Claude Aubriet (c. 1665-1742)

p. 19-25


Texte intégral

1Remarquable peintre miniaturiste et dessinateur d’histoire naturelle très renommé dans le milieu scientifique au xviiie siècle, Claude Aubriet (c. 1665-1742) est pourtant un artiste méconnu dont l’art est entièrement voué à la découverte de la nature et de la science. Son œuvre est colossale et essentielle pour le développement du rôle de l’image dans les savoirs botanique, zoologique ou mycologique. Claude Aubriet reste un homme discret et modeste, qui s’épanouit dans l’ombre des savants durant plus d’un demi-siècle et dont la vie n’a pourtant pu être retracée que très partiellement.

Un fils de laboureur champenois devenu peintre

2La date de naissance exacte de Claude Aubriet demeure inconnue : seul l’acte de décès de l’artiste indiquant sa mort à l’âge d’« environ 77 ans », dans la nuit du 2 au 3 décembre 1742, permet d’établir que Claude Aubriet a dû naître vers 1665. Il est originaire du village de Moncetz et non, comme le rapporte le botaniste Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708) dans sa Relation d’un voyage au Levant publié en 1717, de la ville de Châlons en Champagne. Tout comme ses parents Pierre Aubriet et Marie Valleray, qui donnent naissance à au moins quatre enfants (Claude, Jean, Marie et Magdeleine), ses ancêtres sont laboureurs et travaillent la terre champenoise : le grand-père maternel, Charles Valleray la cultive à Moncetz et les grands parents paternels, Pierre Aubriet (mort en 1656) et Claudine Baudier, à Sarry, dont le château appartenant aux évêques de Châlons, devient, grâce à Monseigneur Félix Vialart de Herse, un lieu de villégiature privilégié.

3L’enfance et l’adolescence d’Aubriet restent énigmatiques : aide-t-il ses parents pour le travail de la terre à Moncetz où ils possèdent des terres et une partie d’une grange ? Y subit-il les grandes difficultés du monde paysan à l’époque ? Ou bien passe-t-il déjà sa prime jeunesse à Paris chez son oncle Antoine Aubriet et sa tante Marie-Anne Alguy, respectivement valet de chambre de Louis II de Bourbon et de Henri-Jules de Bourbon et marchande lingère au service des principaux clients du Prince de Condé ? À quelle date s’installe-t-il dans la capitale ? On l’ignore malheureusement. Mais, avant décembre 1692, Claude Aubriet a rejoint la communauté champenoise établie à Paris. Là, il retrouve l’un de ses protecteurs, originaire également de Moncetz : Jean-Baptiste de Pinteville, qui l’aide à régler les affaires concernant la succession de ses parents alors décédés. Il désigne son oncle, Noël Prin, maréchal-ferrant à Sarry, comme représentant légal et abandonne sa part d’héritage à son frère et à ses sœurs moyennant la somme de quatre-vingts livres, qui lui sera remise le 13 février 1693 par Jean-Baptiste de Pinteville.

