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Le spécimen et le collecteur

 | 
Vincent Leblan
, 
Dominique Juhé-Beaulaton

Parcours de collecteurs & trajectoires d’objets

Des naturalistes à la conquête de l’Afrique équatoriale

Savants, marchands et voyageurs du réseau Bouvier (1864-1900)

Agnès Lainé

Full text

« Armes et trophées Pahouins »
Dessin d’André Coffinières de Nordeck (1848-1917) extrait de son Album au Gabon. MQB-JC, no d’inventaire PA000270. Plusieurs œuvres réalisées par l’officier de Marine ont illustré, ou inspiré des illustrations des récits de voyage d’Alfred Marche Cliché musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais/Claude Germain.

  • 1 Moret (Pierre), « Entomologistes et chasseurs d’insectes en Amérique du Sud au xixe siècle », in La (...)
  • 2 Romano (Antonella) & Van Damme (Stéphane), « Sciences et villes-mondes, xvie-xviiie siècles », Revu (...)
  • 3 Cook (Harold J.), « Amsterdam, entrepôt des savoirs au xviie siècle », Revue d’histoire moderne et (...)
  • 4 Daszkiewicz (Piotr), « La Maison Verreaux au xixe siècle à Paris, plaque tournante des collections (...)
  • 5 Katuszewski (Jack) & Ogien (Ruwen), « À quoi sert la notion de réseau ? », Réseaux, vol. 1, no 3, 1 (...)

1Prélever, acheter, vendre, troquer : ces actions s’inscrivent au cœur du processus de collection. Il n’est donc pas surprenant que les activités marchandes contribuent aux collections naturalistes en procurant les spécimens convoités ; ces complémentarités existent dans d’autres domaines tels que le marché de l’Art. Cependant, comme l’a exprimé Pierre Moret, auteur d’un article pionnier sur l’histoire sociale des collectes, au xixe siècle les activités marchandes et savantes étaient très poreuses1. Elles se sont combinées jusqu’au sein des sociétés savantes pour le financement des missions d’exploration et de collecte et, finalement, jusque dans l’entreprise coloniale. Cette conjugaison apparaît à travers ces agents au statut flou que sont les « collectionneurs », les « voyageurs », les « correspondants » et les « naturalistes » en général. Sans doute ces catégories englobant une multiplicité d’acteurs et de pratiques résultent-t-elles des dynamiques de socialisation de la science à l’œuvre durant l’époque moderne, dont les historiens des sciences ont abondamment montré le lien avec le développement des lieux de sociabilité intellectuelle en dehors des institutions et des académies2 : salons scientifiques, cafés, sociétés savantes, mais aussi des lieux et moments plus fugaces ou ludiques comme les expositions, les conférences, les spectacles, les zoos et jardins. Il s’y produit et s’y diffusent les savoirs tant sur la nature que sur les mondes lointains. On a peu souligné toutefois le rôle du commerce et des lieux où il s’exerce dans la construction et la diffusion du naturalisme au xixe siècle. Or, comme Harold J. Cook l’a bien analysé pour la ville d’Amsterdam au xviie siècle, il existe une relation entre les activités commerciales et le développement d’une histoire naturelle pratique et descriptive3. En effet, collecter et commercer nécessite une connaissance précise de ce que l’on acquiert et revend, qui en détermine la valeur. Par ailleurs une autre relation se manifeste entre marchandises et collections à travers les pratiques de stockage, d’inventaire, de catalogage et d’exposition. C’est pourquoi les commerces sont aussi des lieux d’étude et de contemplation des spécimens mais, à la différence des musées, il s’y engage des relations sociales d’échange, des rencontres4 décloisonnées des catégories sociales ordinaires définissant des appartenances de classe, de profession et d’institution. Pour l’illustrer, nous allons étudier la trajectoire d’un personnage, Aimé Bouvier, qui concentre à lui seul de nombreuses facettes au croisement du naturalisme, de l’exploration et de la colonisation dans la deuxième moitié du xixe siècle, et de quelques personnes appartenant à son « réseau ». Utiliser ce concept contemporain de réseau pour le xixe siècle présente quelques risques alors même que celui-ci fait débat5. Il permettra néanmoins de questionner ce que nous observons. La notion de réseau paraît en effet s’appliquer ici dans la plupart de ses acceptions : dans le sens étymologique du filet (qui s’applique particulièrement à des chasseurs !) ; celui du réseau de communications qui correspond à l’activité internationale de circulation des spécimens ; à la signification plus récente acquise dans les sciences sociales pour désigner des formes d’action collective. Dans ce sens elle ne s’applique pas à des actions menées par un groupe constitué autour d’un objectif commun, mais par des agents ayant des objectifs divers qui les amènent à collaborer. L’une de ses caractéristiques est donc la labilité ; une autre de n’avoir aucun centre (au contraire d’une toile d’araignée) mais plutôt une multitude de points qui chacun peuvent constituer un centre. Choisir un point pour étude contient donc une part d’arbitraire. Nous avons choisi Aimé Bouvier en raison de son parcours atypique et suivi quelques personnages qui lui sont reliés par leurs collectes en Afrique.

  • 6 McClellan (James E.) & Regourd (François). The colonial machine : French science and overseas expan (...)

2Cette tentative ne va pas sans difficulté ; il s’agit d’opérer une histoire micro-processuelle de l’expansion coloniale à l’aide de biographies d’acteurs qui n’appartiennent pas à l’élite savante ni aux instances supérieures de la « machine coloniale »6. Comme il n’existe pas à leur sujet de corpus constitué de sources, les informations se révèlent disséminées et demeurent fragmentaires. Nous avons utilisé des archives du Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN) et du Musée des Beaux-Arts de Caen (MBAC), des archives municipales de Paris (Fonds des commissaires priseurs), de l’État civil (AEC : Paris, Hauts-de-Seine, Ain, Côte-d’Or), des archives nationales d’Outre-mer conservées à Aix-en-Provence (ANOM), de la Légion d’honneur (LH) et celles du Bureau des missions du ministère de l’Instruction publique conservées à Pierrefitte (ANP). Un dossier relatif à une mission d’Aimé Bouvier en 1869 contenait des documents courant vingt ans plus tard, notamment une pétition au Président de la République concernant une saisie de ses collections par huissier, qui a permis de consolider les éléments biographiques. Des archives privées nous ont aussi été aimablement communiquées par les descendants d’Aimé Bouvier (Archives Bouvier). Nous avons également consulté des documents publiés : récits de voyages, articles scientifiques, notices nécrologiques, mentions relevées dans des revues telles que l’Explorateur, le Tour du Monde, des annuaires de sociétés commerciales et coloniales, et les bulletins de sociétés savantes. Celles-ci constituent une mine : les comptes-rendus de séance et les listes de membres permettent de situer des appartenances, de repérer des collaborations, des hiérarchies, la chronologie des voyages, des coïncidences d’événements, enfin des adresses, des professions et des dates.

3L’exposé suivra l’extension de ce réseau d’une manière à la fois chronologique et spatiale. Dans une première phase, le premier point nodal se situe à Paris, unissant Aimé Bouvier et Alfred Marche, puis le réseau se déploie vers l’Afrique équatoriale avec d’autres acteurs.

DES VOYAGES DE COLLECTE AUX SOCIÉTÉS SAVANTES

Qui était Aimé Bouvier ?

  • 7 D’Hondt (Jean-Loup), « Histoire de la Société zoologique de France. Son évolution et son rôle dans (...)

4Si le nom d’Aimé Bouvier est connu dans le milieu des collections d’histoire naturelle, le personnage ne l’est que fort peu. En Europe il apparaît sous la figure du marchand naturaliste et du fondateur de la Société zoologique de France en 18767, configuration qui a déjà de quoi surprendre. Il se manifeste dans les sources de l’histoire coloniale de l’Afrique comme celui qui finança la première expédition sur l’Ogooué au Gabon, précédant la mission décisive de Pierre Savorgnan de Brazza (1875-1878). Ces faits peu ordinaires ont attiré notre attention.

  • 8 AEC de l’Ain, Acte de naissance no 102. Son père, avocat, était maire de la commune de Revonnas. La (...)
  • 9 Communication de la Mairie de Bourg-en-Bresse où il est inhumé.
  • 10 Bouvier (Aimé), « Une addition à l’avifaune parisienne », Revue française d’ornithologie, vol. 5, n(...)
  • 11 ANP. F/17/2912. Lettre de Bouvier au Ministre, 3 août 1864. Cette exploration, voulue par Napoléon (...)
  • 12 Lettres de Ch. Robier, prof. à la faculté de médecine de Paris et H. Milne-Edwards, prof. au MNHN e (...)
  • 13 ANP. F/17/2912. Lettre de Bocourt au Ministre, 2 juillet 1865.
  • 14 Idem. Lettre de Bouvier au Ministre, 1er août 1865.
  • 15 Tous les envois apparaissent au nom de Bocourt dans les comptes-rendus imprimés sauf quand Bouvier (...)
  • 16 Les bases de données du MNHN font apparaître des objets rapportés de cette expédition et portant di (...)

5Claude Marie Aimé Bouvier est né le 29 mars 1843 à Bourg-en-Bresse dans l’Ain, d’une famille aisée dont les hommes sont des juristes et les femmes des « propriétaires rentières »8. Sa mère meurt peu après sa naissance et son père se remarie deux fois, faisant de lui le frère aîné de plusieurs demi-frères et sœurs, une circonstance qui peut avoir pesé sur ses attachements et la suite de son parcours. Dès l’enfance il est passionné, sinon de sciences naturelles, tout au moins par les oiseaux. Ceci se lit dans une note publiée quelques mois avant sa mort, le 22 février 19199, où il se souvient d’avoir observé un trichodrome échelette lors d’une villégiature dans les Pyrénées10. C’était en 1851 ; il avait alors huit ans. Ce sont des sources d’archives qui documentent la suite de son parcours. En 1864, alors qu’il est étudiant à Paris, en seconde année de médecine et tout juste majeur, son projet de carrière bifurque. Il soumet sa candidature, pour la section de zoologie, à la Commission de l’exploration scientifique du Mexique créée au Ministère de l’Instruction publique11. À défaut de titres, il expose dans sa lettre au Ministre sa passion des sciences naturelles et se prévaut d’un cousinage avec le Dr Péney, mort au cours d’une exploration vers les sources du Nil Blanc. Comme il présente aussi des recommandations scientifiques et politiques12 et propose de partir à titre gratuit « sauf principaux défraiements », il est accepté comme aide-préparateur adjoint à Firmin Bocourt (1819-1904), naturaliste au Muséum, conjointement avec Rousseau, aide-naturaliste. Les trois hommes s’embarquent le 8 décembre pour Véracruz par la Martinique et la Jamaïque, puis explorent Bélize et le Guatemala. Il est intéressant de relever que le jeune Bouvier pratique des échanges avec les amateurs résidents à Guatemala13, procédé de collectionneur, et s’attache à recueillir les noms locaux des spécimens, pratique alors peu répandue. À mi-parcours il sollicite l’autorisation de poursuivre seul, alléguant une incompatibilité de caractère avec Bocourt14. Peut-être était-ce là un moyen d’acquérir une visibilité que n’ont pas les subalternes dans ces expéditions15. En effet, revenu avant ses compagnons dès février 1866 pour motif de santé, il se fait reconnaître comme l’auteur de trois caisses de collections (Bélize et Guatemala) et comme ayant participé à l’envoi précédent (Jamaïque et Bélize)16. Il présente ainsi une collection appréciée de Henri Milne-Edwards (1800-1885), professeur de mammalogie au Muséum, et une série de cartes géographiques et d’ouvrages qu’il offre à la Commission. Tout ceci le fait avantageusement connaître, lui permettant de bénéficier de parrainages pour son entrée à la Société de géographie de Paris le 1er février 1867 et à la Société zoologique impériale d’acclimatation le 15 mars.

Alfred Péney en 1860
Photographie recto verso. Alfred Péney (1817-1861), né dans l’Ain, médecin-major dans l’armée d’Égypte, explorateur et collecteur (une quarantaine de spécimens figurent dans la base de données des collections du MNHN), pourrait avoir été un modèle pour le jeune Bouvier qui ne comptait pas sinon de médecin ou d’homme de science parmi ses proches. Bouvier offrit une photographie de ce cousin à la Société de géographie en 1898 (BNF.SG PORTRAIT-2203) Cliché Bibliothèque nationale de France.

  • 17 Il a commencé le second séjour avec Léon de Cessac, géologue et ethnographe.
  • 18 Milne-Edwards (Alphonse), « Notes sur quelques espèces nouvelles de crustacés rapportés des Îles du (...)

6Le Ministère de l’Instruction publique lui octroie ensuite une mission aux Îles du Cap-Vert qu’il effectue en deux étapes (octobre 1867 - mai 1868 et février 1869 - mai 1869)17 chaque fois interrompues pour motif de santé. Mais il en rapporte des collections d’insectes, de poissons et de mollusques18 et des relevés d’observations de toutes natures. Il intègre alors la Société de météorologie puis la Société entomologique de France (13 janvier 1869), parrainé par Paul Gervais, professeur d’anatomie comparée au Muséum.

  • 19 ANP. F/17/2942. Pétition de Bouvier au Président de la République, 28 mars 1889. Ce qui laisse supp (...)
  • 20 Archives Bouvier. Lettre du 15 oct. 1872.

7Voici donc ce naturaliste dans un courant ascendant ; il a sa place, sinon dans le monde des facultés, dans celui des premières sociétés savantes parisiennes. Mais il semble avoir délaissé les études académiques pour d’autres voies d’accès à l’érudition (et aux ressources), comme en témoigne son identification comme « naturaliste-voyageur » sur les listes des membres. Il s’établit 85 Bd du Port-Royal, adresse d’un entrepôt et atelier de préparation de spécimens où travaillent dès ce moment Alfred Marche, futur explorateur, par la suite Louis Petit, futur collecteur, son demi-frère Henri Bouvier et peut-être d’autres artisans. De ses voyages Bouvier a conservé des collections pour s’en réserver l’étude, mais sans aller au bout des projets de publications qui auraient assis sa position comme savant. Comme pour nombre de ses contemporains, la guerre de 1870 peut aussi avoir constitué une rupture de trajectoire. Bouvier y participe comme médecin aide-major dans les ambulances civiles19 mais, peu après, il est identifié comme vendeur de spécimens puisque Émile Deyrolle, important marchand naturaliste à Paris, lui adresse une liste d’oiseaux européens en lui demandant ses prix20. Nos sources laissent penser que Bouvier ne quitta plus l’Europe, mais il fit voyager d’autres que lui.

LE RÉSEAU BOUVIER VERS L’AFRIQUE ÉQUATORIALE

  • 21 Coffinières de Nordeck (André), « Le Gabon », Bulletin de la Société de géographie de Rochefort, vo (...)
  • 22 ANOM. FM. EE/60/64 et Gorée/XIII/1). Il est nommé conservateur à l’Exposition permanente des coloni (...)
  • 23 Du Chaillu (Paul), L’Afrique sauvage : nouvelles excursions au pays des Ashangos [éd. française, re (...)
  • 24 Cf. Mbokolo (Elikia), Noirs et Blancs en Afrique équatoriale : les sociétés côtières et la pénétrat (...)

