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Le Jardin d’utopie

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Emma C. Spary

Patronage, communauté et pouvoir : les stratégies d'auto-présentation des nouveaux régimes

Texte intégral

“Les grandeurs, dit Pangloss, sont fort dangereuses, selon le rapport de tous les Philosophes. Car enfin Eglon roi des Moabites fut assassiné par Aod ; Absalon fut pendu par les cheveux et percé de trois dards. Le roi Nadab fils de Jéroboam, fut tué par Baza, le roi Ela par Zambri, Okosias par Jehu, Attalia par Joiada ; les rois joakim, Jéconias, Sédécias furent esclaves. Vous savez comment périrent Crésus, Astiage, Darius, Dénys de Siracuse, Pyrrhus, Persée, Annibal, Jugurtha, Arioviste, César, Pompée, Néron, Othon, Vitellius, Domitien, Richard second d’Angleterre, Edouard second, Henri six, Richard trois, Marie Stuard, Charles premier, les trois Henri de Erance, l’Empereur Henri quatre ? Vous savez... – Je sais aussi, dit Candide, qu'il faut cultiver notre jardin.”
Voltaire (François-Marie Arouet de), Candide, ou l’Optimisme, [Genève] : [Cramer], 1759.

  • 1 Furet (François), Penser la Révolution française, Paris : Gallimard, 1978, 259 p. (Bibliothèque de (...)
  • 2 Furet (François), Richet (Denis), La Révolution française, Paris : Hachette, 1965, 2 vols. Sur l’a (...)
  • 3 Voir en particulier, Baker (Keith Michael) (sous la dir.), The trench Revolution and the Creation (...)
  • 4 Baker (Keith Michael), Inventing the French Revolution..., op. cit., p. 3. De nombreux historiens (...)
  • 5 Baker (Keith Michael), “Introduction”, in Furet (François), Interpreting the French Revolution, [t (...)
  • 6 Ozouf (Mona), La Fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris : Gallimard, 1976, 340 p. ; French Caricat (...)

1Depuis la parution de Penser la Révolution française de François Furet en 1978, la Révolution française n’a cessé d’être un terrain litigieux1. Le succès des attaques de Furet à l’encontre des histoires marxistes de la Révolution a conduit les historiens, des deux côtés du débat, à réviser le vieux modèle de 1789 en tant que moment de la transformation d’un royaume socialement divisé et industriellement rétrograde en une nation capitaliste égalitaire2. Toutefois, Furet et de nombreux historiens qui ont suivi ses traces ont continué à considérer la Révolution comme le point de départ de “l’État moderne”3. Tandis que les marxistes s’efforçaient de contenir les causes de l’événement dans le cadre d’une explication socio-économique, Furet et ses partisans ont évoqué la nécessité de “redécouvrir... le politique dans l’historiographie de la Révolution française”4. Le sens du terme “politique” est cependant très différent pour ces historiographies concurrentes. Pour les partisans de Furet, comme Keith Michael Baker ou Mona Ozouf, l’action politique se joue principalement au niveau du symbolisme. La capture du domaine linguistique pourrait, en particulier, assurer la possession du pouvoir législatif5. Cette insistance à traiter le langage de la Révolution française comme l’objet central de l’interprétation historique, plutôt que comme un moyen pour parvenir aux “véritables” événements historiques de cette période, a encouragé l’intérêt pour le développement d’un langage politique et d’un espace politique pour le peuple français6.

2Ceux qui venaient du système de patronage de l’Ancien Régime devaient désormais faire face à une société où le siège de la souveraineté se déplaçait rapidement. Les problèmes que connurent les naturalistes du Jardin sous la Révolution étaient semblables à ceux rencontrés par de nombreux autres groupes qui luttaient pour contrôler leur propre sphère ou même le domaine politique dans son ensemble après 1789. Le succès de la traduction des intérêts d’un individu ou d’un groupe sous la Révolution dépendait largement de l’aptitude de cet individu ou de ce groupe à monopoliser le langage de la légitimité. Dans le présent chapitre, je suggérerai que les naturalistes du Jardin du roi étaient extrêmement habiles à adopter et à remanier le langage et le comportement révolutionnaires pour justifier leurs prétentions à réformer et à contrôler l’établissement, tant avant qu’après sa transformation en Muséum d’histoire naturelle le 10 juin 1793. Ce faisant, je plaiderai pour une histoire conçue comme tissu d’actions et de pouvoirs, m’opposant ainsi à la fois aux historiens marxistes en quête d’une Révolution française résultant de forces sociales et économiques, et à certaines lectures de Furet qui traitent le discours, les symboles et l’idéologie comme des contenants du pouvoir sans explorer les stratégies de construction et d’utilisation par lesquelles leur sens et leur pouvoir sont constitués et entretenus.

FIG. 22 - Décret du 10 juin 1793 relatif à l’organisation du Jardin national des plantes et du Cabinet d’histoire naturelle sous le nom de Muséum d’histoire naturelle : pages 1 et 2.

  • 7 Voir par exemple Kersaint (Georges), “Antoine-François de Fourcroy, 1755-1809 : sa vie et son œuvr (...)
  • 8 Furet (François), Penser la Révolution française, op. cit., p. 43.

3Après tout, le langage est fonctionnel et non pas seulement symbolique. Ceux qui ont participé à l’élaboration du discours révolutionnaire l’ont fait parce que cela leur offrait la possibilité de mener à bien divers objectifs. C’est le fait même que la vie et les activités intellectuelles de tous les savants étaient confrontées à des bouleversements et à des dangers considérables pendant cette période qui confère une telle importance à la réforme du Jardin en pleine Terreur. Loin d’être les victimes passives des circonstances politiques révolutionnaires, les savants du Jardin des plantes surent préserver non seulement leur vie, mais aussi leur institution et leurs postes pendant cette période si sombre pour les institutions scientifiques françaises7. Le Jardin représente un cas unique parmi les grandes institutions scientifiques de France, en ce que sa réforme fut basée entièrement sur les propositions conjointes des naturalistes eux-mêmes. C’était là, en partie, le fruit de la capacité des naturalistes à définir le sens du Jardin pour l’avenir de la France en alternant entre différents styles pour s’adresser aux sources de souveraineté potentielles. Ainsi l’histoire du Jardin réfute-t-elle l’affirmation de Furet disant de l’idéologie révolutionnaire : “Toute ligue, toute institution est provisoire devant ce torrent qui ne cesse d’avancer”8. Les naturalistes incorporèrent des préoccupations de l’Ancien Régime à leur propre manière de façonner la Révolution ; qui plus est, ils s’approprièrent et manipulèrent activement les langages de la Révolution pour répondre à leurs propres objectifs.

4Le développement d’une rhétorique de communauté et l’emploi d’approches communes de la négociation de l’autonomie contrastant avec le comportement associé au système du patronage, furent particulièrement importants pour les naturalistes dans leurs efforts pour acquérir l’autonomie sur leur institution. La transformation du Jardin en Muséum marqua la résolution de plusieurs stratégies possibles pour préserver l’institution. Au lieu de la répartition des pouvoirs du système de patronage de l’Ancien Régime, où le pouvoir et le statut des individus étaient le résultat de recommandations et de garanties personnelles, dans la nouvelle République les naturalistes du Jardin pouvaient obtenir un pouvoir beaucoup plus grand en se représentant comme les membres d’une communauté, les éléments d’un tout. Le Jardin/Muséum était décrit comme un établissement de sensibilité, un lieu où l’existence humaine était proche de l’état idéal d’utilité agricole et d’harmonie sociale rousseauiste. Cette vision contribuait à la compréhension, par les naturalistes, de la fonction adéquate du Jardin dans une république et de la manière de se réguler eux-mêmes et les uns les autres.

L’effondrement du patronage

5Au Jardin, les relations de patronage étaient contrôlées par de nombreuses conventions de communication, présentes dans les échanges écrits et verbaux. Ces règles tacites définissaient qui pouvait s’adresser à qui pour solliciter des avantages financiers, intellectuels, politiques ou autres. Parmi les protecteurs de Buffon figuraient plusieurs ministres, dont le comte d'Angiviller, contrôleur-général des bâtiments du roi* ; Amelot de Chaillou, ministre de la maison du roi* ; et le baron de Breteuil, ministre des Finances*. Ces hommes, liés directement ou indirectement au financement du Jardin, ou capables de quelque autre manière d’influer sur ce qui s’y passait, intercédaient en faveur de Buffon lorsqu’il sollicitait du roi de l’argent, des terres ou des pensions* pour le Jardin. De la même manière, Buffon jouait ce rôle de protecteur pour ses naturalistes, et exerçait un pouvoir considérable dans le monde savant pour obtenir leur nomination au Jardin, des augmentations de salaire, la caution d’autres institutions comme l’Académie royale des sciences, et divers privilèges de moindre importance. Les naturalistes du Jardin étaient dépendants de leurs protecteurs, dont les voix étaient les seules qu’ils pouvaient utiliser pour s’adresser à ceux qui détenaient le pouvoir suprême sur leur destin. À leur tour, toutefois, les naturalistes jouaient ce rôle de protecteurs pour leurs correspondants, relations et amis.

  • 9 Voir Outram (Dorinda), Georges Cuvier : Vocation, Science, and Authority in Post-Revolutionary Fra (...)
  • 10 Rudé (George), The French Revolution, op. cit., pp. 36-41.
  • 11 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution : the Paris Academy of Sciences, 1666-1803, (...)
  • 12 Gillispie (Charles Coulston), Science and Polity in France at the End of the Old Regime, Princeton (...)
  • 13 Archives nationales, AJ/15/565 ; Mavidal (Jérôme), Laurent (Émile) (sous la dir.), Archives parlem (...)

6La Révolution française donna lieu à une dislocation généralisée de ce système de patronage dont dépendaient les postes des naturalistes dans le monde scientifique de la France du XVIIIe siècle9. Cette période de bouleversement, associée à la perte du pouvoir par le roi, en qui culminaient tous les liens de patronage, fut caractérisée par un grand nombre de tentatives de la part d’organisations savantes pour obtenir l’autonomie sur leurs affaires internes dans leur relation avec l’État. Les premières années de la Révolution fournirent un théâtre politique où un nombre considérable de praticiens scientifiques participaient au débat en cours sur la nouvelle répartition du pouvoir, entre autres parce que les assemblées nationales, constitutive et législative comptaient parmi leurs députés de nombreux savants10. Afin de prouver que les projets scientifiques étaient indispensables à un bon gouvernement, les membres de l’Académie des sciences participèrent à des entreprises chargées de fixer de nouvelles normes pour la société révolutionnaire, comme la Commission des poids et mesures11. La Société d’agriculture de Paris s’efforça de démontrer son utilité aux députés en diffusant des informations sur l’agriculture auprès des paysans et des propriétaires terriens provinciaux12. Des récompenses considérables attendaient ceux qui réussissaient à retenir l’intérêt du nouvel Etat. Ainsi, la Société d’histoire naturelle de Paris, totalement dépourvue de financement étatique, obtint l’organisation d’un voyage à la recherche de l’expédition disparue de Lapérouse, dont les principaux bénéficiaires devaient être les naturalistes13. Au même titre que toutes les catégories de l’élite administrative cultivée en France, les savants menaient une activité politique intense durant cette période, préoccupée par l’organisation sociale, l’auto-présentation et la légitimité de l’autorité du nouveau régime.

  • 14 Archives nationales, AJ/15/502.

7De telles préoccupations n’étaient pas nouvelles pour le Jardin en 1789. Déjà, à la mort de Buffon, le jardinier en chef André Thouin avait fait l’expérience des aspects sombres du patronage lorsque le nouvel intendant, le marquis de La Billarderie, était entré en fonctions en avril 1788. D’importantes difficultés pouvaient apparaître dans le système du patronage lorsque survenait un brusque changement d’acteur à un haut niveau. Buffon avait essayé d’éviter une telle situation en 1771, en confiant la survivance de son propre poste au comte d’Angiviller. Ce dernier s’était avéré un protecteur fiable pour les entreprises du Jardin, et avait réussi à organiser le transfert de spécimens de nombreux pays vers les collections du Jardin. Toutefois, quelques jours avant la mort de Buffon, plaidant que son poste de contrôleur-général des bâtiments du roi* ne lui laissait guère de temps pour d’autres occupations, d’Angiviller s’était désisté de la succession au poste d’intendant en faveur de son frère aîné, le marquis de La Billarderie14. Le marquis était un homme inconnu de la majorité des employés du Jardin ; il ne bénéficiait donc pas des liens de loyauté sociale qui avaient uni Buffon et ses protégés.

  • 15 Buffon (Georges-Louis Leclerc, comte de), Correspondance générale [de] Buffon, recueillie et annot (...)
  • 16 Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op (...)

8Dans le Jardin sous Buffon, Thouin avait de temps à autre suggéré des améliorations à certains aspects de l’établissement15. Ces suggestions passaient par les voies appropriées - de Buffon aux ministres, des ministres au roi, suite à quoi une lettre des ministres à Buffon donnait la décision finale du roi. En tant qu’ambassadeur de Buffon auprès des ministres, Thouin fréquentait un grand nombre des ministres et commis* qui avaient affaire au Jardin. Sur la base de cette familiarité, Thouin tenta d’obtenir l’accord du nouvel intendant pour un projet de réforme du règlement du Jardin. Il envoya à La Billarderie un mémoire proposant des modifications à l’administration de l’établissement en général, et du jardin, sa propre sphère d’autorité, en particulier16. Pour justifier son intervention, Thouin faisait référence à Buffon, “cet homme de génie”, dont la longue gestion, affirmait-il, avait “accoutumé tous les membres de l’Établissement à ne connaître de loi que sa volonté et d’autant plus qu’elle avait toujours pour but l’honneur de l’Établissement et surtout son utilité”. Le récent agrandissement des équipements du Jardin avait rendu l’ancien règlement obsolète, puisqu’il ne prenait pas en compte les nouvelles fonctions du Jardin. Les propositions qui suivaient définissaient le rôle et l’importance de Thouin lui-même dans l’administration du Jardin.

  • 17 Ibid., Lettre de Thouin à Malesherbes, 22 juillet 1788, p. 257.
  • 18 Ibid., Malesherbes à Thouin, 23 juillet 1788, avec l’en-tête “6 h du matin”, p. 257.

9À l’insu de Thouin, La Billarderie s’empressa de faire parvenir ce document au baron de Breteuil, et peu après le jardinier reçut un message en accusant réception de la part d’un naturaliste et fréquent visiteur du Jardin, Malesherbes, autrefois ministre du roi et qui allait en être le défenseur malheureux lors du procès qui précéda son exécution le 21 janvier 1793. Thouin eut alors recours à un procédé courant dans le système du patronage : il envoya à Malesherbes une copie du mémoire avec une lettre lui demandant de l’examiner et, s’il approuvait, de le soumettre au baron mais “de ne pas me compromettre auprès M. de La Billarderie et même dans ses bureaux” (sans doute les bureaux ministériels du baron de Breteuil)17. Thouin demandait donc à Malesherbes de se faire le porte-parole de ses idées devant les autorités, mais il ne le faisait pas de la manière prescrite. Au lieu d’attendre que l’intendant fût le porte-parole du Jardin sur des questions relatives à la réforme et au règlement de l’établissement, Thouin avait essayé de passer outre l’autorité légale et de négocier directement avec l’échelon supérieur de l’échelle du patronage. Malesherbes lui retourna le projet, avertissant Thouin : “Je suis trop votre ami, mon cher Confrère, pour donner votre mémoire au Baron de Breteuil... Vous m’avez donné de biens bonnes raisons sur l’histoire naturelle. Je vais vous en donner une fort importante sur la Politique ministérielle, c’est qu’il ne faut jamais remettre à un Ministre fort occupé un Mémoire qu’on craint qu’il ne passe dans d’autres mains. J’en ai vu de funestes effets. D’ailleurs quand on donne un Mémoire à un Ministre savoir à qui on le donne. Peut-on compter sur la sûreté de la vie ministérielle”18. La lettre de Malesherbes révèle que les actions de Thouin pouvaient être interprétées comme subversives. En 1788, le système du patronage en tant que structure sociale était encore intact. Cet épisode a été décrit par la biographe de Thouin comme un exemple des tentatives des supérieurs de Thouin pour étouffer les talents de celui-ci pour l’administration. Ce qui avait en réalité fait échouer Thouin, c’était les règles de promotion de la société de l’Ancien Régime. Ses propositions et la manière dont elles étaient adressées aux détenteurs de l’autorité s’opposaient, après tout, à ce même système du patronage qu’il essayait d’utiliser pour faire entendre sa voix. C’est là un exemple des raisons pour lesquelles la question de la représentation – de qui avait le droit d’être le porte-parole d’un autre, et pourquoi – devint si importante pour la bourgeoisie pendant la Révolution française. Thouin ne devait plus jamais parler en son propre nom pour émettre des propositions politiquement sensibles ; comme nous l’avons vu au second chapitre, par la suite ses suggestions furent transmises aux gouvernements successifs par l’intermédiaire de députés favorables comme Boisset ou Grégoire.