4Quel métier exerce-t-il en 1692 ? Malgré ses origines modestes, le jeune champenois est devenu « peintre ». Il a donc fini son apprentissage. Bien des interrogations subsistent sur cette période de sa vie. En effet, aucun témoignage, aucun document d’archives, aucun contrat d’apprentissage ne révèlent le nom de son premier maître. De nombreuses questions restent donc en suspens : où effectue-t-il son apprentissage ? En Champagne ou à Paris ? Suit-il son maître champenois à Paris ? Y est-il attiré par l’effervescence du milieu artistique depuis l’avènement de Louis XIV ? Ou par les avancées scientifiques obtenues dans le milieu du jardin du roi et de l’Académie royale des sciences ou alors tout simplement par les cours de démonstrations de botanique donnés au Jardin du roi ? Claude Aubriet vient peut-être tout simplement à Paris en quête d’une place d’apprenti pour commencer une nouvelle vie loin de la Champagne et des conditions de vie difficiles dans le milieu paysan. Rentre-t-il dans un atelier habitué à traiter certaines commandes en relation avec l’Académie royale des sciences, chez un graveur ou un dessinateur reconnu officiellement par l’Académie royale des sciences ou chez un artiste en relation avec un prince ou un lettré féru d’histoire naturelle ? On l’ignore. À quel âge se met-il à dessiner ou à peindre ? A-t-il commencé à apprendre le métier entre neuf et dix-huit ans comme la plupart des apprentis du xviie siècle1, ou plus tardivement ? Quelle a été la durée de sa formation ? On ne le sait pas. Autant de questions qui ne pourraient être élucidées qu’avec la découverte de nouveaux documents d’archives. Cependant, l’analyse de ses premières œuvres connues et réalisées pour les Elemens de botanique (1694) du savant Joseph Pitton de Tournefort, laisse à penser que l’enseignement de son maître a surtout porté sur l’art du dessin. En effet, l’artiste en maîtrise parfaitement les techniques : la pierre noire, la plume et l’encre, le lavis, la sanguine — utilisée surtout pour des détails plus précis. Son maître, quel qu’il fut, a dû s’engager à enseigner son art à Aubriet, à lui fournir les couleurs, le matériel nécessaire pour dessiner ou peindre. De plus, il lui a probablement donné une instruction élémentaire car Aubriet sait signer et écrire, même s’il n’a jamais vraiment maîtrisé l’orthographe et a toujours écrit en phonétique. Il a dû, en outre, apprendre à lire puisque, tout au long de sa carrière, il s’est constitué une bibliothèque composée de livres d’histoire, de dévotion, de traités d’architecture et de peinture2.

5En décembre 1692, Claude Aubriet, qui séjourne à l’Hôtel de Condé, est donc « peintre » et a acquis une certaine expérience du métier. Cependant, il accepte de devenir l’élève de Jean Joubert (1648-1707), peintre du roi et de la Maison de Condé, qu’il côtoie dans le cadre privilégié de l’hôtel particulier des Princes de Condé, rue Neuve-Saint-Lambert. Leur rencontre est certainement facilitée par la présence des membres de leurs familles, employés comme domestiques, chez le Prince de Condé. Si Aubriet loge chez son oncle Antoine Aubriet et sa tante Marie-Anne Alguy, Jean Joubert, quant à lui, fréquente à l’Hôtel de Condé la famille de sa nièce, Marie Carré, épouse d’un officier du roi, Daniel Le Bœuf, sieur Du Rocher. La date exacte du début de leur collaboration est inconnue. Mais, elle est effective dans les années 1690-1700. Claude Aubriet intègre ainsi l’atelier de Joubert, atelier dont l’activité est assez difficile à préciser et à circonscrire. Jean Joubert, qui est en charge de la collection des vélins depuis le 22 novembre 1685, forme au moins un apprenti, le cousin de Claude Aubriet, Jean-Baptiste Prin3, qui est même logé, dès juillet 1704, dans l’appartement du maître au Jardin du roi. Jean Joubert a également à son service plusieurs artistes comme le peintre Antoine Hugo ou Jean Delahaye exerçant à « Falaize »4. Mais il s’appuie surtout sur Claude Aubriet, à qui il enseigne la technique de la miniature sur vélin, pour ensuite lui confier la réalisation de certains vélins.

6Dès mars 1700, Jean Joubert lui doit 450 livres tournois pour l’exécution d’« ouvrages de peinture »5 ce qui prouve les débuts d’une participation plus active aux commandes du peintre du roi. En 1702, l’année de son retour dans la capitale, après le voyage qu’il effectue avec le savant Tournefort au Levant, Aubriet seconde pleinement le maître, qui se démet, le 23 janvier 1704, de sa charge de peintre ordinaire du roi. Hémiplégique, Jean Joubert ne peut plus remplir sa fonction. Claude Aubriet est donc nommé « Peintre en miniature »6 par Louis XIV, qui considère qu’il « s’est acquis une grande capacité dans son art et qu’il a trouvé la qualité requise pour remplir la charge de peintre en mignature dont Jean Joubert s’est volontairement demis en sa faveur a condition de survivance »7. Ainsi, de janvier 1704 (bien avant, officieusement) jusqu’au décès de Jean Joubert, le 11 mai 1707, Claude Aubriet réalise les planches de botanique et de zoologie pour le Cabinet du roi. Cependant, il ne reçoit ni le droit de signer ses œuvres ni les émoluments de la charge de son maître, bien qu’il obtienne le droit d’habiter l’un des appartements du Jardin du roi (présence attestée en 1706 par un acte notarié8).

