1Cette quatrième et dernière partie commence au lendemain de la première guerre mondiale et se poursuit jusqu’à nos jours, même si nous l’avons artificiellement et volontairement arrêtée en 1980 pour des raisons évoquées dans l’avant-propos. Le fait qu’elle soit ici la moins riche en termes de nombre de pages ne doit pas laisser croire qu’elle est la moins riche du point de vue des recherches menées. Notre ouvrage ne concerne en effet que les auteurs ayant découvert des espèces considérées aujourd’hui comme valides. Des botanistes tels que Charles d’Alleizette (1884-1967) ou Pierre Chouard (1903-1983), professeur de physiologie à la Sorbonne, auteurs d’espèces qui ne sont pas considérées comme valides aujourd’hui, n’ont pas été retenus. S’il est vrai que peu d’espèces valides ont été découvertes depuis 1920, il n’en est pas moins vrai que la floristique française est demeurée très active tout au long du XX^ème siècle. La systématique de la flore de France a été largement révisée et de nombreuses nouvelles combinaisons ont été créées. Au cours du XX^ème siècle, en raison de bouleversements théoriques et techniques en biologie, les botanistes ont porté un regard nouveau sur les plantes, différent de celui de leurs prédécesseurs. De nouvelles questions les ont occupés, qu’ils ont pu résoudre avec de nouvelles méthodes et techniques.

2Le XX^ème siècle s’ouvre en biologie par la théorie dite chromosomique de l’hérédité, établie par le généticien américain Thomas Morgan (1866-1945). Sans que l’on connaisse alors véritablement leur composition chimique, on sait que les chromosomes sont responsables de la transmission des caractères héréditaires. Rapidement, il apparaît que leur nombre et leur forme, qui sont plus ou moins aisément accessibles au moment de la mitose – c’est-à-dire lors de la division des cellules – sont fixes pour chaque espèce. L’étude des chromosomes, ou caryologie, s’impose aussitôt comme un outil pour la reconnaissance des espèces. L’idée est simple. Deux espèces très proches morphologiquement sont considérées comme distinctes si leur formule chromosomique diffère. En France, l’un des premiers cytotaxonomistes est René de Litardière (1888-1957), professeur de botanique à la faculté des sciences de Grenoble.

3La botanique du XX^ème siècle est également profondément marquée par l’avènement de la phytosociologie. On n’étudie plus seulement les espèces pour elles-mêmes mais en fonction de leurs associations avec d’autres espèces et en fonction de la nature édaphique des sols. Les deux grands maîtres de la phytosociologie française sont des anciens disciples de Charles Flahault (1852-1935), professeur de botanique à l’université de Montpellier et l’un des pionniers de la discipline : Louis Emberger (1897-1969), également professeur de botanique à l'université de Montpellier, et Josias Braun-Blanquet (1884-1980), d’origine suisse, directeur de la Station internationale de géobotanique méditerranéenne et alpine (SIGMA), à Montpellier. La phytosociologie, comme l’écologie végétale, sa discipline fille, consiste cependant en l’étude de la végétation et non de la flore. C’est en tant que systématiciens, en tant que découvreurs d’espèces, que plusieurs phytosociologues sont présents dans cette quatrième partie.

4Pour la reconnaissance des espèces, l’un des bouleversement majeurs de ce siècle est la définition dite biologique de l’espèce, proposée par le naturaliste américain Ernst Mayr en 1942. Pour lui, le seul critère de l’appartenance de différents individus à une même espèce est leur interfécondité et non leur ressemblance morphologique. Une espèce, au sens biologique du terme, est donc un ensemble de populations interfécondes, et ce de manière exclusive. Les conséquences de cette définition en systématique sont considérables. D’un point de vue théorique, tout au moins, car les mentalités et les problèmes pratiques liés à l’application de cette définition biologique de l’espèce ont fait que la génétique des populations et la systématique n’ont pas été comprises comme des disciplines complémentaires pour de nombreuses années. L’utilisation de la caryologie en systématique a été relativement rapide. Celle de la génétique des populations a été beaucoup plus lente et presque exclusivement réservée à quelques groupes critiques comme les genres Viola ou Thymus ; en ce domaine, et sans doute en raison d’un riche héritage historique, ce sont des laboratoires de Montpellier qui, en France, ont été les plus novateurs. D’un point de vue pratique, des études de génétique des populations ne peuvent pas être effectuées pour toutes les espèces de la flore de France, ne serait-ce qu’en raison du trop faible nombre de chercheurs travaillant sur ces questions. On pourrait cependant raisonnablement espérer que les actuels découvreurs d’espèces prennent en considération les nouvelles définitions de l’espèce dans leurs travaux, à savoir la définition biologique ainsi que la définition phylogénétique de Willi Hennig (1913-1976), plus récente encore. Mais cela concerne l’actualité de la systématique et non l’histoire de la découverte des espèces de la flore de France.

5Durant le XX^ème siècle, la systématique botanique a été très active dans toute l’Europe. Citons ici quelques grandes figures : Paul Aellen (1896-1973), instituteur à Bâle ; Alfred Becherer (1897-1977), conservateur des herbiers de la ville de Genève puis du canton du Tessin à partir de 1957 ; Hervé Burdet (né en 1939), conservateur au Jardin botanique de Genève ; Raffaele Cifferi (1897-1964), mycologue à l’université de Florence ; James Cullen (né en 1936), conservateur au Jardin botanique d’Édimbourg ; James-Elgar Dandy (1903-1973), botaniste au British Museum ; Friedrich Ehrendorfer (né en 1927), directeur de l’institut botanique de l’université de Vienne ; Werner Greuter (né en 1938), directeur du Jardin botanique de Berlin, ancien conservateur au Jardin botanique de Genève ; Theodor Henrard (1881-1974), pharmacien à La Hague puis conservateur du Rijksherbarium de Leyde ; Vernon-Hilton Heywood (né en 1927), professeur à l’université de Reading, en Grande-Bretagne ; Josef-Ludwig Holub (1930-1999), membre fondateur de l’institut botanique de Prague ; Charles-Edward Hubbard (1900-1980), botaniste au Jardin botanique de Kew ; Erwin Janchen (1882-1970), nomenclaturiste du Jardin botanique de Vienne ; Hans Kunz (1904-1982), professeur de psychologie et d’anthropologie à l’université de Bâle ; Hermann Merxmüller (1920-1988), directeur du Jardin botanique de Munich ; Sandro Pignatti (né en 1930), régulier visiteur de la SIGMA, professeur de botanique dans les universités de Trieste, Padoue puis Rome ; Karl-Heinz Rechinger (né en 1906), conservateur au Musée d’histoire naturelle de Vienne ; Werner-Paul Rothmaler (1908-1962), conservateur dans les instituts botaniques de Berlin, Vienne puis Halle ; Boris Konstantinovitch Schischkin (1886-1963), professeur de botanique au Musée d’histoire naturelle de Léningrad ; Károly-Rezsö Soó von Bere (1903-1980), directeur de l’institut botanique de Budapest ; William-Thomas Stearn (né en 1911), botaniste au Bristish Museum ; Albert Thellung (1881-1928), professeur à l’université de Zurich ; Nicolai Nicolaievitch Tzvelev (né en 1925), directeur du département des plantes supérieures de l’institut Komarov de Leningrad.

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Maurice CHASSAGNE (1880-1960)

6Maurice Chassagne naît dans le Puy-de-Dôme en 1880. Très tôt attiré par l’étude des plantes, il commence à herboriser sérieusement lors de son année de licence à la faculté des sciences de Clermont-Ferrand, en 1897. Il reçoit de précieuses leçons auprès de frère Joseph Héribaud (1841-1917)1, excellent connaisseur de la flore de l’Auvergne, à qui il soumet ses premières récoltes. Cette initiation lui permet de se hisser dans les premiers rangs des botanistes du Massif central. Frère Héribaud lui transmet une ancienne tradition de botanique auvergnate dont les deux fondateurs ont été l’abbé Antoine Delarbre (1724-1813), ancien élève de Bernard de Jussieu (1699-1777) à Paris, abbé à Royat puis à la cathédrale de Clermont-Ferrand, et son fidèle compagnon l’abbé Dubois (1754-1836), curé de Saint-Nectaire, où il est mystérieusement mort assassiné.

7Après avoir obtenu le grade de docteur en médecine, il s’installe en 1904 comme médecin à Lezoux, dans le Puy-de-Dôme, à mi-chemin entre Clermont-Ferrand et Thiers. La même année, il devient membre de la Société botanique de France. Comme en témoigne Pierre Chouard (1903-1983), dans l’introduction que Maurice Chassagne lui demande de rédiger pour sa Flore d’Auvergne (1956-1957)2, il mène à Lezoux une vie entièrement dévouée à ses patients et à l’étude des plantes. Sans relâche, dès qu’il a une liberté, il explore les environs de sa ville. Tel le médecin béarnais Jean Bergeret (1751-1813), il profite également des visites qu’il rend à ses malades pour herboriser le long des chemins. Ses investigations ne se limitent pas au nord du Puy-de-Dôme. Lors de ses congés, il sillonne toute l’Auvergne : le Cantal, l’Ailier et la Haute-Loire, sans oublier les départements limitrophes que sont la Loire, la Lozère, l’Aveyron, le Lot, la Corrèze et la Creuse.

8Grâce à ses nombreuses excursions, Maurice Chassagne réussit à se constituer un très riche herbier de l’Auvergne. C’est une collection de deux cent trois paquets et trente-deux mille échantillons qu’il lègue en 1938 à la faculté des sciences de Clermont3. Outre qu’elle renferme les spécimens répertoriés dans l’Inventaire analytique de la flore d’Auvergne (1956-1957)4, cette collection comprend des séries exceptionnelles de quelques genres critiques comme Rosa, Rubus, Hieracium ou Populus auxquels Maurice Chassagne porte toute sa vie un intérêt particulier, sans oublier le genre Salix, sa véritable passion5.