8Le renouveau d’expansion amorcé sous l’Empire par la guerre du Mexique est interrompu par la guerre franco-prussienne, suivie d’une guerre civile sanglante. Alors que les caisses de l’État sont vides et que la IIIe République s’installe, presque par défaut, l’heure n’est plus aux aventures outre-mer. La flotte de Napoléon III est fortement réduite et la présence française sur les côtes d’Afrique remise en question. Au Gabon, la décision de retirer des administrateurs et militaires de Libreville est prise, puis retirée in extremis sous la pression de quelques personnalités convaincues de l’avenir de ce comptoir. Tous les récits témoignent de l’état d’abandon de cette implantation coloniale, notamment ceux de Coffinières de Nordeck (1848-1917), enseigne de vaisseau affecté en 1872 sur La Cordelière qui n’est plus qu’un ponton stationné en face de Libreville21. Ce contexte est important pour comprendre la place alors prise par l’initiative individuelle, où le naturalisme joue un rôle remarquable. Charles Aubry-Lecomte (1821-1898), administrateur colonial de la Marine au Gabon, avait déjà fait parvenir au muséum de Paris une demi-douzaine d’envois entre 1853 et 1856, parmi lesquels des espèces inconnues, botaniques et zoologiques, mais aussi des pièces anthropologiques extrêmement convoitées : anthropoïdes et têtes humaines22. L’explorateur Paul Belloni Du Chaillu (1835-1903) avait aussi rapporté du Gabon des espèces nouvelles, des gorilles, des chimpanzés et de nombreux crânes humains mais au profit de musées américains et anglais23. Ce comptoir, souvent méprisé par les marchands24, paraissait une terre promise pour les naturalistes. Par ailleurs, le fleuve Ogooué semblait une voie possible de pénétration à l’intérieur du continent, permettant peut-être de rejoindre la côte orientale de l’Afrique par le réseau fluvial. De quoi faire rêver les aventuriers avides d’exotisme, de gloire ou d’ascension sociale, tels Bouvier et les hommes qui s’associèrent à cette entreprise. Parmi ceux-ci des noms illustres et d’autres moins connus (cf. Tableau page suivante).

  • 25 Y compris Augouard, soldat dans les troupes du Vatican qui rejoignirent les troupes françaises pend (...)
  • 26 Cf. Malo (Henri), À l’enseigne de la petite vache. Souvenirs, gestes et figures d’explorateurs, Par (...)

9Tous ces hommes ont rapporté des collections à des institutions muséales, naturalistes ou ethnographiques. Proches en génération, la plupart furent soldats ou médecins pendant la guerre de 187025, catholiques et nationalistes, membres de sociétés savantes ou tournées vers le développement commercial et industriel. Certains sont d’origine sociale modeste (Marche, Petit, Augouard), d’autres d’ascendance noble (Brazza, Compiègne, Coffinières), issus de la bourgeoisie (Bouvier, Lucan) ou du monde rural aisé (Ballay), ce qui conditionne en partie leur trajectoire ultérieure. Leurs opinions politiques sont plus floues dans un siècle voué à des changements fréquents de régime. Au moins sait-on que Compiègne et Ballay se sont engagés dans la répression de l’insurrection de la Commune de Paris, mais il existe des indices que Louis Petit fut dans l’autre camp en dépit de son très jeune âge (cf. infra). Ils participèrent activement au mouvement colonial français. Les sources ne permettent pas toujours d’identifier quand et comment s’établit le « nœud » des relations entre les personnages : les études de médecine réunissent Bouvier et Lucan probablement, le commerce naturaliste Bouvier, Marche, Petit et Compiègne. Le MNHN, la Société de géographie et leurs lieux de convivialité26 ont offert bien des opportunités de rencontre mais l’extension du réseau se constate davantage sur le terrain des voyages.

  • 27 MNHN. MS 618 : Journal des Envois, 13 février 1864 ; MNHN. AM 632 : Liste des correspondants du Mus (...)

10Certaines figures de ce réseau sont des missionnaires du Saint-Esprit, qui ont joué un rôle certain dans l’exploration de l’Afrique équatoriale et créé des jardins d’essais botaniques adossés aux bâtiments des missions. Charles Duparquet qui avait fait parvenir des collections botaniques du Gabon au MNHN dès 1864, en devint officiellement le correspondant en 187527. Or c’est dans le sillage des missions créées par Duparquet et ses successeurs, que Bouvier envoie ses correspondants naturalistes d’abord aux Sénégal, au Gabon puis à l’embouchure du fleuve Congo, au Loango et au Cabinda.

Nom

Dates

Société savante*

Situation avant 1870**

Situation après 1885

Aimé Bouvier

1843-1919

SG (1867-1919)
SZF (1876-1880)
SE (1869-1873)
SAcc (1867-1919)

Explorateur-collecteur

Marchand naturaliste,
Homme d’affaires

Alfred Marche

1844-1898

SG (1873- ?)
SZF (1876-1891)
SGC (1875-1890)
SG Marseille

Voyageur-collecteur

Explorateur-collecteur

Victor de Compiègne

1846-1877

SG (1873-1877)
SZF (1876-1877)
SGC (1875-1877)

Voyageur-collecteur

(Décédé)

Pierre Savorgnan de Brazza

1852-1905

SG (1875-1905) SGC (1873)

Elève de l’Ecole navale puis Aspirant

Administrateur colonial

Noël Ballay

1847-1902

SG (1875-1902)
SGC (1873)

Étudiant en médecine

Administrateur colonial

Louis Petit

1856-1943

SZF (1876-1927+)

Préparateur naturaliste

Marchand naturaliste

Albert Lucan

1843-1907

SZF (1876-79)
SG (1877)
SGC (1878)

Étudiant en médecine

Médecin (Vice-consul ?)

Charles Duparquet

1830-1888

Correspondant du MNHN
(1875-1888)

Missionnaire spiritain

Vice-préfet apostolique de la Cimbebasie

Prosper Augouard

1852-1921 ?

Missionnaire spiritain

1890 : Vicaire apostolique du Haut-Congo français et

André Coffinières de Nordeck

1848-1917

SG Rochefort

Enseigne de vaisseau

Oubangui Lieutenant de vaisseau, 1894 : Capitaine de frégate

Robert B.N. Walker

1832-1901

SG (1873)
SA Londres
SG Londres

Marchand, Collecteur

Marchand, Collecteur

Quelques Européens parmi les collecteurs reliés à A. Bouvier
* SG = Société de géographie ; SZF = Société zoologique de France ; SE = Société d’entomologie ; SAcc = Société d’acclimatation ; SGC = Société de géographie commerciale ; SA = Société d’anthropologie. Quand le lieu n’est pas précisé, ces sociétés sont situées à Paris. N. B : ces appartenances ne sont pas exclusives d’autres, par exemple Bouvier a été membre d’autres sociétés à Lyon, Talence, Bourg-en-Bresse. ** Pour distinguer les acteurs d’un réseau marchand, nous les qualifions ici de « voyageurs », réservant le terme « explorateurs » à ceux qui bénéficient d’une mission institutionnelle, indépendamment de la nature réelle des objectifs ou de l’usage qu’en fait l’époque, du reste variable et changeant, cf. Surun (Isabelle), « Les figures de l’explorateur dans la presse du xixe siècle », Le Temps des médias, 2007, vol. 8, no 1, pp. 57-74.

11Dès la fin de la guerre, Bouvier met sur pied un projet d’exploration de l’Ogooué (1872-1874), d’abord avec Alfred Marche puis Victor de Compiègne.

BOUVIER, MARCHE ET COMPIÈGNE : OBJECTIF GABON

  • 28 Son père était papetier au moment de sa naissance (AEC des Hauts-de-Seine, Boulogne-sur-Seine, Acte (...)
  • 29 Quelques documents de sa main existent néanmoins, une lettre à E. Hamy (MNHN. MS 2255) et des étiqu (...)
  • 30 Marche (Alfred), Trois voyages dans l’Afrique occidentale : Sénégal, Gambie, Casamance, Gabon, Ogoo (...)
  • 31 ANP. F/17/2987/B. Mission Marche et Lucereau en Afrique centrale. Le projet avait reçu l’aval de la (...)
  • 32 Il est déjà le doyen des missionnaires du Ministère quand il termine sa dernière mission en 1889. F (...)
  • 33 Les deux notices nécrologiques qui constituent les seuls hommages restent approximatives : Revue de (...)

12La biographie d’Alfred Marche réservait quelques surprises. Voilà un homme dont les nombreuses explorations sous l’égide du Ministère de l’Instruction publique, les relations sociales, la nomination à la Légion d’honneur en 1888, les récits de voyage et autres écrits laissent imaginer un homme d’action, certes, mais doté d’un solide capital d’instruction, au moins issu des classes moyennes. Or la recherche a fait apparaître un homme de condition modeste né d’une famille d’ouvriers et d’artisans28, sachant lire et écrire mais guère davantage à ses débuts. Conscient d’une instruction initiale limitée, Alfred Marche faisait rédiger par d’autres ses correspondances avec le Ministère et ses rapports de mission (de nombreux documents signés de sa main consultés aux Archives nationales ont des écritures différentes)29. Ses récits de voyages en Afrique ont été rédigés par un tiers, un certain Rabanis30, d’après ses notes de terrain nous dit le voyageur qui met ceci au compte des fatigues dues à sa dernière expédition sur l’Ogooué (1875-1877). Pour les historiens de l’Afrique en effet, son nom est associé à cette fameuse expédition avec Brazza ; au MNHN, il est plutôt associé aux collections des Philippines car il effectua de 1878 à 1889 plusieurs missions en Malaisie, aux Philippines et aux Îles Mariannes à l’incitation d’Ernest Hamy (1842-1908), assistant puis successeur d’Armand de Quatrefages (1810-1892) à la chaire d’anthropologie du MNHN. Marche aurait voulu associer son nom à une grande exploration, ainsi qu’il l’exprima dans la présentation en 1878 d’un projet ambitieux d’exploration en Afrique centrale, par la suite abandonné pour des raisons obscures31. Mais cette origine sociale explique sans doute, en partie, qu’il resta collecteur toute sa vie, fait exceptionnel32. En effet, malgré l’estime de personnalités en vue et les récompenses symboliques, il ne fut jamais considéré comme un savant. Il incarne le missionnaire « intelligent et zélé », l’explorateur « courageux et déterminé » sur lequel comptent les savants pour collecter leurs matériaux. Sa devise, « Marche quand même », imprimée sur l’en-tête de ses correspondances, jouait joliment avec cette identité. Il a progressé à la manière d’un autodidacte, enrichissant ses domaines de compétences au fil des missions qui lui étaient confiées (géographie, anthropologie, ethnographie, botanique). Comme il ne se livre pas dans ses écrits, n’a pas fondé de famille ni légué d’archive privée, nous ne connaissons rien de son parcours entre sa naissance et son apparition dans l’histoire des voyages33.

  • 34 ANP. F/17/2942. Pétition…, ibid. 28 mars 1889.
  • 35 ANP. F/17/2987/B. Déplacement à Saïgon. Lettre de Marche au Ministre, 12 janvier 1870.
  • 36 Marche (Alfred), Luçon et Palaouan. Six années au Philippines, Paris : Hachette, 1887, vi + 404 p., (...)

13Avant la guerre, il travaillait avec (ou chez) Bouvier. Ce dernier a revendiqué plus tard l’avoir envoyé aux Philippines en 1869, le préparant ainsi à ses explorations futures34. Ses relations avec le Ministère commencent en janvier 1870, quand il sollicite un passage gratuit pour Saïgon sur les bâtiments de l’État afin de poursuivre des études sur les faunes polynésiennes. En échange, il cédera une partie des collections rapportées35. La facilité avec laquelle le Ministère accède à sa demande — il n’est alors qu’un inconnu sans recommandations — montre que la proposition n’avait à cette époque rien d’incongru. En outre elle réitère le procédé utilisé par Bouvier quelques années plus tôt. Marche part en février, mais il doit interrompre ce voyage en septembre pour participer à la guerre. Après quoi, écrit-t-il, « les circonstances ne me permettant plus de partir aux Philippines, j’allais faire connaissance avec l’Afrique équatoriale »36. Le projet d’exploration au Gabon revêt plutôt la forme d’une association amicale que d’un contrat liant un patron à son employé :

  • 37 Marche (Alfred), Trois voyages dans l’Afrique occidentale …, op. cit., p. 2.

De concert avec mon ami A. Bouvier, nous avions dressé le plan d’un premier voyage que je devais faire à titre d’étude préliminaire : je devais parcourir la côte occidentale d’Afrique, du Sénégal au Gabon […] Ce voyage devait me permettre de m’habituer progressivement au climat africain avant de gagner les régions équatoriales, et une fois là, d’étudier le meilleur point de départ pour pénétrer dans l’intérieur, et chercher à gagner le cœur du continent.
Mes ressources personnelles ne me permettaient pas de payer de ma bourse les frais d’une semblable expédition, frais qui sont toujours considérables. Je fis donc ce que j’avais fait plus d’une fois auparavant : je résolus de voyager en récoltant des collections d’histoire naturelle : le prix de ces collections devait couvrir en partie du moins, les dépenses de mon voyage37.

  • 38 ANP. F/17/2912. Pétition…, ibid., 28 mars 1889.

14La formule exige que l’un des associés parte et que l’autre se charge d’écouler les collections, puis renvoie l’argent nécessaire au premier pour continuer le voyage dont la finalité semble, sous la plume de Marche, plus exploratoire que mercantile. Bouvier prélève cependant une commission sur les ventes et la chasse aux pièces spectaculaires telles que les gorilles apparaît un motif important de l’entreprise. Mais Bouvier a confessé plus tard : « les sacrifices de ma part ont été, il faut l’avouer, bien plus considérables que je ne le pensais d’abord »38.

  • 39 Il étudie chez les Jésuites puis fait des études de droit à l’Université, sa famille le destinant à (...)
  • 40 Compiègne (Victor Dupont de), Voyages, chasses et guerres, Paris : Plon, 1876, p. II.
  • 41 Idem, p. 16 ; pp. 167-250.
  • 42 Idem, p. 287.
  • 43 Marche (Alfred), Trois voyages dans l’Afrique occidentale …, op. cit., pp. 85-87.

15Arrivé au Sénégal en janvier 1872, Marche regagne Paris en juillet. Le second Voyage (1872-1874) s’effectue avec Victor du Pont, marquis de Compiègne. Celui-ci, descendant d’une famille noble d’ancien régime, fort instruit39, forme avec Marche un contraste d’autant plus intéressant que les sources vont dans le sens d’une réelle amitié. Dès avant la guerre, le jeune marquis s’ennuyait à Paris où il menait une vie dissipée. Aussi sa famille l’avait envoyé à New York (juillet 1869). En Amérique, Compiègne se découvre une vocation d’explorateur, chassant des spécimens zoologiques pour financer un périple en Floride40. Mais lui aussi revient précipitamment pour participer à la guerre contre la Prusse, puis à la guerre civile contre les Insurgés41. C’est sans doute dans le contexte qui suit cette période, songeant au moyen de financer d’autres voyages qu’il rencontre Bouvier. En effet, reparti au Nicaragua au printemps 1872, il relate lui expédier des spécimens d’oiseaux42. À son retour, Bouvier le met en relation avec Alfred Marche. Pour le voyage qui s’annonce au Gabon, le naturaliste leur fait « toutes les avances nécessaires »43. C’est donc que les précédentes affaires ont été bonnes.

