pompée en fit les frais. Il n’est guère aisé de dire si ces hommes étaient de simples hors-la-loi qui avaient fait en toute connaissance de cause le choix d’une activité extralégale ou bien des révoltés contre un ordre sociopolitique qu’ils jugeaient insupportable ou bien encore s’ils étaient mus par ces deux causes en même temps. Pour ce qui est du ier siècle après J.‑C., il semble que la Phrygie ait connu une relative quiétude, preuve de l’efficacité du système mis en place par Auguste, mais peut-être est-ce là une impression due à l’état de la documentation485.
204D’après C. Wolff486, les choses commencèrent à changer à partir du milieu du iie siècle : elle voit les prémices de ceci dans la lettre que Fronton, désigné comme proconsul d’Asie, envoya en 157‑158 après J.‑C. à ses amis pour venir l’aider dans sa charge487 : or se trouvait parmi eux Iulius Senex, de Maurétanie, un spécialiste de la lutte contre les brigands ; quant aux autres, ils étaient originaires de Cilicie, province dont la réputation en matière de piraterie et de brigandage n’était plus à faire, et étaient donc habitués à se confronter aux hors-la-loi.
205Sous le règne de Commode, il y eut une véritable explosion du banditisme488. La crise économique, sociale et démographique consécutive à la peste antonine et à la pression des barbares aux frontières, avec son corollaire d’exigences de la part de l’État pour y faire face, entraîna certainement un appauvrissement de bon nombre de paysans et de membres des couches populaires des cités qui ne trouvèrent comme seul expédient que le choix d’une vie en dehors des normes légales. Il faut ajouter à cela les incertitudes quant à la solidité du pouvoir liées à la personnalité de Commode, venant après l’usurpation avortée d’Avidius Cassius. Il est possible aussi que lors de tentatives de ce type, des soldats aient été retirés de Phrygie pour être envoyés ailleurs lutter contre les adversaires du pouvoir légitime, ce qui aurait affaibli durablement la défense de la région et mis fin à un système de contrôle policier qui avait jusque-là bien fonctionné. Cette fois, les bandes de hors-la-loi se déchainèrent dans toute l’Asie Mineure. Ce n’est pas un hasard si c’est à cette époque que le stationarius Aurelius Eirénaios, de Kératapa, « cassa » du brigand aux limites de la Phrygie, de la Pisidie, de la Pamphylie et de la Lycie. C’est également l’époque, vers 189 ou 190 après J.‑C., où à quelques kilomètres de Kibyra, une bande n’hésita pas à tenter de s’emparer de la cité lycienne de Boubon qui dut se défendre seule, se voyant récompenser de sa bravoure par Commode489.
206Bien qu’il ne s’agisse pas de documents historiques au sens strict du terme, la publication à cette époque de romans ayant pour thème principal le banditisme constitue un indice révélateur. Si la date des Éphésiaques de Xénophon d’Éphèse demeure inconnue, M. Sartre490 fait remarquer qu’Apulée publia les Métamorphoses vers 170, Lollianos d’Éphèse les Phoinikika à peu près à la même époque et Philostrate sa Vie d’Apollonios de Tyane au début du iiie siècle, soit à une époque de recrudescence globale du brigandage491. D’après Xénophon d’Éphèse492, son héros, le bandit cilicien Hippothoos, intégra sans avoir à beaucoup chercher une bande en Grande Phrygie dont il devint un des cadres. La reprise en main sévérienne de l’Orient semble avoir ramené ces exactions à un niveau supportable puisqu’il n’est plus fait mention à cette époque de grandes bandes.
207En théorie, les soldats chargés de fonctions de police n’avaient face à eux que des gens désarmés, mais la question du port d’armes est difficile à éclaircir. La Lex Iulia de vi publica493, datant du début du principat, l’interdisait aux civils à l’intérieur de l’Empire. En réalité, la règle souffrait bien des exceptions, ainsi lorsque l’on se déplaçait sur les routes pour ses affaires ou lorsque l’on s’armait dans un but d’autodéfense494. D’autre part, les brigands savaient apparemment se battre et avaient la plupart du temps quelques notions de la chose militaire : ceci amène à supposer qu’un certain nombre d’entre eux devaient être des déserteurs ou des soldats en rupture de ban, à moins qu’après avoir été libérés du service honorablement, ils n’aient pu se réinsérer dans la société civile et aient choisi de retourner à une vie d’aventure495. Toutefois, les armes en leur possession n’étaient pas forcément celles qu’ils avaient utilisées durant leur service dans la mesure où l’on sait qu’un système de caution, bien attesté par les papyrus, les incitait à les restituer au moment de leur démobilisation496.
208Pour les militaires des stationes, les relations existant entre les populations qu’ils étaient censés protéger et les hors-la-loi devaient être parfois complexes à appréhender. Si les agriculteurs phrygiens pouvaient craindre les attaques des latrones, ils pouvaient tout aussi bien être leurs complices pour les cacher, acheter ou écouler leur butin497. La législation impériale était alors sans pitié à leur encontre498. Les paysans pouvaient faire eux-mêmes partie de bandes, travaillant dans leurs champs dans la journée à la vue de tous et attaquant la nuit, situation connue dans d’autres régions du monde et à d’autres époques. Ce type de cas se présentait d’autant plus volontiers si l’on avait affaire à un excédent démographique privant un certain nombre de ruraux d’un accès suffisant à la terre pour pouvoir nourrir convenablement leur famille ou bien encore, ce qui semble avoir été particulièrement fréquent en Phrygie à l’époque impériale, si une partie importante du sol se trouvait entre les mains de grands propriétaires, avec le même résultat que celui qui vient d’être évoqué.
209Parmi les habitants des campagnes, il faut faire un sort particulier aux bergers transhumants, toujours considérés, du fait de leur mode de vie, comme en dehors de la civilisation, toujours perçus par les sédentaires comme des prédateurs499. Connaissant toutes les drailles de la montagne, habitués à des terrains difficiles et au manque de sommeil, ils pouvaient frapper vite et s’esquiver tout aussi rapidement. Aussi les autorités locales étaient-elles à l’affût d’éventuelles déprédations commises par les bergers, ainsi qu’en atteste une inscription de Hiérapolis500 visant à protéger les vignes, si importantes dans l’économie locale, contre les dégâts occasionnés par le bétail. En fait, beaucoup de notables étaient eux-mêmes de grands propriétaires de troupeaux de moutons et de chèvres de plusieurs centaines ou milliers de têtes dont les laines étaient traitées par la pré-industrie des vallées du Méandre ou du Lykos ; ceux-ci étaient confiés à des archipoimenes, c’est-à-dire des bergers en chefs501, et les soldats devaient avoir bien du mal à les contrôler, ainsi que leurs subordonnés.
210Les notables justement, en dépit du discours de condamnation qu’ils tenaient à leur égard, pouvaient avoir recours aux brigands pour éliminer un concurrent en affaires ou en amour ou encore se débarrasser d’un parent à héritage trop long à mourir et certains grands propriétaires, quant à eux, hébergeaient et dissimulaient des hors-la-loi sur leur domaine, la chose étant prouvée par la législation impériale qui ne cessa de condamner ces pratiques502. Cette complicité, qui passait certainement bien souvent par l’intermédiaire des intendants, permettait d’assurer la protection de la propriété contre d’autres hors-la-loi et dissuadait les paysans de contester la toute-puissance du maître, comme ce fut le cas dans la Sicile du xixe et du xxe siècle.
211Un des gros problèmes que rencontraient les soldats était de mettre la main sur ses bandes, dont la caractéristique principale était leur capacité à se déplacer et à se reformer rapidement avec de nouvelles recrues au gré des circonstances et parfois avec la complicité d’une partie de la population. Les choses étaient rendues encore plus difficiles par la faible efficacité des milices des cités503 dirigées par des magistrats (irénarques et autres) peu formés et peu désireux de s’exposer. De plus, ces dernières avaient bien souvent une réputation exécrable auprès de villageois, qu’elles brutalisaient et rançonnaient. Une inscription de Hiérapolis du iie siècle après J.‑C.504 interdisait ainsi aux paraphylaques, durant leurs tournées, de demander autre chose que le logis, le bois et le fourrage pour leurs montures, ce qui montre que, loin de la ville, face à des ruraux ignorants, désarmés et apeurés, la tentation d’exiger plus devait être forte. Les soldats, devant cette impéritie, devaient donc parfois frapper fort et à l’aveuglette, ce qui n’améliorait certainement pas leurs relations avec les civils.
212Sur un plan global, il est probable que l’implication de l’armée romaine dans le maintien de l’ordre fut moins importante dans l’espace phrygien qu’elle ne le fut dans des provinces frontalières comme la Syrie ou la Cappadoce. Néanmoins, à l’exception des vallées du Méandre et du Lykos où existaient des cités relativement importantes capables de fournir des magistrats chargés du maintien de l’ordre à qui obéissaient des subordonnés tels les diogmites, l’implication des soldats dans le reste de la Phrygie fut certainement bien plus forte que dans les cités de la côte égéenne. Les petites communautés du nord et de l’est ne pouvaient probablement pas fournir, pour des raisons financières, de forces de maintien de l’ordre civiques. Cette cause, couplée à l’importance des axes stratégiques passant dans ces zones, aboutit à une surveillance confiée pour l’essentiel aux soldats. Pour la gestion et le contrôle des domaines impériaux, il semble néanmoins qu’ils aient pu compter sur l’aide d’esclaves armés qui connaissaient particulièrement bien le terrain ; c’est ainsi qu’une épitaphe de Doryléion505 fait connaître un de ceux-ci, Agathopous, qui avait été, au cours de son existence, « cavalier [aux carrières] de Synnada ».
Conclusion
213De façon générale, depuis l’époque achéménide jusqu’à la fin du Haut-Empire, ce furent pour l’essentiel les soldats qui assurèrent les fonctions policières au sein de l’espace phrygien. L’existence de magistrats spécialisés dans la traque des brigands qui apparurent à l’époque hellénistique dans les cités les plus prospères et continuèrent à exister sous le Haut-Empire ne doit pas induire en erreur. Leur absence de motivation et de savoir-faire en matière de répression, l’aide de quelques diogmites (dont la valeur militaire ne paraît pas avoir été exceptionnelle puisque l’armée impériale ne faisait appel à eux qu’en cas de danger exceptionnel), d’éventuelles complicités existant avec certaines bandes de brigands, tout cela n’incite pas à voir dans leur action quelque chose de particulièrement efficace, quand ils ne se contentaient pas d’ailleurs de brutaliser et de rançonner les paysans qu’ils devaient défendre. La présence de mercenaires aux époques achéménide et hellénistique puis de troupes étrangères à la région à l’époque romaine dut faire beaucoup évoluer les choses : ces hommes n’avaient pas de relations proches avec les habitants et aucune complicité éventuelle avec les latrones : ils pouvaient donc ramener l’ordre avec rapidité et efficacité, sinon avec douceur. Les autorités désiraient avant tout un retour à la tranquillité dans les campagnes afin d’en poursuivre une exploitation raisonnée. Il est bien difficile de dire comment les paysans phrygiens ressentaient tout cela. Ils se situaient de toute façon entre le marteau et l’enclume, entre les mauvais traitements que leur faisaient subir les hors-la-loi et ceux qu’ils éprouvaient parfois de la part des forces de police. Même si beaucoup durent finir par apprécier le retour à la tranquillité, nul doute qu’ils devaient avoir la sensation de la payer cher, ne serait-ce qu’en raison de la rudesse du traitement que certains d’entre eux subissaient de la part de ceux qui étaient censés les protéger.
La violence des soldats, un frein à l’activité économique ?
214Ce qui vient d’être décrit concernant les rapports entre les soldats et les populations civiles peut se généraliser à d’autres aspects en dehors du simple maintien de l’ordre. En effet, comme très souvent au cours de l’histoire, on se trouve face à deux groupes sociaux pour l’essentiel antagonistes. D’un côté, des militaires d’active qui, en dehors même des périodes de guerre au cours desquelles tout ou presque leur était permis, considéraient avec mépris les civils : à leurs yeux, ils étaient inférieurs par leur statut et par le fait qu’eux-mêmes ou leurs ancêtres étaient des vaincus, ce qui laissait le champ libre à toutes les exigences en matière de nourriture, de logement et de fourniture de bête de somme, sans oublier les outrages faits aux femmes. Tout cela était d’autant plus aisé que bien souvent les officiers étaient, sinon complices, du moins passifs, et que l’œil du maître, qu’il s’agisse du Grand Roi, d’un monarque ou dynaste hellénistique ou bien encore de l’empereur, avait bien du mal à se projeter vers un modeste village de Phrygie ayant subi ce type d’exactions.
215Pour les civils, les choses étaient toujours identiques : l’arrivée d’un groupe d’hommes armés, spécialistes du combat, était vécue avec appréhension. Si ceux-ci avaient décidé de mal se comporter, que faire ? Cacher une partie des récoltes si l’on en avait le temps, accepter sans trop résister de peur que les choses tournent vraiment mal les avanies, les vols, les brutalités imposées par les militaires ? Il n’en reste pas moins que se pose la question de la fréquence de ces mauvais traitements imposés par la soldatesque aux civils. Était-ce la règle ou était-ce l’exception ? La réponse est tout sauf facile. La Phrygie n’a conservé aucun document relatif à ce type de brutalité pour l’époque perse et celle des rois gréco-macédoniens. Pour autant, ne serait-il pas naïf de croire que tout se passa au mieux ? À l’inverse, sous l’Empire romain, où les statuts sociaux personnels étaient déterminants, des communautés de paysans libres se plaignirent auprès des magistrats en charge et même de l’empereur de ce que leur avaient imposé des militaires de passage. Croira-t-on alors que la Pax romana fut plus pénible aux habitants des villes et des campagnes que les périodes précédentes ? Sans pouvoir donner de chiffre précis, il est certainement préférable de dire que, quelle que soit l’époque, le passage de troupes put entraîner parfois des déprédations, tout à fait légitimes en cas de guerre ouverte, et que la présence de garnisons eut elle aussi un impact. Aller plus loin et se risquer à une précision mathématique serait extrêmement dangereux.
L’attitude des militaires aux époques achéménide et hellénistique : les exemples cariens
216En dehors des phases de conflit, il vient d’être signalé qu’aucun document phrygien ne fait mention d’exigences indues de la part des garnisons perses. D’après Xénophon506, on l’a dit, les paysans étaient protégés depuis le règne de Cyrus dans leurs corps, mais pas dans leurs récoltes, par la législation royale, vision irénique qui a bien peu de chances d’être vraie.
217À l’époque hellénistique, pour se rendre compte de la situation et une nouvelle fois encore en l’absence de documents locaux, on se tournera vers la Carie voisine pour voir à quoi ont été soumis les civils lors de l’arrivée de troupes sur leur territoire.
218À la fin de mai 203 avant J.‑C., Zeuxis507, chargé par Antiochos III de la gestion de l’Asie Mineure, envoya une missive à la cité d’Amyzon508 alors que son maître était en train de s’emparer des possessions lagides509. Contrairement à une thèse répandue depuis les travaux de C.B. Welles510, reprise entre autres par E. Will511, l’arrivée des troupes du Séleucide en Carie ne se fit pas dans une ambiance sereine. Il ne s’agissait pas pour Zeuxis de remercier les Amyzoniens, qui seraient passés du camp de Ptolémée V dans celui de son maître de façon volontaire, constatant la décadence du pouvoir alexandrin, mais bien d’une volonté de sa part de rassurer ses nouveaux sujets face à d’éventuelles déprédations commises par ses troupes512. Le texte est clair, en dépit des fioritures stylistiques bien dans la lignée des chancelleries hellénistiques et de quelques lacunes : l’arrivée des soldats séleucides avait entraîné des troubles. Des gens avaient fui leurs propriétés, les activités économiques normales avaient cessé ou en tout cas s’étaient trouvées déréglées. Telles ces fameuses et tristes affiches du début de l’été 1940 collées massivement par la Wehrmacht sur lesquelles les Français pouvaient voir un soldat portant dans ses bras des enfants avec la légende « Populations abandonnées, faites confiance au soldat allemand ! », Zeuxis insista sur la pistis que les Amyzoniens devaient éprouver à son égard comme à l’égard des troupes royales et des monarques, Antiochos III et son fils. Afin de prouver sa bonne foi, il indiqua que les autres cités qui avaient choisi de s’en remettre à eux n’en avaient tiré que des bénéfices. Surtout, pour rassurer les habitants, il leur indiqua semble-t-il qu’il avait ordonné aux officiers de l’armée (ou à ses représentants sur place, il est difficile de se prononcer) de mater les velléités prédatrices de la troupe. Agissant ainsi, il encadrait, en tout cas dans l’idéal, le droit au butin. Il est également très possible que le texte ait garanti le maintien de la situation qui était celle d’Amyzon sous le pouvoir lagide, mais il est difficile d’être pleinement affirmatif dans la mesure où il s’agit là de la partie la plus mutilée de l’inscription.
