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Ataï, un chef kanak au musée

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Christelle Patin

De la collecte au don ou la singularité des parcours (1875-1900)

Les logiques du don des collections néo-calédoniennes

Texte intégral

  • 1 Rapport annuel des professeurs, Muséum d’histoire naturelle, Paris, 1884, p. 25.
  • 2 Latour (Bruno), « Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement », in Micoud (A (...)

1Au-delà des facteurs qui œuvrent à la possibilité de la récolte et du choix des pièces, la collecte interroge aussi le geste du don et les mobiles de la transaction. Comme le souligne Quatrefages dans son rapport annuel de 1884, « je crois devoir remarquer que sur dix simples particuliers que j’ai eu à signaler comme ayant fait à la chaire d’anthropologie les dons les plus importants, cinq sont des médecins de la marine. Je suis heureux de saisir cette occasion pour rappeler combien sont nombreux et importants les services rendus à la science par une foule de membres du même corps »1. De la même façon, Ataï et les autres pièces néo-calédoniennes antérieurement mentionnées ont tous intégré les collections par la transaction d’un don réalisée par les médecins de la marine. Au-delà de la normalité de l’acte administratif ou juridique, du pouvoir accordé à la chose donnée qui garde l’esprit du donateur, c’est aussi le don comme dynamique relationnelle qui interpelle. La personne qui donne est avant tout un acteur-réseau pour reprendre Bruno Latour. « Les réseaux, précise-t-il, permettent non seulement de distribuer l’action, mais aussi d’opérer des détachements et des arrachements à la proximité, et inversement, des rattachements au lointain »2. En conséquence, la valorisation des « attachements » entre médecins, voyageurs du bout du monde, et anthropologues constituerait un moteur important de la récolte et de l’acheminement des pièces vers les collections. En ce cas, quelle serait la nature des liens mis en jeu ?

Le don, entre tradition et réseaux

Le médecin de la marine : une tradition naturaliste à transmettre

  • 3 Ollivier (Dominique), Le médecin de la Marine dans les voyages de découverte autour du monde : disc (...)

2Dans son discours d’ouverture de l’année scolaire 1864-1865, le docteur Dominique-Jean-Gustave Ollivier (1822-1904), médecin et professeur de l’école de marine navale de Toulon, expose avec conviction les diverses raisons qui conduisent Le médecin de la Marine dans les voyages de découverte autour du monde3 :

Je me propose d’envisager le médecin de la marine, sous l’aspect par lequel il est le moins connu. Je vais essayer de démontrer que par des travaux multipliés, et dont les Académiciens ont su apprécier la valeur, il a contribué pour une large part aux progrès des sciences naturelles et qu’il a honoré son rôle de naturaliste comme il honore ses fonctions de médecin, d’hygiéniste, de chirurgien.

3La science à l’image des grands monuments, a demandé pour s’élever plusieurs siècles d’ingénieuses conceptions auxquelles ont activement participé les médecins de la marine, tantôt comme « laborieux ouvriers », tantôt comme architectes.

Messieurs, poursuit-il, il y a une filiation forcée, un lien puissant de solidarité, entre tous les travaux utiles, entre toutes les intelligences élevées. Quoy, Lesson, Gaudichaud, Gaymard, Hombron, Garnot, Souleyet, Eydoux et tant d’autres que je ne nomme pas, ont contribué aux progrès des sciences naturelles et ont honoré le corps médical de la marine au même degré que d’autres l’honorent comme médecins, hygiénistes, chirurgiens […] Je vous demande jeunes confrères de réaliser de nouvelles acquisitions et de savoir les féconder, comme un fils féconde le champ que lui légua son père […] Reconnaissons ensemble que les savants, qui viennent de nous occuper, ne furent pas seulement d’éclatantes individualités, mais qu’ils sont encore pour nous de véritables ancêtres, et qu’à ce titre, nous devons faire tous nos efforts, pour nous montrer leurs dignes héritiers.

  • 4 Chippaux (Claude) & Ollivier (Georges), « Pierre Huard (1901-1983) », Bulletin et mémoires de la SA (...)
  • 5 Fardet (Marc), « Jean René Quoy. Un chirurgien navigant », in Dhombres (Jean G.) (sous la dir.), Av (...)
  • 6 Duguy (Raymond), « René Primevère Lesson. Un voyage autour du monde », in Dhombres (Jean G.) (sous (...)

4Ollivier appelle de la sorte à poursuivre l’œuvre prestigieuse, collective et individuelle, du noble héritage marqué par la puissance du lien filial. Comme l’attestent ces ancêtres célèbres, la fonction de naturaliste ne saurait concurrencer les autres rôles et compétences du médecin de marine. L’anthropologie, en tant qu’histoire naturelle de l’Homme, fait partie de ces intérêts respectables. D’autant plus que, comme nous l’avons vu, l’hôpital maritime ou colonial est perçu comme le lieu idéal de collecte de données et de corps par les anthropologues du dernier quart du xixe siècle. Se trouvent de la sorte associées dans ce processus de récolte, filiation symbolique et légitimation pratique. La philosophie qui loue l’association féconde de l’anthropologue et du médecin militaire perdura, a minima, jusque dans les années soixante. En témoigne l’hommage rendu aux travaux du médecin colonial Pierre Huard (1901- 1983), travaux qui « ont grandement contribué à susciter des vocations anthropologiques chez les médecins coloniaux à une époque où il était urgent de décrire les populations d’outre-mer et où les médecins étaient les mieux placés pour le faire »4. Aux grands noms de Jean René Constant Quoy (1790-1869)5 ou de René Primevère Lesson (1794-1849)6 auraient pu être associés ceux d’Adolphe Bourgarel et d’Émile Deplanche en ce qui concerne les collections anthropologiques néo-calédoniennes. L’œuvre de collecte de ce dernier illustre parfaitement la vocation naturaliste du médecin de la marine, tout autant grand voyageur des mers. Émile Deplanche est aussi licencié d’histoire naturelle de la faculté des sciences de Caen. En septembre 1856, il sollicite l’Inspecteur en chef des services de santé de la Marine afin de partir en Nouvelle-Calédonie :

  • 7 Lettre du 30 septembre 1856 adressée à Quoy [Dossier personnel d’Émile François Deplanche, Archives (...)

Cette campagne [Guyane] aura eu pour résultats de me faire désirer plus vivement que jamais d’être envoyé dans une colonie de l’Océanie, à la Nouvelle-Calédonie surtout, où le géologue et le botaniste peuvent rendre d’immenses services. C’est peut être trop préjuger de mes forces et de ma science, de ma science surtout, de me croire capable de quelque chose mais la bonne volonté supplée quelquefois au défaut de la connaissance7.

  • 8 Hamy possédait divers manuscrits du docteur Quoy, chirurgien-major de marine, comportant 9 feuillet (...)

5La demande n’est pas exempte de déférence ni de modestie mais il faut signaler que le chirurgien auxiliaire de 3e classe s’adresse à Jean-René Quoy en personne, le digne représentant des médecins naturalistes dont Hamy possédait d’ailleurs certains manuscrits originaux8. En retour, Quoy appuiera sa requête, entretenant le lien de solidarité :

  • 9 Lettre de Quoy du 16 octobre 1856 [dossier personnel d’Émile François Deplanche, Archives de la Déf (...)

Cet officier de santé qui a fait des études très sérieuses, a obtenu le titre de licencié es-sciences, envise à occuper un jour l’emploi de professeur des sciences naturelles à l’académie de Caen, a recueilli dans son séjour à la Guyane, de nombreuses collections dont il se propose de publier le catalogue dans l’un des journaux spéciaux. Il est aidé dans cette entreprise par le doyen de l’académie des sciences à Caen. Son but, aujourd’hui, est donc de coopérer à signaler les découvertes et à compléter les idées perçues déjà sur l’histoire naturelle de la Nouvelle-Calédonie. Je pense que le département de la marine suivra ses intérêts véritables en accueillant la démarche de M. Deplanche9.

Lettre de Quoy
soutenant la demande de Desplanche à servir les études naturalistes en Nouvelle-Calédonie (verso du feuillet daté du 16 octobre 1856). Archives de la Défense, Vincennes, CC7 alpha 673.

Cliché Christelle Patin

  • 10 « La collection de M. E. Deplanches [à Caen] […] renferme principalement une série très importante (...)

6De la sorte, le chirurgien devint « chargé de recettes en histoire naturelle à la Nouvelle-Calédonie ». Durant près de dix ans, il rassembla plus de deux cent crânes de toutes les parties de l’île, dont celle de l’extrémité nord rarement visitée, mais aussi des objets ethnographiques, oiseaux, mollusques et des plantes. Le Muséum de Caen tout comme celui de Paris abritent encore ces objets10.

7Il en est de même de Joseph Emmanuel Prosper Boyer (1815-1886) qui participa au voyage circumnavigation sur La Zélée et L’Astrolabe sous le commandement de Dumont d’Urville entre 1837 et 1839. Après son retour, en 1840, Prosper Boyer fit don d’une riche collection au musée d’Avignon en provenance des Îles Fidji, Salomon et de la Caroline. Trente-et-un objets ont été inventoriés en 184611. Or ce médecin de marine, naturaliste, était aussi le père du médecin Pierre Prosper Boyer, en poste à Nouméa de 1876 à 1878. La tradition naturaliste institutionnelle se double ici d’une tradition familiale. Boyer fils, âgé de 24 ans, est présent au laboratoire d’anthropologie dirigé par Broca dès 1874. Il fait partie des cinq médecins venus s’exercer à la pratique des mensurations craniométriques ou anthropométriques12 entre 1874 et 1875. Lors de son départ en Nouvelle-Calédonie en juin 1876, il envoie un courrier à la SAP pour demander un exemplaire des instructions craniologiques13. Comme il est indiqué dans son dossier personnel il « se plaît à l’amphithéâtre, aime les études anthropologiques »14. Telle apparaît cette vive et jeune motivation pour l’étude de l’histoire naturelle de l’Homme.

Un réseau d’interconnaissance

8Dans le corps de santé de la Marine, la perpétuation de la tradition naturaliste ne se construit pas qu’à travers le lien intergénérationnel, qu’il soit professionnel ou familial. Elle s’édifie et s’entretient aussi au présent, par une solidarité entre les vivants ou, d’une autre façon, par une alliance de corps et d’esprits.

