1 Réservoir de sagesse (Ṣiwān al-ḥikma) attribué à al-Sijistānī [al-Manṭiqī] (élève d’al-Fārābi au xe siècle), d’après la traduction anglaise de F. W. Zimmermann donnée dans Nutton (1984) p. 320-321 ; ce paraît être « clairement la source de l’habituelle description arabe de Galien comme un grand médecin, mais un piètre philosophe » ; à ce sujet, cf. Temkin (1973) p. 77-80. Étonnamment, le même V. Nutton, dans son édition du De propriis placitis, renvoie plutôt, pour cette idée (toute une vie pour ne rien savoir), à une histoire de la philosophie datant du xiiie s. (La Promenade des âmes et Le Jardin des joies ; Kitāb Nuzhat al-Arwāh wa Rawdat al-Afrāh, d’al-Shahrazūrī l’Ishrāqī ; Berlin, Ms. Landberg, 430 fol. 33r), où il est fait également mention de la fameuse insulte d’Alexandre qui aurait surnommé Galien « tête de mule » (r’as al’baġul, رأس البغل), anecdote qui figure également dans des sources plus anciennes (Le Catalogue (Kitāb al-Fihrist) d’Ibn al-Nadīm (xe siècle), cf. Flügel (†) (2005[1871])* p. 25-26). L’authenticité de ces invectives est douteuse et cette question de la relation entre Galien et Alexandre d’Aphrodise a fait couler beaucoup d’encre : cf. en particulier Nutton (1984) ; voir aussi : Pines (1961) ; Todd (1977) ; Donini (1974) ; Fazzo (2002) ; Kupreeva (2004) ; Rashed (2007) p. 113 et, sur la question, centrale, de la cible de l’attaque alexandrine contre l’encéphalocentrisme : cf. Accattino (1987) p. 467-471, contra Tieleman (1996a) p. 276-279.
2 La première cause de fascination pour l’historien de l’Antiquité est vraisemblablement la quantité et la qualité des informations biographiques dont nous disposons. Galien lui-même en est l’origine du fait d’une indéniable tendance à se mettre en avant, d’un orgueil qui paradoxalement nous oblige. Sur ces questions voir désormais : Boudon-Millot (2012) ; voir aussi : Schlange-Schöningen (2003) ; Sarton (1954) ; García Ballester (1972) ; Temkin (1973) ; Moraux (1985) ; Nutton (2004) p. 230-247 ; Boudon-millot (2007)* p. vii-xc ; Hankinson (2008a) p. 1-33.
3 Probablement à la suite des travaux de G. E. R. Lloyd, dans l’idée de porter un regard anthropologique sur la science grecque, un certain nombre de lectures récentes de l’œuvre galénique ont insisté, avec une bienveillance mitigée, sur la posture galénique et la dimension de permanente promotion de soi : cf. i.a. lloyd (1988) et (1991) ; Barton (1994) ; Mattern (2008) ; Gleason (2009) ; König (2009).
4 La question de l’affiliation théorique (philosophique comme médicale) de Galien a longtemps fait débat ; il semblerait que la tendance soit désormais à simplement accepter son originalité : cf. Chaignet (1890) ; Zeller (1909) p. 855 ; López Eire (1991) ; Hankinson (1992) ; Chiaradonna (2009a) et, pour une contextualisation de la question : Donini (1988a).
5 L’idée apparaît sous une forme particulièrement franche chez l’historien de la médecine E. Chauvet à la fin du xixe s. : entre le De usu partium et le Quod animi facultates « Il n’y a pas accord, mais contradiction. Ce que Galien a affirmé formellement dans un traité, il le nie formellement dans un autre, et il se montre tour à tour matérialiste convaincu et spiritualiste décidé. Or, je crois savoir l’explication de ce singulier phénomène. Elle est toute dans la diversité des personnages qui se rencontrent chez Galien, mais quelquefois sans se pénétrer ni même se toucher. Ici, du moins, le médecin semble ignorer le philosophe, et le philosophe le médecin. Séparés, ils pensent séparément. Pourquoi ne penseraient-ils pas contradictoirement ? L’Âme est le tempérament du corps : voilà bien l’opinion d’un médecin. L’Âme est une essence à part, douée de facultés originelles, et se servant du corps comme instrument fait pour elle : voilà bien l’opinion d’un philosophe, et d’un philosophe péripatéticien. Ces deux opinions sont également celles de Galien, médecin et philosophe. Il est vrai qu’elles s’excluent ; mais quoi d’étonnant, si le médecin et le philosophe sont étrangers l’un à l’autre et comme deux personnes différentes ? » : Chauvet (1886) p. 302-303 (nos italiques).