219À son arrivée dans la cité, le roi donna des ordres directs à ses soldats pour qu’ils respectent au moins les sanctuaires513 de ce territoire nouvellement occupé. Il s’agissait là d’une politique logique en termes de propagande visant à ne pas choquer les populations qui auraient pu assister au pillage de leurs temples les plus vénérés. Même s’il ne demeure malheureusement de cette injonction que le début, la protection royale sur le sanctuaire est confirmée par deux textes très fragmentaires datant des environs de 203 avant J.‑C. Le premier514 émanait d’un fonctionnaire royal, peut-être encore Zeuxis, mais la chose n’est pas certaine ; le second515, en dépit de sa brièveté, confirmait l’inviolabilité du lieu saint.
220Une inscription découverte dans le sanctuaire de Zeus de Labraunda516, adressée certainement aussi vers 203 avant J.‑C. par un haut responsable, peut-être Zeuxis encore, aux troupes qui occupaient la cité, confirme les interdictions édictées par les autorités séleucides à l’encontre des soldats. Toutes les parties de la troupe étaient concernées, depuis les officiers de haut rang jusqu’aux simples soldats, sans oublier la foule des valets et marchands qui accompagnaient les armées hellénistiques et qui ne devaient pas être les derniers à piller. Les deux sanctuaires d’Amyzon étaient déclarés asyles et il n’était même pas question d’y loger, encore moins d’y introduire, pour des raisons de pureté rituelle, des animaux. Les habitants des cités concernées par les lettres du roi ou de l’administration se voyaient garantir leur tranquillité. Il en va de même pour une lettre datant probablement de 197 avant J.‑C.517, envoyée par Zeuxis aux autorités de la cité de Kildara, affirmant la protection royale sur les citoyens mais également sur les paroikoi.
221Mais qu’en était-il de l’efficacité de ces décrets ? Ils n’engageaient (et encore…) que ceux qui les proclamaient. Lorsque les Séleucides s’emparèrent de la région d’Amyzon, une partie de la population, on l’a dit, s’était enfuie et les biens pillés avaient été transportés à Alinda. C’est ce que prouve une inscription de novembre-décembre 201 avant J.‑C.518 en l’honneur de l’épistate Ménestratos, fils d’Agathoclès, de Phocée, qui remercia ce commissaire royal d’avoir témoigné de la loyauté des sujets auprès du gouverneur d’Alinda. Les lignes 12‑17 sont très révélatrices : l’homme avait récupéré les « biens » retenus dans cette dernière cité (en tout cas ceux qui n’avaient pas été vendus et dispersés) ; en outre, il avait convié les Amyzoniens exilés à rentrer dans leur patrie. Les choses n’étaient pas totalement réglées pour autant. Plus tard, sans qu’on puisse dire quand exactement, un décret519 honora Hermias, fils de Pankratès, qui dut se rendre à ses frais, entre 203 et 190 avant J.‑C., auprès d’Antiochos III, qu’il trouva on ne sait où, afin de réclamer au monarque la restitution des esclaves sacrés qui avaient été enlevés par les soldats.
222Néanmoins, les injonctions des autorités séleucides pouvaient s’avérer efficaces. Un décret des Amyzoniens520, datant des environs de 200 avant J.‑C., remercie des soldats et leur officier, Ophélandros, installés probablement par Zeuxis, pour leur bonne conduite, leur « discipline » et leur « bienveillance ». Le texte, très lacunaire, mentionne des « ennemis » qui ont assiégé un fort et qui ont été repoussés. L. et J. Robert pensaient qu’il s’agissait du péribole de l’Artémision, mais la chose ne paraît pas certaine
223Tout porte à croire en tout cas que ces épisodes cariens peuvent pleinement s’appliquer à la Phrygie. Certaines cités durent connaître les mêmes problèmes lors de changements de tutelle, par exemple lorsque les Attalides remplacèrent les Séleucides après le traité d’Apamée. La seule attestation de cet état de fait est une dédicace apaméenne, se situant entre 188 et 160‑159 avant J.‑C., en l’honneur de l’évergète Kèphisodôros, fils d’Ariston521. Lors d’une période de guerre, la cité avait dû ravitailler en blé une garnison attalide installée dans son voisinage. Le roi remboursa au démos de la somme de 3 000 drachmes, auxquels l’évergète rajouta 5 000 ou 10 000 autres drachmes, l’importance de la somme montrant que la ponction sur les stocks de blé de la cité avait dû être conséquente. Il n’est qu’à espérer que de futures découvertes amènent à connaître d’autres inscriptions relatant des événements de ce type.
Une augmentation de la violence sous l’Empire romain ?
224L’époque romaine est plus généreuse en matière de témoignages relatifs à ces rapports conflictuels entre civils et soldats.
Les ordonnances impériales
225Pourtant, dès les débuts de l’Empire, les choses avaient été fixées, apparemment de manière claire. Une inscription bilingue datant de l’époque de Tibère522, retrouvée sur le territoire de Sagalassos, émanant du légat propréteur Sextus Sotidius Strabo Libuscidianus, apprend ainsi qu’Auguste et son successeur avaient codifié la fourniture des moyens de transport qui pesait essentiellement sur les paysans. Manifestement, tout le monde avait pris la triste habitude de se servir au gré de ses besoins et de ses envies sans rétribuer les propriétaires des véhicules et des animaux. Il y a fort à parier aussi qu’une bonne partie d’entre eux étaient purement et simplement volés. La décision du légat fut claire ; elle était en outre affichée partout, cités et villages, en grec et en latin, pour être lue et comprise par tout le monde, Romains, Grecs et paysans indigènes, accompagnée de la menace de punitions si quelqu’un venait à désobéir. La réquisition de charrois ou d’animaux était réservée aux représentants de l’administration romaine et aux membres de l’armée. En étaient exclus les civils, même ceux mettant en avant le transport d’une marchandise aussi précieuse que le blé. Le promagistrat, agissant sur ordre impérial, réaffirmait en premier lieu le caractère payant du service en fonction du trajet parcouru et de la qualité de la chose empruntée. En ce qui concerne le premier élément, le calcul se faisait en σχοῖνοι, unités de distance de 5,6 km (si on admet qu’elle est identique à la parasange perse dans la région). Pour ce qui est du second, l’administration avait établi une équivalence simple, selon les disponibilités des habitants (qui d’ailleurs pouvaient, si l’on comprend bien la dernière phrase du premier paragraphe, se fournir chez leurs voisins d’une cité proche à condition de les dédommager selon les critères qui vont suivre) et les souhaits des emprunteurs : 1 voiture pour 1 σχοῖνος se louait 10 as, 1 mule ou 2 ânes 4 as pour la même distance. Les habitants de Sagalassos n’étaient censés fournir ces moyens de transport que jusqu’aux cités de Cormasa et Conana.
226Étaient ensuite mentionnés ceux qui pouvaient prétendre à ces réquisitions. En dehors du procurateur (fiscal ou des domaines impériaux ? Le texte ne permet pas de prendre parti) qui avait droit, selon un principe mathématique strict, à 10 chariots ou 30 mules ou 60 ânes, les autres bénéficiaires étaient tous des officiers en déplacement pour le service ou des hommes qui diplomum habebunt (faut-il comprendre qu’il s’agissait là de vétérans se rendant dans le lieu par eux choisi pour s’installer après leur démobilisation523 ou bien plutôt de militaires en activité porteurs d’un ordre de mission ou de réquisition ?). On notera encore une fois le caractère très mathématique des attributions ainsi que la hiérarchisation de celles-ci. Si un officier de rang sénatorial avait droit au même traitement qu’un procurateur impérial, un autre officier, de rang équestre cette fois, ne pouvait exiger que 3 chariots, 9 mules ou 18 ânes ; quant au centurion, il devait se contenter d’1 chariot, 3 mules ou 9 ânes. Le légat ajoutait que rien n’empêchait les bénéficiaires et les fournisseurs de négocier de gré à gré des véhicules ou des animaux supplémentaires, ce qui montre qu’il existait un commerce de location qui devait lui aussi être protégé contre ceux qui ne payaient pas. On peut légitimement considérer que ce texte a dû limiter les prédations opérées par les militaires au détriment des ruraux. Car il ne faut pas se leurrer : à Sagalassos comme ailleurs, en Phrygie par exemple, c’étaient les paysans installés près des axes routiers qui avaient le plus à souffrir de ces « emprunts ». Les soldats allaient au plus simple et au plus proche. La perte d’un ou deux chariots et de bêtes de somme pouvait avoir un caractère dramatique pour un agriculteur modeste qui se trouvait privé, souvent définitivement, de ses instruments de travail.
227Néanmoins, sur deux plans, la protection assurée n’était pas totale. D’abord, rien n’était dit quant à ce qui devait être fourni aux simples soldats pas plus qu’en ce qui concerne ce qu’ils avaient à payer. En second lieu, le texte admettait que les représentants libres, affranchis ou esclaves du gouverneur ou de l’empereur, de passage à Sagalassos, avaient droit au gîte, probablement chez les notables qui leur offraient l’hospitalité. Rien de plus. Or, il est évident que ce manque de précision ouvrait la porte à toutes les exagérations, par exemple le fait d’expulser les paysans de leurs maisons pour y dormir à leur place. Rien de précis non plus à propos du couvert. Il serait particulièrement intéressant de savoir comment les ruraux ont accueilli ce texte et surtout quels en furent les effets réels. On se trouve toujours en effet devant le même problème, celui de la volonté de faire appliquer réellement ce type d’édit. Le désintérêt des successeurs de Libuscidianus, les habitudes prises, la force d’inertie d’une partie de l’administration romaine, la violence inhérente à la soldatesque, tout pouvait concourir à maintenir les paysans dans une situation d’extrême fragilité et à les marginaliser sur un plan social (en raison des vexations qu’ils subissaient) et économique (si l’on songe à la ponction effectuée sur leur outil de travail). Il convient toutefois de noter que ces ruraux étaient parvenus à faire aboutir leurs plaintes jusqu’au plus haut sommet de l’État. Il est possible que les notables aient joué ici un rôle important. Si en cas de vol de leur cheptel ou de leurs chariots, ils pouvaient toujours intervenir auprès des officiels romains pour être indemnisés, l’accumulation des problèmes a pu les inciter à se faire les interprètes des plus modestes, ce qui d’ailleurs leur permettait de renforcer leur domination sur ces derniers.
228Les choses ne s’étaient manifestement pas améliorées à l’époque d’Hadrien puisqu’il tenta, lors de son deuxième voyage en Asie en 129 après J.‑C., d’imposer de nouvelles règles, le fait étant connu par une stèle retrouvée près du cap Mycale524. Le texte réitérait l’ordre, déjà énoncé par Auguste et Tibère, de ne pas emprunter de force de moyens de transport. En cas d’utilisation, il devait y avoir rétribution selon des critères précis fixés par le diplôme en possession du soldat. Il était interdit aux militaires de quitter les routes publiques, celles du cursus publicus, et de demander des guides, sauf en cas de chutes de neige importantes, configuration qui pouvait tout à fait se rencontrer en Phrygie. Il est étonnant que des soldats aient quitté les voies principales le long desquelles ils avaient obtenu le droit de faire des réquisitions et d’être logés dans les bâtiments publics, ainsi qu’en atteste l’édit d’Hadrien. On ne peut qu’être d’accord avec M.A. Speidel525 lorsque celui-ci estime que la chose était liée en premier lieu au goût du pillage de certains soldats qui savaient que les communautés villageoises isolées, peu ou pas au courant de la législation en vigueur, se laisseraient ponctionner bien plus facilement. Il ajoute que certains soldats, pour des raisons ignorées, n’avaient peut-être pas reçu de diplôme leur permettant de se fournir auprès des cités et conclut en écrivant que « le cumul de la pénurie et de la cupidité, en définitive, a sans doute poussé les soldats à quitter les routes principales »526. Tout cela faisait que ces militaires étaient prêts à risquer une punition pour mettre la main sur du ravitaillement. Il faut ajouter à cela que lors des grandes campagnes, des pénuries en vivres devaient apparaître le long des axes principaux, pénuries dont devaient jouer les marchands locaux en faisant grimper les prix de vente527. Les soldats devenaient alors une clientèle dont on pouvait abuser, d’où la décision en leur faveur d’Hadrien qui imposa, pour les protéger, que les prix de vente des denrées soient ceux pratiqués au marché dix jours auparavant pour ceux qui étaient de passage pour raison de service ou qui transportaient de l’argent ou des prisonniers ou des animaux sauvages. Cette possibilité, comme l’accès au logement, était interdite aux troupiers voyageant à titre privé qui ne pouvaient exiger ni nourriture ni fourrage pour leurs animaux.
229On ne sait si l’édit d’Hadrien eut des effets durables ou non, la présence de l’empereur et de son entourage en Asie étant d’ailleurs probablement une des causes de l’augmentation des plaintes. Sous le règne de Pertinax, en 193 après J.‑C., le souverain et le proconsul d’Asie Aemilius Iuncus tentèrent de rassurer les habitants de la cité lydienne de Tabala, située sur la route reliant Éphèse à Aizanoi528 : les habitants avaient envoyé une ambassade auprès du gouverneur, succédant à une lettre expédiée à l’empereur, toujours pour les mêmes raisons. Des soldats quittaient la route et allaient vers la cité, où ils exigeaient des σουπλημέντα. Ce mot, ici translitéré en grec, désigne d’ordinaire en latin un renfort destiné à l’armée. H. Malay529 suggérait que les soldats allaient à Tabala pour y trouver des recrues, ce qui a été contredit de manière convaincante par S. Mitchell530, R. Gordon531 et T. Hauken532. En réalité, un des sens du verbe suppleo est « ajouter pour parfaire un tout »533 ; il n’est donc pas question ici de recrues, mais simplement du vol de marchandises qui venaient s’ajouter à ce qui était déjà prévu pour le déplacement des troupes le long de la route. C’est probablement à ces approvisionnements que faisait allusion le proconsul en parlant de l’« hospitalité ». Faute de pouvoir garantir l’obéissance des hommes de troupe, le gouverneur enjoignit aux habitants de la cité d’afficher son édit pour impressionner les soldats, des punitions sévères pouvant être prononcées à leur encontre.
230Rien n’y fit. Septime Sévère fut obligé d’intervenir à nouveau en 195 après J.‑C. depuis Nisibe où il résidait à la suite de plaintes provenant probablement du territoire d’Olbasa concernant des déprédations commises par des soldats de passage534. Ce cadre général, valable pour l’Asie Mineure occidentale, peut être complété par une dernière inscription, en l’occurrence un édit du proconsul G. Gabinius Barbarus Pompeianus qui, sous Caracalla, répondit aux plaintes de la cité carienne d’Euhippè qui se plaignait des torts qu’elle subissait de la part des soldats et des fonctionnaires qui s’écartaient des grandes routes pour piller son territoire535.
Les plaintes des communautés phrygiennes
231L’habitude de venir dans les bourgs et les petites cités positionnés en dehors des grands axes et de s’y livrer au pillage perdurait donc en dépit de toutes les interdictions. Si l’on resserre à présent la focale et que l’étude se concentre uniquement sur la Phrygie, il semble que le premier document utilisable la concernant536 ait été retrouvé dans l’ouest de la Pentapole, au lieu-dit Kilter, près du village de Çevrepinar, peut-être sur le territoire d’Otrous, à quelques distances de l’axe venant d’Apamée et allant rejoindre l’ancienne route royale perse ; il est datable de la période 187‑191 après J.‑C.537. Bien que brève, cette subscriptio du gouverneur T. Flavius Sulpicianus possède plusieurs mérites. Il y est d’abord mentionné la présence de domaines privés qui avaient fait l’objet des ravages de la soldatesque. Or, parmi cette dernière, le texte précise qu’une partie des hommes se trouvait sous le commandement d’un tribun et l’autre du « très honorable Ligys ». Pour ce qui est du premier groupe, il est évident que la seule unité dans le voisinage dirigée par ce type d’officier était la cohors I Raetorum equitata d’Euménéia. Autrement dit, lors de leurs tournées d’inspection et de surveillance, ses membres se permettaient d’exiger de la nourriture et des guides de manière indue. Le second groupe était dirigé par Ligys ; comme le fait remarquer M.A. Speidel538, il s’agit d’un nom rare. Or, une inscription d’Apamée539 fait connaître, certainement à la même date, un « Iulius Ligys, vir egregius, primipile, bienfaiteur de la cité ». Cet homme y commandait vraisemblablement une statio chargée de faire régner l’ordre dans la région. Ses subordonnés se comportaient de façon très dure à l’encontre des villageois de Kilter alors que, semble-t-il, leur attitude dans la cité apaméenne était tout à fait normale. La différence de traitement entre une grande ville et un lointain village est ici manifeste. Les habitants des domaines situés dans la Pentapole avaient donc à subir les mauvais traitements aussi bien des soldats d’Euménéia que de ceux d’Apamée.