Alfred Marche et Chico
Stéréotype de l’explorateur, l’uniforme (panama, fusil, bottes) et du « boy » de la littérature populaire. En réalité Chico était adulte, ancien esclave élevé par la mission catholique et recruté comme cuisinier. Il participe aux deux voyages de Marche au Gabon, avec Compiègne puis avec Brazza. Dessin d’après nature d’Eugène Ronjat extrait du Tour du monde, no 36, juillet 1878 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN

16Les récits de Marche se présentent sous la forme d’un journal où il rapporte les événements de son quotidien : description succincte de lieux, anecdotes et rencontres et bien sûr collectes. Il est avant tout un chasseur et recherche les spécimens pour leur valeur, des espèces nouvelles ou recherchées pour la mode (plumes et peaux). Le commerce des plumes de parure constitue alors un marché en expansion et à forte valeur ajoutée, pour lequel Marche est en relation avec Henri Bron, associé bien connu de la maison Maurel & Bron de Saint-Louis du Sénégal. Le second voyage ne commence pas directement sur la côte gabonaise, mais toujours au Sénégal où le rejoint Compiègne. Les deux hommes passent un bon mois à chasser les « merles métalliques » :

  • 44 Pour les années 1880-1881, la valeur des exportations des « plumes pour parures » de la colonie du (...)
  • 45 Marche (Alfred), Trois voyages dans l’Afrique occidentale …, op. cit., p. 89.

À mon premier voyage j’avais remarqué et chassé une variété curieuse, le lamprocolieus splendidus (merle métallique) bien connu des naturalistes et dont la dépouille commençait à être recherchée dans le commerce des plumes assez important au Cap-Vert44. A cette époque on le chassait moins qu’aujourd’hui, et on le payait assez cher. J’en avais abattu bon nombre sous des figuiers sauvages qui croissent près de Rufisque ; grâce à mon guide je retrouvai l’endroit ; les arbres étaient couverts de fruits, et pendant plusieurs jours je fis une abondante récolte d’oiseaux45.

  • 46 Compiègne (Victor Dupont de), L’Afrique équatoriale. Gabonais, Pahouins, Gallois, Paris : Plon, 187 (...)
  • 47 Idem, p. 142.
  • 48 Walker avait participé à une expédition avec Fleuriot de Langle, remonté l’Ogooué jusqu’à Lopé et c (...)

17Compiègne précise que ces oiseaux se vendaient onze à douze francs la pièce, parfois plus cher, et qu’on pouvait en abattre quinze ou seize par matinée46. Ces chasses mercantiles croisent l’exploration scientifique tout au long du voyage, ainsi au Gabon pour le Touraco géant, au plumage « d’un beau bleu d’azur », ou le singe satanus colubus « dont la peau, très recherchée par les fourreurs, fait de jolis manchons »47. Durant leur séjour à Libreville, les voyageurs se lient d’amitié avec André Coffinières de Nordeck, cet officier de marine qui trompe l’ennui à bord de la Cordelière avec l’hospitalité qu’il offre aux voyageurs de passage, chassant avec eux dans les environs, croquant scènes et paysages à chaque occasion. Les deux voyageurs recourent aussi volontiers aux services de Robert Bruce Napoléon Walker, un Anglais haut-en-couleur installé depuis les années 1850 comme négociant représentant la maison Hatton & Cockson de Liverpool, à l’occasion explorateur, grand collecteur d’objets ethnographiques et zoologiques, membre des sociétés royales de géographie et d’anthropologie de Londres48. Il est probable que les voyageurs utilisèrent les infrastructures de la maison de Liverpool pour le stockage et le transport maritime des collectes (cf. infra). En tout cas, de cette collaboration résulte l’introduction de Walker à la Société de géographie de Paris dès le mois d’août 1873, grâce au parrainage de Bouvier et Compiègne. Les voyageurs utilisent aussi comme « boîte-aux-lettres » la mission catholique du Saint-Esprit, fondée par Jean-Rémi Bessieux (1803-1876). Toutes ces relations nouées sur le terrain seront fort utiles à Bouvier pour organiser l’extension de son réseau plus au sud de la côte africaine, comme on le verra plus loin. Enfin Compiègne et Marche rencontrent Savorgnan de Brazza, qui stationnait à Libreville sur la Vénus au moment de leur expédition, lui-même convaincu de l’intérêt que représentait l’Ogooué pour la traversée du continent.

Carte du Gabon et du fleuve Ogooué
D’après les relevés du marquis de Compiègne et d’Alfred Marche. Carte gravée par L. Sonnet extraite de Compiègne (Victor Dupont), Gabonais, Pahouins, Gallois, Paris : Plon, 1878
Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

Une factorerie Dessin de Riou (d’après un croquis de Coffinières de Nordeck) extrait du Tour du monde (juillet 1878) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

18La suite est connue : les voyageurs remontèrent le cours de l’Ogooué jusqu’à la rivière Ivindo où les habitants firent barrage à la poursuite de l’expédition. Brazza prendra la relève.

DES SAVANTS AUX INDUSTRIELS : EXTENSION DU RÉSEAU

Les usages sociaux des collectes zoologiques

  • 49 Bulletins de la Société de géographie (BSG), 1873, série 6, t. 6, p. 548.
  • 50 ANP. F/17/2942. Pétition…, ibid. 28 mars 1889. Il pourrait y avoir contribué. L’une de ses interven (...)

19Avec une régularité obstinée, Aimé Bouvier rend compte des étapes de ce voyage à la Société de géographie, qui finit par octroyer aux voyageurs une subvention de 1 500 frs49. Plus tard il se prévalut d’avoir fait reculer, par ses interventions, la décision de retirer le pavillon français sur les côtes du Gabon50.

  • 51 AEC. Paris 6e. Acte no 202. On relève la présence d’Alphonse Milne-Edwards parmi les témoins. Bouvi (...)
  • 52 Bouvier (Aimé), Afrique occidentale : catalogue géographique des oiseaux recueillis par mm. A. Marc (...)
  • 53 Bouvier (Aimé), Catalogue des collections ornithologiques en vente chez A. Bouvier... Classificatio (...)

20Le 20 mars 1874 il épouse Lucie Bertrand, la fille du mathématicien Joseph Bertrand, officier de l’Académie des Sciences et Professeur à l’école Polytechnique51, ce qui l’intègre à une famille de l’élite savante parisienne. Le couple s’installe au 55, quai des Grands-Augustins où le naturaliste a son domicile, son atelier et son magasin. Il y réceptionne, prépare et revend les objets de collection, notamment les oiseaux d’Alfred Marche dont il édite un catalogue52. Quant au catalogue complet de ses magasins, il comprend déjà plus de 5 000 espèces d’oiseaux53.

  • 54 Cette Société fondée en 1873 avait pour objet la prospection de nouvelles ressources et le développ (...)
  • 55 Compiègne (Victor Dupont de), L’Afrique équatoriale. Gabonais…, op. cit., p. 2.

21Aimé Bouvier s’engage alors auprès de la toute nouvelle Société de géographie commerciale54 qui prépare l’exposition inaugurale du Congrès international de sciences géographiques. Bouvier y discute, par exemple, l’intérêt industriel des sables ferrugineux des îles du Cap-Vert. Marche et Compiègne, qui viennent de rentrer en France, reçoivent la médaille d’argent de la Société de géographie (dont ils étaient déjà membres depuis 1873 grâce au parrainage de Bouvier), multiplient les conférences, affutent leurs plumes pour écrire dans Le Tour du Monde. Ils présentent les collections dont Bouvier est le bénéficiaire exclusif : 1 200 oiseaux et 150 mammifères55. Pour lui aussi c’est un moment de gloire. Souscripteur à l’exposition, Bouvier fait une proposition à la Section des exploitations naturelles et industrielles qui résume bien les divers usages des collectes zoologiques : scientifique, industrielle, pédagogique et ludique.

  • 56 [anonyme], « Bulletins des sociétés », L’Explorateur, art. cit., pp. 255-256.

Bouvier offre personnellement de concourir avec toutes les ressources dont il dispose et de faire figurer des collections de diverses natures. D’une part il enverra à la Société de géographie scientifique une collection ornithologique comprenant des oiseaux du nouveau monde et de l’ancien, avec leurs caractères spéciaux, d’autre part à l’exposition de géographie commerciale, il fera figurer tous les oiseaux et les animaux étrangers qui ont été récemment acclimatés et qui sont d’une utilité quelconque, soit comme animaux domestiques, soit comme fournissant des toisons ou des fourrures, soit enfin les oiseaux dont les plumes sont l’objet d’un commerce plus ou moins important. Il pourrait de plus, pour plaire au public, fournir un certain nombre d’animaux rares empaillés, gorilles, fauves divers, etc.56

22Les collections de Bouvier s’étendent désormais à toute la zoologie. Alors que les chimpanzés, et surtout les gorilles sont encore rares dans les collections muséales, il se fera grâce à l’Afrique équatoriale une spécialité de ces grands « anthropoïdes ».

La Société zoologique de France

  • 57 La maison Deyrolle était particulièrement tournée vers l’entomologie. Le fondateur Achille, puis de (...)
  • 58 Il obtint une médaille d’argent de 1ère classe pour sa collection de crustacés à une exposition d’i (...)

23L’étude des interventions de Bouvier dans les séances de la Société d’entomologie suggère qu’il y est peu à l’aise, n’étant pas vraiment entomologiste — à moins qu’il ne soit contrarié par la concurrence des membres de la famille Deyrolle, depuis longtemps intégrée à cette Société57. Bien qu’il possède d’importantes collections d’insectes et crustacés58, il n’entend pas négliger les mammifères et les oiseaux. Aussi délaisse-t-il la Société d’entomologie avec le projet de créer une société savante tournée vers la zoologie en général. La réunion fondatrice a lieu le 8 juin 1876 à son domicile.

  • 59 D’Hondt (Jean-Loup), « Histoire de la Société zoologique… », art. cit.
  • 60 Idem, p. 66.
  • 61 Bulletins de la Société zoologique de France (BSZF), 1878, t. 3, pp. 198-199 ; 1879, t. 4, pp. i et (...)
  • 62 Achille Raffray (1844-1823), spécialiste des insectes, était au départ un collecteur d’Émile Deyrol (...)
  • 63 Archives Bouvier. Lettre du 29 septembre 1875, de l’Arba près d’Alger. Lallemant devient membre de (...)

24Il y eut peu de monde à cette réunion. Selon J.L. d’Hondt, ceci résulte des objectifs scientifiques de la Société tournés vers une zoologie descriptive qui n’intéressait plus guère les zoologistes des facultés59. On peut supposer aussi que le fondateur manquait d’assise institutionnelle malgré sa récente célébrité. En effet, les débuts de la Société font apparaître le clivage entre les savants institutionnels et les autres, plus voilé quand les sociétés tolèrent les « amateurs » en leur sein. Ainsi Milne-Edwards déclina l’offre d’être membre honoraire « sous prétexte qu’une telle société n’aurait dû naître qu’au Muséum »60 et deux incidents émaillent les premières années en révélant les critiques formulées par certains collectionneurs privés aux collections du Muséum61. Par ailleurs, comme D’Hondt l’a constaté, à quelques exceptions, les premiers membres sont des rentiers, hommes politiques, négociants, banquiers, médecins, militaires… En fait ce sont pour l’essentiel les relations d’Aimé Bouvier : des « correspondants » fournisseurs de spécimens comme Lucan, Petit, Marche et Compiègne ; des parents (père, demi-frère et beau-père) ; des membres des sociétés de géographie et d’entomologie qu’il connaissait déjà et des clients, collectionneurs à titre personnel ou professionnel. Certains de ces derniers étaient aussi des savants des facultés ou des musées comme Edmond Perrier, Louis Bureau, Eudes Deslongchamps. On relève aussi la présence de Charles Hertz, secrétaire général de la Société de géographie commerciale et directeur du journal l’Explorateur. D’autres marchands les rejoignent : Delesalle et Maingonnat (ce dernier spécialiste des oiseaux et plumes du Guatemala). On relève dès 1877 la présence d’Achille Raffray, entomologiste et voyageur en Afrique orientale62. Le réseau africain s’étend aussi, hors le cercle de la Société, avec des résidents installés au loin : le pharmacien Charles Lallemant, connu pour des travaux sur des coléoptères d’Algérie, entre en relation commerciale avec Bouvier pour lui vendre des oiseaux et des mammifères mis en peaux63.

  • 64 Moret (Pierre), « Entomologistes et chasseurs d’insectes… », op. cit., p. 404.

25Ce mélange des acteurs autour des collectes n’est pas exceptionnel au xixe siècle. On relève, ailleurs aussi, que des membres d’une société savante appartenant à la catégorie des « voyageurs » alimentent les collections privées d’autres membres, collectionneurs sédentaires ou savants de cabinet. Moret les a qualifié de naturalistes à gages, « jeunes gens sans fortune dont les expéditions sont financées par un collectionneur ou, parfois, par un pool de collectionneurs auxquels reviendront les spécimens collectés »64. Mais ils n’occupent pas de fonctions à responsabilité. La nouvelle société va constituer un tremplin pour son Secrétaire général, Aimé Bouvier, mais celui-ci se trouvait privé de ses collecteurs au Gabon : Alfred Marche était reparti en octobre 1875 avec Pierre Savorgnan de Brazza, Noël Ballay et Victor Hamon. Dans cette expédition à caractère plus politique, Marche avait toujours la position du naturaliste chargé des collections, mais au bénéfice du Muséum cette fois. Pour chasser les merles au Sénégal, Bouvier avait déjà trouvé un autre « correspondant » : Louis Petit.

Potamogale Velox
Croquis de René Valette d’après le spécimen collecté par Alfred Marche lors de sa mission avec Brazza (1875-1877). Cet animal avait été décrit par Du Chaillu et Marche était fier de l’avoir retrouvé. Dessin extrait du Tour du monde (juillet 1878) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

LOUIS PETIT, ALBERT LUCAN ET LES MISSIONNAIRES SPIRITAINS

  • 65 Petit (Louis), Dix années de chasses d’un jeune naturaliste au Congo, Évreux : Imp. de l’Eure, 1926 (...)
  • 66 D’abord en association avec Guérin, 18 rue Racine, cf. Almanach du Commerce de Paris Didot-Bottin, (...)
  • 67 Petit (Louis), Dix années de chasses …, op. cit., p. 7.
  • 68 Duparquet (Charles), Le Père Duparquet. De l’exil à Bagamoyo au succès de Landana : Lettres et écri (...)

26Il est possible de bien connaître Louis-Victor-Joseph Petit, qui a laissé un livre de souvenirs65, des photos et des correspondances personnelles léguées par sa petite fille Yvonne Guégan, artiste peintre, au musée des Beaux-Arts de Caen. Né le 4 octobre 1856 à Montrouge, Petit est un junior du « réseau » Bouvier. Il est le fils de Pierre-Toussaint Petit, un naturaliste dont Aimé Bouvier fréquentait la boutique, rue Racine66. Aîné d’une fratrie de treize enfants, Louis avait appris le métier de bonne heure avec son père, puis il était devenu l’employé d’Aimé Bouvier. Trop jeune pour être soldat durant la guerre, il semble avoir été ensuite un partisan de la Commune : « j’en avais vu bien d’autres pendant la Commune où j’avais évité de justesse le peloton d’exécution »67. Peut-être cela a-t-il joué un rôle dans son départ, avec le rêve du voyage au loin (exprimé dans son livre) et la perspective de gains substantiels (plus apparent dans ses correspondances). Il part au Sénégal en 1873, à l’âge de 17 ans, puis revient malade après une dizaine de mois. Le temps de se rétablir, il repart vers l’embouchure du Congo, arrive à Landana, dans l’actuel Cabinda, en janvier 1876, recommandé par Bouvier au père Duparquet qui lui octroie une chambre en location68.