10Un autre protégé de Buffon, le géologue* Barthélémy Faujas de Saint-Fond, attendait de toute évidence avec une copie du projet de Thouin à envoyer à d’Angiviller en province. Sa lettre, datée du 15 juillet 1788, fait la lumière sur le moment choisi pour leurs requêtes :

  • 19 Archives nationales, AJ/15/510, pièce 322.

Monseigneur
Vous avez dans tous les temps aimé M. de Buffon, vous chérissez sa mémoire, et vous avez créé conjointement avec lui un jardin qui fixe l’attention de l’Europe, et attire à Paris une grande quantité d’étrangers.
Je me rappelle d’avoir eu l’honneur de vous entendre dire à M. de Buffon, qu’on respecterait toujours Ses intentions et ce qu’il aurait fait. J’ai appris qu’on s’occupe déjà à vous demander un nouveau règlement pour le jardin et le Cabinet d’histoire naturelle. Mr. Thoin [sic] et moi en ignorons absolument la teneur ; je prends donc la liberté de vous demander la permission, d’avoir l’honneur de vous présenter le plan que quarante Cinq ans d’expérience De M. de Buffon lui avaient fait juger le plus convenable pour maintenir cet utile établissement dans toute sa splendeur19.

11Les vents froids du changement soufflaient autour du Jardin du roi dans les mois qui suivirent la mort de Buffon. La difficulté de s’adresser à des protecteurs de cette manière est mise en évidence tant par les contorsions linguistiques de Faujas dans ses efforts pour rendre son action plus acceptable pour d’Angiviller, que par le fait que la lettre ne fut probablement jamais envoyée.

  • 20 Furet (François), Penser la Révolution française, op. cit., pp. 102-109 ; Outram (Dorinda), The Bo (...)
  • 21 Par exemple, Archives nationales, F/17/1310.
  • 22 Chapin (Seymour L.), “The Vicissitudes of a Scientific Institution : a Decade of Change at the Par (...)

12À partir de 1789, cependant, des transformations profondes et imprévisibles survinrent dans la manière dont le pouvoir était distribué et légitimé dans la société française, et dans les lois gouvernant les modes d’expression linguistique de ce pouvoir. Des factions successives du gouvernement révolutionnaire s’efforcèrent d’obtenir et de conserver le pouvoir politique en monopolisant le débat sur la souveraineté20. En particulier aux premiers temps de la Révolution, ce débat était ouvert à de très nombreux participants. Les archives des divers groupes exécutifs de l’Assemblée Nationale débordent de mémoires, d’opinions, de projets de réformes et de plans proposant toutes sortes de lois, des écoles pour aveugles à l’égalité électorale pour les femmes, à l’éducation du Dauphin et aux outils à donner aux paysans propriétaires21. Le Jardin du roi connut sa part de projets de réforme. Récemment agrandi et amélioré, il était, comme l’Observatoire lui aussi récemment réformé, un bien désirable dans le monde savant22. Vues sur le Jardin royal des plantes et le Cabinet d’histoire naturelle, publié anonymement en 1789, suggérait de réunir au Jardin des plantes un certain nombre de chaires de Médecine et d’Histoire naturelle du Collège royal, de la Monnaie royale, de l’école vétérinaire d’Alfort et du Jardin des apothicaires, pour constituer un établissement général de médecine et d’histoire naturelle, en mettant l’accent sur les aspects médicaux.

FIG. 23 - Première adresse issue de Adresses et projet de réglemens présentés à l'Assemblée Nationale par les officiers du Jardin des plantes et du cabinet d'histoire naturelle, Paris : Buisson, 1790, pp. 1-2.

  • 23 Sage (Balthazar-Georges), Observations sur un écrit, qui a pour titre, “Vues sur le Jardin royal d (...)
  • 24 Broussonet (Pierre-Marie-Augustin), Réflexions sur les avantages qui résulteraient de la réunion d (...)
  • 25 Plusieurs des propositions de Thouin pour des organisations agricoles au milieu des années 1780 re (...)

13La réponse à ce projet, par le chimiste Balthazar-Georges Sage, proposait à la place le transfert des collections minérales du Jardin à l’École des mines qu’il dirigeait. Les chaires professorales devaient être réunies à celles du Collège royal, laissant uniquement le jardin botanique et les collections d’anatomie et de botanique23. Sage décrivait le rôle actuel de l’institution comme n’étant guère plus que celui d’un cabinet de curiosités, avec du désordre dans les collections et une faible valeur pédagogique : deux attaques particulièrement graves contre les fonctions fondamentales du Jardin selon ses employés, comme nous le verrons. Par contre, pour Pierre-Marie-Augustin Broussonet, le secrétaire perpétuel de la Société d’agriculture de Paris et un ancien élève de Daubenton, c’était précisément la situation géographique du Jardin qui en faisait un atout important pour la Société24. Il proposait la conversion du Jardin en un centre d’où les activités de la Société auraient pu se dérouler, et dans lequel les instruments agricoles et les spécimens les plus utiles seraient exposés. Le projet de Broussonet impliquait le maintien des postes des naturalistes du Jardin qui étaient liés à la Société – Thouin, Daubenton et Desfontaines en particulier. Un grand nombre des ambitions de Broussonet reflétaient également les intérêts agricoles de ces hommes25.

  • 26 Selon Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., chapitre 5, les proposit (...)
  • 27 Archives nationales, AJ/15/507, pièce 181. Voir Chapin (Seymour L.), “Vicissitudes of a Scientific (...)
  • 28 Projet de Règlements pour le Jardin des plantes et le Cabinet d’histoire naturelle, septembre 1790 (...)

14Que les projets élaborés par d’autres savants pour la réforme du Jardin fussent ou non en accord avec des préoccupations passées ou présentes des naturalistes du Jardin, ils avaient tous, cependant, un point commun : ils servaient, dans une plus ou moins large mesure, à transférer le contrôle du Jardin entre les mains d’autres groupes de savants. Il ne faut pas non plus sous-estimer le pouvoir qu’avaient certains savants d’intervenir, à titre individuel, dans les affaires relatives aux établissements de l’Ancien Régime. Condorcet surtout, le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences et donc probablement l’homme le plus puissant du monde savant, était au sommet de sa carrière politique aux premiers temps de la Révolution. Pour l’Académie, il envisageait la formation d’un système hiérarchique d’instruction publique allant de la petite enfance à l’âge adulte, qui serait supervisé par une super-Académie sans rôle d’enseignement26. Toutes les autres organisations savantes devaient être incorporées aux niveaux inférieurs de cette organisation nationale. Le Jardin ne faisait pas exception : il semble clair, d’après la correspondance entre Condorcet et La Billarderie, que Condorcet avait déjà réussi à obtenir la succession au poste d’intendant, et donc la perspective d’un contrôle académique sur le Jardin qui avait si longtemps échappé aux membres de l’Académie27. Ainsi le sort du Jardin était-il ouvert au débat par d’autres groupes savants sous le nouveau régime. Son identité même d’établissement d’histoire naturelle, plutôt que d’école de botanique médicale, n’était pas réellement stable. Les savants attachés au Jardin réagirent en élaborant leur propre projet collectif de réforme, tout en insistant sur la fonction naturaliste de l’institution réformée28.

  • 29 Bosher (J. F.), French Finances, 1770-1795 : from Business to Bureaucracy, Cambridge : Cambridge U (...)
  • 30 “Vues d’un Zélé Citoyen sur le jardin du roi’’, 18 juillet 1790 (Archives nationales, F/17/1310).
  • 31 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire (...)

15Ce projet fut rédigé dans le climat particulier d’un débat sur la souveraineté au Jardin, mais il devait son existence à un débat plus vaste sur l’état des finances françaises. L’affirmation que les difficultés financières où se trouvait la Couronne française dans les années 1780 ont joué un rôle majeur dans le déclenchement de la Révolution est courante dans la littérature secondaire29. Les activités essentielles du gouvernement révolutionnaire des premières années étaient orientées vers la réduction des dépenses de l’État par tous les moyens possibles. Au début de 1790, Charles-François Lebrun, à la tête du comité des finances, proposa des budgets pour un grand nombre d’établissements de l’Ancien Régime, y compris le Jardin. Puis une revue de chaque cas suivit en août, conduisant à des différences considérables entre les diverses organisations. Les budgets de l’école vétérinaire d’Alfort et du Jardin devaient souffrir le plus : le premier tombait de trente-six mille à quatorze mille sept cents livres par an, le second de quatre-vingt-douze deux cent vingt-deux à soixante-douze mille livres. Le budget de l’Académie, par contre, était maintenu, avec une allocation supplémentaire pour un prix annuel. De petites économies étaient réalisées sur le budget de l’Observatoire et des collèges. Lebrun basait ses propositions pour la réduction des frais au Jardin sur un projet de réforme manuscrit rédigé par J. Audrée, évêque d’Autun et membre du Comité de constitution, et envoyé au Comité des finances30. Les coupes concernant le Jardin impliquaient des réformes substantielles de la structure organisationnelle du Jardin, avec la suppression de plusieurs postes, mais l’augmentation des pensions* attachées à d’autres. Quatre postes devaient disparaître : ceux de Lamarck, le botaniste attaché au Cabinet ; de Faujas de Saint-Fond, le correspondant du Cabinet ; de Verniquet, l’architecte ; et de Lucas, le garde. Le traitement de l’intendant devait tomber de douze mille à quatre mille livres par an, puisque le poste “doit être un objet d’émulation et non d’intrigue”31. D’autres projets diminuaient eux aussi considérablement le statut et le traitement de l’intendant. Jacques-Antoine Creuzé-Latouche, un député ayant des contacts au Jardin, suggéra même son abolition, en prenant soin de faire la différence entre les réalisations de Buffon et son poste d’intendant :

  • 32 Creuzé-Latouche (Jacques-Antoine), Opinion de M. J.-A. Creuzé-Latouche, Membre de l’Assemblée Nati (...)

Vous n’oublierez pas, Messieurs, l’espèce d’anathème dont vos décrets et l’opinion publique ont frappé le nom seul d’intendant dans toute espèce d’administration, et vous verrez [... ] les abus des intendants dans cette école des sciences naturelles, qui, hors M. de Buffon, ne s’en sont jamais occupés et n’y ont pas même daigné résider dans un logement qui leur était pompeusement attribué. Vous verrez l’Intendant actuel, absolument étranger à une école d’histoire naturelle, recevant les émoluments d’une place [...] où l’on ne saurait deviner ce qu’il fait d’utile32.

  • 33 Vues sur le Jardin royal des plantes et le Cabinet d’histoire naturelle, cité dans Hamy (Ernest-Th (...)
  • 34 Idem, p. 25. Voir également, pp. 129-130, les “Notes sur le projet de règlement pour le Jardin du (...)

16L’auteur anonyme des Vues affirmait lui aussi qu’aucun citoyen ne pouvait succéder à la gloire de Buffon, et que le traitement de l’intendant devrait donc être réduit de six mille livres, à utiliser “en améliorations que l’intérêt public sollicite”33. Il va sans dire que La Billarderie n’était pas d’accord sur la proposition de supprimer l’intendant, ni sur les réductions de salaire. Il présenta son propre projet de réforme, où le budget du Jardin était considérablement augmenté34. Condorcet prépara lui aussi un appel à l’Assemblée Nationale protestant contre les réductions proposées.

17Avec la nouvelle liberté dont disposaient ceux qui souhaitaient exprimer, imprimer et diffuser leurs opinions, un conflit se développa donc quant à savoir qui avait le droit de décider du sort d’établissements comme le Jardin du roi. Puisque tout le monde avait maintenant le droit de discuter de ce sort, le débat s’élargissait pour inclure tous ceux qui avaient quelque intérêt dans cette affaire ; et cette circonscription s’avéra à la fois considérable et puissante. Pour les participants intéressés, le succès dans ce domaine ne pouvait être obtenu qu’en convainquant le plus grand nombre possible de commentateurs potentiels. Les naturalistes du Jardin constituaient l’autre partie intéressée par le débat sur le sort du Jardin. Leur problème était qu’ils avaient désormais affaire, non plus à un protecteur unique, mais à une multitude d’alliés ou d’ennemis potentiels. Dès le début, comme nous allons le voir, ils s’attachèrent à réaliser des alliances des tous côtés.

Les premières alliances

  • 35 Idem, pp. 64-68. Il n’y a aucune raison de croire que Jussieu était de quelque façon opposé au pro (...)
  • 36 Ibid., pp. 97-100 : “Première adresse des Officiers du Jardin des plantes et du Cabinet d’histoire (...)

18Ayant été informés, probablement par un contact parmi les députés, de la date du débat sur les fonds du Jardin, les naturalistes apparurent ensemble devant l’Assemblée pour remettre une lettre et une adresse, signées par dix d’entre eux, au président Pierre-Samuel Dupont de Nemours. Après la lecture du projet de Lebrun, Dupont prononça devant l’Assemblée le discours connu depuis comme la Première Adresse35. Selon les signataires, c’était justement parce qu’ils n’étaient pas seulement de bons citoyens mais aussi de bons naturalistes, connaissant bien le fonctionnement des lois naturelles, qu’ils se trouvaient obligés d’admirer le travail des députés. Aucune distinction ne pouvait être faite entre le fonctionnement des lois naturelles au Jardin et dans la France régénérée36. De fait, l’état de naturaliste était présenté comme conduisant naturellement à l’engagement politique : l’auto-présentation révolutionnaire allait étayer l’histoire naturelle révolutionnaire.

  • 37 Voir en particulier Corsi (Pietro), Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme, 1770-1830, (trad. (...)
  • 38 “Première adresse”, in Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondatio (...)
  • 39 Voir également Faujas de Saint-Fond (Barthélémy), Observations de M. Faujas, Adjoint à la garde du (...)
  • 40 “Seconde adresse des Officiers du Jardin des plantes à l’Assemblée Nationale, en lui présentant un (...)

19L’autre trait caractéristique de la Première Adresse est son éloge de Buffon – un éloge qui contraste nettement avec l’idée, courante dans la littérature secondaire, que la mort de Buffon aurait “libéré” les naturalistes du despotisme et de la négation de la paternité de leurs travaux37. Au lieu de cela, la position de Buffon dans la réforme de l’histoire naturelle était explicitement liée aux idéaux de la Révolution elle-même. Les naturalistes soulignaient les objectifs d’amélioration et la valeur morale de ce grand homme, qui “par les vues philosophiques et les images sublimes répandues dans ses œuvres, a si bien préparé les esprits aux grandes idées de liberté et de régénération”38. Certains passages de la Première Adresse imitent également le style et souvent le contenu de l'Histoire naturelle de Buffon. Ces ressemblances révèlent à quel point les naturalistes tentaient d’exploiter la célébrité que Buffon avait acquise depuis la publication de l'Histoire naturelle. Le culte de Buffon, et les vertus morales attribuées de ce fait au naturaliste défunt, fournissaient des éléments permettant de passer outre l’autorité de l’intendant actuel, une légitimation alternative pour les projets des naturalistes. L’image de Buffon pouvait être modelée de diverses manières à l’appui de ces différentes prétentions à l’autorité, aussi bien par le groupe des naturalistes dans son ensemble que par des individus, comme dans le projet de Thouin en 178839. Les naturalistes allaient revenir à la charge dans la seconde des deux adresses, soumise à l’Assemblée Nationale en septembre 1790. “Dépositaires des idées de cet homme de génie, nous ne venons en quelque sorte vous proposer que de réaliser ses projets”, affirmaient-ils, établissant une fois encore un lien entre le projet d’histoire naturelle et la réforme sociale40.

  • 41 Mornet (Daniel), Le Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre (...)
  • 42 Voir Condorcet (Marie-Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de), “Éloge de M. le Comte de Buffon”,(...)
  • 43 Dourneau-Démophile, Couplets civiques pour l’inauguration des Bustes de Francklin, Voltaire, Buffo (...)