  • 15 Sur les 27 crânes donnés, 24 l’ont été au Laboratoire et seuls 3 à la SAP.
  • 16 Ferembach (Denise), « Le laboratoire d’Anthropologie de l’Ecole pratique des hautes études (Laborat (...)
  • 17 Voir [Anonyme], « Élections », Bulletins de la SAP, IIIe série, tome 2, 1879, p. 341, il fut élu à (...)
  • 18 Boyer (Jean), « Quelques mots sur la pathologie indigène de la Nouvelle-Calédonie, des Loyalty et d (...)

9Boyer fils fréquentait le laboratoire d’anthropologie de Broca entre 1874 et 1875, avec suffisamment d’assiduité pour figurer dans le rapport annuel de l’École pratique des Hautes Études. C’est à cette même période qu’il passa le Doctorat de médecine à la Faculté de Paris. Sa thèse porte sur l’« utilité comparée du bain froid et du lavement froid dans le traitement de la fièvre typhoïde ». Il part ensuite en Nouvelle-Calédonie. Comme nous l’avons signalé, ses envois auront comme donataire quasi-exclusif le Laboratoire d’anthropologie de l’EPHE où il s’était formé15. Ce lieu de recherche et d’enseignement pratique, créé en 1867, était à la disposition de tous les membres de la Société d’anthropologie et des personnes voulant s’initier aux sciences anthropologiques. On y pratiquait mensuration, observation, dissection et autres activités scientifiques16. Le médecin de marine devint membre de la SAP le 15 mai 1878, soit quatre mois après son premier envoi de crânes. Puis son implication scientifique s’étendit lorsque Bordier (1841-1910), Broca et Topinard (1830-1911) proposèrent sa nomination comme correspondant national, le 1er mai 1879. Il sera élu à la séance suivante17. Même si nous n’avons, à ce jour, pas su localiser des correspondances entre Boyer et les autres anthropologues, la manifestation de ses activités notées dans les rapports de la vie de la Société certifie son inscription durable dans le réseau de l’institution savante. Ses dons prennent place dans ce maillage social déjà préformé avant la collecte. Durant sa carrière de médecin militaire, il publiera un article sur la tuberculose des indigènes18 étudiée à l’hôpital de Nouméa dans le service du médecin de 1ère classe Ponty mais, assez étonnamment, ne produira aucun travail anthropologique. Sa carrière de médecin militaire-collecteur fut courte. Boyer, très affaibli, décéda de complication hépatique en 1886.

Circumnavigation sur La Zélée et L’Astrolabe
« Kakaley, natif de Toï-Toï, Île Isabelle, Archipel Salomon » et « Sambo, natif de Opihi, Île Isabelle, Archipel Salomon ». Lithographie de Raunheim extraite du tome second de l’Atlas pittoresque publié dans Dumont d’Urville (Jules), Voyage au pôle sud et dans l’Océanie sur les corvettes l’Astrolabe et la Zélée, exécuté... pendant les années 1837-1838- 1839-1840 sous le commandement de J. Dumont d’Urville…, Paris : Gide, 1841-1854, planche 7.
Cliché Bibliothèque centrale, MNHN

  • 19 Dossier personnel de Ponty, Archives de la Défense, op. cit. Par ailleurs, son parcours militaire l (...)
  • 20 Dossier personnel, Archives de la Défense, CC7 alpha contre 1754. Docteur en médecine, prévôt à l’h (...)
  • 21 [Anonyme], « Vie de la société – bilan annuel : Ponty, D. M. P. médecin de 1ère classe de la marine (...)
  • 22 Lettre du 20 décembre 1882, Archives du Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.
  • 23 Bulletin de la Société géographique de Rochefort, tome 2, 1880-1881, etc.
  • 24 « Mr. de Mensignac présente deux crânes d’indigènes des Nouvelles-Hébrides déformés et offerts au M (...)

10En Nouvelle-Calédonie, si les pas de Boyer pouvaient croiser ceux de Ponty, les dispositions de ce dernier pour l’anthropologie n’étaient inscrites dans aucune filiation familiale, ni d’ailleurs motivées par une fréquentation antérieure des laboratoires anthropologiques19. Ses parents exerçaient la profession de commissionnaire dans le roulage (diligence) et d’aubergiste. Il fit l’ensemble de ses études à Bordeaux puis à Montpellier où il passa le doctorat de médecine en juillet 1867 sur « quelques considérations sur le bouton d’Alep ou ulcère d’Orient ». Ses goûts pour l’anthropologie ou les sciences naturelles n’apparaissent nullement dans son dossier militaire, même comme une « disposition particulière » pour reprendre la formule usuelle. Est-ce au contact de « l’indigène » soigné à l’hôpital de Nouméa qu’il eut cette vocation ? Est-ce la fréquentation de Jean Pierre Antoine Mesnil (né en 1838)20, prévôt de l’hôpital entre 1875 et 1877, et aussi naturaliste qui l’influença ou celle de Boyer ? Ponty fit ses premiers envois en 1877 et 1878 à la Société d’anthropologie. Il sera d’ailleurs membre de la Société de 1878 à 188221 et semble avoir rompu avec celle-ci pour, par la suite, se rapprocher de Quatrefages et d’Hamy. Il entretiendra une correspondance cordiale et régulière entre « confrère » en ce qui concerne le plus jeune et plus déférente avec « l’honoré maître » qu’il n’hésitait pas à aller saluer lors de ses rares passages à Paris22. D’autres intérêts scientifiques le dirigent aussi vers sa région natale de Rochefort et de Bordeaux. Il devient membre correspondant de la toute jeune Société de géographie de Rochefort en 1880, puis membre titulaire jusqu’en 189023. Initialement rattachée à la Société de géographie commerciale de Bordeaux, cette organisation savante s’en sépare en 1879 pour élargir son champ de recherches aux voyages des nombreux marins militaires présents dans la ville. À partir de 1884, on y retrouve Charles Lemire. Ce chef des services télégraphiques en Nouvelle-Calédonie (1874-1883), aussi journaliste, romancier et diplomate, a fait don au Muséum d’un mystérieux moulage de buste non identifié d’un chef canaque tué lors de l’insurrection de 1878. Plusieurs professeurs ou aide-naturalistes du Muséum y étaient membres correspondants comme les zoologistes Edmond Perrier (1844-1921) ou Léon Vaillant (1834-1914), Brongniart, Fischer ou Milne-Edwards (1835-1900) comme membre honoraire. Les voyages de découvertes publiés annuellement dans le Bulletin de la Société réunissaient symboliquement scientifiques et médecins militaires par delà les mers. Ponty fit également don de deux crânes des Nouvelles-Hébrides au Musée de Bordeaux en 1884, ville dans laquelle résidait la jeune Société anthropologique24. Le médecin militaire semble avoir été davantage un homme de terrain et de réseau, un informateur et collecteur plutôt qu’un chercheur. Il ne publia aucun article scientifique.

  • 25 « Émile Cailliot-médecin de la marine nationale présenté par de Q, Hamy et Alix, demande le titre d (...)
  • 26 Hamy (Ernest-Théodore), Hommage à la mémoire de M. A. de Quatrefages de Bréau, discours prononcé à (...)
  • 27 Sitzmann (Édouard), Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace : depuis les temps l (...)
  • 28 Voir pp. 55, 65, 87, etc. du Journal de Conchyliologie, 4e série, tome 9, vol. LV, 1907. Pièces env (...)

11Quant à Émile Cailliot, son parcours initial le rapproche de Boyer. Quatrefages, Hamy et Alix le présentèrent à la SAP qui l’accueillit comme membre titulaire non résident en janvier 1875. Quatrefages, de nouveau, et Achille Delesse (1817-1881) l’introduisirent à la Société de Géographie de Paris la même année25. Nous pouvons être étonnés de l’attention portée à ce jeune médecin originaire de Strasbourg, qu’un lien particulier semblait relier à Quatrefages. Certes, Cailliot venait de faire don au Muséum de Paris de quatre crânes d’Annamites et celui d’un Chinois rapportés de l’île de Poulo Condor, célèbre bagne indochinois ouvert en 1862 par la France. Mais leur relation s’ancrait plus à l’est, à Strasbourg, ville dans laquelle le scientifique avait fait ses études. Quatrefages y obtint un doctorat de mathématiques en 1830 puis un poste d’aide préparateur en chimie-physique à la faculté de médecine. Âgé seulement de vingt-ans, il se lie alors d’amitiés avec le chimiste Amédée Cailliot et avec Meunier, le beau frère de celui-ci, « d’une affection qui ne s’est jamais démentie »26. Louis Armand Victor Amédée Cailliot (1805-1884) professa à la chaire de chimie médicale et de toxicologie de Strasbourg et eut notamment comme disciple Charles Adolphe Wurtz (1817-1884), futur doyen de la faculté de médecine de Paris. Il fut aussi le père de neuf enfants dont le septième n’était autre qu’Émile Cailliot. Tout porte à croire que le réseau familial était orienté vers des activités médicales ou militaires. Le grand père maternel d’Émile, François Meunier, était professeur d’hygiène et de physique médicale à la faculté et son grand-oncle paternel, René Cailliot (1769-1835), devint le doyen de la faculté de médecine. Son grand-père paternel, Louis Cailliot (1775-1844) fut quant à lui médecin en chef de la marine et ses deux frères endossèrent une carrière militaire. Alphonse (1834-1863), sous lieutenant des tirailleurs algériens, mourût à l’âge de trente ans et Édouard (1833-1903), l’aîné, mena avec succès diverses campagnes de guerre dans les colonies et devint directeur de l’infanterie au Ministère de la guerre en 188527. Finalement, avant de réaliser ses collectes néo-calédoniennes, le médecin militaire était donc déjà sensibilisé aux intérêts de la science et à ceux de la conquête coloniale. Il était aussi impliqué dans des sociétés savantes de poids, ne serait-ce qu’en tant que membre. Ses nombreux envois anthropologiques seront destinés au Muséum mais pas à la SAP. Cailliot avait davantage l’âme d’un collecteur-collectionneur que d’un chercheur. D’ailleurs, de nombreuses pièces de sa collection personnelle, comprenant des crânes surmodelés mais aussi des poissons, serpents et coquilles de mollusques, seront données l’année de sa mort par sa sœur au musée ethnographique du Trocadéro et au Muséum, l’inscrivant dans la tradition des médecins de marine-naturaliste28. Aucune correspondance ne nous éclaire davantage.

