1Quarante‑cinq échantillons représentatifs de productions de céramique commune attribuées au Levant et à la Méditerranée orientale ont été sélectionnés, après observation à la loupe binoculaire des pâtes d’un nombre important de fragments, pour la préparation de lames minces et leur analyse au microscope polarisant. L’étude archéométrique, étroitement liée à l’analyse archéologique, a eu pour but de vérifier ou améliorer les classifications typologiques et de contribuer à identifier les centres ou les zones d’origine de la céramique.

2Les analyses ont mis en évidence une assez grande variété de composition, texture et technique de fabrication des pâtes, qui correspond plus ou moins aux différences typologiques, et qui indique la présence de céramiques produites dans plusieurs centres et zones géologiques/géographiques.

3Les observations au microscope, croisées avec les données morphologiques, ont permis d’identifier de nombreux « groupes » pétrographiques/typologiques (fabrics, parfois constitués par un seul échantillon analysé en lame mince, parfois ultérieurement subdivisés). Dans le but de rendre plus aisée la discussion, les groupes ont ensuite été réunis en sept « familles » (parfois constituées par un seul groupe/échantillon analysé), caractérisées par la présence de composantes pétrographiques similaires parmi les inclusions.

4À quelques exceptions, ces familles peuvent être attribuées à des zones géologiques/productrices différentes, tandis que les groupes sont généralement attribuables à des ateliers ou centres de productions spécifiques, plus ou moins éloignés dans l’espace et/ou dans le temps.

5Du point de vue géologique, l’aire prise en considération comprend une région méridionale, avec plusieurs gisements/massifs de roches ophiolitiques (Chypre occidentale, Ras el‑Bassit, etc.), une zone avec des roches métamorphiques acides (Égée indéterminée) et une zone avec des roches volcaniques (Anatolie méridionale).

Tabl. 1 – Liste des échantillons analysés, présentés selon la classification en familles et groupes, avec les principales caractéristiques pétrographiques et typologiques et les hypothèses de provenance.

6Le tableau 1 montre la liste des échantillons analysés, présentés selon la classification en familles et groupes, avec les principales caractéristiques pétrographiques et typologiques et les hypothèses de provenance. Ces dernières reposent sur le croisement entre données archéométriques (corrélation entre la pétrographie des inclusions et la cartographie géologique ; comparaison des pâtes avec les descriptions disponibles dans la bibliographie1 et les lames minces de céramiques de référence disponibles au laboratoire d’archéométrie du DISTAV de l’université de Gênes) et archéologiques.

7On fournira ici seulement une description préliminaire de ces groupements.

Famille I – ophiolites et microfossiles

8On a réuni dans cette famille trois groupes de pâte, qui caractérisent une grande partie de la céramique commune, comprenant toutes les jattes, les cruches à deux anses, les pots, les bols, les pithoi et les couvercles dont la typologie est plutôt homogène. Plus ou moins différents et parfois probablement attribuables à des ateliers/centres de production distincts, ces groupes sont tous caractérisés par la présence d’éléments ophiolitiques (gabbres, basaltes, amphibolites, rares serpentinites ; individus de pyroxène, amphibole, plagioclase) associés à des microfossiles calcaires d’origine marine (fig. 1).

9Parmi les zones ophiolitiques de Méditerranée orientale2, la côte sud‑ouest de Chypre3 est très probable et cette hypothèse de provenance s’accorde bien avec les données archéologiques.

Fig. 1 – Microphotographies en lame mince (Nicols croisés) de pâtes des familles I à III.

Groupe I.1

10Les pâtes sont caractérisées par une matrice calcaire et des inclusions moyennement abondantes, peu classées, composées de foraminifères (principalement globigérines, généralement < 0,4 mm) et d’éléments ophiolitiques (gabbres, basaltes, amphibolites, rares serpentinites ; individus de pyroxène, amphibole, plagioclase) subordonnés en pourcentages variables, avec de rares quartz, biotite et calcaires. Les fragments de roches ophiolitiques sont plus abondants, mais assez petits, dans le sous‑groupe 1.2 ou parfois atteignent des dimensions assez grossières (> 1 mm, notamment dans le sous‑groupe 1.3). La matière première est probablement d’origine marine, peu modifiée. La matrice et les composantes calcaires sont peu ou partiellement dissociées, ce qui indique des températures de cuisson inférieures ou proches de 900 °C.