20Buffon était en fait un outil très précieux pour légitimer les désirs du groupe. La construction d’un “grand homme” pour les besoins de la rhétorique était un procédé souvent utilisé par les orateurs à l’Assemblée puis plus tard à la Convention. En historisant Buffon en tant que modèle, les naturalistes du Jardin faisaient donc usage d’un procédé typiquement révolutionnaire. Le succès de l'Histoire naturelle signifiait que cet ouvrage était probablement l’un des plus couramment possédés en France dans la seconde moitié du siècle, et certainement l’un des mieux connus. L’insistance de Buffon sur la valeur d’éducation morale de l’étude de l’histoire naturelle avait été étayée au cours des années 1760 et 1770 par le développement du culte du sentiment de la nature et les écrits de Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre et d’autres41. Il est donc fort probable qu’un grand nombre des députés à qui les adresses étaient destinées avaient été nourris de Buffon dans leur jeunesse, et qu’ils avaient à un degré quelconque participé au culte de Buffon. De fait, le grand avantage de Buffon en tant qu’élément de ces négociations était qu’il était mieux considéré auprès du public que dans les cercles académiques, une célébrité qui faisait contrepoids à l’image négative qui aurait pu être donnée de lui et de ses œuvres par d’autres parties intéressées comme Condorcet42. Même en 1793, la réputation du naturaliste était politiquement intacte au point qu’il pouvait plausiblement être rangé aux côtés des grands héros jacobins. Cette année-là, le secrétaire de la société populaire et républicaine d’Avre-Libre, un certain Dourneau-Démophile, allait célébrer en vers l’inauguration d’un buste de Buffon dans la salle de réunion aux côtés de ceux d’autres “grands hommes” républicains : Rousseau, Voltaire, Franklin, Lepelletier et Marat43. Passant habilement sous silence l’accession de Buffon à la noblesse, Dourneau faisait son éloge en tant que philosophe qui avait dépeint la nature pour la plus grande gloire de la nation française.

  • 44 “Première adresse”, in Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondatio (...)
  • 45 “Notes pour le Jardin royal des plantes” (Archives nationales, AJ/15/502, pièce 42). De même, l’ad (...)
  • 46 “Première adresse”, in Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondatio (...)
  • 47 Au cours de la même session, il fut aussi ordonné à la Société royale de médecine de se réformer ( (...)

21Le reste de la Première Adresse développait deux thèmes d’argumentation distincts : le premier concernait la relation entre le Jardin et l’État, le second les activités des naturalistes du Jardin en tant que communauté. L’interdépendance des tâches des différents naturalistes était soulignée, ainsi que leur importance individuelle. À présent, affirmaient les naturalistes, les règlements du Jardin établissaient une discrimination entre des savants “que l’Europe place sur le même rang” ; leur effort pour organiser leur vie conformément à l’idéologie révolutionnaire était motivé par les mêmes principes que leur désir de réformer le Jardin. Tout le passage évoquait l’image révolutionnaire courante de la lutte contre le joug de l’oppression. Les naturalistes soulignaient également le transfert de la souveraineté sur le jardin, de “royal” à “national”44. L’une des préoccupations les plus urgentes derrière cette tentative de transfert de souveraineté était financière : le budget du roi avait été réduit considérablement par les réformes du début de la période révolutionnaire. “Charger les dépenses de cet établissement sur la liste civile de S. M. [...] serait causer la ruine d’un établissement utile à la Nation et commettre une injustice envers le roi”, devait écrire Thouin plus tard dans une série de notes rédigées à la demande de Fourcroy, cherchant à établir la “véritable” autorité sur le Jardin : “Le Jardin royal des plantes de Paris et le Cabinet d’histoire naturelle qu’il renferme ne sont point de l’appartenance du roi comme quelques personnes sont intéressées à le faire croire [...]. C’est aux représentants de la Nation qu’il appartient de dicter la loi qui doit régir cet Établissement pour sa plus grande utilité, et au Pouvoir exécutif à veiller à son exécution”45. On pouvait attendre de bien plus grandes choses du Jardin, avançaient les naturalistes, sous les “auspices des représentants de la Nation”, à condition qu'il fût convenablement organisé. La dernière phrase de l’adresse niait l’autorité apparente des naturalistes sur les réformes prévues, en attribuant tout le mérite aux députés : “Et pour ravir le moins possible des moments que vous consacrez à la prospérité de la France, veuillez nous permettre de vous offrir sous peu de jours quelques observations relatives à l’organisation intérieure de notre établissement [,..]”46. L’adresse était un texte soigneusement construit, avec des échos de rhétorique révolutionnaire, exprimant les idéaux de la Révolution et faisant appel à l’image d’eux-mêmes des députés tout en les préparant à un projet qui remettrait le contrôle du Jardin entre les mains des naturalistes qui y travaillaient. Sa stratégie fut couronnée de succès : les députés donnèrent la permission aux naturalistes de présenter leur propre projet de réforme dans un délai d’un mois47.

  • 48 Ce processus d’appui était couramment utilisé tout au long du XVIIIe siècle en France et dans d’au (...)
  • 49 Outram (Dorinda), The Body and the French Revolution..., op. cit. ; Schama (Simon), Citizens : a C (...)
  • 50 Archives nationales, AJ/15/95.
  • 51 Corsi (Pietro), Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme, 1770-1830, op. cit., p. 25 ; Hamy (Ern (...)

22En s’associant et en adressant leur avis directement aux détenteurs de l’autorité sans la médiation de l’intendant, les naturalistes s’étaient comportés d’une manière contrastant avec la conduite habituelle au sein des relations de patronage. Les nouveaux modes de comportement qu’ils avaient utilisés étaient, toutefois, en train d’être légitimés par les pratiques révolutionnaires. Des documents rédigés en commun, produits par des sociétés libres*, des académies provinciales et divers autres groupes de pétitionnaires, étaient une manière courante de s’adresser au gouvernement pendant les dix-huit premiers mois de la Révolution. Cette manière de s’adresser aux détenteurs du pouvoir empruntait la rhétorique de la représentation. Une personne devenait le porte-parole des désirs d’un groupe – son représentant. Ce représentant n’apparaissait pas devant les autorités en tant qu’individu, mais comme l’instrument à travers lequel des voix multiples se faisaient entendre des autorités. Le système du patronage était très différent : en s’adressant aux autorités, l’individu devait aligner le plus d’alliés possibles, sous forme d’amis, de contacts et de leurs protecteurs, pour promouvoir sa cause devant le protecteur potentiel48. À l’inverse de la situation de représentation où, pour convaincre, de nombreuses voix parlaient par une seule bouche, dans le système du patronage une voix parlait avec de nombreuses bouches. Une grande partie des conflits qui survinrent au cours des tentatives de réorganisation de toutes sortes d’institutions sous la Révolution comportaient un élément de tension entre ces deux formes d’expression, dans les tentatives d’individus ou de factions pour négocier une position de pouvoir. Au cours de la Révolution, l’alignement des alliés vint aussi à dépendre de plus en plus de la maîtrise de l’espace public par des techniques rhétoriques et dramatiques49. C’est pour cette raison que la sensibilité des naturalistes à la valeur de la rhétorique et de la représentation dans leurs appels à l’État est importante à la compréhension des origines du Muséum. Suite au vote des députés, les naturalistes commencèrent à tenir des assemblées régulières quatre fois par semaine à partir du 23 août, dans le but de préparer leur projet de réforme50. Leur forme s’inspirait d’autres assemblées de la période révolutionnaire, dont en particulier, bien sûr, l’Assemblée Nationale elle-même, ainsi que l’assemblée municipale de Paris à laquelle trois des naturalistes appartenaient. Les comités et les assemblées, de même que d’autres formes de comportement communautaire où la représentation était le principal mode d’expression, étaient des formes d’organisation qui permettaient aux naturalistes et aux groupes semblables de contourner les sources d’autorité de l’Ancien Régime, comme l’intendant, et de construire une nouvelle base de souveraineté où ils auraient une voix, même si elle était partagée. Il n’est donc pas étonnant de voir que La Billarderie, qui au début essaya d’être présent aux assemblées des naturalistes, était universellement ignoré et cessa bientôt d’assister aux réunions51.

  • 52 Durant l’été 1790, Fourcroy et Jussieu s’étaient trouvés opposés dans un débat sur la souveraineté (...)
  • 53 Bien que Fourcroy soit donné comme l’auteur principal, la plupart des autres naturalistes prirent (...)
  • 54 Archives nationales, AJ/15/149.
  • 55 Sur les salaires liés aux postes du jardin, voir Laissus (Yves), “Le jardin du roi”, in Taton (Ren (...)
  • 56 Rudé (George), The French Revolution, op. cit., p. 60.
  • 57 “Registre des décisions réglementaires...”, réunion du 27 août 1790 (Archives nationales, AJ/15/95 (...)
  • 58 Sur le Muséum en tant que lieu où les sphères d’autorité et de patronage se superposaient, voir Ou (...)

23Les assemblées tenues par les naturalistes présentent toutefois un contraste intéressant avec celles tenues par les membres de l’Académie des sciences, au cours de la même période et dans le même but. Tandis que les réunions de l’Académie étaient publiques et agitées de controverses sur la réforme sociale, le registre des réunions de 1790, qui se tenaient en privé, indique que les naturalistes étaient unanimes sur toutes les questions importantes relatives à la réforme du Jardin. De fait, il semble que les naturalistes se soient mis d’accord lors des assemblées du Jardin sur des questions importantes sur lesquelles ils différaient dans le cadre académique52. Ce furent ces réunions qui donnèrent lieu au projet de réforme des naturalistes, achevé le 9 septembre 1790. La plupart des douze naturalistes du Jardin participèrent activement à la préparation de ce projet, en contribuant à sa rédaction et en votant sur la répartition des tâches liées à sa préparation et à sa diffusion53. Les deux professeurs honoraires du Jardin, Antoine Petit et Louis-Guillaume Le Monnier, depuis longtemps à la retraite, demandèrent aussi la permission d’apposer leur signature. Le document qui en résulta fut sans doute l’une des séries de réformes les plus radicales proposées par une institution savante sous la Révolution. Il prévoyait l’établissement d’une institution d’histoire naturelle essentiellement réglementée, sous le contrôle de l’État, au moyen de la réforme des relations sociales entre les savants qui y travaillaient. Son application devait égaliser le statut professionnel et la rémunération de tous les naturalistes et transférer le contrôle des événements du Jardin, qui serait rebaptisé Muséum d’histoire naturelle, entre les mains des naturalistes eux-mêmes en leur nouvelle capacité de professeurs-administrateurs. Ces réformes impliquaient l’abandon des différences de statut social et scientifique entre les naturalistes. Le projet affirmait exprimer l’assentiment de deux nobles, plusieurs médecins qualifiés et un jardinier, entre autres. Du point de vue des salaires, les employés du Jardin n’étaient guère moins divers : Jussieu gagnait seulement mille deux cents livres par an en tant que démonstrateur de botanique, tandis que Thouin en tant que jardinier en chef en recevait deux mille quatre cents (il avait déjà subi une réduction volontaire de mille deux cents livres par an comme don à la cause révolutionnaire)54. Fourcroy, le professeur de chimie, gagnait mille cinq cents livres par an, tandis que son démonstrateur Brongniart en recevait deux mille. Selon les termes de l’accord proposé, chaque naturaliste devait recevoir deux mille cinq cents livres par an – une augmentation pour les uns, mais une réduction substantielle pour d’autres, comme Daubenton, qui avait le plus haut salaire avec un total de quatre mille deux cents livres par an. L’abolition du cumul* des postes et des pensions était un coup sévère, car la majorité des naturalistes complétaient leur revenu du Jardin avec les salaires d’autres chaires, comme celles du Collège royal et de l’école d’Alfort. Les revenus et les cours privés étaient aussi affectés par les bouleversements révolutionnaires55. Les privilèges fiscaux que tous les détenteurs de brevets* du Jardin avaient obtenus en tant que membres de l’administration royale furent également retirés en 178956. Pour les naturalistes, le gain à réaliser ne se situait pas sur le plan du salaire et du statut social, mais au niveau de l’acquisition de l’autonomie sur l’institution. La réforme la plus importante du projet devait être le développement d’une administration complète pour l’établissement, gérée par les naturalistes en leur nouvelle capacité de professeurs, avec le pouvoir de réglementer les affaires du muséum. Toutes les décisions sur des questions comme le choix d’un directeur, l’affectation aux postes vacants et la réalisation de travaux de construction devaient faire l’objet d’un vote ; le vote lui-même était soigneusement réglementé dans le projet. Dans ce contexte, il n’y avait pas de place pour un intendant, et il n’est donc pas étonnant de constater que le poste devait être aboli : “Le Muséum d'histoire naturelle sera sous la protection immédiate des représentants de la Nation”57. Quoique les charges afférentes à chaque poste fussent brièvement décrites, les différentes zones de contrôle restaient ouvertes à l'interprétation des intéressés. Une telle division des tâches aurait servi à minimiser les risques de controverse entre les différents naturalistes au sein de l’institution, tout en leur permettant de travailler de manière indépendante58.

  • 59 “Projet de règlements pour le Jardin des plantes et le Cabinet d’histoire naturelle”, in Hamy (Ern (...)

24Ainsi, le projet proposait une opération de grande envergure pour l’étude et l’enseignement de l’histoire naturelle. Il formait la “constitution” du nouveau Jardin régénéré, tout comme la constitution de l’Assemblée devait former la base d’une France nouvelle et régénérée. Dans son langage et ses affirmations politiques, il était très proche de la Déclaration des Droits de l’Homme : “Tous les professeurs du Muséum seront égaux en droits et en appointements”59. En bref, les naturalistes du Jardin du roi recouraient à une variété de stratégies connues et appréciées des députés eux-mêmes. Bien entendu, d’autres auteurs de projets relatifs au Jardin exploitaient eux aussi ces stratégies, mais on peut considérer que le déploiement de stratégie révolutionnaire le plus considérable réalisé par des savants était le fait des naturalistes. Comme document destiné à flatter l’humeur des députés de 1790, le projet de réforme était très bien construit. Les naturalistes se dépeignaient comme faisant face aux mêmes types de problèmes que les députés : ils étaient des hommes travailleurs et vertueux, s’efforçant de produire une législation morale dans un but important, s’efforçant de réaliser l’égalité face à l’inégalité, et unis par un lien commun de fraternité et de mérite. Tel était le langage commun aux naturalistes et aux députés. En un certain sens, bien sûr, les naturalistes avaient la tâche plus facile que les députés : ceux-ci ne pouvaient pas se contenter d’ignorer le roi.

25Cependant, le projet ne fut jamais entendu par les députés de l’Assemblée Nationale. La guerre et les problèmes internes urgents, comme l’effondrement de l’autorité monarchique après la tentative de fuite du roi, réduisirent l’importance de questions comme la réforme des institutions savantes. Le projet des naturalistes ne fut pas lu avant juin 1793, à une période de turbulence politique considérable qui eut ses effets sur les naturalistes comme sur les autres groupes.

Troubles politiques, incertitude chez les savants

  • 60 Outram (Dorinda), “The Ordeal of Vocation...", art. cit. ; Dhombres (Jean), Dhombres (Nicole), Nai (...)
  • 61 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., chapitres 6 et 9.

26On a montré que la période entre 1790 et 1793 était une époque de bouleversements considérables pour les individus appartenant au monde savant. Dans de nombreux cas, la fonction des institutions et des sociétés se disloquait considérablement60. Des groupes se séparaient, certains individus partant parfois en province pour des raisons de sécurité ou d’argent. Souvent, cette désintégration faisait suite à des divisions politiques au sein du groupe ou à l’augmentation des attaques contre le financement des sciences par l’État et le corporatisme dans les assemblées locales ou nationales. Par contre, les sociétés populaires étaient florissantes durant cette période61. Au Jardin, cependant, tous les naturalistes faisaient des efforts pour présenter et conserver une image de cohésion et de continuité de leurs activités d’enseignement. Pendant cette période où le sort du Jardin était encore incertain, les naturalistes recoururent à la fois aux relations de patronage et au comportement communautaire pour soutenir leur propre position et celle des autres. La question de la souveraineté au sein du Jardin n’était pas encore résolue non plus, comme nous allons le voir.

  • 62 Adresses et projet de reglements présentés ά l’Assemblée Nationale par les officiers du Jardin des (...)
  • 63 “2000 Exemplaires”, 1790 (BCMNHN, MS 313 [2]).
  • 64 BCMNHN, MSS 1971-1984.