Louis Petit et Prosper Augouard
À gauche, Louis Petit en Sénégambie (1873). À droite, Prosper Augouard en zouave du Vatican (1870). Les deux hommes se rencontrèrent à Landana et restèrent liés leur vie durant. Archives L. Petit, donation Y. Guégan Clichés Musée des Beaux-Arts de Caen.

Dans l’étau des concurrences : collections ou marchandises ?

  • 69 MBAC. Lettre de Petit à Bouvier, Chinchonxo, 22 mars 1876.

27Alors que Louis Petit séjourne à la mission allemande à Chinchonxo69, une lettre de Bouvier à « Mon cher Louis » montre que la concurrence entre les nations européennes, qui va se déployer bientôt sur le continent africain, se joue aussi dans la course aux espèces nouvelles :

  • 70 MBAC. Lettre de Bouvier à Petit, Paris, 27 avril 1876.

[je] vois avec regret que vous ne songez pas à envoyer vos charges avant le mois de mai. Ce sont, sans doute, les Allemands qui vous auront fait remarquer qu’il valait bien mieux envoyer des grosses caisses que de petites, car elles ne payaient pas beaucoup plus cher de voyages mais vous n’avez pas songé que cela leur permettrait d’envoyer eux-mêmes beaucoup de choses en Europe et de les publier avant vos envois dans le cas où il y aurait des choses intéressantes ou nouvelles. De plus ils vont inonder tous les musées d’Allemagne des espèces qu’ils rapporteront, aussi cela en fera diminuer le prix. Et résultat, au lieu de faire une économie, votre retard à envoyer aura au contraire fait baisser beaucoup la valeur de ce que vous envoyez — surtout s’il y avait du nouveau70.

28Pour l’exploration du Gabon déjà, Bouvier s’était heurté à une difficulté : le transport d’objets au statut ambigu, dans un contexte où il n’existe pas de société française de transport maritime pour ces destinations, et où chaque maison de commerce possédant des navires s’efforce de maintenir ses positions face à la concurrence. Voici la réponse de la maison Dubarry frères, du Havre, à une question de Bouvier :

  • 71 Archives Bouvier. Lettre de la Maison Dubarry à Bouvier, le Havre, 5 mai 1873.

En dehors des paquebots de Liverpool, il n’y a que les navires de commerce qui pourraient se charger de transport de marchandises pour le Gabon.
Nous y avons un établissement et nous avons pour notre opération 2 navires et nous ne prenons des marchandises que pour le gouvernement et pour la Mission et non pour les autres négoces afin d’empêcher la concurrence. Si vos amis sont missionnaires où y exercent une autre profession que le commerce, nous pourrons nous en charger […] Veuillez nous donner le nom de vos amis, nous vous fixerons après pour le prix du fret71.

  • 72 MBAC. Brouillon de lettre de Petit à Bouvier, [s. l.], [s. d.]
  • 73 Daskiewicz (Piotr), « La Maison Verreaux au xixe siècle à Paris… », art. cit. Plus récemment Harriè (...)

29Être en mission gouvernementale ou apostolique semble donc une condition à l’utilisation de certains navires marchands, à moins que le contenu des caisses n’apparaisse pas comme des marchandises. Comment les voyageurs négociaient-ils leur position ? On a vu Marche et Compiègne recourir à la Mission catholique et aux services de Bruce Walker au Gabon, mais ils restent discrets sur les aspects techniques du stockage et du transport des collectes. Comme en écho à cette ambiguïté, Louis Petit révèle l’usage d’un vocabulaire obligé dans un brouillon de lettre à son « correspondant » Bouvier : à plusieurs reprises, le mot « marchandises » qui lui vient spontanément est barré et remplacé par « collections », « récoltes » ou « produits d’histoire naturelle »72. Les naturalistes devaient-ils jouer sur cette ambiguïté pour l’acheminement des caisses ? Il semble que Petit ait aussi utilisé le fret anglais, d’autant que Walker venait à point nommé d’étendre son implantation à Pointe-Noire, à une vingtaine de kilomètres de Landana. Mais cette question ouvre une perspective assez nouvelle sur l’importance d’une société savante comme vitrine supplétive d’une mission officielle et sur le focus mis sur ces collectes comme objets de savoir et non comme des objets marchands. Ceci semble avoir affecté durablement l’historiographie africaniste et celle du commerce transatlantique, à quelques exceptions près73. Enfin, cette question met en exergue la caution que peut, dans certains cas, apporter la collaboration avec des missionnaires.

Brouillon de lettre à Bouvier
« Marchandises » remplacés par « produits d’histoire naturelle » ou « récolte ». Archives Louis Petit, donation Yvonne Guégan Cliché Musée des Beaux-Arts de Caen

Des naturalistes sous le manteau de la Mission de Landana

  • 74 Duparquet (Charles), Le Père Duparquet. De l’exil à Bagamoyo…, op. cit., p. 548. Bouvier, conjointe (...)
  • 75 AEC Côte-d’Or, Beire-Le-Châtel, acte no 11 : naissance d’Étienne Armand Marie Albert Lucan le 4 avr (...)
  • 76 Duparquet (Charles), Le Père Duparquet. De l’exil à Bagamoyo …, op. cit., p. 548.
  • 77 Coquilhat (Camille), Sur le Haut-Congo, Paris : J. Lebègue, 1888, pp. 19-20.
  • 78 Famelart (Lucien), « Observations sur un jeune gorille », Bulletins de la Société zoologique de Fra (...)
  • 79 Protche s’est mis par la suite au service du comptoir Daumas à Boma sous la direction du belge Alex (...)
  • 80 née en 1846 à Arceau (Côte d’Or) de parents manouvriers puis domestiques à Dijon. En fait le couple (...)

30Juste après Louis Petit, en février 1876, arrive une de ses connaissances, « le docteur Lucan », recommandé aussi à Duparquet par Bouvier74, certainement un ami de ce dernier puisqu’ils ont le même âge, ont fait les mêmes études et sont originaires de régions proches. Voici un personnage d’autant plus intriguant que les sources à son sujet sont rares. Fils unique d’un docteur en médecine75 installé en exercice libéral à Beire-le-Châtel en Côte d’Or, Albert a d’abord suivi ses traces pour ses études dans la capitale, mais il n’y soutint pas de thèse. La fin de la guerre se conjuguant avec le décès de son père en 1870, sans doute se cherchait-il un autre destin. Bouvier espère en lui un explorateur ; de son côté, Lucan annonce à Duparquet son intention d’établir un hôpital76. Le missionnaire lui cède une maison et un terrain en haut du mont Saint-Pierre, où Petit louera plus tard une petite chambre et un atelier. Plus tard un voyageur belge a mentionné le « sanatorium » du Dr Lucan77 ; ce n’est donc pas une façade. De fait, Lucan exerce la médecine mais il chasse et collecte dans les environs, souvent avec Louis Petit. Deux autres naturalistes-taxidermistes les rejoignent l’année suivante, qui travaillaient pour Bouvier ou la maison Petit : « Monsieur Lucien », qu’il est possible d’identifier comme Lucien Famelart grâce à une note adressée à Bouvier au sujet d’un jeune gorille78 et Honoré Protche79. Il faut ajouter à cette société masculine une femme, « Madame Lucan », qui élève à l’occasion de jeunes gorilles orphelins. Bien que Petit évoque sa présence fin 1876, il n’est pas certain qu’elle soit arrivée avec le médecin puisque Duparquet ne la mentionne pas. Son nom est en réalité Anne Tanière80.

  • 81 MBAC. Le 15 juin 1880, Petit remercie sa mère de l’envoi de journaux sur la loi d’amnistie votée à (...)
  • 82 Des descriptions en ont été publiées par Bouvier dans les BSZF, en quatre parties, de 1876 à 1878.

31Après la loi d’amnistie des communards et l’exemption de service militaire qu’il obtient l’année suivante81, Louis Petit fait une tournée à Paris, Rotterdam et La Haye, sans doute pour remplir son carnet de commandes. Il revient à Landana sans plus être le pourvoyeur de Bouvier, puis rentre définitivement « la mort dans l’âme » en novembre 1883, après la prise de possession par les Portugais de Landana et du Cabinda. Il se marie et s’établit comme marchand naturaliste à Paris avec son épouse, Isabelle née Jenvrin, et continue de participer à la vie de la Société zoologique de France (Bouvier avait inscrit en 1876 Petit et Lucan parmi les membres fondateurs de la Société, à laquelle ils ont fourni d’abondants spécimens d’étude82.)

La villa Colibri Maison, jardins et ateliers de Lucan et Petit à Landana. Archives L. Petit Cliché Musée des Beaux-Arts de Caen.

Carte de visite commerciale
Louis Petit avait gagné la médaille au concours Lépine pour une chouette articulée en 1902. Au début du xxe siècle, l’activité reposait beaucoup sur les « produits dérivés » : trophées de chasse, décoration intérieure. Il faut y ajouter ce qui n’est pas mentionné ici, les plumes de parure (son épouse Isabelle était modiste). Archives Louis Petit, donation Yvonne Guégan Cliché Musée des Beaux-Arts de Caen

Factoreries
Détail de la carte correspondant à la région parcourue par Louis Petit, Albert Lucan, Honoré Protche et Lucien Famelart. Louis Petit avait rencontré le cartographe, Charles de Rouvre (dates inconnues) au moment où il faisait ses relevés. Dessin par Jules-André-Arthur Jansen (1849-1931). Carte extraite du Bulletin de la Société de Géographie, série 6, tome 20, octobre 1880 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.

32Les archives du fonds Louis Petit et son ouvrage se conjuguent pour documenter la vie à Landana et aux environs, où cohabitent les factoreries européennes ; sur les missionnaires spiritains Charles Duparquet, Hyppolyte Carrie (1842-1904), Prosper Augouard et Jules Rémy qui fondèrent de nombreux postes missionnaires et fournirent au Congo ses premiers vicaires apostoliques et un évêque. Ces documents fournissent aussi des éléments sur les relations entre Européens et Africains, dont les chasses et la collecte des spécimens sont des aspects comme nous l’allons voir ci-dessous.

AUXILIAIRES, COLLECTEURS ET MARCHANDS AFRICAINS

  • 83 Moret (Pierre), « Entomologistes et chasseurs d’insectes… », op. cit., p. 405, citant Paparavo (Nel (...)
  • 84 Demmer (Christine), « Coquillages savants ou coquillages marchands ? Une expédition naturaliste au (...)

33Pierre Moret avait déjà relevé l’implication des « indigènes » dans les collectes de la première moitié du xixe siècle en Guyane et au Brésil, où « l’arrivée d’un navire français à Rio de Janeiro est toujours annoncée par l’accroissement de l’activité de ces Nègres naturalistes, car les officiers français sont souvent de grands amateurs de collections d’histoire naturelle »83. Plus récemment, Christine Demmer a analysé l’attitude des populations côtières de Madagascar, lors d’une exploration malacologique, au prisme des siècles passés du commerce des coquillages entre Malgaches et Européens84. Ces quelques indices invitent à s’interroger sur l’ampleur qu’ont pu avoir ces collectes pour le commerce local, dont on voit au travers d’anecdotes combien elles structurent, au Gabon, les relations entre Européens et Africains :

  • 85 Coquilhat (Camille), Sur le Haut-Congo, op. cit., p. 19.

Au reste, tout l’équipage fait ici son petit commerce ; les matelots eux-mêmes échangent des accordéons violemment peinturlurés, des bouteilles vides, des flûtes en fer-blanc contre des nattes, des perroquets, des singes, des peaux de léopard et de civette, etc… qu’ils revendront en Angleterre85.

34Le livre de Petit montre aussi l’importance des auxiliaires locaux dans ces collectes, chasseurs mais aussi simples habitants, femmes et enfants :

  • 86 Petit (Louis), Dix années de chasses …, op. cit., pp. 122-123.

Mes voyages à Condé ont été fréquents […] Les noirs, intéressés à mes recherches étaient pour moi de précieux auxiliaires. Tandis que je chassais d’un côté, ils chassaient d’un autre de sorte que le soir lorsqu’on triait les pièces du « tableau » on n’avait que l’embarras du choix. Les petits noirs qui, à ma première visite à Condé, se sauvaient de moi comme si j’avais amené la peste, s’apprivoisèrent rapidement. Je les initiai à des recherches de coquillages, d’insectes, etc.86

35Le naturaliste sillonne la région dans un périmètre d’une centaine de kilomètres autour de Landana, toujours avec cinq ou six hommes qui sont des porteurs, des serviteurs, des auxiliaires de chasse et même de taxidermie. Partout où il se rend, il fait prévenir les chasseurs qu’il achètera leurs collectes. Les journées de chasse se prolongent par la préparation des cadavres qui doit être rapide. Aussi opère-t-il, comme à Condé, dans une bâtisse mise à sa disposition par le chef du village et engage-t-il des porteurs, des rameurs pour transporter ses collectes souvent abondantes, par terre ou par la voie fluviale. Pour ses chasses personnelles, il utilise des chiens Bull amenés de France, et bien sûr des guides et des rabatteurs africains.

36Les naturalistes disposent aussi d’un vivier grâce à l’œuvre des enfants de la mission du Saint-Esprit. Charles Duparquet forme lui-même les élèves à la collecte et à la préparation de spécimens, avec un triple objectif : constituer des collections à l’appui de l’enseignement ; inclure cette activité dans une panoplie de travaux manuels qui font partie de la pédagogie des pères ; enfin gagner grâce à la vente des objets quelque argent réinvesti dans l’œuvre missionnaire, allant d’achats de livres en métropole au rachat d’esclaves. Louis Petit devient le parrain de plusieurs de ces enfants avec lesquels il reste en contact après son retour en France. Certains d’entre eux deviennent à leur tour des « correspondants » non officiels, bref des fournisseurs.

  • 87 MBAC. Lettres des 3 mars 1892, 30 juin 1894 et 7 avril 1897. On voit que ces collections ne parvien (...)

37L’un des filleuls, Louis-Marie-Gaspard d’Oliveira (1873-1898), fils d’un commerçant portugais et d’une femme africaine de la pointe de Malimbé, confié à la mission en 1876 vers l’âge de trois ans, devenu séminariste et sous-diacre indigène, assure le catéchisme à Loango puis à la mission du Setté-Cama. Trois lettres de lui témoignent des relations suivies avec Louis Petit, au cours desquelles les missionnaires poursuivent des envois d’insectes et de papillons87. En retour Louis Petit fait parvenir le matériel de capture et de préparation, avec d’autres cadeaux pour les enfants. En 1897, on voit que Louis Petit lui a fait part d’une demande de « curiosités africaines ».

38Un autre filleul, V. Célestin Pet-chié, a envoyé de Loango sa photographie qui porte au verso la dédicace « À mon parrain » (s.d.) Il existe une lettre de lui datée du 20 juin 1913 où il annonce son prochain mariage. On note avec intérêt un tampon imprimé sur l’en-tête : « Saint-Pierre Martinique / Congo français », qui suggère une activité commerciale transatlantique.