9Maurice Chassagne est un excellent connaisseur de la flore d’Auvergne. En plus de ses herborisations, il a lu tous les travaux de botanique s’y rapportant et a vu de ses propres yeux toutes les collections accessibles. Dans les premières pages de l’Inventaire analytique de la flore d’Auvergne (1956-1957), il donne une liste exhaustive de tous les botanistes ayant herborisé en Auvergne et dont il a été susceptible d’utiliser les travaux ou les herbiers6. Plusieurs contemporains sont, à l’occasion, des compagnons d’excursion de Maurice Chassagne. Citons d’abord les maîtres de la botanique auvergnate : l’abbé Delarbre, fondateur du premier Jardin botanique de Clermont-Ferrand, l’abbé Pierre-François Lacoste (1751-1826), directeur de ce même Jardin, Louis Ramond de Carbonnières (1755-1827), préfet du Puy-de-Dôme de 1806 à 1814, Henri Lecoq (1802-1874), professeur de botanique à la faculté des sciences de Clermont-Ferrand, son élève Martial Lamotte (1820-1883), frère Joseph Héribaud, ou encore Antoine Le Grand (1839-1905), agent voyer à Saint-Étienne puis Montbrison. Viennent ensuite : le stéphanois Jean-Louis Alléon-Dulac (1723-1788), auteur de Nouveaux mémoires pour servir à l’histoire naturelle du Lyonnais, Forez, Beaujolais, restés manuscrits ; André d’Alverny (?-1930), garde général des eaux et forêts dans la Loire, qui herborise surtout dans le Forez ; Joseph Arbost (?-1940), pharmacien à Thiers ; Hippolyte de Barrau (1794-1863), auteur d'un manuscrit sur Les Plantes observées dans le département de l’Aveyron (1856), rédigé avec son frère Adolphe, médecin ; l’abbé Berthomieu (1840-1916), bon connaisseur de la flore des environs de Gannat, dans l’Ailier ; l’abbé Jean-Baptiste Blot (1864-1927), actif récolteur de plantes dans les monts Dores ; l’abbé Jules Boissonnade (1831-1897), ami de l’abbé Hippolyte Coste (1858-1924) et professeur de sciences au Petit Séminaire de Mende, où est conservé son herbier ; Antoine Bras (1802-1883), médecin à Villefranche-de-Rouergue, dans l’Aveyron, auteur d’un Catalogue des plantes vasculaires du département de l’Aveyron (1877)7 ; Louis Brévière (7-1913), conservateur des hypothèques à Ambert, fin connaisseur de la flore du Forez ; Charles Bruyant (1869-1916), professeur suppléant à l’école de médecine de Clermont-Ferrand, directeur de la station limnologique de Besse-en-Chandesse, président de la session extraordinaire de la Société botanique de France du Massif central, en 1913, tué à Verdun ; Jean Carbonnel (1864-1942), instituteur de plusieurs localités aveyronnaises, fidèle ami de l’abbé Coste ; l'abbé Jean-Baptiste Charbonnel (1873-1939), curé dans plusieurs bourgs du Cantal, fervent jordanien, infatigable récolteur de plantes ; Pierre Demeneix (?-1935), instituteur à Bansat, dans le Puy-de-Dôme ; Marcel Denis (1897-1929), docteur ès sciences, assistant à la faculté de Clermont-Ferrand, remarquable phytosociologue, l’un des plus fidèles amis de Maurice Chassagne ; Louis Duchasseint (1856-1940), collectionneur naturaliste de Lezoux ; Martin Estival, dit frère Gatien, professeur à Clermont-Ferrand puis Auxerre, compagnon d’herborisation de frère Joseph Héribaud ; Eugène Gonod d’Artemare (1831-1899), pharmacien à Clermont-Ferrand, retiré à Ussel à la fin de sa vie ; l’abbé Joseph Hervier (1846-7), originaire de Saint-Chamond, aumonier à Saint-Étienne, possesseur d’un remarquable herbier du Forez ; l’abbé Amédée Laronde (1867-1922), professeur à Saint-Victor-Montvianeix dans le Puy-de-Dôme ; Louis Lavergne (1877-1949), instituteur à Maurs, dans le Cantal ; Pierre Brunei (7-1890), dit frère Louis-Lambert, directeur de plusieurs écoles communales dans le Puy-de-Dôme, en Haute-Loire et dans le Cantal, correspondant de Martial Lamotte et de frère Joseph Héribaud ; Ernest Malinvaud (1836-1913), originaire de Paris où il se fixe définitivement après la guerre de 1870, secrétaire et président de la Société botanique de France, bon connaisseur de la flore du Lot et de la Haute-Vienne ; Jean Malvezin (1835-1900), employé de la Compagnie des chemins de fer à Aurillac, récolteur très actif, correspondant de Martial Lamotte, frère Joseph Héribaud et Gaston Bonnier (1851-1922) ; Pierre Marty (1868-1940), passionné de paléontologie végétale, compagnon d’excursion de Maurice Chassagne ; Émile Mazuc (1831-1855), de Rodez, auteur d’un manuscrit sur les plantes de l’Aveyron ; Abel Migout (1830-1894), professeur au lycée de Moulins, excellent connaisseur de la flore bourbonnaise ; Ernest Olivier (1844-1914), installé aux Ramillons, sur la commune de Chemilly dans l’Ailier, découvreur de plusieurs plantes nouvelles pour son département ; Adolphe Pellat (1825-1912), originaire de Paris, auditeur des démonstrations et herborisations d’Adrien de Jussieu (1798-1853), sous-préfet à Gannat en 1869 et 1870, puis conseiller du préfet de Grenoble, grand ami de Gaston Bonnier ; Alexandre Pérard (7-1887), originaire du Pas-de-Calais, professeur au lycée de Montluçon, auteur d’une Flore du Bourbonnais (1884-1886)8 ; l’abbé Antoine Peyron (1822-1906), archiprêtre à Boën, dans la Loire, correspondant d’Alexandre Boreau (1803-1875) et d’Antoine Le Grand ; Théodose-Cyriaque Prost (1788-1848), auteur d’une Notice sur la flore du département de la Lozère (1820)9, directeur des postes à Mende, botaniste dont l’accueil chaleureux et la riche table ont séduit les plus grands, d’Augustin-Pyramus de Candolle (1778-1841) à Alexis Jordan (1814-1897) ; Timothée Puel (1812-1890), médecin à Paris, membre de la Société botanique de France dès sa fondation, auteur d’un Catalogue des plantes vasculaires qui croissent dans le département du Lot (1845-1853)10 ; Jean-Baptiste Roche (1826-1874), instituteur à Paulhenc, dans le Cantal, correspondant de Martial Lamotte à qui il envoie des plantes récoltées par ses élèves, ne pouvant faire lui-même, étant infirme, de longues herborisations ; Raymond Rodde (1811-1857), originaire du Cantal, médecin à Saint-Pourçain, possesseur d’un riche herbier du Bourbonnais ; l’abbé Joseph Soulié (1868-1930), fidèle ami de l’abbé Coste, infatigable récolteur de plantes, aumônier au château de Henri Jordan de Puyfol (1829-1891), le cousin d’Alexis Jordan, à Courbelimagne, dans le Cantal ; et enfin, Ernest de Valon (1832-1881), conservateur des hypothèques à Paris, Coulommiers (Seine-et-Marne) puis Mamers (Sarthe), membre de la Société botanique de France depuis 1867, récolteur de plantes dans le Cantal, le Lot et l’Aveyron.

10Maurice Chassagne est l’auteur de deux espèces valides de la flore de France, nommées et décrites en 1934 avec son ami hongrois Soltán von Szabó (1882-1944), professeur de botanique à l’université de Budapest : Knautia arvernica Chassagne et Szabó11, une plante endémique du Massif central, et Knautia foreziensis Chassagne et Szabó12, endémique du Forez. L’Inventaire analytique de la flore d’Auvergne nous apprend que la première espèce a été décrite à partir d’un échantillon récolté par Martial Lamotte dans la vallée de la Loue, dans les monts Dômes13 ; la seconde a été découverte par son auteur au Fossat (1200 m), un lieu-dit situé sur le flanc occidental de Pierre-sur-Haute, au roc Gourgon (1400 m), au sommet de Pierre-sur-Haute (1500 m), et dans les prairies humides de Saint-Pierre-la-Bourlhonne (1100 m)14.

Bibliographie

Chassagne (Maurice), Inventaire analytique de la flore d’Auvergne et des contrées limitrophes des départements voisins, Paris : Paul Lechevalier, 1956-1957, 2 vols.

Josias BRAUN-BLANQUET (1884-1980)

11Josias Braun naît le 3 août 1884 à Chur, au pied du Graubündens, en Suisse. Après une brillante scolarité secondaire, il étudie la botanique auprès d’éminents scientifiques suisses. D’abord à Genève, en 1907 et 1908, avec Paul Chenevard (1839-1919), propriétaire d’une maison de mercerie, John Briquet (1870-1931), directeur du Conservatoire botanique de Genève, et Robert Buser (1857-1931), conservateur de l’herbier de Candolle. À Zurich, ensuite, avec Carl Schröter (1855-1959), originaire du Würtemberg, professeur à l’école polytechnique fédérale, Eduard Rübel (1876-1960), fondateur de l’institut privé de géobotanique puis successeur de Carl Schröter à l’École polytechnique, et Hans Schinz (1858-1941), directeur du Jardin botanique. En 1913, sur le conseil de Carl Schröter, il décide de rejoindre le laboratoire de Charles Flahault (1852-1935), l’un des précurseurs de la phytosociologie, à Montpellier. À cette date, il a déjà publié six travaux de systématique botanique15. En 1915, il épouse Gabrielle Blanquet, étudiante en botanique à la faculté de Montpellier. Elle le suivra dans presque toutes ses excursions jusqu’à son décès en 1966. De son côté, il prend le nom de Josias Braun-Blanquet au lendemain de son mariage. La même année, il défend une thèse sur la végétation des Cévennes méridionales devant un jury de la faculté des sciences de Montpellier16. C’est dans ce travail que les concepts d’association végétale et d’espèces caractéristiques sont formulés pour la première fois. Au cours de son doctorat, il développe et exprime clairement des idées et des intuitions qu’il a souvent entendues dans la bouche de ses deux maîtres, Carl Schröter et Charles Flahault.

12En 1916, il rentre à Zurich, où il vient d'être nommé assistant à l’institut de géobotanique. Entre 1923 et 1927, il est privat dozent à l’école polytechnique fédérale helvétique. Au cours de ces années, il s’intéresse à la flore et à la végétation de plusieurs régions. Il cherche à démontrer que les associations végétales et les espèces caractéristiques sont étroitement liées aux conditions édaphiques des milieux. Il publie des Schedæ ad Floram rhæticam Exsiccatam (1918-1938)17, sur la flore des Alpes rhétiques, une Étude sur la végétation et la flore marocaines (1924)18, en collaboration avec René Maire (1878-1949), professeur de botanique à la faculté des sciences d’Alger, à l’occasion de la session extraordinaire de la Société botanique de France au Maroc, et l'un de ses cours sur L’Origine et le développement des flores dans le Massif central de France (1931)19.