Claude Aubriet, Peintre des rois Louis XIV et Louis XV

7Au décès de son maître en l’art de la miniature le 11 mai 1707, Claude Aubriet devient officiellement « Peintre du roi », bien qu’il ne soit pas membre de l’Académie de peinture et de sculpture et que selon un arrêt du conseil (février 1663), il était interdit « à qui n’était pas membre de l’Académie de se dire peintre ou sculpteur du roi » (Schnapper 2004, p. 48). Aubriet se voit confirmer le privilège de demeurer au Jardin du roi où il résidera jusqu’à son décès en décembre 1742. De plus, il acquiert enfin le droit d’apposer son nom sur les planches d’histoire naturelle qu’il réalise. C’est en 1708, que le nom d’Aubriet, bien que mal orthographié (« Aubrié »), apparaît pour la première fois dans les comptes des bâtiments du roi pour la réalisation de « plantes rares qu’il a peint sur vélin » (Guiffrey 1881-1901, vol. 5, col. 239). Comme Jean Joubert, il a maintenant obligation de peindre chaque année, vingt-quatre miniatures, qui lui sont rétribuées 600 livres tournois. Pendant trente-cinq ans, l’artiste exécute près de six cents vélins pour la collection royale. La plupart sont encore conservés aujourd’hui à la Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Quelques pièces se trouvent également dans les collections du Natural History Museum et de la Royal Horticultural Society à Londres ainsi qu’à Cambridge et à Pittsburg aux États-Unis.

8Ce qui caractérise l’œuvre de Claude Aubriet c’est son aspiration à représenter toutes les espèces des règnes animal et végétal alors connues, découvertes, inventoriées, identifiées, nommées, classées. Bien sûr, ses prédécesseurs comme Nicolas Robert (1614-1685) par exemple peignent des fleurs à la mode (tulipes, anémones ou autres fleurs à bulbe), des oiseaux ou des animaux de la ménagerie de Versailles mais ils ne l’égalent en rien dans la diversité des espèces de plantes ou d’animaux figurées. Aussi Aubriet réalise-t-il 59 vélins de poissons des mers du sud ou de la mer Egée, 28 feuilles entomologiques, véritables études scientifiques sur les lépidoptères et leurs métamorphoses : de la coque à la chrysalide, de la chenille au papillon. Ces vélins sont les témoins du grand projet mené par l’artiste dans les années 1710 durant lesquelles il avait commencé à réaliser un « grand recueil sur les insectes et leurs métamorphoses ». Il exécute aussi de nombreuses miniatures ornithologiques (près de 109) allant des rapaces (milans, vautours, pygargues à tête blanche, aigles) aux oiseaux de nuit (chouettes, hiboux) ; des oiseaux aquatiques (canards, goitreuses, coulands) aux oiseaux de basse-cour (coqs, poules), ainsi que des spécimens rapportés de contrées lointaines comme les oiseaux de paradis ou les perroquets. Ses réalisations s’étendent également aux mammifères avec 17 pièces : singes, chiens, loups cerviers, marmottes, chèvres. Indépendamment de ces différents spécimens de la faune, Aubriet réalise environ 385 vélins de botanique aux espèces diverses et variées, exotiques ou plus locales. Il est sans doute le premier artiste dans l’histoire de la collection des vélins du roi à représenter autant d’espèces du règne végétal.

9Dès 1731, Claude Aubriet est secondé par la dessinatrice Madeleine Basseporte (17011780), qui avait réalisé son apprentissage dans l’atelier de Paul-Ponce-Antoine Robert de Séry (1686-1733), peintre du Cardinal Armand de Rohan. Elle a également participé en 1732, à l’ouvrage de l’Abbé Pluche, le Spectacle de la nature. Le 30 avril 1735, elle est nommée à condition de survivance à la charge de peintre du roi9. Elle l’occupera pleinement à partir du 19 juillet 174110. Aubriet lui laisse tous les avantages liés à la charge à cette date, honorant cependant sa fonction d’une livraison de quelques feuilles en avril 1741, preuve de son attachement profond à son art de miniaturiste. À son grand regret, la vieillesse et la maladie l’obligent à abandonner la passion de toute sa vie laissant Madeleine Basseporte seule à la tête de la collection royale.

