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Le spécimen et le collecteur

 | 
Vincent Leblan
, 
Dominique Juhé-Beaulaton

La collecte & l’Autre

Le prélèvement des restes humains ou comment cultiver l’instant propice ?

Quelques exemples de la collection anthropologique du Muséum national d’Histoire naturelle

Christelle Patin

Full text

  • 1 Cuvier (Georges), « Note instructive sur les recherches à faire relativement aux différences anato (...)
  • 2 « Les hommes eux-mêmes rassemblés vivants, seraient sans doute les meilleurs matériaux pour une com (...)
  • 3 [Anonyme], Instruction pour les voyageurs et pour les employés dans les colonies : sur la manière (...)
  • 4 « Ces matériaux sont d’une nature telle qu’il est impossible de se les procurer au moment où l’on (...)
  • 5 Serres (Étienne), « Rapport sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation de l’Ast (...)

1En 1800, des instructions spécifiques furent écrites par Georges Cuvier (1769-1832) pour le voyage du Géographe et du Naturaliste aux terres australes1. Faute de pouvoir dignement rassembler vivants les hommes eux-mêmes2 nous dit-il ou d’obtenir des portraits suffisamment fiables, Cuvier demande de recueillir des pièces anatomiques nécessaires à l’étude comparative des hommes. Le naturaliste convient que « ces objets ne sont pas aussi aisés à se procurer ». Les instructions du Muséum pour les voyageurs de 1827 et de 1860 font le même constat et mentionnent, sans plus de détails, les « difficultés particulières à ce genre de collection »3. L’anthropologue Paul Broca (1824-1880), cofondateur de la Société d’anthropologie de Paris (SAP), en livre aussi la nature spécifique sans toutefois l’éclairer4. Quant à Étienne Serres (1786-1868), professeur de la chaire d’histoire naturelle de l’Homme du Muséum de 1838 à 1855, il rapporte que « la plus puissante des raisons » du retard de l’anthropologie par rapport à la zoologie, qu’il impute à la faiblesse des collections, « tient à la difficulté même de se procurer les éléments de l’observation »5.

  • 6 Ibid, p. 658, je souligne.
  • 7 Cuvier (Georges), « Note instructive… », op. cit., p. 175.

2Seulement, Serres va plus loin dans son développement et ose nommer l’insaisissable difficulté. « M. Dumoutier eut bien désiré pouvoir rapporter des squelettes entiers, [voyage de la Zelée et de l’Astrolabe] poursuit-il, mais quant il s’agit d’Anthropologie, on conçoit l’impossibilité d’arriver à ce résultat par un seul voyage ; aux difficultés matérielles que rencontre le voyageur se joint le respect qu’inspirent partout les dépouilles mortelles des hommes. Ce sentiment inné se dresse devant les besoins de la science en tous lieux et chez tous les peuples, civilisés ou non »6. La sacralité de la dépouille mortelle et les attachements complexes des hommes à son égard rendent le prélèvement ardu, parfois périlleux, et en font un acte tributaire des circonstances. En conséquence, « Les voyageurs ne doivent-ils négliger aucune occasion »7 conclura Cuvier. Ce motif de l’occasion à saisir ou de l’instant propice est une constante dans les diverses instructions aux voyageurs, que ce soient celles du Muséum ou de la SAP. Analogue au Kairos grec, il constitue un instant d’inflexion qualitatif à saisir, à la jointure de l’action et du temps, de la compétence et de la chance, du singulier et du général. Si ce temps de discernement est primordial dans le domaine médical ou militaire, comment se construit-il lors du prélèvement des éléments du corps humain à destination des collections anthropologiques ?

  • 8 Blanckaert (Claude), « Le manuel opératoire de la raciologie. Les instructions aux voyageurs de la (...)

3Achat d’éléments du corps humain, don, échange, abandon, vol, exhumation ou prise de guerre sont autant de modalités usuelles de collecte connues des historiens8. Cependant, si leur évaluation peut être laissée à la libre appréciation du récoltant, toutes les configurations ont-elles la même légitimité sociale ou efficacité pragmatique ?

4Ainsi témoigne le docteur Robert (1806-1882) à l’anthropologue Armand de Quatrefages (1810-1892), successeur d’Étienne Serres :

  • 9 Extrait du journal du 8 septembre 1838 du Dr Eugène Robert, lettre à Quatrefages datant de 1865, A (...)

J’allais comme une hyène explorer le cimetière. Désirant surtout me procurer un squelette de lapon pour les galeries du Muséum et trouvant l’occasion favorable, je n’hésitais pas à en déterrer un, celui d’un homme qui était encore enveloppé d’un grossier vêtement […] Je m’empressais de fourrer tous ces ossements dans un grand sac de toile dont j’avais eu soin de me munir afin de laisser ignorer aux lapons ce que j’étais venu faire dans un de leurs champs de repos car ils n’eussent pas manqué d’en être révoltés […] et afin que le bon pasteur qui nous accompagnait ne fût pas froissé dans ses sentiments religieux9.

5Ce vol prémédité de cadavre doublé d’un manquement à la sépulture, bravant les limites de l’espace moral, ont nécessité empressement et isolement temporaire du récoltant. Son récit met l’accent sur les difficultés auxquelles il a dû faire face pour le bien d’une institution scientifique. Robert attend une reconnaissance publique de sa vaillance. Cependant, à son grand désarroi et vif regret, ce ne fut ni son nom qui fut associé au crâne comme « découvreur » ni le squelette, si durement prélevé, qui fut exposé dans la galerie. Sa récolte aurait été perçue comme non légitime par Serres ou Quatrefages. Serait-ce due à ses modalités, sa valeur scientifique ou à l’identité du récoltant ? L’histoire ne nous en livre pas davantage.

  • 10 J’appliquerai dans ce travail la définition qu’en livre Didier Fassin dans ses travaux : « on cons (...)

6Cependant, cet épisode questionne plus globalement l’articulation de l’économie de la collecte, sa matérialité et ses circonstances, avec l’économie morale10 en tant que construction politique au sens large. Ainsi, face aux difficultés des prélèvements, il semble que certaines configurations soient plus favorables que d’autres, dont l’appréciation ne dépend d’ailleurs pas que du seul succès matériel. D’une autre manière, nous pouvons nous interroger sur l’existence d’un portrait type de la collecte idéale vers lequel tendraient et s’organiseraient les systèmes de prélèvement. Il procéderait de la conjonction temporelle de trois points : la légitimité du récoltant et sa fréquentation des lieux où sont présents les éléments de corps humains, la disponibilité sociale de ceux-ci et enfin leur qualité de support de savoirs. Face aux contraintes, comment se construit la triade de l’instant propice ?

7C’est à travers différentes configurations, plus ou moins ordinaires ou normatives, que nous examinerons cette triade de la conjoncture opportune et certains de ses principaux acteurs. L’analyse est à visée de réflexion et n’a aucune ambition d’exhaustivité. Notons d’ores et déjà que la collecte des restes archéologiques lors de fouilles ne sera pas abordée. Elle ouvrirait de manière trop importante le champ, d’un point de vue épistémologique mais aussi temporel en ce qui concerne l’attachement aux dépouilles.

Détail de la salle d’Anatomie pathologique
Les squelettes de nain, géant ou de rachitique de la salle d’anatomie pathologique de la galerie d’Anthropologie (rue Buffon) constituaient des pièces de démonstration des anomalies du développement Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

8L’examen portera sur la collecte anthropologique des restes humains effectuée essentiellement à Paris pour le Muséum mais aussi pour la Société d’anthropologie de Paris (SAP) dont la collection se trouve, depuis 1951, hébergée dans cette même institution. La période abordée sera surtout la seconde moitié du xixe siècle, soit la plus productive au niveau de l’enrichissement des collections. Ce contexte « ordinaire », à travers les modalités d’abandon, d’achat ou de don de corps, permet d’inscrire la lecture des collectes dans la dynamique des réflexions sur le statut du cadavre, les autopsies ou les lois funéraires et, par là-même, de faire émerger les cadres institutionnels et structurels qui ont pu interférer dans la mise en place d’une économie morale de la collecte « idéale » ou « idéelle ». Cependant en s’éloignant géographiquement du centre des débats, nous pouvons nous interroger sur le maintien de la forme de ce système de prélèvement et de la valeur qui lui est accordée. Nous tenterons cette mise en perspective en abordant, dans une dernière partie, la récolte de corps « exotiques » en Nouvelle-Calédonie, contrée pour laquelle suffisamment de données ont été rassemblées pour permettre une analyse conséquente et circonstanciée.

COLLECTER AU MIEUX LES CORPS VIA LE RÉSEAU MÉDICAL PARISIEN

  • 11 Froment (Alain) & Mennecier (Philippe), « Les collections de restes humains : archives de l’humani (...)
  • 12 L’anthropologue René Verneau en charge de la chaire d’anthropologie se questionne sur leur place s (...)

9Une partie de la collection anthropologique, plus de 2000 spécimens11, concerne les pièces anatomiques d’anomalie du développement, de lésions traumatiques ou volontaires, mais aussi pathologiques ou présentant des déformations culturelles. Outre ces éléments singuliers, elle rassemble des séries anatomiques normales de crânes ou de squelettes de fœtus d’âge connus, comme la collection du professeur Antoine Portal (1742-1832), titulaire de la chaire d’anatomie humaine au Muséum de 1776 à 1832. La destination première de telles pièces semble davantage être le domaine médical. Pourtant, si leur présence est parfois interrogée au cours du xixe siècle, elles sont reconnues comme indispensables à la construction du socle anthropologique basé sur la diagnose comparative des races12. D’ailleurs, elles constituent l’entité introductive de l’espace d’exposition de la galerie anthropologique du Muséum, plus particulièrement celle de 1898, où une pièce spéciale leur était dédiée.

10La collecte de semblables éléments corporels, caractérisés par leur rareté, emprunte le réseau médical, surtout parisien. L’institution hospitalière y a une place de choix. Elle est le lieu de configurations variées qui impliquent certaines compositions et coopérations entre acteurs. Nous les aborderons tour à tour en suivant la complexité croissante des situations.

Extrait d’un rapport administratif d’Étienne Serres
Comptage des ensevelissements des corps disséqués dans divers lieux parisiens, de 1844 à 1851. Archives de l’AP-HP, 90 FOSS1 Cliché Christelle Patin.

  • 13 Archives de l’AP-HP, 90 FOSS1.
  • 14 Broca (Paul), « Sur un cas excessif de microcéphalie », Bulletins de la SAP, vol. 11, 1876, pp. 85 (...)

