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Introduction

p. 17-20


Texte intégral

1Peut-on parler de « relations internationales » à propos du Proche-Orient ancien ? La plupart des auteurs le font, bien que cette expression soit impropre si on la prend littéralement, puisque le terme de nation ne peut être employé tel quel pour ces hautes époques ; je préfère quant à moi parler de « relations diplomatiques ». Quoi qu’il en soit, une chose est sûre : dans l’histoire du Proche-Orient ancien, la conclusion des alliances joua un rôle central. Je voudrais dans ce livre montrer à quel point le droit et la religion s’entremêlaient d’une manière très étroite dans les conceptions et les pratiques des alliances, attestées par les textes cunéiformes sur environ deux millénaires, du milieu du IIIe au milieu du Ier.

2Un passage de l’Épopée de Tukulti-Ninurta offre au xiiie siècle un point de vue très intéressant pour notre sujet :

La paix n’est pas établie sans conflit,
Les bonnes relations n’adviennent pas sans rivalité.

Cette phrase met l’accent sur le caractère en quelque sorte inévitable des guerres, la diplomatie n’arrivant qu’ensuite : autrement dit, pour les Mésopotamiens, la paix n’était pas un état naturel, mais une réalité sociale qui devait être construite.

3La plupart des études portant sur les relations diplomatiques et la conclusion des alliances dans le Proche-Orient ancien ont jusqu’à présent été consacrées à une période particulière. On peut citer notamment le livre remarquable de M. Liverani sur la seconde moitié du IIe millénaire, paru en 1990 ; ou encore la très utile synthèse de B. Lafont sur le xviiie siècle avant notre ère, publiée en 2001. De manière significative, la récente synthèse collective sur les traités qu’on trouve dans une encyclopédie allemande a été répartie entre trois auteurs, l’un traitant de la seconde moitié du IIIe millénaire et du début du IIe, un autre des traités hittites de la seconde moitié du IIe millénaire, un troisième des traités assyriens du début du Ier millénaire. Or une vision d’ensemble des alliances suppose de franchir les barrières : celles de la chronologie, mais aussi celles des corpus, avec leurs particularités linguistiques notamment.

4Les ouvrages qui ont un spectre temporel large suivent tous un plan chronologique. C’est le cas de celui qu’A. Podany a publié en 2010 sous le titre « Fraternité entre rois. Comment les relations internationales ont formé le Proche-Orient ancien » (Brotherhood of Kings. How International Relations Shaped the Ancient Near East) ; il porte sur le millénaire qui s’étend de 2350 à 1300, découpé en quatre chapitres. Le plus récent exemple est le livre de A. Altman, paru en 2012. Cet auteur a tenté de couvrir pour la première fois la totalité de l’histoire du « droit international » du Proche-Orient ancien. Il a divisé son ouvrage en cinq chapitres, reprenant des divisions chronologiques classiques. L’étude commence par l’époque dite proto-dynastique (ou présargonique), de 2900 à 2350 ; la Mésopotamie était alors divisée en une série de principautés souvent rivales. Le deuxième chapitre s’étend de 2350, soit la fondation du premier empire sémitique par Sargon d’Akkad, à 2000, qui marque la fin de la IIIdynastie d’Ur. L’époque dite « paléo-babylonienne », de 2000 à 1600, occupe le troisième chapitre ; on y voit les rois d’Isin et de Larsa se disputer l’héritage d’Ur dans le Sud, tandis que ceux de Babylone et Ešnunna unissaient autour d’eux les petits royaumes de Mésopotamie centrale et que Samsi-Addu finit par fédérer toute la Haute-Mésopotamie. Finalement, Hammu-rabi de Babylone, après avoir repousés les Élamites venus d’Iran, annexa la quasi-totalité des royaumes préexistants en Mésopotamie, avant que son empire ne se délite sous ses successeurs. Le quatrième chapitre est consacré à la seconde moitié du IIe millénaire, de 1600 à 1200 : y sont utilisées les sources provenant d’El-Amarna en Égypte, de l’empire hittite d’Anatolie, et des royaumes médio-babylonien et médio-assyrien. Le cinquième et dernier chapitre couvre la période de 1200 à 330 : elle s’ouvre par les invasions des « peuples de la Mer », se poursuit par l’installation de nombreuses principautés araméennes, avant que ne se développent successivement trois grands empires : néo-assyrien jusqu’en 610, néo-babylonien jusqu’en 539, et enfin achéménide, Alexandre le Grand ayant mis fin à ce dernier en 333.

5Un des problèmes que pose un tel ouvrage est précisément sa conception chronologique. De fait, abordant certains thèmes pour la première fois, A. Altman n’a pu s’empêcher de citer des parallèles postérieurs. Parfois, c’est le contraire qui se produit : une question n’est pas abordée là où on l’attendrait, mais seulement plus tard, à titre de comparaison. Pour mieux mettre en avant les continuités et les évolutions, et éviter trop de redites, j’ai donc choisi de construire le présent livre de manière thématique, en tâchant d’éviter autant l’empirisme stérile que l’abstraction prématurée.

6« Il ne faut entreprendre que des travaux possibles et avoir le courage d’avouer, dans certains cas, que les questions ne sont pas encore assez étudiées pour qu’une synthèse soit tentée » : c’est par ces mots que R. Fawtier concluait en 1954 sa recension du livre de F. L. Ganshof, Le Moyen Âge, constituant le tome I de la fameuse Histoire des relations internationales publiée sous la direction de P. Renouvin. Il me semble que, s’agissant du Proche-Orient ancien, l’heure d’une telle synthèse a enfin sonné. Le présent ouvrage n’a pas du tout pour but de retracer l’histoire événementielle des relations diplomatiques au fil des siècles, mais l’histoire de ce que R. Fawtier appelait la « technique des relations internationales ». Si j’ai mis un accent particulier sur la première moitié du IIe millénaire, c’est parce que cette période est celle pour laquelle l’accroissement de la documentation a été le plus rapide ces dernières décennies, sans que les spécialistes des autres époques aient toujours mesuré l’importance des changements de perspective qu’un tel enrichissement a entraînés.

7Après avoir retracé l’histoire des découvertes et présenté les sources dont dispose l’historien, on essaiera de décrire la manière dont les alliances étaient nouées : les négociations préalables conduisaient à des rencontres directes entre rois ou à la conclusion d’alliances à distance. Dans tous les cas, les serments étaient prononcés par les protagonistes au cours de cérémonies soigneusement organisées. Les engagements souscrits de part et d’autre furent de plus en plus souvent mis par écrit et on peut considérer qu’à partir du xive siècle apparurent de véritables traités. Les caractéristiques externes et internes de ces textes seront examinées, avant que le contenu même des engagements soit analysé. En l’absence d’instances internationales, c’était aux dieux qu’il revenait de punir l’éventuel parjure : les alliances relevaient donc autant de la religion que du droit, deux sphères de l’existence humaine qui n’avaient pas encore acquis leur autonomie. Les alliances étaient très souvent prolongées par l’échange de présents, mais aussi de femmes : les « mariages diplomatiques » jouèrent un rôle non négligeable dans l’histoire du Proche-Orient. On verra enfin comment ces pratiques ont largement influencé la façon dont les auteurs de la Bible ont compris l’histoire des relations entre Dieu et son peuple comme conséquence d’une alliance, avant tout celle qui fut conclue par l’intermédiaire de Moïse.

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