Claude Aubriet, dessinateur des botanistes du Jardin du roi et de certains académiciens des sciences

10Parallèlement à sa carrière de peintre du roi, Claude Aubriet exécute des dessins scientifiques pour les savants du Jardin du roi et de l’Académie royale des sciences. C’est sans doute par l’intermédiaire de son maître en l’art de la miniature Jean Joubert, qui est très lié avec les botanistes Joseph Pitton de Tournefort, Charles Plumier ou Sébastien Vaillant, que Claude Aubriet rentre en contact avec le milieu scientifique parisien.

11Dans les années 1690, Tournefort sera le premier à lui passer une commande imposante : un millier de dessins pour illustrer son ouvrage Elemens de botanique ou méthode pour connoître les plantes… (1694). Dès sa publication, la qualité scientifique, la clarté de compréhension et d’utilisation du système basé sur le concept de genre ainsi que l’exactitude des gravures d’après les dessins d’Aubriet donnent à l’ouvrage une légitimité dans le monde de la botanique et leur garantit un succès non démenti en Europe jusqu’aux travaux de Carl von Linné (1707-1778). C’est l’un des tout premiers systèmes de classification végétale à avoir été illustré de gravures tirées de dessins aussi précis, exécutés d’après nature, exactitude louée par Linné lui-même des années plus tard. Membre à part entière de l’Académie royale des sciences depuis novembre 1691, Tournefort a eu le privilège de pouvoir illustrer de gravures ses 698 genres de plantes reposant sur la considération des fleurs et des fruits. Un privilège royal lui donne en effet le droit d’accompagner son texte d’images. Martin Lister (1638-1715), dans son Voyage à Paris en 1698, y fait même référence : « c’est que si l’un d’eux [académicien des sciences] […] veut faire imprimer un livre et s’il fournit la note des frais de gravure, […] le tout est aussi payé par le roi. » (Lister 1873, p. 81). Et plus loin : « C’est ainsi qu’on en a usé pour les élémens de Botanique de M de Tournefort, dont les planches ont coûté au roi 12 000 livres. » (Ibid.). Ainsi, Tournefort peut illustrer son premier tome de deux volumes comprenant près de 451 planches tirées des dessins d’Aubriet (Hamonou-Mahieu 2005, pp. 71-75). Dans ces planches d’étude morphologique à la composition stéréotypée réalisées sur papier filigrané, les détails des fruits et des appareils floraux prennent vie grâce à la pierre noire, aux lavis gris, à l’encre noire et à la sanguine, techniques parfaitement maîtrisées par l’artiste. Ces planches révèlent déjà ce qui sous-tendra toute l’œuvre d’Aubriet pendant sa longue carrière de près de cinquante années : une véritable passion pour le travail bien fait et l’exécution de dessins d’après nature entrepris sous la direction scientifique du savant.

12Par l’intermédiaire de l’institution académique, Tournefort lui commande d’autres œuvres en partie répertoriées dans un Mémoire des « desains que Aubriet a fait pour lacadémie »11 et qu’il remettra, le 2 juin 1699, à l’académicien : cinq dessins d’huîtres ; « deux grand desain representant le tamarain aveque la disections de la fleur et fruy »12 pour compléter l’« Histoire des tamarins » de Tournefort, publiée dans le volume des Mémoires de l’Académie royale des sciences de 1699 (Pitton de Tournefort 1699, pp. 96-103) ; cinq dessins pour la version latine des Elemens de botanique ; « un desain representant leulyet de la Chine »13, qui s’ajoute à la description parue en 170514 ; une planche de « six autres Jeanr avec leurs dissections »15 pour la « suite de l’établissement de quelques nouveaux genres de plantes » (Pitton de Tournefort 1705b, pp. 226-241 ; 1706, pp. 83‑87) ainsi qu’un « desain […] representant des couches de champignons » qui accompagne l’article de 1707 : « Observations sur la naissance et la culture des champignons » (Pitton de Tournefort 1707, pp. 58-66).