27Après la soumission du projet à l’Assemblée Nationale le 9 septembre, les naturalistes poursuivirent leur campagne. Thouin et Faujas avaient été chargés d’organiser l’impression d’une brochure contenant les deux adresses et le projet62. Une diffusion à grande échelle des deux mille exemplaires qu’ils commandèrent eut lieu les semaines suivantes. La liste de diffusion reflète la pléthore de groupes et d’individus dont les naturalistes considéraient qu’ils pouvaient prétendre à un degré de souveraineté sur le Jardin en 179063. Elle est remarquable par la largeur de son spectre politique et social, preuve de la sensibilité des naturalistes à la multiplicité d’opinions et d’alliés potentiels dont ils disposaient pour promouvoir leur projet. Le Club des Jacobins et la Société de 1789 étaient tous deux représentés, et l’Assemblée Nationale fut submergée. Parmi les individus qui reçurent un exemplaire personnel figurent le recteur de l’Université de Paris, les secrétaires permanents de l’Académie des sciences et de la Société d’agriculture, les astronomes et mathématiciens Charles de Borda, Joseph-Louis Lagrange et Joseph-Jérôme de Lalande, les écrivains Marmontel et Jean-François de La Harpe, et le contrôleur du bureau des finances*. Thouin envoya également des exemplaires à des correspondants en province64.

  • 65 Outram (Dorinda), “The Ordeal of Vocation...”, art. cit. ; voir également Outram (Dorinda), George (...)
  • 66 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire (...)
  • 67 Mavidal (Jérôme), Laurent (Émile) (sous la dir.). Archives parlementaires de 1789 à 1860..., op. c (...)
  • 68 “Thouin”, “Lacepède”, “Lamarck”, “de Jussieu”, in Nouvelle biographie universelle, Paris : Firmin (...)
  • 69 Outram (Dorinda), Georges Cuvier..., op. cit., pp. 171-172.

28Ce large public reflétait les diverses affiliations politiques et institutionnelles des douze naturalistes eux-mêmes, une diversité souvent utilisée par les historiens pour souligner les divisions au sein de la communauté du Jardin65. Thouin participa à l’élaboration du cahier de doléances du district de Saint-Nicolas du Chardonnet, puis à l’élection du député de ce district. Il devint député suppléant* en mai 1789. Jussieu fut élu à l’assemblée de district en septembre 1789, et les deux hommes prirent part au nouveau gouvernement municipal jusqu’aux nouvelles élections d’août et septembre 1790 ; avec Lacepède, ils firent aussi partie des trente-six administrateurs des nouveaux districts parisiens élus en janvier 179166. Lacepède connut une promotion rapide, devenant secrétaire, vice-président, puis président de l’Assemblé Législative au cours de l’année 179167. Après le 10 août 1792, lorsque les Assemblées cessèrent de fonctionner et furent remplacées par la Convention Nationale, l’engagement municipal fit place, pour Jussieu et Thouin, à un engagement plus restreint dans les affaires de la section du Jardin des plantes. À cette époque, la Commune avait pris le dessus sur les municipalités en tant que siège du gouvernement parisien. Après avoir été pendant plusieurs années membre du Club des Jacobins radical, Fourcroy devint député de la Convention en l’an II, succédant, dans un épisode célèbre, à Jean-Paul Marat assassiné. Ses collègues Lacepède et Thouin, eux, étaient membres de la Société de 178968. En outre, Thouin avait des liens avec le ministre de l’Intérieur Roland et le député La Revellière-Lépeaux69. Avec un tel éventail d’affiliations politiques, le factionnalisme au gouvernement ne pouvait manquer d’affecter les naturalistes au niveau individuel. Mais les carrières politiques des naturalistes avaient toutes un aspect en commun : ils rejetaient tous l’ancienne souveraineté au profit de la nouvelle. Le seul pouvoir important qui ne soit pas représenté sur la liste de diffusion est le roi, que ce soit par l’intermédiaire de ses ministres ou directement.

  • 70 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., chapitre 9.
  • 71 Millin de Grandmaison (Aubin-Louis), “Introduction”, in Millin de Grandmaison (Aubin-Louis) (sous (...)
  • 72 “Adresse des naturalistes, à l’Assemblée Nationale”, in Mavidal (Jérôme), Laurent (Émile) (sous la (...)
  • 73 Voir, par exemple, Lamarck (Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de), “Philosophie bot (...)

29À partir de 1790, le financement public des sciences était de plus en plus attaqué au sein de l’Assemblée Législative70. D’autres formes d’organisation semblaient présenter des espoirs pour la poursuite de l’histoire naturelle en France, mais risquaient néanmoins d’absorber l’histoire naturelle du Jardin dans d’autres programmes. La plupart des naturalistes du Jardin participaient par exemple, au cours de cette période, aux activités de la Société d’histoire naturelle privée, et on a beaucoup écrit sur la position anti-buffonienne de cette dernière, sur la base principalement des attaques virulentes lancées contre Buffon par Tardent linnéen qu’était Aubin-Louis Millin, secrétaire perpétuel de la Société, dans les Actes de la Société d’histoire naturelle et ailleurs71. Cependant, il n’est nullement certain que tous les membres de la Société considéraient qu’approuver Linné équivalait à rejeter Buffon. Lorsque, le 30 juillet 1790, un buste de Linné fut érigé au Jardin du roi, la Société avait à l’origine prévu de reconnaître les dettes des naturalistes du Jardin eux-mêmes en présentant le buste de Linné comme le premier d’une série : le prochain monument, affirmaient ses membres, devait commémorer les œuvres de Buffon72. Par d’autres moyens encore, les naturalistes du Jardin luttaient pour légitimer la tradition particulière d’histoire naturelle que leur établissement représentait face au pouvoir croissant de l’exécutif de la Société d’histoire naturelle. Dans ses éditoriaux du Journal d’Histoire naturelle, où la critique de Linné occupait une large place, Lamarck contrait les déclarations de dévouement au botaniste suédois publiées par Millin73. De telles négociations reflétaient la lutte discrète pour l’autorité sur l'histoire naturelle* qui se déroulait dans le cadre physique du Jardin. En 1793, toutefois, ce qui avait autrefois semblé un brillant avenir pour la pratique non-institutionnelle de l’histoire naturelle était en déclin. En raison d’accusations politiques à leur encontre, plusieurs membres importants de la Société d’histoire naturelle se cachaient, et puisque les membres restants étaient majoritairement de jeunes naturalistes dépendant du soutien du personnel du Jardin, une prise de contrôle du Jardin par les linnéens radicaux semblait devenir moins probable. Les naturalistes du Jardin n’étaient pas obligés d’adhérer à toutes les idées de Buffon, mais il était très important pour eux de conserver leurs propres “grands hommes”, sans quoi ils perdraient leur identité (figure 24).

  • 74 Lamarck (Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de), Mémoire sur le Projet du Comité des (...)
  • 75 Faujas de Saint-Fond (Barthélémy), Observations de M. Faujas..., op. cit.
  • 76 “Devis de la dépense du troisième quartier pour l’entretien du Museum national d’histoire naturell (...)
  • 77 Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op (...)
  • 78 Dossier “Lamarck” (Archives nationales, AJ/15/509) ; Corsi (Pietro), Lamarck. Genèse et enjeux du (...)

30Pendant la période d’incertitude entre 1790 et 1793, les naturalistes recoururent à la fois au comportement communautaire et aux relations de patronage individuelles, en fonction des fluctuations de la scène politique, ce qui leur permit de tirer tour à tour le meilleur parti de chaque situation. Ainsi, par exemple, les sollicitations individuelles de l’autorité, employées par les autres participants au débat sur la souveraineté, pouvaient servir de position de repli si l’effort communautaire ne donnait pas les résultats escomptés. Lamarck et Faujas, les deux naturalistes dont le gagne-pain était le plus menacé par les réformes proposées par Lebrun, rédigèrent des justifications de la valeur de leurs postes au Jardin, qui furent imprimées et distribuées aux députés au cours de l’année 179074. Même dans ces sollicitations individuelles, toutefois, les naturalistes étaient prêts à parler au nom les uns des autres, comme le révèle le document de Faujas : “Les économies que propose le comité portent essentiellement sur la suppression de deux places utiles, celle des correspondances dont M. de Buffon avait demandé et obtenu la création, et celle de M. de la Marck, le plus infatigable et le plus savant des Botanistes, chargé de mettre en ordre et d'avoir sous sa direction la plus riche collection des plantes du monde”75. De même, la proposition de Lamarck comprenait le maintien du poste de Faujas. Les deux auteurs utilisaient aussi leurs projets pour exprimer leurs opinions sur les réformes nécessaires au Jardin, y compris l’emploi de plus de savants pour travailler sur les collections. Faujas souhaitait la création d’une chaire d’Histoire naturelle et une augmentation du traitement des professeurs. L’incertitude engendrée par le fait que l’Assemblée Nationale n’était pas parvenue à voter sur le sort du Jardin conduisit finalement Faujas à chercher un autre emploi. Le 20 septembre 1792, il écrivit à un correspondant anonyme dénonçant Lacepède et Daubenton pour de fausses démonstrations de patriotisme, et peu après accepta en principe le poste d’inspecteur des mines. Les comptes de Thouin pour 1793 et l’an II indiquaient “Faujas, professeur de géologie (appointement suspendu jusqu’à son option)”76. Indépendamment de leurs activités communes, les naturalistes étaient donc prêts à saisir les chances d’exprimer leurs opinions qui se présentaient à eux en tant qu’individus, comme le révèlent les projets de Lamarck, Faujas et Thouin. Les naturalistes avaient du mal à localiser le siège de l’autorité dans le nouveau système politique, ainsi que leur relation envers lui, et cherchaient donc à couvrir toutes les éventualités. Pendant ce temps, toutefois, la tension de l’attente élargissait les failles entre les anciens groupes de patronage, et au cours de 1792 la communauté du Jardin semblait en danger de fragmentation. Se remémorant cette période en juillet 1793, Bernardin de Saint-Pierre se rappelait la jalousie des différentes factions77. Une querelle virulente éclata sur la question de la responsabilité de l’herbier, conservé au Cabinet du roi, avec d’un côté Antoine-Laurent de Jussieu et Desfontaines, les protégés de Le Monnier, et de l’autre Lamarck, le protégé de Buffon. Son poste étant menacé de suppression, Lamarck fit valoir ses droits à être conservateur de l'herbier et perdit. Lorsque enfin le Muséum fut fondé en 1793, Lamarck s’était réinventé en tant que professeur de zoologie des coquillages, vers et animaux microscopiques. Ce n’était pas seulement, comme Cuvier le prétendrait plus tard, parce que personne d’autre ne voulait étudier cette partie de l’histoire naturelle. Avant de venir au Jardin, Lamarck s’était intéressé pendant un certain temps aux coquillages et autres productions marines ; seul parmi les naturalistes, il pouvait donc être considéré comme un expert de ce domaine relativement négligé. Rien que pour cette seule raison, il pouvait devenir un atout essentiel pour une institution nationale s’intéressant à la totalité de l’histoire naturelle – un élément d’une communauté plutôt que d’un groupe de patronage78.

FIG. 24 - Buffon représenté comme l’un des “illustres Français”, peu après sa mort. Tandis que le naturaliste pose son regard sur le cosmos, le piédestal de son buste comporte l’image de Jean-Jacques Rousseau, dépeint dans un épisode célèbre où il s’agenouilla pour baiser le sol à l’entrée de la pièce où Button écrivait. De tels épisodes devaient renforcer le rôle moral particulier de l’histoire naturelle dans les années 1780 et 1790, bien que Button ait, dit-on, informé Hérault de Séchelles que les Confessions de Rousseau l’avaient révolté (Correspondance 1 : 140). Issu de Ponce (Nicolas), Les Illustres Français, Paris : Ponce, 1790-1816.

  • 79 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire (...)
  • 80 Ibid. ; sur la démission de La Billarderie, voir Archives nationales, F/17/1229, dossier 1, pièces (...)
  • 81 “Officiers du Jardin au ministre de l’intérieur”, 2 janvier 1792, in Letouzey (Yvonne), Le Jardin (...)
  • 82 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire (...)

31Les différents naturalistes constituaient aussi des relations de patronage avec des personnages politiques puissants pendant cette période. L’une des plus célèbres est la protection de Thouin par Roland, deux fois ministre de l’Intérieur, dont j’ai longuement évoqué les conséquences au chapitre 2. Parce que la vie d’un praticien scientifique sous la Révolution française était de plus en plus précaire, les naturalistes exploitaient des stratégies multiples alors que leur sort demeurait incertain. Le comportement communautaire caractéristique des projets de 1790, chez tous les naturalistes, n’était qu’un choix de comportement possible parmi d’autres s’offrant aux naturalistes ; il devait toutefois s’avérer présenter plusieurs avantages par rapport à d’autres formes de comportement. Bien que des ministres comme Roland fussent susceptibles d’être des protecteurs précieux à court terme, les fluctuations de la scène politique rendaient incertaine la vie ministérielle au début des années 1790. Comme le souligne Hamy, une décision financière au sujet de la rémunération de Brongniart pour des ingrédients nécessaires à ses expériences fut prise par “Champion de Villeneuve, cinquième titulaire du ministère de l’Intérieur depuis un peu plus de six mois. Nommés un jour, renvoyés le lendemain, ces ministres éphémères n’ont ni le temps ni les moyens d’étudier les questions administratives qui sont de leur ressort”79. Finalement, début 1794, les ministères furent carrément abolis. Pendant dix-huit mois à compter du début de 1792, le Jardin connut une confusion administrative considérable. La Billarderie avait fui en province tout à la fin de 1791, et fut plus tard obligé de quitter la France après avoir été accusé de fabrication de faux assignats80. Pendant ce temps, et bien qu’il eût officiellement démissionné de ses fonctions d’intendant, le Jardin continua de fonctionner sans remplaçant pendant près de huit mois. La rapidité de rotation au ministère de l’Intérieur, responsable du paiement trimestriel du budget du Jardin, obligeait les naturalistes à solliciter leur argent directement des ministres. La difficulté de légitimer ces demandes en l’absence d’une autorité distincte sur l’établissement apparaît clairement dans le brouillon d’une lettre écrite par certains naturalistes le 2 janvier 1792 : “MM. Daubenton, Desfontaines, Lacepède, Thouin et Van Spaendonck officiers du Jardin [national] des Plantes, ont adressé à M. le Ministre de l’Intérieur suivant l’usage qui était observé par l’Intendant dont la place est vacante par démission, le Devis de la Dépense du premier quartier de la présente année pour l’entretien du Jardin botanique et des cabinets d’histoire naturelle”81. Le mot “national” est barré sur le brouillon, ce qui montre l’incertitude des naturalistes quant au statut politique du Jardin. La lettre révèle également une tension entre deux sortes de langage que les naturalistes jugeaient nécessaire d’employer pour s’adresser aux détenteurs de l’autorité : à la fois le langage du patronage et le langage du comportement communautaire. Malgré plusieurs requêtes individuelles de naturalistes visant à faire de Daubenton le prochain intendant, ce fut l’écrivain Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre qui fut finalement désigné pour occuper le poste en août 1792, alors que Terrier de Monciel était ministre de l’Intérieur82.

  • 83 Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op (...)

32La première requête de Saint-Pierre pour le paiement trimestriel dû au Jardin vint en septembre 1792. Entre-temps, le protecteur de Thouin, Roland, était revenu pour la seconde fois au poste de ministre de l’Intérieur. Lorsqu’il reçut la requête de Bernardin, Roland envoya à Thouin un mémoire sur les dépenses du Jardin qui critiquait de nombreux aspects de la manière dont l’établissement était financé, et demandait son opinion. Thouin répondit en envoyant une série de notes détaillées sur les comptes du Jardin, ainsi qu’un exemplaire du projet de 1790. Malgré la valeur indiscutable de Bernardin en tant que citoyen et savant, affirmait Thouin, “l’opinion publique a prononcé depuis longtemps la suppression de cette place pour en attribuer les fonctions à un conseil d’administration composé de tous les membres de l’établissement sous la direction et les ordres du ministre de l’intérieur”83. Le résultat de ces échanges fut que Roland adressa par la suite toute sa correspondance officielle avec le Jardin à Thouin, ignorant l’autorité légitime au Jardin, Bernardin de Saint-Pierre. Entre la fin de 1792 et le début de 1793, Roland fit parvenir au Jardin un flot quasiment ininterrompu de plantes précieuses sauvées des propriétés nationales et de celles des émigrés, comme nous l’avons mentionné au chapitre 2. Saint-Pierre protesta :

  • 84 Saint-Pierre à Roland, sans date in Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chem (...)

