Introduction

Patrick Matagne

p. 13-16


Texte intégral

1Au xixe siècle, les données relatives à la faune et à la flore rurales et sylvestres sont abondantes. À la fin du siècle naît une tradition naturaliste qui s’intéresse à la nature en ville. Il semblerait que pour la France les recherches les plus nombreuses concernent la capitale, surtout en botanique. Elles s’inscrivent dans des programmes d’urbanisme, marqués par un étalement urbain et une forte augmentation de la population en ville, en tension entre l’artificialisation de l’espace et sa végétalisation.

2En zoologie, un essor des publications est relevé dans les années 1930-1950, notamment sur les mammifères de Paris et de sa banlieue, sur l’avifaune urbaine, tandis que le congrès international de botanique de Paris (1954) valorise les contributions des amateurs et des sociétés savantes qui font vivre la tradition des herborisations parisiennes1. Ainsi, l’herbier parisien de Paul Jovet renferme des plantes des friches, des décharges, des terrains de construction, des rues, des voies du métro aérien, des ruines de la dernière guerre. Près d’un siècle après la Flore du pavé de Paris de Joseph Vallot2, il fait l’inventaire des espèces végétales dans des milieux très anthropisés.

3Charles-François Mathis a identifié trois grands moments historiques dans la végétalisation des villes françaises. Le xixe siècle avec un ambitieux projet politique de verdissement des villes au moyen d’un grand nombre d’espèces végétales. C’est dans ce cadre que les premières flores urbaines sont publiées. La deuxième période, du début du xxe siècle aux années 1970, manifeste un appauvrissement des conceptions relatives à ce verdissement, alors que le nombre d’espèces disponibles ne cesse d’augmenter. Les raisons de ce paradoxe sont analysées par l’auteur. Enfin, de nouvelles dimensions, notamment esthétiques et écologiques, caractérisent la pensée paysagiste de la période actuelle.

4La première période est notamment marquée par la publication de la Flore du pavé de Paris par J. Vallot, exclusivement urbaine, en 1884. Près de cent quarante ans plus tard, l’étude conduite par Nathalie Machon se fonde sur une seconde campagne d’inventaire qui, après celle de Vallot, permet d’évaluer les changements et d’analyser les facteurs qui en sont responsables, dans une perspective écologique.

5Dans l’Ouest de la France, Louise Couëffé montre qu’au xixe siècle les sociétés naturalistes privilégient l’étude de la flore dite « naturelle », c’est-à-dire en dehors des villes. Cependant, l’intérêt anecdotique des botanistes pour les plantes des villes évolue avec l’urbanisation. Celles-ci stimulent leur curiosité pour les espèces rares, ou qui le deviennent du fait de l’étalement urbain, comme l’attestent les comptes rendus publiés par les sociétés savantes locales. Les amateurs explorent les murailles, les remparts, les monuments et les lieux de circulation ou les jardins de ville.

6Au cours de cette période, dans l’Ouest comme ailleurs en province, les sociétés savantes jouent un grand rôle dans la vie locale, notamment dans l’introduction et la gestion de la nature en ville, via les jardins botaniques et l’arboriculture. Lieux clos, les jardins accompagnent l’évolution des connaissances scientifiques et l’émergence de l’écologie, ils sont au cœur de tensions et conflits entre leurs différents usagers, illustrés par une étude de cas de Patrick Matagne. Comme les jardins, les arbres sont des éléments des programmes de restructuration des villes européennes au xixe siècle. Des sociétés savantes, portées par un engouement pour l’horticulture et d’arboriculture, développent des techniques qui visent à normaliser la production d’arbres d’intérêt économique, botanique, esthétique, tout en valorisant les arbres remarquables. Dans cette étude sur les arbres et la ville, Bénédicte Percheron analyse également le processus qui conduit aux premières mesures de protection de l’arbre.

7Pour les années 1970, Yves-Marie Allain montre que les jardins botaniques, dont l’histoire est pluriséculaire, se préoccupent peu de l’appauvrissement de la diversité de la flore, alors que les premières listes de plantes rares ou menacées sont publiées. Ce sont les conservatoires botaniques qui vont prendre en charge leur sauvegarde. Plus connus du grand public, les jardins ne s’opposent pas aux conservatoires, même si les premiers sont dédiés à la collection plutôt qu’à la conservation, à l’espèce plutôt qu’à l’association végétale, et n’ont pas les mêmes missions et contraintes. L’auteur, ancien membre de l’Inspection générale de l’environnement, analyse une « situation très française », paradoxale, relative à la reconnaissance institutionnelle et scientifique de ces structures.

8Héritières des sociétés savantes du xixe siècle, les sociétés et associations d’aujourd’hui continuent à prendre en charge les inventaires de la biodiversité locale, mais leurs missions vont bien au-delà, comme le montre Jérôme Tabouelle, qui préside la Société d’étude des sciences naturelles d’Elbeuf. Elle fait vivre l’histoire naturelle de la ville et de ses environs, développe des activités de formation et pédagogiques qui initient la population locale à un savoir naturaliste historiquement ancré, tourné aujourd’hui vers la protection de l’environnement. Ces orientations ne sont pas éloignées du projet étudiant d’inventaire de la biodiversité mis en place par Guillaume Bagnolini. Il s’agit d’un programme de science citoyenne par lequel ses participants, étudiants, enseignants-chercheurs, amateurs, construisent en collaboration des savoirs naturalistes et une attention envers la biodiversité de leur environnement. L’auteur de cette étude discute de la question de la légitimité de l’expertise citoyenne et de sa reconnaissance institutionnelle.

9Cette journée d’étude a permis d’interroger la production, la diffusion et la médiation des pratiques naturalistes, d’aborder le rôle des sociabilités savantes à partir du xixe siècle, les transformations opérées aux xxe et xxie siècles, les nouveaux acteurs et enjeux relatifs à la nature en ville, à l’écologie et à la biodiversité urbaine, ainsi que d’évoquer l’évolution des formes de demande sociale et culturelle de nature en ville.

Notes de bas de page

1 Voir Paul Jovet, « Flore et phytogéographie de la France », addenda Davy de Virville (dir.), Histoire de la botanique en France, publié par le comité français du VIIIe congrès international de Botanique (Paris-Nice, 1954), Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur (SEDES), 1954, p. 243-268.

2 Joseph Vallot, Essai sur la flore du pavé de Paris limité aux boulevards extérieurs, ou Catalogue des plantes qui croissent spontanément dans les rues et sur les quais, suivi d’une florule des ruines du Conseil d’État, Paris, Jacques Lechevalier, 1884.


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