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Les dessins de Champignons de Claude Aubriet

 | 
Xavier Carteret
, 
Aline Hamonou-Mahieu

Préface

Denis Lamy

Texte intégral

Souvent pour mépriser la science naturelle, on se jette dans l’admiration de la nature, que l’on soûtient absolument incompréhensible. La Nature cependant n’est jamais si admirable, ni si admirée que quand elle est connue.
Préface de l’Histoire de l’académie royale des sciences, année 1699 [parue en 1732], p. xvj

La pratique botanique

  • 1 Bibliothèque centrale du Muséum, Ms 1934.

1Dans un texte inédit1, Antoine de Jussieu expose les trois supports nécessaires à une bonne connaissance des plantes, à savoir les herborisations pour observer les plantes dans leur milieu naturel, les jardins botaniques pour connaître les plantes ne se développant pas dans nos régions et les livres. Les livres permettent d’étudier les plantes quand il n’est pas possible de les observer ni à la campagne ni dans les jardins.

Comme il ya des tems, des saisons et des circonstances, ou l’on ne peut consulter les feüillets du grand livre de la campagne, ni ceux des jardins de Botanique, ce sont ceux du Cabinet qui y suppléent alors, ils sont à l’égard de notre mémoire ce que les copies des tableaux sont aux amateurs de peinture au defaut des originaux ; car si les jardins nous procurent quelquefois une facilité plus grande que la campagne, les livres par la représentation des plantes qu’on y peut observer, et par les descriptions exactes qui sont jointes aux figures […] nous rapellent en un instant toutes les herborisation faites en divers pays en automne, au printemps et en été, et nous servent comme d’abregés metodiques, […] ils nous tiennent lieu de campagne et de jardins toujours portatifs.

2Mais la qualité de ces livres dépendra de l’exactitude de leurs descriptions et aussi de la réputation de leurs auteurs.

Leur principal merite dependra toujours de la parfaite ressemblance des figures avec les plantes qu’elles doivent representer, de l’exactitude de leurs descriptions, de la verité des informations ( ?) qui regardent leurs qualités, leurs vertus et leurs usage, enfin de la reputation de ceux qui publient ces sortes d’ouvrages, et qui n’ont rien negligé pour les rendre utiles.

3Après avoir dressé un état des lieux du jardin rappelant notamment la gestion désastreuse de Pierre Chirac, ce plaidoyer, écrit sans doute dans la fin des années 1730, résume parfaitement la pratique botanique, et peut s’y appliquer jusqu’à nos jours. A. de Jussieu replace le rôle et la diffusion du dessin botanique dans le triptyque : campagne, jardin, cabinet. Le livre qui remplacera, du mieux possible, la plante vivante, proposera au lecteur une ressemblance parfaite entre la plante et sa représentation, et des descriptions dont on ne pourra d’autant moins mettre en doute la véracité que l’auteur est reconnu.

4Remarque que l’on retrouve dans l’introduction aux Familles des plantes (1763) de Michel Adanson, qui souligne au passage l’œuvre de Claude Aubriet dont les qualités scientifique et esthétique semblent dépasser celles de ses contemporains. Qualités dues au fait qu’Aubriet se serait fait « botaniste ».

5Claude Aubriet, peintre en miniature au Jardin du Roi, est connu du monde savant pour sa collaboration aux Elemens de botanique (1694) de Joseph Pitton de Tournefort. L’exactitude de ses dessins exécutés dans cet ouvrage sera reconnue par Carl Linné qui, pour comprendre la délimitation des genres de Tournefort, fera davantage référence à leurs illustrations qu’à leurs descriptions.

  • 2 On peut signaler les observations de J. J. Dillenius (1718) et celles de P. A. Micheli (1729) ; de (...)

6Dans ce début du xviiie siècle, où la botanique s’intéresse principalement aux plantes pour leurs usages et, par conséquent, aux plantes à fleur, la commande de dessins de champignons, faite par Antoine de Jussieu auprès d’Aubriet, doit être questionnée. En effet, ce groupe de plantes est peu étudié, en France comme en Europe2. Tournefort s’y intéresse à la fin de sa courte vie, mais son travail portera essentiellement sur la culture des champignons comestibles. Sébastien Vaillant montre, quant à lui, un intérêt particulier à l’ensemble des plantes reconnues comme sans fleur et qui seront nommées cryptogames par Linné ; il proposera, dans son Botanicon parisiense (1727), une classification des champignons. En outre, la seule étude « mycologique » dont peut se prévaloir A. de Jussieu concerne une description d’un champignon dans laquelle il constate une affinité entre les lichens et les champignons. Il n’apparaît donc pas comme le meilleur guide pour ces observations.