232La violence des hommes de la garnison d’Euménéia pourrait éventuellement être confirmée par une inscription malheureusement si fragmentaire qu’elle décourage toute traduction540. Retrouvée dans le village de Yassıhöyük, au sud-ouest d’Işıklı, et datée avec précautions par T. Drew-Bear de la fin du iie ou du début du iiie siècle après J.‑C., elle mentionne indéniablement des στρατιω̣[τῶν]. L’éditeur541 suggère néanmoins de considérer le mot τινὲς̣ comme désignant certaines personnes à qui il serait reproché quelque chose, en l’occurrence les soldats, ἡγουμένῳ se référant aux autorités romaines à qui aurait été remise une plainte ou qui se seraient saisies de doléances des habitants de la région. Tout cela, loin d’être impossible, n’en demeure pas moins, en l’état actuel de la recherche, fragile.
233Le troisième document phrygien concerne des domaines impériaux situés à l’ouest de Sébasté, c’est-à-dire non loin de la route reliant Euménéia à Aizanoi et de l’embranchement avec la voie arrivant de Téménothyrae542 ; il se situe entre le 15 juillet et le 14 août 205. Il s’agit d’un rescrit de Septime Sévère et de Caracalla en réponse à une requête des coloni de Tymion et de de Simoen(?) ; ceux-ci se plaignaient d’exactions illégales ayant eu lieu chez eux. Certes, les soldats ne sont pas explicitement mentionnés, mais les chances qu’il s’agisse d’eux sont très fortes. Non seulement les empereurs ordonnèrent au procurateur de se saisir de l’affaire mais, prévoyant une possible récidive, ils incitèrent les colons à s’adresser au gouverneur de la province qui se devait d’agir, étant lui-même surveillé par ses maîtres. Si des complicités éventuelles entre le procurateur chargé des domaines et les militaires sont peu probables, tout au moins est-il possible de suggérer le peu d’intérêt du premier nommé pour ce genre de problème. D’autre part, il faut constater que la troupe n’hésitait plus à s’en prendre à des domaines impériaux, peut-être parce que ce type de pratique était devenu relativement courant sous le règne de Commode au cours duquel le brigandage avait d’ailleurs explosé. Abandonnés à eux-mêmes, certains militaires avaient pu prendre l’habitude de se comporter fort mal.
234Le quatrième document543 est le plus important, non seulement en termes de taille, mais surtout par les importantes informations qu’il fournit. Plutôt que de parler de document, mieux vaudrait utiliser le vocable de corpus dans la mesure où il s’agit de la réunion d’un rescrit impérial de Caracalla délivré entre le 30 juillet et le 11 octobre 213 après J.‑C.544 et de six extraits de lettres envoyées par divers magistrats et fonctionnaires dont dépendait la communauté de Takina, située en Phrygie, près du lac de Yarışlı, sur la colline d’Asar Tepe, à proximité d’un embranchement de la Via Sebaste, aux limites de la Pisidie545. La plupart des documents sont rédigés en grec afin d’en faciliter la compréhension par les colons. Ce furent les magistrats de ce démos (puisque Takina n’obtint jamais le titre de cité) peuplé de paysans travaillant les domaines impériaux qui se chargèrent de faire graver ces divers textes. La communauté avait été l’objet de réquisitions indues de chariots et de bœufs546 effectuées par les soldats en raison de la venue prochaine du proconsul, probablement pour tenir les assises à Apamée547. Les habitants envoyèrent une délégation à l’empereur pour lui demander du secours548.
235Celui-ci prodigua un rescrit remis aux deux ambassadeurs par lequel il n’interdisait pas les réquisitions, mais soumettait celles-ci au versement de dédommagements en ce qui concernait les chariots et au retour des bêtes de somme après leur utilisation549. Le procurateur affranchi Aurelius Philocyrius, établi à Synnada550 mais ayant compétence sur la région d’Apamée et de Takina, envoya alors une lettre à Claudius Pompeianus Tranquillus afin de lui demander d’appliquer les consignes impériales et de dédommager les colons. Les fonctions de ce dernier ne peuvent être clairement établies en l’état : il pouvait s’agir d’un procurateur de rang inférieur, chargé d’administrer les domaines impériaux autour d’Apamée551. Manifestement, les habitants de Takina constatèrent que cela ne suffisait pas puisque les soldats continuèrent à s’en prendre à eux en sortant « des villes » où ils étaient installés552 ; ils s’adressèrent alors au proconsul Gauius Tranquillus qui leur conseilla d’afficher le rescrit impérial pour dissuader les militaires de continuer. Cela n’eut pas grand effet puisque Aurelius Philocyrius dut intervenir à nouveau en s’adressant cette fois à Pacuuius Aemilianus pour rappeler à celui-ci les ordres de Caracalla. Ce personnage s’adressa à son tour, malheureusement dans la partie la plus lacunaire de l’inscription, aux colons : le texte fait mention de stationarii. S. Destephen553 propose de faire de Pacuuius Aemilianus, s’il n’était pas un procurateur de rang inférieur chargé de la gestion des domaines de l’empereur, le commandant d’une statio installée dans le voisinage, pourquoi pas par exemple au lieu de l’actuel village d’Ilias.
236Demeure la question de savoir quel rôle jouaient dans cette histoire les stationarii : participaient-ils aux exactions contre les gens de Takina ou bien se trouvèrent‑ils chargés d’y mettre fin554 ? L’état presque désespéré de ce passage de l’inscription ne permet absolument pas d’y répondre. En tout cas, Aurelius Philocyrius dut à nouveau reprendre le calame pour menacer les soldats de châtiments s’ils persistaient dans leurs mauvaises habitudes. La dernière missive provient d’un émetteur inconnu : les choses semblent ne s’être encore une fois guère arrangées ; l’anonyme conseilla à nouveau un affichage des décrets de l’empereur et du proconsul. Manifestement, cette multiplication d’ordres et de conseils divers eut peu d’effet, ce qui montre combien la soldatesque pouvait se permettre d’agir à son aise loin de ses chefs, y compris sur des domaines impériaux. S. Destephen555 a bien raison d’écrire que « l’accumulation de pièces officielles, la grande taille de l’inscription et sa mise en évidence à l’extérieur du bourg d’après son lieu de découverte visent à compenser la faiblesse intrinsèque de cette communauté rurale ». Ces efforts expriment, selon P. Herrmann556, « l’espoir dans un effet apotropaïque de l’inscription ». On pourrait ajouter que c’est aussi un excellent témoignage de l’incapacité des autorités à se faire obéir. Il est aussi permis d’envisager qu’un certain nombre de fonctionnaires subalternes, tels ceux auxquels écrivit Aurelius Philocyrius, étaient, sinon complices des soldats, au moins très négligents quant à l’application des ordres reçus, en tout cas tant que les brutalités et les vols n’empêchaient pas le paiement des redevances et l’exécution des corvées. Pour autant, faute de preuves, il serait malvenu de dire que le contexte global était devenu plus difficile pour les paysans phrygiens sous le règne de Caracalla que sous celui d’Hadrien.
237Il convient d’ajouter à ce triste panorama une stèle de confession, provenant de Motella, datable sans plus de précision du iiie siècle après J.‑C.557. En dépit de son manque de clarté, qui est un peu la loi du genre, elle raconte néanmoins l’histoire d’une femme anonyme qui, pour se venger d’un ennemi dont elle ne dit rien, aurait amené les soldats dans le sanctuaire. Or, une statio était implantée à Motella et/ou à Dionysopolis ; c’est vers ces hommes qu’elle dut se tourner, ces derniers interférant dans un conflit privé. Leur venue se passa mal, puisque le dieu punit la femme. Il y a tout lieu de croire que des interdits rituels existaient dans le temple, que les militaires transgressèrent allègrement, à moins qu’ils aient en plus profité de l’occasion pour voler quelques objets.
238À cet ensemble de documents concernant des exactions liées au passage des troupes, il faut ajouter un autre texte qui concerne, lui, la levée des impôts. Il existait ainsi à Hiérapolis un procurateur financier pour la Phrygie, installé dans la cité depuis le milieu du iie siècle après J.‑C.558, chargé de la capitation et du fruit du tributum soli559. Poussés par les autorités ou agissant de leur propre chef quitte à garder une partie du prélèvement pour eux, certains soldats placés à son service agissaient avec une grande brutalité. Datable de la fin du iie siècle ou du début du iiie siècle après J.‑C. en raison de la mention de deux ou trois coempereurs, le document en question est une réponse impériale à la plainte de paysans libres de Kibyra, victimes des malversations et des brutalités d’un tabularius appartenant à une unité inconnue et de ses complices, peut-être eux-mêmes des militaires560. Il y a tout lieu de penser que ce sous-officier, habitué à la gestion des fonds de son unité, avait été mis à la disposition du procurateur du domaine sur lequel travaillaient les paroikoi ou à celui du procurateur provincial.
239L’analyse du texte montre que les victimes s’étaient directement adressées aux empereurs et que ceux-ci les avaient encouragés dans ce type de démarche. Le document était adressé au supérieur des hommes incriminés, procurateur des domaines impériaux ou procurateur fiscal. La menace était claire et révélatrice de certaines pratiques : une commission d’enquête était envoyée sur place pour examiner les faits et l’administrateur était vivement tancé. À lui dans l’avenir d’éviter ce type de problème et de ne pas donner l’impression d’être complice de ses subordonnés. Cependant, bien que les méfaits du tabularius et de ses complices eussent déjà dû être punis directement par le proconsul ou l’empereur lui-même à titre d’exemple, ils bénéficiaient encore d’un sursis en attendant les résultats des investigations. Il est bien entendu dommage que rien ne soit demeuré de la conclusion de cette affaire. Cela étant, le fait que cette communauté ait fait graver cette lettre impériale va plutôt dans le sens d’un résultat positif pour elle. On aura garde d’oublier également l’aide que les soldats apportaient aux fonctionnaires civils dans la perception des douanes, comme cela était le cas en Égypte, à Leukè Komè, où la taxe de 25 % sur les importations était prélevée par un centurion et des soldats561. Là aussi, les choses ne devaient pas se dérouler forcément sereinement.
Une situation spécifiquement phrygienne ?
240Ces inscriptions sont particulièrement révélatrices des rapports existant entre soldats romains et paysans phrygiens562 (voir carte 20). Lorsque les communautés rurales étaient installées dans le voisinage d’une route ou d’un carrefour, elles avaient tout à craindre des exactions des militaires, en particulier de ceux de passage. C’étaient les plus pauvres qui souffraient le plus puisque, manifestement, les cités n’avaient pas grand-chose à craindre de cette indiscipline. Pourtant, les ruraux, même appartenant à de très modestes villages, ne s’en laissaient pas conter et n’hésitaient pas à envoyer des députations au gouverneur, voire à l’empereur. Malheureusement, il n’est pas possible pour l’heure de répondre à l’intéressante question qui est de savoir quels étaient les circuits qui permettaient aux plaintes de remonter vers les autorités, bien que l’on soit en droit de supposer que les notables des cités dont dépendaient les paysans devaient jouer un grand rôle en la matière. On ne sait pas non plus comment circulait l’information concernant ces exactions563. Cela est d’ailleurs en partie contradictoire avec la thèse de P. Thonemann564 pour lequel les paysans phrygiens se placèrent volontairement en dehors du système étatique romain. Ces communautés étaient capables de présenter clairement leurs doléances aux autorités supérieures, en grec peut-on croire, autorités en qui elles avaient confiance ; Takina possédait d’ailleurs des magistrats et s’était dotée du calendrier macédonien565.
Carte 20 – Les relations entre populations locales et armée romaine.

241Les autorités impériales répondaient favorablement à leurs requêtes, en tout cas si l’on en croit les documents qui ont traversé les siècles. Il est vrai qu’elles avaient tout intérêt à ce que l’agriculture fonctionne bien afin que les rentrées fiscales soient bonnes ; rien de nouveau depuis le règne de Cyrus566. De plus, l’action de l’empereur devait montrer à chacun qu’il se préoccupait du sort de ses sujets, même les plus modestes. Si les premières réglementations remontaient aux règnes d’Auguste et de Tibère, les Antonins, pour Kilter, et les Sévères, pour Takina et Tymion, continuèrent cette démarche de protection. Le rôle joué par Caracalla est particulièrement intéressant, que ce soit à Euhippè ou à Takina. Loin de l’image détestable qu’en a donnée Dion Cassius567, l’empereur sut mener une politique d’équilibre entre soldats et paysans : il fit tout pour limiter les abus de la soldatesque au détriment des agriculteurs, tout en rappelant à ceux-ci leurs obligations, obligations qu’il tenta de maintenir à un niveau supportable afin que la bonne marche de l’économie ne soit pas remise en cause568.
242Pour certains, la recrudescence de ces plaintes témoigne d’une indiscipline globale des militaires, prélude à la crise du iiie siècle après J.‑C., indiscipline apparue et généralisée à l’ensemble de l’Empire dès l’époque antonine, entraînant des relations détestables entre soldats et civils569. S. Mitchell, partisan de cette thèse, écrivait ainsi570 : « peacefull and prosperous Asia Minor was reverting to a condition of anarchy ». Dans les années 1990‑2000, une autre hypothèse, diamétralement opposée571, a voulu voir dans ces inscriptions une nouvelle habitude régionale ne traduisant en rien la réalité spécifique de la Phrygie ; ces phénomènes auraient été permanents et répartis partout tout au long de la période impériale572. Cette dernière position paraît très exagérée : car enfin, pourquoi serait-il demeuré autant de traces d’incidents opposant l’armée aux civils dans cette petite région constituée par la Phrygie et la Lydie573 ? Les effets de mode en matière épigraphique constituent une explication un peu courte.
243En fait, si les inscriptions se multiplièrent à partir du milieu du iie siècle, cela provint d’une présence plus importante des soldats, liée au passage de grands corps expéditionnaires se rendant en Orient sous les règnes de Trajan, de Marc Aurèle, de Septime Sévère et de Caracalla574. D’autre part, la qualité moindre du recrutement et de l’encadrement à partir du règne de Marc Aurèle pour faire face à l’urgence militaire ne dut pas favoriser les relations entre soldats et civils575. Bien que le ravitaillement ait été probablement fort bien organisé à l’avance, il n’en demeure pas moins que des hommes armés, livrés à eux-mêmes, en petits groupes, dans une riche campagne comme celle de Takina, n’hésitaient pas à voler directement un supplément de nourriture. Les officiers avaient peut-être pris également l’habitude de leur laisser la bride sur le cou afin d’éviter tout risque de mutinerie en cas de ravitaillement déficient576. Devant ces faits, il est probable que les stationarii et autres forces de police, qui appartenaient souvent aux mêmes unités que celles en mouvement vers l’Euphrate, eurent beaucoup de mal à agir. Rétablir la discipline dut s’avérer particulièrement difficile dans la mesure où il fallait faire poursuivre des soldats par d’autres soldats.
244De fait, le militaire romain n’était pas plus violent que ses prédécesseurs perses ou gréco-macédoniens. Cette impression provient de deux causes : la première est liée à la conservation de documents plus nombreux, ce qui s’explique à la fois par une plus grande proximité avec l’époque contemporaine et par l’intégration plus importante des communautés et des individus dans des circuits politiques et juridiques leur permettant d’exprimer leurs doléances ; la seconde provient de la densité plus forte de troupes romaines dans les lieux de passage ce qui, mathématiquement, ne pouvait que multiplier les occasions de heurts.
Conclusion de la troisième partie
245La sécurisation de l’espace phrygien fut un souci permanent pour les Achéménides, les rois héritiers d’Alexandre et le pouvoir romain. Il s’agissait là d’une politique logique de maintien de la paix, mais aussi de facilitation de l’exploitation agricole, de la production artisanale et des échanges, trop souvent menacés par le brigandage. Surveiller la campagne facilitait son exploitation fiscale. Troupes de mercenaires et colons militaires se trouvèrent chargés de ces tâches aux époques perse et gréco-macédonienne, avant que l’Empire romain n’installe à demeure en Phrygie une demi-unité auxiliaire appuyée sur des postes de contrôle positionnés dans le plat pays. En dépit des procédés probablement assez rudes utilisés pour assurer cette fonction, il n’en reste pas moins qu’en dehors des périodes de guerre, la population put se livrer à ses activités sans trop de crainte de se faire détrousser. Certains documents insistent sur la qualité et l’honnêteté de soldats chargés de la police ou de leurs officiers et si les sources de la fin du iie et du début du iiie siècle après J.‑C. se plaignent de la recrudescence du nombre de latrones dans les campagnes, c’est bien que jusque-là les habitants avaient pris l’habitude de n’en point trop souffrir.