13Durant sa longue collaboration de près de quinze années avec le botaniste Tournefort, Claude Aubriet n’a pas le statut de dessinateur officiel du Jardin du roi ou de l’Académie royale des sciences. Ce n’est qu’à partir de l’arrêt du conseil d’État daté du 14 avril 1719, qu’Aubriet est désigné comme officier du Jardin du roi et « Peintre en miniature et dessinateur des plantes et des parties d’anatomie »16. Puis, dans le Règlement concernant le Jardin royal daté de 1729, l’Intendant Pierre Chirac le désigne comme le « Peintre attaché au dit Jardin ». Il sera en effet lié toute sa vie au milieu scientifique parisien et aux savants : Joseph Pitton de Tournefort, Sébastien Vaillant, Antoine-Tristan Danty d’Isnard (1663-1743), Antoine René Ferchault de Réaumur (1683-1757), Antoine de Jussieu (1686-1758). Avant Claude Aubriet, Nicolas Robert et Jean Joubert avaient bien sûr travaillé pour le milieu scientifique parisien en réalisant des dessins pour l’Académie royale des sciences. Mais Aubriet est vraiment le premier à mener de front une double carrière de peintre du roi, miniaturiste d’histoire naturelle et dessinateur scientifique employé par tous les grands botanistes du Jardin du roi. Ceux-ci révèlent sur la place parisienne l’« habileté » artistique du peintre, habileté louée par exemple par Pierre-JeanBaptiste Lauthier dans sa Lettre à Monsieur Bégon (Lauthier 1709, pp. 15-16)17 ou par Germain Brice dans son ouvrage Description de la ville de Paris (Brice 1713, pp. 14-15). Mais, ce n’est qu’en 1734, que le nom de Claude Aubriet est cité à l’Almanach royal en remplacement de celui de Louis de Châtillon « peintre du roy, dessinateur de l’académie des sciences ». Aubriet est désormais attaché à l’Académie royale des sciences et peut dès lors signer des gravures de son propre nom. Pourtant, avant cette reconnaissance, Aubriet travaille anonymement pour l’Académie et ses dessins sont gravés par Philippe Simonneau, graveur officiel de la Compagnie. Les dessins d’Aubriet illustreront près de vingt et un articles des académiciens des sciences entre 1710 et 1728, preuve s’il en est de la renommée acquise par l’artiste comme dessinateur scientifique. Pour Réaumur, il réalise des dessins de mollusques et de cœlentérés (1710), une figure d’une « morille branchuë de figure & de couleur de Corail », identifié comme un Clathrus ruber (1713), des représentations de teignes (1728). Pour Sébastien Vaillant, il exécute des planches illustrant son système de classification végétale (1718-1722). Pour Antoine de Jussieu, il dessine un plant de cierge épineux (1716), des fossiles (1723), des ossements d’hippopotame (1724) et un champignon de l’espèce Helvella crispa (1728).