13En 1927, Josias Braun-Blanquet décide de s’installer définitivement à Montpellier. Il retourne dans les Alpes suisses presque chaque année. Il n’a pas véritablement de poste mais le successeur de Charles Flahault (1852-1935) à la direction du Jardin botanique de Montpellier, Jules Pavillard (1868-1961), met à sa disposition un laboratoire de l’institut botanique. L’année suivante, paraît son œuvre majeure, le traité fondamental de phytosociologie, Pflanzensoziologie (1928)20, qui sera réédité à deux reprises en allemand et à six reprises en anglais jusque dans les années 1960. En 1929, sir britannique, met à sa disposition une partie du collège des Écossais, à La Colombière. C’est là que Josias Braun-Blanquet installe ce qu’il est convenu d’appeler son école phytosociologique. L’année suivante, à l’instigation du professeur néerlandais W. C. De Leeuw et du professeur Raoul Combes, de Paris, est fondée la Station internationale de géobotanique méditerrannéenne et alpine. La SIGMA est financée par la France, la Suisse, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Roumanie et la Pologne. La direction, confiée à Josias Braun-Blanquet, est assistée d’un comité qui comprend De Leeuw et Combes, sir Geddes, les roumains Cantacuzène et Trajan Savulescu (1889-1963), les polonais Klika et Pascher, l’algérois René Maire, le zurichois Hans Schinz et Arthur-Georges Tansley (1871-1963) d’Oxford.

14La SIGMA est durant de nombreuses années le centre d’une intense activité scientifique. Josias Braun-Blanquet y forme un grand nombre d’étudiants à la phytosociologie. De nombreux chercheurs étrangers y sont reçus. Gabrielle, son épouse, joue un rôle majeur dans le maintien d’un accueil chaleureux dans la Station. Après son décès, en 1966, sa fille Mireille, chef de travaux à la faculté de médecine de Montpellier, le seconde à la SIGMA. Citons quelques visiteurs et étudiants qui séjournent à la Station : Marcel Guinochet (1909-1997), futur professeur de botanique à la faculté des sciences d’Alger puis à l’université d’Orsay, René Molinier, futur professeur de botanique à la faculté des sciences de Marseille, Ruggero Tomaselli, directeur de l’institut botanique de Padoue, tué dans un accident de voiture avec trois de ses étudiants, Bharucha, Dauserot, De Bannes, Giroux, Dickinson, Susplugas, Quantin, Soroceanu, Roi, Tregubov, Blondel, Germaine Pottier-Alapetite, Adriani, Tchou, ou encore André Breton, homonyme du poète. À la mort de sir Geddes, en 1937, c’est l’un des amis d’enfance de Josias Braun-Blanquet, Fritz Allamen von Albertini, qui procure un nouveau siège à la SIGMA, dans la somptueuse propriété du chemin du Pioch de Boutonnet. En 1943, il obtient un poste de maître de recherches au Centre d’études phytosociologiques et écologiques ; en 1946, il succède à Louis Emberger au poste de directeur et participe au rattachement de cette structure au Comité national de la recherche scientifique.

15Josias Braun-Blanquet n’est pas seulement un administrateur de la recherche. Il est également un éminent scientifique. Certains des travaux qu’il fait paraître après la guerre, comme le Prodrome des groupements végétaux de la France méditerranéenne, sont toujours consultés avec profit21. Il reste avant tout, et cela tout au long de sa vie, un infatigable botaniste de terrain22. Outre ses excursions dans les Alpes, le Languedoc et les Pyrénées, il herborise dans la plupart des pays d’Europe, du Portugal jusqu’à l’Islande, en passant par la Roumanie et l’Allemagne. Ce sont peut-être tous ces voyages botaniques qui le maintiennent dans une forme physique exceptionnelle. Il s’éteint, de vieillesse, en pleine possession de ses facultés intellectuelles, le 20 septembre 1980, à son domicile, à Montpellier.

16Josias Braun-Blanquet est l’auteur d’une espèce valide de la flore de France, Draba subnivalis Braun-Blanquet, endémique des Pyrénées orientales : “Draba subnivalis n’est pas rare dans la chaîne axiale. Nos échantillons proviennent de Nuria 2100-2300 m, de la Vallée de Llo à la Serre des Clots 2300 m, du Puy Barbet 2700 m et du Canigou 2760 m (échantillon type). Cette espèce endémique se distingue du D. tomentosa par sa souche moins compacte et moins robuste, son port grêle, moins ramassé, les feuilles basilaires plus étroites, plus allongées et moins épaisses”23. Il est également le premier auteur de deux sous-espèces élevées ultérieurement au rang d’espèce : Onosma fastigiata (Braun-Blanquet) Braun-Blanquet ex Lacaita24, présente dans le sud et le centre de la France ainsi que dans le nord-ouest de l’Italie ; Erodium rodei (Braun-Blanquet) Poirion25, endémique des environs de Grasse.

Bibliographie

Guinochet (Marcel), “Josias Braun-Blanquet”, Bulletin de la Société botanique de France, Lettres botaniques, t. 129, 1982, pp. 73-76.

René VERRIET DE LITARDIÈRE (1888-1957)

17René de Litardière naît le 24 juin 1888 à Mazières-en-Gâtine, dans les Deux-Sèvres, au sein d’une ancienne famille poitevine. Très tôt, son père, Charles de Litardière, médecin, l’initie à la botanique et le laisse consulter à loisir son herbier. Après de brillantes études au lycée Fontanes de Niort et l’obtention de son baccalauréat ès lettres, il entre à la faculté des sciences de Poitiers. En juin 1907, il passe sa première année de sciences physiques, chimiques et naturelles (SPCN), puis obtient une licence ès sciences naturelles en juin 1908. Il commence également des études de médecine qu’il interrompt sur les conseils de son père qui préfèrerait lui voir embrasser une carrière universitaire. Il devient alors stagiaire à l’institut de botanique de la faculté des sciences de Poitiers, où il débute des travaux de cytologie sur des Ptéridophytes, sous la direction du professeur Maige.

18René de Litardière est avant tout un botaniste de terrain, comme en témoignent les trente-cinq voyages qu’il effectue en Corse, sa région de prédilection. Il découvre cette île à l’âge de dix-huit ans, lors d’une excursion botanique en solitaire, en été 1906. À son retour, il rédige son premier article scientifique, un Voyage botanique en Corse (1907). Il ne peut s’empêcher d’y retourner au cours des deux étés suivants et signe deux nouveaux articles sur la flore corse. La Corse est bien plus qu’un simple lieu d’exploration. Elle est sa patrie d’élection où il retourne en pèlerin plus qu’en simple voyageur. En 1909, il explore le Pays Basque, et, en 1911, les splendides et sauvages environs de La Courtine, dans le sud-est de la Creuse. Tous ces voyages donnent lieu à des articles publiés dans le Bulletin de la Société botanique des Deux-Sèvres26.

19René de Litardière commence à publier des résultats concernant ses recherches cytologiques sur la division cellulaire dans le méristème radiculaire des Fougères en 1912 et 1913. Ces travaux l’amènent naturellement à s’intéresser à la systématique de ce groupe auquel il consacre huit publications entre 1910 et 1914. En conclusion, si l’on tient également compte d’une Contribution à l’étude de la flore corse, qui paraît en 1914 dans le Bulletin de Géographie botanique, ce n’est pas moins de dix-neuf articles qu’il signe entre ses dix-huit et vingt-six ans. La guerre interrompt subitement cette ardente production : à l’exception d’une nouvelle Contribution à l’étude de la flore corse, publiée en 1916, indispensable et précieuse respiration au milieu de l’horreur de la guerre, il ne signe plus aucun article avant 1919.

20René de Litardière est mobilisé du 16 août 1914 au 22 juillet 1919, en tant que médecin auxiliaire à l’hôpital militaire de Saumur, où il est chef du service bactériologique à partir de décembre 1918. Aussitôt après sa démobilisation, il achève la préparation de sa thèse de doctorat, d’abord à l’université catholique de Louvain, dans le laboratoire du professeur V. Grégoire, puis à la faculté des sciences de Lille, où il est nommé assistant de botanique générale en octobre 1920. Le 10 décembre 1921, il défend sa thèse à la faculté des sciences de Paris27. Largement occupé par sa thèse, il ne publie entre 1919 et 1921 que trois courtes notes de systématique botanique ainsi que deux articles de cytologie dans les Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences. En plus de divers éclaircissements quant au processus de division du noyau des cellules somatiques des Fougères, c’est dans sa thèse qu’il énonce pour la première fois l’idée que des caractères caryologiques – forme, nombre des chromosomes – peuvent être appliqués à la systématique. C’est ce qu’il nomme alors la cytosystématique.

21Les choses sérieuses commencent en 1922. Jusqu’à la veille de son décès, en 1957, il ne se passe pas une seule année sans que René de Litardière ne publie au moins un article. En pleine maîtrise de ses connaissances, il mène de front plusieurs activités scientifiques qu’il n’entend absolument pas dissocier les unes des autres. Pour lui, tout est lié au sein d’une discipline générale, telle que la botanique : ainsi, lors de ses excursions, soulève-t-il des questions de systématique botanique et de phytosociologie qu’il tente de résoudre ensuite par des travaux de caryologie. Ses voyages le portent d’abord dans la région méditerranéenne occidentale, notamment en Corse, puis, à partir de 1930, lorsqu’il devient titulaire de la chaire de Botanique de la faculté des sciences de Grenoble, dans les Alpes. Du point de vue taxonomique, il s’adonne essentiellement à l’étude des Graminées, et plus particulièrement au genre Festuca auquel il est, pourrait-on dire, affectivement lié.

22René de Litardière doit sa passion pour les Fétuques à Alfred Saint-Yves (1855-1933), spécialiste alors mondialement reconnu : “C’est en septembre 1918 – raconte-t-il –, par l’intermédiaire de P. Cousturier, le botaniste de Saint-Raphaël, ancien gouverneur des Colonies, que je fus mis en rapport avec le commandant Saint-Yves. Des relations épistolaires très cordiales s’en suivirent et, dans le courant du mois d’août 1919, me rendant en Corse, j’avais le très vif plaisir de passer quelques jours à la villa Jacques [à Nice, où était installé Alfred Saint-Yves depuis 1905], puis, à mon retour, près d’une semaine dans les montagnes de Saint-Étienne de Tinée. Souvenirs inoubliables... Saint-Yves réussit à me faire partager l’amour qu’il avait pour les Festuca ; je lui en suis infiniment reconnaissant pour toutes les joies intellectuelles que m’a procurées l’étude de ces plantes”28.