246En théorie, les autorités, qui ne se berçaient guère d’illusion toutefois quant à l’empathie que les militaires pouvaient éprouver par rapport aux civils, surtout lorsqu’ils étaient isolés en pleine campagne loin du regard du maître, avaient codifié les droits et les devoirs de chacun, ainsi à l’époque impériale romaine pour les militaires en déplacement. Manifestement, certains parmi eux ne s’en contentaient pas et exigeaient beaucoup plus que ce qui leur revenait de droit. Demeure en suspens la question de l’importance économique de cette prédation. Fautes d’éléments précis, elle est particulièrement difficile à estimer. Si d’aventure des données chiffrées existaient, il est fort probable, et c’est de bonne guerre, que les agriculteurs y aient exagéré leurs pertes. Il est possible de dire avec une marge d’erreur raisonnable que les communautés les plus proches des axes de circulation furent plus touchées que celles de l’intérieur. Plus qu’un prélèvement massif de denrées (que les soldats n’auraient d’ailleurs souvent pas pu transporter), ce fut certainement le retour, certes irrégulier, mais récurrent, de ces réquisitions indues, qui fut mal supporté, plus que l’importance réelle de leur impact économique.
Conclusion du chapitre deuxième
247Le bilan économique de la présence militaire en Phrygie n’est pas aisé à déterminer. Comme bien souvent en histoire ancienne, on se trouve face à ce paradoxe consistant à devoir traiter d’économie sans posséder de données chiffrées. Sans parler de volumes de production, on est tout à fait ignorant, cela a été dit, de l’importance de la population phrygienne, de ses évolutions, ainsi que du pourcentage que représentaient les soldats par rapport à elle. La solution la plus prudente consiste peut-être à présenter à la suite les éléments positifs liés à cette présence, puis les négatifs. La chose est certes bien dichotomique, voire simplificatrice. Au moins permet-elle de saisir dans chaque cas quelques « masses de granit », tout en concédant bien entendu par avance que tout n’était pas blanc ou noir et en insistant sur le fait que les choses furent très différentes entre les phases violentes de conquête et d’installation d’une part et les phases de normalisation d’autre part, ces dernières aboutissant à la rationalisation de l’exploitation économique de l’espace phrygien. Par exemple, si les mouvements de troupes entraînaient vols et pillages dans les campagnes, en particulier le long des grands axes, ils permettaient à des profiteurs de s’enrichir en vendant des vivres aux soldats en manque à des tarifs usuraires. D’autre part, l’implantation de colons militaires aboutit à l’apparition d’un réseau de poleis destiné, avec celui des phrouria et des katoikiai, à assurer le contrôle territorial de la Phrygie, mais aussi à servir de modèle économique à long terme. Ceci eut pour effet une certaine concentration foncière, mais rien ne dit que cela augmenta les performances en termes de volumes de production. Tout dépendait en fait de l’intérêt plus ou moins grand que le propriétaire portait aux performances de ses équipes de travailleurs et à la possibilité d’améliorer les façons et les cultures. Or, la production et son intensification dans l’Antiquité étaient généralement très liées à la demande, c’est-à-dire non seulement aux besoins locaux, mais aussi à la nécessité d’enrichissement pour le propriétaire dans des proportions qui dépendaient beaucoup de sa capacité à augmenter par ses richesses sa notoriété.
248Il est fort probable que les choses étaient localement très différentes. Dans des cités importantes comme Apamée, Hiérapolis ou Laodicée, les luttes politiques, économiques et sociales qui opposaient les grands notables, qu’ils fussent d’origine iranienne, gréco-macédonienne ou romaine, devaient pousser ceux-ci à rentabiliser au mieux l’exploitation de leurs propriétés et de leurs ateliers, le tout au détriment de la masse de travailleurs phrygiens, quel qu’ait été le statut de ceux-ci. Il s’agissait de dégager un maximum de numéraire qui était reversé dans les évergésies qui permettaient de manifester aux yeux de tous la supériorité des élites. La pression exercée sur les travailleurs indigènes était probablement très forte. Dans les autres cités, où l’étroitesse du corps civique entraînait une moindre tension entre notables, il est probable que même si ceux-ci ne se désintéressaient pas de la gestion de leurs biens, ils devaient avoir une tendance moindre à exiger beaucoup de leurs subordonnés. Ce fut peut-être aussi cette différence dans l’intensité de l’exploitation qui fit que certaines cités connurent des innovations techniques, par exemple Hiérapolis avec le développement de la viticulture et de l’oléiculture577, alors que la plupart des autres conservèrent leurs habitudes de travail multiséculaires.
249Toujours est-il que si le chercheur contemporain considère positivement une monétarisation des échanges impliquant la déthésaurisation des trésors sacrés et la hausse des impôts, l’agriculteur d’Aizanoi ou d’Appia n’y voyait que sacrilège et fardeau fiscal supplémentaire. De plus, rien ne permet de peser mathématiquement les frustrations, les tensions et les haines accumulées par la population phrygienne.
250Tout cela étant posé, on peut considérer positivement :
- La création par la conquête militaire perse, gréco-macédonienne puis romaine de vastes marchés à échelle transrégionale dans lesquels s’intégra l’économie phrygienne.
- La monétarisation, à plusieurs reprises évoquée, absolument nécessaire pour le paiement des soldes, et par conséquent la dynamisation du système d’échange.
- Le contrôle des campagnes et la traque des groupes de brigands et de pillards descendus des monts de Pisidie ou venus de Galatie, assurant la sécurité de la production et du commerce.
- L’installation d’une population dotée d’un pouvoir d’achat élevé, payée à peu près régulièrement et consommant de façon assez abondante produits et services.
- L’amélioration ou la création, pour des raisons stratégiques certes, mais bénéficiant à chacun par la suite, d’un bon réseau de communication, parfois issu du travail des soldats eux-mêmes, à l’époque romaine en tout cas.
251On envisagera de façon négative au contraire :
- Les prélèvements opérés directement sur la production aux époques achéménide et hellénistique pour nourrir les soldats, impliquant de fait une diminution des rations de nourriture des paysans et du surplus destiné à la vente.
- La mise en place de corvées aux époques achéménide et hellénistique pour participer à l’exploitation des domaines allotis aux colons ou à la construction de certaines infrastructures (murailles et routes par exemple), entraînant une rétractation du nombre de journées disponibles pour le travail du lopin familial.
- La désorganisation des villages et de leurs formes de solidarité liée aux différentes opérations de colonisation et de transfert de terres.
- Les exactions opérées par les soldats de passage dans les campagnes qu’ils étaient censés protéger.
- Une éventuelle hausse des prix occasionnée par la présence de consommateurs à pouvoir d’achat relativement élevé s’opérant au détriment des paysans phrygiens, à l’exception de ceux produisant des denrées qui pouvaient intéresser les militaires ou les vétérans (vin, huile d’olive).
252Si l’on compare ces deux ensembles d’un strict point de vue comptable, il paraît bien que les avantages liés à la présence de soldats allogènes au sein de l’espace phrygien l’emportèrent sur les inconvénients, en dehors des périodes de guerre et d’invasion cela va de soi. La victime en fut pour l’essentiel la paysannerie locale mais, en dépit de son nombre, son avis comptait peu malgré ses recours à l’empereur à l’époque romaine et on ne lui demandait que de produire suffisamment pour permettre la levée des taxes. Cet enrichissement global de la Phrygie, rendu en partie possible par le contrôle exercé à tous les niveaux par la troupe, depuis celui des terres qui lui avaient été concédées jusque dans le cadre de son activité de police, se traduisit parfaitement dans le développement urbain qu’elle connut à l’époque hellénistique et au Haut-Empire. Que ce soit pour les périodes perse ou romaine, on peut reprendre ce que P. Briant578 écrivait à propos de la situation à l’époque hellénistique : « Le rapport dominants/dominés s’y confond [dans la cité nouvelle] avec le rapport Grecs/indigènes et même, pour une très large part, avec le rapport ville/campagne ». Dans ce rapport de domination, le soldat (ou le vétéran), bien souvent installé en ville, à la fois propriétaire, producteur, consommateur, policier et éventuellement prédateur ne pouvait jouer qu’un rôle central.
Notes de bas de page
1 Pour une synthèse de ce second chapitre, voir Roux 2018b.
2 Voir par exemple Ramsay 1883b ; 1890 ; 1895 ; 1897 et 1906.
3 Rostovcev 1941 et 1957.
4 Voir par exemple Kreissig 1969 ; 1971a‑b ; 1975a‑b ; 1977 ; 1978 ; 1979 et 1981.
5 Voir Debord 1976‑1977 et 1982.
6 Voir Briant 1972 ; 1975 ; 1979a‑b ; 1982a‑c ; 1988 ; 1996 et 1999.
7 Voir Hauken 1998.
8 Voir par exemple Pirngruber 2017, p. 194‑209.
9 Il ne semble pas qu’il y ait eu d’exemples de terres privées qui auraient été prises et données à de nouveaux venus. Ajoutons qu’il n’existe pas d’indice que des individus d’origine gréco-macédonienne, au moins sous les Diadoques et les Séleucides, auraient pu librement acquérir ou capter des terres et s’installer en Phrygie à titre individuel, en dehors du cadre de la colonisation royale et des dôréai.
10 Schuler 1998, p. 17‑56 et 291‑307 (voir Chankowski 2000 et Schuler 2004b).
11 Voir Briant 1975, p. 170‑171 ; celui-ci rappelle que la définition aristotélicienne de la kômè (Politique, I, 2, 1‑8) est essentiellement théorique et s’applique de fait surtout à la Grèce propre. Il ajoute que les auteurs gréco-romains n’ont pas à leur disposition le vocabulaire nécessaire pour rendre compte de la réalité socio-économique des satrapies asiatiques ; ainsi emploient-ils fréquemment kômè et polis l’un pour l’autre. Il faut donc éviter de tirer des conclusions définitives à partir de cette terminologie flottante. Autre difficulté méthodologique importante à souligner, les sources littéraires n’utilisent quasiment jamais le mot laoi pour désigner les paysans et se servent en lieu et place de douloi, alors que l’on n’a pas à faire dans cette partie de l’Anatolie à un esclavage rural identique à celui de l’Italie tardo-républicaine.
12 Arrien, Histoire d’Alexandre, IV, 24, 7 et 29, 3.
13 Arrien, Histoire d’Alexandre, IV, 1, 3‑4.
14 Strabon, XII, 5, 3.
15 Quinte-Curce, III, 1, 1.
16 Dion de Pruse, Discours à Célènes de Phrygie, XXXV, 14.
17 Miller 2011.
18 Sur le village, voir Kreissig 1969 ; 1971a‑b ; 1975 ; 1981 ; Briant 1975 = 1982c, p. 137‑160 ; Briant 1979a = 1982c, p. 291‑330 ; Briant 1979b ; Briant 1978 = 1982c, p. 263‑279 ; Briant 1982a = 1982c, p. 263‑279 ; Briant 1999 ; Van der Spek 1993 ; Billows 1995 ; Papazoglou 1997 ; Capdetrey 2012.
19 Briant 1975, p. 165.
20 Sartre 2003, p. 163.
21 Sartre 2003, p. 197.
22 Voir sur ces inscriptions Lecoq 1997.
23 Sur cette notion, parmi une vaste bibliographie, voir Wippermann 1981 ; Higounet 1989 ; Meyer 1996.
24 Isocrate, Panégyrique, 131 et 165‑166. Il faut se souvenir que le rhéteur, qui vécut presque centenaire, n’eut de cesse de pousser les Grecs à s’unir pour attaquer l’Empire perse. Il chercha plusieurs chefs pour mener l’expédition, tels Archidamos ou Jason de Phères, avant de se tourner vers Philippe II de Macédoine. Néanmoins, il est peu probable que son panhellénisme ait réellement influencé le père d’Alexandre. Sur ses idées, voir Mathieu 1925 ; Cloché 1963.
25 Isocrate, Sur la Paix, 24. Sur les mercenaires à la fin du ve et au début du ive siècle avant J.‑C., voir Marinovič 1988.
26 Isocrate, Lettre à Philippe, III, 5.
27 Aristote, Politique, 1329a, § 5 et 1330a, § 9.
28 Xénophon, Anabase, VII, 8, 9‑23.
29 On ne peut cependant exclure que certains de ces proverbes soient apparus aux époques archaïque et classique, lors de la première phase coloniale.
30 Cicéron, Pour L. Flaccus, 27, 65. Il est intéressant de noter que cette vision péjorative des Phrygiens est entièrement reprise à son compte par Launey 1987, p. 481‑483, qui termine sa brève présentation des traces historiques de la présence de soldats de cette origine dans les armées hellénistiques par cette phrase définitive : « Mais il semble bien que les Phrygiens soient, de tous les peuples de l’Asie Mineure, les moins doués pour les choses de la guerre ». Robert 1981a, p. 346, n. 18 rappelle que Körte 1897a, p. 390 en avait déjà fait un portrait peu reluisant : « Les Phrygiens n’étaient nullement un peuple de guerriers […] ; c’était un peuple d’actifs paysans […]. Jamais, aussi longtemps qu’il y a une histoire, nous n’entendons parler d’une résistance sérieuse des Phrygiens aux conquérants étrangers ; ils sont sans défense successivement devant les Cimmériens, les Lydiens, les Perses et les Celtes […]. Le paysan aimait mieux supporter la domination des étrangers que de laisser ravager ses riches récoltes ». On est ici davantage dans le stéréotype que dans l’histoire. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler qu’il existait des régiments de cavalerie phrygiens mentionnés par Quinte-Curce, IV, 12, 11.
31 Maillot 2021, p. 90‑92.
32 V. 12‑14.
33 V. 100‑102.
34 Le maître d’école, 3, 32‑36.
35 Le marchand de filles, v. 37‑40.
36 Tite-Live, XXXVIII, 17, 5 et 9‑14. Sur les relations entre espèces végétales et nature du sol, entraînant leur « dégénérescence », voir Denis 1998.
37 Sur le rôle civilisateur d’Alexandre, voir Plutarque, Fortune d’Alexandre, I, 4.
38 Properce, Élégies, IV, 6, 11‑68.
39 Virgile, Énéide, VIII, 671‑713.
40 Hippocrate, Airs, eaux, lieux, 12‑23.
41 Voir Briant 1999.
42 Voir le résumé qu’en fait Briant 1978, p. 58‑59, rappelant en particulier les positions de G. Droysen, d’E. Meyer, de W.W. Tarn et de C.B. Welles.
43 Briant 1999, p. 309. Ce que P. Briant dit de l’installation des colons grecs s’applique bien entendu aux Romains.
44 Thonemann 2013c.
45 Scott 2009.
46 À cet égard, voir pour l’époque romaine Thonemann 2013c, p. 29‑31 qui montre comment l’installation de ces grandes familles de negotiatores et de leurs affranchis aboutit à un « décollage épigraphique » de la région. Auparavant, le passage des armées hellénistiques, puis la crise liée à l’invasion de Mithridate, jouèrent probablement un rôle non négligeable dans l’asservissement d’une partie de la population. On aimerait aussi savoir si des formes d’esclavage d’origine économique, pour des dettes par exemple, continuaient à exister en Phrygie.
47 Parmi de très nombreux exemples de ces représentations, on peut citer une inscription du nord-ouest de la Phrygie, provenant de la vallée d’Altıntaş, conservée au musée de Brousse, montrant le buste du défunt avec, en dessous, un bélier, des ciseaux à tondre (ou à châtrer ?) et un couteau (Mendel 1909, p. 321, n° 75 [qui pense que les ciseaux sont un sécateur] ; Robert 1937, p. 206).
48 Mann 1986. Voir Thonemann 2013a, p. 46‑47.
49 Bru 2017a, p. 296.
50 Buckler, Robinson 1932, n° 1 (Bogaert 1976, n° 76 ; Austin 1981, p. 295‑296, n° 181). Voir surtout la colonne 1.
51 Xénophon, Économique, IV, 5. Pour un résumé de cette organisation, voir Klinkott 2005, p. 283‑286.
52 Sur ce défi, voir Dusinberre 2013, p. 83.
53 Voir Kuhrt 2007, p. 715.
54 Briant 1996, p. 718 ; Klinkott 2005, p. 28‑46.
55 Voir Klinkott 2005, p. 287‑294 (avec un intéressant schéma résumant la hiérarchie militaire perse p. 292).
56 Pirngruber 2017, p. 67‑68. Il s’agit ici d’une donation faite à la reine Laodice. Voir ci-après, p. 214.
57 Stolper 1985, p. 53‑69.
58 Xénophon, Anabase, I, 1, 6‑8.
59 Briant 1996, p. 1004 n’est pas certain qu’il s’agisse de dons de cités ; il penche davantage vers une mainmise sur le tribut ayant pour objectif de financer la guerre plus facilement.
60 Thucydide, VIII, 45, 6 ; Helléniques d’Oxyrhynchos, 19, 3.
61 Briant 1996, p. 613.
62 Hérodote, VI, 3‑4.
63 Hérodote, III, 127.
64 Xénophon, Cyropédie, VIII, 8, 20.
65 Sur la composition de l’armée satrapique, voir Klinkott 2005, p. 294‑301.
66 Xénophon, Cyropédie, VIII, 6, 4‑5.
67 Hérodote, V, 102.
68 Briant 1996, p. 517.
69 Briant 1996, p. 518.
70 Altheim et al. 1983 avec illustration (Nollé 1992, p. 19‑22).
71 Sur cet aspect des choses, on renverra à la stèle funéraire en araméen, peut-être contemporaine et retrouvée dans la même région, gravée pour Elnap, fils d’Ašya, sur laquelle sont invoqués les dieux Bēl et Nabu. Si le propriétaire de la tombe est judéen, comme cela paraît probable, il s’agit là d’une belle preuve d’acculturation religieuse. Voir Lipinski 1975, p. 150‑153 ; Nollé 1992, p. 15‑16. Sur les scènes figurées de banquet, voir Dentzer 1969 et 1982.
