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Études de chronologie cicéronienne

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Pierre Grimal

Conclusion

Texte intégral

  • 1 Macrobe, Sat. III, 2, 14, citant le rite dit de la « uitulatio ». En réalité, l’influence de Clodiu (...)

1Nous avons tenté de retrouver, autant que cela était possible – et peut-être même au-delà – la chronologie des quelques vingt mois qui virent l’exil de Cicéron. Vingt mois de vie politique dont les incidents nous sont moins mal connus que ceux dont furent marquées d’autres périodes de l’histoire romaine. Nous ne nous dissimulons pas qu’un grand nombre des résultats que nous proposons demeurent conjecturaux. Nous avons cherché à établir des coïncidences dont on pourra penser qu’elles sont gratuites. Nous en avons négligé ou refusé d’autres – comme celle qui place au 5 juillet la fête du Poplifugium, symétrique du Regifugium qui, croyons-nous, avait été choisi par Clodius pour la grande contio du Cirque Flaminien ; mais la symétrie est sans doute seulement apparente, et accidentelle. Si l’on voulait établir un rapprochement entre la séance du sénat qui prépara la rogatio de rappel et le rite du Poplifugium, c’est dans un autre sens que l’on devrait chercher. Macrobe nous apprend en effet que cette fête était liée à des prières dont on attendait l’abondance des moissons1. On comprendrait bien ainsi la raison des émeutes populaires que nous plaçons soit ce jour-là, soit le lendemain et qui étaient provoquées par le prix excessif de l’annone.

2Mais les recherches que nous avons exposées ne reposent pas, nous l’espérons, seulement sur des rapprochements aussi hasardeux. Notre premier dessein était d’inciter les commentateurs et les éditeurs à ne pas négliger les ressources que peut leur fournir une chronologie exacte. Si l’on aperçoit les rapports temporels entre les événements, certains groupements, certaines coïncidences apparaissent, il devient plus facile de discerner le jeu des causes et les intentions des puissants du jour.

3Le problème de la chronologie est compliqué, nous l’avons dit, par le désordre du calendrier pendant cette période, et le choix d’un système pour rendre compte de l’état antérieur à la réforme julienne apporte, là aussi, un facteur d’incertitude. Le système de Le Verrier demeure le plus satisfaisant. Au cours des analyses précédentes, il ne nous a conduit à aucune impossibilité, à aucune invraisemblance. L’hypothèse d’une intercalation en 58 accorde plus de temps au tribunat de Clodius, lui laisse une marge plus ample pour le développement de ses manœuvres, en particulier contre Caton, et aussi pour d’autres machinations, dont nous n’avons pas eu à nous occuper ici, comme celle qui concerne le sacerdoce de Pessinonte, et dont rien n’indique à quel moment il faut la placer. A aucun moment, non plus, la date « réelle » postulée par le système de Le Verrier ne s’est trouvée en contradiction avec l’activité constatée chez un personnage ou un autre : navigation, moissons, tout vient à son moment. Avouons pourtant que nous n’avons jamais constaté que les faits ne s’expliqueraient pas en l’absence de cette intercalation : les lois auraient pu être promulguées et votées normalement, même si le mois de février avait compté 22 jours en moins. Et aucune lettre, aucun document daté n’existe, à notre connaissance, pour confirmer ou infirmer sa réalité.

4L’établissement d’une chronologie aussi rigoureuse que possible présente, pour l’intelligence des textes, de grands avantages. Il est facile de présenter Cicéron, au moment de son exil, comme un homme brisé, s’abandonnant, d’un instant à l’autre, à des espoirs déraisonnables et à des désespoirs qui ne le sont pas moins. Tout change si l’on réfléchit que des semaines se sont écoulées, entre le vote de la lex de capite et le départ de Brindes, des semaines, précisément, où Clodius et, aussi, les amis de Cicéron, s’affrontaient en de multiples manœuvres. La situation fut lente à évoluer et Cicéron, que son départ avait transformé en un témoin impuissant de cette lutte, sent ses nerfs s’user dans cette inaction forcée. Plus de trois semaines, au cours desquelles il attend anxieusement les nouvelles de Rome, où il voit ceux sur lesquels il comptait l’abandonner un à un. Peut-être, si nous réfléchissons à ce que fut ce supplice, comprendrons-nous avec plus de sympathie, voire d’humanité, l’attitude du grand orateur.

5De même, il nous deviendra sans doute plus facile d’interpréter la conduite de Clodius, que nous avons trop souvent coutume de juger d’après ce que nous en dit Cicéron. Clodius nous apparaît comme un redoutable tacticien, un homme habile à utiliser toutes les ressources des lois, et ne considérant la violence que comme un moyen parmi d’autres. Il est remarquable que ce tribun factieux, ainsi qu’on l’appelle généralement, se soit toujours mis à couvert, qu’il ait réussi à échapper, grâce à des subterfuges soigneusement calculés, aux sanctions légales. Si bien que l’on peut se demander si la prétendue « folie » (furor) de Clodius n’est pas en réalité le plus souvent simulée. Dans l’affaire de ce qu’on appelle sa volte-face, une analyse plus exacte des dates montre qu’il tint la contio au cours de laquelle il proclama son intention (si on le voulait) de ramener Cicéron sur ses épaules, au moment même où il faisait afficher dans le vestibule de la curie la sanction de sa loi interdisant de discuter aucune motion concernant le rappel de l’exilé. Ce qui ne laisse pas d’éclairer d’un jour singulier ce prétendu changement d’attitude, qui, en réalité, n’en fut pas un ; qui ne devait être, au plus, qu’une menace voilée, dirigée à la fois contre les publicains, et contre César lui-même. On en déduira aussi qu’il n’est pas entre les mains de son chef de file un instrument aussi docile qu’on le dit. Il mène sa politique personnelle, et s’appuie autant sur César que celui-ci s’appuie sur lui.

6Il serait sans doute profitable de poursuivre cette analyse chronologique en-deçà et au-delà de la période de l’exil. Qu’il nous suffise ici d’avoir esquissé ce que d’autres feront certainement mieux.

Notes

1 Macrobe, Sat. III, 2, 14, citant le rite dit de la « uitulatio ». En réalité, l’influence de Clodius est certaine dans ces variations des cours. Depuis la rogatio du 4 janvier 58, il disposait de l’annone, et recommencera, au retour de Cicéron, à tenter de provoquer des troubles sous les mêmes prétextes. Cf. De domo V, 10 et suiv. Mais cela n’empêche pas que les émeutes de juillet ont pu être rendues plus faciles par la coïncidence avec le Poplifugium. – On voit que l’année 57 fut jalonnée de manifestations liées à des jeux ou à des célébrations rituelles. Cela commença avec les Jeux de Flore (ci-dessus, p. 128) ; remarquons ici qu’une raison supplémentaire de ne pas confondre ces premières manifestations avec celles qui marquèrent les Jeux Apolliniens est fournie par le fait que ceux-ci étaient présidés par le préteur (Asconius, In Milon. 38, p. 43 K.S.), tandis que les jeux au cours desquels fut acclamée la décision du sénat étaient présidés par un consul (Pro Sestio LV, 117)

© Les Belles Lettres, 1967

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