11Répertoire typologique : toutes les jattes JAT1 et JAT4 et plusieurs JAT2a, toutes les cruches à deux anses CRU1‑CRU3, tous les pots à encolure POT1‑POT4, certains pots sans encolure POT5, tous les bols BOL1, tous les pithoi PIT1 et PIT4, les couvercles.

Groupe I.2

12Partiellement similaire au groupe I.1 (notamment pour les composantes ophiolitiques et la texture), il se distingue par les caractéristiques des fossiles, moins abondants et grossiers et composés de plusieurs autres genres de foraminifères associés aux globigérines. Le sous‑groupe 2.1 montre une matrice assez riche en fer et des inclusions relativement fines (principalement < 0,3 mm) et peu classées, tandis que le sous‑groupe 2.2 présente une matrice plus calcaire et un dégraissant ophiolitique moyennement classé et plus grossier, occasionnellement jusqu’à > 1 mm.

13Répertoire typologique : toutes les jattes JAT5 et tous les pithoi PIT3.

Groupe I.3

14La pâte, avec une matrice partiellement comparable au sous‑groupe 2.1, se distingue fortement par les caractéristiques du dégraissant, qui est abondant et bien classé (principalement 0,2‑0,5 mm) et composé surtout d’individus de clinopyroxène (probablement dérivé des gabbres), avec des minéraux opaques subordonnés. À la différence des autres groupes, dans ce cas, le dégraissant est probablement ajouté.

15Répertoire typologique : certains pithoi PIT1 et tous les PIT2.

Famille II/groupe II.1 – quartz fin et schistes verts

16La matrice argileuse est riche en fer, bien oxydée et généralement bien cuite (partiellement vitrifiée). Elle possède d’abondantes vacuoles aplaties et iso‑orientées par le façonnage au tour. Les inclusions sont relativement abondantes et fines (< 0,4 mm, principalement < 0,2 mm), composées de quartz dominant sur plagioclase (albite), épidote, amphibole, minéraux opaques et fragments de silex/radiolarite et roches métamorphiques à grain fin (quartz‑schistes et rares schistes verts). La matière première est probablement alluviale (fig. 1).

17Une provenance chypriote est probable, et s’accorde avec les données archéologiques. Les données pétrographiques ne s’opposent pas à cette hypothèse, car la carte géologique indique la présence, notamment près de Paphos, d’affleurements assez limités de schistes à hornblende et épidote et de quartz‑micaschistes4. Toutefois, l’absence dans la pâte d’autres composantes pétrographiques diffusées à Chypre, comme notamment les ophiolites, n’exclut pas une origine dans d’autres zones métamorphiques de l’Égée. En revanche, les caractéristiques géologiques du Levant en font un candidat peu probable.

18Répertoire typologique : pots à cuire PC1 à PC5, bouilloires BOUIL1 et 2, casseroles CASS1 à 4 et couvercles COUV1 et 2.

Famille III/groupe III.1 (échantillon isolé) – fossiles, ophiolites et quartz

19La matrice est principalement calcaire (fig. 1). Les inclusions sont abondantes, bien classées et assez fines (principalement 0,1‑0,3 mm), composées de fossiles (foraminifères, algues rouges) dominant sur des éléments ophiolitiques (gabbres, basaltes, rares serpentinites ; clinopyroxène, plagioclase, rare amphibole), sédimentaires (calcaires, silex/radiolarites) et métamorphiques acides (quartz, parfois arrondi plus grossier, et rare mica muscovite). Le dégraissant (du sable marin) est probablement ajouté. Les températures de cuisson sont < 900 °C, car les composantes calcaires ne sont pas dissociées.

20Provenance indéterminée, dans une zone marginale à un complexe ophiolitique (Égée, Levant). Une provenance chypriote paraît peu probable.

21Répertoire typologique : une cruche à bord en bourrelet externe.

Famille IV – ophiolites/gabbres

22Les pâtes sont caractérisées par des inclusions anguleuses et peu classées principalement de nature ophiolitique, notamment des individus de clinopyroxène, amphibole et plagioclase corrélables à de moins abondants fragments de gabbres et amphibolites, souvent altérés, avec de rares serpentinites et basaltes (fig. 2). Calcaires, fossiles et quartz sont attestés en quantités accessoires. On note une assez haute variabilité dans la composition de la matrice et dans les pourcentages et la taille des inclusions.

Fig. 2 – Microphotographies en lame mince (Nicols croisés) de pâtes des familles IV à VII.