L’ancienne faculté de médecine de Strasbourg
Louis Armand Victor Amédée Cailliot y professa à la chaire de chimie médicale et de toxicologie. Illustration extraite de Lereboullet (P.), « L’ancienne faculté de Strasbourg », Paris médical : la semaine du clinicien, 1919, n° 32, p. IV.
Cliché BIU Santé, Paris

  • 29 Navarre (Pierre-Just), Étude médicale de la presqu’île Ducos, Paris : Imp. A. Parent, 1879, 52 p., (...)
  • 30 Navarre (Pierre-Just), Un dispensaire lyonnais, Lyon : Imp. Mougin-Rusand, 1892, 16 p., in-8° ; du (...)
  • 31 Navarre (Pierre-Just), « Compte-rendu de travaux : publication du livre d’or du dispensaire », Mémo (...)
  • 32 Navarre (Pierre-Just), Manuel d’hygiène coloniale : guide de l’Européen dans les pays chauds, Paris (...)

12Qu’en est-il de Navarre, le donateur de la tête d’Ataï ? Son cheminement ne s’ancre aucunement dans une tradition familiale naturaliste — son père était ferblantier — ni ne se comprend par une appartenance initiale à un réseau scientifique. Il n’apparaît dans aucun bilan d’activité de la SAP, du Muséum ou de la Société de géographie de Paris, que ce soit avant ou après sa donation. Certes, sa carrière de médecin de la marine fut interrompue rapidement puisqu’il démissionna en mars 1880, soit six mois après le don des restes d’Ataï et de son compagnon. Entre temps, il obtint son doctorat de médecine à la Faculté de Paris, lui permettant d’exercer la médecine civile. Sa carrière se tourne alors vers la médecine et l’hygiène coloniale, thème amorcé dans sa thèse intitulée « Étude médicale de la presqu’île de Ducos »29. Il s’installe comme médecin civil à Lyon où, à partir de 1888, il administre le dispensaire spécial qui donne assistance, de manière anonyme et gratuite, aux indigents syphilitiques30. Membre actif de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, il fait aussi partie de nombreuses sociétés savantes comme la Société d’Anatomie de Paris, la Société d’hygiène et de médecine publique de Paris ou la Société des sciences médicales de Lyon. Il communique et publie, abordant tour à tour et de manière non exhaustive l’histoire du dispensaire lyonnais, l’hygiène ouvrière et Blaise Pascal31. Il écrit un manuel d’hygiène colonial — guide de l’Européen dans les pays chauds — en 1895, qui sera partiellement repris dans un guide de l’immigrant à Madagascar rédigé sous l’égide du gouvernement général de cette île32. Il transmettra ses réflexions en tant que professeur d’hygiène coloniale à la chambre de commerce de Lyon. Ses préoccupations, après 1885, étaient donc résolument tournées vers la prophylaxie, la médecine sociale et coloniale ; il ne figurera jamais à la Société d’anthropologie de Paris ou à la Société anthropologique de Lyon, créée en 1881. Compte tenu de cela, le don des deux têtes kanak apparaît comme un épisode curieux de sa biographie.

13À travers ces éléments de reconstitutions biographiques, nous saisissons davantage le croisement, voire l’intrication, des parcours des protagonistes dans le processus de collecte à destination d’un donataire ciblé, déjà connu dans les cas étudiés. Le cheminement de l’officier Navarre reste à la marge de ces entrelacs sociaux qui relient médecins militaires et naturalistes. Ceci dit, si la tradition et l’établissement de réseaux donnent un cadre favorable au recueil d’objets et de spécimens, cela n’éclaire pas ce qui se noue entre les personnes lors de l’acte du don. D’une autre façon, quels sont les éléments qui poussent Boyer, Cailliot, Ponty et Navarre à récolter, envoyer et donner les pièces anatomiques et, par là même, à contribuer à l’existence et dynamisation d’un réseau d’attachements ?

Le don de pièces de collection au cœur du système de reconnaissance

  • 33 Cornu (Marie) & Mallet-Poujol (Nathalie), Œuvres d’art et Musées : protection et valorisation des c (...)
  • 34 Mauss (Marcel), « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L (...)

14Le don peut être considéré comme une simple donation, c’est-à-dire un transfert à titre gratuit de la propriété d’un bien à une autre personne, validée par un acte juridique33 sans conséquence pour la relation sociale. Cependant, on peut aussi l’envisager comme étant au cœur du lien interpersonnel, lien qui engage le donateur et le donataire à une reconnaissance mutuelle. Dans cette perspective maussienne, le don serait alors à l’origine d’une charge symbolique qui créerait un système de dette, donnant à l’acte toute sa valeur dynamique dans le processus de patrimonialisation34. Empruntant les pas du questionnement de Jean Davallon sur les identités plurielles du donataire, nous tenterons de cerner à quel destinataire s’adressent finalement les quatre médecins militaires donateurs. Est-il avant tout une personne, une institution ou bien une entité plus large ? La valeur du don pour le donateur dépendrait alors de celle qu’il accorde au donataire. Dans cette chaîne de transfert, le donateur n’est pas seulement un intermédiaire, il est aussi un médiateur.

Les identités plurielles du donataire

  • 35 Correspondance reçue – livre de la SAP – Archives de la SAP-MNHN.
  • 36 Courrier du 20 janvier 1878 de Ponty à Quatrefages, op. cit.

15Aucun courrier envoyé par Ponty à la SAP, lors de ses premiers dons, n’a été conservé dans les archives de la Société déposées au Muséum. Seul le livre de l’enregistrement des courriers reçus fait état de plusieurs expéditions35. L’envoi daté de 1878 mêle au sein de la même livraison des pièces destinées aux deux institutions scientifiques. Dans la note qui l’accompagne, une curieuse correction rature la nomination du destinataire des caisses 2 à 6 : « Envoi à la société d’anthropologie de Paris » est rectifié par Ponty en « Envoi au Dr Broca, professeur d’anthropologie, Paris ».36 Par cette précision, son don s’adresse d’abord à la personne de Broca plutôt qu’à l’institution collective. D’ailleurs, ses envois se feront du vivant de l’anthropologue. Après la mort de celui-ci, en 1880, ils seront exclusivement destinés au Muséum. Dans cette nouvelle perspective, Ponty donne-t-il autant d’importance aux liens tissés avec les responsables des collections muséales ?

Autres types de dons
Pelocarcinus cailloti A. Milne-Edwards, 1890 collecté par Cailliot aux Îles Loyauté et donné au Muséum en 1886. Photographie (2016), Muséum national d’Histoire naturelle, coll. Crustacés (IU), spécimen MNHN-IU-2000-3751.
Cliché Noémy Mollaret, MNHN

  • 37 Respectivement Lettres du 20 janvier 1878, du 22 juin 1882 et du 20 décembre 1882 ; Archives du lab (...)
  • 38 Littré (Émile), Dictionnaire de la langue française, 2e éd., Paris : Hachette, 1876-1878, 5 vol.

16Une lecture attentive des courriers du médecin se révèle instructive quant aux divers registres sémantiques utilisés. « Très Honoré maître. J’ai la satisfaction de pouvoir vous être agréable par retour du courrier en expédiant […] », « j’ai pensé vous être agréable en expédiant des squelettes complets […] », ou bien « Pour complaire au docteur Hamy […] »37, dans ces extraits l’emploi du discours de la complaisance est récurrent. De cette manière, le dessein du collecteur est d’accommoder ses efforts au goût d’autrui afin de lui être agréable. La définition du Littré éditée à la même époque parle d’une « disposition de caractère qui porte à s’accommoder […] pour plaire à autrui »38. L’aptitude demande une certaine plasticité de la personnalité, voire une certaine bienveillance. Or, quelle que soit la composition de cette posture, sa fonction communicationnelle interroge. Ce qui pourrait peut-être apparaître aujourd’hui comme une relation un tantinet obséquieuse relève alors d’une construction socialement valorisée ou d’un art de la relation soigneusement cultivé. Il s’avère que le discours épistolaire d’amabilité, situé en tête de lettre ou précédant l’annonce d’un envoi, joue un rôle spécifique dans le déclenchement de la démarche instituée du don. Ces formulations peuvent être considérées comme une forme esthétisante de l’action au cœur du mécanisme de reconnaissance, inséparable du processus de constitution des collections. Au niveau pragmatique, cela implique une connaissance minimale du donataire et de ses désirs, sachant qu’un savoir d’autant plus aigu optimisera l’efficacité du don. Par ailleurs, la collecte complaisante nécessite aussi une gestion singulière, tant dans le temps (anticipation qui réclame une phase d’attente, de veille pour cerner les conditions propices puis le moment de succès) que dans les modalités de l’action, parfois assortie de compositions comme nous l’avons vu. Il s’ensuit que les séquences de donations effectuées par Ponty, homme de réseaux, à la SAP puis au Muséum s’éclairent par l’importance qu’il donne à la relation interpersonnelle davantage qu’à l’institution elle-même. D’ailleurs, il n’évoque que très rarement celle-ci.

  • 39 Cailliot (Émile), « Correspondance : Notes ethnologiques sur l’île de Mallicolo », lettre du 19 jan (...)

17La perspective semble différente pour Cailliot, si l’on se réfère à cet unique extrait de correspondance de janvier 1887 — les autres témoignages faisant défaut : « Je suis heureux que les envois que j’ai faits au Muséum soient arrivés en bon état. […] J’ai pu m’en procurer 2 spécimens [crânes surmodelés] […] que je réserve au Muséum. […] J’ai envoyé à ma sœur de Paris nombre d’objets destinés au Muséum ou au Musée d’ethnographie, je la prierai de vous les faire parvenir et vous voudrez bien garder pour votre établissement ce que vous jugerez utile et envoyer le reste au Trocadéro »39.

  • 40 Voir le chapitre « Exposer l’homme avec ou sans les animaux », dans Patin (Christelle), « les vies (...)