14Durant toute sa carrière, Claude Aubriet restera dans l’ombre des savants qui ne le citent qu’exceptionnellement dans leurs écrits scientifiques, même si Tournefort le qualifie d’ami. Il est aussi le voisin de Sébastien Vaillant. Selon le botaniste anglais William Sherard (1659-1728), le savant et le dessinateur habitent dans le même immeuble du Jardin du roi. Mais ses commanditaires ne font aucune mention dans leurs travaux de leurs relations de travail avec l’artiste : sont-elles bonnes ? Le traitent-ils en égal ou comme simple exécutant ? Ont-ils de la considération pour son travail artistique et le fait qu’il représente sur des centaines de feuilles de papier des espèces plus ou moins décoratives dans une monotonie de mise en page et de techniques récurrentes ? On l’ignore. Ils ne citent que très rarement son nom. Réaumur, dont l’aversion envers certains artistes est reconnue (Pinault-Sørensen 2002) est même le seul à le désigner dans son article sur le Clathrus ruber publié dans les Mémoires de l’Académie royale des sciences en 1713 : « « J’en fis dessiner une fort grande [la « morille branchüe » en fait un clathre rouge monstrueux] par M. Aubriet, dont quelques bouts de branches commençoient déjà à tomber » (Ferchault de Réaumur 1713, pp. 75-76). Serait-ce une sorte de reconnaissance, le savant infléchissant sa position en travaillant avec Aubriet ? Il devient même presque admiratif devant l’attitude de son collaborateur lorsque celui-ci réalise le dessin du Clathrus ruber malgré la puanteur du spécimen : « j’étois surpris qu’il put souffrir de luy pendant qu’il en prenait le trait » (op. cit., p. 76). Mais les autres savants comme Antoine de Jussieu qui lui commande pourtant près de huit cents dessins et miniatures ne lui rendent aucun hommage. Malgré le peu de reconnaissance de certains de ses commanditaires (ce qui n’implique pas forcément un manque de reconnaissance de son talent, de sa capacité à être un bon collaborateur), Claude Aubriet est l’un des dessinateurs d’histoire naturelle les plus réputés de la fin du xviie siècle et de la première moitié du xviiie siècle dans le milieu scientifique parisien. Il participe à tous les grands travaux botaniques de la première moitié du xviiie siècle : le voyage au Levant commandité, sur la demande de Louis XIV, par le ministre d’État Louis Phélyppeaux, Comte de Pontchartrain en décembre 1699 ; le recensement de la flore parisienne, œuvre de toute une vie par Sébastien Vaillant ; l’illustration d’une Histoire des plantes par Antoine de Jussieu et les expériences de Réaumur.

15Claude Aubriet, qui n’est pas un scientifique (faut-il encore une fois le faire remarquer ?), fut l’un des premiers dessinateurs d’histoire naturelle à suivre, pour un voyage au long cours à travers la Grèce et la Turquie, un botaniste : Tournefort qui devait non pas exclusivement rechercher les spécimens de la flore levantine mais aussi mener des observations « sur la géographie ancienne et moderne, mais encore sur ce qui regarde le commerce, la religion, les mœurs des différents peuples qui les habitent » (Pitton de Tournefort 1701, vol. 1, p. 1). Pendant le voyage au Levant qui dure près de vingt-sept mois (mars 1700-juin 1702), Tournefort rédige un journal, écrit sous forme épistolaire à l’intention du comte de Pontchartrain mais aussi de certains savants de l’Académie royale des sciences. Peu doué semble-t-il pour le dessin, ne le pratiquant pas comme son ami Plumier, Tournefort se voit dans l’obligation de confier à Aubriet la mission de tout dessiner durant l’expédition. Ainsi, Aubriet illustre les découvertes du savant, qui est également accompagné du médecin André Gundelsheimer. De la Crète, des îles des Cyclades, de Constantinople aux confins de la Perse, Claude Aubriet doit adapter sa manière de dessiner aux conditions de travail dans la nature, celles-ci sont le plus souvent difficiles et bien éloignées de celles rencontrées dans les ateliers. Plantes et animaux du Levant prennent vie sous le coup de pierre noire d’Aubriet qui, animé par la passion de la botanique et de la zoologie, complète iconographiquement les descriptions scientifiques du savant les rendant ainsi plus compréhensibles. Aussi, près de 546 dessins sont expédiés en France au Président de l’Académie royale des sciences, l’Abbé Bignon. Parfois, ils sont déposés, au consulat de certaines étapes de l’expédition, dans des malles remplies de notes de voyages, de plantes séchées et de graines. Dès 1702, Claude Aubriet reprend une à une les planches réalisées pendant le voyage, laissant ainsi un témoignage iconographique des différentes espèces herborisées et inventoriées par le savant18.