23Le groupe 1 présente une matrice calcaire et des inclusions grossières (jusqu’à > 1‑2 mm), bien classées et moyennement abondantes. Le répertoire morphologique comprend un mortier, une jarre et un pithos. Le dégraissant du groupe 2 est également grossier, mais la matrice est riche en fer et partiellement vitrifiée. Le répertoire morphologique comprend un mortier et une jarre. Dans ces deux groupes, constitués de mortiers aux profils différents, de jarres et d’un pithos, le dégraissant est clairement ajouté.

24Le groupe 3, constitué de cruches, se distingue par la taille et la moindre fréquence des inclusions (< 0,5‑1 mm), qui sont moyennement ou peu abondantes.

25Provenance : Levant (Ras el‑Bassit) selon les données archéologiques. Les ophiolites sont bien corrélables au massif ophiolitique local. On note que plusieurs échantillons d’amphores du comblement montrent des pâtes rattachables à la famille IV et notamment aux groupes 1 et 3, ce qui indique une production commune dans le même centre (peut‑être dans des ateliers différents, comme le suggère la variabilité de texture mise en évidence par les analyses).

Famille V/groupe V.1 – ophiolites fines oxydées

26Les pâtes sont notamment caractérisées par une matrice argileuse « pure » et un dégraissant plus ou moins abondant, assez fin (principalement < 0,3 mm) et très bien classé (ajouté), composé essentiellement d’éléments ophiolitiques, notamment de pyroxènes anguleux souvent oxydés (rougis) par la cuisson, avec de plus rares serpentinites/peridotites (également rouges) et de basaltes occasionnels (fig. 2).

27Provenance : Sud‑Est anatolien (?). Ce groupe comprend tous les mortiers MOR1 à MOR4, les échantillons d’amphores du type Agora M54 du comblement ainsi que plusieurs tegulae. La même pâte se retrouve dans de la céramique commune et des lampes trouvées à Vigo, en Espagne, pour lesquelles on a suggéré une provenance d’Antioche ou de l’ouest de Chypre5, ainsi que dans une des productions d’amphores San Lorenzo 7 trouvées en Italie du Nord6. Il semble probable que cette pâte particulière appartienne à la production variée d’un seul atelier, à localiser sur la côte près d’un massif ophiolitique.

Famille VI – métamorphites acides fines

28On a regroupé ici deux groupes (échantillons isolés) caractérisés par une matrice assez riche en fer et des inclusions fines et anguleuses, composées principalement, ou en partie, par des éléments métamorphites acides (quartz, feldspath, mica, plus rares quartz‑micaschistes). Les matières premières sont probablement alluviales, peu modifiées (fig. 2).

29Provenance : Égée indéterminée (le Levant est exclu du point de vue géologique). Les différences de composition indiquent une production de deux ateliers distincts, peut‑être éloignés entre eux.

Groupe VI.1

30Les inclusions sont fines (< 0,3 mm), abondantes et peu classées, riches en quartz et mica, avec de rares éléments calcaires (fossiles/calcaires partiellement dissociés).

31Répertoire typologique : pot à cuire.

Groupe VI.2

32Les inclusions sont moyennement abondantes, assez fines (< 0,4 mm), moyennement classées. La composante métamorphique acide (quartz, feldspath, plus rare mica et fragments de quartz‑micaschistes et quartzites à grain très fin) est associée à des fragments de roches volcaniques acides microcristallines (recristallisées).

33Répertoire typologique : bouilloire à bec pincé.

Famille VII/groupe VII.1 – volcanites acides

34Les pâtes (fig. 2) sont caractérisées par un dégraissant anguleux, assez grossier (jusqu’à > 1 mm) et bien classé (probablement ajouté), dérivé de roches volcaniques acides (rhyolitiques).

35Dans le sous‑groupe 1, les inclusions sont très abondantes et composées de fragments de roches microcristallines, porphyriques ou plus rarement vitreuses et d’individus isolé de quartz et feldspath, tandis que le sous‑groupe 2 se distingue par le pourcentage moindre d’inclusions, presque seulement représentées par du quartz et du feldspath, avec parfois du silex.

36Provenance : sud de l’Anatolie. La composition pétrographique est compatible avec celle de la région de Phocée, suggérée par les données typologiques.

37Répertoire typologique du sous‑groupe 1 : plat à cuire (sous‑groupe VII.1.1) et pot à cuire (sous‑groupe VII.1.2).