18Le registre de la complaisance est ici absent. Un simple « Monsieur » est adressé à Quatrefages en dépit des relations d’amitiés que son père, le chimiste, entretenait avec ce dernier. La récurrence du nom des institutions muséales comme destinataires du don laisse penser que le donataire est ici le musée. Du reste, les logiques qui guident le médecin sont celles d’un collectionneur. Rareté et curiosité martèlent les descriptions des objets qu’il récolte : « Les serpents peuvent être curieux », les documents sur l’anthropophagie sont aussi « curieux » tout comme les haches de pierre « rares et curieuses ». Le choix des pièces recueillies comme les fragments de peau tatouées ou les crânes surmodelés appuie ce focus sur l’étrangeté des choses. Son don s’inscrit dans une certaine vision du musée dont la fonction est d’accueillir, conserver et de présenter des objets peu ordinaires, insolites tout autant que rares. Ils sont aussi témoins d’un âge résolu qui associe primitivisme et exotisme. Notons le décalage du médecin qui recourt à un registre propre à l’histoire naturelle du xviiie, voire du début xixe siècle, à l’image de l’éloquent Buffon (1707-1788) pour qui la curiosité constitue le mode d’entendement de la prodigalité du monde tant pour les scientifiques que pour les visiteurs non avertis. Or les années 1840, période d’institutionnalisation de l’anthropologie, marquèrent un tournant dans l’appréhension de la culture de la curiosité, discréditée. Les dimensions subjectives, insatiables et passionnelles de la démarche en furent accentuées. La tension fut d’ailleurs palpable lors des débats relatifs à l’accès des galeries au tout public40. En ce sens, les motivations affichées par Cailliot correspondent peu à la posture d’une lecture objective prônée par les scientifiques. Elles n’empruntent pas vraiment les marqueurs de scientificité qui constituent aussi des signes d’appartenance à une communauté de savoirs partagés. À l’image de ses collections, sa position semble tout aussi curieuse, étrangère au rationalisme et aux strates de catégorisations scientifiques marquant cette période.

  • 41 Davallon (Jean), Le don du patrimoine…, op. cit.
  • 42 Archives de la SAP, MNHN.

19Quant à Boyer, nous savons seulement qu’il donna les crânes au Laboratoire d’anthropologie de Broca, lieu de son initiation à l’étude. Boyer apparaît comme une émanation directe de l’institution scientifique qui l’a formé aux mensurations et aux observations. À sa demande, celle-ci lui livre des instructions avant son départ. De cette manière, une filiation est construite dans la contemporanéité des acteurs du don, issus ici d’un monde commun. Pour reprendre l’étude conséquente de Jean Davallon41 sur le don patrimonial, nous pouvons supposer qu’il s’agit d’une dette d’engendrement qui motive les dons effectués par Boyer. Elle leur donne une dimension qui force l’intérêt et l’obligation. Son engagement deviendra d’autant plus profond lorsque l’institution le nommera correspondant national. Dans un tel contexte, le donateur tend à fusionner avec le donataire dans une sorte de communion. C’est ce que laisse entendre de manière plus générale Paul Broca dans un extrait sur le laboratoire pratique : « La rapidité remarquable avec laquelle la collection craniologique s’est accrue est due au concours empressé des médecins de la marine de l’État et des docteurs français qui, après avoir suivi nos cours et travaillé avec nous dans le laboratoire, ont bien voulu nous faire ensuite de nombreux et précieux envois »42.

La relation Navarre - Broca, quel(s) enjeu(x) ?

20À travers le parcours des trois médecins de la marine, se dessinent autant de logiques qui motivent le don. Navarre, le donataire de la tête d’Ataï, s’inscrit-il dans l’une d’elles ? Le médecin militaire n’a pas la passion de la collection comme Cailliot, ni de dette d’engendrement envers l’institution scientifique comme Boyer. Par ailleurs, il n’a pas développé de relations privilégiées complaisantes avec Broca avant l’envoi. Son cheminement trace une autre voie. D’après la presse, la destination finale des restes des guerriers kanak, par décision du gouverneur, est initialement annoncée au Muséum puis à la SAP. Cette hésitation quant au choix du donataire peut autant relever d’une information erronée que d’une réelle volonté individuelle ou collective. Ainsi, nous pouvons nous demander si Navarre a choisi intentionnellement l’institution de Broca ou s’il a été un intermédiaire chargé d’appliquer l’arrangement réalisé entre le laboratoire et le pouvoir colonial. Les données manquent. À ce jour, en dépit de traces de son existence passée, aucune correspondance entre le médecin de la marine Pierre-Just Navarre et le médecin anthropologue Paul Broca n’a été retrouvée. Pourtant, l’absence de ces communications est-elle réellement indépassable ? Car si elle constitue un écueil, elle pousse aussi à explorer d’autres chemins. La voie de la Société d’anthropologie étant pour l’instant sans issue, quelle attache, ne serait-ce que ponctuelle, pouvait relier Navarre et Broca ? En 1878, l’un était médecin de seconde classe de la marine, l’autre professeur de clinique chirurgicale à la faculté de médecine de Paris. En somme, deux places socialement bien différentes. Pourtant, un événement important amenait les médecins de la marine à rencontrer les professeurs de la faculté : la préparation et le passage du doctorat en médecine.

  • 43 [Anonyme], Recueil des thèses délivrées en 1879 par la Faculté de Médecine de Paris, Paris : A. Par (...)

Thèse pour le Doctorat en Médecine, n° 527, présentée et soutenue le 5 décembre 1879 à une heure par Pierre-Just NAVARRE, né à Clairac (Lot-et-Garonne), le 22 août 1848, Médecin de la Marine, Étude médicale de la presqu’île Ducos,
Président : M. Broca, professeur ; Juges : MM. Guyon, professeur, Terrier, Rendu, agrégés43.

Doctorat en médecine
Étude médicale de la presqu’île Ducos. Thèse pour le Doctorat en Médecine, n° 527, présentée et soutenue le 5 décembre 1879 à une heure par Pierre-Just Navarre, né à Clairac (Lot-et-Garonne), le 22 août 1848, Médecin de la Marine. Hormis la reconnaissance familiale, Navarre, dans la dédicace de sa thèse rend un hommage exclusif à Broca. Archives nationales, AJ/16/6856.
Cliché Christelle Patin

  • 44 « À Mon président de thèse : M. Le professeur BROCA », dédicace de la thèse de Navarre (Pierre-Just (...)
  • 45 Delage (Anna), Histoire de la thèse de doctorat en Médecine d’après les thèses soutenues devant la (...)
  • 46 Travail réalisé à partir des dossiers des doctorants de la Faculté de médecine de Paris conservés a (...)
  • 47 Seules cinq thèses anthropologiques d’anatomie descriptive et comparative furent menées en 1879. To (...)
  • 48 Navarre (Pierre-Just), Étude médicale de la presqu’île Ducos, op. cit., pp. 40-41.

21Six semaines après l’envoi par Navarre des deux têtes néo-calédoniennes à Broca, la composition de ce jury soulève bien des questions. Sur les quatre médecins présents, deux appartiennent à la SAP, Paul Broca en tant que fondateur et Félix Terrier (1837- 1908) membre depuis 1871. Hormis la reconnaissance familiale, la dédicace de la thèse rend un hommage exclusif à Broca44. Dans quelle mesure le nœud que constitue l’obtention du doctorat relève-t-il de relations privilégiées entre les protagonistes qui éclairent la transaction du don ? L’obtention du doctorat pour ce jeune médecin de la marine représentait-elle un réel enjeu qui pouvait justifier un rapprochement avec le président de la SAP ? Cerner la nature de cette relation et sa durabilité nécessite d’interroger le déroulement du doctorat de médecine et les modalités de constitution des jurys en 1879. Leur composition dépendrait des seuls protagonistes ou bien de logiques pragmatiques externes aux relations interpersonnelles jury-candidat. Lors de recherches sur l’histoire institutionnelle du doctorat en médecine en 1912, Anna Delage isole quelques logiques extraites des analyses de thèses soutenues à la Faculté de médecine de Paris. D’après le décret de 1823 qui réorganise la faculté, le jury des thèses est alors composé de quatre professeurs et de deux agrégés, désignés à la condition de n’avoir donné aucune leçon particulière au candidat. L’un des professeurs est nommé par le doyen comme président. Il « examine la thèse manuscrite, la signe et s’en porte garant tant au point de vue des principes que des opinions religieuses et politiques. » En 1830, l’aspirant au doctorat acquiert la liberté de choisir lui-même son président de thèse45. À ce niveau, il est difficile d’affirmer sans preuve que Navarre ait demandé cette faveur à Broca, d’autant plus que d’autres facteurs, non mentionnés par Anna Delage, interviennent dans cette organisation. En effet, c’est en réalisant une analyse de l’ensemble des thèses auxquelles Broca a participé en tant que membre ou président du jury, en 1879, que d’autres logiques sont apparues46. Ainsi sur les 578 thèses soutenues cette même année, Broca participa à 39 soutenances dont 19 en tant que président. En dépit de rares sujets hétéroclites tels que l’érosion dentaire ou une étude clinique sur les leucocythémies, la plupart des travaux agréés par Broca en tant que président portent sur ses champs d’investigation : les études chirurgicales, les soins post-opératoires, les troubles de la parole et les études anthropologiques dont il se fait l’arbitre exclusif47. Outre la thématique, la composition du jury est aussi tributaire de la disponibilité de ses membres. Ainsi, très souvent, deux à trois exposés ont lieu le même jour sous le regard d’un même jury dont la présidence pouvait cependant alterner selon les sujets abordés. Comme exemple, l’étude sur les leucocytémies fut soutenue le 23 juillet après deux thèses d’anthropologie raciologique, l’une intitulée « De l’omoplate et ses indices de largueur dans les races humaines » et l’autre « Recherches sur les proportions de la clavicule dans les sexes et dans les races ». L’institution de formation dont provient le candidat ne paraît pas être décisive. En résumé, la composition du jury était donc guidée par un arrangement de trois critères : la thématique, le jour de la soutenance et la demande du candidat au doctorat quant au choix de la présidence. La thèse de Pierre Just Navarre s’inscrit-elle dans cette normalité ? Elle porte sur une étude médicale d’hygiène et clinique entreprise lors de son séjour comme médecin-major à Numbo, structure de soin des déportés fixée sur la presqu’île de Ducos. Ce thème ne constitue pas un sujet de prédilection pour le président de la SAP. Néanmoins, quelques pages à la fin de l’écrit traitent le cas d’un acte chirurgical d’amputation. Navarre a recueilli la jambe du patient comme « pièce pathologique » et réalisé un dessin de l’articulation osseuse48. Ce sujet a pu intéresser le chirurgien. Par ailleurs, ce même jour du 5 décembre, fut aussi soutenue face au même jury une recherche anthropologique « De l’indice thoracique » qui justifie la présence du professeur.