11Tout d’abord, l’anthropologue, qui parfois travaille aussi comme médecin, peut directement prélever les corps d’intérêt sur son lieu d’activité. Étienne Serres, professeur de la chaire d’histoire naturelle de l’Homme au Muséum entre 1838 et 1855, fut également médecin et directeur des travaux anatomiques de l’amphithéâtre de dissection de Clamart. Cet établissement, créé en 1821 et géré par le Conseil général des hospices, fut le lieu de formation réservé à l’enseignement et au perfectionnement des techniques chirurgicales. Serres effectua un suivi du nombre annuel de corps prélevés et disséqués au Muséum entre 1844 et 1851. Ce chiffre oscille entre un et neuf, soit un nombre bien infime par rapport aux 1400 à 3600 cadavres disséqués concurremment dans le cadre de l’enseignement médical parisien13. C’est dans un contexte similaire, qu’en 1876, Broca alors chirurgien à la Pitié collecta un bébé microcéphale de quatre mois qu’il avait soigné14. Les exemples de prélèvement direct du cadavre du patient par le médecin anthropologue dans le cadre hospitalier ne manquent pas. C’est sans aucun doute la situation la plus favorable au prélèvement, dans la continuité de la relation thérapeutique et des intérêts portés sur ces corps désirables.

12Gérer l’occasion opportune peut aussi amener à composer avec le hasard d’une rencontre et la négociation individuelle, comme l’illustre ce récit de Broca relaté dans les bulletins de la SAP :

  • 15 Broca (Paul), « Sur la déformation toulousaine du crâne », Bulletins de la SAP, vol. 6, 1871, pp.  (...)

« Au mois de juillet dernier, en traversant la salle d’autopsie de l’hôpital de la Pitié, j’aperçus sur une table le corps d’une vieille femme morte dans le service de mon collègue le professeur Lasègne. La tête était entièrement chauve et présentait un exemple très évident de la déformation toulousaine. J’envoyais aussitôt prendre des renseignements au bureau », la réponse confirma son origine toulousaine. « Le corps n’étant pas réclamé, poursuit-il, je priais M. Lasègne de vouloir bien me l’abandonner pour mes recherches et je le fis transporter à l’École pratique au laboratoire d’Anthropologie […]. J’ai cherché à tirer le meilleur parti possible du fait que l’obligeance de mon collègue mettait à ma disposition »15.

  • 16 Latour (Bruno), « Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement », in Micoud ( (...)

13Nous voyons que cette transaction n’est pas qu’un simple transfert, elle excède celui-ci. Loin de se limiter au rôle d’intermédiaire, le docteur Lasègne est édifié en médiateur pour reprendre une caractéristique de l’acteur-réseau de Bruno Latour, un médiateur de la connaissance scientifique16. En effet, pour l’anthropologue, reconnaître la valeur du renoncement initial en sa faveur impliquait de maximiser l’usage scientifique des éléments transférés. Le cerveau fut donc moulé, disséqué puis jeté après étude, le crâne déformé fut conservé ; aucune information n’aborde le devenir du reste du corps.

  • 17 Voir Archives nationales, fond « Anatomistes » du jardin du Roi : AJ/15/09 ; le bel article d’Hamy (...)
  • 18 Déclaration du Roi pour faire continuer les exercices au Jardin Royal des Plantes, registrée au Par (...)
  • 19 Lettre du préfet de police Léon Renault au doyen de la Faculté de médecine de Paris, 16 mars 1873, (...)
  • 20 Patin (Christelle), « Les vies pots-mortem de Sarrtjie Baartman : muséologie et économies morales  (...)

14Outre la légitimité du récoltant et sa fréquentation des lieux, la collecte des corps anatomiques implique leur mise à disposition sociale et un abandon familial. Cette construction est facilitée par l’adhésion du politique. Il s’avère que l’engagement de celui-ci envers la pratique des dissections anatomiques et la collecte des corps est présent dès la naissance du Muséum. Rappelons que l’Édit royal du 15 mai 1635 proclamé par Louis XIII fixe la nomination de trois « démonstrateurs, opérateurs » préfigurant les trois chaires fondatrices du Jardin du Roi : la Botanique, la Chimie et l’Anatomie humaine dont est héritier le Jardin des plantes17. Le médecin Guy de la Brosse (1586-1641), à l’origine de ce projet, souhaitait un établissement d’enseignement en français de la médecine et de la pharmacie qui soit ouvert à tous, gratuit et qui s’appuie autant que possible sur des démonstrations. L’Ordonnance de Louis XIV du 20 janvier 1673 rompt avec la décision parlementaire de 1552 qui faisait de la faculté de médecine l’unique bénéficiaire des corps des condamnés à mort. Elle stipule que le premier corps exécuté serait délivré au Jardin du Roi « par préférence à tous autres, même aux doyens et docteurs de la Faculté de médecine de Paris, nonobstant tous privilèges à ce contraire » et à la condition que « les dits cours et démonstrations seront faits par les professeurs du dit Jardin Royal, gratuitement en la manière accoutumée »18. La réification de ces corps est aisément justifiée par la dette contractée par le criminel envers la société. Au xixe siècle, les corps des indigents soignés dans les hospices et les hôpitaux s’ajoutent ou se substituent aux corps judiciaires et une nouvelle composition se fait jour. Au cours de cette période, des résistances croissantes envers les autopsies et les dissections, perçues sans distinction comme autant d’atteintes et d’injures portées au corps, se font entendre par les familles. L’augmentation du nombre d’élèves en médecine, la diminution de la mortalité dans les hôpitaux et les demandes grandissantes d’inhumation par les parents portaient un sérieux préjudice à l’enseignement des travaux anatomiques, tributaire de l’abandon des cadavres. La faculté parisienne réclama à plusieurs reprises ceux des détenus morts dans les prisons et dépôts parisiens. Or après un refus en 1823, l’autorisation fut donnée pour les individus non réclamés par les familles. Une lettre du préfet de police de 1873 spécifie ses plus strictes recommandations « afin de ne soulever aucune réclamation légitime de la part des familles des individus décédés ». La faculté devra « s’assurer que les détenus n’étaient pas visités et que les demeures de leur parent étaient inconnues, ou bien encore, que ceux-ci mis en demeure d’intervenir, auraient déclaré formellement ne vouloir ou pouvoir le faire. Dans le doute, vous aurez à vous abstenir et à faire procéder à l’inhumation, comme d’usage »19. L’institution du Muséum était soumise aux mêmes contraintes réglementaires que celle de la Faculté de médecine, ceci dès l’Ordonnance de 1813 qui régulait la gestion des amphithéâtres d’Anatomie et de chirurgie20.

  • 21 « Création d’un institut anthropologique », Bulletins de la SAP, vol. 10, 1875, pp. 405-406.
  • 22 « La fondation du Laboratoire d’Anthropologie », Bulletins de la SAP, vol. 4, 1869, pp. 99-100.
  • 23 L’hôpital de la Pitié jouxtait le Jardin des plantes au niveau de la rue du Jardin-du-Roi (au sud (...)
  • 24 Patin (Christelle), « Les vies pots-mortem de Sarrtjie Baartman… », op. cit., pp. 81-82.
  • 25 Étienne Serres quitte la chaire d’histoire naturelle de l’Homme en 1855, remplacé par Armand de Qu (...)

15De façon analogue, la création de l’Institut d’Anthropologie en 1875 impliqua l’adhésion du politique. Ce centre de recherche et d’enseignement regroupait la Société d’Anthropologie de Paris (1859), le Laboratoire (1869) puis l’École d’anthropologie (1876). Il prit corps grâce à l’accord du Ministre de l’instruction publique, celui du doyen Würtz (1817-1884) de la faculté de médecine, du préfet de la Seine et du président du conseil municipal de Paris, M. Thulié (1832-1916), aussi médecin et membre de la SAP. Ces derniers votèrent une subvention annuelle pour son fonctionnement. « L’institution que nous nous proposions de créer ne pouvant atteindre son but qu’avec le concours de l’anatomie, nous avons pensé qu’elle devait être placée à l’École pratique de la faculté de médecine, parce que c’est là seulement que peut être faite la dissection des corps humains »21. Le Laboratoire d’anthropologie devint une des destinations du réseau de collecte des corps, ici détournés de la voie de l’autopsie ou des dissections médicales : « Les éléments des travaux pratiques du laboratoire sont nombreux ; pour l’homme, il aura à sa disposition tous les sujets provenant des hôpitaux et offrant quelque intérêt spécial »22. Son emplacement, au second étage du bâtiment des Cordeliers, sur les terrains de l’École pratique de médecine permettait une proximité idéale avec les sujets décédés, sans les contraintes réglementaires de leur transport. Or à l’exception de l’hôpital de la Pitié23, le laboratoire du Jardin des plantes n’avait pas vraiment cette contigüité. L’introduction et le transport de cadavres étaient soumis à l’accord du préfet de police. Le transfert célèbre du corps de Saartjie Bartman, dite « la Vénus hottentote », au laboratoire d’anatomie comparée dirigé alors par Cuvier en est un exemple24. L’assemblée des professeurs du 24 décembre 1867 relate une violente dispute entre Étienne Serres et son aide-naturaliste, Georges Pouchet (1833-1894). Celui-ci avait introduit à l’insu du professeur du laboratoire d’anatomie comparée25 un fœtus humain sans demander l’autorisation de police nécessaire :

  • 26 Archives nationales, PV de l’assemblée des professeurs du 24 décembre 1867-F/17/3884.

Le professeur pense qu’il suffit de signaler l’introduction d’un fœtus humain pour des travaux particuliers à l’insu du professeur sans que les formalités présentées par les règlements de police aient été remplies pour faire comprendre toute la gravité. En face de cet acte d’insubordination et de la scène inconvenante dont tout le personnel du laboratoire et un étranger ont été témoins, M. le Professeur d’Anatomie comparée se voit à son grand regret forcé de demander la révocation de son aide-naturaliste26.

L’École pratique de médecine
Le Laboratoire d’anthropologie, géré par l’EPHE, se trouvait dans le bâtiment B de l’École pratique de médecine tout comme le Musée Broca, l’École d’anthropologie et le Musée Dupuytren. A, Dôme de l’École nationale des Arts décoratifs. B, Musée Dupuytren. C, Rue Racine. D, Pavillons de dissection. E, Cour d’entrée. F, Rue de l’École-de-Médecine. G, Laboratoires des professeurs. H, Laboratoires des travaux pratiques ; musées et collections. I, Grand amphithéâtre. J, Cour du Cloître. K, Rue Antoine Dubois. L, Rue Monsieur-le-Prince. M, emplacement de la sépulture de Marat. Gravure extraite de L’Illustration (1896) Cliché BIU Santé, Paris.

  • 27 Voir les nombreux rapports de Serres conservés aux archives de l’AP-HP.

16Au-delà d’antagonismes personnels, la vivacité de la réaction de Serres est à la mesure de son engagement en faveur d’une meilleure dignité post-mortem des cadavres destinés à l’enseignement médical27. En janvier 1868, Serres, mourant, reviendra sur sa décision de révocation.

17De manière plus générale, le fonctionnement du réseau parisien de collecte d’éléments du corps humain s’appuie sur une sociabilité et une coopération actives entre confrères médecins. Le présent extrait fait partie des récits normatifs qui relatent les circonstances de l’obtention du matériel scientifique, lesquels apparaissent dans les Bulletins de la SAP à partir des années 1870 :

  • 28 Étisie : phthisie, maladie qui dessèche et consume le corps (Dictionnaire de l’Académie française, (...)
  • 29 Broca (Paul), « Sur un microcéphale âgé de deux ans et demi. Anomalies viscérales régressives », B (...)