Célestin Pet-chié
Archives Louis Petit, Carton Missionnaires du Saint-Esprit, donation Yvonne Guégan Cliché Musée des Beaux-Arts de Caen.

39Un troisième filleul nommé Louis-Étienne Kinteka, devenu l’employé de la factorerie Tréchot frères, à Loango, lui fait la proposition suivante :

  • 88 MBAC. Lettre de Kinteka à Petit, Loango le 18 juin 1896.

Mon bien cher Parrain,
[…] j’ai deux dents d’ivoire que je fais travailler par un noir fort habile dans ce métier. Une dent ainsi travaillée se vend chèrement. J’ai aussi une collection d’autres curiosités du Congo mais ne sachant pas ce qui vous sera le plus agréable, je vous prie de vouloir bien m’indiquer dans la lettre que vous daignerez m’écrire les objets que vous désirez le plus. Je me ferai un plaisir de vous les expédier au plus tôt.
Avant de terminer cette courte missive, je vous prierai de vouloir bien m’envoyer un livre de médecine traitant des maladies des pays chauds et un livre de commerce […]88

  • 89 Cette collection a fait l’objet d’une exposition d’octobre 1982 à janvier 1983. Le catalogue compor (...)
  • 90 Selon la notice rédigée par Colette Noll, cet objet est à rapprocher d’une œuvre similaire figurant (...)

40Outre ces archives, Yvonne Guégan a légué au Musée des Beaux-arts de Caen une collection d’objets ethnographiques héritée de son grand-père89. Une belle défense d’éléphant sculptée fait partie de cette collection (Inv. 81.18.23). Les figures, juxtaposées sur une frise qui s’enroule de bas en haut autour de l’objet, illustrent la vie croisée de missionnaires, chasseurs et collecteurs africains et européens90.

DES COLLECTES NATURALISTES AUX CONCESSIONS TERRITORIALES

Les collections Bouvier : musée, patrimoine et capital

  • 91 MBAC. Brouillon de lettre de Petit à Bouvier, Landana, [s. d.]

41Le brouillon de lettre à Bouvier, déjà cité plus haut, a probablement été conservé par Louis Petit comme trace d’un litige entre le collecteur et son commanditaire. Petit ne reçoit plus de nouvelles de Bouvier, malgré plusieurs sollicitations qui le pressent de clarifier le montant des commissions que celui-ci s’octroie sur les ventes, qu’il suppose être de 50 % au lieu des 15 % qu’il juge acceptables. La rumeur court que Bouvier est écrasé de dettes occasionnées par l’expédition de Marche et Compiègne ; Petit entend ne pas en faire les frais91.

Oliphant sculpté
À gauche, en vitrine parmi d’autres objets de la collection Louis Petit. Donation Yvonne Guégan au Musée des Beaux-Arts de Caen. Ci-contre, détail de motifs figurant sur l’oliphant. Gravure de Gillot d’après un dessin de Justin Storck réalisé dans le cadre de l’exposition sur cette donation en 1982-1983 au MBAC Clichés Agnès Lainé & Musée des Beaux-Arts de Caen.

  • 92 Les Bulletins de 1876 à 1878 ont été imprimés par Albert Lucan, 221 rue Saint-Jacques, qui était po (...)
  • 93 Certains publiés en collaboration avec Bowdler Sharpe, ornithologue assistant du département de zoo (...)
  • 94 Il est difficile de démêler ce que furent ses responsabilités propres d’autant que ses accusateurs (...)

42Bouvier traverse en effet une période difficile. Les modalités de fonctionnement de la Société zoologique de France à ses débuts favorisaient la confusion des intérêts et des patrimoines. La société avait son siège dans le magasin de Bouvier, ainsi que son administration, sa trésorerie et sa bibliothèque. En outre Aimé Bouvier mettait au service de la Société une activité d’édition de ses Bulletins92, dans lesquels il publiait des articles scientifiques mais aussi les catalogues de vente — qui sont aussi des travaux savants en raison du travail de taxinomie93. Une tension s’installe lorsque les membres du bureau directeur découvrent l’incurie de la gestion puis un « trou » significatif dans la trésorerie. La découverte des irrégularités s’échelonne entre les séances du 1er avril 1879 et le 22 juin 1880, où les soupçons, les indices de détournement de fonds et les sommations à restituer les sommes manquantes s’accumulent au-dessus de la tête de l’ex-secrétaire général, finalement acculé à la démission94.

  • 95 Son nom apparaît toujours comme fournisseur de spécimens dans divers recensements professionnels, c (...)
  • 96 Bouvier (Aimé), Les animaux de la France. Étude générale de toutes nos espèces considérées d’un poi (...)
  • 97 Voir dans cet ouvrage l’article de Santiago Aragon sur des collections pédagogiques de la Faculté d (...)

43L’affaire éclabousse Aimé Bouvier au-delà du cercle des savants ; le voilà discrédité, et en grandes difficultés financières. Il apparaît aussi en rupture avec son épouse et sa belle-famille. À partir de là, il se réfugie à Bourg-en-Bresse95, avec tout ou partie de ses collections. Quand il revient à Paris vers 1885, c’est avec l’idée d’exploiter grâce à elles le créneau ouvert par l’élargissement de l’enseignement public, tout en mettant l’accent sur l’aspect « appliqué » des sciences naturelles qui lui tient à cœur depuis toujours. Cela, il le réalise avec l’édition d’ouvrages pédagogiques96, la constitution de collections ornithologiques à destination des établissements d’enseignement primaire, secondaire et supérieur97 et, surtout, avec le développement de son musée personnel dont il se présente comme le conservateur, successivement ou simultanément :

  • Musée des faunes françaises », loué dans une ancienne école municipale, 42 avenue du Roule à Neuilly ;

  • Musée pratique d’histoire naturelle appliquée » installé Porte-Caserne 7, bastion 49, Bd Gouvion-Saint-Cyr, sur les fortifications de Thiers abattues en 1920. Ces locaux sont mis à sa disposition par le Ministère de la guerre, grâce à des appuis au conseil municipal de Paris et à la Préfecture de la Seine.

    • 98 ANP. F/17/2942. Chemise « Mr. Bouvier ». La pétition est appuyée par 17 députés et sénateurs, notam (...)
    • 99 Archives de Paris. Fonds des commissaires priseurs. D120E3. Degas (Auguste-Alexandre), commissaire (...)
    • 100 Les spécimens vendus par lots sont désignés par des termes génériques : « oiseaux exotiques, mouett (...)
    • 101 Cette proposition est transmise au sous-secrétariat des Colonies, en exposant que les voyages de Pi (...)
    • 102 Les motifs d’entente entre Rochebrune et Bouvier sont nombreux : naturaliste natif d’une ville de p (...)
    • 103 Rochebrune (Alphonse Trémeau de), Vertebratorum novorum vel minus cognitorum orae Africae occidenta (...)
    • 104 Une autre vente semble avoir eu lieu après le décès de Bouvier, annoncée par Louis Petit début 1920 (...)

    Musée municipal d’histoire naturelle de la Ville de Paris », au Palais des Arts libéraux, bâtiment issu de l’exposition universelle de 1889 au Champ de mars (détruit en 1897). Mais en janvier 1889, le naturaliste est de nouveau aux abois, menacé d’une vente forcée par des créanciers. C’est dans ce contexte que s’ouvre de nouveau au Ministère de l’Instruction publique un dossier98 contenant la pétition qui nous renseigne sur le contenu de ses collections et la source de ses dettes — il indique avoir investi dans un mobilier d’exposition comprenant 200 m de vitrines. Il explique avoir conservé des spécimens issus de son deuxième séjour aux Îles du Cap-Vert « pour s’en réserver la publication ». Aussi demande-t-il au Ministre qu’on interdise la vente au motif que, dans son esprit, « certaines collections appartiennent à l’État ». On peut imaginer la réserve du Ministère devant ce scrupule tardif ; la demande est repoussée. De fait il y eut bien une vente à l’encan (27-30 janvier) Bd Gouvion-Saint-Cyr, dont nous avons pu retrouver la trace99. Bien que les relevés d’adjudication, trop imprécis, ne fournissent pas une source bien utile pour l’histoire des objets100, ils laissent penser que les pièces les plus significatives ne furent pas vendues. Du reste, pour éviter d’autres ventes à vil prix, le naturaliste propose dans la foulée que l’Etat se porte acquéreur de collections destinées à l’enseignement. Il propose aussi la collection ethnographique de Marche et Compiègne qu’il détenait donc encore101. Il possédait aussi une centaine de types rapportés par lui-même et ses collecteurs dont il fournit la description sur une brochure imprimée. Il s’agit de diagnoses rédigées en latin par Alphonse Trémeau de Rochebrune102 (c. 1836-1912) et publiées en 1886 dans une édition à tirage probablement très limité103 car le fascicule est aujourd’hui introuvable, sauf un exemplaire situé à la Field Museum Library à Chicago selon la base de données Worldcat. Ce document montre que Bouvier conservait souvent pour lui-même les spécimens rares envoyés par ses collecteurs104.

  • 105 ANP. F/17/2942. Lettre de Charmes à A. Milne-Edwards, 22 juillet 1892, sollicitant son avis sur « l (...)
  • 106 Son père décède en 1890 ; des propriétés sont vendues par plusieurs héritiers dont Aimé Bouvier, cf (...)

44Le Ministère rend un avis défavorable à ces propositions d’achat, bien que ces archives n’informent pas complètement sur ce qui en a résulté. La situation de Bouvier semble stabilisée puisqu’il reste conservateur de son Musée municipal et donc d’une partie de ses collections105. Plusieurs années après, il investit dans des exploitations coloniales requérant des mises de fonds importantes. Nous ne savons pas si ces collections ont pu constituer un gage sur lequel emprunter, ou leur vente produire un capital, ou si Bouvier a utilisé d’autres apports106.

« Idoles des pahouins, des Gallois et des Ivéia »
« […] rapportées par MM. Marche et Compiègne. Dessinées d’après nature par M. Breton. Les six premières à gauche font partie de la collection de M. Bouvier. La déesse pahouine à droite appartient à M. Pilastre [commerçant au Gabon] ». Frontispice extrait de L’Afrique équatoriale. Pahouins, Osseyba… de Victor de Compiègne (1885) Cliché Bibliothèque nationale de France.

Itinéraire d’un objet collecté
Étiquettes d’un spécimen de Streptopelia semitorquata (tourterelle à collier) collecté par Louis Petit et Albert Lucan, conservé au MNHN (MNHN MO-2003-2574). Cet objet présente le cas rare de conservation de toutes les étiquettes et illustre la trajectoire complexe des spécimens. A-B, étiquette initiale « Lucan et Petit » recto/verso. On reconnaît l’écriture de Louis Petit, à l’exception de certains numéros tracés d’une autre plume, rouge ou mauve. C, étiquette du « Musée Bouvier ». L’écriture est de la main d’Aimé Bouvier. D, l’objet a été acquis par Adolphe Boucard (1839-1905), un collectionneur ornithologiste. E-F, Adolphe Boucard a offert sa collection d’oiseaux au MNHN en 1904, peu avant son décès (cf. Archives du MNHN, Bibliothèque centrale, AM 612) Clichés MNHN, Collection Oiseaux (ZO).

La rivière Léfini : le joyau d’une collection ?

  • 107 Coquery-Vidrovitch (Catherine), Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-193 (...)
  • 108 Idem, pp. 51-70.

45Après la conférence de Berlin, les modalités de l’exploitation coloniale sont posées. Nommé Commissaire du Congo français, Brazza fut progressivement désavoué pour sa gestion qu’il quitta en 1898. Selon l’historienne C. Coquery-Vidrovitch, à partir de cette date « le Congo se définit d’abord comme le champ d’application des théories alors élaborées par les expansionnistes français sur la rentabilité de vastes entreprises privées de colonisation mieux à même que l’État, pensait-on, de mettre en valeur les territoires nouvellement conquis »107. Le principe était que chaque territoire fût attribué nominativement, puis une société à capitaux devait se substituer au concessionnaire pour son exploitation. L’État ouvrit un appel d’offres et quarante concessions furent octroyées entre 1897 et 1899. L’auteure a relevé le peu de liens de ces demandes de concessions avec les établissements bancaires : « elles furent le fait de colons déjà avertis du pays voyant dans le nouveau régime un moyen d’étendre leurs affaires à peu de frais »108. Il n’est pas sans intérêt de relever la présence parmi eux de nos naturalistes.

  • 109 ANOM. FP. PA 16/5/4.
  • 110 Société au capital de 1 200 000 frs divisé en 12 000 parts dont 6 000 appartiennent à Bouvier. Sièg (...)
  • 111 Lejeune (Dominique), La société de géographie en France et l’expansion coloniale au xixe siècle, Pa (...)
  • 112 BNF. Cartes et plans. GE C-4535. Cette carte a été établie en 1904 (1,20 m x 0,54 m ; échelle 1 :20 (...)
  • 113 Les prospections géologiques à Madagascar ont permis à Bouvier d’investir aussi dans l’exploitation (...)

46Aimé Bouvier obtint par décret du 16 juillet 1899 une superficie de 13 700 km2 sur la rive gauche de la Léfini, affluent du Moyen-Congo, « à la suite des services rendus par lui à cette colonie » selon la charte de la Compagnie industrielle et commerciale de la Léfini. Cette charte précise que Bouvier met à son service ses relations au Congo et qu’il ira organiser l’affaire sur place109. Le fit-il ? Il fut en tout cas actionnaire majoritaire de la Compagnie et l’un des administrateurs110. En regard des autres concessions, celle-ci est de taille moyenne et bien située sur le plan des ressources et des voies de communication. Certes les relations forgées dans le creuset de la Société de géographie constituaient une mine d’informations pour ceux dont l’activité se déployait outre-mer111. Le lien durable de Bouvier avec cette Société est attesté par le don qu’il lui fit en 1905 d’une carte dressée par les agents de sa concession112. Le relevé mentionne la topographie, la nature des sols, l’implantation des villages, les difficultés et les facilités de la circulation fluviale et terrestre, les zones où se trouvent les lianes à caoutchouc et les éléphants. La concession est vouée principalement à l’exploitation de l’ivoire et du caoutchouc mais on peut se demander si elle ne servit pas aussi de territoire de chasse pour les collections zoologiques113.

  • 114 Beaucoup de ces compagnies disparurent par faillite vers 1910 selon C. Coquery-Vidrovitch, mais cel (...)
  • 115 BNF. GE D-6363.
  • 116 ANOM. FP. PA/16/5/4.
  • 117 Arzel (Lancelot), « Du gibier au colonisé. Chasse, guerre et conquête coloniale en Afrique (France, (...)
  • 118 Voir l’article de Patricia van Schuylenbergh dans ce même ouvrage.
  • 119 Voir Surun (Isabelle), « L’exploration de l’Afrique… », art. cit.