Profil de Paul Broca
Moulage conservé au Musée de l’Homme.

Cliché Museumedia, MNHN

  • 49 Du même auteur : Manuel d’hygiène coloniale : guide de l’Européen dans les pays chauds, Paris : O. (...)

22Au regard de tout cela, il est très difficile de conclure au fait que seule une relation privilégiée entre Broca et Navarre, initiée par le don des deux têtes, ait pu œuvrer à ce paysage doctoral. La présence de l’anthropologue peut être tout autant légitimée par une partie de la thématique ou par la date de présentation. Il est possible que cette vitrine des facteurs « académiques » présents résulte d’une stratégie de légitimation, d’une construction en amont des acteurs à laquelle nous n’avons pas accès. Comme nous l’avons vu, les nombreux écrits de Navarre49, postérieurs à 1880, portent principalement sur la médecine et l’hygiène coloniale et sociale. Les divers champs de l’anthropologie sont absents de ses réflexions et l’épisode de l’insurrection kanak n’est jamais abordé. Ataï est entièrement laissé dans l’oubli. Par ailleurs, le médecin ne fut membre d’aucune société anthropologique. Aussi, devant cet épisode « curieux », nous pouvons malgré tout nous demander si l’obtention du doctorat fut, pour Navarre, un enjeu important.

  • 50 « Titre III - De l’admission et de l’avancement dans le corps de santé de la marine. Art 7 - Nul n’ (...)
  • 51 Décret du 31 mai 1875 sur l’organisation du service de santé – Mentionné dans Pluchon (Pierre) (sou (...)
  • 52 Cette demande est adressée au ministère de l’Instruction publique, Dossier du doctorant Navarre, Ar (...)
  • 53 Certificat du 11 juin 1879 que confirme la contre-visite réalisée à Brest en septembre 1879. Dossie (...)

23En 1866, divers décrets spécifient la voie médicale de la voie pharmaceutique et rendent obligatoire l’obtention du grade de docteur en médecine pour les médecins de la marine50. Cette obligation est supprimée en avril 1875 puis rétablie en 188551. Pierre Just Navarre fut engagé comme aide médecin auxiliaire en novembre 1871. Bien que cela ne soit plus exigible, il demanda en décembre 1875, en vue des épreuves de doctorat, une exemption des frais d’inscription à la faculté de médecine de Paris52 et obtint une dispense de trois examens finaux. Il passa son doctorat sous la présidence de Broca à son retour de Nouvelle-Calédonie en décembre 1879, soit peu de temps avant sa démission du statut de médecin militaire, le 3 mars 1880. Navarre est atteint d’hépatite chronique contractée lors de son premier voyage en Nouvelle-Calédonie en 1872 puis à la Martinique en 1874. Le certificat de visite du conseil de santé de Nouméa, réalisé avant son départ pour la France en 1879, mentionne un état d’hépatite aigüe et d’anémie. Le diagnostic est assez sévère : « L’état de sa santé ne lui permettant pas de servir à la mer aux colonies, M. Navarre ne peut guère être employé que dans les hôpitaux »53. L’ex-médecin militaire commence alors une carrière médicale civile à Lyon dans un dispensaire. L’obtention du doctorat de médecine constitue donc, à ce moment de son parcours, un enjeu important. Elle est l’une des conditions de la concrétisation de sa nouvelle vie, hors de la carrière militaire. Ainsi, en l’état des sources actuelles, il relève de la gageure de savoir dans quelle mesure la tête d’Ataï a servi les intérêts de Pierre-Just Navarre et ceux de Paul Broca. Elle y a néanmoins, plus ou moins directement, contribué. Leur rencontre fut très ponctuelle, le temps d’un échange, entre octobre et décembre 1879.

  • 54 Navarre (Pierre-Just), « L’armée coloniale, ce qu’elle doit être », Revue d’hygiène et de police sa (...)
  • 55 Poitou-Duplessy (M.) et al., « L’armée coloniale – discussion du mémoire de M. le Dr Navarre », Rev (...)

24Au-delà de l’échelle de la personne ou de l’institution, le donataire peut incarner une identité bien plus large et inclusive, instance abstraite et politique telles la Science et la Nation. Les quatre médecins de marine ont tous été forgés par le monde médical et les valeurs patriotiques du monde militaire. Ils sont donc sensibilisés à l’importance donnée à la science anthropologique dans l’édification de la nation française et celle du roman national, ainsi qu’à son utilité publique. Nous y reviendrons dans le processus d’exposition. Ceci dit, nous pouvons d’ores et déjà examiner la place de la médecine hygiénique, chère à Navarre, dans le processus d’expansion coloniale, lequel « s’impose comme une nécessité, fatale à toutes les grandes nations européennes ». Près de quinze ans après son don à la SAP, Navarre publie L’armée coloniale, ce qu’elle doit être. Ce mémoire fut lu à la Société de Médecine publique et d’hygiène de Paris lors de la séance du 25 mars 189654. Contrairement à l’idée générale, déjà décriée lors du Congrès des médecins coloniaux d’Amsterdam en 188355, il fait le constat du très difficile acclimatement individuel de l’Européen dans les zones tropicales. Ainsi, la question coloniale est avant tout dominée par des problèmes hygiéniques et, à ce titre, ressort de la compétence des médecins. Pour Navarre, l’armée coloniale est à la fois mal composée et mal préparée. Les remèdes sont dans l’étude de la constitution humaine et celle des tempéraments. L’élite de notre armée métropolitaine, nous dit-il, est recrutée parmi les descendants des Belges, des Cimbres et des Francs germaniques, dont l’élément dolycho-blond domine. Ces hommes sont inaptes au service dans les pays tropicaux car trop lymphatiques et gros mangeurs de viande. Il n’en est pas de même des descendants des Celtes, des Celtibères et des Gallo-Romains plus petits mais beaucoup plus résistants. Il s’avère que les « hommes de races méridionales » sont plus résistants aux influences climatiques et à l’anémie tropicale du fait d’une part, du croisement entre l’homme européen avec les tribus noires de l’Afrique du nord dont ils sont issus et d’autre part, de leur sobriété. C’est donc « parmi les bruns, Celtes et Celtibères de race méditerranéenne, que devra se recruter la plus grande partie de l’armée coloniale blanche ». Il faudra choisir l’élite, sans histoire médicale, à la tenue et moralité de choix, « n’ayant d’autre mission que de faire la guerre et d’autre devoir que celui de se tenir, à toute heure, prêts à se battre ». L’analyse taxonomique combine arguments théoriques anthropologiques et hygiéniques pour appuyer la mise en œuvre de cette nouvelle armée. En outre, celle-ci devra donner une large part à la légion étrangère où Sénégalais, Noirs du Bénin et du Gabon, Indochinois, Annamites et Tonkinois, une fois bien encadrés, paraissent les plus aptes tant au niveau de l’endurance et des qualités physiques que de la sobriété et de la discipline. « Puisqu’il est admis par tous que les expéditions coloniales sont des “guerres de médecins et d’intendants”, il en conclut qu’aucune expédition entre les tropiques ne soit naturellement entreprise si les médecins et les services administratifs n’ont pas eu les moyens et le loisir d’en assurer le succès. » L’anthropologie et surtout la médecine hygiénique livrent ici toute l’importance de leur utilité publique en faveur de l’œuvre expansionniste de la Nation sous les tropiques ; ils en deviennent les éléments clés en cette fin de xixe siècle. « Notre conception de l’armée coloniale future n’est pas une conception démocratique […] La démocratie n’est pas affaire d’exportation coloniale. Pour coloniser, il faut une sélection, et qui dit sélection dit aristocratie » conclut-il. Le don de la tête d’Ataï et de son compagnon s’inscrit dans ce cadre idéologique arrivé ici à sa pleine maturité. Il ne fut effectivement pas une affaire de démocratie… Par cet enseignement, le médecin s’inscrit aussi au sein des élites et signe son ascension sociale, lui le fils d’un ferblantier.

L’armée coloniale Gravure de Méaulle en une du Petit journal illustré du 7 mars 1891.

Cliché Bibliothèque nationale de France

25Au terme de ce parcours, la figure du donataire s’est révélée plurielle, empruntant tantôt la figure du scientifique, parfois ami, tantôt celle d’une institution de formation comme le laboratoire ou de thésaurisation comme le musée. À plus large échelle, la Science et la Nation en incarnent la version universelle. L’étude n’a pas de visée typologique. Elle montre plutôt la spécificité de chacun des liens qui unit donateur et destinataire. Chaque transfert doit être analysé dans sa singularité. L’acte n’est pas anodin et les motivations sont complexes, parfois diffuses, et surement évolutives. Il faut rentrer dans l’intimité du don, ou tout au moins s’en approcher, à travers notamment les correspondances quand elles sont disponibles, en sachant par ailleurs que la forme même de ces écrits en livre une vision biaisée et donc partielle.

Recevoir ou comment évaluer la valeur de l’objet donné ?

26Cela peut sembler un truisme, la réalisation du don est soumise à deux conditions : celle de donner et celle de recevoir. Si donner nécessite un engagement et une motivation du donateur, également collecteur dans ce contexte néo-calédonien, l’acte de recevoir n’en demeure pas moins actif. L’acceptation de l’objet qui finalise la transaction est une affaire de jugement de la valeur scientifique et symbolique portée sur l’objet qu’il convient d’éclairer.

  • 56 Précision mentionnée dans les Rapports annuels des professeurs du Muséum, en 1882 pour Ponty et 188 (...)

27Comme le mentionnent Hamy et Broca, les collections anthropologiques composées de restes humains sont plus difficiles à obtenir que les autres collections naturalistes. Leur nature particulière est liée à la charge symbolique et émotionnelle qu’ils suscitent. Le mérite du récoltant-donateur en parait d’autant plus grand. La gestion matérielle des corps a ses propres contraintes liées à leur périssabilité, aux techniques de préparation ou de conservation, à l’acheminement et aux vicissitudes du voyage maritime. À ces difficultés s’ajoutent les dangers de la récolte liés au contexte martial ou à la résistance des populations attachées aux restes mortels de leurs ancêtres. Par ailleurs, pour Quatrefages, les récoltants Cailliot et Ponty sont d’autant plus méritants que leurs dons au Muséum n’émanent d’aucune mission de l’Instruction publique ou gouvernementale56. En témoigne la page introductive des Instructions de 1845 et de 1860 :

  • 57 [Muséum impérial d’histoire naturelle], Instructions pour les voyageurs…, op. cit., p. 2.