72 Xénophon, Helléniques, IV, 1, 15‑16.
73 Xénophon, Anabase, I, 2, 7‑9.
74 Sekunda 1991, p. 84.
75 Xénophon, Anabase, I, 8, 5 ; Ctésias de Cnide, 53.
76 Polyen, Stratagèmes, VII, 16, 1.
77 Xénophon, Cyropédie, I, 2, 15.
78 Plutarque, Vie d’Agésilas, VIII, 3.
79 Sekunda 1991, p. 83. Ariaios lui-même procéda à l’arrestation de Tissapherne avec l’aide de plusieurs subordonnés.
80 Xénophon, Anabase, VII, 8, 9‑23.
81 Xénophon, Cyropédie, VIII, 6, 1.
82 Sur le rôle du satrape dans l’entretien des forteresses et le contrôle de la garnison, voir Klinkott 2005, p. 414‑418 et 421‑422. D’après le Pseudo-Aristote, Économique, II, 2, 15, le système était si perfectionné que les autorités perses possédaient des livres mentionnant le nom des hommes à leur service avec, si besoin, mention de la date de leur décès.
83 Sur cette prudence nécessaire et sur certaines incohérences de Xénophon, en particulier concernant les rapports des phrourarques et chiliarques avec les satrapes, voir Briant 1996, p. 353‑354.
84 Xénophon, Économique, IV, 5‑8.
85 Tuplin 1987, p. 172‑174.
86 Voir Kuhrt 2007, p. 716, n. 5, et p. 720‑722 ; Dusinberre 2013, p. 88.
87 Voir Joannès 1982, p. 18 ; Briant 1996, p. 416‑417 ; Kuhrt 2007, p. 716 ; Dusinberre 2013, p. 88.
88 Xénophon, Économique, IV, 6‑7.
89 Xénophon, Cyropédie, VIII, 6, 1. C’était le cas du fortin de Seyitömer, à 26 km au nord de Kotiaéion (voir ci-après p. 207‑208).
90 Xénophon, Économique, IV, 11.
91 Helléniques d’Oxyrhynchos, 19, 2.
92 Hérodote, VI, 20 et 29.
93 Voir Briant 1996, p. 424.
94 Cowley 1923, n° 80, 5 ; Tuplin 1987, p. 225.
95 Sekunda 1991, p. 84. Ceci avait été le cas pour Thémistocle qui avait reçu du Grand Roi des villes en Asie Mineure (Thucydide, I, 138). Voir sur ce problème Briant 1996, p. 429‑430 ; Briant 2007, p. 165‑168.
96 CIG III, n° 3137 (Hicks 1882, n° 176 ; Michel 1897, p. 14‑20, n° 19 ; OGIS, n° 229 ; Schmitt 1969, p. 492 ; Robert 1974, p. 284 ; Ihnken 1978, n° 1 ; Austin 1981, p. 297‑303, n° 182 ; Petzl 1987, n° 573 ; McCabe, Brennan, Elliott 1988, n° 4, 10 et 14 ; Rigsby 1996, p. 95‑105 ; Kotsidu 2000, p. 237 ; Sartre 2003, p. 135‑138 ; Capdetrey 2007, n° 40 ; Bouzid-Adler 2013, p. 79‑82). Voir Cadoux 1938, p. 113‑127 ; Cohen 1978 ; Savalli 1985 ; Launey 1987, p. 669‑674.
97 C’est la thèse de Briant 1982c, p. 69 et Briant 1985, p. 173, qui fait remonter leur implantation aux règnes de Cyrus et de ses successeurs, et de Bouzid-Adler 2013, p. 82.
98 Xénophon, Anabase, VII, 8, 9‑23.
99 Sur ces tours et les hypothèses quant à leurs différentes fonctions, voir Descat 2004, avec références ; Klinkott 2005, p. 421‑422.
100 E‑LALK‑7.
101 E‑LALK‑2.
102 E‑ALIA‑1.
103 E‑ANTI‑1.
104 E‑ANTI‑2.
105 E‑ANTI‑3a‑c.
106 E‑SEBA‑1.
107 E‑SEBA‑2.
108 E‑KIBY‑4.
109 E‑APAM‑1a‑d.
110 Kirbihler 2016.
111 Sur les difficultés du travail en onomastique, parmi une vaste bibliographie, voir Le Bohec 2005 ; Raepsaet-Charlier 2005 ; Dondin-Payre 2011, p. 13‑36 (à noter, dans ce dernier ouvrage, de nombreuses contributions concernant essentiellement la partie occidentale de l’Empire et une très abondante bibliographie). L’idéal serait de parvenir à avoir une idée précise du pourcentage de noms perses par cité, mais nous avons dû renoncer à tenter ce décompte qui aurait été beaucoup trop chronophage dans le cadre de ce travail.
112 On pourra comparer ce qui va suivre avec l’analyse de Chandezon 2003 relative aux campagnes de l’ouest de l’Asie Mineure.
113 Sekunda 1991, p. 122 et 2011, p. 63‑64.
114 Plutarque, Vie d’Eumène, VIII, 5. Voir Briant 1982c, p. 56‑62.
115 Robert 1953 ; J. et L. Robert 1983, p. 97‑98, n° 2 (BE, 1984, n° 418 ; SEG XXXV, n° 1080 ; BE, 1987, n° 293).
116 J. et L. Robert 1983, p. 195‑196, n° 18.
117 Justin, XII, 4, 2‑10. Il serait intéressant de savoir si les incitations à la natalité (qui peuvent faire penser à des mesures prises par Auguste ou Trajan) et la protection des orphelins décrites par Justin sont de son fait ou bien s’appuient sur des pratiques réelles de l’époque hellénistique. Sur la démographie antique, voir Corvisier 1985 ; Scheidel 1996 ; Corvisier, Suder 2000 ; Bellancourt-Valdher, Corvisier 1999 ; Bellancourt-Valdher, Didier, Corvisier 2001 ; Scheidel 2001a‑b.
118 Briant 2006, p. 336‑342 (avec références).
119 Voir ci-après p. 226‑227.
120 Rostovcev 1941.
121 Kreissig 1977 ; 1978 et 1979.
122 Voir Briant 1982b‑c ; Sherwin-White, Kuhrt 1993.
123 Magie 1950 ; Wörrle 1975 ; Van der Spek 1995, p. 143‑145 ; Schuler 1998, p. 137‑194 (voir Chankowski 2000) ; Corsaro 1997, p. 9‑18 ; Schuler 1998, p. 160‑180 ; Mileta 2002, p. 158‑165 ; Capdetrey 2007, p. 135‑139.
124 Voir Bikerman 1938, p. 184 ; Van der Spek 1986, p. 143‑145 ; Schuler 1998, p. 168‑172 (voir Chankowski 2000).
125 Descat 2006, p. 368‑369 sur l’explication duquel les lignes qui suivent s’appuient.
126 Pseudo-Aristote, Économique, II, 1, 3 : « Au sujet des entrées et des sorties, [il s’agira de savoir] quand et quels [produits] après les avoir reçus de la part des satrapes dans la tagè, il conviendra de vendre au mieux ».
127 Sur katoikiai et colonies, voir la mise au point récente de Capdetrey 2007, p. 158‑166. Voir aussi, plus succinct, Ma 2013, p. 72‑73.
128 Voir Hatzopoulos 2001, p. 29‑32.
129 E‑ERIZ‑1.
130 Sur les fortifications grecques en général, Garlan 1968 et 1974, p. 244‑269 ; Adam 1981 ; Leriche, Tréziny 1986. Pour cette partie de l’Asie Mineure, voir Descat 1994 ; Pimouguet-Pédarros 1994a‑b ; 1995 ; Varinlioğlu 1994a‑b ; Debord, Descat 1995 ; Pimouguet-Pédarros 1997 ; 1999 et 2000, p. 368‑379 (ce dernier renvoi avec une vaste bibliographie).
131 Aydın 1991 ; Topbaş 1992 ; 1993 et 1994 ; İlaslı 1996.
132 Coşkun 2011 et 2015.
133 Voir Söğüt, Şimşek 2002, p. 308‑312 ; Thonemann 2011b, p. 145‑146.
134 Voir Tod 1904‑1905, p. 28 ; Şimşek 2011.
135 Thonemann 2008, p. 43‑43 et pl. 11‑12.
136 Filges 2003 ; 2006a‑b.
137 Filges 2006b, p. 129‑132 et 317.
138 Thonemann 2013c, p. 34.
139 Sur cette difficulté, voir les remarques anciennes, mais judicieuses, de Bikerman 1938, p. 80‑83. Voir aussi Bar-Kochva 1979, p. 20‑26 ; Cohen 1991.
140 Voir E‑ERIZ‑1.
141 Il est difficile de trancher dans le cas de Néoteichos et Kiddioukômè (E‑LALK‑8) et dans celui de Tyriaion et des enchôrioi (E‑TIRY‑3 ; voir Schuler 1999).
142 E‑TIRY‑3 ; E‑APAX‑1 (Herrmann, Malay 2007, n° 32, A-B [SEG LVII, n° 1150 ; BE, 2009, n° 440 ; Wörrle 2009, p. 427‑428] ; Ricl 2011, p. 143‑146 ; Thonemann 2011a [SEG LIX, n° 1376 ; BE, 2012, n° 369] ; Thonemann 2013a, p. 20‑24 ; Bencivenni 2015 [BE, 2016, n° 433]).
143 Voir l’exemple de Tymandos, p. 86 et 403.
144 Ankyra de Phrygie, Synaos et Téménothyrae n’ont pas été comptabilisées volontairement dans la mesure où les éléments de preuve n’ont pas été jugés décisifs.
145 Pour l’étude de l’obtention de ce statut colonial, on renverra à l’examen du cas de chacune des cités ci-après et au premier chapitre de cet ouvrage.
146 Les éléments de preuve concernant celle-ci sont un peu plus douteux que pour les sept autres.
147 Voir N‑BLAU‑1‑24.
148 Thonemann 2013c, p. 34.
149 Voir N‑DOKI‑10‑33.
150 E‑METR‑1.
151 E‑TYMA‑1.
152 E‑HIER‑2‑5.
153 E‑EUKA‑2.
154 E‑EUKA‑3.
155 E‑ERIZ‑1.
156 On ne peut ainsi pas exclure le fait que Dokiméion, comme d’ailleurs Thémisonion, aient été des cités dès leur fondation.
157 Il n’est pas possible de voir dans le caractère tardif de nombre de ces témoignages une sorte de réminiscence de la notion de colonia car ces textes évoquent toujours des réalités institutionnelles gréco-macédoniennes et ne font jamais allusion aux institutions romaines.
158 Thonemann 2013a, p. 29.
159 Mann 1984 et 1986, p. 169‑170, 240, 246‑247 ; Thonemann 2013a, p. 46‑47.
160 Exemples de cités bénéficiant d’exemptions fiscales, même s’il ne s’agit pas de colonies : Érythrée, depuis Alexandre (OGIS, n° 223) ; Smyrne, depuis Séleukos II, vers 245 avant J.‑C. (OGIS, n° 228) ; Téos, depuis Antiochos III, en 203 avant J.‑C. (Sartre 2003, p. 104‑109 [avec références]). Les sanctuaires jouissaient eux aussi souvent de régimes fiscaux favorables (voir Debord 1982).
161 Sur ces rapports avec le pouvoir royal, voir Ma 2004.
162 Thonemann 2013a, p. 29‑30 (avec références).
163 Thonemann 2013a, p. 1‑2.
164 Thonemann 2013a, p. 5 préfère voir chez les représentants du pouvoir attalide une volonté d’apparaître non pas comme des despotes, mais comme les patrons et évergètes d’une communauté de cités libres ; aussi le définit-il comme « non-charismatic ».
165 Il s’agit du texte CTMMA, n° 148 A et B. Voir pour tout cet épisode Pirngruber 2017, p. 66‑70 (avec références).
166 Pirngruber 2017, p. 67‑68.
167 Stolper 1985, p. 52‑69.
168 Welles 1934, n° 10‑13 ; I.Ilion, n° 33.
169 Van der Spek 2014, p. 214. Pirngruber 2017, p. 69 demeure cependant très prudent sur ce qui put advenir au cours de l’époque séleucide du système de « fiefs » militaires nommés hatru. Auparavant, Joannès 2006, p. 130 estimait qu’à partir de l’époque séleucide, « les tenures militaires ne paraissent plus attestées que dans le cadre des propriétés des sanctuaires, qui en auraient donc retrouvé la possession, alors qu’ils étaient auparavant intégrés dans le système des haṭru ».
170 Fränkel 1890, n° 7 ; Welles 1934, n° 16 ; Piejko 1988, p. 111 (restituant B et le début de C à partir d’une inscription retrouvée à Ikaros-Failaka) (SEG XXXVIII, n° 1265) ; Piejko 1991, p. 254 (SEG XLI, n° 1086) (pour les lignes 6 et 7 de C).
171 Welles 1934, n° 16.
172 Ceci suggère une comparaison avec les « Tarentins » et les « Néo-Crétois » des armées hellénistiques. Derrière ces noms à consonance géographique se cachaient en réalité des spécialités militaires.
173 Sur ces tours, voir Béquignon 1928 ; Young 1956 ; Bean, Mitford 1970, p. 22‑29 ; Nowicka 1975 ; Munn 1982 ; Osborne 1992 ; Konecny 1997 ; Hopwood 1998, p. 184 et 198, n. 34.
174 Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, XII, 3, 4.
175 Cohen 1991, p. 41‑50 ; Billows 1995.
176 E‑PESS‑1.
177 Thonemann 2015a, p. 120‑121.
178 Ricl 2014, p. 144‑145.
179 Ricl 2014, p. 145.
180 Voir Avram, Tsetskhladze 2014.
181 Thonemann 2015a, p. 123‑126 (avec références).
182 BE, 2015, n° 658.
183 Qu’elle existât ou non encore à l’époque, la cité ou son ancien territoire fut englobée sous le règne d’Auguste à la nouvelle cité des Σεβαστηνοὶ Τολιστοβώγιοι Πεσσινούντιοι, fondée par l’empereur vers 25 avant J.‑C. (voir Thonemann 2015a, p. 126 ; BE, 2014, n° 481).
184 Thonemann 2015a, p. 125.
185 Thonemann 2015a, p. 125.
186 L’allusion de Strabon, XII, 5, 3 à des travaux effectués dans le sanctuaire à l’initiative des rois de Pergame et le fait que le matériel archéologique pré-hellénistique y soit rare (voir Tsetskhladze 2009, p. 709) conforte dans l’idée de l’existence de bonnes relations entre les prêtres et le pouvoir attalide (sur les découvertes un plus abondantes concernant l’époque hellénistique, voir Strobel 2003‑2007, p. 208‑209).
187 Thonemann 2015a, p. 126 suggère une comparaison avec le cas de Jérusalem à l’époque d’Antiochos IV, tel que relaté dans Maccabées, II, 4, 9‑12. Nous pensons avec P. Hamon (BE, 2015, n° 658) que cette même démarche opérée avec Aizanoi est plus probante, ne serait-ce que pour des raisons géographiques.
188 E‑AIZA‑41a‑c.
189 E‑APAX‑1.
190 Sur les Mysiens dans l’armée attalide, voir Ma 2013, p. 62‑71. La face A parle de la présence de Mysiens à Kadooi. On ne peut dire s’il s’agit d’une communauté voisine peu connue ou de la cité d’Épictète, Kadoi, dont le nom aurait été mal orthographié et qui était, il est vrai, proche géographiquement de la Mysie. Masson 1993 a proposé de voir dans ces Mysiens les membres d’un corps spécialisé, peut-être des cavaliers, porteurs d’un pseudo-ethnique à l’image des Tarentins ou des Néo-Crétois.
191 L’existence de cette fonction au sein de l’appareil administratif attalide mérite d’être relevée.
192 Sur un autre exemple de synœcisme bien connu entre katoikiai macédoniennes qui donna naissance à la cité d’Apollonis, voir Robert 1962b, p. 255‑260.
193 Thonemann 2013a, p. 24‑26 (avec références).
194 E‑TYRI‑3 (Jonnes, Ricl 1997 [SEG XLVII, n° 1745] ; Jonnes 2002, p. 85‑89, n° 393). Voir BE, 1999, n° 509 ; Schuler 1999 ; Bencivenni 2003, p. 333‑356 ; Savalli-Lestrade 2003 et 2005, p. 10‑15.