47Rien ne permet d’affirmer que cet investissement fut lucratif114 ; les éléments biographiques rassemblés amènent à penser que Bouvier fut davantage un collectionneur qu’un marchand, jouant aux limites de la ruine pour acquérir, conserver ses collections et briller à travers elles. On peut alors se demander si la Léfini n’en fut pas le joyau. En effet un autre exemplaire de cette carte porte fièrement la dédicace « offert par A. Bouvier, ancien explorateur et concessionnaire du Bassin de la Léfini, juillet 1910 »115. Puis un troisième exemplaire se trouve dans les dossiers de la mission Brazza de 1905, que celui-ci effectua à la demande du gouvernement pour enquêter sur les exactions commises par les Compagnies sur les populations pour l’exploitation du caoutchouc116. Même s’il n’existe pas d’indice que la Compagnie de la Léfini ait été incriminée lors de l’enquête, la situation actuelle de ces cartes dans les différents dossiers d’archives conduit à méditer sur le processus d’appropriation qui conduit de l’exploration à la conquête, « du gibier au colonisé » pour reprendre l’analyse de Lancelot Arzel117, ou encore ici des objets aux territoires118. À l’encontre d’une vision téléologique de l’histoire qui conduirait mécaniquement de l’exploration naturaliste aux violences coloniales119, la démarche biographique s’efforce de discerner les motivations des agents historiques. Pour certains à l’instar de Bouvier, ce processus passerait par le territoire comme objet de prestige.

  • 120 ANOM. FM. 2AFFPOL 10/2.

48Qu’en est-il de ses collaborateurs ? Albert Lucan et Louis Petit firent aussi, séparément, une demande de concession dans le bassin de la Kémo, mais en vain. Petit, qui avait fait prospérer son commerce naturaliste avec plusieurs magasins successifs, met en avant ses liens pérennes avec Prosper Augouard, devenu vicaire apostolique de l’Oubangui et du Haut-Congo français120. De son côté Lucan fait valoir l’hospitalité et les services qu’il a rendus aux acteurs de la colonisation du Congo entre 1876 et 1883 : Brazza, Ballay, Dolisie et Cordier. Bouvier a cependant révélé un fait inédit au sujet de Lucan, qui bien sûr n’est pas mentionné dans le dossier :

  • 121 ANP. F/17/2942. Pétition…, ibid., 28 mars 1889. L’argument a pu servir parmi d’autres : au moment d (...)

[…du] Dr Lucan, dont l’installation à Landana (Côtes du Loango), contribua, en même temps qu’au progrès des sciences naturelles, à étendre l’influence de la France dans ces régions, qui seraient actuellement françaises si l’intervention malencontreuse d’un de ses amis au Ministère des affaires étrangères, ne l’avait fait proposer comme vice-consul auprès du gouvernement portugais, ce qui en 1884 au moment de la délimitation de nos territoires, permit au représentant de cette nation de réclamer Landana comme terre portugaise déjà reconnue par la France121.

CARTE DE LA LÉFINI

CARTE DE LA LÉFINI

Carte de la Léfini
Dressée par les agents de la Compagnie agricole, coloniale et industrielle de la Léfini. ANOM. FP PA/16(5)/4. N.B.
Cliché Archives nationales d’outre-mer

  • 122 En 1882, l’officier belge Coquilhat, en mission pour le Comité d’études pour le Haut-Congo où il de (...)
  • 123 Leur convention est signée à Dijon avec Bouvier pour témoin, le 29 juillet 1899. Lucan, revenu en F (...)

49Cette anecdote permet de poser l’hypothèse d’un lien entre Albert Lucan et l’Association internationale africaine (AIA), créée sur la volonté de Léopold II, première étape d’une intervention organisée des Européens en Afrique équatoriale. Du reste, Louis Petit a évoqué dans son livre combien la Villa Colibri, résidence des Lucan, était devenue un lieu fréquenté sur la côte par toutes les personnalités de passage122. D’autres indices permettent de situer ces agents du « réseau Bouvier » dans la matrice idéologique de l’AIA, particulièrement convaincante parce qu’elle articule les vertus supposées du libéralisme économique avec des objectifs humanitaires. Victor de Compiègne était présent au Congrès des sciences géographiques de Bruxelles en 1876, où fut créée l’AIA. Il avait obtenu dès 1875 le poste de Secrétaire général de la Société khédiviale de géographie du Caire, fondée par son ami le Dr Schweinfurth (1836-1926) qui défendait la création d’états africains sous protectorat européen pour lutter contre l’esclavage. Pour sa demande de concession, Lucan s’est associé à Amédée Gromier (1841-1913), un journaliste, politicien et homme d’affaires natif de Bourgen-Bresse, un curieux personnage qui avait créé une « Association internationale économique des Amis de la Paix »123. De tels acteurs soutiennent un projet d’organisation du monde où ils trouvent leurs intérêts en conformité avec les valeurs qu’ils sont actifs à promouvoir. Aussi éloignés de la métropole et de ses institutions qu’ils paraissent avoir vécu ces années d’exploration lointaines, ils ont toujours été étroitement inscrits dans les « réseaux sociaux » de la métropole.

  • 124 Bonneuil (Christophe), « Le Muséum national d’Histoire naturelle et l’expansion coloniale de la Tro (...)

50L’étude du commerce des spécimens invite à revisiter les sources déjà connues de l’histoire des explorations, des relations entre sciences et empires coloniaux et du commerce transmaritime, en portant attention à ces acteurs et à ces activités moins visibles que les naturalistes institutionnels dont Christophe Bonneuil a bien décrit la contribution au mouvement d’expansion coloniale124. La démarche biographique s’est affirmée pertinente pour identifier aussi des sources nouvelles : des archives privées ou publiques — muséales, municipales — peu exploitées, des documents d’importance mineure tels que l’ouvrage de Louis Petit, à la fois récit de souvenirs et document d’érudition ornithologique, et des objets de collection. Le croisement des données apporte une documentation sur ces objets en permettant à certaines collections dispersées (d’un point de vue géographique et disciplinaire) de retrouver, avec leur unité, une épaisseur historique. Ces données renseignent aussi des aspects de l’histoire coloniale et du commerce international, montrant des participations africaines tout en laissant voir des réseaux de circulation des produits, des savoirs et des agents historiques à une échelle plus vaste encore.

  • 125 Ce travail a été réalisé avec le soutien du MNHN et de l’IMAF. Nous remercions l’ensemble des perso (...)

51Dans les allers-retours entre les différents niveaux de l’analyse — de la micro-histoire à l’histoire monde — il nous a semblé percevoir les effets et les limites des mobilités sociales de la deuxième moitié du xixe siècle, ce qui mériterait de plus amples recherches. On y constate l’importance des relations interpersonnelles cultivées dans les lieux de sociabilité savante, forgées dans l’expérience commune (scolarité, chasse, guerre, voyages et hobbies), mais aussi dans le terroir (comme l’attachement de Bouvier à l’Ain malgré la vie parisienne et cosmopolite). Ces relations permettent d’obtenir des appuis, des collaborations et des financements puisés aux divers lieux de pouvoirs (armée, clergé, institutions scientifiques et politiques, milieux d’affaires) dont les lignes d’action convergent alors pour se déployer outre-mer. Ce contexte est aussi celui d’une émigration qui s’accélère, des campagnes vers les villes et des petites villes vers les grandes : bien que né à Boulogne-sur-Seine, Alfred Marche descend d’une famille de paysans du Cantal qui émigre pendant la première moitié du siècle dans les Yvelines. Tout comme Famelart et Protche, respectivement originaires de Picardie et de Lorraine, il semble poursuivre ce mouvement hors des frontières nationales. La mobilité géographique est aussi socio-économique ou, du moins, cherche à l’être. L’accès croissant à une instruction primaire rend possible l’appropriation d’un savoir naturaliste négociable ; la taxidermie ouvre des perspectives aux artisans et le commerce naturaliste permet de voyager sans ressources institutionnelles ou familiales. Or à cette période le commerce des spécimens vient combler en partie le déficit de financement des explorations dont bénéficient tant la science que l’industrie. Si les objets d’histoire naturelle et leurs dérivés, plumes et peaux, représentent une valeur marginale du commerce global au cours du xixe siècle, ils n’en constituent pas moins un commerce lié à l’élite intellectuelle et politique, lucratif et de longue durée, tant en Europe qu’en Afrique où l’importance de cette micro-économie reste à préciser. Ce commerce, comme on l’a vu, exige des infrastructures : ateliers de préparation, entrepôts, transport, courriers, maisons de crédit, marchés, opérations de publicité, boutiques et réseaux d’acheteurs qui abondent d’autres circuits commerciaux et se développent depuis les comptoirs coloniaux jusqu’aux villes occidentales. Deux directions restent à explorer : documenter l’histoire économique des collectes et collections, et questionner l’impact de ces prélèvements sur l’environnement.125

Notes

1 Moret (Pierre), « Entomologistes et chasseurs d’insectes en Amérique du Sud au xixe siècle », in Laissus (Yves) (sous la dir.), Les naturalistes français en Amérique du Sud, xvie-xixe siècles : 118e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Pau, 25-29 octobre 1993, Paris : CTHS, 1995, pp. 395-408.

2 Romano (Antonella) & Van Damme (Stéphane), « Sciences et villes-mondes, xvie-xviiie siècles », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, vol. 55, no 2, 2008, pp. 7-18.

3 Cook (Harold J.), « Amsterdam, entrepôt des savoirs au xviie siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 55, no 2, 2008, pp. 19-42.

4 Daszkiewicz (Piotr), « La Maison Verreaux au xixe siècle à Paris, plaque tournante des collections naturalistes mondiales », Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 1997, vol. 39 no 2, pp. 111-129.

5 Katuszewski (Jack) & Ogien (Ruwen), « À quoi sert la notion de réseau ? », Réseaux, vol. 1, no 3, 1983, pp. 27-36 ; Parrochia (Daniel), « Quelques aspects historiques de la notion de réseau », Flux, vol. 62, no 4, 2005, pp. 10-20.

6 McClellan (James E.) & Regourd (François). The colonial machine : French science and overseas expansion in the Old regime, Turnhout : Brepols, 2011, 694 p. (De Diversis Artibus ; 87. n. s. ; 50).

7 D’Hondt (Jean-Loup), « Histoire de la Société zoologique de France. Son évolution et son rôle dans le développement de la zoologie », Revue française d’aquariologie herpétologie, 1989, vol. 16, no 3, pp. 65-102.

8 AEC de l’Ain, Acte de naissance no 102. Son père, avocat, était maire de la commune de Revonnas. La famille possédait des propriétés agricoles dans plusieurs communes.

9 Communication de la Mairie de Bourg-en-Bresse où il est inhumé.

10 Bouvier (Aimé), « Une addition à l’avifaune parisienne », Revue française d’ornithologie, vol. 5, no 111, 1918-1919, p. 271.

11 ANP. F/17/2912. Lettre de Bouvier au Ministre, 3 août 1864. Cette exploration, voulue par Napoléon III dans le sillage de la campagne militaire menée dans ce pays depuis 1862, avait pour modèle explicite les travaux de l’Institut du Caire mis en place par son ancêtre Bonaparte lors de la Campagne d’Egypte.

12 Lettres de Ch. Robier, prof. à la faculté de médecine de Paris et H. Milne-Edwards, prof. au MNHN et à la faculté des sciences. En outre, sa lettre de candidature porte en marge une mention indiquant la recommandation du député de l’Ain, Léopold Le Hon.

13 ANP. F/17/2912. Lettre de Bocourt au Ministre, 2 juillet 1865.

14 Idem. Lettre de Bouvier au Ministre, 1er août 1865.

15 Tous les envois apparaissent au nom de Bocourt dans les comptes-rendus imprimés sauf quand Bouvier s’en sépare, et Rousseau n ‘ apparaît jamais : Ministère de l’Instruction publique, Archives de l’expédition du Mexique, Paris : Imprimerie nationale, 1865, vol. 1, pp. 293-294 ; 335-336 ; 1867, vol. 2, p. 355. Cette autorisation lui est donnée le 28 octobre, motivée en marge par sa qualité de bénévole.

16 Les bases de données du MNHN font apparaître des objets rapportés de cette expédition et portant diverses mentions : « Bocourt, Bouvier, Bouvier avec Bocourt, Bouvier au nom de Bocourt…. »

17 Il a commencé le second séjour avec Léon de Cessac, géologue et ethnographe.

18 Milne-Edwards (Alphonse), « Notes sur quelques espèces nouvelles de crustacés rapportés des Îles du Cap Vert par M. A. Bouvier », Revue et magasin de zoologie pure et appliquée et de sériciculture comparée, 2e série, tome XXI, 1869, pp. 350-355 ; 374-378 ; 409-412 ; « Description de quelques espèces nouvelles de Crustacés provenant du voyage aux Îles du Cap-Vert de MM. Bouvier et de Cessac », Bulletin de la Société Philomathique de Paris, vol. 7, no 2, 1878, pp. 225-232.

19 ANP. F/17/2942. Pétition de Bouvier au Président de la République, 28 mars 1889. Ce qui laisse supposer qu’il aurait repris ses études de médecine à son retour du Mexique.

20 Archives Bouvier. Lettre du 15 oct. 1872.

21 Coffinières de Nordeck (André), « Le Gabon », Bulletin de la Société de géographie de Rochefort, vol. 33, no 1, 1911, pp. 124-58 ; vol. 33, no 2, 1911, pp. 181-201 ; vol. 34, no 1, 1912, pp. 73-99.

22 ANOM. FM. EE/60/64 et Gorée/XIII/1). Il est nommé conservateur à l’Exposition permanente des colonies à Paris en 1856.

23 Du Chaillu (Paul), L’Afrique sauvage : nouvelles excursions au pays des Ashangos [éd. française, revue et augmentée], Paris : Michel Lévy frères, 1868, 412 p., pl. et cartes, in-4°.

24 Cf. Mbokolo (Elikia), Noirs et Blancs en Afrique équatoriale : les sociétés côtières et la pénétration française vers 1820-1874, Paris : École des hautes études en sciences sociales ; Paris ; La Haye ; New-York : Mouton, 1981, 302 p. + [8] p. de pl., ill. (Civilisations et sociétés ; 69).

25 Y compris Augouard, soldat dans les troupes du Vatican qui rejoignirent les troupes françaises pendant la guerre franco-prussienne.

26 Cf. Malo (Henri), À l’enseigne de la petite vache. Souvenirs, gestes et figures d’explorateurs, Paris : Éditions de la Nouvelle France, [1946], [11] + 247 p., ill. en coul. (La Vie exaltante ; 33).

27 MNHN. MS 618 : Journal des Envois, 13 février 1864 ; MNHN. AM 632 : Liste des correspondants du Muséum.

28 Son père était papetier au moment de sa naissance (AEC des Hauts-de-Seine, Boulogne-sur-Seine, Acte de naissance no 36, 1844) mais peintre en bâtiment au moment de son mariage et sa mère blanchisseuse.

29 Quelques documents de sa main existent néanmoins, une lettre à E. Hamy (MNHN. MS 2255) et des étiquettes attachées à des spécimens muséaux ; une lettre adressée à la chancellerie dans le contexte de sa nomination à la Légion d’honneur…

30 Marche (Alfred), Trois voyages dans l’Afrique occidentale : Sénégal, Gambie, Casamance, Gabon, Ogooué..., Paris : Hachette, 1879, 376 p., ill. (24 grav. + 1 carte), in-8°. Alphonse Rabanis, ancien élève de l’École normale, qui se formait alors à l’Observatoire en vue de voyages d’exploration, fait une brève apparition comme membre de la Société de géographie en 1878.