Nous ne parlons pas seulement des grandes expéditions scientifiques et des collections faites par ordre du gouvernement, et destinés par lui au Muséum d’histoire naturelle, mais de celles qui, recueillies sans mission spéciale, dues purement au zèle du collecteur et lui appartenant en toute propriété, ont passé, grâce à son désintéressement, dans les galeries du Muséum.57

28Le don qui retient particulièrement l’attention de l’anthropologue et des naturalistes est celui généré par passion. Ardeur et dévouement marquent alors les qualités du donateur. Sur une échelle de valeur en termes de reconnaissance, ce type de don se place à un degré supérieur au don institué. C’est donc la liberté du don qui est ici appréciée plutôt que le don réalisé par obligation, puisque préalablement établi par l’État. Cette liberté donne au lien social toute sa valeur de reconnaissance.

  • 58 Lettre du 20 janvier 1878, Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.
  • 59 Registre des entrées, Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.
  • 60 Latour (Bruno), « Factures/fractures… », op. cit., pp. 189-208.

29Le deuxième point d’évaluation porte sur l’identité des éléments collectés. Le succès social des personnes augmente indubitablement leur valeur. L’aura particulière développée de leur vivant se transfère à leurs restes. Le culte des grands hommes de la Nation à travers l’attention apportée à leur relique marque la seconde partie du xixe siècle. Le chef Ataï a été également soumis à un régime différentiel. Ainsi, à son arrivée à la SAP, une séance entière de présentation lui fut consacrée contrairement aux autres restes kanak envoyés par Boyer ou Ponty. Son statut de leader déchu lui donnait une indéniable valeur ajoutée. Par ailleurs, les niveaux de rareté et d’ancienneté tout comme l’état de conservation des pièces influencent l’évaluation de manière déterminante et positive, comme le furent les rares crânes déformés de Mallicolo. Parmi les facteurs de valorisation de « l’objet » œuvrant à la reconnaissance du don, l’autorité du donateur au sein du monde scientifique ou politique s’avère tout aussi décisive. Elle ne semble pas l’être pour nos quatre médecins mais interpelle dans l’exemple qui suit. À la date du 7 juillet 1881, le cahier des entrées du laboratoire d’anthropologie du Muséum fait état d’un don d’une oreille perforée d’un Néo-calédonien par Monsieur Henri Rivière. L’intérêt scientifique de ce trophée de guerre semble bien faible pour justifier son acceptation. Il en est autrement si l’on considère l’aura de l’écrivain et du héros militaire. L’acceptation du don a ici valeur de reconnaissance du donateur. Mais si celle-ci entretient le lien entre les deux protagonistes de la transaction, elle ne justifie pas pour autant l’entrée de cette pièce dans le patrimoine national. En effet, aucun numéro d’inventaire ne sera associé à cette arrivée dans la collection anthropologique, l’oreille ne fut pas conservée. S’il convient donc de ne pas nier la liberté des donataires à refuser ou à accepter un don de particulier, il convient pourtant de s’interroger sur la faisabilité d’un tel choix. En effet, dans les différents cas étudiés ici, les anthropologues étaient informés par courrier postérieurement à l’envoi effectif. Ainsi, Ponty prévient par courrier Quatrefages de l’arrivée prochaine d’une caisse marquée « A-P – objets d’histoire naturelle destinés au Muséum – Laboratoire d’Anthropologie – Jardin des plantes – Paris »58. Libre ensuite aux professeurs de l’inscrire ou non au registre d’inventaire. Il en est autrement pour Ataï et son compagnon dont l’envoi fut annoncé par voie de presse et sûrement par voie épistolaire près de huit mois avant sa réalisation. Par la suite, l’accroissement continu des collections au sein de la grande institution naturaliste exerce une pression de plus en plus sélective sur le choix des pièces et, en conséquence, augmente la liberté du donataire quant à l’acceptation ou le refus du don. Cette liberté sera régie par la loi du 4 février 1901 (article 4) qui accroît les exigences des entrées dans les collections. Dans cette configuration, ce seront les donataires qui choisiront plus strictement les donateurs. D’autres mécanismes plus complexes peuvent aussi participer à l’évaluation des dons. Ainsi, en octobre 1882, le navire Le Toutenoy emporte deux caisses préparées par Ponty dont l’une d’elle contient quatre têtes décollées de Néo-hébridais, trois hommes et une femme. Parmi eux, Andoum est issu de Mallicolo, l’île aux déformations artificielles, et Tataro est insulaire de Ticopia. Après leur arrivée, ces spécimens seront inscrits au cahier des entrées du laboratoire d’anthropologie du Muséum, en février 1883. Six mois plus tard, huit clichés des têtes sont envoyés par Ponty59. Il s’agit de clichés typiques des portraits anthropologiques qui associent une vue de face et une autre de profil. Les photographies de têtes isolées sont rares contrairement à celles de crânes ou de personnes vivantes. Leur spécificité réside dans la mise en scène originale opérée par le médecin de marine. Un savant drapé recouvre la base de la tête et dessine, de cette manière, une ébauche de buste à laquelle elle est censée être rattachée. Cette reconstitution maladroite d’une silhouette en posture du vivant est aussi un simulacre de rencontre ethnographique. Celle-ci associe également la production de bustes effectués par moulage des têtes. En bas des plaques photographiques, on y trouve ces indications : « Nouvelles-Hébrides, Ponty ». Il en est de même des moulages dont, à titre d’exemple, l’étiquette actuelle indique : « Andoum – insulaire de Mallicolo, Nouvelles-Hébrides – Collection Ponty, n° 10 ». Dans une lecture contemporaine, le fait que ces pièces fassent partie de la collection Ponty attesterait d’une donation effectuée par ce dernier. Pourtant les moulages ont été produits par l’institution muséale comme l’atteste la marque « MHN » (Muséum d’histoire naturelle) portée au dos. Comment expliquer l’attribution de pièces fabriquées par le laboratoire du Muséum à une origine exogène, en l’occurrence ici une donation du médecin Ponty ? Ce qui prime est bien le don initial des têtes qui a rendu possible la fabrication d’autres supports scientifiques. Son évaluation paraît telle, de part sa rareté ou son côté exceptionnel, que tous les objets qui en émanent d’une façon ou d’une autre sont, assez étonnement, considérés comme un don élargi du donateur. De cette façon, la reconnaissance du donateur perdure à travers cette filiation et généalogie d’objets. Nous sommes loin d’une simple lecture juridique d’une donation inscrite dans un temps ponctuel. La dimension symbolique de la transaction s’inscrit ici durablement et consacre le lien social entre Ponty et l’institution muséale. Dans une lecture de l’action, Ponty n’est pas un simple intermédiaire qui transporte l’objet et peut par la suite être oublié, son don n’est pas un simple transfert. Il l’excède, il reste visible, et est à l’origine d’un « faire-faire » qui multiplie les études et productions scientifiques. En ce sens, c’est avant tout une chaîne de médiateurs qui est parcourue « dont chacun permet au suivant de devenir à son tour à l’origine de l’action »60.

Insulaires de Mallicolo
Gravure (détail) de Basire (d’après un dessin de Hodges) extraite de Cook (James), A voyage towards the South Pole, and round the World. Performed in His Majesty’s ships the Resolution and Adventure, in the years 1772, 1773, 1774, and 1775..., vol. 2, Londres : W. Strahan & T. Cadell, 1777, planche LX face p. 31.
Cliché Bibliothèque centrale, MNHN

Andoum
« Indigène de l’île Mallicolo, Nouvelles-Hébrides, d’après nature. face. Le cliché a été fait par le Dr. Merleau, dit Ponty, médecin à l’hôpital de Nouméa. La tête fut envoyée dans l’alcool au MNHN ». Négatif au collodion sur plaque de verre.
Cliché musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais
http://collections.quaibranly.fr/​?permq=permq_e87a9304-a2e4-4e1a-98e4-d0a4beeff55e

Collection Ponty
Buste d’Amdoum en partie remodelé, d’après la tête collectée par Ponty en 1882 (« buste d’insulaire de Mallicolo déformé », n° 8287, coll. Ponty n° 10).
Cliché laboratoire anthropologie, MNHN

Collection Ponty
Buste d’une femme des Nouvelles-Hébrides (n° 8288, coll. Ponty n° 11).
Cliché laboratoire anthropologie, MNHN.

Femme des Nouvelles-Hébrides
« D’après nature. Type polynésien. face. Le cliché a été fait par le Dr. Merleau, dit Ponty, médecin à l’hôpital de Nouméa. La tête fut envoyée dans l’alcool au MNHN ». Négatif au collodion sur plaque de verre.
Cliché musée du quai Branly - Jacque Chirac, Dist. RMN-Grand Palais.
http://collections.quaibranly.fr/​?permq=permq_6a5f2b45-df4e-4470-8294-3cc7a44ee9dd

Femme des Nouvelles-Hébrides
Drapé simulant un buste mettant en scène la rencontre ethnographique, pouvant aussi s’inspirer des présentations des photographies mortuaires où le mort apparait en posture du vivant. Photographie entrée en 1883. Négatif au collodion sur plaque de verre.
Cliché musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais.
http://collections.quaibranly.fr/​?permq=permq_681618e9-98a3-488b-a8d9-180a6e5c9ea5

30Pour conclure, même si conformément aux préconisations de la SAP « le combat contre les naturels » fait partie des occasions propices à saisir, permettant de disposer d’éléments de corps humain au même titre que les hôpitaux, les pénitenciers ou les sites funéraires, ces saisies sont caractérisées par leur rareté et se démarquent à plus d’un titre des collectes « ordinaires » étudiées. Tout d’abord, les donateurs sont aussi des collecteurs ayant œuvré directement sur le terrain pour prélever, dans le but premier de constituer des collections à destination des scientifiques parisiens. En dehors de vol effectif dans des sites funéraires, les corps sont bien souvent disponibles ou considérés comme socialement abandonnés, même si la clause d’abandon familial n’apparaît pas clairement dans les sources étudiées. A contrario, la mort et la livraison de la tête d’Ataï et de son compagnon relèvent de leur mise à prix par le pouvoir colonial et d’une chasse à l’homme, à laquelle ont participé les tribus alliées de Canala. Têtes et mains furent amenées à l’hôpital militaire de Nouméa, très certainement prises en charge par un autre médecin de la marine présent sur le terrain des opérations. La forte dimension politique du parcours de ces trophées se manifeste aussi par le contrôle exercé par le gouverneur pour interdire leur accès (que ce soit par une exposition publique ou une prise de vue photographique). Cette confiscation corporelle évite toute autre appropriation possible et, finalement, leur exportation ultérieure dans les collections scientifiques pérennisera cette soustraction en faveur des vainqueurs. Le médecin de marine Navarre, qui fut absent des zones de combat, n’est que l’exécutant final de la décision du haut pouvoir politique. Ensuite, en dépit de la singularité des portraits que nous avons mise en évidence, toutes les collectes se caractérisent par des envois multiples, marqués par une temporalité à moyen ou à long terme, et par une inscription des collecteurs dans les réseaux anthropologiques ou naturalistes, en amont ou/et en aval du prélèvement puis de l’acte de donation. Or, à la différence des médecins militaires Ponty, Cailliot et Boyer, Navarre ne fera qu’un don unique à Broca ; la transaction de ces deux têtes n’eut ni passé, ni avenir entre les deux protagonistes. En cela, il s’agit davantage d’une récolte militaire puis d’un transfert vers les collections nationales que d’une réelle collecte scientifique. Ce qui nous amène à interroger la réception de l’arrivée de ces trophées à Paris et la construction de leur scientificité une fois entrés au musée.