Permettez-moi d’abord de vous représenter que vous avez adressé à différentes fois à M. Thouin l’aîné, jardinier en chef du Jardin national, des ordres de se transporter à Versailles, Trianon, Bellevue [...] sans que j’en aie été prévenu par vous. Cependant je suis l’Intendant de ce jardin [...] Quoique M. Thouin l’aîné m’ait communiqué vos ordres dès qu’il les a reçus et que personne ne soit plus propre que lui pour les remplir, cependant lorsque j'ai vu que je n’étais pas prévenu par vos bureaux et qu’il n’y avait fait aucune mention de moi, j’ai pu croire à un projet formé de me rendre nul [...]84.

  • 85 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire (...)

33La protection de Roland offrait à Thouin la possibilité de mettre en avant ses propres idées sur l’importance des membres individuels du Jardin et sur sa réforme. Essentiellement, Thouin reprit et élabora le système de réformes établi par les naturalistes dans le projet de 1790. L’élément important de cette relation, cependant, est que Thouin devint le naturaliste le plus proche de la personne qui disposait du plus grand pouvoir sur l’avenir du Jardin, le ministre de l’Intérieur. Au lieu d’une division des pouvoirs au sein du groupe, chaque individu pouvant également commenter le travail des autres, dans cette situation une seule personne pouvait faire entendre sa voix aux détenteurs du pouvoir. Ainsi le rejet par Thouin de l’intendant signifiait-il que ce dernier risquait de devenir “nul” pour le ministre. Thouin employa également cette relation spéciale avec Roland pour faire des commentaires sur futilité des postes de ses collègues. La plupart de ces commentaires étaient favorables, mais il suggéra, par exemple, que le poste de Faujas était inutile et devrait être supprimé85. Lorsqu’aucun des naturalistes n’avait possédé de relations personnelles avec les détenteurs du pouvoir, ils avaient tous été également vulnérables face au danger de voir leurs postes ou même leur établissement abolis par le nouveau gouvernement. La capacité privilégiée qu’avait Thouin de parler aux détenteurs de l’autorité signifiait maintenant que l’équilibre fragile entre les différents naturalistes était menacé.

  • 86 Petersen (Susanne), Lebensmittelfrage und revolutionäre Politik in Paris, 1792-1793 : Studien zum (...)
  • 87 Schama (Simon), Citizens : a Chronicle of the French Revolution, op. cit., pp. 719-726.

34Cependant, sur la scène politique agitée de 1791 et 1792, les relations de patronage étaient extrêmement instables. Des protecteurs qui pouvaient perdre leur place à tout moment ne pouvaient pas être cultivés pendant de longues périodes et, comme je l’ai avancé au premier chapitre, le règlement satisfaisant des demandes de postes était en partie basé sur l’historicité des relations de patronage. La période de pouvoir de Roland prit fin au début de 1793, lorsqu’il démissionna suite à l’aggravation de la crise de subsistance86. La pénurie de nourriture fournissait des armes aux attaques de Robespierre et des conventionnels jacobins à l’encontre des groupes politiques modérés menés par Jacques-Pierre Brissot de Warville, Alexandre-Sabès Pétion et Roland. Ces factions furent effectivement écartées de la sphère politique par deux coups d’éclat successifs des Jacobins, le 31 mai, puis le 2 juin 1793, date à laquelle furent arrêtés vingt-neuf députés et deux ministres (mais pas Roland, qui devait plus tard se suicider)87. Ces événements précédèrent de huit jours seulement la réforme du Jardin des plantes. De toute évidence, la situation de Roland ne lui permettait pas de peser sur le cours des événements concernant la réforme du Jardin.

  • 88 Outram (Dorinda), The Body and the French Revolution..., op. cit., pp. 130-131.
  • 89 Idem, passim ; Furet (François), Penser la Révolution française, op. cit., pp. 70-87.
  • 90 “Bosc”, in Gillispie (Charles Coulston) (sous la dir.), Dictionary of Scientific Biography, New Yo (...)
  • 91 La Revellière-Lépeaux (Louis-Marie), Mémoires de Larevellière-Lépeaux, membre du Directoire exécut (...)

35Alors que précédemment les historiens voyaient des allégeances de parti au sein de la Convention et identifiaient des groupes politiques clairement délimités comme les Brissotins ou les Jacobins avec des chefs d’allure moderne, des études plus récentes ont suggéré qu’il faudrait plutôt rechercher le siège du débat politique dans des groupes aux contours vagues se rassemblant et convergeant autour de lieux de rencontre particuliers, comme le salon de Mme Roland88. Les affirmations attribuant à des individus la “responsabilité” du sort de telle ou telle institution devraient donc être traitées avec la plus grande précaution. Le contrôle de l’arène politique, sous la Révolution française, était déterminé par le nombre et le pouvoir des éléments qu’on pouvait représenter ou enrôler, et par la durée d’enrôlements si ténus89. On peut penser qu’obtenir la protection de quelqu’un présentait de sérieuses difficultés sous la Révolution. La rapidité avec laquelle le siège du pouvoir pouvait changer rendait ces pratiques non seulement peu efficaces mais même parfois dangereuses. Ainsi, Louis-Guillaume Bosc, un naturaliste qui était un proche ami de Thouin comme de Roland, paya ses relations politiques en se voyant contraint, fin 1793, de se retirer dans la forêt de Montmorency où il eut l’occasion d'observer de près l’anatomie de diverses espèces indigènes d’araignées90. Dans le cas de Thouin, la protection de Roland causa moins de dégâts, donnant lieu seulement à la fouille de la maison familiale à la recherche de partisans de Roland en fuite91. Mais le patronage ne conduisit pas à la réforme du Jardin. Cela fut laissé aux soins du Comité d’instruction publique du régime robespierriste, à la même période qui vit la fermeture d’un grand nombre d’établissements savants financés par l’État et l’introduction de la Terreur comme instrument de contrôle public.

  • 92 Fayet (Joseph), La Révolution française et la science, 1789-1795, op. cit., p. 115 ; Voir Guillaum (...)
  • 93 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire (...)

36Étienne Geoffroy Saint-Hilaire relate dans son autobiographie que Joseph Lakanal, le député à la tête du Comité d’instruction publique, effectua une visite au Jardin le soir du 9 juin 1793. Ce fut Geoffroy qui reçut le député et le conduisit au logement de Daubenton au Jardin. Aucun des deux hommes, indique Geoffroy, n’avait jamais rencontré Lakanal auparavant92. Cela ne signifie pas que Lakanal avait jusqu’alors ignoré le Jardin. C’était lui qui avait déposé en mars une motion pour que la situation du Jardin fût examinée par la Convention. Peu après, il avait proposé le transfert à l’établissement du précieux cabinet de Chantilly93. Cependant, comme il ne connaissait personnellement aucun des naturalistes auxquels il s’adressait, il est clair que Lakanal n’aurait pas pu leur tenir lieu de protecteur à titre individuel. Les récits historiques s’accordent à dire que Daubenton remit à Lakanal un exemplaire du projet de 1790, que ce dernier révisa et abrégea rapidement, peut-être avec des collègues du Comité d’instruction publique. Le lendemain, une version abrégée de la Seconde adresse et du Projet fut lue aux députés par Lakanal, et les réformes furent votées. Le Jardin du roi devint le Muséum d’histoire naturelle.

FIG. 25 - Portrait de profil de Geoffroy Saint-Hilaire (Étienne). Gravure de Dutertre in Histoire scientifique et militaire de l'expédition française en Égypte, Paris : Dénain, 1830-1836, 10 vols.

  • 94 Ibid., p. 66.

37Dans l’intervention de Lakanal, une nouvelle forme de relation entre l’État et l’institution voyait le jour : au lieu d’une hiérarchie de relations entre des individus à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement à travers lesquels les questions administratives étaient transmises et traitées, l’institution elle-même était réifiée. La correspondance entre le Muséum et l’État après juin 1793 commença alors à prendre la forme d’un échange entre différentes ramifications bureaucratiques de l’État, plutôt qu’entre protecteur et protégé. Selon Hamy, la réforme du 10 juin réussit parce que “les esprits étaient ailleurs” et Lakanal prit la Convention par surprise94. Toutefois, le Comité d’instruction publique était l’un des organismes les plus puissants de la république jacobine, et puisque, au cours des deux mois suivants, les députés jacobins allaient manifester un intérêt considérable pour l’avenir d’autres établissements savants, il semble probable que la fondation du Muséum n’était ni fortuite ni accidentelle dans le programme jacobin pour les sciences et l’instruction publique. La mythologie post-thermidorienne de la fondation du Muséum a longtemps obscurci un examen attentif du statut particulier de l’histoire naturelle durant cette période.

  • 95 Bedel (Charles), “L’Enseignement des sciences pharmaceutiques”, in Taton (René) (sous la dir.), En (...)
  • 96 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., p. 284.
  • 97 Ibid., chapitre 8.
  • 98 Grégoire (Henri), Rapport et projet de décret présenté au nom du Comité d’instruction publique, à (...)

38À l’époque de la réforme du Jardin, de nombreux établissements de l’Ancien Régime avaient déjà fermé ou fonctionnaient à peine. L’enseignement médical et pharmaceutique officiel avait cessé par décret de l’Assemblée Législative après le 18 août 1792, avec la fermeture des facultés de médecine et du collège de pharmacie de Montpellier et la suppression des corporations pharmaceutiques provinciales95. Ces dernières avaient été remplacées par des sociétés libres de pharmaciens et la pratique privée. L’enseignement médical organisé par l’État ne reparut pas avant 1794, avec l’établissement de trois écoles de santé à Paris, Montpellier et Strasbourg. De telles mesures avaient pour principal objectif l’établissement d’un marché médical libre comme base idéologique de la formation médicale, mais elles étaient liées à la polémique qui entourait de plus en plus la notion de “corporation”. Les nombreux ennemis des autres établissements de l’Ancien Régime comme l’Université de Paris et les académies utilisèrent cette polémique à leurs propres fins ; les attaques contre le “corporatisme” de ces organismes se firent de plus en plus fréquentes et, comme la composition du gouvernement devenait politiquement plus extrême, de plus en plus virulentes. En 1793, l’activité de l’université avait en fait pris fin. Elle fut finalement fermée par décret de la Convention Nationale le 15 septembre96. Les académies avaient déjà subi le même sort un mois auparavant, et les tentatives pour sauver au moins l’Académie des sciences au nom de “l’utilité” échouèrent97. L’association du corporatisme à l’inégalité était trop efficace. Le 8 août 1793, Henri Grégoire, collègue de Thouin à la Société royale d’agriculture et membre actif de divers comités d’agriculture et d’instruction publique au cours de la période révolutionnaire, présenta à la Convention un projet relatif au sort des académies. “En ce jour où le soleil n’éclaire qu’un peuple de frères, ses regards ne doivent plus rencontrer sur le sol français d’institutions qui dérogent aux principes éternels que nous avons consacrés ; et cependant quelques-unes qui portent encore l’empreinte du despotisme ou dont l’organisation heurte l’égalité, avaient échappé à la réforme générale ; ce sont les académies”98. Bien que Grégoire, qui est aujourd’hui mieux connu pour ses appels à l’égalité raciale et religieuse, ait poursuivi en distinguant les académies littéraires de l’Académie des sciences, le vote qui eut lieu à la fin de la lecture de son projet de loi aboutit à l’adoption par les députés des deux premiers articles seulement. Le premier supprimait “toutes les académies et sociétés littéraires, patentées ou dotées par la nation”, et le second plaçait tous les avoirs matériels des établissements abolis sous l’autorité de l’État jusqu’à ce que l’organisation de l'instruction publique fût achevée. Tout le reste, les clauses pour maintenir le financement public des cours scientifiques, et pour garder en vie l’Académie des sciences jusqu’à ce qu’une société pour l’avancement des arts et des sciences eût été organisée pour la remplacer, fut ignoré. Ainsi, la fermeture du plus important établissement savant de France émana de la préoccupation des conventionnels* pour le lien entre les modes d’organisation adoptés par des groupes de personnes et l’élaboration de la souveraineté. Les réactions des membres de la Société royale d’agriculture et du nouveau Muséum d’histoire naturelle à la loi du 8 août révèlent à quel point c’était le cas.

  • 99 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit. ; Festy (Octave), L’Agriculture (...)
  • 100 Parmi les naturalistes du Jardin qui étaient aussi membres de l’Académie figuraient Daubenton, Por (...)
  • 101 Lettre de Desfontaines au Président du Comité d’instruction publique, 23 brumaire de l’an II [13 n (...)

39La Société royale d’agriculture ne fut pas incluse dans les termes de la loi du 8 août. En fait, le premier article du rapport de Grégoire, proposant la fermeture des académies et sociétés littéraires, est formulé de manière ambiguë : on peut l’interpréter comme faisant référence aux “académies [littéraires] et sociétés littéraires”, et c’est sans aucun doute dans ce sens que Grégoire l’avait écrit, étant donné le contenu du discours précédant le projet de loi. Selon cette lecture, l’Académie des sciences n’aurait probablement pas été comprise dans la suppression. Seule une lecture très sévère permettait d’interpréter la Société royale d’agriculture comme une société “littéraire”. Néanmoins, l’Académie et la Société cessèrent l’une comme l’autre de tenir des réunions après la mi-août 1793, bien que la Société soit encore présente dans le budget de 179499. Les naturalistes du Muséum montrèrent la même préoccupation pour l’interprétation de leurs actions. Après la fermeture de l’Académie (dont de nombreux professeurs du Muséum étaient membres), les naturalistes écrivirent au Comité d’instruction publique, le 23 brumaire de l’an II, pour demander la suspension d’une clause du décret de réforme du Jardin leur imposant de tenir deux réunions publiques par an100. “Nous craignons que l’on ne trouve que ces assemblées publiques ne tiennent encore aux formes académiques”, écrivait le secrétaire de cette année, Desfontaines. “La Convention en portant [le décret] qui supprime [les Académies], a sans doute eu en vue de détruire tout ce qui pourrait tenir à leur régime”101. Le comportement de type communautaire adopté par les naturalistes du Jardin fut capital pour leur capacité de mener une politique d’auto-représentation particulière. Il leur permit non seulement de réaliser la réforme de leur institution, mais aussi d’être ceux des naturalistes parisiens qui réussirent le mieux à faire face à la Terreur : tandis que Bosc, Broussonet, Millin et Delamétherie fuyaient tous Paris fin 1793, les administrateurs de l’ex-Jardin commençaient tout juste leur carrière au Muséum d’histoire naturelle.

40J’ai jusqu’à présent envisagé le comportement communautaire comme un moyen au service d’une fin : d’abord comme une nouvelle manière de s’adresser aux autorités et ensuite comme un moyen de préserver le statu quo en une période de bouleversement politique. La simple adoption du décret du 10 juin ne mettait pas la nouvelle institution et ses professeurs à l’abri d’une intervention politique. La période de 1793 à 1794 est caractérisée par un certain nombre de négociations entre les professeurs et l’État, alors que les professeurs luttaient pour conserver leur autonomie sur la nouvelle institution. Dans leur comportement vis-à-vis de l’État, les professeurs dépendaient des auto-représentations communautaires qui avaient été utilisées dans le passé. On en trouve un exemple remarquable dans le cas du malheureux aide-naturaliste* Gauttier, nommé au Muséum par le Comité de salut public en l’an III, et qui fut aux prises avec la lutte des naturalistes pour l’auto-gouvernement sous la Terreur. Après quelques mois au Muséum, Gauttier écrivit au Comité de salut public pour se plaindre que les professeurs refusaient de lui verser un salaire ou de lui trouver un logement. Lors d’une réunion des professeurs en vendémiaire, ceux-ci avaient effectivement décidé d’ignorer Gauttier sous prétexte qu’il n’avait pas de talent. Ils avaient aussi protesté avec force auprès de leurs alliés du Comité d’instruction publique, qui transmit leurs remarques au Comité de salut public :

  • 102 Lettre des membres du Comité d’instruction publique aux membres du Comité de salut public, 3 bruma (...)