Mr. Le docteur Labric, Médecin de l’hôpital des enfants, a bien voulu me faire avertir, il y a quelques jours, qu’un enfant microcéphale, âgé de deux ans et demi, venait d’être admis dans son service dans un état d’étisie28 qui présageait une mort prochaine […]. Le corps n’ayant pas été réclamé, M. Labric voulut bien renoncer à l’autopsie en faveur de mon laboratoire où le corps a été disséqué29.

  • 30 D’après les données annuelles de la Vie de la Société éditées dans les Bulletins de la SAP.

18Ce discours-type associe trois points qui semblent fondamentaux dans leur fonction de légitimation : d’une part, la prise d’initiative du confrère informant de la présence du « corps d’intérêt », d’autre part, l’abandon social du corps non réclamé par la famille et enfin le renoncement à un usage médical par le confrère. Il faut préciser que ce réseau de collecte prend forme dès la création de la SAP en 1859 et est remarquable par la diversité institutionnelle des membres cofondateurs. De manière non exhaustive, outre Paul Broca, Henri de Castelnau fut inspecteur général adjoint des asiles d’aliénés et des prisons de France, Louis Delasiauve (1804-1893) était médecin de l’Hospice de la Salpêtrière, Aristide Verneuil (1823-1895) chirurgien à l’hôpital de Lourcine, Rambaud prosecteur à l’amphithéâtre des hôpitaux et Jules Béclard (1818-1887) professeur agrégé de la faculté de médecine. En 1867, près de deux tiers des membres titulaires de la société savante résidant à Paris sont médecins30 ; un chiffre qui variera peu au cours du xixe siècle. Cette assise structurelle maximise d’autant la possibilité de rencontre puis de collecte de corps d’intérêt dans la capitale. Cela suppose aussi une bonne connaissance des desiderata des protagonistes par leur diffusion au sein des réseaux. Outre les séries de référence normales ou pathologiques, l’hôpital est aussi observé par les anthropologues pour la collecte des « corps exotiques », pour employer la formule usuelle rencontrée dans les échanges scientifiques ou administratifs. Les pièces anatomiques y sont fraîchement prélevées et le corps de ces personnes, souvent fragilisées par leur condition d’exilés, y est présent et « disponible ». Ce lieu de conjoncture opportune est scruté par Paul Broca qui y exerce un pouvoir constant et une vigilance attentive :

  • 31 Copies de divers rapports de Paul Broca, BIUM, Ms no 5454.

Il meurt chaque année dans les hôpitaux de Paris un certain nombre d’individus de races étrangères dont les corps sont apportés dans les amphithéâtres d’anatomie pour être livrés aux dissections. J’ai pris des mesures pour que ces corps soient le plus souvent réservés pour notre laboratoire d’anthropologie, où ils sont soumis à une étude anthropologique complète31.

  • 32 Broca (Paul), « Sur le buste d’une jeune fille zoulou », Bulletins de la SAP, vol. 3, 3e série, t. (...)
  • 33 En 1866, Broca offre un fragment de peau « d’une négresse morte à la salpêtrière dans le service d (...)
  • 34 Chudzinski (Théophile), « Contribution anthropologique à l’anatomie du nègre », La Revue d’anthrop (...)
  • 35 Carol (Anne), Les médecins et la mort, xixe- xxe siècle, Paris : Éditions Aubier, 2004, pp. 256-26 (...)

19C’est dans ce contexte que le corps d’une jeune fille zoulou, âgée de dix-neuf ans et décédée à l’hôpital Beaujon dans le service du docteur Louis Félix Féréol (1825-1891), fut transporté au Laboratoire pour y être moulé puis disséqué. Nous retrouvons le discours-type de légitimation : « Le corps n’ayant pas été réclamé et étant destiné aux dissections, M. le docteur Féréol a bien voulu en avertir M. Paul Broca »32. L’efficacité pratique de la collecte doit également prendre en compte les contraintes de la putréfaction des corps qui, outre les conditions climatiques, augmente avec l’intervention d’intermédiaires et les délais. Cette composante influe indubitablement sur le type de pièces récoltées33. Notons enfin que la réclamation du corps par la famille ne garantissait pas l’absence d’autopsie. Certaines pratiques médicales participaient à la confusion entre autopsie et dissection, pourtant marquées par des procédés et des finalités très différents. Ainsi, lorsque s’imposait l’urgence de l’anatomie comparative des races, l’investigation était parfois poussée jusqu’à la dissection complète. Les parties sensibles portant l’identité de la personne, comme la face et la partie supérieure du cou, étaient cependant épargnées. Ce fut le cas d’une Angolaise décédée dans le service de Broca. Le préparateur du Laboratoire, Théophile Chudzinski (1840-1897), prit la liberté de disséquer de manière presque exhaustive le système musculaire en épargnant toutefois son visage par égard pour la famille34. Finalement, suite à la contrainte de non disponibilité sociale de ce corps, la collecte d’éléments de corps humain se mua ici en une collecte de données anatomiques, mesures et dessins à l’appui, qui furent l’objet d’une publication scientifique. De manière générale, le déséquilibre social et culturel entre les médecins et les familles, souvent peuplées de petites gens et d’indigents, laissait à ceux-là l’initiative, aux autres la seule possibilité de protester, le plus souvent trop tard35.

Étude myologique
Dessin anatomique d’Alfred Poirier d’une étude myologique du « nègre Émile Émilien » réalisée par Théophile Chudzinski. 1, A, muscle sterno-thyroïdien. B, son intersection aponévrotique. C, ses fibres superficielles. D, muscle sterno-hyoïdien. E, muscle omo-hyoïdien. 2, A, muscle sterno-thyroïdien. B, muscle sterno-hyoïdien. C, son intersection aponévrotique. D, son ventre inférieur. E, aponévrose qui réunit les deux sterno-hyoïdiens. F, muscle omo-hyoïdien. G, muscle sterno-cléido-mastoïdien. 3, A, muscle pectoraux. B, muscle deltoïde. C, muscle sterno-cléido-mastoïdien. D, ses tendons sternaux. E, tendons d’origine du muscle présternal. 4, A, muscle jumeau interne. B, muscle jumeau externe. Planche V extraite de la Revue d’Anthropologie (1873) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

Le Professeur Brouardel
Médecin légiste, Paul Brouardel s’est fortement investi dans le développement et la structuration de l’hygiène publique en France, par notamment la création de la Société de Médecine publique et d’hygiène professionnelle en 1876. Photographie de Pirou publiée en une de la Gazette des hôpitaux civils et militaires du jeudi 26 juillet 1906 (tome 84, 79e année) Cliché BIU Santé, Paris.

  • 36 Voir Rivet (France), Sur les traces d’Abraham Ulrikab : les événements de 1880-1881, Gatineau (Qué (...)

20Du reste, le contexte épidémique soulevait d’autres contraintes et réponses des acteurs, menant à une temporisation de la collecte. Il fallait composer pour attendre l’instant le plus propice au prélèvement des corps, comme ce fut le cas des cinq « Eskimos du Labrador » décédés à l’hôpital St-Louis en 1881. Une première demande d’exhumation, effectuée par Quatrefages, fut refusée. Même si l’intérêt de la science avait été reconnu, l’origine variolique du décès, dans sa forme la plus virulente, induisait une prise de précautions envers la santé publique. La détermination des conditions et du moment de l’opération fut donc confiée à Paul Brouardel (1837-1906), médecin de la chaire de médecine légale de la faculté de médecine de Paris et membre du conseil d’hygiène et de salubrité de la Seine. Il fallut attendre cinq années et vacciner au préalable les fossoyeurs pour que la collecte des squelettes à destination du Muséum ait enfin lieu. À la mutualisation des corps entre les anthropologues et le monde médical, s’associent ici les acteurs du spectacle et des exhibitions ethnographiques ; Abraham Ulrikab (1845-1881) et ses proches avaient été en effet recrutés pour s’exhiber à Hambourg, Berlin puis à Paris au jardin d’acclimatation36.

21Pour conclure sur ce premier point, le développement d’une coopération entre médecins élargit la surveillance des corps disponibles à l’ensemble du pays, avec une attention particulière pour les grands ports et les écoles de médecine navale comme Brest, Bordeaux, Rochefort ou Marseille. En dehors de l’étroite collaboration entre le réseau médical et les anthropologues que nous venons d’aborder, d’autres modalités et configurations de transfert et de collecte pouvaient être empruntées en métropole.

COLLECTER PAR ACHAT OU DON DE SOI

Des offres face à une demande : le possible achat de cadavre

  • 37 Daszkiewicz (Piotr), « La maison Verreaux au xixe siècle à Paris, plaque tournante des collections (...)
  • 38 Archives nationales, Fonds du Muséum national d’Histoire naturelle, AJ/15/136-140, PV du 17 septem (...)

22En dehors du milieu hospitalier, les anthropologues pouvaient obtenir des pièces anatomiques déjà préparées en les achetant chez des particuliers possédant ce genre de collection ou dans des maisons commerciales spécialisées dans les objets naturalistes ou médicaux. Les entreprises naturalistes Verreaux fondée en 180337 ou Deyrolle en 1831 furent célèbres à plus d’un titre. C’est par cette voie que Serres acheta en 1844 une série de vingt squelettes d’enfants des deux sexes pour servir à l’histoire de la fœtologie, au prix de 6.50 Fr. pour chaque squelette38. Dans cette configuration, les collectes émanent d’échanges marchands.

  • 39 « M. le professeur d’Anatomie humaine [il s’agit ici d’Etienne Serres] propose d’allouer aux paren (...)
  • 40 Archives du Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

23Sans relation directe avec le marché, d’autres exemples de vente de cadavre faisaient l’objet d’une « compensation financière ». Celle-ci était soit menée à l’initiative des professeurs39, à titre d’allocation de dédommagement à la famille, soit dans de plus rares cas proposée par les individus eux-mêmes, devançant de la sorte la demande. L’exemple du squelette du géant Louis Renault envoyé au Muséum en 1885 est assez remarquable dans la mesure où nous disposons de l’ensemble des échanges épistolaires40. En octobre 1884, Armand de Quatrefages reçoit une lettre de M. Bourreau, gardien du cimetière et fossoyeur d’un petit village d’Indre-et-Loire. Celui-ci l’informe de l’existence d’ossements complets et en bon état d’un géant « que nous possédons », haut de 2 m 13 et décédé en 1875. « Si vous avez le désir de l’avoir, poursuit-il, il m’est possible de vous l’envoyer. Vous fixerez le prix que vous voulez payer et je vous l’enverrai. » Après quelques pourparlers, une somme de 150 francs, issue du nouveau budget de l’année 1885, fut versée à sa veuve ; le gardien étant mort entre temps. Le squelette fut envoyé dans une caisse au Muséum par voie ferroviaire. Deux mois plus tard, rebondissement, le scientifique reçoit une lettre du père de Louis Renault :

Je viens d’apprendre, écrit-il, que vous avez été satisfait du sujet que vous avez reçu du père Bourreau. Le squelette […] est celui de mon fils. Je vous envoie sa photographie si cela peut vous être agréable. Je ne suis pas riche et déjà d’un certain âge […] Pourriez-vous me dire si la somme de 150 francs était pour indemniser la famille et feu le père Bourreau ?