16Après avoir dessiné les espèces endémiques de la flore levantine, Aubriet se voit confier par Sébastien Vaillant la réalisation des dessins de la flore parisienne. En 1700, le savant avait déjà répertorié près de 1 475 espèces et dressé un « Catalogue des plantes qui naissent aux environs de Paris »19. À la fin de décembre 1704, il avait classé 1896 espèces20, intégrant dans son inventaire les plantes contenues dans l’ouvrage de Tournefort, Histoire des plantes qui naissent aux environs de Paris (1698). Que de spécimens à dessiner pour Aubriet ! Celui-ci, selon le botaniste anglais William Sherard (Tjaden 1976, p. 17), en avait déjà réalisé près de 250, qui seront publiés à titre posthume dans l’ouvrage Botanicon Parisiense en 1727. L’artiste n’aura pas autant de chance avec ses dessins effectués pour Antoine de Jussieu. En effet, malgré un travail titanesque mené pour ce botaniste qui lui commande entre 1724 et 1730 près de 350 dessins21 pour une Histoire des plantes, Claude Aubriet ne verra pas ses œuvres imprimées, l’ouvrage restant inachevé malgré des essais de gravures. Pour Antoine de Jussieu, il réalise également des copies de vélins ainsi que des planches de champignons dont l’étude va retenir toute notre attention pour ce présent volume. N’illustrant pas seulement les travaux personnels d’Antoine de Jussieu, Aubriet dessine aussi entre 1734 et 1739 pour le naturaliste Réaumur afin de compléter graphiquement les différents projets relatifs aux insectes, aux oiseaux et aux batraciens22.

17Vers 1740-1742, l’état de santé d’Aubriet semble se dégrader rapidement. Dès juillet 1741, il se plaint de son âge et de ses « infirmités »23. En 1742, il est atteint d’une maladie qui l’incommode et l’empêche de signer son testament24. Voyant son état se détériorer très vite, et étant alité dans sa chambre au deuxième étage « ayant vue sur la rue, et toutes fois saint d’esprit, mémoire et jugement », il dicte son testament au notaire, Maître Laideguive, le 2 décembre 174225, rendant caduque celui du 10 mai 1740. Dans ce testament olographe, l’artiste léguait à ses neveux et nièces son « patrimoine »26 sans en donner le détail. En outre, il nommait Anne Person « sa gouvernante »27 comme exécutrice testamentaire à cause « des bonnes atanssions pour maséntez et les bons cervisses »28. Aussi est-elle chargée de convoquer les personnes habilitées à mettre des scellés sur les biens de la succession d’Aubriet et d’organiser son enterrement « dans le cimetierre de la paroisse que je me trouvaisray »29. Dans le testament de 1742, Aubriet précise les dispositions qui doivent être prises après sa mort : il veut être enterré le jour même de son décès ou au plus tard le lendemain et que « douze messes de requiem » soient dites pour « le repos de son âme ». Il lègue à ses domestiques, Anne Person et Françoise Paris, ainsi qu’à ses neveux et nièces, « ses biens propres de linge ». Il exige la vente de ses « biens meubles » pour recouvrer ses « dettes actives » et demande que la somme récupérée soit distribuée, pour deux tiers à sa gouvernante et le tiers restant à ses neveux et nièces champenois, désignés comme légataires universels. Puis, Aubriet change d’exécuteur testamentaire sans qu’on en connaisse la raison et désigne Bernard de Jussieu (1699-1777), sous-démonstrateur au Jardin du roi depuis le décès de Sébastien Vaillant en 1722. Il lui lègue le cabinet « en bois de placage et des fins tableaux représentant des perroquets, qui ornent les panneaux dudit Cabinet avec leur bordure dorée », héritage qu’il avait reçu de son maître, Jean Joubert. Claude Aubriet décède dans la nuit du 2 au 3 décembre 1742, vers deux heures du matin30, dans son lit « à bas piliers garny de ses matelas, lit et traversin de plume, les rideaux crème garny ciel et, dossier dudit lit de serge garny de galons de soye verte en tapisserie ». Il a 77 ans (environ), âge honorable pour l’époque. Il est enterré, le lendemain, dans la paroisse Saint-Médard (Jal 1872, pp. 78-79) en présence de Bernard de Jussieu, Nicolas Angelin, et de témoins comme Claude Gérard (sans doute son petit neveu, fils de Jacques Gérard).

Notes de bas de page

1 Ces âges sont donnés par Isabelle Richefort (Richefort 1998, pp. 21-22) et Antoine Schnapper (Schnapper 2004, pp. 97-113).

2 Ces différents volumes sont cités dans l’inventaire après décès de l’artiste. cf. A.N., M.C. XXIII/522 Inventaire après décès de Claude Aubriet.

