1Mais ces lois n’étaient qu’un premier pas dans la voie où Clodius avait décidé de s’engager ; son objectif principal était l’élimination ou du moins la « neutralisation » politique de deux hommes qui, pensait-il, constituaient un grave danger pour César et pour lui-même, Cicéron et Caton.

2La manœuvre dirigée contre Caton se révéla relativement facile ; nous essaierons d’en retracer le déroulement1. Contre Cicéron, Clodius disposait d’une arme redoutable, le souvenir des Nones de décembre 63 et l’exécution sans jugement des complices de Catilina. Depuis bien des années, Clodius et Cicéron étaient officiellement ennemis. Clodius portait au consulaire une haine tenace, et César, de son côté, se souciait peu de laisser à Rome un homme capable de prendre la tête d’une opposition efficace à sa politique. Pour toutes ces raisons, Clodius et César avaient partie liée contre lui.

3Le prestige de Cicéron, ses nombreuses alliances, l’appui des chevaliers, et d’un grand nombre de « provinciaux », qui avaient souvent envers lui quelque dette de reconnaissance, obligeaient Clodius à procéder avec la plus grande prudence. Cicéron avait fort redouté le moment où son ennemi deviendrait tribun de la plèbe. Aussi avait-il été particulièrement heureux lorsque, par l’intermédiaire de L. Ninnius Quadratus, tribun de la plèbe lui aussi, mais ami de Cicéron, Clodius lui avait proposé une trêve. Il avait consenti à ne faire aucune opposition aux quatre premières lois de Clodius, à la condition que celui-ci ne soulevât pas l’affaire de Catilina. Clodius avait promis et, ni en décembre, ni en janvier, Cicéron n’avait élevé la voix contre lui2. On ne peut penser un instant que Ninnius Quadratus ait joué, en cette affaire, un rôle équivoque. Partisan de Cicéron, il était un adversaire déterminé de Clodius. Il représentait lui-même la grande bourgeoisie campanienne, dont les intérêts étaient perpétuellement menacés par les populares, dont Clodius (et César) étaient les chefs. Au cours de l’année 58, Quadratus sera le principal instrument des « cicéroniens » au collège des tribuns et au sénat3.

4Or, les quatre rogationes fondamentales auxquelles il tenait – la loi sur les collèges devait lui permettre d’encadrer et d’armer la plèbe, la loi limitant le droit d’obnuntiatio empêchait les aristocrates d’opposer un barrage systématique à toute réforme, les modifications apportées à l’exercice de la censure rendaient plus difficile l’élimination arbitraire par les censeurs d’un adversaire politique, la loi frumentaire, enfin, mettait dans la main de son agent, Sextus, le moyen d’agir sur l’opinion populaire en contrôlant le ravitaillement de la ville, de provoquer, à son gré – du moins le pensait-il – abondance ou disette – ces quatre rogationes, instruments de toute son action, une fois votées, Clodius fut infidèle aux assurances qu’il avait données à Cicéron. Il déposa un projet de loi qui visait évidemment le vainqueur de Catilina. Le texte prévoyait des sanctions aggravées contre quiconque ferait ou aurait fait mettre à mort un citoyen romain sans un jugement rendu en bonne et due forme (4). Mais Cicéron, on le sait, n’y était point nommé5. Toutefois, la manœuvre était claire et l’orateur, surpris par ce qui était, en somme, une trahison, ou du moins un manquement aux engagements pris, fit le jeu de Clodius en avouant, par son attitude, qu’il se sentait visé. Plus tard, il regrettera cette conduite ; peut-être ses regrets n’étaient-ils pas justifiés, Clodius aurait certainement trouvé, quoi que fît Cicéron, le moyen de l’abattre. Mais, quoi qu’il en soit, Cicéron, se sentant attaqué, prit le deuil, ameuta ses amis les chevaliers, monta des manifestations destinées à frapper l’opinion publique. Pendant toute cette période, la vie politique fut dominée par cette lutte entre le « sauveur de Rome » et les nouveaux maîtres, César, surtout, et son instrument, Clodius.

De la « promulgatio » au vote de la loi

5Bien que Cicéron ait souvent fait allusion, dans ses discours et sa correspondance, à ces jours d’angoisse, le déroulement des événements demeure assez difficile à saisir. Au premier coup d’œil, certes, apparaissent quelques groupes de faits, mais les rapports entre ces groupes ne sont pas tout de suite évidents ; et l’analyse des sources antiques ne fait que rendre les difficultés plus sensibles.