Le géant Louis Renault
Le dossier scientifique et patrimonial du squelette de Louis Renault comprend, outre les échanges épistolaires, le mandat d’acquisition et un portrait du géant envoyé par son père à Armand de Quatrefages. Archives des collections d’Anthropologie, MNHN Clichés Christelle Patin.

24Il s’avère que la réclamation du père ne porte ni sur l’acte d’exhumation ou une éventuelle violation de sépulture ni sur la légitimité de l’envoi au scientifique, mais sur les modalités de répartition de l’indemnisation. Si le fossoyeur se sent propriétaire des morts qu’il enterre et gère, la famille a également le droit à une compensation financière. Finalement, l’anthropologue ne prendra pas position vis-à-vis du receveur légitime de sa compensation. Il restera fermé à cet appel, renvoyant le père face à la veuve Bourreau. Nous pouvons nous interroger sur le sens de cette allocation qui serait une somme allouée en contrepartie de la mise à disposition du cadavre pour la science. Sa valeur est-elle réellement différente de la valeur d’achat déterminée par les cours d’un marché ? Notons, au regard des éléments dont nous disposons pour cette période, que la somme décidée par l’anthropologue correspond à la valeur marchande usuelle d’un squelette humain, soit 150 à 200 Fr. environ et 100 Fr. pour un crâne en général. La transaction est proche d’un échange marchand, ponctuel, sans passé ni avenir entre les protagonistes. La notion d’indemnisation permet de spécifier que la famille n’est pas agréée à vendre le corps d’un proche et que la valeur d’un corps, inséré dans un réseau d’attachements familiaux, ne saurait se limiter à la valeur marchande de choses anonymes. Car comment monnayer la valeur ajoutée des liens familiaux ? Ce fut une gageure non relevée par le scientifique.

25Un second témoignage concerne une proposition de vente du corps d’une personne, de son vivant. Il est difficile d’estimer la fréquence de ces pratiques qui semblent à la marge. En mai 1896, Ernest Hamy (1842-1908), anthropologue au Muséum, reçoit une offre qui peut paraître assez insolite :

  • 41 Laboratoire d’anthropologie, MNHN.

J’ai l’honneur de venir vous proposer d’augmenter votre si curieuse collection en achetant ma dépouille mortelle, laquelle je crois vous semblera intéressante lorsque vous saurez qu’ayant été atteint de fièvres paludéennes, j’ai contracté une cyrrhose atrophique du foie qu’on a réduit à un organe d’environ 4 cm de surface tandis que la rate a atteint un développement prodigieux s’étendant de la pointe du cœur à l’extrémité inférieur de l’abdomen d’une part, et de l’autre allant de l’estomac à l’épine dorsale et ma vessie. De plus, en ma qualité d’ancien officier de marine, j’ai les bras, la poitrine couverts de tatouages.
Je dois ajouter que je suis absolument seul et que personne ne peut s’opposer à mes volontés. Si vous pensez que l’affaire puisse se traiter, Veuillez me répondre le plus tôt possible41.

Proposition de don de corps
Cette proposition émane d’un officier de la marine, de son vivant en 1896. Document conservé aux Archives nationales, Paris, AJ/15/563 Cliché Christelle Patin.

26Une telle proposition s’appuie sur le droit de libre destinée de sa dépouille mortelle dont le texte fondateur est celui de la loi du 15 novembre 1887. Durement débattue et défendue par la Libre pensée, soutenue par le groupe des matérialistes de la Société d’anthropologie de Paris, elle stipule dans l’article 3 que « Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture ». Elle prévoit implicitement, par la liberté pour chacun à régler le sort de sa dépouille mortelle, de pouvoir effectuer une donation de son corps ou parties à la science. Cependant, l’auteur entend tirer profit de ses particularismes, longuement décrites et vantées, et non faire un simple don gratuit pour les progrès de la science. La perspective est toute libérale. Le corps est envisagé comme un capital biologique qui peut être vendu de manière anticipée de son vivant. Cette pratique est connue des militaires comme le dénonce dans ses carnets le sous-lieutenant d’infanterie de marine Émile Honoré Destelle (1825-1891) :

  • 42 Carnets personnels d’Émile Honoré Destelle, sous lieutenant au 2e régiment d’infanterie de marine, (...)

Un autre motif qui doit refroidir bien des gens opposés à cette violation de l’homme, c’est la coutume qui existe dans une catégorie, la plus basse et la plus avilie de la société, celle où l’on vend son corps avant sa mort. Combien ne voit-on pas de ces malheureux, dénués de tout respect pour eux-mêmes et pour la société de laquelle ils ne font plus partie, aller offrir leur corps aux amphithéâtres pour un modique salaire. C’est révoltant, mais c’est reçu, et on trouve même cela tout naturel dans le monde des étudiants42.

  • 43 Py (Christiane) & Vidart (Cécile), « Les musées d’anatomie sur les champs de foire », Actes de la (...)

27Cette offre est également nourrie, en cette fin de xixe siècle, par la mise en scène et l’exploitation commerciale des curiosités humaines, hors normes et pathologiques, au sein des champs de foire entre barnum et musée anatomique43. Cette offre ne reçut pas de réponse connue de la part du professeur et, vraisemblablement, ne répondait pas aux attentes scientifiques de l’anthropologue. Il faut également prendre en compte la tension soulevée dans cette proposition, entre une représentation populaire de l’anthropologie comme « science des curiosités » et la volonté certaine des scientifiques de l’en différencier.

  • 44 Esquerre (Arnaud), Les os, les cendres et l’État, Paris : Fayard, 2011, 336 p. (Histoire de la pen (...)
  • 45 Van Praët (Michel), « Saartjie Baartman : une restitution témoin d’un contexte muséal en évolution (...)

28En somme, il faut envisager la vente de cadavre, le sien ou celui d’un parent, comme une source possible de revenus non négligeable pour les individus les plus pauvres. Chacun des acteurs de ces deux histoires met en avant la situation économique précaire dans laquelle il se trouve. Il y a une demande de la part des scientifiques, voici l’offre. Dans ce contexte, nul besoin que les anthropologues fréquentent les lieux où sont présents les corps, l’information vient à eux par la diffusion des intérêts et besoins de la science, que ceux-ci soient réels ou fantasmés. L’achat direct ou l’intervention d’une somme compensatrice restent cependant des pratiques minoritaires au regard des échanges et surtout des dons. Soulignons qu’elles sont bien loin de la règle de l’inaliénabilité des corps et des éléments du corps humain régie aujourd’hui en France par la loi 16-1 du code civil et contrôlée par l’État44 ; principe juridique appliqué lors des débats législatifs relatifs à la restitution de la « Vénus hottentote » en 2002 et dont on peut questionner la justesse dans le cas des restes humains patrimonialisés45. Ceci rend d’autant plus sensible la réception de l’histoire de ces collectes.

Quand le scientifique collecte son propre corps

29Comment le scientifique peut-il concilier au mieux la disponibilité du cadavre, l’intérêt scientifique et sa présence lors de la collecte ? La réponse semble évidente : en donnant son propre corps ou parties à la science pour un intérêt cognitif qu’il a lui-même déterminé.

  • 46 Taquet (Philippe), « Les corps de Sarah Baartman et de Georges Cuvier sous le regard de la science (...)
  • 47 Carol (Anne), Les médecins et la mort…, op. cit., pp. 255-264.
  • 48 Dias (Nélia), « La société d’autopsie mutuelle ou le dévouement absolu aux progrès de l’anthropolo (...)

30La démarche n’est pas nouvelle puisque de nombreux grands scientifiques furent autopsiés, tant pour saisir les causes de leur mort que pour contempler l’instrument de leur intelligence. Ce fut le cas de George Cuvier en 1832 décédé d’une pathologie qui reste inconnue lors d’une épidémie de choléra46. Le médecin Dupuytren (1777-1835) légua en 1835 son corps à ses collègues, bien avant la loi de 1887. Dans une période où les réglementations relatives aux dissections, qui se voient confinées aux lieux d’enseignement, et aux autopsies, sont débattues, cette donation avait pour but de désarmer les réticences47. L’annonce de la création de la Société d’autopsie mutuelle en 1876 constitue sans doute le point d’acmé visant à élaborer un système idéal de collecte48. Sur les vingt membres fondateurs de la Société, dix-sept étaient également membres de la SAP. Même si son ampleur et l’efficience de sa capacité de collecte restent à approfondir, elle est révélatrice des débats idéologiques et politiques de la fin du xixe siècle en France et surtout à Paris. Dans les statuts de la Société, les membres s’engagent au testament suivant :

  • 49 Les statuts de l’association sont publiés dans L’Homme. Journal illustré des sciences anthropologi (...)

Je soussigné, désire et veux qu’après ma mort il soit procédé à mon autopsie, afin que la découverte des vices de conformation ou des maladies héréditaires à laquelle elle pourrait donner lieu puisse servir de guide dans l’emploi des moyens propres à en combattre le développement chez mes descendants. Je désire en outre que mon corps soit utilisé au profit de l’idée scientifique que j’ai poursuivie pendant ma vie. Dans ce but je lègue mon cadavre, et notamment mon cerveau et mon crâne, au laboratoire d’anthropologie, où il sera utilisé de la façon qui semblera convenable, sans que qui que ce soit puisse faire opposition à l’exécution de ces clauses, qui sont ma volonté expresse, spontanément exprimée ici. Les parties de mon cadavre qui ne seront pas utilisées seront inhumées de la façon suivante :...49

  • 50 Wartelle (Jean-Claude), « La Société d’anthropologie de Paris de 1859 à 1920 », Revue d’Histoire d (...)
  • 51 Paul Topinard était inscrit parmi les signataires de la Société d’Autopsie mutuelle, mais il expli (...)

31La collecte de corps de personnes dont les qualités, le tempérament et les habitudes sont connus a une visée prophylactique. L’ordre corporel, surtout cérébral, et l’ordre moral allant de pair, la science est une panacée au service des progrès sociétaux. Par ailleurs, comme le signale alors l’anthropologue Charles Letourneau (1831-1902), faire don de son corps dans les années 1880 requérait un esprit « affranchi de tout servage religieux et métaphysique », prêt à « braver les préjugés en vue d’un intérêt supérieur »50. La pratique de l’autopsie va de pair avec le vif débat du choix de l’enterrement civil ou religieux, abouti dans la loi du 15 novembre 1887, elle-même voté notamment par les députés Gabriel de Mortillet (1821-1898), archéologue et préhistorien, et Yves Guyot (1843-1928), journaliste politique. Il s’agit d’autant de prémices à la reconnaissance de la crémation (loi de 1889) puis à la loi de séparation des églises et de l’État de 1905. Toutefois, la ferveur de l’objectif politique fut contestée, notamment par le secrétaire de la SAP Paul Topinard (1830-1911) qui refusa de signer le testament51. Quant au général Faidherbe (1818-1889), adhérent de la SAP en 1867 et président en 1874, il indiqua dans son testament sa volonté expresse de voir son cerveau et son crâne légués au Laboratoire d’anthropologie. Elle ne fut finalement pas respectée pour cause de funérailles nationales.