Notes

1 Rapport annuel des professeurs, Muséum d’histoire naturelle, Paris, 1884, p. 25.

2 Latour (Bruno), « Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement », in Micoud (André) & Péroni (Michel) (sous la dir.), Ce qui nous relie, La tour d’Aigues : Éditions de l’Aube, 2000, pp. 189-208 (Société et territoire).

3 Ollivier (Dominique), Le médecin de la Marine dans les voyages de découverte autour du monde : discours d’ouverture de l’année scolaire 1864-1865 prononcé à Toulon le 7 novembre 1864, Toulon : École de la marine navale ; imprimerie E. Aurel, 1864, pp. 58-66 ; je souligne.

4 Chippaux (Claude) & Ollivier (Georges), « Pierre Huard (1901-1983) », Bulletin et mémoires de la SAP, xiii° série, tome 10, fascicule 2, 1983, p. 156.

5 Fardet (Marc), « Jean René Quoy. Un chirurgien navigant », in Dhombres (Jean G.) (sous la dir.), Aventures scientifiques. Savants en Poitou-Charentes du xvie au xxe siècle, Poitiers : Les éditions de l’Actualité Poitou-Charentes, 1995, pp. 172-183.

6 Duguy (Raymond), « René Primevère Lesson. Un voyage autour du monde », in Dhombres (Jean G.) (sous la dir.), Aventures scientifiques…, op. cit., pp. 136-147.

7 Lettre du 30 septembre 1856 adressée à Quoy [Dossier personnel d’Émile François Deplanche, Archives de la Défense, Vincennes, CC7 alpha 673]. Quoy embarque en 1817 comme chirurgien major sur la corvette Uranie commandée par le capitaine Louis de Freycinet pour un voyage circumnavigation. Après un naufrage, il rentre au Havre en 1820 avec malgré tout des collections considérables. Il effectue un second voyage autour du monde sur L’Astrolabe commandée par Dumont d’Urville en 1826. C’est en 1848 qu’il fut promu Inspecteur en chef de la santé de la Marine. Il prit sa retraite en 1858. Pour plus de détail, voir « Quoy Jean René Constant », in Brisou (Bernard) & Sardet (Michel) (sous la dir.), Dictionnaire des médecins…, op. cit., pp. 657-659.

8 Hamy possédait divers manuscrits du docteur Quoy, chirurgien-major de marine, comportant 9 feuillets et dessin qu’il donna au Muséum en 1895. Ms 474, Archives du MNHN.

9 Lettre de Quoy du 16 octobre 1856 [dossier personnel d’Émile François Deplanche, Archives de la Défense, Vincennes, CC7 alpha 673].

10 « La collection de M. E. Deplanches [à Caen] […] renferme principalement une série très importante d’oiseaux et de mollusques de la Nouvelle-Calédonie et des Marquises, et surtout un splendide ensemble d’objets d’ethnographie et d’anthropologie néocalédoniennes [le don fut de soixante crânes environ]. » Eudes-Deslongchamps (Eugène), Annuaire du Musée d’histoire naturelle de Caen, 1er vol., Caen : F. Le Blanc-Hardel ; Paris : Savy, Deyrolles, 1880, pp. XI-XII. Au MNHN, il y eut 95 inscriptions au cahier des entrées pour Deplanche et 49 pour Bourgarel en anthropologie. Eugène Vieillard (1819-1896) fut directeur des services de santé en Nouvelle-Calédonie vers 1855. Il accompagna Deplanche dans les missions naturalistes et récolta un « magnifique herbier » et pièces ethnographiques. Il devint ensuite le conservateur du jardin botanique de la faculté des sciences de Caen.

11 http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/decouvrir/expositions/oceanie/oceanieannuaire.htm

12 Broca (Paul), « Laboratoire d’Anthropologie », Rapport sur l’École pratique des Hautes Études, 1874-1875, pp. 57-61.

13 [Anonyme], « Correspondances : Lettre de M. Boyer en partance pour un voyage d’expédition », Bulletins de la SAP, séance du 19 octobre 1876, 1876, vol. 11, p. 458.

14 Dossier militaire personnel de Boyer Jean, Pierre, Prosper, op. cit.

15 Sur les 27 crânes donnés, 24 l’ont été au Laboratoire et seuls 3 à la SAP.

16 Ferembach (Denise), « Le laboratoire d’Anthropologie de l’Ecole pratique des hautes études (Laboratoire Broca) », Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, XIIIe série, tome 7, fasc. 4, 1980, pp. 307-318.

17 Voir [Anonyme], « Élections », Bulletins de la SAP, IIIe série, tome 2, 1879, p. 341, il fut élu à la séance du 15 mai 1879, Ibid. p. 390.

18 Boyer (Jean), « Quelques mots sur la pathologie indigène de la Nouvelle-Calédonie, des Loyalty et des Nouvelles-Hébrides », Archives de Médecine navale, n° 30, 1878, pp. 224-229.

19 Dossier personnel de Ponty, Archives de la Défense, op. cit. Par ailleurs, son parcours militaire l’amena très rapidement en Nouvelle-Calédonie ; son nom ne figure pas dans les comptes rendu de la vie des laboratoires avant 1878.

20 Dossier personnel, Archives de la Défense, CC7 alpha contre 1754. Docteur en médecine, prévôt à l’hôpital de Saigon puis de Nouméa, Mesnils est considéré par ses chefs comme un médecin instruit, consciencieux et laborieux ayant des aptitudes pour les études anatomiques et l’histoire naturelle.

21 [Anonyme], « Vie de la société – bilan annuel : Ponty, D. M. P. médecin de 1ère classe de la marine, chef du service de santé à Nouméa (Nouvelle-Calédonie) », Bulletins de la SAP, séance du 7 février 1878, IIIe série, tome 2, 1879, p. 35. Idem jusqu’en 1882 puis il n’apparaît plus dans le bulletin annuel.

22 Lettre du 20 décembre 1882, Archives du Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

23 Bulletin de la Société géographique de Rochefort, tome 2, 1880-1881, etc.

24 « Mr. de Mensignac présente deux crânes d’indigènes des Nouvelles-Hébrides déformés et offerts au Musée de Bordeaux par Mr le Dr Ponty, de la marine nationale », dans « Société anthropologique de Bordeaux : compte-rendu de la séance du 14 février 1884 », Matériaux pour l’histoire naturelle de l’Homme, IIIe série, tome 1, 1884, p. 276.

25 « Émile Cailliot-médecin de la marine nationale présenté par de Q, Hamy et Alix, demande le titre de membre titulaire non résident », dans « Candidatures », Bulletins de la SAP, 1874, IIe série, tome 9, p. 817. Il est nommé à la séance du 7 janvier 1875, dans « Élections », Bulletins de la SAP, 1875, IIe série, tome 10, p. 14 ; « Émile Cailliot, médecin de la marine, présenté par MM. de Quatrefages et Delesse en vu de son admission prochaine », dans « Procès-verbaux de la séance du 6 janvier 1875 », Bulletins de la Société de géographie, série 6, tome 9, 1875, p. 221. Il sera admis lors de la séance du 20 janvier.

26 Hamy (Ernest-Théodore), Hommage à la mémoire de M. A. de Quatrefages de Bréau, discours prononcé à l’ouverture du cours d’anthropologie du Muséum d’histoire naturelle, le 31 mai 1892, Paris : Leroux, 1892, pp. 5-6.

27 Sitzmann (Édouard), Dictionnaire de biographie des hommes célèbres de l’Alsace : depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Rixheim (Alsace) : Sutter, 1909, vol. 1, pp. 273-274.

28 Voir pp. 55, 65, 87, etc. du Journal de Conchyliologie, 4e série, tome 9, vol. LV, 1907. Pièces envoyées par sa sœur en 1892.

29 Navarre (Pierre-Just), Étude médicale de la presqu’île Ducos, Paris : Imp. A. Parent, 1879, 52 p., ill.

30 Navarre (Pierre-Just), Un dispensaire lyonnais, Lyon : Imp. Mougin-Rusand, 1892, 16 p., in-8° ; du même auteur « Au sujet du dispensaire spécial », Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, vol. 25, 1888, p. 63 ; pour quelques éléments biographiques, voir Guiart (Jules), « L’école médicale lyonnaise », Annales de l’Université de Lyon, 3e série, fascicule 2, 1941, p. 242.

31 Navarre (Pierre-Just), « Compte-rendu de travaux : publication du livre d’or du dispensaire », Mémoires de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, 3e série, vol. 9, 1907, pp. 300-301 ; Navarre (Pierre-Just), Une cité ouvrière à Lyon-Vaise, Lyon : Rey, 1910, 24 p. ; Navarre (Pierre-Just), La maladie de Pascal, Lyon : Rey, 1911, 134 p.

32 Navarre (Pierre-Just), Manuel d’hygiène coloniale : guide de l’Européen dans les pays chauds, Paris : O. Doin, 1895, XXIV + 621 p., in-18 ; Gouvernement général de Madagascar et dépendances, Guide de l’Immigrant à Madagascar, Paris : A. Colin & Cie, 1899, tome 3, pp. 82-90.