23Les cent quinze articles que René de Litardière publie entre 1922 et 1956 concernent donc cinq thèmes majeurs29 : la flore de Corse (trente-huit publications de 1922 à 1956), le genre Festuca (trente-six publications de 1922 à 1956), la cytosystématique (vingt publications en 1922, 1926, 1928 et de 1942 à 1950), des rapports d’herborisations ou des notes de phytosociologie (seize publications de 1924 à 1952) et, enfin, la cytologie non appliquée à la systématique (cinq publications de 1923 à 1935). René de Litardière ne s’adjoint que très exceptionnellement des collaborateurs : il signe huit articles avec son ami Gustave Malcuit, professeur au collège de Boulogne-sur-Mer, deux avec René Maire (1878-1949), professeur de botanique à Alger, un avec Eugène Simon (1871-1967), un avec T. Marchioni, un avec Maurice Breistroffer (1910-1986), chercheur du laboratoire de botanique de la faculté de Grenoble, rattaché au Centre national de la recherche scientifique à partir de 1946, et un avec Alfred Becherer (1897-1977), originaire de Bâle, professeur de botanique à Genève, retiré à Lugano comme conservateur des collections botaniques du Tessin.

24La carrière universitaire de René de Litardière est sans surprise, droite et régulière. Assistant de botanique à la faculté de Lille en 1920, il y est nommé chef de travaux de botanique générale et appliquée en 1928. Trois années plus tard, il remplace le professeur Mirande à la faculté des sciences de Grenoble. Il conserve cette chaire de Botanique jusqu’en 1954, date à laquelle il est lui-même remplacé par Paul Ozenda, botaniste et biogéographe éminent, spécialiste de la végétation de l’Europe occidentale. Différents souvenirs dressent le même portrait de René de Litardière : simple, modeste, réservé, droit, disponible et curieux, il mène sa vie professionnelle avec un dévouement exemplaire envers les membres de son laboratoire et ses étudiants. Après sa retraite, il s’installe définitivement dans son village natal, Mazières-en-Gâtine, pour y goûter, hélas, un repos bien court. Subitement et gravement malade au mois de juin, il décède le 24 octobre 1957.

25René de Litardière est l’auteur d’une espèce endémique de la flore de Corse, Ranunculus clethraphilus Litardière, qu’il a découverte le 15 août 1908, sur “le versant Nord de la crête qui relie le Monte d’Oro à la Punta Muratella, vers 1950 m, dans des graviers humides, au bord d’un fourré d’aulnes”30. Il est également le premier auteur de deux taxons ultérieurement élevés au rang spécifique : Festuca occitanica (Litardière) Auquier et Kerguelen31, endémique du sud-est de la France, et Asplénium jahandiezii (Litardière) Rouy32, endémique des failles calcaires des gorges du Verdon.

Bibliographie

Guinochet (M.), “René de Litardière (1888-1957)”, Bulletin de la Société d’Histoire naturelle d’Afrique du Nord, t. 49, 1958, pp. 170-179.

Malcuit (Gustave), “René de Litardière (1888-1957)”, Bulletin de la Société botanique de France, Mémoires, 1957, pp. 84-89.

Nathalie ROUSSINE (1889-1968)

26Nathalie Roussine a été chargée de recherches au laboratoire de botanique de la faculté des sciences de Montpellier, sous la direction de Louis Emberger (1897-1969). Malgré nos recherches, aucune source n’a pu être découverte la concernant. Le regret est d’autant plus grand qu’elle est la seule femme de notre ouvrage et qu’elle aurait dû bénéficier à ce titre d’une place de choix.

27Nathalie Roussine est l’auteur d’une espèce valide de la flore de France : Thymus embergeri Roussine33, endémique du sud de la France. Elle l’a récoltée pour la première fois le 10 juin 1950 sur la route de Montpellier à Saint-Martin-de-Londres, au kilomètre six, à droite de la route, dans une clairière d’une forêt de Pinus halepensis Miller. Elle signale vingt-quatre autres localités dans l’Hérault, quatre dans les Bouches-du-Rhône, une dans le Gard, une dans le Vaucluse et une dans les Alpes-Maritimes. Thymus embergeri diffère de deux espèces proches, Thymus serpyllum Linné et Thymus angustifolius Persoon, par la formule chromosomique et par des caractères anatomiques : chez Thymus embergeri, les feuilles ne sont jamais elliptiques tandis qu’elles peuvent l’être chez Thymus serpyllum ; la lèvre supérieure du calice est plus longue que la lèvre inférieure chez Thymus embergeri alors que ce n’est jamais le cas chez Thymus angustifolius. De plus, Thymus embergeri se trouve exclusivement sur les sols calcaires tandis que les deux autres espèces habitent les sols siliceux de sables alluvionnaires34

Roger LEVÈQUE DE VILMORIN (1905-1980)

28Roger de Vilmorin naît en 1905 à Verrières-le-Buisson, non loin de la capitale, au sein d’une des plus célèbres familles de grainetiers français, la maison Vilmorin-Andrieux, dont il convient de rapporter brièvement l’histoire. La maison Vilmorin-Andrieux naît en 1774 par le mariage d’Adélaïde d’Andrieux, fille du grainetier Pierre d’Andrieux ( ?-1780), et de Victoire Levèque de Vilmorin (1746-1840) qui devient aussitôt l’associé de son beau-père. La maison Vilmorin-Andrieux est reprise en 1804 par leur fils, André (1776-1862), qui la rebaptise Vilmorin et C^ie de 1815 à 1843. C’est le fils d’André, Louis (1816-1860), qui, à défaut d’être le véritable fondateur de la dynastie des Vilmorin, fonde la célébrité de la maison Vilmorin-Andrieux. Il ne se contente pas de vendre des graines et participe activement, grâce à ses travaux de sélection généalogique et d’hybridation, aux recherches sur l’hérédité35. Ses travaux d’amélioration des plantes, notamment sur la betterave à sucre et le blé, l’amènent à proposer une théorie de l’hérédité dans laquelle il affirme que l’essentiel est de distinguer ce qui est héréditaire, c’est-à-dire dû à l’ascendance, de ce qui est dû à l’influence du milieu sur l’individu36. C’est Louis de Vilmorin qui décide d’installer la maison Vilmorin-Andrieux à Verrières-le-Buisson. C’est également lui qui fait entrer la famille au sein la Société botanique de France, dont il devient membre dès l’année de sa création en 1854. Après son décès, son épouse et collaboratrice, Élisa de Vilmorin, demande à pouvoir prendre sa place de membre adhérent, devenant la première femme de la Société botanique de France. Elle y entre en compagnie de leur fils, Henry (1843-1899), qui en est longtemps le plus jeune membre37.

29Élisa de Vilmorin dirige la maison Vilmorin-Andrieux de 1860 à 1872. Henry de Vilmorin, qui est son collaborateur à partir de 1866, assume ensuite une pleine direction jusqu’en 1899. Il poursuit dignement les travaux de son père et publie de nombreux ouvrages38. C’est lui qui plante le premier jardin alpin de Verrières-le-Buisson, en 1885, sous les conseils de Bernard Verlot, jardinier au Muséum national d’histoire naturelle. Le fils aîné d’Henry de Vilmorin, Maurice (1849-1918), fonde le Fructicetum vilmorinianum de Barres39, dans le Loiret, mais ne s’occupe pas de la direction des affaires familiales, charge du cadet, Philippe (1872-1917)40. Avant de décéder précocément, Philippe de Vilmorin donne naissance à deux filles, dont l’une, Louise, deviendra la poétesse que l’on sait, et à quatre garçons, Olivier, André, Henry et Roger. C’est d’abord Jacques (1882-1933), le fils de Maurice, qui reprend le flambeau de la maison Vilmorin-Andrieux. Il obtient le grade de docteur ès sciences en 1923, en soutenant un mémoire sur l’Hérédité chez la betterave cultivée (1923)41. C’est dans le cadre protégé de la grande maison familiale de Verrières-le-Buisson, auprès de Jacques, leur cousin germain, et de leur mère, que grandissent Roger et ses frères et sœurs.

30Après le lycée, Roger de Vilmorin décide de suivre des études de sciences à la Sorbonne. Il y est d'abord licencié en sciences biologiques. Il y obtient ensuite un diplôme d’études supérieures en botanique, sous la direction de Raoul Combes. Après son service militaire, qu’il effectue dans le 1^er régiment de l’aérostation de Compiègne, son cousin Jacques lui confie en 1925 les fonctions de directeur du service scientifique et technique des Établissements Vilmorin-Andrieux. À la même époque, par l’intermédiaire de sa sœur Louise, qui tient salon de 1920 à 1925, il a la chance de fréquenter plusieurs artistes de l’époque, notamment le poète Max Jacob (1876-1944) qui l’introduit auprès de Jean Cocteau (1889-1963) dont il devient aussitôt l’un des fidèles amis42. Roger de Vilmorin demeure quarante années au service de la maison familiale. Quarante années au cours desquelles il se consacre activement à l’amélioration des plantes et l’augmentation du nombre de variétés de plantes cultivées et ornementales. Il dirige alors un laboratoire pour le compte des Établissements Vilmorin-Andrieux. L’un de ses plus fidèles collaborateurs, son ami Robert Chopinet (1914-1975), un ancien ingénieur de l’école d’horticulture de Versailles détaché de l’Institut national de recherche agronomique au laboratoire de Verrières, le seconde en de très nombreuses tâches, y compris à l’extérieur de l’entreprise. À partir de 1942, ils mènent ensemble de nombreuses recherches sur l’application de la polyploïdie expérimentale en agronomie et en horticulture. Leurs travaux seront particulièrement couronnés de succès pour la betterave à sucre et le blé. Il est important de signaler que les recherches appliquées de Roger de Vilmorin s’inscrivent alors dans un cadre scientifique très solide. Il est notamment au fait des progrès et de l’actualité des connaissances en génétique. Il ne sera pas inutile de rappeler qu’il est l’un des membres fondateurs de la Société génétique de France, en compagnie de Boris Ephrussi et de Philippe L’Héritier (1906-1994), deux des plus éminents généticiens français, et ce, rappelons-le, à une heure où la génétique était quasi inexistante dans la recherche française.