Le Général Faidherbe
Portrait d’une figure importante de la IIIe république, membre de la Société d’autopsie mutuelle et de la SAP. Gravure extraite de la Revue Diplomatique Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

  • 52 Voir notamment la collecte des corps des guillotinés par le domaine médical dans Carol (Anne), Phy (...)

32Nous voyons donc que les collectes parisiennes de l’instant propice sont inféodées au réseau médical et doivent composer avec les réglementations et parfois le politique, voire les valeurs du marché même lorsqu’il s’agit de compensation financière. Ce réseau est parfois étroitement lié au système carcéral et judiciaire52. Cela dit, que le cadavre soit celui d’un indigent, d’un détenu ou d’un « exotique », le prélèvement était soumis à l’exigence juridique de l’expression du consentement familial, impératif croissant à la fin du XIXe siècle. Au terme de ce parcours, nous pouvons nous demander si la collecte des corps exotiques réalisée à l’étranger, dans un contexte colonial, suit les configurations normatives développées en métropole. Pour ouvrir la réflexion, l’exemple des collections néo-calédoniennes et néo-hébridaises, selon la formulation de l’époque, nous servira de contrepoint.

GÉRER L’INSTANT PROPICE HORS DE LA FRANCE : LE CAS DE COLLECTES NÉO-CALÉDONIENNES ET NÉO-HÉBRIDAISES

  • 53 Knoblauch (Ferdinand), Caporn (Brigitte), Foucher (Émile), Mathieu (Adolphe) & Boutin (Félix), Six (...)
  • 54 Les expéditions militaires continentales d’Algérie (1839-1842) et du Mexique (1865-1867) associère (...)
  • 55 Émile Deplanches fut en poste en Nouvelle Calédonie de 1856 à 1859 puis de 1861 à 1866.
  • 56 Eudes-Deslongchamps (Eugène), Annuaire du Musée d’histoire naturelle de Caen, 1er volume, Paris : (...)
  • 57 Broca (Paul), Instructions générales pour les recherches anthropologiques (anatomie et physiologie (...)
  • 58 Victor Henri de Rochas, chirurgien de 2e classe affecté sur l’aviso Styx, séjourne dans le Pacifiq (...)
  • 59 « Objets offerts à la Société », Bulletins de la SAP, janvier 1861, p. 3.

33Les premières collectes quantitativement représentatives en provenance de Nouvelle-Calédonie et à destination du Muséum datent des années 1860 environ. Elles furent réalisées par deux médecins de la marine, Adolphe Bourgarel (1832-1878) et Émile Deplanches (1824-1874), notamment lors d’une mission scientifique commandée par le gouverneur en 1859. Sollicitant géologie, topographie, histoire naturelle et botanique, elle progressa parallèlement à l’avancée du corps expéditionnaire qui devait mater la révolte kanak initiée deux ans plus tôt53, lors des premières campagnes de guerre de colonisation de l’île. Ce dispositif fait se côtoyer troupes coloniales et mission scientifique, tâches de répression, de protection et récolte de données ou de matériaux54. Les conditions de la collecte restent assez floues. Desplanches rassembla pendant près de dix ans55 plus de deux cents crânes de toutes les parties de l’île mais aussi une série conséquente d’oiseaux, de mollusques, de plantes et d’objets ethnographiques56. Ses collectes s’inscrivent plus largement dans la tradition naturaliste des médecins de la marine. Dans de plus rares cas, les conflits intertribaux sont mentionnés par les récoltants comme une occasion à saisir. Broca le stipule également dans ses instructions aux voyageurs : « On peut quelquefois disposer d’un ou plusieurs cadavres, soit après un combat contre les naturels, soit dans certains ports de mer où il y a des hôpitaux pour les indigènes »57. Cela nécessite des compositions avec les natifs vainqueurs, d’autant que l’anthropophagie et la conservation des têtes ennemies étaient alors pratiquées. En témoigne cette collecte du crâne d’un habitant de l’île Sandwich des Nouvelles-Hébrides par le médecin de la marine et correspondant national de la SAP, Victor de Rochas58 (1830-1878) en 1859. Il fut recueilli lors d’un combat intertribal, une descente à main armée des Néo-hébridais en Nouvelle-Calédonie qui laissa plusieurs morts : « M. Rochas accourut promptement et obtint des chefs vainqueurs deux des crânes des vaincus. C’est l’un de ces crânes qu’il offre aujourd’hui à la Société »59. Empressement et promptitude constituent les qualités de l’acteur de l’instant propice. Quant aux contenus des négociations, ils restent bien souvent opaques dans les écrits scientifiques, même si l’on peut supposer des échanges en nature, voire financiers ou des actes d’allégeance.

  • 60 Anonyme [Professeurs-administrateurs du Muséum], Instructions pour MM. les Officiers de la Marine (...)
  • 61 Lesson (Pierre Adolphe), « Vanikoro et ses habitants », La Revue d’Anthropologie, 1876, pp. 261-26 (...)
  • 62 Récit narré par Hamy d’après les notes de Gaimard dans Lesson (Pierre Adolphe), « Vanikoro et ses (...)
  • 63 Mohen (Jean-Pierre), Les rites de l’au-delà, Paris : Odile Jacob, 1995, 329 p., ill.
  • 64 Douglas (Bronwen), « Confronting “hybrids” in Océania. Experience, materiality and the science of (...)
  • 65 Je renvoie aux importants travaux de Shineberg (Dorothy), The people trade : Pacific Island Labore (...)
  • 66 Courmeaux (Henri), Rapport de Mission en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides, daté du 15 (...)
  • 67 Pour de plus amples précisions, voir chapitre intitulé « Des corps disponibles hors de l’histoire (...)

34Alors que les précédentes instructions aux voyageurs du Muséum ne spécifiaient aucunes données précises de collecte en Océanie, celles de 1882 explicitent clairement les manques à pourvoir : « En ce qui concerne l’Océanie, nous appelons plus particulièrement l’attention sur les collections à faire aux Nouvelles-Hébrides, et dans les autres archipels mélanésiens qui fournissent des travailleurs libres à la Nouvelle-Calédonie. Les pièces de la Polynésie occidentale sont aussi fort clairsemées.60 » La tâche n’est pas facile. Déjà durant le voyage de circumnavigation de Dumont d’Urville, en 1828, le médecin de la marine Jean René Quoy (1790-1869) qui, pour ses observations de physiologie, désirait vivement acquérir des crânes observés dans la maison des esprits à Manevaï rencontra la résistance des autochtones. En effet, « toutes les propositions qu’il a pu faire aux naturels n’ont pu les amener à se défaire de ces précieuses reliques.61 » De la même façon, Joseph Paul Gaimard (1793-1858) explique que lors de ce voyage, espionné sans cesse, suivi partout, il ne pût s’emparer d’aucune dépouille issue de lieux consacrés, pas même deux têtes « comme jetées par terre sans aucun soin » près du temple des esprits62. Il faut dire que Gaimard était aussi à la recherche des restes des marins de l’expédition de Lapérouse, disparus en 1788. Par son désir de soustraire aux habitants de Vanikoro les dépouilles des ennemis et celles des ancêtres, il interférait dans le respect du culte des crânes, courant en Océanie63. En 1876, Pierre Adolphe Lesson (1805-1888) fait donc le constat que sur les 3 300 crânes humains présents au musée de l’Institut d’anthropologie, les rares pièces océaniennes ne contiennent aucun crâne de Vanikoro. Le même constat est fait au Muséum. Les questionnements des anthropologues sont multiples et portent tant sur l’origine du peuplement des îles néo-hébridaises que sur les typologies raciales des habitants, les éventuelles hybridations64, modalités de déformations crâniennes ou rites funéraires. Répondant à la demande des scientifiques et aux difficultés du terrain, la collecte de corps néo-hébridais du médecin de marine Samuel Ponty (1835-1910) fait preuve d’exemplarité. En effet, elle délocalise le prélèvement en Nouvelle-Calédonie, là où les dépouilles sont en rupture avec le réseau familial, là où les résistances s’avèrent inaudibles ou inexistantes. La carrière du médecin le mène tour à tour à l’hôpital militaire de Nouméa au service des blessés (1876-1878) puis comme responsable du service de l’immigration (1880-1883 ; 1884-1888). L’envoi de squelettes et surtout de têtes conservées dans l’alcool fut intense entre 1878 et 1882. Ses responsabilités l’impliquent directement dans le contrôle sanitaire du commerce et l’importation de la main d’œuvre néo-hébridaise développés à partir de 1865, avec l’aval du premier gouverneur Charles Guillain (1808-1875). Cette émigration fut jugée nécessaire au développement économique et pénitentiaire de l’île65. Cependant, en dépit de mesures réglementaires durcies dès 1875, ce marché est reconnu comme suspect d’un point de vue de la moralité. Outre des engagements forcés, les conditions de vie sont déplorables. Sur les 5 148 travailleurs engagés entre 1874 et 1882, âgés à leur arrivée entre 18 et 20 ans, près de 24 % décédèrent en Nouvelle-Calédonie66. Au regard du coût de l’hospitalisation à la charge de l’employeur, l’hôpital n’est pas une destination privilégiée. Ce sont pourtant principalement les hommes néo-hébridais décédés dans cet établissement de soin qui furent collectés par Ponty et dont l’âge variait entre 14 et 22 ans67. D’ailleurs, il est intéressant de noter que les instructions anthropologiques du Muséum de 1882 visent spécifiquement les officiers de la marine et plus particulièrement les médecins militaires, et non plus les voyageurs naturalistes et âmes de bonne volonté des précédentes instructions. Parmi les circonstances de récolte envisagées, l’hôpital militaire a une place de choix :

  • 68 Anonyme [Professeurs-administrateurs du Muséum], Instructions pour MM. les Officiers de la Marine… (...)

Les squelettes bien entiers sont surtout précieux à recueillir, mais ce n’est guère que dans les hôpitaux et les amphithéâtres qu’il est possible de les obtenir. Les squelettes que l’on rencontre dans les fouilles d’anciens cimetières sont le plus souvent altérés […]. S’il s’agit de sépultures anciennes ethnographiquement bien caractérisées, les moindres os seront recueillis avec le plus grand soin.68

Buste d’un Néo-hébridais Moulage de la collection Ponty. Collection des moulages anthropologiques du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris Cliché collection d’Anthropologie biologique, MNHN.