Ils observent aujourd’hui que ce citoyen a été nommé contre les dispositions d’un règlement qui a force de loi ; que les aides-naturalistes étant des employés subalternes de la gestion desquels les professeurs sont responsables, ils ne peuvent être choisis sans leur intervention [...]. Vous sentirez, comme nous, la nécessité de maintenir la bonne harmonie entre les hommes vraiment estimables qui sont à la tête d’un établissement aussi précieux, et de n’y employer que des hommes recommandables par leurs talents102.

41D’après la lettre de Gauttier, il semble certainement plus probable que celui-ci n’eut pas l’occasion d’exercer le “talent” qu’il aurait pu posséder. L’objection des professeurs était plus due à l’usurpation de leur souveraineté qu’à une question de talent.

  • 103 Cuvier (Georges), “Éloge historique de M. le Cte. De Lacépède, lu le 5 juin 1826”, in Cuvier (Geor (...)
  • 104 Archives nationales, AJ/15/510, pièces 324, 325.
  • 105 Archives nationales, F/17/3380. La demande des professeurs fut accordée par la Convention le 21 fr (...)

42Dans le cas de Lacepède, les liens communautaires fonctionnèrent pour inclure plutôt que pour exclure. Selon Cuvier, Lacepède fut emmené de force du Jardin en 1792 par des amis qui craignaient pour lui, et caché discrètement dans sa maison de Normandie103. Aux interrogations officielles, ses collègues du Jardin répondaient que Lacepède était souffrant, mais était présent normalement à ses cours – un trajet assez long pour se rendre au travail en 1792. Finalement, Lacepède présenta sa démission dans le style approuvé à Saint-Pierre, et fut officiellement remplacé par Geoffroy104. Ainsi la rhétorique communautaire pouvait-elle servir de filet de sécurité pour ceux des naturalistes qui avaient des ennuis politiques. Après la chute de Robespierre, les professeurs rédigèrent une lettre au Comité d’instruction publique faisant état du besoin du Muséum d’un troisième professeur de zoologie ; le citoyen Lacepède pourrait, suggéraient-ils, être un candidat adéquat à ce poste105.

43Dans le climat incertain de 1793 et 1794, donc, la relation entre les naturalistes était au moins aussi importante que leur relation avec l’État. Le décret du 10 juin 1793 avait transféré la souveraineté sur le sort des naturalistes à leurs collègues. Sauvegarder son poste, en particulier en cas d’absence prolongée, devint une question de recrutement d’alliés à l’intérieur du groupe. Au sein de la communauté du Muséum, un discours de fraternité servait à entretenir les liens sociaux. Ainsi, par exemple, lorsque Antoine-Louis Brongniart quitta le Muséum quelques semaines à peine après sa fondation pour servir dans l’armée comme premier pharmacien, il s’adressa à ses collègues comme suit dans une lettre de congé écrite le 1er juillet 1793 :

Le nouvel Établissement formé dans le Jardin national doit être un motif impérieux pour retenir tous les professeurs qui y sont attachés. Je regarde comme un des plus grands bonheurs de ma vie de pouvoir me compter avec vous. Puissé-je être assez heureux pour revenir incessamment coopérer à vos travaux, concourir avec vous à l’instruction publique, et devenir votre émule dans les soins et le zèle à remplir mes devoirs.

  • 106 A.-L. Brongniart aux administrateurs du Muséum, 1er juillet 1793 (Archives nationales, AJ/15/577).

Recevez, je vous prie, illustres concitoyens et collègues, l’hommage des sentiments fraternels de votre dévoué collègue,
A.-L. Brongniart106

FIG. 26 - Emblème du Muséum d’histoire naturelle. Des animaux, des végétaux et des minéraux entourent une ruche, symbolisant le professorat, et un bonnet phrygien, symbolisant la liberté républicaine, dans cette gravure élaborée par le professeur d'iconographie du Muséum, Gérard Van Spaendonck, en 1793. Les épis de blé et la vigne font référence au rôle agricole de l’histoire naturelle. Pour les gens de l’époque, les abeilles représentaient le modèle de l'industrie, de l'utilité et de l’harmonie sociale.

  • 107 Thouin aux administrateurs du Muséum, 30 germinal an III [19 avril 1795] (Archives nationales, AJ/ (...)

44Brongniart avait commencé sa lettre en évoquant la souveraineté de la Convention, et en citant une loi selon laquelle une personne appelée à servir dans l’armée ne pourrait être privée de son poste public. C’était donc un double appel, à la fois au pouvoir de la loi et au pouvoir du sentiment fraternel. On trouve des expressions semblables de sentiment communautaire dans les lettres de Thouin aux professeurs, écrites durant ses voyages avec Faujas à la suite de l’armée française en tant que commissaires de la République pendant les années II et III (1794-1795) puis à nouveau pendant les années V et VI (1796-1797). Leur tâche était de confisquer tous les spécimens et objets de valeur utiles aux arts et aux sciences dans les villes conquises, et de les expédier au Muséum. Le 30 germinal an III (19 avril 1795), Thouin écrivit de La Haye : “Sans l’espoir d’être utile à la République et de servir le Muséum, les privations multipliées que nous éprouvons loin de vous nous auraient fait abréger notre voyage pour nous en rapprocher. Nous en voyons approcher le terme avec bien de la satisfaction”107. Une autre lettre du 4 frimaire an V (24 novembre 1796) fut écrite d'Italie près de la fin de la seconde expédition :

  • 108 Thouin à l’administration du Muséum, 4 frimaire an V [24 novembre 1796] (Archives nationales, AJ/1 (...)

Il me semble que le terme de notre mission approche et qu’il me sera permis de me réunir bientôt à vous. J’en ai besoin, plus encore pour satisfaire mon cœur, que pour goûter un peu de repos après un voyage aussi long. J’en saisirai l’occasion avec bien de l’empressement et du plaisir.
Salut respectueux,
A. Thouin108

45Et le 20 pluviôse an V (8 février 1797), de Mantoue, Thouin ajouta en post-scriptum à sa lettre :

  • 109 Thouin à l’administration du Muséum, 20 pluviôse an V [8 février 1797] (Archives nationales, AJ/15 (...)

Permettez, citoyens, que je profite de la place qui me reste ici pour indiquer au C. Geoffroy que j’ai rempli ses intentions en distribuant les exemplaires de son mémoire qu’il m’a envoyé pour des savants d’Italie. Je m’empresserai toujours de faire tout ce qui pourra être agréable à tous mes collègues et à chacun d’eux en particulier109.

  • 110 Par contraste, Outram (Dorinda), “The Ordeal of Vocation...”, art. cit. et Outrant (Dorinda), Geor (...)
  • 111 “Fête civique célébrée dans le Muséum national d’histoire naturelle le Dix ventose an six pour la (...)

46Ainsi, malgré le fait que les naturalistes du Jardin et du Muséum étaient divisés socialement et politiquement, pendant la période révolutionnaire ils utilisèrent le comportement communautaire pour réguler leurs propres interactions et leurs échanges avec des sièges de souveraineté en fluctuation rapide110. Le fait que cette stratégie fut considérée rétrospectivement comme la cause de la survie de l’institution apparaît dans le récit d’une fête qui eut lieu au Muséum en l’an VI pour célébrer la plantation d’un arbre de la liberté111. Les professeurs étaient accompagnés par des membres du Comité d’instruction publique et un détachement de la Garde nationale. Pendant que l’arbre était planté par les jardiniers, affirmait le rapport, “l’air Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille a exprimé les sentiments qui ont dans tous les temps réuni tous les membres du Muséum”. “La souveraineté nationale n’est plus un problème”, déclara le directeur, Antoine-Laurent de Jussieu, “la raison l’a démontré, la constitution l’a proclamé”.

Soyons unis, Citoyens, et nous serons invincibles au dedans et au dehors ; et soyons fidèles à la Constitution et les factions viendront se briser contre elle sans l’ébranler [...]. Notre union, qui peut être citée pour exemple, a sauvé et nous-mêmes et cet Établissement dans ces temps de barbarie où les séances étaient proscrites et les savants persécutés. Union précieuse qui fais notre bonheur, qui nous concilies l’estime et l’affection des gens de bien, des législateurs, des chefs du Gouvernement, continue à habiter parmi nous et ne t’éloigne jamais de ce séjour qui ne cessa jamais, même dans les jours les plus orageux, d’être l’asile de la paix.

47À la fin du discours de Jussieu, ceux qui avaient assisté à la cérémonie prirent part à un “banquet fraternel” pour célébrer la liberté.

  • 112 Darnton (Robert), La Fin des lumières : le Mesmérisme et la Révolution, [trad, par Revellat Marie- (...)

48L’association explicite faite par Jussieu entre le comportement communautaire et l’auto-conservation dans le contexte d’un débat sur la souveraineté montre que l’importance de la rhétorique de communauté dans la réforme de l’histoire naturelle française ne doit pas être sous-estimée. Elle servait à maintenir ensemble différents individus dans une situation où les anciennes manières de définir les relations étaient devenues intenables. Tandis que la Révolution dissolvait les liens de patronage entre les membres de l’élite, d’autres formes de comportement, différemment légitimées, étaient adoptées pour les remplacer. Les savants avaient émergé d’un monde où les relations de patronage contrôlaient leur degré de souveraineté sur leur propre travail et celui des autres, vers un monde où la base même de la souveraineté était continuellement débattue et modifiée. En cela, ils ne différaient guère de toute autre section de l’élite cultivée. C’est pourquoi, comme l’ont noté plusieurs historiens, certains des révolutionnaires les plus radicaux, comme Marat, étaient des savants qui n’avaient pas réussi à trouver de protecteur sous l’Ancien Régime112. Entre les condamnations du système du patronage et les attaques contre le siège ultime de la souveraineté, le roi, il n’y avait qu’un pas. Dans le cas du Jardin, la mort de Buffon en 1788 fut un important catalyseur de changement dans le comportement des naturalistes, leur apportant à la fois un “héros” potentiel dont ils pouvaient à juste titre revendiquer l'héritage intellectuel et un nouvel intendant peu apprécié dont l’existence même pouvait être décrite comme sapant les principes révolutionnaires.

  • 113 Thouin à Fourcroy, 4 messidor an II [22 juin 1794], in Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à (...)

49Les efforts des naturalistes du Jardin pour resituer la base de la souveraineté au Jardin reproduisent en miniature les tentatives de groupes successifs à la recherche du pouvoir pour gagner la souveraineté sur le monde politique. De même, en tentant de réviser la base de la souveraineté, les naturalistes recouraient aux mêmes alternatives au patronage utilisées par les députés, et employaient un discours semblable. Ces changements de comportement étaient donc empruntés à, et légitimés par, la rhétorique révolutionnaire, et ils impliquaient par-dessus tout des appels communautaires plutôt qu’individuels à l’autorité dans un effort pour obtenir l’autonomie et pour justifier l’action autonome. Le comportement communautaire aidait aussi à fournir le moyen d’organiser les individus au sein du groupe et de permettre la communication entre le groupe et le siège variable du pouvoir politique. Il servait de moyen d’expression lorsque le siège de la souveraineté à l’intérieur ou à l’extérieur du Jardin n’était pas clair, comme ce fut le cas en 1790 et encore en 1792. Il permettait également aux individus au sein du groupe de faire appel à une rhétorique fraternelle du sentiment et de la cohésion sociale lorsqu’il s’avérait nécessaire de sauvegarder leur position personnelle. Lorsque le pouvoir des autres savants était situé au sein de la communauté savante, la survie à l’intérieur de l’institution dépendait à un degré vital de l’emploi d’un tel langage. De même, pour trouver sa place dans la nouvelle culture politique il fallait employer correctement le langage politique. En messidor de l’an II (juin 1794), Thouin demanda à Fourcroy d’examiner ses adresses au Comité de salut public pour s’assurer qu’elles contenaient uniquement “les principes du Républicanisme les plus épurés”113.

  • 114 Mon analyse s’oppose ici radicalement à celle d’Outram (Dorinda), “New Spaces in Natural History”, (...)

50J’ai tenté d’habiller de chair les os assez dégarnis d’une analyse “furetienne” du langage et des stratégies politiques adoptées par les naturalistes du Jardin, sous la forme d’une construction des problèmes que posait la désintégration du patronage sous la Révolution pour les relations personnelles dans différents domaines de la vie savante. Mon traitement de la question impliquait que ce qui était en jeu dans ces choix de langage, c’était la forme appropriée que devraient prendre les relations de pouvoir interpersonnelles dans une société révolutionnaire. Parce que le Jardin fut pratiquement la seule institution savante à survivre aux turbulences révolutionnaires en conservant son personnel intact, il fournit un bon cadre pour analyser comment un groupe d’individus fit face à la renégociation des relations de ses membres entre eux et avec les détenteurs de l’autorité, à une époque où la responsabilité personnelle et la probité morale étaient une question de vie ou de mort. C’est peut-être parce que les naturalistes du Jardin surent élaborer une rhétorique de communauté et de fraternité qu’ils purent aussi se porter garants de la bonne moralité les uns des autres. Ils avaient exploité leur position d’hommes constamment en contact avec les merveilles de la nature pour prouver leur vertu. De même, le contact avec la nature pouvait légitimer la prétention des naturalistes d’avoir maîtrisé l’art de vivre harmonieusement en société. Aux mains des naturalistes parisiens de la fin de l’Ancien Régime, l'histoire naturelle* n’était pas une simple description de productions naturelles, mais un système d’opérations pour remodeler le monde naturel et son observateur humain. La communauté, le patriotisme et le bien public (comme ils se manifestaient dans le Muséum d’histoire naturelle) pouvaient être représentés de manière crédible comme les conséquences naturelles de la pratique de l’histoire naturelle114.

51Ainsi l’auto-présentation des naturalistes comme unis joua-t-elle un rôle crucial dans le succès avec lequel ils réformèrent le Jardin du roi et le convertirent en Muséum d’histoire naturelle. À l’époque où la question de la réforme de l’établissement fut soulevée à la Convention Nationale, les postes de tous les membres de l’établissement étaient également menacés. Ce ne fut qu’en soutenant un projet qui, d’une manière ou d’une autre, garantissait à chacun d’eux le même statut, qu’ils purent éviter les conséquences d’une trop grande confiance en un seul protecteur ou en un seul membre de l’établissement. Ainsi, Lamarck fut transformé en zoologue, et Daubenton en minéralogiste, afin que ceux qui n’avaient pas d’expertise alternative puissent justifier leur existence. La stratégie communautaire adoptée par les naturalistes entre 1790 et 1793 explique également pourquoi le jeune Geoffroy put devenir professeur alors qu’il n’avait que vingt et un ans. La formule eut beaucoup de succès pendant plusieurs années. Au chapitre 5, j’explorerai le rôle joué par le Muséum dans l’élaboration du symbolisme révolutionnaire.

Notes

1 Furet (François), Penser la Révolution française, Paris : Gallimard, 1978, 259 p. (Bibliothèque des Flistoires).

2 Furet (François), Richet (Denis), La Révolution française, Paris : Hachette, 1965, 2 vols. Sur l’accueil réservé à l’ouvrage de Furet, voir l’introduction de Baker (Keith Michael), Inventing the French Revolution : Essays on French Political Culture in the Eighteenth Century, Cambridge : Cambridge University Press, 1990, 374 p. ; Shulim (Joseph I.), Liberty, Equality, and Fraternity : Studies in the Era of the French Revolution and Napoleon, New York : Peter Lang, 1989, XI-287 p., chapitre 9 ; Kennedy (R. Emmet, Jr), “François Furet : Post-Patriot Historian of the French Revolution”, Proceedings of the Annual Meeting of the Western Society for French History, vol. 11, 1984, pp. 194-200 ; Ravitch (Norman), “On François Furet and the French Revolution”, Proceedings of the Annual Meeting of the Western Society for French History, vol. 11, 1984, pp. 201-206 ; Friguglietti (James), “Interpreting vs. Understanding the Revolution : François Furet and Albert Soboul”, Consortium on Revolutionary Europe, 1750-1850 : Proceedings, vol. 17, 1987, pp. 23-36 ; Censer (Jack R.), “The Coming of a New Interpretation of the French Revolution ?”, Journal of Social History, vol. 21, 1987, pp. 295-309.

3 Voir en particulier, Baker (Keith Michael) (sous la dir.), The trench Revolution and the Creation of Modern Political Culture. T. 1 : The Political Culture of the Old Regime, Oxford : Pergamon, 1987, 559 p. ; Lucas (Colin) (sous la dir.), The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture. T. 2 : The Political Culture of the French Revolution, Oxford : Pergamon, 1988, XVII-465 p.