7Dépassant la seule fascination pour un monde étrange, cette commande répond parfaitement à la préface de l’Académie royale citée en exergue : connaître la Nature pour l’admirer plus encore. Et pour A. de Jussieu le dessin peut conduire à cette connaissance.

L’illustration au tournant des XVII-XVIIIe siècles

8La démarche qu’Antoine de Jussieu décrit « en 1727 pour la mise en place de la collection des vélins montre le passage d’une botanique “utile” à une botanique fondamentale, la collection des vélins passe d’un usage décoratif à un usage au service du pouvoir [...] » [Néanmoins] « n’étant pas accompagnés d’une description, les vélins demeurent des objets pour le plaisir des yeux avant d’être des objets scientifiques » (Lamy 2008, pp. 142-143). Au tournant des xvii-xviiie siècles, la botanique, science en construction, se sépare de la médecine et prend pour seul objet la plante elle-même. Le dessin est alors considéré comme aussi nécessaire dans un livre de botanique que des cartes dans un livre de géographie. Le dessin sera le plus possible réaliste, c’est-à-dire être une représentation très ressemblante d’un spécimen donné d’une espèce décrite.

9Le dessin accompagnera donc non seulement les flores, mais aussi et surtout les objets, à savoir les herbiers. Ces dessins d’observations sont alors partie prenante du Cabinet, au même titre que les livres et les herbiers. Dans le cas des champignons, dont la mise en collection ne permet pas toujours une bonne conservation de certains éléments caractéristiques comme la forme et la couleur, la représentation graphique apparaît comme un excellent substitutif à l’objet lui-même.

10Il ne sera donc pas surprenant de trouver des séries peintes de champignons, séries restées pour la plupart inédites ; soit parce qu’elles sont avant tout des dessins d’observation non réalisés pour la publication comme ceux de Frederico Cesi au xviie siècle ou les champignons observés par Jean-Baptiste Lamarck dans la région parisienne ; soit parce que leurs reproductions sont trop onéreuses comme les études de Charles de l’Écluse ou les peintures sur toile de Thomas Hörmann pour une nouvelle édition de la Flora carniolica de Giovanni Antonio Scopoli ; soit encore parce qu’elles seront conçues au xixe s. comme des herbiers peints comme celles dirigées à Montpellier (par F. Dunal) ou à Clermont Ferrand (par M. Lamotte), ou encore les grandes séries de Narcisse Patouillard ou Lucien Quélet, identifiées et référencées comme un herbier.

Reconnaissance par le dessin

11Face à des séries beaucoup mieux documentées et référencées, pourquoi publier trois cents ans après sa réalisation, une série de 98 planches de champignons dont on reconnaît les maladresses dans les observations, vraisemblablement dues au fait que Jussieu connaît mal ce qu’il fait dessiner par Aubriet et que les spécimens n’ont pas été ramassés dans les « règles de l’art mycologique » ? Pourquoi s’intéresser à cette série qui pourrait s’apparenter à un « herbier peint » si ce n’est que la détermination des espèces n’a pas été faite au fur et à mesure par les auteurs, mais tardivement par d’autres spécialistes ?

12Répondant à l’idée que se faisait Antoine de Jussieu de l’intérêt d’une iconographie originale en botanique, ces planches représentent un maillon ignoré dans l’histoire de la botanique au Jardin du Roi, dans l’iconographie des plantes à cette période. Il était donc pertinent de confier l’étude de cette association peintre/botaniste, au croisement de deux points de vue — histoire de l’art/histoire des sciences. Aline Hamonou et Xavier Carteret offrent ainsi au lecteur un double éclairage pour mieux comprendre la place qu’occupe cette série dans l’œuvre de Claude Aubriet et dans l’histoire de la botanique. X. Carteret insiste, à juste titre, sur le fait qu’il s’agit là d’une représentation des champignons, remarquable par son aspect « négatif » qui est la mise en évidence des lacunes de la connaissance mycologique de Jussieu et d’Aubriet.

13Aussi l’identification des champignons dessinés au début xviiie par des mycologues du xxie siècle (Pierre-Arthur Moreau apporte ici plus qu’une caution scientifique) apparaît comme une gageure compte tenu du monde qui sépare la connaissance des champignons de ces deux époques. Cette identification est rendue aisée ou compliquée par des déterminations annotées autour de 1800. Le résultat est probant et montre combien l’observation d’Aubriet-Jussieu, même malhabile, était assez exacte.

Notes

1 Bibliothèque centrale du Muséum, Ms 1934.

2 On peut signaler les observations de J. J. Dillenius (1718) et celles de P. A. Micheli (1729) ; deux ouvrages pouvant être considérés comme des suppléments aux Elémens de botanique de Tournefort.

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