6 Les deux dimensions — systématicité et recherche de la vérité — sont fondamentalement liées chez Galien ; voir par exemple le préambule du De constitutione artis medicæ (Const. art. med. pr., 54.1-19 f = 1.224.1-225.14 k) : Galien entend travailler à la composition (σύστασις) d’un art médical orienté vers la découverte de la vérité (ἡ τἀληθοῦς εὕρεσις) ; sur ce point cf. Boudon-Millot (2003) ; plus généralement Hankinson (1994b). Le souci de la vérité est par exemple aussi ce qui fonde son éloge de Posidonius (ou du moins est-ce la raison qu’il avance) : qaf 11, 85.8-86.2 b = 77.17- 78.2 m = 4.819-820 k. Sur la vérité chez Galien cf. Vegetti (1999) ; sur la systématicité, cf. Temkin (1973), ch. 1 (avec quelques réserves quant au résultat : cf. n. 99, p. 41).
7 Si la cohérence effective de l’ensemble de l’œuvre galénique ne fait pas l’unanimité, il n’en est pas moins certain qu’elle est l’idéal que Galien dit poursuivre. Il le dit on ne peut plus clairement lorsqu’il annonce son projet de rédiger son autobibliographie : l’idée est de montrer que, malgré les différences engendrées par la diversité des publics « tous [s]es livres s’avère[nt] consistants les uns avec les autres (ἀλλήλοις σύμφωνα) » : Ord. libr. 2.24, 96.24-97.1 b = in lac. k.
8 Ainsi s’est-on attaché, au moins depuis W. Jaeger, à montrer l’influence de l’une sur l’autre dans l’établissement ou l’adoption de tel ou tel élément de doctrine ; cf. i.a. Jaeger (1938), (1957) ; Edelstein (1967) ; Kudlien (1962) ; Longrigg (1963), (1993) ; van der Eijk (2005) montre bien la fécondité de cette perspective.
9 Cf. Nussbaum (1994), Voelke (1993), Hadot (2002[1981]).
10 Voir par exemple : Cicéron, Tusc. 3.8-10 [§16-23], 325.7-329.6 p.
11 C’est du moins globalement la conclusion à laquelle parvient l’étude de J. Pigeaud (1981) sur la « maladie de l’âme », dont l’objet est de trouver là « un champ épistémologique authentique » (p. 536). Voir aussi Pigeaud (2010[1987]). Cette étude constitue une référence incontournable pour notre sujet ; nous entendons cependant nous en démarquer d’abord en ce que nous nous attachons à la pensée d’un auteur, et ensuite parce que nous voudrions montrer par là même la continuité entre la démarche du philosophe et celle du médecin. Il s’agit à vrai dire de mener une étude systématique sur un exemple limite que souvent il évoque, mais qu’il n’a pas vraiment traité — mis à part Pigeaud (1988) — celui, précisément, de Galien.
12 Prop. plac. 15, 190.5 b & p = 124.11 n (= Subst. fac. nat. 4.765.16 k).
13 Pour un exemple de critique de la philosophie, cf. Fœt. form. 1, 54.1-8 n = 4.652.1-8 4 k.
14 « S’il est vrai qu’à leurs débuts, pour apprendre leur art, et par la suite, pour le pratiquer, la philosophie est nécessaire aux médecins, il est évident que tout médecin accompli (ὅστις ἂν ἰατρὸς ᾖ πάντως) est également philosophe » : Opt. med. 3.11, 291.13-17 b = 1.61.8-11 k. Cf. également la fameuse remarque qu’il attribue fièrement à Marc-Aurèle, selon laquelle il aurait été « le premier des médecins et le seul des philosophes » (τῶν μὲν ἰατρῶν πρῶτον, τῶν δὲ φιλοσόφων μόνον) ; Præn. 11.8, 128.27-28 n = 14.660.9-14 k.
15 Cf. Singer (2014a) p. 7-20, pour une synthèse sur la question.
16 Cf. i.a. frede (1981) ; Hülser (1992) ; Barnes (1993) ; Lloyd (1996) ; Durling (1995) ; Boulogne (1997) ; Chiaradonna (2009) ; Morison (2008) ; Pietrobelli (2009) ; Havrda (2015).
17 Mis à part les travaux plus proprement philologiques, une majeure partie des recherches qui ont contribué au renouveau des études galéniques ont été effectivement consacrées au Galien philosophe : Moraux (1976), (1981), (1984) ; Barnes (1997), (2003) ; Hankinson (1991), (1992), (1993), (1994a), (2003a), (2006) ; Gill (1997a), (1998), (2010) ; Frede (1981), (2003) ; Lloyd (1988), (1991) ; Vegetti (1993), (1999), (1999a) ; Donini (1974), (1992) ; García Ballester (1972), (1988) ; Mansfeld (1991) ; Boudon-Millot (1993), (2002), (2003b) ; Manuli (1986), (1993) ; Singer (1991) ; De Lacy (1972) ; nickel (1993) ; Tieleman (1996), (2003). Les études de Debru (1996) et Rocca (2003) sont à cet égard notables.