31Durant la longue période où il se consacre aux affaires de la maison Vilmorin-Andrieux, Roger de Vilmorin ne cesse de s’intéresser à la flore sauvage, son violon d’Ingres. L’une de ses occupations favorites est l’entretien et l’agrandissement du jardin alpin fondé par son grand-père Henry43 à Verrières-le-Buisson. Avec trois de ses amis, en mai 1951, il fonde la Société des amateurs des jardins alpins : André Bertrand est le premier président, Camille Guinet (1890-1974), chef de l’école de botanique du Muséum, est rédacteur du Bulletin, Robert Chopinet est secrétaire, et lui-même est trésorier. Les membres de la Société des amateurs des jardins alpins restent peu nombreux mais sont choisis avec attention, comme en témoigne la présence de personnalités diverses : le poète Patrice de La Tour du Pin (1911-1975), qui occupe la place de vice-président durant plusieurs années ; le vicomte Charles de Noailles (1891-1981), le fils de la comtesse et poétesse Anna de Noailles (1876-1933), une amie intime de Jean Cocteau ; André Guillaumin (1885-1974), dernier professeur titulaire de la chaire des Cultures au Muséum national d’histoire naturelle ; Pierre Chouard (1903-1983), professeur de botanique au Conservatoire national des arts et métiers puis à la Sorbonne ; Henri Humbert (1887-1967), maître de conférences à Alger puis à Clermont-Ferrand, nommé titulaire de la chaire de Phanérogamie du Muséum en 1931, infatigable explorateur (Madagascar, les Andes, montagnes d’Afrique), membre de l’Institut ; Henri Gaussen (1891-1981), professeur de botanique à la faculté des sciences de Toulouse ; Roger Heim (1900-1979), professeur titulaire de la chaire de Cryptogamie au Muséum national d’histoire naturelle, directeur de cette institution de 1951 à 1965 ; Paul Jovet (1896-1991), professeur de phanérogamie du Muséum. Roger de Vilmorin est également très actif au sein de la Société botanique de France. Il participe autant qu’il le peut aux sessions extraordinaires : la première est celle des Landes en 1934 ; le 17 juin 1935, il fait visiter le jardin alpin de Verrières-le-Buisson aux membres de la Société botanique, alors en session extraordinaire à Paris ; l’année suivante, il est élu vice-président pour la session extraordinaire de Provence ; la dernière à laquelle il prend part est celle de Corse, en 1968, où il est élu président d’honneur. Sa région de prédilection, pour les herborisations, est la Corse, où il possède une maison secondaire. Il devient un excellent spécialiste de la flore corse. L’année 1954 donne une idée juste de l’ampleur de ses activités, de ses centres d’intérêts et de sa renommée. Cette année-là, il doit organiser les festivités du centenaire de la Société botanique de France, dont il est alors président, et qui sont célébrées dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, ainsi que le huitième Congrès international de botanique dont il assure le secrétariat général avec Pierre Chouard – la présidence est assurée par Roger Heim. Autre témoignage de sa notoriété, il fait également partie de la Commission internationale du Code de nomenclature botanique de 1954 jusqu’en 1972.

32En 1964, Roger de Vilmorin décide de son propre gré de mettre fin à ses fonctions au sein de la maison Vilmorin-Andrieux, où il travaille depuis bientôt quarante ans. Il est aussitôt employé comme maître de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) qui lui commande la rédaction d’une nouvelle Flore de France (1973-1984)44. Il travaille à la réalisation de cet ouvrage durant près de vingt années, en collaboration avec son ami Marcel Guinochet (1909-1997), ancien professeur de botanique à la faculté des sciences d’Alger entre 1950 et 1962, alors professeur à l’université d’Orsay à partir de l’indépendance de l’Algérie. Jusqu’à ses derniers jours, il s’adonne presque exclusivement à sa véritable passion, l’étude de la flore sauvage. En collaboration avec son ami Paul Jovet, il publie également les cinq premiers Suppléments à la flore de la France de l’abbé Coste (1972-1979)45. Roger de Vilmorin demeure un botaniste très actif jusqu’à la fin de sa vie. Il décède le 20 juillet 1980 à Verrières-le-Buisson.

33Roger de Vilmorin est l’auteur d’une espèce valide de la flore de France : Gentiana ligustica R. Vilmorin et Chopinet46, endémique des Alpes maritimes et aujourd’hui protégée par la loi française. Il a découvert cette espèce lors d’une excursion aux environs de Sospel, dans le département français des Alpes-Maritimes, au cours des étés 1953 et 1954, en compagnie de son ami Robert Chopinet. La Gentiane de Ligurie croît à la limite entre les zones méditerranéenne et montagnarde, le plus souvent dans les sous-bois de Chêne pubescent et de Pin sylvestre. Ses découvreurs indiquent l’avoir trouvée dans la vallée moyenne de la Roya et dans le val de Casterino, près de Tende.

Bibliographie

Chouard (Pierre), “Roger de Vilmorin”, Bulletin de la Société botanique de France, Lettres botaniques, t. 130, 1983, pp. 93-96.

Guinochet (Marcel), “Roger de Vilmorin”, Bulletin de la Société botanique de France, Lettres botaniques, t. 130, 1983, pp. 97-98.

Pourtet (Jean), “Roger de Vilmorin”, Bulletin de la Société botanique de France, Lettres botaniques, t. 130, 1983, pp. 99-101.

Jovet (Paul), “Roger Levèque de Vilmorin”, Plantes de Montagne, t. 116, 1980, pp. 88-91.

Maurice, André, Frantz BREISTROFFER (1910-1986)

34Maurice Breistroffer naît le 15 juillet 1910 à Paris, au sein d’une famille qui a quitté l’Alsace après la guerre de 1870. Son père, professeur, est nommé au lycée Champollion, à Grenoble. C’est dans cet établissement qu’il effectue ses études secondaires. Depuis son plus jeune âge, il s’adonne aux sciences naturelles. Le 27 janvier 1928, il devient membre de la Société dauphinoise d’études biologiques, communément appelée Bio-Club. Ses deux parrains sont Frédéric Dufour, un collègue de son père, et Jules Offner (1873-1957), chef de travaux pratiques de botanique à la faculté des sciences de Grenoble. Cette société savante, qui a été fondée en 1906 par des scientifiques comme Jules Offner ou encore Louis Léger, professeur de zoologie à la faculté des sciences de Grenoble, correspondant de l’Académie des sciences, est alors la plus active et la plus renommée de tout le Dauphiné. Maurice Breistroffer est un membre actif du Bio-Club depuis sa date d’admission jusqu’à son décès, en 1986. Il fait partie du bureau de la Société dauphinoise durant cinquante-deux années : il y occupe successivement les places d’archiviste entre 1934 et 1936, secrétaire adjoint entre 1937 et 1939, secrétaire général entre 1939 et 1981, vice-président en 1981 et 1982, président en 1983 et 1984, et, finalement, président d’honneur en 1985 et 1986.

35Au début des années 1930, il est licencié en sciences naturelles et devient assistant au laboratoire de géologie de la faculté des sciences de Grenoble. Il se consacre à toutes les branches des sciences naturelles, même s’il a une nette prédilection pour la géologie et la botanique. Ses vastes compétences lui permettent d’être nommé conservateur du Musée d’histoire naturelle de Grenoble en 1942. Après-guerre, il entre au Centre national de la recherche scientifique : il est alors rattaché au laboratoire de botanique de la faculté des sciences de Grenoble. Ses contributions à la zoologie sont peu nombreuses : il s’intéresse aux Coléoptères et aux Mollusques. Pour ce qui concerne la géologie, on retiendra surtout qu’il devient un excellent spécialiste des Ammonites ainsi que de la stratigraphie du Crétacé inférieur et moyen du Vercors et de Chartreuse, en particulier le Berriasien, le Cénomanien et l’Albien.

36Ses travaux botaniques sont nombreux. Ils ont, pour la plupart, été publiés au sein du périodique de la Société dauphinoise d’études biologiques. Par ses régulières excursions, il devient un excellent connaisseur de la flore du sud-est de la France, notamment du Dauphiné. Citons ici, par ordre départemental, quelques-uns de ses travaux : le Supplément au Catalogue des plantes vasculaires des Basses-Alpes (1946-1951)47, La Flore de la vallée de la Méouge dans les Baronnies (Hautes-Alpes et Drôme) (1936), La Flore de la vallée inférieure du Buech (Hautes-Alpes) (1937)48, l’Aperçu sur la flore de Tende-La Brigue (Alpes-Maritimes) (1948)49, le Supplément au Catalogue des plantes vasculaires du département de l’Ardèche (1948-1960)50, le Supplément au Catalogue des plantes vasculaires de la Drôme (1937-1938), la Flore abrégée du Diois (Drôme) (1966), Sur quelques plantes très rares du Tricastin (Drôme) (1967)51, la Contribution à l’étude des plantes vasculaires du Dauphiné (1940-1949), Sur quelques plantes rares du Dauphiné (1941-1943)52, le Supplément sommaire au Catalogue des plantes vasculaires de la Savoie (1961)53, et enfin, Sur la flore des Dentelles de Gigondas (Vaucluse) (1963)54. Son riche herbier est aujourd’hui conservé au Musée d’histoire naturelle de Grenoble.

37Naturaliste renommé, Maurice Breistroffer est membre de nombreuses sociétés savantes telles que la Société botanique de France, la Société géologique de France, la Société linnéenne de Lyon, la Société scientifique du Dauphiné, ou encore la Société dauphinoise d’éthnologie et d’archéologie. Il décède à Grenoble le 17 février 1986.

38Maurice Breistroffer est l’auteur d’une espèce valide de la flore de France, Stipa offneri Breistroffer, dédiée à son ancien collègue Jules Offner et présente aux Baléares, en Espagne, en Italie, en Sardaigne et en France.

Bibliographie

Fuchs (Hans Peter), “Maurice Breistroffer (1910-1986)”, in Fuchs (Hans Peter), “Histoire de la botanique en Valais. II : Botanistes qui ont contribué aux connaissances de la flore valaisienne dans la période de 1900 à 1954”, Bulletin de la Murithienne, t. 109, 1991, pp. 124-125.

Vayssière (Henri), “Maurice Breistroffer”, Bulletin de la Société d’Études biologiques et de Protection de la Nature, nouvelle série, t. 13, 1986, pp. 3-4.

Robert CHOPINET (1914-1975)

39Robert Chopinet naît à Boulogne, à la périphérie de la capitale. Très tôt attiré par la botanique, il se destine à des études de sciences. Il obtient le diplôme d’ingénieur de l’école d’horticulture de Versailles, major de sa promotion. À cette date, il est déjà un fervent botaniste, un remarquable horticulteur et un généticien convaincu. Il commence par effectuer des stages chez des horticulteurs et des pépiniéristes. Sa rencontre avec Camille Guinet (1890-1874), chef de l’école de botanique du Muséum et directeur d’un riche jardin alpin à Samoëns, en Savoie, est sans doute la plus déterminante. Elle lui permet, d’une part, de partir à la découverte des richesses floristiques savoyardes, et, d’autre part, de faire en 1935 la connaissance de Roger de Vilmorin (1905-1980), qui passe chaque année une partie de ses vacances d’été auprès de Camille Guinet. Robert Chopinet devient aussitôt le fidèle collaborateur de Roger de Vilmorin et le reste durant près de quarante années. Après son passage à Samoëns, à la fin des années 1930, il est nommé jardinier en chef du Jardin de la Villa Thuret, à Antibes, dont le directeur est Marc Simonet (1899-1965), un autre des amis de Roger de Vilmorin. Il s’intéresse alors à la flore des Alpes méridionales, des Maures et de l’Esterel. À partir de quelques récoltes et des plantes cultivées dans le jardin de la Villa Thuret, il rédige trois monographies sur les genres Acacia, Citrus et Eucalyptus55.