195 Voir BE, 1999, n° 509 à propos de l’Égypte lagide et d’Apollonia de la Salbakè.
196 Sur cette fonction financière au sein de l’administration séleucide, voir Capdetrey 2007, p. 316‑317. Contra, BE, 1999, n° 509 qui estime qu’il s’agit d’un surnom valorisant la valeur militaire de son détenteur.
197 Habicht 1975, p. 77.
198 Magie 1950, p. 1502 ; Millar 1993, p. 240 ; Sartre 1995, p. 213.
199 Ramsay 1890, p. 401‑402 ; Ramsay 1941, p. 161 ; Bru, Labarre, Özsait 2009, p. 193‑205.
200 Thonemann 2013c, p. 25‑27 et 30‑31.
201 Robert 1980, p. 242‑243.
202 MAMA VI, n° 258 et 260. Voir Thonemann 2011b, p. 172‑173.
203 Günther 1975 ; Wörrle 1995a, p. 74 et 2009, p. 430‑431, n. 92 ; Rheidt 2010, p. 174.
204 CIL III, n° 7043 ; IGRR IV, n° 675 (SEG XXXVI, n° 1200 ; Kearsley, Evans 2001, n° 135).
205 Thonemann 2013a, p. 30‑47.
206 Voir p. 138‑139.
207 E‑PELT‑1.
208 C’est certainement pour cela qu’il est fait mention de nomothètes dans le décret.
209 E‑SYNN‑7.
210 Voir Thonemann 2008, p. 50.
211 Julien, Misopogon, 35. Voir aussi Bikerman 1938, p. 87 ; Petit 1955, p. 87 et 97‑99. Briant 1978, p. 65 rappelle aussi que le territoire de Doura-Europos avait été divisé en ekades (« signification précise inconnue »), elles-mêmes divisées en kléroi, qui continuaient à porter le nom de leur premier occupant ; cette présence de kléroi est aussi attestée à Suse par une inscription tardive. Strabon, XVI, 2, 4, Pausanias de Damas (FGrH IV 469 F 4) et Jean Malalas, Chronographie, 201, 16, précisent qu’il y avait parmi les colons des Crétois, des Chypriotes, des Argiens et 5 300 Macédoniens et Athéniens.
212 Capdetrey 2012, p. 336.
213 Sur les modifications de ces systèmes entraînées par la création de cités, voir Invernizzi 1993, p. 242‑245 ; Invernizzi 1994 ; Capdetrey 2012, p. 331‑338.
214 Kirsten, Opelt 1989, p. 55‑66 ; Jones, Habicht 1989 (SEG XXXIX, n° 1426) ; Cohen 1995, p. 363‑364.
215 Voir Briant 1972, p. 115‑116.
216 Bien que la chose soit regrettable, il n’est pas possible de dire quel était le pourcentage d’esclaves par rapport aux hommes libres au sein de la paysannerie. Il semble que les premiers nommés aient vu leurs effectifs s’accroître à partir du iie siècle avant J.‑C., mais on ne peut être plus précis. Voir Levi 1976, p. 81 sq. ; Harris 1980 ; Corsaro 1983, p. 545‑546 ; Lozano 1992 ; Sartre 2003, p. 175‑176.
217 Préaux 1978, p. 476‑479.
218 Laffi 1971.
219 P.Cair.Zen. 1.59033 et 2.59155 ; sur ce problème d’ensemble des améliorations agricoles, Préaux 1978, p. 476‑477.
220 Strabon, XVI, 1, 9‑10.
221 Strabon, XV, 3, 2.
222 Au sein d’une très abondante bibliographie, on retiendra Porchnev 1963 ; Foisil 1970 ; Bercé 1974a‑b ; Pillorget 1975 ; Bercé 1976 ; Dubourg 2010.
223 Préaux 1978, p. 380.
224 Rathbone 1991 (surtout p. 279‑295) et Rathbone 2005.
225 Tite-Live, XXXIII, 18, 4 à propos de la région de Stratonicée de Carie.
226 Strabon, XVI, 2, 10 concernant la zone autour d’Apamée de Syrie.
227 Ainsi à Cagrae, en Cilicie, le grand évergète Hermogénès, fils de Rhodon, qui avait participé à la refondation de sa cité au ier siècle avant J.‑C., possédait, au centre de ses vastes domaines, une demeure puissamment fortifiée, nommée de façon significative πύργος par les sources (Bean, Mitford 1970, p. 22‑29). Le même type de bâtiment est connu sur le territoire des villages turcs de Uzunkale (Bean, Mitford 1970, p. 29) et de Şıhlar (Hopwood 1998, p. 184 et 198, n. 34).
228 Bikerman 1938, p. 79.
229 Sur la nature et la dureté de ce système, voir Welles 1934, n° 18‑19 ; Broughton 1938, p. 628‑629 ; Hunt 1947 ; Robert 1963, p. 14 sq. ; Debord 1976‑1977 ; Kreissig 1977 ; Hopwood 1986.
230 Robert 1954, n° 166.
231 GIBM, n° 401 (Papadopoulos 1880, p. 339‑340, n° 11 A [incomplète] ; OGIS, n° 11 ; Hiller von Gaertringen 1906, n° 14 [incomplète] ; Schede 1934, n° 35 [incomplète]) ; Robert 1937, p. 183‑184.
232 Robert 1954, n° 167, l. 1‑14 et p. 303‑312.
233 Tite-Live, XXXVIII, 13.
234 Stéphane de Byzance, s.v. « Apollonia » 17 et 18, la nomme Mordiaion ; Athénée, Deipnosophistes, III, 81a utilise le vocable Mordion.
235 Pline l’Ancien, V, 29, 3.
236 Strabon, XIII, 4, 13.
237 Robert 1963, p. 348‑349 et 1984, p. 467‑472 ; J. et L. Robert 1983, p. 117. Voir Briant 1985, p. 174 ; contra, Sekunda 1991, p. 122 et 2011, p. 63‑64.
238 Voir Sauvaget 1941, p. 48‑51.
239 C’est ce type de processus que laisse entrevoir un passage de Pline l’Ancien, V, 122 à propos de Babylone qui aurait été dépeuplée volontairement par Séleukos Ier grâce à la fondation de Séleucie.
240 Strabon, XVI, 2, 4.
241 Briant 1978, p. 83 a montré que ces déplacements forcés de population remontaient à l’époque d’Alexandre, par exemple à Alexandrie d’Égypte, à Gaza, à Alexandrie-Charax, à Arrigaion, à Alexandrie du Caucase et à Alexandrie-Iaxartes. D’après Downey 1961, p. 78, 80 et 115, Séleukos Ier aurait installé de force des Syriens à Antioche (contra, Briant 1978, p. 84).
242 Briant 1978, p. 88.
243 Voir, pour l’Afrique, D’Almeida-Topor 1993, p. 27‑56 et 117‑126. On peut notamment mettre en avant la désagrégation des cellules familiales, tribales et villageoises et l’obligation de laisser de côté les productions vivrières au profit du travail dans les plantations et sur les chantiers, seul moyen de se procurer le numéraire exigé par l’administration coloniale pour le paiement des impôts.
244 Kreissig 1975b, p. 105.
245 Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, II, 18, 7.
246 Pline l’Ancien, VI, 31, 12.
247 Buckler, Robinson 1932, n° 1 (Bogaert 1976, n° 76 ; Austin 1981, p. 295‑296, n° 181).
248 Sur l’interprétation de cette inscription et sa datation contestée, voir Atkinson 1972 ; Briant 1972, p. 94 et 120 ; Debord 1982, p. 258 ; Descat 1985 ; Billows 1995, p. 113‑145 ; Briant 1996, p. 724 ; Papazoglou 1997, p. 41‑47 ; Dignas 2002, p. 70‑73 et 279‑287 ; Sartre 2003, p. 166‑167.
249 Voir Thonemann 2013a, p. 4‑5 et 46 qui estime que les Attalides mirent ainsi fin au vieux système de gouvernance achéménide, qui avait encore été celui des Séleucides.
250 On rappellera, pour la date classique de 25 avant J.‑C., les contributions de Christol, Drew-Bear 1998b, p. 304 ; Bru 2009, p. 281. Pour 19 avant J.‑C., on se reportera à Levick 1967a, p. 34‑37 et Levick 1996, p. 650. Sur la discussion à propos de la date de fondation, voir la mise au point de Sartre 2001, p. 114‑115.
251 N‑APOL‑36‑39.
252 E‑APOL‑4a‑h.
253 BE, 1958, n° 467.
254 Mitchell 1978, p. 315‑317.
255 Mitchell 1978, p. 317.
256 E‑APAM‑1b‑d.
257 E‑HIER‑85‑88 ; C et D.
258 Scardozzi 2014.
259 Scardozzi 2014, p. 109‑117.
260 IGRR IV, n° 818.
261 Pour Antioche, voir Hošek 2015, p. 3‑8.
262 Strabon, XII, 6, 1. Sur le titre d’imperator décerné à P. Servilius, voir Degrassi 1947, p. 80‑81, 554‑558, 564.
263 Smith 1967, s.v. « Vatia 1 ».
264 Cicéron, Sur la loi agraire, I, 5 ; II, 50.
265 Strabon, XII, 6, 3. Mitchell 1978, p. 313‑314.
266 Levick 1967a, p. 73 ; Jones 1971, p. 134 ; Lane 1975a, p. 56 ; Bru 2009, p. 274. Contra, Broughton 1934, p. 231‑233, 238 ; Broughton 1951 ; Labarre 2010, p. 110‑113.
267 Strabon, XII, 8, 14.
268 Voir les chiffres, discutables, de Levick 1967a, p. 719‑720.
269 Rizakis 1998, p. 609, n. 38.
270 Chouquer, Favory 1992, p. 45‑47.
271 Rizakis 2004, p. 74 et 2015, p. 5.
272 Capogrossi Colognesi 1999, p. 24.
273 Gagliardi 2006, p. 160‑176.
274 Sur ce vocabulaire, voir Rizakis 2015, p. 16.
275 Parmi une vaste bibliographie, voir Piganiol 1962 ; Assénat 1994 ; Elhasroufi 1995 ; Jung 1999.
276 Christol, Drew-Bear 1998b, p. 331 et carte p. 307.
277 Voir E‑ANTI‑72.
278 Voir E‑ANTI‑67.
279 Voir E‑ANTI‑68.
280 Voir E‑ANTI‑75.
281 Voir Papazoglou 1990, p. 112 ; Oakes 2001, p. 25‑31 ; Hellerman 2005, p. 70‑71 ; Rizakis 2015, p. 9.
282 Hygin le Gromatique, 20, 4‑5.
283 Il convient cependant de nuancer ce propos en rappelant que les propriétaires romains savaient dans certains cas motiver leurs intendants esclaves en leur promettant l’affranchissement si la productivité était bonne.
284 Il existait aussi des hierodouloi à Hiérapolis. Voir Debord 1982, p. 138‑139.
285 Arundell 1828, p. 233 ; Ramsay 1895, p. 127 ; Thonemann 2011b, p. 193. Voir la mention du village de Motellokèpos (« Les vignes de Motella ») dans E‑MOTE‑1 et chez Ritti, Şimşek, Yildiz 2000, n° D11.
286 E‑AIZA‑43.
287 Voir le tableau de ces donativa et liberalitates chez Le Bohec 1989a, p. 229‑232.
288 Voir Corbier 1977, p. 209‑212.
289 E‑MOTE‑19.
290 E‑ACMO‑5a‑b ; E‑TEME‑6.
291 Braudel 1979, p. 220.
292 Anderson 1906, p. 212‑214, n° 10 (MAMA X, n° 272) ; Gibson 1978b, p. 33‑36, n° 15.
293 Xénophon, Anabase, VII, 8, 9‑23.
294 Bar-Kochva 1979, p. 42.
295 Aperghis 2014, p. 201 qui penche pour un chiffre global tournant autour de 80 000 combattants.
296 Ma 2013, p. 59‑62.
297 Speidel 2009c, p. 475 et 481. Comme tout calcul démographique pour l’Antiquité, il s’agit d’un exercice périlleux pour lequel l’auteur (n. 10, avec références) s’appuie sur une reconstitution hypothétique de la population totale de la province d’Asie se situant au Haut-Empire entre 4,6 et 6 millions d’individus. Bien qu’il ne le précise pas, il paraît donc estimer le nombre total de militaires romains installés dans la province très en dessous de la barre des 5 000, sans qu’il puisse donner plus de précisions.
298 Pollard 2000, p. 161.
299 Ballance 1995, p. 189 ; Hauken 1998, p. 194‑195.
300 Il est vrai que soldats en activité et vétérans n’avaient pas la même situation ; cependant, leurs revenus plus élevés que ceux de beaucoup de civils (surtout pour les premiers d’entre eux) et leur proximité culturelle nous ont amené à les étudier souvent ensemble.
301 Kennedy 2006, p. 121‑122 = Kennedy 2013, p. 121‑122.
302 Xénophon, Anabase, I, 3, 21.
303 Pseudo-Aristote, Économique, II, 2, 24.
304 Pseudo-Aristote, Économique, II, 2, 25.
305 Fränkel 1890, n° 13 (OGIS, n° 266).
306 Griffith 1935, p. 274‑316 ; Launey 1987, p. 725‑780.
307 On peut comparer cette monétarisation avec celle que connut la Babylonie méridionale après la conquête d’Alexandre : voir Joannès 2006, p. 108‑110.
308 Fränkel 1890, n° 13 (OGIS, n° 266).
309 Polyen, Stratagèmes, IV, 6, 6. Faute de documents suffisants, on ne peut rien dire quant à la fréquence de situations de défaut de paiement ayant entraîné des pillages.
310 Il faut en effet prendre l’affirmation d’Hérodien, VI, 8, 8 avec précaution.
311 Les données de Dobson 1972 et 1974, p. 408 ont été remises en cause par les travaux d’Alston 1994, de Campbell 1994, de Haynes 2013 et de Speidel 2014 sur lesquels sont basées les estimations présentées ici.
312 Théorique dans la mesure où une partie de la solde était retenue dans la caisse de l’unité, que certains hommes de troupe (mais combien ?) recevaient double ou triple paie et que les salaires des gradés sont très mal connus. On ne peut enfin oublier les donativa, souvent payés en or, qui venaient plus ou moins régulièrement compléter tout cela. Reste le problème du butin. Les témoignages, dans la littérature antique, sont très nombreux. Pour rester dans l’Orient romain, il est probable qu’un des plus fameux fut celui effectué lors de la prise de Jérusalem par Titus (Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, VI). Cela étant, les troupes stationnées en Phrygie ne pouvaient guère compter sur ce bonus, sauf à faire partie d’un détachement envoyé renforcer l’armée impériale lors d’une grande campagne. Au quotidien, les victoires remportées sur les troupes de brigands, à condition d’ailleurs que celles-ci aient été très présentes sur le sol phrygien, ne devaient pas rapporter beaucoup. Voir Cosme 2012, p. 131‑134.
313 À moins que, comme à Doura, les prostituées, qui étaient à cet endroit des esclaves, aient dépendu directement de la gestion de l’armée (Pollard 2000, p. 188).
314 Mellink 1967, p. 172 et pl. 59 ; Özgen, Öztürk, Mellink 1996.
315 Moorey 1980.
316 On se reportera cependant avec intérêt à Haynes 2013, p. 166‑188, à propos de la vie quotidienne des auxiliaires (nourriture, vaisselle, soins du corps).
317 Cuvigny 2005. On rappellera que dans la partie occidentale de l’Empire, les tablettes de Vindolanda font connaître une correspondance très semblable concernant des officiers et soldats stationnés près du Mur d’Hadrien. Parmi une vaste bibliographie, voir Bowman 2003 ; Birley 2009.
318 Cuvigny 2005, p. 44 (pour le moulin), 49 et 637 (pour les chaussettes), 126‑127 (pour les radis).
319 P.Mich. VIII, 467 (traduction Reddé 1986, p. 685‑686).
320 P.Mich. VIII, 467 (traduction Reddé 1986, p. 685‑686).
321 P.Mich. VIII, 468 (traduction Reddé 1986, p. 686‑687).
322 P.BGU 423 (traduction Reddé 1986, p. 687).
323 E‑APAM‑17.
324 E‑APAM‑18.
325 Christol, Drew-Bear 1987b, p. 46‑48, n° 7.
326 Christol, Drew-Bear 1987b, p. 34‑42, n° 6.
327 Frei 1993, p. 123‑128 (SEG XLIV, n° 1070). L’adjectif Biadèrianos désigne probablement le lieu où se trouvait le sanctuaire.