  • 69 Lettre à Armand de Quatrefages, décembre 1882, Archives du Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

35Au regard de la médiocrité des pièces récoltées dans un contexte funéraire ou de l’impossibilité de se les procurer sur le terrain, l’hôpital militaire devint le lieu idéal de collecte. Le médecin Ponty exploita cette possibilité en tentant de gérer les contraintes matérielles de leur préparation : « La boite en bois qui nous sert encore d’amphithéâtre, de morgue, de dépôt de cercueil est si étroite en ses dimensions que mes macérations se dissimulent et se font petites dans les coins.69 » Par l’envoi de têtes décollées conservées dans l’alcool, Ponty palie aux difficultés de réaliser des préparations osseuses, dégagées de toute matière molle et permet aussi au scientifique d’en effectuer ultérieurement un moulage. La raréfaction des envois après 1882 coïncide avec la suspension de cette immigration, jugée humainement indigne, qui sous les pressions économiques reprendra cependant en 1885. L’exemplarité de la collecte de Ponty réside donc dans la conjonction des trois points de la « collecte idéale ».

  • 70 Entre 1880 et 1881, Cailliot recueille des chevelures, des crânes néo-calédoniens de Bouloupari, d (...)

36Tout d’abord, elle répond à une demande scientifique. Ponty entretenait des échanges épistolaires réguliers avec Quatrefages et Hamy qui lui communiquaient leurs vœux. Par ailleurs, les statuts et fonctions du collecteur permettent de légitimer le prélèvement tout comme sa proximité avec les corps d’intérêt. Ainsi, de par ses responsabilités, le médecin Ponty côtoyait les immigrés et leur éventuelle dépouille. Le décès à l’hôpital, de surcroît militaire caractérisé par son confinement, facilitait le prélèvement pour la science. Enfin, l’exemplarité de la collecte doit prendre en compte la disponibilité sociale du corps prélevé. Celle-ci relève de la configuration des liens sociaux, des rapports de force présents à un moment donné. C’est le cas de ces immigrés, corps en exil et en rupture d’attache familiale. Il en sera de même des corps néo-calédoniens collectés en milieu pénitentiaire sur la Grande île, comme l’illustrent les collections d’Émile Cailliot (1842-1891)70.

37Finalement, si les corps des condamnés étaient aussi attrayants qu’à Paris, les dispositions quant à leur prélèvement dans les bagnes à des buts scientifiques étaient bien moins contraignantes. La mesure du consentement familial n’apparaît pas en milieu carcéral, ni d’ailleurs hospitalier. Les régulations sociales semblent moindres. Cela dit, s’agit-il d’un réel déni du consentement familial ou d’une impossibilité de l’appliquer suite à l’isolement des individus, entretenu par le rapport colonial ? Déjà dans les hôpitaux parisiens peuplés d’indigents, le déséquilibre social et culturel entre les médecins et les familles laissait à celles-ci la seule possibilité de protester mais parfois trop tard. La tension se faisait d’autant plus forte quand les familles étaient sans ressource et ne pouvaient payer les soins ou les funérailles. Ce déséquilibre paraît exacerbé en outre-mer. Il l’est d’autant plus quand la récolte concerne des trophées militaires saisis par le politique lors de mouvements de pacification. Les têtes du chef kanak Ataï et de son compagnon, « le sorcier », constituent des exemples célèbres en rapport avec l’insurrection kanak de 1878.

  • 71 « Os recueillis dans un cimetière canaque près la Dumbéa à 20 kilomètres - Nord de Nouméa », Courr (...)

38La question de la disparité sociale se manifeste aussi au sujet de l’acceptation d’exhumation de restes humains récents. Ponty recueillit des pièces osseuses « de locaux » dans un site funéraire71. Ces pratiques attestées furent reconnues comme une des causes du soulèvement de 1878. Le rapport de l’inspecteur général Edgar Trentinian (1851-1942), missionné par le Ministre de la Marine, dénonce ces faits :

  • 72 Le rapport du général Trentinian « sur les causes de l’insurrection canaque de 1878 » se trouve en (...)

Les indigènes ont un profond respect pour les cimetières qui renferment les corps de leurs ancêtres ; on s’occupe peu de ce sentiment qu’on retrouve pourtant chez tous les peuples. Un M. Lecart dont le nom revient souvent et contre lequel il a paru urgent, heureusement, de faire enquête judiciaire, ne respecte même pas le lieu de sépulture de la famille du chef Ataï qui nous a toujours été hostile […] Il y fait exécuter des fouilles par des condamnés qui lui sont dévoués, par le nommé Pottier entre autres, […] il y prend des têtes de mort, des haches en serpentine, des tabous ou fétiches en bois sculptés qui sont envoyés à Paris […] Cette violation de sépulture de la tribu d’un des plus grands chefs n’est-elle pas venue ajouter un appoint à tous les griefs que les indigènes avaient déjà contre nous […] non seulement leurs terres étaient prises en grande partie, leurs cultures étaient ravagées, mais les ossements des leurs étaient jetés au vent.72

39Or, en cette même période, de tels prélèvements s’avèrent être inconcevables en métropole, même pour le corps médical. Cet extrait de courrier du chef anatomique de la faculté de médecine au préfet l’atteste :

  • 73 Lettre de Breschet, chef des travaux anatomiques au préfet de police, 1823, AJ/16/6360, Archives d (...)

Autrefois les amphithéâtres particuliers situés dans des rues voisines de la Faculté de médecine ou des hôpitaux se procuraient des sujets dans les cimetières se trouvant encore dans l’intérieur de Paris mais aujourd’hui tous ces cimetières sont hors les murs. Seraient-ils encore dans l’enceinte de la ville, nous ne pouvons croire que l’administration surveillante et paternelle qui nous gouverne souffrirait la violation du dernier asile de notre enveloppe matérielle. C’est ici que la morale s’opposerait à cette violation.73

  • 74 Oliveau (Dr.), « Quelques observations personnelles sur l’ethnographie et l’anthropologie des Nouv (...)

40La construction de ce qui est tolérable ou non est intimement liée au politique. La liberté de saisie, par delà les rapports de domination, implique les modes de gouvernance locale des corps et des âmes où interviennent aussi les autochtones. Quelques exemples de coopération commerciale dans la récolte de restes humains en Nouvelle-Calédonie émergent des écrits anthropologiques ou de voyageurs. Ainsi en témoigne le docteur Oliveau, médecin de la marine envoyé par la SAP au début du xxe siècle : « Le Canaque croit à la vie future d’une âme, sans avoir de respect pour le corps des morts […]. Il advient qu’on laisse les corps arriver à l’état de squelette, ou bien ces squelettes sont des objets auxquels le Canaque n’attache d’importance que s’il peut en tirer un profit en les vendant aux Européens, autrefois à vil prix, aujourd’hui beaucoup plus cher.74 » Entre indifférence et objet de gain, le médecin est plutôt critique sur pareil traitement corporel dont il se sent indirectement lésé. Cependant, bien que ces témoignages de collaboration soient plutôt exceptionnels, ceci ne prouve pas la rareté des pratiques tant les données sur les conditions de collecte s’avèrent opaques et peu transmises. Finalement, à l’exception d’un appât du gain, ils n’éclairent pas les réels enjeux pour les locaux, ni d’ailleurs, les conditions exactes de la transaction sur le terrain.

  • 75 Je reprends la formule de Daugeron, Daugeron (Bertrand), Collections naturalistes : entre science (...)

41Nous tenterons dans cette conclusion de mettre en avant quelques faits marquants d’une mise en perspective des collectes parisiennes et néo-calédoniennes de restes humains à destination du Muséum ou de la SAP. Le réseau parisien est essentiellement greffé sur le réseau médical avec lequel il compose. Il est soumis aux évolutions des contraintes réglementaires relatives à la disponibilité sociale et gestion des cadavres. En ce qui concerne les collections néo-calédoniennes ou néo-hébridaises, ce réseau utilise tout d’abord les naturalistes ou médecin-naturalistes présents lors des grands voyages de découverte au début du xixe siècle, puis les médecins militaires des missions « militaro-scientifiques »75 vers les années 1860. Enfin, à partir de 1870, la collecte se fera surtout par le réseau des médecins militaires œuvrant à l’hôpital de Nouméa ou dans les pénitenciers. Si à Paris une codification du prélèvement « idéal » est mise en place à partir des années 1870 et se normalise dans les écrits scientifiques, notamment ceux de la SAP, la référence à l’abandon familial du corps ainsi qu’à sa mise à disposition par un confrère sont absents dans le cas océanien. Il en est de même pour la notion de liberté funéraire ou éventuel don du corps.

42Cependant nous pouvons nous demander si l’accent porté sur l’hôpital maritime ou colonial à la fin du xixe comme lieu privilégié de prélèvement, en dehors d’une certaine efficacité pragmatique visée, ne constitue pas une certaine transcription a minima de cette codification, appliquée ici au monde colonial.

  • 76 « Comme vous me l’aviez demandé je fais la chasse au fœtus, objet rare. Je crois me rappeler que v (...)

43En revanche, certaines pièces rares dans un contexte hospitalier militaire, telles les fœtus ou les crânes surmodelés font l’objet d’une attention particulière de chaque instant. Cette posture nécessite anticipation et réactivité et est, comme le précise Ponty, digne d’une chasse à l’affût76. Par ailleurs, s’il existe en métropole des compensations financières d’obtention des corps à la famille dont la valeur financière est basée sur celle du marché, celles-ci sont rarement abordées lors des négociations avec les autochtones et semblent d’une autre nature. En définitive, la compréhension de la culture de l’instant propice complexifie la connaissance des processus de collecte. Au-delà d’une approche comparative sans doute plus large des contextes géographiques, elle ne prendra réellement sens qu’en pensant ensemble les logiques de prélèvement en métropole et celles dans les colonies, selon un même cadre conceptuel. C’est à cette condition que nous pourrons mieux saisir et complexifier l’héritage colonial présent dans les collections anthropologiques du Muséum.

Notes

1 Cuvier (Georges), « Note instructive sur les recherches à faire relativement aux différences anatomiques des diverses races d’Hommes », réédité in Copans (Jean) & Jamin (Jean), Aux origines de l’Anthropologie française. Les mémoires de la Société des observateurs de l’Homme en l’an VIII [textes publiés et présentés par Copans Jean & Jamin Jean ; préf. de Faivre Jean-Paul], Paris : Le Sycomore, 1978, pp. 172-176 (Les hommes et leurs signes).

2 « Les hommes eux-mêmes rassemblés vivants, seraient sans doute les meilleurs matériaux pour une comparaison exacte des diverses variétés de l’espèce humaine ; mais sans parler des difficultés insurmontables d’une réunion de cette nature, il ne nous est pas permis, même lorsque nous le pourrions, de sacrifier le bonheur, ni même de violer les volontés de nos semblables pour satisfaire une simple curiosité philosophique », ibid.

3 [Anonyme], Instruction pour les voyageurs et pour les employés dans les colonies : sur la manière de recueillir, de conserver et d’envoyer les objets d’histoire naturelle ; rédigée sur l’invitation de son excellence le ministre de la marine et des colonies, par l’administration du Muséum Royal d’Histoire Naturelle, 3e éd., Paris : Impr. A. Belin, 1829, p. 4.