40En 1942, Roger de Vilmorin obtient de la part de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) que Marc Simonet et Robert Chopinet soient détachés temporairement à Verrières-le-Buisson, pour travailler dans les laboratoires de la maison Vilmorin-Andrieux. Ils mènent ensemble des recherches sur l’application de la génétique, notamment l’utilisation de la polyploïdie artificielle, dans l’amélioration des plantes fourragères et ornementales. Robert Chopinet ne quittera plus les célèbres établissements. Bien que très occupé par ces recherches de génétique appliquée, il ne peut se départir de son intérêt pour l’étude de la flore sauvage. Il va sur le terrain aussi souvent que sa santé le lui permet – il est asthmatique – et fait paraître plus de cent articles dans plusieurs revues comme les Annales de la Société nationale d’Horticulture, dont il est le rédacteur en chef durant de longues années, et le Bulletin de la Société des Amateurs de Jardins alpin s, dont il est rédacteur entre 1956 et 1975. Doué pour le dessin scientifique, il accompagne ses publications par de minutieuses et délicates illustrations. Robert Chopinet décède en 1975.

41Robert Chopinet est l’auteur d’une espèce valide de la flore de France, découverte, nommée et décrite en collaboration avec son ami Roger de Vilmorin : Gentiana ligustica R. Vilmorin et Chopinet, endémique des Alpes maritimes. Pour plus de détails, le lecteur est invité à consulter la biographie consacrée à Roger de Vilmorin.

Bibliographie

Jovet (Paul), “Bibliographie de Robert Chopinet”, Plantes de Montagne, t. 98, 1976, pp. 30-32. Vilmorin (Roger de), “Robert Chopinet (1914-1975)”, Plantes de Montagne, t. 98, 1976, pp. 29-30.

Pierre QUÉZEL (né en 1926)

42Pierre Quézel naît le 9 septembre 1926 au Vigan, clans le Gard, au sein d’une famille modeste. Très tôt, il s’intéresse à l’histoire naturelle et plus particulièrement à la botanique. Il effectue des excursions naturalistes, se constitue un herbier. Il suit l’intégralité de ses études secondaires chez les jésuites, à Montpellier. Au cours de toute cette période, il consulte des ouvrages classiques tels que les Souvenirs entomologiques (1886-1907)56 de Jean-Henri Fabre (1823-1915) ou la Flore de la France (1901-1906)57 de l’abbé Coste (1858-1924). En 1945, il doit affronter un dilemne rencontré par de nombreux naturalistes : ses parents voudraient le voir embrasser une carrière médicale quand lui-même préfèrerait se consacrer entièrement à l’histoire naturelle. Il suit finalement les vœux de sa famille et entre en sciences physiques, chimiques et biologiques (SPCB), ce qui est alors la première année de médecine, à la faculté de Montpellier. Là, il retrouve Jean-Antoine Rioux, un ami rencontré en 1944, et se lie avec un autre de ses condisciples, Paul Verdier. Les trois jeunes gens fréquentent le laboratoire d’Hervé Harant (1901-1986), professeur d’histoire naturelle de la faculté de médecine de Montpellier, essentiellement intéressé par la parasitologie. Après sa première année de médecine, Pierre Quézel demande à pouvoir bénéficier d’équivalences pour s’inscrire en licence de sciences naturelles. Il mène alors de front ses études de médecine et son externat, couronnés par l’obtention du grade de docteur en 195158, ses activités au laboratoire d’Hervé Harant et ses études de sciences naturelles.

43Tout au long de cette période, Pierre Quézel effectue de nombreuses sorties sur le terrain. Chaque dimanche matin, il suit Hervé Harant, qui emmène dix à vingt personnes en excursion dans les environs de Montpellier. Il participe également aux sorties botaniques de Louis Emberger (1897-1969), en compagnie du personnel de l’institut botanique de Montpellier, ainsi que celles, plus intimes, de Josias Braun-Blanquet (1884-1980), le directeur de la célèbre Station internationale de géobotanique méditerranéenne et alpine (SIGMA), suivies par seulement cinq ou six personnes. 11 explore des sites classiques des environs de Montpellier et du Midi, tels que Mont-Aigoual et le mont Ventoux, avec Louis Emberger, ou le bois de Salbouz, en compagnie de Josias Braun-Blanquet. Ces explorations naturalistes donnent plusieurs sujets d’études à Pierre Quézel qui ne publie pas moins de trente-trois articles entre 1947 et 195059. Il signe seul cinq articles de botanique. Les vingt-huit autres travaux sont signés en collaboration : dix-neuf notes floristiques avec Jean-Antoine Rioux, six notes entomologiques et une note herpétologique avec Jean-Antoine Rioux et Paul Verdier, une note floristique avec Hervé Harant et Jean-Antoine Rioux, et enfin, une note entomologique avec Paul Verdier. Ses contributions botaniques concernent exclusivement des régions françaises : les environs du Vigan, bien évidemment, le Mont-Aigoual, le bois de Salbouz, le Cantal, notamment la Brèche de Roland, la vallée du Mercantour, et les Alpes-Maritimes, notamment la vallée de la Roya. Ces premières années de la carrière de Pierre Quézel sont marquées par un certain repli : il rencontre et fréquente peu de personnes à l’extérieur de la communauté montpelliéraine : Hervé Harant, Louis Emberger et Josias Braun-Blanquet sont ses trois premiers véritables maîtres. Il est néanmoins en relation avec Henri Gaussen (1891-1981), professeur à la faculté de Toulouse, rédacteur du Monde des Plantes, revue dans laquelle il fait paraître quatre de ses premiers articles. S’il envoie ses premiers articles au Bulletin de la Société botanique de France, et s’il participe à la session extraordinaire de 1950, dans les Alpes-Maritimes60, Pierre Quézel n’est en relation étroite avec aucun membre de cette société.

44En 1950, sur les conseils de Louis Emberger, Pierre Quézel part en Algérie. Il y restera jusqu’à l’indépendance en 1962. À la faculté des sciences d’Alger, il est successivement nommé assistant en 1951, chef de travaux en 1955, l’année d’obtention de son grade de docteur61, maître de conférences en 1957 puis professeur en 1960. Il arrive à Alger une année après le décès de René Maire (1879-1849), professeur de botanique à la faculté des sciences, éminent naturaliste de l’Afrique du Nord. Ce sont Marcel Guinochet (1909-1997), nommé professeur, qui rejoindra l’université d’Orsay après l’indépendance, et Paul Ozenda, maître de conférences, nommé plus tard professeur à l’université de Grenoble, qui remplacent le maître. La communauté des naturalistes algérois est petite mais active. Elle compte l’algologue Georges Schotter (1922-1963), ancien élève de Jean Feldmann (1905-1978), Jacqueline Gautier-Lièvre, spécialiste des algues d’eau douce, Louis Faurel (1907-1973), Guy-Georges Guittonneau (né en 1934), arrivé un peu plus tard, et André Breton, futur professeur à la faculté des sciences de Clermont-Ferrand. C’est également à cette époque que Pierre Quézel entre en rapport avec Charles Sauvage (1909-1980), botaniste à l’institut scientifique chérifien de Rabat, futur successeur de Louis Emberger à la faculté des sciences de Montpellier. Dès son arrivée en Algérie, il s’adonne à l’étude de la flore et de la végétation d’Afrique du Nord. Il effectue durant ces douze années de nombreuses missions sur le terrain : dans les Atlas, le massif du Tibesti, le Sahara, le Hoggar, les côtes algériennes et la Cyrénaïque (actuelle Lybie occidentale). La guerre d’indépendance ne l’empêche guère d’explorer l’Algérie. Il ne ressent une peur réelle qu'a une seule occasion, sans qu’il n’arrive d’ailleurs quoi que ce soit : en 1958, en compagnie de son ami Philippe Bruneau de Miré, il doit passer une nuit sur le Babor, massif alors situé dans l’une des zones les plus dangereuses, au milieu d’Algériens en armes. Ces explorations lui apportent de nombreux sujets de travaux floristiques et phytosociologiques comme sur l’histoire de la végétation.

45Les années 1951, 1952 et 1953 sont des années de transition dans l’œuvre de Pierre Quézel : il fait paraître six articles entomologiques en collaboration avec son ami Paul Verdier, douze travaux concernant la flore des Alpes-Maritimes, du Cantal, du Vigan ou des environs de Montpellier, et neuf autres concernant la flore et la végétation d’Afrique du Nord. À partir de 1954, il se consacre pour ainsi dire exclusivement à l’Afrique du Nord : seulement trois des soixante-trois articles qu’il publie jusqu’en 1963 portent sur la flore du Cantal, des Pyrénées centrales et des monts Dores. Ses études floristiques en Afrique du Nord aboutissent à la publication de la Nouvelle flore de l’Algérie (1962-1963)62, avec son ami Sébastien Santa, pharmacien à Oran. Pierre Quézel rédige ses travaux en collaboration avec plusieurs botanistes qu’il convient de citer ici : le palynologue Armand Pons, venu à Alger sur les conseils de Louis Emberger, rentré à Marseille en 1962, où il est nommé professeur de paléoécologie et de palynologie à la faculté des sciences de Saint-Jérome ; Marcel Guinochet, professeur à Alger jusqu’en 1960, date à laquelle il est nommé à l’université d’Orsay, en région parisienne ; le mycologue Georges Chevassut, rentré à l’indépendance, nommé professeur à l’École nationale supérieure des arts et métiers de Montpellier ; Philippe Bruneau de Miré, rattaché pendant plusieurs années au service de la lutte anti-acridienne, avec qui il effectue plusieurs missions au Sahara ; André Pujos, retiré dans l’Ariège après 1962 ; Paul Ozenda, professeur de botanique à la faculté des sciences de Grenoble ; Hubert Gillet, du Muséum national d’histoire naturelle ; Claude Martinez, palynologue, ancien élève d’Armand Pons, un temps professeur du secondaire en Irak après 1962 ; le pédologue Dutil ; Pierre Simonneau, de l’institut agronomique d’Alger, avec qui il effectue de nombreuses missions, installé après 1962 à Perpignan, où il est employé par la SAFER ; enfin, Solange Sinters, épouse d’André Breton, spécialiste des Scabieuses.