328 E‑ANTI‑48.
329 Uçankuş 1979 et 2002 ; Summerer 2007a‑b et 2008 ; Dusinberre 2013, p. 178‑179.
330 Chamonard 1893 ; Firatlı 1970, p. 80‑85 et 121‑122 ; Thonemann 2011b, p. 149.
331 E‑APAM‑11.
332 E‑ANTI‑57.
333 Les monuments qui n’ont pas été retenus le furent en raison de l’insuffisance ou de l’absence totale de description par leurs premiers éditeurs. Il convient de rappeler que les voyageurs qui découvrirent ces précieux témoignages, de même que les savants qui les réunirent en corpus à la fin du xixe et au début du xxe siècle, ne s’intéressaient la plupart du temps qu’aux textes inscrits et peu, voire pas du tout, à leurs supports. Il conviendrait donc de façon urgente, dans la mesure où ces monuments n’ont pas disparu, d’en refaire une édition scientifique selon les critères actuels. Il faut ajouter que c’est l’étude des stèles-portes E‑ANTI‑73 et 75 qui a permis à Bru 2017a, p. 151 de proposer une date légèrement plus tardive que celle attribuable aux autres monuments de vétérans installés par Auguste à Antioche : il aurait en effet fallu quelques années à ces hommes ou à leurs familles pour adopter des coutumes funéraires locales. Pour le caractère local ou non de la stèle-porte, voir ci-après p. 242.
334 E‑EUME‑36 ; E‑KIBY‑30 (l’éditeur a laissé pour ce dernier le choix entre calcaire et marbre).
335 Voir par exemple Waelkens 1982a, p. 33‑54.
336 Il est très probable que ces choix de monuments étaient dictés aussi par des effets de mode, mais faute d’un nombre suffisant d’exemples, il n’est pas possible d’en proposer une chronologie.
337 E‑HIER‑85‑87.
338 E‑EUME‑33 et 36.
339 E‑ANTI‑73 et 75.
340 E‑ACMO‑7.
341 En ce qui concerne la présence de ce monument autour d’Aizanoi, voir MAMA IX, p. xliv‑liii.
342 Christol, Drew-Bear 1998b, p. 325‑326, avec références n. 60.
343 Waelkens 1986. Voir déjà contra Drew-Bear 1991, p. 424‑428. Pour un recueil récent de la plupart de ces monuments, voir Lochman 2003.
344 Kelp 2013, p. 70‑94.
345 Kelp 2008.
346 Sur les ateliers phrygiens, en particulier ceux de la vallée supérieure du Tembris, voir MAMA X, p. xxviii-xxxii.
347 E‑ANTI‑69 ; E‑KIBY‑30.
348 E‑EUKA‑2.
349 E‑AIZA‑44.
350 E‑ANTI‑72.
351 E‑ANTI‑72.
352 E‑ANTI‑73.
353 E‑EUME‑33.
354 E‑ANTI‑68.
355 Christol, Drew-Bear 1998b, p. 332.
356 E‑APAM‑16.
357 E‑KERA‑1.
358 Hoet-Van Cauwenberghe 2002.
359 Hoet-Van Cauwenberghe 2002, p. 157‑159. Comme base de calcul de la consommation annuelle, l’auteure s’est appuyée sur les mesures prises par le gouverneur de Galatie, L. Antistius Rusticus, pour stabiliser les prix des céréales et empêcher la spéculation lors de la famine de 92‑93 après J.‑C. Les 800 deniers dépensés pour cette tombe auraient pu nourrir un individu pendant près de 24 ans.
360 Il convient toutefois de rappeler que sous l’Empire, on ne voit pas vraiment d’artisans italiens venir travailler en Asie. Ce sont plutôt des artistes locaux qui se rendent en Italie.
361 Perkins 1959, p. 229‑234, n° 64 (Fink 1971, n° 91). Voir Pollard 2000, p. 184.
362 Dion Cassius, LXXVIII, 9, 2‑3. Sur le problème de l’annone militaire, voir Corbier 1977 et Carrié 1978, en particulier p. 239‑240, qui insiste bien sur le fait que sa création ne fut pas aussi précoce, systématique et cohérente qu’on l’a longtemps cru, ainsi par exemple Van Berchem 1937.
363 Thonemann 2008, p. 48‑53 et pl. 12, n° 4 (avec références). Les lignes qui suivent s’appuient sur ce passage.
364 Sur la politique monétaire des Attalides, voir les récentes mises au point d’Ashton 2013 ; Callataÿ 2013 ; Meadows 2013 ; Psoma 2013.
365 Voir E‑TYRI‑3.
366 Strabon, XII, 8, 16 ; Appien, Guerre de Mithridate, XX, 78‑79.
367 Il s’agit des monnaies RRC, n° 550/1, n° 550/2 et n° 550/3. L’auteur remercie le professeur M. Amandry pour ses précieux éclaircissements à propos de ce problème.
368 RPC III, n° 1390‑1391.
369 N‑EUME‑29 (Metcalf 1980, n° 51 ; RPC III, n° 1392) ; N‑EUME‑36 (RIC II, n° 517 ; Metcalf 1980, n° 52 ; RPC III, n° 1393). Il est intéressant de noter que ces deux pièces sont des surfrappes sur des cistophores déjà existants (le premier émis par Antoine et Octavia), ce qui traduit probablement une certaine urgence dans la prise de décision et l’exécution, en même temps que l’existence d’un stock de monnaies d’argent à disposition.
370 RPC III, n° 1394‑1398.
371 RPC III, n° 1399‑1401.
372 RPC III, n° 1402‑1403.
373 Amandry 2002.
374 Pour les liens entre le paiement des soldes et la frappe monétaire, voir Wruck 1931 ; Brunt 1950 ; Davies 1967 ; Buttrey 1972 ; Carrié 1978 ; Gabba 1978 ; Carrié 1986 ; Alston 1994 ; McAlee 1995‑1996 ; Duval 1997 ; Kemmers 2006 ; Hollard 2006 et 2010.
375 Howgego 1985, p. 22 et 25‑28.
376 Pollard 2000, p. 195.
377 Callu 1969, p. 28.
378 Crawford 1975, p. 572‑575.
379 À titre d’exemple, comparer N‑BLAU‑5 et N‑DOKI‑10.
380 À titre d’exemple, comparer N‑APOL‑20 et N‑SYNN‑3.
381 Le lecteur est invité à se reporter aux références correspondantes dans le catalogue numismatique. Pour les cités ou les séries n’y figurant pas, voir RPC III et IV Online.
382 Voir Franke 1968 ; Kraft 1972 ; Johnston 1985 ; Harl 1987 ; Butcher 1988 ; Schulz 1997 ; Heuchert 2003 ; Howgego, Heuchert, Burnett 2005 ; Kremydi 2009 ; Spoerri Butcher, Calomino 2015. Voir les préfaces de la série des RPC.
383 Hopkins 1980.
384 Sur l’impact de l’épidémie à Hiérapolis, voir Ritti 2017, p. 456‑458.
385 Voir ci-après p. 269‑278.
386 Duncan-Jones 1990.
387 Haynes 2013, p. 360 fait néanmoins remarquer que rien ne garantissait la réussite économique de ces entreprises dans la mesure où ces vétérans étaient relativement âgés, donc physiquement fatigués, et sans beaucoup d’expérience pour certains des techniques de culture et d’élevage.
388 Strabon, XII, 8, 16. Broughton 1938, p. 618‑619 et 817‑822 ; Labarre, Le Dinahet 1996, p. 97‑108.
389 Strabon, XIII, 4, 14. Voir Pleket 1988, p. 33‑35 ; Thonemann 2011b, p. 185‑190. Sur la présence d’une corporation des teinturiers, voir E‑HIER‑20.
390 MAMA IV, n° 297 ; Brélaz 2005, p. 396‑398 (Thonemann 2011b, p. 194).
391 Voir Expositio totius mundi et gentium (43), Édit du Maximum (XIX, 25 et XXI, 2) et CIL XIII, n° 3162 (à propos de l’inscription de Vieux).
392 On rappellera cependant qu’au cours de son expédition en Asie, dans des circonstances d’urgence, Alexandre paraît avoir utilisé le génie de son armée pour la construction de certaines de ses fondations. Voir par exemple Arrien, Histoire d’Alexandre, IV, 4, 1.
393 À propos des enceintes de pierre d’Asie Mineure, voir Adam 1981, p. 229‑244.
394 CIL VIII, n° 2728 = 18122.
395 Lassus 1969.
396 Wagner 1976, p. 136‑143 ; Kennedy 1998, p. 133‑135.
397 Il est probable que les officiers romains ne voulaient pas recourir à des travailleurs locaux pour des raisons liées à la préservation du secret militaire.
398 Ballance 1995, p. 189 ; Hauken 1998, p. 194‑195. En guise de comparaison avec d’autres lieux de stationnement d’auxiliaires, voir Haynes 2013, p. 145‑163.
399 Thonemann 2011b, p. 152‑155.
400 RPC II, 1, n° 1271 et 1301.
401 E‑EUME‑26.
402 Christol, Drew-Bear, 1987b, p. 58‑59. Thonemann 2011b, p. 133 penche pour le règne d’Hadrien.
403 E‑APAM‑19.
404 Le Bohec 1992.
405 Pollard 2000, p. 188.
406 Sur les terres relevant de forteresses, voir Tacite, Annales, XIII, 54, 2‑3.
407 Sur les stationes en général, voir ci-après p. 257‑261.
408 Voir France, Nelis-Clément 2014 ; Leveau 2014 ; Sireix 2014 ; Steidl 2014 ; Wiblé, Leveau 2014.
409 Sur ce problème, voir Briant 1996, p. 373‑374.
410 Pseudo-Aristote, Économique, II, 2, 38.
411 Voir Klinkott 2005, p. 397‑398 et 748‑749 à propos de dépôts de ravitaillement dans le Néguev et en Idumée.
412 Élien, La personnalité des animaux, XV, 26. Kuhrt 2007, p. 710 et 746‑747.
413 Hérodote, VII, 131.
414 Xénophon, Cyropédie, VI, 2, 36.
415 Hérodote, IV, 87‑88.
416 Hérodote, VII, 36.
417 Xénophon, Anabase, I, 2, 5.
418 Arrien, Histoire d’Alexandre, I, 26, 1 ; Plutarque, Vie d’Alexandre, XVII, 8.
419 Diodore de Sicile, XVIII, 38, 2.
420 Arrien, Histoire d’Alexandre, III, 7, 1‑2 et 19, 2‑3.
421 E‑EUME‑27. Voir French 1988, p. 362 et French 2014, p. 130.
422 Thonemann 2011b, p. 151
423 Arrien, Histoire d’Alexandre, V, 7, 3‑5.
424 Voir Haynes 2013, p. 360.
425 Diodore de Sicile, XI, 61, 4.
426 Xénophon, Helléniques, III, 1, 13.
427 Xénophon, Anabase, I, 2, 1.
428 Xénophon, Mémorables, V, 26.
429 Diodore de Sicile, XV, 90.
430 E‑ANTI‑1‑3a‑c.
431 E‑KIBY‑1‑4.
432 E‑APAM‑1a‑d.
433 E‑LALK‑1‑7.
434 E‑SEBA‑1‑2.
435 Xénophon, Économique, IV, 9‑11.
436 Xénophon, Économique, IV, 15. Ce souci prêté aux pouvoirs orientaux de sécuriser les campagnes transparaît même dans l’utopie. Ainsi, dans sa description de l’île imaginaire de Panchaïe, située quelque part dans l’océan Indien au large de l’Arabie, Diodore de Sicile, V, 46, 1 écrit que les soldats y sont payés pour résider dans des forteresses et campements répartis dans tout le pays afin de protéger les paysans.
437 Les sources (grecques et tardives, certes) insistent néanmoins sur les excellents rapports qu’entretenaient le Grand Roi et les paysans (voir Élien, La personnalité des animaux, I, 31 ; Plutarque, Vie d’Artaxerxés, IV, 5).
438 Polyen, Stratagèmes, I, 27 ; VII, 7 et 40. Voir Klinkott 2005, p. 421.
439 Livre de Nehémie, 2, 7‑9.
440 Thucydide, VIII, 84, 4 et 108, 5.
441 Pour ce rôle de lutte contre le brigandage, voir Labarre 2004.
442 Voir en particulier tabl. 16.
443 On rappellera qu’à Rome, les vétérans de la première génération pouvaient être rappelés au service par leurs anciens généraux.
444 Pausanias, X, 32, 4‑5.
445 Ce haut personnage de la cour séleucide, peut-être frère d’Antiochos Ier, grand-père de l’usurpateur Achaios II, s’était vu remettre une dôréa dans la région. Voir Sartre 2003, p. 48.
446 E‑LALK‑8.
447 L. et J. Robert 1954, n° 166, l. 2‑10 (BE, 1955, n° 203 ; SEG XXXV, n° 1085). Voir le commentaire de L. et J. Robert 1954, p. 285‑302.
448 Malay 1996.
449 Kearsley 1994.
450 J. et L. Robert 1983, p. 110.
451 Polybe, XXI, 34 ; Tite-Live, XXXVIII, 14.
452 Appien, Guerre de Mithridate, XI, 72‑77.
453 Appien, Guerre de Mithridate, XX, 78‑79 ; Strabon, XII, 8, 16.
454 Nicolas de Damas, 90F74 ; Strabon, XII, 8, 18.
455 Brélaz 2005, p. 27.
456 Pour cet aspect idéologique, voir Instinsky 1952 ; Braund 1993 ; Kneppe 1994 ; Brélaz 2005, p. 30‑34. Pour une vision globale du rôle des soldats romains dans le maintien de l’ordre en Phrygie et de leurs rapports avec les civils, voir Roux 2018a et 2020b.
457 Sur ces détachements, voir Clauss 1973.
458 Par exemple E‑AUGU‑2. Voir Brélaz 2005, p. 254‑263.
459 Par exemple E‑ANTI‑42. Voir Brélaz 2005, p. 264‑267.
460 Par exemple E‑DION‑3. Voir Domaszewski 1902 ; Ott 1995a ; Nelis-Clément 2000 ; Brélaz 2005, p. 269‑270.
461 Par exemple E‑AUGU‑1. Voir Rankov 1990 ; Faure 2003 ; Brélaz 2005, p. 275‑282.
462 Il convient de noter que ces stationes étaient également des lieux de « représentation » du pouvoir romain aux yeux des populations locales (voir France, Nelis-Clément 2014), mais aussi des « relais d’information » (voir Sion-Jenkins 2014, p. 333‑335). Pour une comparaison du système de surveillance phrygien avec celui de la Lycaonie voisine, voir Roux 2021.
463 CIL III, n° 9832 ; AE, 1890, n° 11.
464 Suétone, Vie d’Auguste, XXXII, 1 ; Vie de Tibère, XXXVII, 1.
465 La situation de la Phrygie peut être comparée avec celle d’autres provinces comme l’Égypte (Cuvigny 2014) ou l’Afrique (Guédon 2014).
466 Tertullien, Apologétique, II, 8 : « Pour la recherche des brigands, il y a dans chaque province un détachement militaire désigné par le sort ».
467 Sur les stationarii, voir Petraccia Lucernoni 2001.
468 Brélaz 2005, p. 257.
469 Aelius Aristide, Éloge de Rome, 76.
470 La situation phrygienne peut faire l’objet d’une comparaison, pour une date certes plus basse, avec ce qui pouvait se passer en Égypte : voir Aubert 1995.
471 Voir p. 91‑92.
472 Voir p. 80‑84.
473 Voir p. 127‑128.
474 Voir p. 168.
475 Dion Cassius, XLV, 9, 1. Voir Keppie 1983, en particulier p. 53.
476 E‑EUME‑33‑37.
477 E‑ANTI‑42. Pendant longtemps, les vétérans d’Antioche devaient probablement se débrouiller seuls lorsque le niveau de menace n’était pas excessif comme le firent les Texans contre les Comanches au cours du xixe siècle. Voir Kavanagh 1996.
478 Velleius Paterculus, II, 126, 3 : « La Pax Augusta maintient à l’abri de la crainte des brigandages les moindres recoins de la terre ».
479 Aelius Aristide, Éloge de Rome, 67 : « Aussi les cités sont-elles libres de garnison. Des compagnies et des escadrons suffisent pour garder des cités entières, sans même être stationnés en nombre dans les cités de chaque race, mais en étant dispersés dans les zones rurales au milieu de la foule des habitants, de telle sorte que beaucoup de provinces ignorent où peut bien se trouver la garnison. Si quelque part une cité, à cause de sa taille excessive, a perdu la capacité de se modérer par elle-même, vous ne lui refusez pas les hommes pour assurer la direction et faire bonne garde ».
480 E‑ANTI‑42 ; E‑DIVE‑2 si c’est effectivement un militaire ; E‑SEBA‑11.
481 Voir ci-après l’étude des plaintes des communautés paysannes, p. 272‑276.
482 E‑AUGU‑2.
483 Aelius Aristide, Cinquième Discours Sacré, 13‑17.
484 Sur le vocabulaire très complexe en grec et en latin que traduit bien simplement ce mot français, voir Wolff 2003, p. 7‑20. Sur le problème du brigandage et de sa répression, au sein d’une vaste production, voir Gacic 1957 ; Jal 1963 ; Davies 1968 ; Van Hooff 1982 ; Shaw 1984 ; Sirago 1984 ; Shaw 1992 ; Grünewald 1999 ; Wolff 2003 ; Grünewald 2004 ; Pottier 2005 ; Brélaz 2005 (en particulier p. 52‑56) ; Brélaz 2008a‑b.