31 ANP. F/17/2987/B. Mission Marche et Lucereau en Afrique centrale. Le projet avait reçu l’aval de la Commission des missions et de la Société de géographie.

32 Il est déjà le doyen des missionnaires du Ministère quand il termine sa dernière mission en 1889. Fatigué et malade, il obtient un passage pour Alger pour y résider, puis termine ses jours à Tunis où, sans plus de ressources mais grâce à des relations au Ministère, il avait obtenu un emploi d’archiviste. Il décède à Paris lors d’un congé en France, dans une relative indifférence. Florio nous a renseigné sur sa fin de vie grâce aux archives du Consulat de France à Tunis, cf. Florio (Maxime), En souvenir d’Alfred Marche (1844-1898), naturaliste et explorateur, compagnon de Savorgnan de Brazza : histoire d’une bibliothèque, Orléans : Éditions du Beffroi, 2005, 26 p.

33 Les deux notices nécrologiques qui constituent les seuls hommages restent approximatives : Revue de Géographie, t. 43, 1898, pp. 277-278 ; Deutsche Rundschau für geographie und Statistiks, 1899, tome 21, p. 136. La première relate qu’il fut aide-naturaliste au MNHN, ce qui est inexact car les registres du personnel ne mentionnent pas son nom (cf. MNHN. AM 443). Les archives de la Légion d’honneur (LH/1731/29) mentionnent un bref voyage en Algérie en 1858 (il aurait eu 14 ans) et deux voyages « dans l’Inde » (1862 et 1868) puis en Malaisie (1869-1870). Pourtant, Marche lui-même n’a jamais mentionné de voyage antérieur à 1869. N. B. La note qui récapitule ses états de service semble avoir été écrite à la hâte sur les indications d’un tiers et n’est forcément fiable ; une mention en marge renvoie à un certain « Henckel, Villa Saïd » qui pourrait être Jules Künckel d’Herculais (1843-1918), ami de Marche, naturaliste au MNHN demeurant à cette adresse.

34 ANP. F/17/2942. Pétition…, ibid. 28 mars 1889.

35 ANP. F/17/2987/B. Déplacement à Saïgon. Lettre de Marche au Ministre, 12 janvier 1870.

36 Marche (Alfred), Luçon et Palaouan. Six années au Philippines, Paris : Hachette, 1887, vi + 404 p., grav., cartes, in-8° (Collection de Voyages Illustrés).

37 Marche (Alfred), Trois voyages dans l’Afrique occidentale …, op. cit., p. 2.

38 ANP. F/17/2912. Pétition…, ibid., 28 mars 1889.

39 Il étudie chez les Jésuites puis fait des études de droit à l’Université, sa famille le destinant à une carrière administrative ou diplomatique.

40 Compiègne (Victor Dupont de), Voyages, chasses et guerres, Paris : Plon, 1876, p. II.

41 Idem, p. 16 ; pp. 167-250.

42 Idem, p. 287.

43 Marche (Alfred), Trois voyages dans l’Afrique occidentale …, op. cit., pp. 85-87.

44 Pour les années 1880-1881, la valeur des exportations des « plumes pour parures » de la colonie du Sénégal est estimée à 288 000 francs, les peaux à 135 000, l’or à 36 000, la graine de lin à 27 000, la gomme à 2 700 000 et l’arachide à près de 15 millions. Cf. Fallot (Ernest), « Histoire de la colonie française du Sénégal », Bulletins de la société de géographie de Marseille, 1883, t. 7, pp. 255-256.

45 Marche (Alfred), Trois voyages dans l’Afrique occidentale …, op. cit., p. 89.

46 Compiègne (Victor Dupont de), L’Afrique équatoriale. Gabonais, Pahouins, Gallois, Paris : Plon, 1875, p. 14.

47 Idem, p. 142.

48 Walker avait participé à une expédition avec Fleuriot de Langle, remonté l’Ogooué jusqu’à Lopé et connu Paul Du Chaillu. Il avait épousé une princesse mpongwé, Agnorogoulé Ikoutou. Leur fils, Ignace André Raponda Walker (1871-1968), devenu prêtre missionnaire, publia de nombreux écrits sur la flore, la faune et leurs usages dans les sociétés du Gabon.

49 Bulletins de la Société de géographie (BSG), 1873, série 6, t. 6, p. 548.

50 ANP. F/17/2942. Pétition…, ibid. 28 mars 1889. Il pourrait y avoir contribué. L’une de ses interventions révèle un aspect fantasque de sa personnalité : pour prendre de vitesse les Anglais et les Allemands, il propose une exploration en ballon. Cf. Bouvier (Aimé), « Le Gabon et son avenir (extrait) », in AFAS (sous la dir.), Association française pour l’avancement des sciences, vol. 2 : Comptes-rendus de la 2e session, Lyon, 1873, Paris : au secrétariat de l’Association, 1874, p. 951.

51 AEC. Paris 6e. Acte no 202. On relève la présence d’Alphonse Milne-Edwards parmi les témoins. Bouvier eut deux fils de ce mariage (en 1875 et 1877).

52 Bouvier (Aimé), Afrique occidentale : catalogue géographique des oiseaux recueillis par mm. A. Marche et m [arqu] is. de Compiègne dans leur voyage, comprenant les pays suivants, Sénégal, Gambie, Cazamance, Sierra-Leone, Bonny, Vieux-Calabar, Cap Lagos, Fernando Po Principe, Gabon, Fernand-Vaz et rivière Ogooué, Paris : Chez l’auteur, 1875, 42 p.

53 Bouvier (Aimé), Catalogue des collections ornithologiques en vente chez A. Bouvier... Classification de G. R. Gray (« Hand-list of birds », 1869-1871), Paris : Chez l’auteur, 1874, 153 p., in-8°.

54 Cette Société fondée en 1873 avait pour objet la prospection de nouvelles ressources et le développement des transactions commerciales, alors que la Société de géographie (scientifique) fondée en 1821 avait pour objectif de dresser la carte géographique du globe, même si elle faisait à l’occasion place aux êtres et aux choses qui la peuplent. Cf. Surun (Isabelle), « L’exploration scientifique de l’Afrique au xixe siècle est-elle une entreprise géographique ? », Finisterra : Revista portuguesa de geografia, vol. 33, 1998, no 65, pp. 31-38. Le congrès de 1875 (Paris, 1er -11 août 1875) était scientifique mais il fut précédé d’une exposition commerciale et ludique dans le jardin des Tuileries à partir du 15 juillet, cf. [anonyme], « Bulletins des sociétés », L’Explorateur, 1875, vol. 1, pp. 255-256.

55 Compiègne (Victor Dupont de), L’Afrique équatoriale. Gabonais…, op. cit., p. 2.

56 [anonyme], « Bulletins des sociétés », L’Explorateur, art. cit., pp. 255-256.

57 La maison Deyrolle était particulièrement tournée vers l’entomologie. Le fondateur Achille, puis deux de ses fils, Émile et Théophile, étaient membres de la Société.

58 Il obtint une médaille d’argent de 1ère classe pour sa collection de crustacés à une exposition d’insectologie [sic] au Luxembourg, cf. Le Journal de l’Ain, 17 décembre 1873, p. 3.

59 D’Hondt (Jean-Loup), « Histoire de la Société zoologique… », art. cit.

60 Idem, p. 66.

61 Bulletins de la Société zoologique de France (BSZF), 1878, t. 3, pp. 198-199 ; 1879, t. 4, pp. i et suiv. Les critiques portent sur les collections muséales pléthoriques mais scientifiquement très incomplètes. Piqué au vif, Edmond Perrier, zoologiste au MNHN, fait valoir que les collections publiques, œuvres patriotiques disposant de ressources limitées, s’accroissent par les dons et les legs plutôt que par des achats.

62 Achille Raffray (1844-1823), spécialiste des insectes, était au départ un collecteur d’Émile Deyrolle. Il obtint par la suite des missions officielles et poursuivit une carrière consulaire.

63 Archives Bouvier. Lettre du 29 septembre 1875, de l’Arba près d’Alger. Lallemant devient membre de la Société zoologique en 1881.

64 Moret (Pierre), « Entomologistes et chasseurs d’insectes… », op. cit., p. 404.

65 Petit (Louis), Dix années de chasses d’un jeune naturaliste au Congo, Évreux : Imp. de l’Eure, 1926, iv + 267 p., ill.

66 D’abord en association avec Guérin, 18 rue Racine, cf. Almanach du Commerce de Paris Didot-Bottin, Paris : Didot frères, 1856, p. 730. Il avait des collaborations avec le MNHN. Son fils nous le présente comme ayant travaillé sur la collection ornithologique Henri Marmottan (1832-1914), aujourd’hui au MNHN (cf. BSZF, vol. 52, 1927, p. 55). A noter que Marmottan, médecin, membre fondateur de la Société zoologique de France, homme politique (qui joua un rôle dans les événements de la Commune de Paris) et homme d’affaires, fait un lien intéressant entre plusieurs membres du réseau Bouvier : médecin de famille des Petit et leur client, confrère de Lucan qu’il maria lui-même en 1889, client et soutien de Bouvier.

67 Petit (Louis), Dix années de chasses …, op. cit., p. 7.

68 Duparquet (Charles), Le Père Duparquet. De l’exil à Bagamoyo au succès de Landana : Lettres et écrits Tome III (1870-1876) [présenté par Viera Gérard], Paris : Karthala, 2014, p. 548 (Mémoire d’Églises).

69 MBAC. Lettre de Petit à Bouvier, Chinchonxo, 22 mars 1876.

70 MBAC. Lettre de Bouvier à Petit, Paris, 27 avril 1876.

71 Archives Bouvier. Lettre de la Maison Dubarry à Bouvier, le Havre, 5 mai 1873.

72 MBAC. Brouillon de lettre de Petit à Bouvier, [s. l.], [s. d.]

73 Daskiewicz (Piotr), « La Maison Verreaux au xixe siècle à Paris… », art. cit. Plus récemment Harriès a décrit ce commerce en relation avec le développement des sciences dans un contexte de guerre coloniale. Cf. Harries (Patrick), « Warfare, commerce, and Science. Racial Biology in South Africa », in Bancel (Nicolas), David (Thomas) & Thomas (Dominic) (sous la dir.), The Invention of Race. Scientific and Popular Representations, New York ; Londres : Routledge, 2014, pp. 170-182 (Routledge studies in cultural history ; 28).

74 Duparquet (Charles), Le Père Duparquet. De l’exil à Bagamoyo…, op. cit., p. 548. Bouvier, conjointement avec Quatrefages, parraine Lucan à la Société de géographie (juillet 1877).

75 AEC Côte-d’Or, Beire-Le-Châtel, acte no 11 : naissance d’Étienne Armand Marie Albert Lucan le 4 avril 1843 ; il décède au même lieu le 20 septembre 1907, idem 1907 acte no 20.

76 Duparquet (Charles), Le Père Duparquet. De l’exil à Bagamoyo …, op. cit., p. 548.

77 Coquilhat (Camille), Sur le Haut-Congo, Paris : J. Lebègue, 1888, pp. 19-20.

78 Famelart (Lucien), « Observations sur un jeune gorille », Bulletins de la Société zoologique de France, 1883, vol. 8, pp. 149-152. Il travaillera plus tard pour la maison Tréchot frères puis semble avoir émigré aux États-Unis.

79 Protche s’est mis par la suite au service du comptoir Daumas à Boma sous la direction du belge Alexandre Delcommune, qu’il a accompagné dans une expédition au Katanga en 1890. Malade, Protche quitte l’expédition en mai 1891, date à laquelle nous perdons sa trace.

80 née en 1846 à Arceau (Côte d’Or) de parents manouvriers puis domestiques à Dijon. En fait le couple Lucan se marie des années plus tard à Paris, légitimant un enfant né à Landana en 1883, cf. AEC Mariages, Paris 16e, 14 août 1889.

81 MBAC. Le 15 juin 1880, Petit remercie sa mère de l’envoi de journaux sur la loi d’amnistie votée à la Chambre, mais lui explique qu’en rentrant maintenant il devra cinq ans de service militaire, alors qu’il peut espérer son exemption s’il reste encore quelques mois en Afrique. En effet le séjour dans les colonies, considéré comme service patriotique, avait valeur d’équivalence.

82 Des descriptions en ont été publiées par Bouvier dans les BSZF, en quatre parties, de 1876 à 1878.

83 Moret (Pierre), « Entomologistes et chasseurs d’insectes… », op. cit., p. 405, citant Paparavo (Nelson), Essays on the history of neotropical dipterology, with special reference to the collectors (1750-1905), vol. 1, Sao Paulo : Museu de zoologia ; Universidade de São Paulo, 1971, pp. 134-135.

84 Demmer (Christine), « Coquillages savants ou coquillages marchands ? Une expédition naturaliste au prisme du commerce mondial à Madagascar », Techniques & Culture, vol. 59, no 2, 2012, pp. 164-181.

85 Coquilhat (Camille), Sur le Haut-Congo, op. cit., p. 19.

86 Petit (Louis), Dix années de chasses …, op. cit., pp. 122-123.

87 MBAC. Lettres des 3 mars 1892, 30 juin 1894 et 7 avril 1897. On voit que ces collections ne parviennent pas forcément en bon état.

88 MBAC. Lettre de Kinteka à Petit, Loango le 18 juin 1896.

89 Cette collection a fait l’objet d’une exposition d’octobre 1982 à janvier 1983. Le catalogue comporte une brève biographie de Louis Petit d’après son livre mais les correspondances ont été peu exploitées : Collectif, À propos d’une donation, les côtes d’Afrique occidentale il y a 100 ans, Caen : Musée des Beaux-Arts de Caen, 1983, 1 vol.

90 Selon la notice rédigée par Colette Noll, cet objet est à rapprocher d’une œuvre similaire figurant au musée de Berlin (III C 748) acquise à Chinchonxo en 1876 (Idem., p. 22). En fait la fiche signalétique de l’objet de Berlin ne comporte pas de date, mais le lieu-dit Chinchonxo permet de relier l’objet de Berlin à l’expédition allemande au Loango (1873-1876). Les deux objets paraissent en effet proches en style mais l’œuvre du musée de Caen peut avoir été obtenue à tout moment pendant le séjour de Petit ou postérieurement grâce à son correspondant.

91 MBAC. Brouillon de lettre de Petit à Bouvier, Landana, [s. d.]

92 Les Bulletins de 1876 à 1878 ont été imprimés par Albert Lucan, 221 rue Saint-Jacques, qui était pourtant déjà à Landana et a sans doute prêté son nom à une activité d’édition de lettres et lithographies déjà créée en décembre 1876 (Cercle de la Librairie, Journal général de l’imprimerie et de la librairie, première partie : bibliographie, Paris : Au cercle de l’imprimerie, de la librairie & de la papeterie, 2e série, tome XXI, 1877, p. 10).

93 Certains publiés en collaboration avec Bowdler Sharpe, ornithologue assistant du département de zoologie du British Museum.

94 Il est difficile de démêler ce que furent ses responsabilités propres d’autant que ses accusateurs sont juges et parties, cf. BSZF, tome 5. Par ailleurs, la Société avait besoin de ce que Bouvier incarnait : après sa démission, une inquiétude s’exprime quant à l’appui que la Société pourrait donner aux « voyageurs naturalistes » ; Émile Deyrolle est agréé le même jour dans la Société et propose de prendre en charge la publication des comptes-rendus dans son journal, Le Naturaliste.