4 Baker (Keith Michael), Inventing the French Revolution..., op. cit., p. 3. De nombreux historiens de la Révolution, comme Mona Ozouf, Keith Michael Baker, Robert Darnton. Roger Chartier et Dorinda Outrant, doivent beaucoup à l’approche de Furet, bien qu’ils n’adhèrent pas tous entièrement à son modèle. On trouve des présentations marxistes classiques de la Révolution dans Soboul (Albert), La Révolution française, 1789-1799, 2ème éd., Paris : Éditions sociales, 1951, 399 p. ; Lefebvre (Georges), La Révolution française, 3ème éd., Paris : Presses Universitaires de France, 1963, 698 p. ; Rudé (George), The French Revolution, Londres : Weidenfeld and Nicolson, 1988, 224 p.

5 Baker (Keith Michael), “Introduction”, in Furet (François), Interpreting the French Revolution, [trad. de Penser la Révolution française par Forster Elborg], Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’Homme ; Cambridge : Cambridge University Press, 1981, 204 p. ; Hunt (Lynn), Politics, Culture, and Class in the French Revolution, Berkeley : University of California Press, 1984, XV-251 p.

6 Ozouf (Mona), La Fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris : Gallimard, 1976, 340 p. ; French Caricature and the French Revolution, 1789-1799, Chicago : University of Chicago Press, 1988, 280 p. ; Parker (Noel), Portrayals of Revolution : Images, Debates, and Patterns of Thought on the French Revolution, New York : Harvester Wheatsheaf, 1990, VII-244 p. ; Baker (Keith Michael), Inventing the French Revolution..., op. cit. ; Outram (Dorinda), The Body and the French Revolution : Sex, Class, and Political Culture, New Haven : Yale University Press, 1989, 197 p. ; Darnton (Robert), Roche (Daniel) (sous la dir.), Revolution in Print : the Press in France, 1775-1800, Berkeley : University of California Press, 1989, XV-351 p. ; Hunt (Lynn), Politics, Culture, and Class in the French Revolution, op. cit. ; Hunt (Lynn), The Family Romance of the French Revolution, Londres : Routledge, 1992, XVI-213 p.

7 Voir par exemple Kersaint (Georges), “Antoine-François de Fourcroy, 1755-1809 : sa vie et son œuvre”, Mémoires du Muséum d’histoire naturelle, série D, vol. 2, 1966, p. 32 ; Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, in Centenaire de la fondation du Muséum d’histoire naturelle, 10 juin 1793-10 juin 1893 : volume commémoratif publié par les professeurs du Muséum, Paris : impr. nationale, 1893, pp. 1-162 ; Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, Paris : Muséum national d’histoire naturelle, 1989, p. 323 ; Cf. Outram (Dorinda), “The Ordeal of Vocation : the Paris Academy of Sciences and the Terror, 1793-1795”, History of Science, vol. 21, 1983, pp. 251-273.

8 Furet (François), Penser la Révolution française, op. cit., p. 43.

9 Voir Outram (Dorinda), Georges Cuvier : Vocation, Science, and Authority in Post-Revolutionary France, Manchester : Manchester University Press, 1984, p. 47.

10 Rudé (George), The French Revolution, op. cit., pp. 36-41.

11 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution : the Paris Academy of Sciences, 1666-1803, Berkeley : University of California Press, 1971, p. 162.

12 Gillispie (Charles Coulston), Science and Polity in France at the End of the Old Regime, Princeton : Princeton University Press, 1980, XII-601 p. ; Bourde (André), Agronomie et agronomes en France au XVIIIe siècle, Paris : SEVPEN, 1967, 3 vols, 1743 p.

13 Archives nationales, AJ/15/565 ; Mavidal (Jérôme), Laurent (Émile) (sous la dir.), Archives parlementaires de 1789 à 1860 : recueil complet des débats législatifs et politiques des chambres françaises, Paris : G. Dupont, 1867-1969, 1ère série [1787-1794], vol. 17, 5 août 1790.

14 Archives nationales, AJ/15/502.

15 Buffon (Georges-Louis Leclerc, comte de), Correspondance générale [de] Buffon, recueillie et annotée par H. Nadault de Buffon, Genève : Slatkine, 1971, vol. 2, passim.

16 Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op. cit., pp. 250-253. Il s’agit du projet de réforme évoqué au chapitre deux, dans lequel Thouin tentait d’instituer des règles morales pour ses subordonnés.

17 Ibid., Lettre de Thouin à Malesherbes, 22 juillet 1788, p. 257.

18 Ibid., Malesherbes à Thouin, 23 juillet 1788, avec l’en-tête “6 h du matin”, p. 257.

19 Archives nationales, AJ/15/510, pièce 322.

20 Furet (François), Penser la Révolution française, op. cit., pp. 102-109 ; Outram (Dorinda), The Body and the French Revolution., op. cit., pp. 76-83.

21 Par exemple, Archives nationales, F/17/1310.

22 Chapin (Seymour L.), “The Vicissitudes of a Scientific Institution : a Decade of Change at the Paris Observatory, 1789-1799”, Journal for the History of Astronomy, vol. 21, 1990, pp. 235-274.

23 Sage (Balthazar-Georges), Observations sur un écrit, qui a pour titre, “Vues sur le Jardin royal des Plantes et le Cabinet d’histoire naturelle”, Paris : Didot le jeune, 1790, 8 p. Cette réponse abordait également les propositions faites par le Comité des finances de transférer les collections de l’École des Mines au Cabinet du roi, évoquées ci-dessous. Voir la lettre écrite par Sage au Comité des finances, le 3 janvier 1790 (Archives nationales, D/VI/26, pièce 702).

24 Broussonet (Pierre-Marie-Augustin), Réflexions sur les avantages qui résulteraient de la réunion de la Société royale d’agriculture, de l’École vétérinaire et de trois chaires du Collège royal au Jardin du roi, par P.-M.-A. Broussonet, Paris : impr. du Journal Gratuit, [1790], 42 p.

25 Plusieurs des propositions de Thouin pour des organisations agricoles au milieu des années 1780 ressemblaient aux réformes suggérées par Broussonet, par exemple : Thouin (André), “Projet pour une académie d’agriculture”, 1788 (BCMNHN, MS 318).

26 Selon Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., chapitre 5, les propositions de Talleyrand, en 1790, pour la réforme des sciences en France étaient basées sur le projet de Condorcet, publié en 1792.

27 Archives nationales, AJ/15/507, pièce 181. Voir Chapin (Seymour L.), “Vicissitudes of a Scientific Institution...”, art. cit., sur des tentatives semblables des astronomes de l’Académie pour annexer l’Observatoire.

28 Projet de Règlements pour le Jardin des plantes et le Cabinet d’histoire naturelle, septembre 1790, dans Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., p. 107.

29 Bosher (J. F.), French Finances, 1770-1795 : from Business to Bureaucracy, Cambridge : Cambridge University Press, 1970, XVI-369 p. ; Aftalion (Florin), L’Économie de la Révolution française, Paris : Hachette, 1987, 393 p. ; Riley (James C.), The Seven Years War and the Old Regime in France : the Economic and Financial Toll, Princeton : Princeton University Press, 1986, XXII-256 p. ; Schama (Simon), Citizens : a Chronicle of the French Revolution, Harmondsworth, Middlesex : Penguin, 1989, chapitre 2. Cependant, ces interpretations nécessitent la réflexion supplémentaire que, comme je le disais aux chapitres 2 et 3, les administrateurs construisaient, pendant cette période, leur propre rôle en tant qu’experts “économiques” à une multitude de niveaux ; considérer les aspects financiers de ces débats sur le crédit en excluant tous les autres aspects revient inévitablement à appauvrir notre compréhension de la signification politique de proclamer une crise économique à cette époque.

30 “Vues d’un Zélé Citoyen sur le jardin du roi’’, 18 juillet 1790 (Archives nationales, F/17/1310).

31 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., p. 26.

32 Creuzé-Latouche (Jacques-Antoine), Opinion de M. J.-A. Creuzé-Latouche, Membre de l’Assemblée Nationale, au sujet du Jardin des plantes et des Académies, Paris : impr. nationale, 1790, 20 p., reproduit dans Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., p. 94. Creuzé-Latouche correspondit avec Thouin en 1790 et 1791 (voir “État de la Correspondance de M. A. Thouin”, vers 1791 [BCMNHN, MS 314]), et son rapport suggère une certaine familiarité avec les opinions des naturalistes, telles qu’elles furent exprimées par la suite dans leur propre projet.

33 Vues sur le Jardin royal des plantes et le Cabinet d’histoire naturelle, cité dans Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., p. 78.

34 Idem, p. 25. Voir également, pp. 129-130, les “Notes sur le projet de règlement pour le Jardin du roi” de La Billarderie, septembre 1790, accusant les professeurs d’être “infiniment plus occupés [...] de leurs appointements que des autres intérêts de l’établissement”.

35 Idem, pp. 64-68. Il n’y a aucune raison de croire que Jussieu était de quelque façon opposé au projet de réforme de 1790. Il est par conséquent plus probable qu’un empêchement ne lui permit pas d’être présent à la réunion. Cela permet de supposer que son absence de la liste de signataires jointe au discours fait par les membres de la Société d’histoire naturelle, quelques jours plus tôt, pourrait bien être due à la même cause. La version couramment admise attribue son absence de la liste de la Société à son opposition à Linné, mais cela semble assez improbable ; on aurait plutôt attendu cela de Lamarck.

36 Ibid., pp. 97-100 : “Première adresse des Officiers du Jardin des plantes et du Cabinet d’histoire naturelle, lue à l’Assemblée Nationale le 20 août 1790”, p. 97.

37 Voir en particulier Corsi (Pietro), Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme, 1770-1830, (trad. de l’italien par Ménard Diane], Paris : CNRS Éditions, 2001, p. 16 ; Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op. cit., p. 247 ; Lepenies (Wolf), Das Ende der Naturgeschichte : Wandel kultureller Selbstverständlichkeiten in den Wissenschaften des 18. und 19. Jahrhunderts, Munich : Hanser Verlag, 1976, p. 154. En fait, de telles anecdotes relatives à l’opposition des naturalistes à Buffon, par exemple dans Laissus (Joseph), “La Succession de Le Monnier au Jardin du roi : Antoine-Laurent de Jussieu et René-Louiche Desfontaines”, Comptes Rendus du 91e congrès national des sociétés savantes, 1966, Section des sciences, vol. I, 1967, pp. 137-152, et Flourens (Pierre), Des manuscrits de Buffon, Paris : Garnier, 1860, Vl-XCVI-300 p., trouvent souvent leur origine dans les écrits polémiques sur Buffon rédigés par le linnéen radical Aubin-Louis Millin sous la Révolution.

38 “Première adresse”, in Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d'histoire naturelle”, art. cit., pp. 97-98.

39 Voir également Faujas de Saint-Fond (Barthélémy), Observations de M. Faujas, Adjoint à la garde du Cabinet d’histoire naturelle du roi, spécialement chargé des Correspondances des jardins et du Cabinet. Sur le rapport du Comité des finances de l’Assemblée Nationale, article “Jardin du roi et Cabinet d’histoire naturelle”, page 83, Paris : impr. de Chalon, 1790, 4 p.

40 “Seconde adresse des Officiers du Jardin des plantes à l’Assemblée Nationale, en lui présentant un projet de règlements pour cet Établissement”, in Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., pp. 102-107.

41 Mornet (Daniel), Le Sentiment de la nature en France de J.-J. Rousseau à Bernardin de Saint-Pierre : essai sur les rapports de la littérature et des mœurs, Paris : Hachette, 1907, 772 p. ; Van Tieghem (Paul), Le Sentiment de la nature dans le préromantisme européen, Paris : A. G. Nizet, 1960, 275 p.

42 Voir Condorcet (Marie-Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de), “Éloge de M. le Comte de Buffon”, in Histoire et Mémoires de l’Académie royale des sciences, 1788, Paris : impr. royale, 1790, Histoire, pp. 50-84 ; Millin de Grandmaison (Aubin-Louis), “Discours sur l’origine et les progrès de l’histoire naturelle, en France”, in Millin de Grandmaison (Aubin-Louis) (sous la dir). Actes de la Société d’histoire naturelle de Paris, Paris : impr. de la Société d’histoire naturelle, 1792, pp. XIII-XIV.

43 Dourneau-Démophile, Couplets civiques pour l’inauguration des Bustes de Francklin, Voltaire, Buffon, Jean-Jacques Rousseau, Marat et Pelletier, dans la salle de la Société populaire & Républicaine d’Avre-Libre (ci-devant Roye), Département de la Somme, Paris : Moutard, an II [1793], 16 p. Le culte des “grands hommes” reflétait les tentatives de la bourgeoisie pour définir une image d’elle-même qui fît autorité. Voir Outram (Dorinda), The Body and the French Revolution..., op. cit. ; Herbert (R. L.), David, Voltaire, Brutus, and the French Revolution : an Essay in Art and Politics, Londres : Allen Lane, 1972, 160 p.

44 “Première adresse”, in Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., pp. 97-100.

45 “Notes pour le Jardin royal des plantes” (Archives nationales, AJ/15/502, pièce 42). De même, l’adresse de Creuzé-Latouche rejetait l’affirmation que le Jardin était la propriété du roi.

46 “Première adresse”, in Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., p. 100.

47 Au cours de la même session, il fut aussi ordonné à la Société royale de médecine de se réformer (“Adresse à l’Assemblée Nationale”, in Histoire de la société royale de médecine avec les mémoires de médecine et de physique médicale tirés des registres de cette société, 1787, Paris : impr. royale, 1790, pp. 34-36).

48 Ce processus d’appui était couramment utilisé tout au long du XVIIIe siècle en France et dans d’autres pays. On trouve des récits comparables des rivalités de protecteurs dans Biagioli (Mario), Galileo, Courtier : the Practice of Science in the Culture of Absolutism, Chicago : University of Chicago Press, 1993, XII-402 p. ; Shapin (Steven), “The Audience for Science in Eighteenth-Century Edinburgh”, History of Science, vol. 12, 1974, pp. 95-121 ; Shapin (Steven), “Property, Patronage, and the Politics of Science : the Founding of the Royal Society of Edinburgh”, British Journal for the History of Science, vol. 7, 1974, pp. 1-41 ; Golinski (Jan V.), “Utility and Audience in Eighteenth-Century Chemistry : Case Studies of William Cullen and Joseph Priestley”, British Journal for the History of Science, vol. 21, 1988, pp. 1-32.

49 Outram (Dorinda), The Body and the French Revolution..., op. cit. ; Schama (Simon), Citizens : a Chronicle of the French Revolution, op. cit. ; Hunt (Lynn), Politics, Culture, and Class in the French Revolution, op. cit.

50 Archives nationales, AJ/15/95.

51 Corsi (Pietro), Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme, 1770-1830, op. cit., p. 25 ; Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., pp. 35-42.

52 Durant l’été 1790, Fourcroy et Jussieu s’étaient trouvés opposés dans un débat sur la souveraineté ; pour Jussieu, l’Académie devait être responsable devant le roi, tandis que Fourcroy soutenait qu’elle ne devait être responsable que devant l’Assemblée Nationale. Lorsque la même question fut débattue au Jardin, cependant, les naturalistes votèrent à l’unanimité pour la position de Fourcroy, qui l’avait emporté de justesse dans les débats de l’Académie (Hahn [Roger], The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., pp. 171-172 ; Archives nationales, AJ/15/95).

53 Bien que Fourcroy soit donné comme l’auteur principal, la plupart des autres naturalistes prirent une part active aux réunions, à la rédaction de certaines parties du projet et à sa diffusion (Archives nationales, AJ/15/95).

54 Archives nationales, AJ/15/149.

55 Sur les salaires liés aux postes du jardin, voir Laissus (Yves), “Le jardin du roi”, in Taton (René) (sous la dir.), Enseignement et diffusion des sciences en France au XVIIIe siècle, [nouv. tirage], Paris : Hermann, 1986, pp. 287-341. Voir Gillispie (Charles Coulston), Science and Polity in France at the End of the Old Regime, op. cit. ; Taton (René) (sous la dir.), Enseignement et diffusion des sciences en France au XVIIIe siècle, [nouv. tirage], Paris : Hermann, 1986,780 p. ; et Outrant (Dorinda), Georges Cuvier...,op. cit., pour plus de détails sur les postes accumulés par les différents naturalistes. Sur les activités médicales des naturalistes, voir ci-dessus, chapitre 1 ; Fourcroy et Brongniart donnaient des cours de chimie privés (Smeaton [W. A.], Fourcroy : Chemist and Revolutionary, 1755-1809, Cambridge : Heffer and Sons, 1962, pp. 7-9 ; Archives nationales, AJ/15/509, pièces 271, 272, 274). Plusieurs naturalistes avaient aussi des revenus indépendants (Audelin [Louise], Les Jussieu : une dynastie de botanistes au XVIIIe siècle, 1680-1789, Thèse, Paris : École des Chartes, Paris, 1987 ; Hahn [Roger], “Sur les débuts de la carrière scientifique de Lacepède”, Revue d’histoire des sciences, vol. 27, 1974, pp. 347-353).