485 Voir les affirmations d’un retour à la quiétude dans les campagnes au début de l’Empire chez Strabon, III, 2, 5 et Pline l’Ancien, II, 117 et pour les débuts de l’époque antonine chez Aelius Aristide, Éloge de Rome, 100 et 104‑105.
486 Wolff 2003, p. 115‑118. Sur la recrudescence ou non du brigandage au Haut-Empire, voir Brélaz 2005, p. 330‑333.
487 Fronton, Lettre à Antonin le Pieux, 8.
488 Wolff 2003, p. 118‑120.
489 Schindler 1972, p. 11‑21 (AE, 1979, n° 624). Compte rendu de Roesch 1973. Voir Brélaz 2005, p. 300‑303.
490 Sartre 1995, p. 290, n. 209.
491 Sur la validité historique des romans de l’époque, voir Scarcella 1977 ; Saïd 1987 ; Sartre 1995, p. 290 (qui estime que les auteurs ne s’intéressent en rien à la vie réelle des paysans et des bandits, qui sont là pour faire rebondir l’action) ; Échalier 1999.
492 Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, III, 2, 14. L’homme est peu connu ; on a pu se demander s’il s’appelait réellement Xénophon. Mais la critique interne de l’œuvre a démontré qu’il vivait en Asie Mineure, certainement dans la région d’Éphèse, à l’apogée de l’Empire. Il a vu indéniablement certaines choses dont il parle. S’il fait voyager son lecteur dans une Égypte et une Italie de pacotille, celles-ci sont le théâtre d’événements qui se déroulaient en réalité en Anatolie (voir l’introduction de G. Dalmeyda dans l’édition de la CUF, p. ix‑xxxix).
493 Digeste, 48, 6, 3, 1 sq. Voir Cloud 1988 et 1989.
494 Hopwood 1989, p. 178‑179.
495 C’était le cas de Maternus (Hérodien, I, 10, 1‑11) et probablement de Bulla Felix (Dion Cassius, LXXVI, 10), puis, au xviiie siècle, de Cartouche, lui-même ancien soldat et racoleur militaire, et de la plupart des cadres de sa bande. Sur cette tentation de l’extra-légalité de la part de soldats déserteurs ou de vétérans, voir Haynes 2013, p. 364‑366.
496 C’est ce que semble prouver un papyrus datable des années 120‑140 agrès J.‑C. relatif au cavalier Dionysius, de l’ala Veterana Gallica, qui récupéra à sa libération la somme de 103 deniers (P.Fay. 105 V). Voir Cosme 2012, p. 135‑136 qui fait remarquer qu’il s’agit d’un élément très important pour se faire une idée de la valeur des armes et ajoute que ce passage de l’équipement d’un homme à l’autre est attesté par la gravure du nom de plusieurs utilisateurs (jusqu’à cinq) sur la même pièce d’armement.
497 L’existence de receleurs dans les campagnes est prouvée par les romans (même si l’on doit prendre garde à l’exagération de l’auteur) ; il en va ainsi d’Apulée, Métamorphoses, IV, 1.
498 Voir Digeste, 47, 9, 3, 3 ; 47, 14, 3, 3 ; 47, 16, 1‑2.
499 Sur la perception des bergers dans l’Antiquité gréco-romaine, voir MacMullen 1974, p. 1‑3 ; Shaw 1984, p. 3 ; Hopwood 1986, p. 348‑349 ; Parker 1987.
500 MAMA IV, n° 297 ; Brélaz 2005, p. 396‑398 (Thonemann 2011b, p. 194).
501 Voir Bean 1959, p. 97, n° 47.
502 Digeste, 48, 9, 7 ; 48, 19, 27, 2.
503 Sur les milices et la défense de la cité, voir Birley 1988 ; Brélaz 2008a‑b.
504 Anderson 1897, p. 411, n° 14 ; OGIS, n° 527 (Robert 1937, p. 103‑104 et Robert 1962b, p. 140‑141) ; Brélaz 2005, p. 134‑137 et n° C51 ; BE, 2014, n° 464 ; Ritti, Scardozzi 2016, p. 843‑846.
505 E‑DORY‑25.
506 Xénophon, Cyropédie, IV, 4, 10‑12.
507 Sur l’attribution à Zeuxis, voir Ma, Derow, Meadows 1995 et 2003. Sur le personnage, RE, s.v. « Zeuxis 3 » ; J. et L. Robert 1983, p. 176‑180 ; Capdetrey 2007, p. 297‑300.
508 CIG III, n° 2899 ; GIBM, n° 1035 (Wilhelm 1920 [à l’origine de l’attribution à Antiochos III] ; Schroeter 1932, n° 27 ; Welles 1934, n° 38 ; J. et L. Robert 1983, p. 132‑137, n° 9 [SEG XXXI, n° 897 ; BE, 1984, n° 420 ; Piejko 1985, p. 610‑611]) ; Ma 2004, n° 5.
509 Voir Will 1979, vol. 2, p. 112‑114.
510 Welles 1934, p. 168.
511 Will 1982, p. 113.
512 J. et L. Robert 1983, p. 137.
513 Hula, Szanto 1895, p. 2 (Paton, Myres 1896, p. 231, n° 34 ; OGIS, n° 217 ; Schroeter 1932, n° 9 ; Welles 1934, n° 40) ; J. et L. Robert 1983, p. 138, n° 10 ; Ma 2004, n° 6.
514 Leake 1824, p. 238 (CIG III, n° 2899 ; GIBM, n° 1035 [estimant que cette inscription constitue un élément de la première lettre de Zeuxis ci‑dessus]) ; J. et L. Robert 1983, p. 141‑142, n° 11 (Rigsby 1996, p. 336‑337) ; Ma 2004, n° 8 Α.
515 J. et L. Robert 1983, p. 142‑143, n° 12 (Rigsby 1996, p. 337) ; Ma 2004, n° 8 Β.
516 Crampa 1969, p. 134‑135 (Crampa 1972, p. 61‑63 ; BE, 1970, n° 553) ; J. et L. Robert 1983, p. 139‑140 (BE, 1984, n° 437 ; SEG XXXIII, n° 870 ; Piejko 1990, p. 145‑146) ; Ma 2004, n° 15.
517 J. et L. Robert 1983, p. 181‑187 (SEG XXXIII, n° 867 ; Piejko 1985, p. 614‑615 ; Blümel 1987‑1988, n° 962) ; Ma 2004, n° 25.
518 J. et L. Robert 1983, p. 151‑154, n° 15 (BE, 1984, n° 421 ; Piejko 1985, p. 614) ; Ma 2004, n° 10.
519 J. et L. Robert 1983, p. 195‑196, n° 18 (BE, 1984, n° 423) ; Bielman 1994, p. 154‑156, n° 42 ; Ma 2004, n° 14 (qui pense pouvoir dater le texte des environs de 200 avant J.‑C.).
520 J. et L. Robert 1983, p. 196‑198, n° 19 ; Ma 2004, n° 13.
521 E‑APAM‑2.
522 Mitchell 1976b (AE, 1976, n° 653).
523 Sur ces « diplômes militaires », parmi une vaste bibliographie, voir Alföldy 1968 ; Arnaud-Lindet 1977 ; Raepsaet-Charlier 1978 ; Roxan 1983 ; Absil, Le Bohec 1985 ; Roxan 1985 ; Eck, Hartmut 1986 ; Le Roux 1986 ; Dušanić 1993 ; Visy 1994 ; Labory 1998 ; Lambert, Scheuerbrandt 2002 ; Eck 2002 et 2003 ; Holder 2006 ; Cosme 2007 ; Speidel, Lieb 2007 ; Scheuerbrandt 2009.
524 Hauken, Malay 2009 (AE, 2009, n° 1428).
525 Speidel 2009b, p. 208‑209.
526 Speidel 2009b, p. 209. Ce qui prouve a contrario que les règlements militaires pouvaient être en gros respectés par la troupe surtout, peut-on supposer, lorsque celle-ci était fermement encadrée.
527 Les cités elles-mêmes procédaient à des frappes spéciales lors du passage des troupes pour faciliter les échanges. Voir Ziegler 1996.
528 Malay 1988 (SEG XXXVIII, n° 1244 ; Römer 1990, p. 152 ; Herrmann 1990 ; Mitchell 1993b, p. 228‑229 ; Gordon et al. 1993, p. 141 ; SEG XLIII, n° 870) ; Hauken 1998, p. 203‑214.
529 Malay 1988.
530 Mitchell 1993b, p. 228‑229.
531 Gordon et al. 1993, p. 141, n. 147.
532 Hauken 1998, p. 210.
533 Voir dictionnaire Gaffiot.
534 Corsten 2009 ; Corsten, Hülden 2010, p. 352 (AE, 2009, n° 1517, avec erreur de référence pour Corsten, Hülden 2010).
535 Robert 1952 (BE, 1954, n° 225 ; Robert 1969a, p. 345‑355 ; SEG XIII, n° 492) ; Hauken 1998, p. 215‑216.
536 Il faudrait en effet ajouter au corpus un document a priori particulièrement intéressant, datant de l’époque d’Hadrien et retrouvé en 1974 par T. Drew-Bear à Şapçilar, dans le sud de la Phrygie, l’ancien Campus Hyrgaleticus. Pour des raisons parfaitement exposées par C.P. Jones (Habicht, Bowersock, Jones 1987, p. 703‑706), on ne dispose que d’un résumé de celui-ci. Le voici tel qu’il est présenté par C.P. Jones (repris par Hauken 1998, p. 328) :
A) « a notation dated to the 25th July, 129, of the copying of a petition with its subscription which has been posted in the “New Stoa” of a city whose name is now lost ;
B) a copy of the petition itself, addressed to a certain Hermogenes of the Hyrgaleis to Hadrian, and mentioning a hearing given by the emperor in (Phrygian) Apamea on a date not earlier than the 16th of the same july ;
C) a notation of receipt of the petition at Apamea on the 23th of July, with the text of Hadrian’s favourable response ;
D) a list of witnesses to the correctness of the copy ;
E) there follows what appears to be an extract from Hadrian’s decision in the original hearing ».
À noter que T. Hauken reconstitue la séquence de lecture des événements de la manière suivante : E, B, C, A, D.
537 E‑VIKI‑1 (Hauken 1998, p. 188‑202 [SEG XLVIII, n° 1514] ; MAMA XI, n° 134).
538 Speidel 2009b, p. 204‑205.
539 E‑APAM‑13.
540 E‑EUME‑39.
541 Drew-Bear 1978, p. 16, n° 8. On fera remarquer que, de façon générale, les stationarii avaient moins de facilités pour voler que les militaires de passage dans la mesure où ils étaient aisément identifiables, demeuraient sur place et pouvaient être dénoncés aux autorités.
542 E‑DOTY‑1 (Tabbernee 2003, p. 87‑89 ; Hauken, Tanriver, Akbiyikoğlu 2003 [Lampe, Tabbernee 2004 ; AE, 2004, n° 1690]).
543 E‑TAKI‑2 (Şahin, French 1987 [SEG XXXVII, n° 1186 ; AE, 1989, n° 721 ; Marasco 1994 ; SEG XLIV, n° 1112 ; LI, n° 1812 ; LVII, n° 1429] ; Hauken 1998, p. 217‑243 [Petraccia Lucernoni 2001, p. 68, n° 54 ; Christol, Drew-Bear 2001, p. 141, n. 23] ; Destephen 2007, p. 159‑168).
544 Pour la datation, voir Destephen 2007, p. 164.
545 Labarre 2009a, p. 194‑195 ; Destephen 2007, p. 150.
546 Marasco 1994, p. 502 pense que ces malversations avaient eu lieu au moment où les paysans avaient le plus besoin de ces animaux pour les travaux agricoles.
547 Il est possible également que la présence sur place de militaires ait été plus importante que d’ordinaire en raison des opérations orientales menées par Caracalla. En tout cas, les soldats ne paraissent pas avoir été impressionnés par la venue du promagistrat auprès duquel les ruraux pouvaient avoir un accès direct.
548 Herrmann 1990, p. 11‑12 et 49‑50.
549 Marasco 1994, p. 498 estime que l’utilisation du pluriel pour parler des villes et des proconsuls signifie que le rescrit n’était pas valable que pour la modeste agglomération de Takina, mais pour l’ensemble de la province, présentement et dans le futur.
550 Ramsay 1895, p. 323 ; Destephen 2007, p. 166. Contra, Hellenkemper, Hild 2004, p. 829.
551 Sans s’opposer à cette solution, Destephen 2007, p. 166 propose d’en faire un membre de l’officium du gouverneur et l’auteur du septième document qui est inconnu.
552 Il ne semble pas que les citadins aient été très sensibles au sort des communautés rurales, au moins tant que les intérêts des propriétaires fonciers n’étaient pas mis en cause, ce qui s’oppose à la fameuse thèse de Rostovcev sur une solidarité entre soldats et paysans contre les riches urbains à partir du iiie siècle après J.‑C. (Rostovcev 1923, p. 233 sq. et 1957, p. 415 sq.).
553 Destephen 2007, p. 166. Il est néanmoins étrange qu’un affranchi traite un militaire gradé de « frère et collègue ».
554 C’est la thèse de Christol, Drew-Bear 2001, p. 141, n. 23.
555 Destephen 2007, p. 167.
556 Herrmann 1990, p. 64.
557 E‑MOTE‑20.
558 IGRR IV, n° 819. Voir Ritti 1999b, p. 264 et 270‑274.
559 Guerber 2010, p. 306.
560 E‑KIBY‑31 (Milner 1998, n° 112 [SEG XLVIII, n° 1583] ; Souris, Haensch 2009 ; AE, 2009, n° 1458).
561 Periplus Maris Erythraei, 19.
562 Il convient de signaler l’existence d’une dernière inscription concernant la Phrygie et provenant des domaines impériaux d’Aragua, dans le district d’Appia, mais datant des années 244‑246, ce qui fait qu’elle n’a pas été intégrée à cette étude (voir Hauken 1998, p. 140‑161, avec références). Il est intéressant de noter que ces ruraux surent rédiger une belle supplique adressée à Philippe l’Arabe et à son fils narrant leurs mésaventures. Ils étaient harcelés par les soldats de passage, qui s’écartaient des grandes routes, ce qui est dans la droite ligne de ce qui vient d’être exposé plus haut, mais aussi par les Caesariani et les habitants d’Appia. Tous ces gens les enlevaient à leur travail, volaient leurs animaux de traits et leurs biens. Les plaignants précisaient que les terres de l’empereur n’étaient plus en exploitation à cause de cela, alors même qu’ils n’habitaient pas auprès d’un grand axe routier. Philippe répondit par une subscriptio qui ordonnait au proconsul d’enquêter sur ces faits. Il est important de noter que la réponse impériale, adressée à un certain Marcus Aurelius Eglectus, dont les fonctions au sein de la communauté ne sont pas précisées, fut transmise par un soldat, Didymus, le gendre du premier nommé, qui avait probablement présenté la pétition, ce qui démontre que les relations avec les militaires étaient beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît à première vue.
563 Dans les deux cas, on se doute que de petits notables ruraux ou des patrons de communautés paysannes vivant dans la cité voisine devaient jouer un rôle important, mais il n’est pas possible de détailler leur implication.
564 Thonemann 2013c, p. 31‑37.
565 E‑TAKI‑1 (A.H.S. & W.M.R. 1887, p. 263, n° 51 [Ramsay 1895, p. 330, n° 139]). Voir TIB 7, s.v. « Takisna ».
566 Xénophon, Économique, IV, 9‑11 et 15.
567 Voir Millar 1962, p. 124‑126 ; Millar 1964, p. 151‑160 ; Espinosa-Ruiz 1982, p. 221‑232.
568 Voir Marasco 1994, en particulier p. 503‑504.
569 Voir MacMullen 1963, p. 86 sq. ; Campbell 1984, p. 246‑254 ; MacMullen 1988, p. 129 sq. ; Herrmann 1990 ; Isaac 1993, p. 269 sq. ; Mitchell 1993b, p. 228 sq. ; Campbell 1994, p. 170 sq. ; Pollard 2000, p. 85 sq. et 109 sq.
570 Mitchell 1993b, p. 230.
571 Sur ces discussions, voir Speidel 2009b, p. 201.
572 Voir Scheidel 1991 ; Witschel 1999, p. 60 sq. ; Kolb 2000, p. 119, n. 1.
573 Pour un panorama des plaintes des communautés lydiennes, voir Hauken 1998, p. 35‑57 (Ağa Bey Köyü), 58‑73 (Kemaliye), 162‑168 (Kavacik), 244‑246 (Demirci), 247‑250 (Kassar) et 251‑256 (Güllüköy).
574 Voir Speidel 2009c, p. 485.
575 Speidel 2009c, p. 484‑485 et 497.
576 Speidel 2009c, p. 498.
577 Voir Limoncelli, Scardozzi 2016.
578 Briant 1978, p. 92.
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