95 Son nom apparaît toujours comme fournisseur de spécimens dans divers recensements professionnels, cf. Cassino (Samuel Edson), The Naturalists’ Universal Directory, Boston : The Cassino Press, 1883, p. 47 : « Bouvier, A, (Bourg-en-Bresse), formerly 55 quai des Grands-Augustins : Orn., especially African Mam., Anthropoids, Malacology, C. 90000 birds. Ex and sell ».

96 Bouvier (Aimé), Les animaux de la France. Étude générale de toutes nos espèces considérées d’un point de vue utilitaire. Vertébrés, 1ère partie, les Mammifères, Paris ; Neuilly : Musée des Faunes de France, 1886, 99 p. ; Les mammifères de la France : enseignement populaire et pratique : étude générale de toutes nos espèces considérées au point de vue utilitaire, Paris : G. Carré, 1891, LII + 570 p., ill. Ce dernier ouvrage a obtenu la médaille d’argent de la Société d’acclimatation, dont Bouvier était membre à vie et dont il a suivi les activités jusqu’à son décès.

97 Voir dans cet ouvrage l’article de Santiago Aragon sur des collections pédagogiques de la Faculté des Sciences.

98 ANP. F/17/2942. Chemise « Mr. Bouvier ». La pétition est appuyée par 17 députés et sénateurs, notamment de l’Ain, de la Seine et de la Côte d’Or.

99 Archives de Paris. Fonds des commissaires priseurs. D120E3. Degas (Auguste-Alexandre), commissaire priseur de 1879 à 1892. Carton 25. Dossiers Comina contre Bouvier ; Josse contre Bouvier. Le produit des ventes s’élève à env. 7 000 frs mais l’affaire n’est soldée qu’en juillet, émaillée d’oppositions et de suspensions par voie de référé. On y voit que Bouvier avait aussi sollicité l’aide du Ministère de la guerre.

100 Les spécimens vendus par lots sont désignés par des termes génériques : « oiseaux exotiques, mouettes, cerf, chauve-souris… » sans lieu de provenance. Figurent le nom de l’acquéreur et son adresse sans qu’il soit précisé sa qualité. On peut néanmoins relever des noms connus : Van Kempen (Charles Van Kempen, collectionneur ornithologue à Saint-Omer ?) ou Bureau (Louis Bureau, conservateur du muséum de Nantes ?) On relève aussi les noms de marchands tels que Boubée, Deyrolle, Guillot…

101 Cette proposition est transmise au sous-secrétariat des Colonies, en exposant que les voyages de Pierre Savorgnan de Brazza ont déjà permis de doter les musées de documents semblables.

102 Les motifs d’entente entre Rochebrune et Bouvier sont nombreux : naturaliste natif d’une ville de province (Angoulême), chirurgien-major dans les ambulances civiles pendant la guerre, docteur en médecine (1874), médecin-chef à Saint-Louis du Sénégal (1875-1877) où il réalise une étude sur les poissons, Rochebrune est recruté comme préparateur auxiliaire au laboratoire d’anthropologie du MNHN (1878) puis aide-naturaliste à la chaire de zoologie (1880). Il a publié une Faune de Sénégambie où figurent de nombreux spécimens associés à Bouvier et à ses collecteurs.

103 Rochebrune (Alphonse Trémeau de), Vertebratorum novorum vel minus cognitorum orae Africae occidentalis incolarum, Meulan : A. Masson, [1886], 3 part. (14 + 21 + 15 p.) Seule la première partie (14 pages) avait paru dans les Bulletins de la Société philomathique, 1885, série 7, tome 9, no 1, pp. 86-99. Ces types n’ont pas forcément été retenus par la suite comme tels.

104 Une autre vente semble avoir eu lieu après le décès de Bouvier, annoncée par Louis Petit début 1920 à la SZF. Aujourd’hui nombre d’objets collectés par Bouvier, Lucan, Petit et Marche figurent dans des musées français (Paris, Nantes, Bourges, Angers, Toulouse…), européens et américains (Institut royal des sciences de Belgique, British Museum, Musée royal d’Ontario, Musée de l’université d’Harvard, Smithsonian Institute de Washington, Field Museum de Chicago).

105 ANP. F/17/2942. Lettre de Charmes à A. Milne-Edwards, 22 juillet 1892, sollicitant son avis sur « l’œuvre dont Mr Bouvier s’est fait le promoteur », suite à une demande d’ouvrages destinés à son établissement.

106 Son père décède en 1890 ; des propriétés sont vendues par plusieurs héritiers dont Aimé Bouvier, cf. Journal de l’Ain, 15 juillet 1891, p. 3.

107 Coquery-Vidrovitch (Catherine), Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, 1e éd., Paris ; La Haye : Mouton, 1972, p. 14 (Monde d’outre-mer passé et présent, Série 1, Études ; 37) ; réimprimé en 2001 en deux tomes à Paris : EHESS, VIII + 305 p. ; [311] + 598 p. + [16] p. de pl., ill., cartes (Réimpressions des Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales).

108 Idem, pp. 51-70.

109 ANOM. FP. PA 16/5/4.

110 Société au capital de 1 200 000 frs divisé en 12 000 parts dont 6 000 appartiennent à Bouvier. Siège social 54 rue des Petites-Écuries à Paris.

111 Lejeune (Dominique), La société de géographie en France et l’expansion coloniale au xixe siècle, Paris : Albin Michel, 1993, 236 p. (Bibliothèque Albin Michel de l’Histoire). Pour cet auteur, la Société était le bras scientifique de la conquête, point de vue discuté par Surun (Isabelle), « L’Exploration scientifique de l’Afrique… », art. cit., pp. 31-38.

112 BNF. Cartes et plans. GE C-4535. Cette carte a été établie en 1904 (1,20 m x 0,54 m ; échelle 1 :200 000). Cf. La Géographie, 1905, t. XII, 2e sem., p. 285.

113 Les prospections géologiques à Madagascar ont permis à Bouvier d’investir aussi dans l’exploitation de l’or. Il préside le conseil d’administration de la Société des gisements aurifères d’Anasaha, liée au Syndicat lyonnais d’exploration de Madagascar par un partage des dépenses et des résultats, cf. Recueil des sociétés coloniales et maritimes, Bruxelles : Société d’études coloniales de Belgique ; Paris : Challamel, 1902, p. 221.

114 Beaucoup de ces compagnies disparurent par faillite vers 1910 selon C. Coquery-Vidrovitch, mais celle de Bouvier s’est maintenue au-delà. Toutefois, les descendants d’Aimé Bouvier ont indiqué avoir ignoré ces investissements en Afrique.

115 BNF. GE D-6363.

116 ANOM. FP. PA/16/5/4.

117 Arzel (Lancelot), « Du gibier au colonisé. Chasse, guerre et conquête coloniale en Afrique (France, RoyaumeUni, Belgique, 1870-1914) », in Lorin (Amaury) & Taraud (Christelle) (sous la dir.), Nouvelle histoire des colonisations européennes (xixe-xxe siècles), Paris : PUF, 2013, pp. 15-24 (Le nœud gordien).

118 Voir l’article de Patricia van Schuylenbergh dans ce même ouvrage.

119 Voir Surun (Isabelle), « L’exploration de l’Afrique… », art. cit.

120 ANOM. FM. 2AFFPOL 10/2.

121 ANP. F/17/2942. Pétition…, ibid., 28 mars 1889. L’argument a pu servir parmi d’autres : au moment de la conférence de Berlin, les Portugais durent batailler pour faire valoir l’ancienneté de leur influence dans la région, cf. Maximy (René de) & Brugaillière (Marie-Christine), « Un roi-homme d’affaires, des géographes et le tracé des frontières », Hérodote, no 41, 1986, pp. 46-72.

122 En 1882, l’officier belge Coquilhat, en mission pour le Comité d’études pour le Haut-Congo où il devait rejoindre Stanley, était porteur d’une lettre pour Lucan : Coquilhat (Camille), Sur le Haut-Congo, op. cit., p. 19.

123 Leur convention est signée à Dijon avec Bouvier pour témoin, le 29 juillet 1899. Lucan, revenu en France en 1891, résidait dans sa ville natale à Beire-le Châtel. La demande de Lucan et Gromier est réitérée chaque année de 1899 à 1905 car le bassin était resté libre.

124 Bonneuil (Christophe), « Le Muséum national d’Histoire naturelle et l’expansion coloniale de la Troisième République (1870-1914) », Revue française d’histoire d’outre-mer, vol. 86, no 322, 1999, pp. 143-169.

125 Ce travail a été réalisé avec le soutien du MNHN et de l’IMAF. Nous remercions l’ensemble des personnels, archivistes et documentalistes des établissements publics qui nous ont facilité l’accès aux documents. Nous remercions particulièrement Jean-Loup D’Hondt, président de la Société zoologique de France, Michelle Bouvier et sa famille pour leur accueil et les informations communiquées.

List of illustrations

Caption « Armes et trophées Pahouins »Dessin d’André Coffinières de Nordeck (1848-1917) extrait de son Album au Gabon. MQB-JC, no d’inventaire PA000270. Plusieurs œuvres réalisées par l’officier de Marine ont illustré, ou inspiré des illustrations des récits de voyage d’Alfred Marche Cliché musée du quai Branly - Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais/Claude Germain.
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Caption Alfred Péney en 1860Photographie recto verso. Alfred Péney (1817-1861), né dans l’Ain, médecin-major dans l’armée d’Égypte, explorateur et collecteur (une quarantaine de spécimens figurent dans la base de données des collections du MNHN), pourrait avoir été un modèle pour le jeune Bouvier qui ne comptait pas sinon de médecin ou d’homme de science parmi ses proches. Bouvier offrit une photographie de ce cousin à la Société de géographie en 1898 (BNF.SG PORTRAIT-2203) Cliché Bibliothèque nationale de France.
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Caption Alfred Marche et ChicoStéréotype de l’explorateur, l’uniforme (panama, fusil, bottes) et du « boy » de la littérature populaire. En réalité Chico était adulte, ancien esclave élevé par la mission catholique et recruté comme cuisinier. Il participe aux deux voyages de Marche au Gabon, avec Compiègne puis avec Brazza. Dessin d’après nature d’Eugène Ronjat extrait du Tour du monde, no 36, juillet 1878 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN
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Caption Carte du Gabon et du fleuve OgoouéD’après les relevés du marquis de Compiègne et d’Alfred Marche. Carte gravée par L. Sonnet extraite de Compiègne (Victor Dupont), Gabonais, Pahouins, Gallois, Paris : Plon, 1878Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
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Caption Une factorerie Dessin de Riou (d’après un croquis de Coffinières de Nordeck) extrait du Tour du monde (juillet 1878) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
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Caption Potamogale VeloxCroquis de René Valette d’après le spécimen collecté par Alfred Marche lors de sa mission avec Brazza (1875-1877). Cet animal avait été décrit par Du Chaillu et Marche était fier de l’avoir retrouvé. Dessin extrait du Tour du monde (juillet 1878) Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
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Caption Louis Petit et Prosper AugouardÀ gauche, Louis Petit en Sénégambie (1873). À droite, Prosper Augouard en zouave du Vatican (1870). Les deux hommes se rencontrèrent à Landana et restèrent liés leur vie durant. Archives L. Petit, donation Y. Guégan Clichés Musée des Beaux-Arts de Caen.
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Caption Brouillon de lettre à Bouvier« Marchandises » remplacés par « produits d’histoire naturelle » ou « récolte ». Archives Louis Petit, donation Yvonne Guégan Cliché Musée des Beaux-Arts de Caen
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Caption La villa Colibri Maison, jardins et ateliers de Lucan et Petit à Landana. Archives L. Petit Cliché Musée des Beaux-Arts de Caen.
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Caption Carte de visite commercialeLouis Petit avait gagné la médaille au concours Lépine pour une chouette articulée en 1902. Au début du xxe siècle, l’activité reposait beaucoup sur les « produits dérivés » : trophées de chasse, décoration intérieure. Il faut y ajouter ce qui n’est pas mentionné ici, les plumes de parure (son épouse Isabelle était modiste). Archives Louis Petit, donation Yvonne Guégan Cliché Musée des Beaux-Arts de Caen
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Caption FactoreriesDétail de la carte correspondant à la région parcourue par Louis Petit, Albert Lucan, Honoré Protche et Lucien Famelart. Louis Petit avait rencontré le cartographe, Charles de Rouvre (dates inconnues) au moment où il faisait ses relevés. Dessin par Jules-André-Arthur Jansen (1849-1931). Carte extraite du Bulletin de la Société de Géographie, série 6, tome 20, octobre 1880 Cliché Bibliothèque centrale, MNHN.
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Caption Célestin Pet-chiéArchives Louis Petit, Carton Missionnaires du Saint-Esprit, donation Yvonne Guégan Cliché Musée des Beaux-Arts de Caen.
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Caption Oliphant sculptéÀ gauche, en vitrine parmi d’autres objets de la collection Louis Petit. Donation Yvonne Guégan au Musée des Beaux-Arts de Caen. Ci-contre, détail de motifs figurant sur l’oliphant. Gravure de Gillot d’après un dessin de Justin Storck réalisé dans le cadre de l’exposition sur cette donation en 1982-1983 au MBAC Clichés Agnès Lainé & Musée des Beaux-Arts de Caen.
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Caption « Idoles des pahouins, des Gallois et des Ivéia »« […] rapportées par MM. Marche et Compiègne. Dessinées d’après nature par M. Breton. Les six premières à gauche font partie de la collection de M. Bouvier. La déesse pahouine à droite appartient à M. Pilastre [commerçant au Gabon] ». Frontispice extrait de L’Afrique équatoriale. Pahouins, Osseyba… de Victor de Compiègne (1885) Cliché Bibliothèque nationale de France.
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Caption Itinéraire d’un objet collectéÉtiquettes d’un spécimen de Streptopelia semitorquata (tourterelle à collier) collecté par Louis Petit et Albert Lucan, conservé au MNHN (MNHN MO-2003-2574). Cet objet présente le cas rare de conservation de toutes les étiquettes et illustre la trajectoire complexe des spécimens. A-B, étiquette initiale « Lucan et Petit » recto/verso. On reconnaît l’écriture de Louis Petit, à l’exception de certains numéros tracés d’une autre plume, rouge ou mauve. C, étiquette du « Musée Bouvier ». L’écriture est de la main d’Aimé Bouvier. D, l’objet a été acquis par Adolphe Boucard (1839-1905), un collectionneur ornithologiste. E-F, Adolphe Boucard a offert sa collection d’oiseaux au MNHN en 1904, peu avant son décès (cf. Archives du MNHN, Bibliothèque centrale, AM 612) Clichés MNHN, Collection Oiseaux (ZO).
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Title CARTE DE LA LÉFINI
Caption Carte de la LéfiniDressée par les agents de la Compagnie agricole, coloniale et industrielle de la Léfini. ANOM. FP PA/16(5)/4. N.B.Cliché Archives nationales d’outre-mer
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Author

Historienne, est chercheure affiliée à l’Institut des mondes africains (UMR 8171 ; IRD 243). Ses travaux se situent au croisement des sciences de la vie et des sciences humaines et sociales dans une perspective d’histoire globale. Elle travaille notamment sur les circulations humaines, de savoirs, de techniques et d’objets entre l’Afrique et l’Europe du xixe siècle au xxie siècle.

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