56 Rudé (George), The French Revolution, op. cit., p. 60.

57 “Registre des décisions réglementaires...”, réunion du 27 août 1790 (Archives nationales, AJ/15/95).

58 Sur le Muséum en tant que lieu où les sphères d’autorité et de patronage se superposaient, voir Outram (Dorinda), Georges Cuvier..., op. cit., chapitre 8.

59 “Projet de règlements pour le Jardin des plantes et le Cabinet d’histoire naturelle”, in Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., pp. 107-129.

60 Outram (Dorinda), “The Ordeal of Vocation...", art. cit. ; Dhombres (Jean), Dhombres (Nicole), Naissance d’un pouvoir : sciences et savants en France, 1793-1824, Paris : Payot, 1989, p. 16 (Bibliothèque historique) ; Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit. ; Chapin (Seymour L.), “The Vicissitudes of a Scientific Institution...”, art. cit. ; Huard (Pierre), “L’Enseignement médico-chirurgical”, in Taton (René) (sous la dir), Enseignement et diffusion des sciences en France au XVIIIe siècle, op. cit., pp. 171-236 ; Hahn (Roger), “The Problems of the French Scientific Community, 1793-1795”, Actes du XIIe congrès international d’histoire des sciences, vol. III, 1968, pp. 37-40.

61 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., chapitres 6 et 9.

62 Adresses et projet de reglements présentés ά l’Assemblée Nationale par les officiers du Jardin des plantes et du Cabinet d’histoire naturelle, d’après le décret de l’Assemblée Nationale, du 20 aout 1790, Paris : Buisson, 1790, [21-80 p.

63 “2000 Exemplaires”, 1790 (BCMNHN, MS 313 [2]).

64 BCMNHN, MSS 1971-1984.

65 Outram (Dorinda), “The Ordeal of Vocation...”, art. cit. ; voir également Outram (Dorinda), Georges Cuvier..., op. cit., pp. 171-172, où Outram avance que les convictions jacobines de Fourcroy ont dû entrer en conflit avec les opinions modérées de Thouin, qui fréquentait des modérés comme La Revellière-Lépeaux et Roland. Cependant, les choses devaient être plus complexes que cela, puisque sous la Terreur Thouin avait l’habitude d’écrire à Fourcroy en l’appelant “mon cher camarade" (BCMNHN, MS 308).

66 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., pp. 3-23.

67 Mavidal (Jérôme), Laurent (Émile) (sous la dir.). Archives parlementaires de 1789 à 1860..., op. cit., vols 31-36.

68 “Thouin”, “Lacepède”, “Lamarck”, “de Jussieu”, in Nouvelle biographie universelle, Paris : Firmin Didot, 1853-1866, 46 vols. Pour Fourcroy, voir Smeaton (W. A.), Fourcroy..., op. cit. ; Kersaint (Georges), “Antoine-François de Fourcroy, 1755-1809...”, art. cit.

69 Outram (Dorinda), Georges Cuvier..., op. cit., pp. 171-172.

70 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., chapitre 9.

71 Millin de Grandmaison (Aubin-Louis), “Introduction”, in Millin de Grandmaison (Aubin-Louis) (sous la dir.), Actes de la Société d’histoire naturelle de Paris, op. cit. Sur le conflit entre les linnéens et les autres, voir Gillispie (Charles Coulston), Science and Polity in France at the End of the Old Regime, op. cit., pp. 191-193 ; Duris (Pascal), Linné et la France, 1780-1850, Genève : Droz, 1993, 281 p. ; Stafleu (Frans A.), Linnaeus and the Linnaeans : the Spreading of their Ideas in Systematic Botany, Utrecht : Oosthoek, 1971, XVI-386 p., chapitre 9. De même, il faudrait nuancer l’affirmation de Corsi selon laquelle “ceux qui avaient bénéficié du soutien et de la protection de Buffon, et ceux qui avaient accepté le modèle d’histoire naturelle qu’il avait créé, durent affronter de graves répercussions sur le plan institutionnel et une sérieuse offensive théorique” (Corsi [Pietro], Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme, 1770-1830, op. cit., p. 19), car plusieurs personnages qui connurent un grand succès sur le plan institutionnel, y compris Daubenton, Faujas, Lamarck et Thouin, devaient à l’origine à Buffon leur entrée dans le monde scientifique parisien.

72 “Adresse des naturalistes, à l’Assemblée Nationale”, in Mavidal (Jérôme), Laurent (Émile) (sous la dir.), Archives parlementaires de 1789 à 1860..., op. cit., vol. 17, 5 août 1790.

73 Voir, par exemple, Lamarck (Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de), “Philosophie botanique”, Journal d’Histoire naturelle, vol. 1, 1792, pp. 81-91 ; Lamarck (Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de), “Sur les systèmes et les Méthodes en Botanique, et sur l’analyse”, Journal d’Histoire naturelle, vol. 1, 1792, pp. 300-306. Quoique Olivier et Bruguière fussent aussi éditeurs de ce périodique, Bruguière passa beaucoup de temps à un voyage au Levant où il devait laisser la vie, et Olivier ne contribuait que rarement au journal.

74 Lamarck (Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de), Mémoire sur le Projet du Comité des finances, relatif à la suppression de la place de Botaniste attaché au Cabinet d’histoire naturelle, Paris : Gueffier, 1790 ; Faujas de Saint-Fond (Barthélémy), Observations de M. Faujas..., op. cit.

75 Faujas de Saint-Fond (Barthélémy), Observations de M. Faujas..., op. cit.

76 “Devis de la dépense du troisième quartier pour l’entretien du Museum national d’histoire naturelle, pendant l’année 1793 l’an 2ème de la République une et indivisible” (Archives nationales, F/17/1221). La lettre est reproduite dans Fayet (Joseph), La Révolution française et la science, 1789-1795, Paris : Marcel Rivière, 1960, p. 81 ; il semble probable que Faujas tentait ainsi de faire la preuve de son propre zèle révolutionnaire.

77 Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op. cit., p. 309.

78 Dossier “Lamarck” (Archives nationales, AJ/15/509) ; Corsi (Pietro), Lamarck. Genèse et enjeux du transformisme, 1770-1830, op. cit., pp. 14, 69.

79 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., p. 44.

80 Ibid. ; sur la démission de La Billarderie, voir Archives nationales, F/17/1229, dossier 1, pièces 2-4.

81 “Officiers du Jardin au ministre de l’intérieur”, 2 janvier 1792, in Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op. cit., p. 292.

82 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., mentionne une lettre de Thouin au ministre de l’Intérieur, Cahier de Gerville, à ce sujet, le 2 janvier 1792. Voir également la proposition de Lacepède aux autres naturalistes que Daubenton soit élu directeur à vie de l’établissement (Archives nationales, AJ/15/95, réunion du 30 août 1790), une suggestion incluse dans la Seconde adresse des naturalistes le 9 septembre 1790.

83 Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op. cit., pp. 282-283, 294-306. Les manuscrits originaux sont aux Archives nationales, AJ/15/506 et F/17/3903.

84 Saint-Pierre à Roland, sans date in Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op. cit., p. 304.

85 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., p. 49.

86 Petersen (Susanne), Lebensmittelfrage und revolutionäre Politik in Paris, 1792-1793 : Studien zum Verhältnis von revolutionärer Bourgeoisie und Volksbewegung bei Herausbildung der Jakobinerdiktatur, Munich : Oldenbourg, 1979, 305 p.

87 Schama (Simon), Citizens : a Chronicle of the French Revolution, op. cit., pp. 719-726.

88 Outram (Dorinda), The Body and the French Revolution..., op. cit., pp. 130-131.

89 Idem, passim ; Furet (François), Penser la Révolution française, op. cit., pp. 70-87.

90 “Bosc”, in Gillispie (Charles Coulston) (sous la dir.), Dictionary of Scientific Biography, New York : Charles Scribner, 1970-1980, 16 vols ; Outram (Dorinda), “The Ordeal of Vocation...”, art. cit. ; Hondt (Jean-Loup d’), “Louis-Auguste-Guillaume Bosc (1759-1828), conventionnel et naturaliste, premier systématicien français des bryozoaires actuels”, in Scientifiques et sociétés pendant la Révolution et l’Empire : actes du 114e congrès national des sociétés savantes (Paris 3-9 avril 1989), Section histoire des sciences et des techniques, Paris : CTHS, 1990, pp. 241-258.

91 La Revellière-Lépeaux (Louis-Marie), Mémoires de Larevellière-Lépeaux, membre du Directoire exécutif de la République française et de l’Institut national ; publiés par son fils sur le manuscrit autographe de l’auteur et suivies des pièces justificatives et de correspondance inédits, [éd. par La Revellière-Lépeaux Ossian], Paris : E. Plon, Nourrit et Cie, 1895, vol. I, p. 161.

92 Fayet (Joseph), La Révolution française et la science, 1789-1795, op. cit., p. 115 ; Voir Guillaume (James) (sous la dir.), Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention Nationale, Paris : impr. nationale, 1891, vol. I, p. 480.

93 Hamy (Ernest-Théodore), “Les Derniers jours du Jardin du roi et la fondation du Muséum d’histoire naturelle”, art. cit., pp. 63-66.

94 Ibid., p. 66.

95 Bedel (Charles), “L’Enseignement des sciences pharmaceutiques”, in Taton (René) (sous la dir.), Enseignement et diffusion des sciences au XVIIIe siècle en France, op. cit., pp. 237-257.

96 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., p. 284.

97 Ibid., chapitre 8.

98 Grégoire (Henri), Rapport et projet de décret présenté au nom du Comité d’instruction publique, à la séance du 8 août, Paris : impr. nationale, 1793.

99 Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit. ; Festy (Octave), L’Agriculture pendant la Révolution française. T. 1 : Les Conditions de production et de récolte des céréales : étude d’histoire économique, 1789-1795, Paris : Gallimard, 1947, 463 p. ; Boulaine (Jean), “Les Avatars de l’Académie d’agriculture sous la Révolution”, in Scientifiques et sociétés pendant la Révolution et l’Empire : actes du 114e congrès national des sociétés savantes (Paris, 3-9 avril 1989), Section histoire des sciences et des techniques, Paris : CTHS, 1990, pp. 211-227, montre que bien que la Société ait tenu après le 8 août deux réunions assez incohérentes, auxquelles Grégoire lui-même assista, son activité normale s’arrêta complètement après la fin septembre.

100 Parmi les naturalistes du Jardin qui étaient aussi membres de l’Académie figuraient Daubenton, Portal, Fourcroy, Thouin, Jussieu et Lamarck (Hahn [Roger], The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit.).

101 Lettre de Desfontaines au Président du Comité d’instruction publique, 23 brumaire de l’an II [13 novembre 1793] (Archives nationales, F/17/3880).

102 Lettre des membres du Comité d’instruction publique aux membres du Comité de salut public, 3 brumaire an III [24 octobre 1794] (Archives nationales, F/17/1233).

103 Cuvier (Georges), “Éloge historique de M. le Cte. De Lacépède, lu le 5 juin 1826”, in Cuvier (Georges), Recueil des éloges historiques des membres de l’Académie royale des sciences, [reprod. en fac-similé de la 1ère éd., Paris : Levrault, 1827], Bruxelles : Culture et Civilisation, 1969, vol. III, p. 306.

104 Archives nationales, AJ/15/510, pièces 324, 325.

105 Archives nationales, F/17/3380. La demande des professeurs fut accordée par la Convention le 21 frimaire an III [11 décembre 1794].

106 A.-L. Brongniart aux administrateurs du Muséum, 1er juillet 1793 (Archives nationales, AJ/15/577).

107 Thouin aux administrateurs du Muséum, 30 germinal an III [19 avril 1795] (Archives nationales, AJ/15/836).

108 Thouin à l’administration du Muséum, 4 frimaire an V [24 novembre 1796] (Archives nationales, AJ/15/836).

109 Thouin à l’administration du Muséum, 20 pluviôse an V [8 février 1797] (Archives nationales, AJ/15/836).

110 Par contraste, Outram (Dorinda), “The Ordeal of Vocation...”, art. cit. et Outrant (Dorinda), Georges Cuvier..., op. cit., chapitres 1 et 8, mettent presque exclusivement l’accent sur les réponses individuelles aux problèmes de survie et de négociation du pouvoir posés par la Révolution. Brygoo (Édouard-Raoul), “Du Jardin et du Cabinet du roi au Muséum d’histoire naturelle, en 1793 : la continuité par les hommes”, Histoire et nature, vol. 27-29, 1987-1988, pp. 47-63, suggère une interprétation plus unifiée pour les naturalistes du Jardin, mais n’est guère documenté,

111 “Fête civique célébrée dans le Muséum national d’histoire naturelle le Dix ventose an six pour la plantation d’un arbre de la liberté” (Archives nationales, AJ/15/847).

112 Darnton (Robert), La Fin des lumières : le Mesmérisme et la Révolution, [trad, par Revellat Marie-Alyx], Paris : Odile Jacob, 1995, chapitre 3 ; Hahn (Roger), The Anatomy of a Scientific Institution..., op. cit., chapitre 5.

113 Thouin à Fourcroy, 4 messidor an II [22 juin 1794], in Letouzey (Yvonne), Le Jardin des plantes à la croisée des chemins avec André Thouin, 1747-1824, op. cit., p. 324.

114 Mon analyse s’oppose ici radicalement à celle d’Outram (Dorinda), “New Spaces in Natural History”, in Jardine (Nicholas), Secord (James A.), Spary (Emma C.) (sous la dir.), Cultures of Natural History, Cambridge : Cambridge University Press, 1996, pp. 249-265, qui affirme que le Muséum “était caractérisé par des conflits internes” (p. 257). Une telle vision rend toutefois impossible l’explication de nombreux éléments cruciaux de la fondation du Muséum.

Table des illustrations

Légende FIG. 22 - Décret du 10 juin 1793 relatif à l’organisation du Jardin national des plantes et du Cabinet d’histoire naturelle sous le nom de Muséum d’histoire naturelle : pages 1 et 2.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/2202/img-1.jpg
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Légende FIG. 23 - Première adresse issue de Adresses et projet de réglemens présentés à l'Assemblée Nationale par les officiers du Jardin des plantes et du cabinet d'histoire naturelle, Paris : Buisson, 1790, pp. 1-2.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/2202/img-2.jpg
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Légende FIG. 24 - Buffon représenté comme l’un des “illustres Français”, peu après sa mort. Tandis que le naturaliste pose son regard sur le cosmos, le piédestal de son buste comporte l’image de Jean-Jacques Rousseau, dépeint dans un épisode célèbre où il s’agenouilla pour baiser le sol à l’entrée de la pièce où Button écrivait. De tels épisodes devaient renforcer le rôle moral particulier de l’histoire naturelle dans les années 1780 et 1790, bien que Button ait, dit-on, informé Hérault de Séchelles que les Confessions de Rousseau l’avaient révolté (Correspondance 1 : 140). Issu de Ponce (Nicolas), Les Illustres Français, Paris : Ponce, 1790-1816.
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Légende FIG. 25 - Portrait de profil de Geoffroy Saint-Hilaire (Étienne). Gravure de Dutertre in Histoire scientifique et militaire de l'expédition française en Égypte, Paris : Dénain, 1830-1836, 10 vols.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/2202/img-4.jpg
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Légende FIG. 26 - Emblème du Muséum d’histoire naturelle. Des animaux, des végétaux et des minéraux entourent une ruche, symbolisant le professorat, et un bonnet phrygien, symbolisant la liberté républicaine, dans cette gravure élaborée par le professeur d'iconographie du Muséum, Gérard Van Spaendonck, en 1793. Les épis de blé et la vigne font référence au rôle agricole de l’histoire naturelle. Pour les gens de l’époque, les abeilles représentaient le modèle de l'industrie, de l'utilité et de l’harmonie sociale.
URL http://books.openedition.org/mnhn/docannexe/image/2202/img-5.jpg
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