46L’indépendance de l’Algérie provoque en 1962 le retour en métropole d’un million de personnes. Pour Pierre Quézel, qui est nommé professeur de botanique à la faculté de Saint-Jérome, c’est l’occasion de prendre un nouvel axe de recherches. À partir de cette date, il étudie la végétation du reste du pourtour méditerranéen, avec une nette prédilection pour les montagnes de la Méditerranée orientale. À partir de la fin des années 1970, il s’attache à des problèmes plus globaux comme l’histoire des flores en relation avec les données paléoécologiques. Dans les années 1990, ce sont essentiellement des questions liées à la gestion des écosystèmes forestiers méditerranéens (analyse structurale des écosystèmes, bioclimatologie, impact des incendies, reboisement, conservation de la biodiversité, biologie des invasions, etc.) qui l’occupent. En tout, entre 1963 et l’an 2000, il signe seul ou en collaboration près de deux cent cinquante travaux. Au fil des années, en fonction de ses rencontres et de ses diverses opportunités, Pierre Quézel explore différentes régions de la Méditerranée orientale. Il commence par la Grèce, dont la végétation montagnarde, qu’il étudie avec Juliette Contandriopoulos, cytotaxonomiste, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, rattachée à la faculté des sciences de Saint-Charles, l’occupera jusqu’à la fin des années 1970. Avec plusieurs collègues turcs, qui ont fait leurs études à Marseille ou à Montpellier, il explore les montagnes de Turquie depuis 1969 : Adil Pamikcuoglu, devenu professeur à l’université d’Ankara, poste dont il démissionnera pour s’occuper de son exploitation familiale ; les professeurs Yldirim Akman et Adan Ketenoglu, avec qui il effectue de nombreuses missions sur le terrain. La direction de thèses de plusieurs Libanais et Syriens l’amène à s’intéresser au Proche-Orient dans les années 1970. À la même époque, des missions sont organisées à Chypre et en Crète grâce à des financements du Conseil de l’Europe et de l’UNESCO. La Sicile, au cœur de la Méditerranée, n’est pas oubliée. Deux forestiers italiens, Giuseppe Garfi, d’Agrigente, et Gaettano Di Pasquale, de Florence, sont à l’origine de la description d’un nouveau Zelkova de Sicile, découvert sur le terrain par Giuseppe Garfi63. Les travaux récents de Pierre Quézel sont essentiellement consacrés à l’étude de l’origine et de la mise en place de la forêt et de la végétation méditerranéennes.

47Durant toutes ces années, Pierre Quézel ne cesse jamais de s’intéresser à la flore de France, tant du point de vue floristique que phytosociologique. Ses régions de prédilection sont néanmoins méditerranéennes. Il signe plusieurs articles sur la Corse avec Claude Zevaco, l’une de ses étudiantes en thèse, devenue maître de conférences à la faculté de Luminy, Chain Afzal, étudiante irannienne de Juliette Contandriopoulos, devenue professeur à l’université de Téhéran, émigrée en France en 1979, et Jacques Gamisans, actuellement professeur de botanique à la faculté des sciences de Toulouse. Il étudie la végétation du Mont-Ventoux avec Marcel Barbero, professeur à la faculté des sciences de Saint-Jérome, Paul du Merle, de l’Institut national de la recherche agronomique, et Bernard Girerd, pépiniériste, excellent connaisseur de la flore du Vaucluse64. Il étudie seul les associations des pelouses des Causses.

48Professeur émérite depuis 1991, Pierre Quézel a eu de nombreuses responsabilités au sein de la faculté des sciences de Saint-Jérome et de l’université de droit, économie et sciences d’Aix-Marseille III : il a partagé durant de nombreuses années la direction du laboratoire de botanique et d’écologie méditerranéenne avec les professeurs Marcel Barbero et Roger Loisel ; il a assuré la création et la direction du troisième cycle d’écologie et du Diplôme d’études approfondies “Écosystèmes méditerranéens terrestres et limniques” ; il a été co-directeur avec Armand Pons de l’institut méditerranéen d’écologie et de paléoécologie, une unité de recherche associée au CNRS. Il a également encadré de nombreuses thèses : au début des années 1990, la plupart des enseignants chercheurs et chercheurs du laboratoire de botanique et écologie méditerranéenne avaient effectué leur doctorat sous sa direction ; après avoir quitté l’Algérie, il a dirigé les travaux de plusieurs étudiants maghrébins venus faire leurs études en France, en collaboration avec les universités algériennes, tunisiennes et marocaines. Pierre Quézel a également eu des responsabilités dans des instances extra-universitaires : il a fait partie du Comité national pour la protection de la nature ; il a été membre du Conseil scientifique des parcs naturels des Écrins et des Cévennes, ainsi que du Conservatoire botanique de Porquerolles, dont il a également présidé le Comité scientifique. Il a été à plusieurs reprises consultant pour la FAO, l’UNESCO, le Conseil de l’Europe, et l’International Union for Conservation of Nature (actuelle World Conservation Union). Il participe activement à la mise en place du programme Natura 2000 dont il assure la coordination en région méditerranéenne française.

49Pierre Quézel est l’auteur d’une espèce valide de la flore de France, Artemisia molinieri Quézel, Barbero et Loisel65, endémique du Var, décrite en collaboration avec ses collègues et disciples Roger Loisel et Marcel Barbéro. Cette plante a été dédiée à René Molinier, professeur de botanique à l’université de Marseille, avant tout pour rendre hommage à ses travaux de géographie botanique provençale, mais également en souvenir du rôle qu’il a joué pour sa découverte. Bien que de manière très indirecte, c’est effectivement grâce à lui que Pierre Quézel est amené à découvrir cette espèce nouvelle. Après son retour d’Algérie, il habite un moment dans un appartement que lui loue René Molinier. Or il devient ami de sa voisine de palier qui l’invite à plusieurs reprises dans la demeure de ses parents, non loin de Besse, dans le Var. C’est à l’occasion de l’un de ces séjours, au cours du printemps 1966, que Pierre Quézel découvre les plants d’une espèce d’Armoise qu’il juge aussitôt être nouvelle. Cette première récolte se fait au lac de Redon, une mare de deux cent cinquante mètres de diamètre prise dans une dépression creusée dans des dolomies, non loin de Flassans. Ultérieurement, de nouveaux échantillons sont récoltés au marais de Gavotti, près de Besse, dans les mêmes conditions écologiques et pédologiques. Ce sont les deux seules localités connues aujourd’hui.

Source

Entretien réalisé au laboratoire de botanique et écologie méditerranéenne de la faculté de Saint-Jérome, a Marseille, le 25 septembre 2000.

Michel KERGUÉLEN (1928-1999)

50Michel Kerguélen naît le 20 juillet 1928 à Paris, au sein d’une famille d’origine bretonne. Son père est professeur de grec et de latin. Lors de ses vacances, qu’il passe dans la maison familiale de Braspart, dans le centre du Finistère, il herborise du matin jusqu’au soir. C’est donc tout naturellement qu’il s’oriente vers les sciences naturelles : en 1947, il est ingénieur à l’Institut national agronomique de Paris ; en 1950, il obtient une licence ès sciences naturelles avec les trois certificats de génétique, géologie et botanique. À cette époque, il est déjà un excellent botaniste de terrain. Ses nombreuses excursions lui ont permis d’acquérir une remarquable connaissance de la flore de France. Au début des années 1950, il entre à l’Institut national de la recherche agronomique. Il est affecté à Rouen, dans le laboratoire dirigé par Louis Hédin, sur les plantes fourragères. Dans ce cadre, il fait plusieurs missions dans les Vosges et la Bretagne, en vue de comparer la composition et le dynamisme des prairies permanentes de ces deux régions. En 1969, il devient directeur du service d’identification à la Station nationale d’essais des semences, installée à La Minière, près de Versailles.

51L’activité scientifique principale de Michel Kerguélen, dans laquelle il excelle, consiste à identifier les plantes. Il devient l’un des meilleurs spécialistes des Graminées. Il est notamment un excellent nomenclateur. Il connaît mieux que personne la synonymie de la flore de France. L’ampleur de la tâche est vaste : si l’on prend en compte les espèces et tous les taxons de rangs infra-spécifiques tels que les sous-espèces et les variétés, ce sont des dizaines de milliers de noms qui ont été proposés. De partout on fait appel à ses connaissances. Le nombre de demandes, qui ne cesse de croître, reflète l’amabilité avec laquelle il répond. Sa disponibilité, que l’on pourrait presque qualifier de légendaire, ne l’empêche cependant pas de rédiger des travaux scientifiques. Il en signe près de quatre-vingts dans toute sa carrière – moins d’une dizaine paraissent avant 1970 –, dont la quasi-totalité touchent à des questions de systématique botanique66. Les périodiques où Michel Kerguélen fait paraître ses articles sont les Annales d’Amélioration des Plantes, le Bulletin de la Société botanique de France, le Bulletin de la Société d’Échange des Plantes vasculaires d’Europe occidentale et du Bassin méditerranéen, le Bulletin de la Société botanique du Centre-Ouest, Lejeunia, les Cahiers des Naturalistes, Le Monde des Plantes, l’ÉRICA et le Bulletin de la Société versaillaise de Sciences naturelles. Ses collaborateurs sont : Jean Vivant, Paul Auquier (1939-1980), Jacques Lambinon, professeur de botanique à l’université de Liège, Paul Jovet, professeur au laboratoire de phanérogamie du Muséum national d’histoire naturelle, François Plonka, Édouard Chas, Marcel Bournérias, Guy-Georges Guittonneau, René Braque, Henri Brisse et Robert Portal.

52Les plantes de prédilection de Michel Kerguélen sont les Graminées67. C’est Paul Auquier, un jeune stagiaire envoyé auprès de lui par son collègue et ami Jacques Lambinon, l’incite à se consacrer au genre Festuca. Cette collaboration, prématurément interrompue par le décès de Paul Auquier, se poursuit avec François Plonka68. Les années de travail qu’il consacre à ses recherches nomenclaturales aboutissent à l’Index synonymique de la flore de France (1993), qui devient le Code informatisé de la flore de France (1994), publié en collaboration avec Henri Brisse, puis, sur internet, à l’Index synonymique de la flore de France (1998)69. Il convient également de signaler que Michel Kerguélen réalise, avec Paul Jovet, l’édition des sixième et septième suppléments à la Flore descriptive et illustrée de la France par l’abbé Coste (1985-1990)70, dont la série a été débutée par Paul Jovet et Roger de Vilmorin (1905-1980). Michel Kerguélen décède le 29 juin 1999 après deux années de souffrance et une vie entièrement dévouée à la systématique de la flore de France.