4 « Ces matériaux sont d’une nature telle qu’il est impossible de se les procurer au moment où l’on en a besoin », Copies de divers rapports de Paul Broca, BIUM, Ms no 5454.

5 Serres (Étienne), « Rapport sur les résultats scientifiques du voyage de circumnavigation de l’Astrolabe et de la Zélée - première partie - Anthropologie », Compte rendu des séances de l’Académie des Sciences, séance du lundi 27 septembre 1841, t. 13, p. 644.

6 Ibid, p. 658, je souligne.

7 Cuvier (Georges), « Note instructive… », op. cit., p. 175.

8 Blanckaert (Claude), « Le manuel opératoire de la raciologie. Les instructions aux voyageurs de la Société d’Anthropologie de Paris (1860-1885) », in Blanckaert (Claude) (sous la dir.), Le terrain des sciences humaines : instructions et enquêtes, xviiie- xxe siècles, Paris : L’Harmattan, 1996, pp. 139-173 (Histoire des sciences humaines) ; Dias (Nélia), « Séries de crânes et armées de squelettes : les collections anthropologiques en France dans la seconde moitié du xixe siècle », Bulletins et Mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, nelle série, t. 1, no 3-4, 1989, pp. 209-210 ; Quigley (Christine), Skulls and skeletons, human bone collections and accumulations, Londres : Mc Farland & Company, Inc. Publishers, 2001, pp. 99-154.

9 Extrait du journal du 8 septembre 1838 du Dr Eugène Robert, lettre à Quatrefages datant de 1865, Archives du Laboratoire d’anthropologie, MNHN.

10 J’appliquerai dans ce travail la définition qu’en livre Didier Fassin dans ses travaux : « on considérera l’économie morale comme la production, la répartition, la circulation et l’utilisation des émotions et des valeurs, des normes et des obligations dans l’espace social », Fassin (Didier), « Vers une théorie des économies morales », in Fassin (Didier) & Eideliman (Jean-Sébastien) (sous la dir.), Économies morales contemporaines, Paris : La Découverte, 2012, p. 37 (Recherches).

11 Froment (Alain) & Mennecier (Philippe), « Les collections de restes humains : archives de l’humanité », in Daugeron (Bertrand) & Le Goff (Armelle) (sous la dir.), Penser, classer, administrer : pour une histoire croisée des collections scientifiques, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle ; CTHS, 2014, p. 319 (Archives ; 18).

12 L’anthropologue René Verneau en charge de la chaire d’anthropologie se questionne sur leur place sans doute « mieux adapté dans un musée spécial » mais cependant conçoit que « l’étude comparée des caractères pathologiques dans les différentes races humaines rentrent tout à fait dans le cadre de l’anthropologie », Verneau (René), « Les nouvelles galeries du Muséum. La galerie d’Anthropologie », L’Anthropologie, t. IX, 1898, p. 331.

13 Archives de l’AP-HP, 90 FOSS1.

14 Broca (Paul), « Sur un cas excessif de microcéphalie », Bulletins de la SAP, vol. 11, 1876, pp. 85-92.

15 Broca (Paul), « Sur la déformation toulousaine du crâne », Bulletins de la SAP, vol. 6, 1871, pp. 103-104.

16 Latour (Bruno), « Factures/fractures : de la notion de réseau à celle d’attachement », in Micoud (André) & Peroni (Michel) (sous la dir.), Ce qui nous relie, La Tour d’Aigues : Éditions de l’Aube, 2000, pp. 189-208.

17 Voir Archives nationales, fond « Anatomistes » du jardin du Roi : AJ/15/09 ; le bel article d’Hamy (Ernest Théodore), « Recherches sur les origines de l’enseignement de l’Anatomie humaine et de l’Anthropologie au jardin des plantes », Nouvelles Archives du Muséum, 3e série, t. VII, 1895, pp. 1-22.

18 Déclaration du Roi pour faire continuer les exercices au Jardin Royal des Plantes, registrée au Parlement et Chambre des comptes, le 23 mars 1673, Paris : R. Léonard, 1673, br. in-8° de 4 p. cité par Hamy (Ernest Théodore), « Recherches sur les origines de l’enseignement… », art. cit., p. 15.

19 Lettre du préfet de police Léon Renault au doyen de la Faculté de médecine de Paris, 16 mars 1873, AJ/16/6360, Archives de la Faculté de médecine de Paris, Archives nationales.

20 Patin (Christelle), « Les vies pots-mortem de Sarrtjie Baartman : muséologie et économies morales », in Blanckaert (Claude) (sous la dir.), La Vénus hottentote entre Barnum et Muséum, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 2013, pp. 73-91 (Archives ; 17).

21 « Création d’un institut anthropologique », Bulletins de la SAP, vol. 10, 1875, pp. 405-406.

22 « La fondation du Laboratoire d’Anthropologie », Bulletins de la SAP, vol. 4, 1869, pp. 99-100.

23 L’hôpital de la Pitié jouxtait le Jardin des plantes au niveau de la rue du Jardin-du-Roi (au sud de celui-ci), actuelle rue Geoffroy-Saint-Hilaire. En 1911, il fut déplacé près de l’hôpital de la Salpêtrière.

24 Patin (Christelle), « Les vies pots-mortem de Sarrtjie Baartman… », op. cit., pp. 81-82.

25 Étienne Serres quitte la chaire d’histoire naturelle de l’Homme en 1855, remplacé par Armand de Quatrefages, pour la chaire d’anatomie comparée de 1855 à sa mort en 1868.

26 Archives nationales, PV de l’assemblée des professeurs du 24 décembre 1867-F/17/3884.

27 Voir les nombreux rapports de Serres conservés aux archives de l’AP-HP.

28 Étisie : phthisie, maladie qui dessèche et consume le corps (Dictionnaire de l’Académie française, 1835).

29 Broca (Paul), « Sur un microcéphale âgé de deux ans et demi. Anomalies viscérales régressives », Bulletins de la SAP, 1880, vol. 3, pp. 387-389.

30 D’après les données annuelles de la Vie de la Société éditées dans les Bulletins de la SAP.

31 Copies de divers rapports de Paul Broca, BIUM, Ms no 5454.

32 Broca (Paul), « Sur le buste d’une jeune fille zoulou », Bulletins de la SAP, vol. 3, 3e série, t. 3, 1880, pp. 227-232.

33 En 1866, Broca offre un fragment de peau « d’une négresse morte à la salpêtrière dans le service de M. Baillarger ». Il regrette que le corps soit tombé dans un état de décomposition avancé avec la chaleur des derniers jours et que le squelette n’ait pu être préparé pour la société. Seul le cerveau fut extrait, momifié et conservé dans le musée. Des préparations de peau et de poils furent aussi réalisées. Bulletins de la SAP, vol. 1, 1866, pp. 506-511.

34 Chudzinski (Théophile), « Contribution anthropologique à l’anatomie du nègre », La Revue d’anthropologie, 1873, pp. 398-415. L’étude comparative porte sur l’anatomie du système musculaire d’un « nègre » de Guadeloupe et d’une « négresse » d’Angola, morts tous les deux dans le service de Broca à l’hôpital des cliniques, respectivement en 1872 et 1873. Le corps de la femme avait été réclamé.

35 Carol (Anne), Les médecins et la mort, xixe- xxe siècle, Paris : Éditions Aubier, 2004, pp. 256-261 (Collection historique).

36 Voir Rivet (France), Sur les traces d’Abraham Ulrikab : les événements de 1880-1881, Gatineau (Québec) : Horizons polaires, 2014, pp. 239-256.

37 Daszkiewicz (Piotr), « La maison Verreaux au xixe siècle à Paris, plaque tournante des collections naturalistes mondiales », in Sauvages dans la ville. De l’inventaire naturaliste à l’écologie urbaine, no spécial du Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, vol. 39, no 2, 1997, pp. 111-129.

38 Archives nationales, Fonds du Muséum national d’Histoire naturelle, AJ/15/136-140, PV du 17 septembre 1844.

39 « M. le professeur d’Anatomie humaine [il s’agit ici d’Etienne Serres] propose d’allouer aux parents de la double fille morte il y a deux jours à Paris une somme de 100 francs prise sur la réserve de 1846 », Archives nationales, Fonds du Muséum national d’Histoire naturelle, AJ/15/141-143, PV de l’assemblée des professeurs du 30 décembre 1845.

40 Archives du Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

41 Laboratoire d’anthropologie, MNHN.

42 Carnets personnels d’Émile Honoré Destelle, sous lieutenant au 2e régiment d’infanterie de marine, chargé de la garde du camp des déportés de la presqu’île Ducos, 1878-1879, p. 152. http://site.destelle.free.fr/Ducos/index.html

43 Py (Christiane) & Vidart (Cécile), « Les musées d’anatomie sur les champs de foire », Actes de la recherche en sciences sociales, no 60, 1985, pp. 3-10.

44 Esquerre (Arnaud), Les os, les cendres et l’État, Paris : Fayard, 2011, 336 p. (Histoire de la pensée).

45 Van Praët (Michel), « Saartjie Baartman : une restitution témoin d’un contexte muséal en évolution », in Blanckaert (Claude) (sous la dir.), La Vénus hottentote entre Barnum et Muséum, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 2013, pp. 367-385 (Archives ; 17).

46 Taquet (Philippe), « Les corps de Sarah Baartman et de Georges Cuvier sous le regard de la science du dixneuvième siècle », in Blanckaert (Claude) (sous la dir.), op. cit, pp. 169-193.

47 Carol (Anne), Les médecins et la mort…, op. cit., pp. 255-264.

48 Dias (Nélia), « La société d’autopsie mutuelle ou le dévouement absolu aux progrès de l’anthropologie », Gradhiva, vol. 10, 1991, pp. 26-36.

49 Les statuts de l’association sont publiés dans L’Homme. Journal illustré des sciences anthropologiques, vol. 1, 1884, pp. 115-118.

50 Wartelle (Jean-Claude), « La Société d’anthropologie de Paris de 1859 à 1920 », Revue d’Histoire des sciences humaines, 2004/1, no 10, pp. 125-171.

51 Paul Topinard était inscrit parmi les signataires de la Société d’Autopsie mutuelle, mais il expliqua ultérieurement qu’il ne l’avait fait qu’avec réticence : « La proposition en fut faite par Coudereau. Notre but, dit-il, est de procurer au Laboratoire de Broca des cerveaux d’hommes plus intelligents que ceux qu’on a généralement dans les hôpitaux. Mais il est évident qu’il y avait un second objectif, celui de s’élever contre l’une des croyances les plus respectables de la société : le respect des morts. Je ne pouvais que me rallier au premier mais le second ne m’allait pas », Topinard (Paul), À la mémoire de Paul Broca : La Société, l’École, le Laboratoire et le Musée Broca, [Paris] : [Typ. G. Chamerot], 1890, p. 15.