3 Lors du mariage de Marie-Catherine Aubriet (fils d’Antoine Aubriet et de Marie-Anne Alguy) et de Louis Angelin, Chirurgien du Prince de Condé, le 18 mai 1708, Jean-Baptiste Prin est désigné comme Peintre du roi et cousin de Claude Aubriet. (Cf. Paris, A.N., M.C. XCII/344, 18 mai 1708) Le 10 février 1709, lors du remariage de Marie-Anne Alguy avec Étienne Boret, il est désigné comme « bourgeois de Paris ». (Cf. Paris, A.N., M.C. XCII/347, 10 février 1709) Jean-Baptiste Prin habite chez Jean Joubert. (Cf. Paris, A.N.M. C. XCII/327, 13 juillet 1704, État des dettes de Jean Joubert). Malheureusement, aucun document ne permet de retracer les rapports entre Jean Joubert et Jean-Baptiste Prin, à qui il dispense sans doute un apprentissage.

4 Paris, A.N., M.C. XCII/327, 13 juillet 1704, État des dettes de Jean Joubert. Jean Joubert lui doit 560 livres pour vingt-quatre tableaux.

5 Paris, A.N., M.C., XCII-327, 13 juillet 1704 : billet de transport et état des dettes de Jean Joubert ; M.C., XCII-330, 20 juin 1705 : procuration de Jean Joubert à sa nièce Cf. Rambaud 1964, p. 172. Mireille Rambaud donne une date erronée. Ce n’est pas en mars 1704 mais bien en mars 1700 qu’un billet de 450 livres est donné par Joubert à Aubriet. Cf. Acte notarié A.N., M.C., XCII-327.

6 Paris, A.N., O1 48 fol 15, Brevet de peintre du roi à condition de survivance.

7 Ibid.

8 Paris, A.N., XCII/334, 25 juin 1706 Comparution de Marie Carré.

9 Paris, A.N., O1 36 fol 162/163 Nomination de Madeleine Basseporte comme Peintre du roi à condition de survivance le 30 avril 1735.

10 Paris, A.N. O1 85 fol 252/253 Nomination de Madeleine Basseporte comme Peintre du roi le 19 juillet 1741.

11 Paris, MNHN, Bibliothèque de botanique, Correspondances, Famille Jussieu, Dossier Aubriet.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Ibid.

15 Ibid.

16 Paris, A.N., AJ 15 501 Fol 41.

17 Aubriet y est désigné comme « habile peintre du Roy ». Brice le qualifie de « peintre habile ».

18 Paris, BCMNHN, Ms 78 Dessins de Claude Aubriet réalisés pendant le voyage au Levant.

19 Paris, BCMNHN, Ms 1344 Catalogue des plantes des environs de Paris, 1700.

20 Paris, BCMNHN, Ms 1093 Dénombrement des plantes qui naissent aux environs de Paris, 1704.

21 Listes conservées à Paris, MNHN, Bibliothèque de botanique, Correspondances, Famille de Jussieu, Dossier Aubriet. Les dessins sont conservés à Londres à la Royal Horticultural Society.

22 Paris, Institut de France, Archives de l’Académie royale des sciences, Dossier Réaumur et cartons Réaumur.

23 Tous les éléments concernant l’intimité de l’appartement de Claude Aubriet et de la fin de sa vie ont été analysés et déduits des documents d’archives conservés aux Archives nationales à Paris : Y 13508 Scellés après décès apposés sur l’appartement de Claude Aubriet au Jardin du roi, le 3 décembre 1742 ; M. C., XXIII/522, Inventaire après décès de Claude Aubriet du 17 au 22 décembre 1742.

24 Paris, AN, M. C., XXIII/522, Testament du 2 décembre 1742, Inventaire après décès de Claude Aubriet : « à cause de la grande faiblesse de sa main droite causée par la maladie ».

25 Paris, AN, M. C., XXIII/522 Testament du 2 décembre 1742.

26 Paris, AN, Y 13508 Scellés après décès du sieur Aubriet. Testament du 10 mai 1740.

27 Ibid.

28 Ibid.

29 Ibid.

30 AN, Y 13508 Scellés après décès du sieur Aubriet.


Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.