53En raison de la taxonomie difficile et très controversée des genres auxquels Michel Kerguélen s’est intéressé, il est délicat de dresser à ce jour une liste des espèces valides dont il est l’auteur. Certaines des espèces qu’il a nommées semblent cependant être bien acceptées, comme cette Festuca armoricana Kerguélen. Présente dans le nord-ouest de la France ainsi que dans les îles anglo-normandes, Festuca armoricana a été découverte par Kerguélen à la Pointe de Lermot, près Hillion, dans les Côtes d’Armor, le 27 mai 1972. L’épithète spécifique armoricana est tiré du breton “ar Mor” (la Mer) car “le nom ‘Côtes d’Armor’ a été proposé pour désigner le département des Côtes du Nord, où l’espèce de Festuca ci-dessus est abondante”71.

Bibliographie

Aymonin (Gérard), “In memoriam Michel Kerguélen (1928-1999)”, Bulletin de la Société d’Échange des Plantes vasculaires, t. 28, 2000, pp. 13-19.

Aymonin (Gérard), “À la mémoire de Michel Kerguélen (20 juillet 1928 - 29 juin 1999)”, ÉRICA, t. 13, 2000, pp. 99-100.

Plonka (François), “Hommage à Michel Kerguélen”, Bulletin de la Société botanique du Centre-Ouest, t. 30, 1999, pp. 627-628.

Roger LOISEL (né en 1938)

54Roger Loisel naît le 12 avril 1938 à Toulon, dans le Var. Il ne montre au cours de son enfance aucun intérêt particulier pour l’histoire naturelle, si ce n’est pour les insectes. C’est son professeur de sciences naturelles, monsieur Valet, du lycée Dumont d’Urville de Toulon, qui l’incite à commencer des études dans ce domaine. Il s’inscrit en sciences physiques, chimiques et naturelles (SPCN) à la faculté de Saint-Jérome de Marseille. À la fin des années 1950, la botanique y est professée par René Molinier (1899-1975). Cet ancien instituteur, disciple de Josias Braun-Blanquet (1884-1980) et passionné d’écologie, organise régulièrement des sorties sur le terrain pour ses étudiants. Au cours de ces excursions, Roger Toisel découvre le plaisir d’herboriser. Plusieurs de ses condisciples deviendront ses collègues, comme Charles-François Boudouresque, professeur de biologie végétale à la faculté de Tuminy, à Marseille, ou Jean Te Petit, professeur de microbiologie à la faculté de Saint-Jérome. En juillet 1962, il est licencié ès sciences naturelles. Sa carrière universitaire commence en octobre de la même année, lorsqu’il est nommé moniteur à la faculté de Saint-Jérome. Comme il est attaché à la ville de Toulon, il ne cessera jamais d’effectuer des allers-retours quotidiens entre Toulon et Marseille. Au cours de l’année scolaire 1962-1963, il effectue un diplôme d’études supérieures en anatomie végétale. 11 travaille avec Mathilde Pichenot, alors chef de travaux et futur professeur dans le laboratoire du professeur Pierre Choux, un ancien pharmacien colonial.

55Roger Loisel abandonne l’anatomie à la rentrée de l’année 1963 pour se consacrer à la phytosociologie, à laquelle il a été initié par René Molinier. Il choisit de continuer ses études sous la direction de Pierre Quézel, nommé professeur de botanique à la faculté de Saint-Jérome l’année précédente. Il est alors rattaché au laboratoire de botanique et d’écologie méditerranéenne, qu’il ne quittera plus. Il obtient successivement son diplôme d’études approfondies en 1966, son doctorat de spécialité en 1969, puis son doctorat ès sciences en 1976. Le premier sujet de ses études, la phytoécologie des pins de la région méditerranéenne française, est choisi en accord entre René Molinier et Pierre Quézel. Il élargit ensuite peu à peu le champ de ses recherches et son doctorat d’État concerne la végétation de l’étage méditerranéen du Sud-Est continental français. Durant toutes ces années, la carrière de Roger Loisel se poursuit : il est nommé assistant stagiaire en 1964, passe par les différents grades des maîtres assistants entre 1965 et 1977, puis devient professeur en 1985.

56Roger Loisel signe en tout cent vingt-quatre articles depuis 1965 jusqu’à aujourd’hui72. Jusqu’en 1970, il publie essentiellement des notes sur le Pin maritime, le Pin d’Alep et le Pin pignon de la région méditerranéenne française mais également quelques articles de floristique du département du Var73. Durant cette première période, Roger Loisel n’a que trois collaborateurs : Pierre Quézel, son second maître après René Molinier, Marcel Barbéro, l’un de ses collègues du laboratoire de botanique de la faculté de Saint-Jérome, autre disciple de Pierre Quézel, et P. Poirion, professeur de sciences naturelles au lycée de Grasse et excellent connaisseur de la flore de l’Esterel. Tout au long des années 1970, il publie exclusivement des articles concernant la végétation méditerranéenne française. Il s’intéresse à des massifs tels que l’Esterel ou les Maures, ou bien à la phytosociologie de certaines plantes comme les Cistes, les Châtaigniers, les Chênes ou les Pins. Il trouve alors de nouveaux collaborateurs : Guy Aubert, spécialiste des maquis du sud-est de la France, recruté par René Molinier à la faculté de Saint-Jérome ; Léon Mercurin, receveur des postes, rencontré par Roger Loisel à la Société des sciences naturelles de Toulon, ancien compagnon d’excursion d’Émile Jahandiez ; Michel Gruber, un autre phytosociologiste méditerranéen, recruté au laboratoire de botanique par Pierre Quézel ; Paul Ozenda, professeur de botanique à la faculté des sciences de Grenoble.

57En 1976, Roger Loisel fait un premier voyage en Algérie et en Tunisie. Depuis cette date, il ne cesse d’entretenir des collaborations et des coopérations avec ces deux pays : sur la cinquantaine de diplômes de troisième cycle – thèses de spécialités, d’ingénieurs ou d’État – qu’il dirige à partir de 1975, près de trente sont réalisés par des étudiants algériens et tunisiens, pour la plupart inscrits à l’université à Marseille. Chaque année, en mai, il effectue un voyage d’un mois en Afrique du Nord au cours duquel il rencontre ses étudiants et fait des excursions sur le terrain. Il cesse d’y aller en 1992, lorsque son ami Salah Djebaili, professeur de botanique à la faculté des sciences d’Alger, est assassiné. Les étudiants de son ancien collègue continueront leurs études sous sa direction. Au cours des années 1980 et 1990, Roger Loisel s’occupe essentiellement du problème de Faction humaine sur les écosystèmes méditerranéens, et en particulier en Afrique du Nord, où les défrichements et les incendies causent d’immenses dégâts. Il fait également paraître des articles sur la conservation et la gestion des espaces naturels du pourtour méditerranéen. Citons quelques-uns de ses collaborateurs : Jean Giudicelli, professeur à la faculté de Saint-Jérome, rencontré pour un programme de la Délégation générale de la recherche scientifique et technique (DGRST) à Vidauban, dans le Var ; Lamri Zeraia, ingénieur forestier algérien, formé à l’école forestière de Nancy ; Abdelmajid Elhamrouni, devenu expert pour la FAO, dont il dirige une thèse d’État sur la végétation forestière et préforestière de Tunisie ; Abbas Hikmat, un étudiant syrien en thèse avec Pierre Quézel et Marcel Barbéro, futur professeur à la faculté d’Alep ; Pierre Vignes, professeur du secondaire en retraite à Toulon, très intéressé par les problèmes de modélisation de la gestion des écosystèmes ; Gilles Bonin, professeur à l’université de Provence ; Louis Bigot, directeur de recherches au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), remarquable entomologiste de la région méditerranéenne ; Abdelaziz Chaabane, ingénieur forestier, dont il dirige une thèse d’État sur la végétation du littoral tunisien ; Jean-Pierre Hébrard, chargé de recherches au CNRS, excellent naturaliste de terrain ; Salvador Rivas-Martinez, professeur à l’université de Madrid ; André Lavagne, professeur à l’université Saint-Charles, à Marseille ; Frédéric Médail, aujourd’hui maître de conférences à la faculté de Saint-Jérome et dont il dirige la thèse sur la structuration de la biodiversité de peuplements végétaux méditerranéens en situation d’isolement.

58Au cours de sa carrière, Roger Loisel assume de nombreuses fonctions administratives et scientifiques. Citons, au niveau local, la direction du laboratoire de botanique et écologie méditerranéenne de l’université d’Aix-Marseille III, avec Pierre Quézel et Marcel Barbéro ; au niveau régional, la participation aux comités scientifiques des Zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et du parc national de Port-Cros ; au niveau national, la participation au comité chargé d’établir la liste des espèces végétales devant être protégées en France, sous la tutelle du ministère de l’Environnement ; enfin, signalons des expertises auprès de plusieurs instances internationales, comme la FAO ou l’UNESCO. Roger Loisel est également impliqué, souvent à titre de coordinateur, dans plusieurs programmes réalisés en collaboration avec d’autres organismes de recherche tels que le CNRS, la DGRST ou l’Institut de recherche pour le développement (IRD, ex-ORSTOM), avec les ministères de l’Environnement ou des Affaires étrangères, ainsi que le Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur. L’activité la plus importante du professeur Loisel reste avant tout la formation : outre ses charges d’enseignement en premier, deuxième et troisième cycles, il dirige treize thèses de spécialité ou de troisième cycle entre 1975 et 1987, neuf mémoires de diplômes d’ingénieur-docteur entre 1978 et 1987, ainsi que trente thèses de doctorat entre 1981 et 2000. Aujourd’hui, à la veille de prendre sa retraite, Roger Loisel pense quitter la ville de Toulon et s’adonner à l’entomologie, notamment à l’étude des Orthoptères, dans le département de l’Ailier, sa nouvelle patrie d’élection.

59Roger Loisel est l’auteur d’une espèce de la flore de France, Artemisia molinieri Quézel, Barbero et Loisel, nommée et décrite en collaboration avec Pierre Quézel et Marcel Barbéro, l’un de ses plus anciens collègues au laboratoire de botanique et écologie méditerranéenne de la faculté de Saint-Jérome. Nous invitons le lecteur à bien vouloir se reporter à la biographie consacrée à Pierre Quézel pour l’histoire de la découverte d’Artemisia molinieri74.

Source

Entretien réalisé au laboratoire de botanique et écologie méditerranéenne de la faculté de Saint-Jérome, à Marseille, le 25 septembre 2000.