52 Voir notamment la collecte des corps des guillotinés par le domaine médical dans Carol (Anne), Physiologie de la veuve, une histoire médicale de la guillotine, Seyssel : Champ Vallon, 2012, 314 p. (Chose publique) ainsi que les travaux sur la criminologie de Renneville (Marc), « L’anthropologie du criminel en France », Criminologie, vol. XXVII, septembre 1994, no 2, pp. 185-209 ou « Alexandre Lacassagne : Un médecin-anthropologue face à la criminalité (1843-1924) », Gradhiva, 1995, no 17, pp. 127-140.

53 Knoblauch (Ferdinand), Caporn (Brigitte), Foucher (Émile), Mathieu (Adolphe) & Boutin (Félix), Six textes anciens sur la Nouvelle-Calédonie - 1853-1862, Nouméa : Sociétés d’Études historiques de la Nouvelle-Calédonie, 1988, 422 p. (Publications de la Société d’études historiques de la Nouvelle-Calédonie ; 42).

54 Les expéditions militaires continentales d’Algérie (1839-1842) et du Mexique (1865-1867) associèrent aussi une expédition scientifique multidisciplinaire, Broc (Numa), « Les grandes missions scientifiques françaises au xixe siècle (Morée, Algérie, Mexique) et leurs travaux géologiques », Revue d’histoire des sciences, 1981, vol. 34, no 3-4, pp. 319-358.

55 Émile Deplanches fut en poste en Nouvelle Calédonie de 1856 à 1859 puis de 1861 à 1866.

56 Eudes-Deslongchamps (Eugène), Annuaire du Musée d’histoire naturelle de Caen, 1er volume, Paris : Savy, 1880, pp. XI-XII. Le Muséum reçut 95 crânes de la collection.

57 Broca (Paul), Instructions générales pour les recherches anthropologiques (anatomie et physiologie) [avec la contribution de la Société d’anthropologie de Paris], Paris : Victor Masson & fils, 1865, pp. 10-11.

58 Victor Henri de Rochas, chirurgien de 2e classe affecté sur l’aviso Styx, séjourne dans le Pacifique et sur les côtes de la Nouvelle-Calédonie entre 1856 et 1859. De retour en 1860, sa thèse de doctorat consiste en un Essai sur la topographie hygiénique et médicale de la Nouvelle-Calédonie. Il démissionne en 1863 pour raison de santé (Brisou (Bernard) & Sardet (Michel) (sous la dir.), Dictionnaire des médecins, chirurgiens et pharmaciens de la marine [avec la collab. de Mounier-Kuhn Alain], Vincennes : Service historique de la défense, 2010, pp. 697-698).

59 « Objets offerts à la Société », Bulletins de la SAP, janvier 1861, p. 3.

60 Anonyme [Professeurs-administrateurs du Muséum], Instructions pour MM. les Officiers de la Marine qui voudraient faire des collections d’Histoire naturelle destinées au Muséum de Paris, Paris : Berger-Levrault & Cie, 1882, p. 9.

61 Lesson (Pierre Adolphe), « Vanikoro et ses habitants », La Revue d’Anthropologie, 1876, pp. 261-262.

62 Récit narré par Hamy d’après les notes de Gaimard dans Lesson (Pierre Adolphe), « Vanikoro et ses habitants », art. cit.

63 Mohen (Jean-Pierre), Les rites de l’au-delà, Paris : Odile Jacob, 1995, 329 p., ill.

64 Douglas (Bronwen), « Confronting “hybrids” in Océania. Experience, materiality and the science of race in France », Revue d’histoire des sciences humaines, no 27, 2015, pp. 27-63.

65 Je renvoie aux importants travaux de Shineberg (Dorothy), The people trade : Pacific Island Laborers and New Caledonia, 1865-1930, Honolulu (Hawaii) : University of Hawaï’i Press, 1999, 309 p. (Pacific islands monograph series ; 16). L’importation de travailleurs répondait à un triple constat : le développement de plantations privées de canne à sucre, café ou riz, celui des infrastructures et le besoin accru de surveillance inhérent à l’expansion des services pénitenciers à partir de 1864. Par ailleurs, les néo-hébridais étaient considérés comme des travailleurs fiables, dociles qui, depuis le xviiie siècle, avaient fait leur preuve dans les travaux du bois de santal et l’exploitation du coprah.

66 Courmeaux (Henri), Rapport de Mission en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides, daté du 15 juillet 1884, A.N.S.O.M. Carton no 180.

67 Pour de plus amples précisions, voir chapitre intitulé « Des corps disponibles hors de l’histoire coloniale ? Le cas des collections néo-calédoniennes (1875-1888) », in Patin (Christelle), Les restes humains dans les musées. Anthropologie et histoire des collections françaises ( xixe- xxie siècle), thèse de doctorat en anthropologie [Bensa Alban, dir.], Paris : EHESS, 2014, pp. 161-235.

68 Anonyme [Professeurs-administrateurs du Muséum], Instructions pour MM. les Officiers de la Marine…, op. cit., pp. 6-7.

69 Lettre à Armand de Quatrefages, décembre 1882, Archives du Laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

70 Entre 1880 et 1881, Cailliot recueille des chevelures, des crânes néo-calédoniens de Bouloupari, du camp d’Ouraï et aussi de forçats de l’île Nou d’origines diverses, complétés par 26 échantillons de peau tatouée.

71 « Os recueillis dans un cimetière canaque près la Dumbéa à 20 kilomètres - Nord de Nouméa », Courrier du 20 janvier 1878 envoyé à Quatrefages, Archives du laboratoire d’Anthropologie, MNHN.

72 Le rapport du général Trentinian « sur les causes de l’insurrection canaque de 1878 » se trouve en annexe de l’ouvrage de Dousset-Leenhardt (Roselène), Colonialisme et contradictions, Nouvelle-Calédonie 1878-1978. Les causes de l’insurrection de 1878 [1e éd. 1965], Paris : L’Harmattan, 1978, 206 p. + [4] p. de pl.

73 Lettre de Breschet, chef des travaux anatomiques au préfet de police, 1823, AJ/16/6360, Archives de la Faculté de médecine de Paris, Archives nationales.

74 Oliveau (Dr.), « Quelques observations personnelles sur l’ethnographie et l’anthropologie des Nouvelles-Hébrides », Bulletins et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, tome 2, VIe Série, 1911, séance du 2 novembre 1911, p. 341.

75 Je reprends la formule de Daugeron, Daugeron (Bertrand), Collections naturalistes : entre science et empires (1763-1804), Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 2009, pp. 403-491 (Archives ; 13).

76 « Comme vous me l’aviez demandé je fais la chasse au fœtus, objet rare. Je crois me rappeler que vous trouverez dans la caisse un fœtus à terme sans tête. Je l’ai extrait d’une indigène néo-hébridaise, naine, rachitique, haute d’un mètre. […] Père inconnu », Lettre de Ponty à Hamy, 1881.

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Caption Détail de la salle d’Anatomie pathologiqueLes squelettes de nain, géant ou de rachitique de la salle d’anatomie pathologique de la galerie d’Anthropologie (rue Buffon) constituaient des pièces de démonstration des anomalies du développement Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4356/img-1.jpg
File image/jpeg, 904k
Caption Extrait d’un rapport administratif d’Étienne SerresComptage des ensevelissements des corps disséqués dans divers lieux parisiens, de 1844 à 1851. Archives de l’AP-HP, 90 FOSS1 Cliché Christelle Patin.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4356/img-2.jpg
File image/jpeg, 511k
Caption L’École pratique de médecineLe Laboratoire d’anthropologie, géré par l’EPHE, se trouvait dans le bâtiment B de l’École pratique de médecine tout comme le Musée Broca, l’École d’anthropologie et le Musée Dupuytren. A, Dôme de l’École nationale des Arts décoratifs. B, Musée Dupuytren. C, Rue Racine. D, Pavillons de dissection. E, Cour d’entrée. F, Rue de l’École-de-Médecine. G, Laboratoires des professeurs. H, Laboratoires des travaux pratiques ; musées et collections. I, Grand amphithéâtre. J, Cour du Cloître. K, Rue Antoine Dubois. L, Rue Monsieur-le-Prince. M, emplacement de la sépulture de Marat. Gravure extraite de L’Illustration (1896) Cliché BIU Santé, Paris.
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File image/jpeg, 4,3M
Caption Étude myologiqueDessin anatomique d’Alfred Poirier d’une étude myologique du « nègre Émile Émilien » réalisée par Théophile Chudzinski. 1, A, muscle sterno-thyroïdien. B, son intersection aponévrotique. C, ses fibres superficielles. D, muscle sterno-hyoïdien. E, muscle omo-hyoïdien. 2, A, muscle sterno-thyroïdien. B, muscle sterno-hyoïdien. C, son intersection aponévrotique. D, son ventre inférieur. E, aponévrose qui réunit les deux sterno-hyoïdiens. F, muscle omo-hyoïdien. G, muscle sterno-cléido-mastoïdien. 3, A, muscle pectoraux. B, muscle deltoïde. C, muscle sterno-cléido-mastoïdien. D, ses tendons sternaux. E, tendons d’origine du muscle présternal. 4, A, muscle jumeau interne. B, muscle jumeau externe. Planche V extraite de la Revue d’Anthropologie (1873) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
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File image/jpeg, 675k
Caption Le Professeur BrouardelMédecin légiste, Paul Brouardel s’est fortement investi dans le développement et la structuration de l’hygiène publique en France, par notamment la création de la Société de Médecine publique et d’hygiène professionnelle en 1876. Photographie de Pirou publiée en une de la Gazette des hôpitaux civils et militaires du jeudi 26 juillet 1906 (tome 84, 79e année) Cliché BIU Santé, Paris.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4356/img-5.jpg
File image/jpeg, 330k
Caption Le géant Louis RenaultLe dossier scientifique et patrimonial du squelette de Louis Renault comprend, outre les échanges épistolaires, le mandat d’acquisition et un portrait du géant envoyé par son père à Armand de Quatrefages. Archives des collections d’Anthropologie, MNHN Clichés Christelle Patin.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4356/img-6.jpg
File image/jpeg, 526k
Caption Proposition de don de corpsCette proposition émane d’un officier de la marine, de son vivant en 1896. Document conservé aux Archives nationales, Paris, AJ/15/563 Cliché Christelle Patin.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4356/img-7.jpg
File image/jpeg, 716k
Caption Le Général FaidherbePortrait d’une figure importante de la IIIe république, membre de la Société d’autopsie mutuelle et de la SAP. Gravure extraite de la Revue Diplomatique Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4356/img-8.jpg
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Caption Buste d’un Néo-hébridais Moulage de la collection Ponty. Collection des moulages anthropologiques du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris Cliché collection d’Anthropologie biologique, MNHN.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/4356/img-9.jpg
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Author

Agrégée en Sciences de la Vie et de la Terre et docteure en anthropologie historique et sociale, chercheure associée au Centre Alexandre Koyré. Ses recherches, à visée interdisciplinaire, portent sur le processus de la patrimonialisation des restes humains des collections naturalistes, son histoire et ses dialectiques actuelles.

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