33 Cornu (Marie) & Mallet-Poujol (Nathalie), Œuvres d’art et Musées : protection et valorisation des collections, Paris : CNRS Éditions, 2001, 401 p. (CNRS droit).

34 Mauss (Marcel), « Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », L’Année sociologique, nouv. série, vol. 1, 1923-1924, pp. 30-186. Repris dans Mauss (Marcel), Sociologie et Antropologie [précédé d’une Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, par Lévi-Strauss Claude], 8e éd., Paris : PUF, 1999, pp. 145-279 (Quadrige ; 58) ; Davallon (Jean), Le don du patrimoine : une approche communicationnelle de la patrimonialisation, Paris : Hermès science publications ; Lavoisier, 2006, 222 p., ill. (Communication, médiation et construits sociaux).

35 Correspondance reçue – livre de la SAP – Archives de la SAP-MNHN.

36 Courrier du 20 janvier 1878 de Ponty à Quatrefages, op. cit.

37 Respectivement Lettres du 20 janvier 1878, du 22 juin 1882 et du 20 décembre 1882 ; Archives du laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

38 Littré (Émile), Dictionnaire de la langue française, 2e éd., Paris : Hachette, 1876-1878, 5 vol.

39 Cailliot (Émile), « Correspondance : Notes ethnologiques sur l’île de Mallicolo », lettre du 19 janvier 1887 adressée à Quatrefages, art. cit., pp. 511-512. Je souligne.

40 Voir le chapitre « Exposer l’homme avec ou sans les animaux », dans Patin (Christelle), « les vies post-mortem de Saartjie Baartman : muséologie et économies morales », in Blanckaert (Claude) (sous la dir.), La Vénus hottentote : entre Barnum et Muséum, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 2013, pp. 96-124 (Archives ; 17).

41 Davallon (Jean), Le don du patrimoine…, op. cit.

42 Archives de la SAP, MNHN.

43 [Anonyme], Recueil des thèses délivrées en 1879 par la Faculté de Médecine de Paris, Paris : A. Parent, 1879, 48 p.

44 « À Mon président de thèse : M. Le professeur BROCA », dédicace de la thèse de Navarre (Pierre-Just), Étude médicale de la presqu’île Ducos…, op. cit.

45 Delage (Anna), Histoire de la thèse de doctorat en Médecine d’après les thèses soutenues devant la Faculté de médecine de Paris, 1912-1913, thèse d’exercice en Médecine [Ballet Gilbert, dir.], Paris : Faculté de médecine, 1913, pp. 143-145.

46 Travail réalisé à partir des dossiers des doctorants de la Faculté de médecine de Paris conservés aux archives nationales, AJ/16/6855 et AJ/16/6856 et du Catalogue des thèses soutenues à la Faculté de médecine de Paris, BIUM, soit pour année 1879, 578 thèses.

47 Seules cinq thèses anthropologiques d’anatomie descriptive et comparative furent menées en 1879. Toutes eurent Broca comme président et des mentions brillantes. « De l’omoplate et de ses indices de largeur dans les races humaines », « Recherches sur les proportions de la clavicule dans les sexes et dans les races » ou « de la mensuration du squelette des anthropoïdes » émergent de travaux réalisés au sein du laboratoire Broca. La Faculté de médecine décerna une médaille de bronze à la première. Broca (Paul), Topinard (Paul), Chudzinki (Théophile) & Kuhff (M.), « Laboratoire d’anthropologie », Rapport sur l’École pratique des hautes études…, art. cit., p. 128.

48 Navarre (Pierre-Just), Étude médicale de la presqu’île Ducos, op. cit., pp. 40-41.

49 Du même auteur : Manuel d’hygiène coloniale : guide de l’Européen dans les pays chauds, Paris : O. Doin, 1895, XXIV + 621 p., in-18. ; « La prophylaxie du paludisme », Lyon médical, n° 8, 1896, 30 p. ; Hygiène et tuberculose pulmonaire, Lyon : Imp. de Mougin-Rusand, 1891, 31 p., in-8° ; Un dispensaire lyonnais, Lyon : Imp. de Mougin-Rusand, 1892, 16 p., in-8°.

50 « Titre III - De l’admission et de l’avancement dans le corps de santé de la marine. Art 7 - Nul n’est admis à concourir pour le grade de médecin de 2e classe s’il ne réunit trois années de service dans le grade d’aide-médecin et six mois d’embarquement en cette qualité. Les trois années comptent à partir du jour de l’ouverture du concours, à la suite duquel le candidat a été nommé aide-médecin. Les candidats doivent, en s’inscrivant, produire le diplôme de docteur en médecine », pp. 8-9 ; Titre X - dispositions générales. Art 59 - Le diplôme de docteur en médecine ne sera pas exigé des médecins, actuellement au service, pour passer au grade immédiatement supérieur, excepté pour passer professeur et pour passer du grade de médecin principal à celui de médecin en chef ; mais ce diplôme devra être produit pour obtenir un avancement », pp. 16-17. Décret impérial du 14 juillet 1865 portant réorganisation du service de santé de la marine – décret d’organisation – Napoléon – Archives nationales, AJ/16/6690.

51 Décret du 31 mai 1875 sur l’organisation du service de santé – Mentionné dans Pluchon (Pierre) (sous la dir.), Histoire des médecins et pharmaciens de Marine et des colonies [préf. de Jacob François], Toulouse : Privat, 1985, p. 424 (Bibliothèque historique Privat).

52 Cette demande est adressée au ministère de l’Instruction publique, Dossier du doctorant Navarre, Archives nationales, AJ/16/6856.

53 Certificat du 11 juin 1879 que confirme la contre-visite réalisée à Brest en septembre 1879. Dossier de Pierre-Just Navarre, Archives de la défense, op. cit.

54 Navarre (Pierre-Just), « L’armée coloniale, ce qu’elle doit être », Revue d’hygiène et de police sanitaire, n° 18, 1896, pp. 335-355.

55 Poitou-Duplessy (M.) et al., « L’armée coloniale – discussion du mémoire de M. le Dr Navarre », Revue d’hygiène et de police sanitaire, n° 18, 1896, p. 515.

56 Précision mentionnée dans les Rapports annuels des professeurs du Muséum, en 1882 pour Ponty et 1882 et 1888, p. 43 pour Cailliot.

57 [Muséum impérial d’histoire naturelle], Instructions pour les voyageurs…, op. cit., p. 2.

58 Lettre du 20 janvier 1878, Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

59 Registre des entrées, Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

60 Latour (Bruno), « Factures/fractures… », op. cit., pp. 189-208.

Table des illustrations

Légende Lettre de Quoysoutenant la demande de Desplanche à servir les études naturalistes en Nouvelle-Calédonie (verso du feuillet daté du 16 octobre 1856). Archives de la Défense, Vincennes, CC7 alpha 673.
Crédits Cliché Christelle Patin
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Légende Circumnavigation sur La Zélée et L’Astrolabe« Kakaley, natif de Toï-Toï, Île Isabelle, Archipel Salomon » et « Sambo, natif de Opihi, Île Isabelle, Archipel Salomon ». Lithographie de Raunheim extraite du tome second de l’Atlas pittoresque publié dans Dumont d’Urville (Jules), Voyage au pôle sud et dans l’Océanie sur les corvettes l’Astrolabe et la Zélée, exécuté... pendant les années 1837-1838- 1839-1840 sous le commandement de J. Dumont d’Urville…, Paris : Gide, 1841-1854, planche 7.Cliché Bibliothèque centrale, MNHN
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Légende L’ancienne faculté de médecine de StrasbourgLouis Armand Victor Amédée Cailliot y professa à la chaire de chimie médicale et de toxicologie. Illustration extraite de Lereboullet (P.), « L’ancienne faculté de Strasbourg », Paris médical : la semaine du clinicien, 1919, n° 32, p. IV.Cliché BIU Santé, Paris
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Légende Autres types de donsPelocarcinus cailloti A. Milne-Edwards, 1890 collecté par Cailliot aux Îles Loyauté et donné au Muséum en 1886. Photographie (2016), Muséum national d’Histoire naturelle, coll. Crustacés (IU), spécimen MNHN-IU-2000-3751.Cliché Noémy Mollaret, MNHN
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Légende Doctorat en médecineÉtude médicale de la presqu’île Ducos. Thèse pour le Doctorat en Médecine, n° 527, présentée et soutenue le 5 décembre 1879 à une heure par Pierre-Just Navarre, né à Clairac (Lot-et-Garonne), le 22 août 1848, Médecin de la Marine. Hormis la reconnaissance familiale, Navarre, dans la dédicace de sa thèse rend un hommage exclusif à Broca. Archives nationales, AJ/16/6856.Cliché Christelle Patin
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Légende Profil de Paul BrocaMoulage conservé au Musée de l’Homme.
Crédits Cliché Museumedia, MNHN
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Légende L’armée coloniale Gravure de Méaulle en une du Petit journal illustré du 7 mars 1891.
Crédits Cliché Bibliothèque nationale de France
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Légende Insulaires de MallicoloGravure (détail) de Basire (d’après un dessin de Hodges) extraite de Cook (James), A voyage towards the South Pole, and round the World. Performed in His Majesty’s ships the Resolution and Adventure, in the years 1772, 1773, 1774, and 1775..., vol. 2, Londres : W. Strahan & T. Cadell, 1777, planche LX face p. 31.Cliché Bibliothèque centrale, MNHN
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Légende Femme des Nouvelles-HébridesDrapé simulant un buste mettant en scène la rencontre ethnographique, pouvant aussi s’inspirer des présentations des photographies mortuaires où le mort apparait en posture du vivant. Photographie entrée en 1883. Négatif au collodion sur plaque de verre.Cliché musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais.http://collections.quaibranly.fr/​?permq=permq_681618e9-98a3-488b-a8d9-180a6e5c9ea5
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Légende Collection PontyBuste d’Amdoum en partie remodelé, d’après la tête collectée par Ponty en 1882 (« buste d’insulaire de Mallicolo déformé », n° 8287, coll. Ponty n° 10).Cliché laboratoire anthropologie, MNHN
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Légende Collection PontyBuste d’une femme des Nouvelles-Hébrides (n° 8288, coll. Ponty n° 11).Cliché laboratoire anthropologie, MNHN.
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