6Dion Cassius nous apprend que, dès la promulgatio, Cicéron abandonna son vêtement de sénateur, se vêtit en simple chevalier et entreprit de « faire le tour » de toutes les personnes influentes. Il ajoute que, parmi les personnages qu’il sollicita en cette occasion, figuraient en tout premier lieu César et Pompée, et qu’ils lui donnèrent des conseils contradictoires, le premier l’invitant à quitter Rome, sous le prétexte honorable de devenir son legatus, le second l’incitant à rester et à défier Clodius6. Si l’on en croyait le récit de Dion, tout cela se serait passé entre l’affichage et le vote de la rogatio. Mais nous savons que les offres de César sont bien antérieures à cette époque ; elles sont déjà faites en juin ou juillet 597. Pour cela, il est bien difficile de croire que Dion s’est conformé à la chronologie véritable ; tout son chapitre constitue, en fait, un retour en arrière, une analyse de la situation telle qu’elle se présentait pendant les derniers mois du consulat de César. A ce moment-là, il est bien vrai que César tentait d’éloigner Cicéron « à l’amiable », et que Pompée incitait son ami à la résistance8. Mais, lorsque Clodius eut déclenché son attaque, la situation se révéla fort différente.

7L’un des faits les plus importants, qui suivit la promulgatio, fut la manifestation tumultueuse à laquelle se livrèrent les chevaliers sur le Capitole. Ce jour-là, une grande foule, « venue de la ville entière et de toute l’Italie, s’était rassemblée au Capitole, et tous furent d’avis qu’il convenait de prendre le deuil et de me défendre par tous les moyens, à titre privé, puisque l’État n’avait plus de chefs ! »9. Les derniers mots s’expliquent dans l’ensemble du développement, ils font allusion à ce que Cicéron considère comme la carence des consuls, Gabinius et Pison. Chaque jour, nous dit-il, tout le monde (les « boni »), et les sénateurs, les suppliaient de prendre en mains la cause de Cicéron, mais ils refusaient et se moquaient des sénateurs les plus influents10. C’est sur ces entrefaites que les chevaliers décidèrent d’agir et d’exercer une pression sur le sénat rassemblé au temple de la Concorde11, c’est-à-dire au pied même de la colline.

8Les témoignages anciens ne nous apprennent pas la date de cette manifestation. Nous savons seulement que, ce jour-là, le sénat était présidé par Gabinius, donc que l’on n’était ni en janvier, ni en mars, mais soit en février soit pendant le mois intercalaire12. D’autre part, nous voyons que la manifestation des chevaliers se produisit après la promulgatio, mais après qu’un certain temps se fût écoulé. Elle n’est pas immédiate. Il fallut que quelques Italiens au moins (même si l’on fait la part de l’exagération oratoire, et si des foules entières n’accoururent pas de tous les horizons, comme ce sera le cas l’année suivante, pour appuyer le rappel de l’exilé13) aient eu le temps d’apprendre la nouvelle et de venir à Rome. Et cette double constatation rend bien peu vraisemblable l’hypothèse, souvent avancée, selon laquelle Cicéron aurait quitté Rome, au mois de mars, le jour des Quinquatries la veille du vote14.

9Si, en effet, le vote était intervenu le 20 mars, il aurait fallu que l’affichage de la rogatio ait eu lieu au plus tard le 25^e jour du mois intercalaire (IV Kal. Mart.). Cela entraîne que la réunion du sénat aurait été tenue le III ou le IV des Calendes (le 26^e ou le 25^e jour du mois intercalaire), puisque la veille des Calendes est « jour comitial » et que, ce jour-là, une réunion du sénat, sans être tout à fait impossible, n’est pourtant guère vraisemblable15. Dans cette hypothèse, si Gabinius avait réuni le sénat le jour même de la promulgatio ou dès le lendemain, comment les chevaliers venus des municipes auraient-ils eu le temps de venir grossir les rangs de leurs collègues qui vivaient à Rome ? Il devient aussi difficile d’imaginer comment les citoyens influents auraient pu adresser leurs prières aux consuls, demander avec instance un rapport au sénat, et recevoir de Gabinius (et peut-être de Pison) des réponses railleuses.

10A la vérité, on peut objecter que le délai du trinum nundinum n’est qu’un minimum, qu’il a pu s’écouler plus de 24 jours entre le dépôt et le vote de la loi de Clodius. Mais c’est oublier l’acharnement de celui-ci, son désir de voir, au plus vite, son ennemi abattu, c’est oublier surtout la hâte où se trouvait César de gagner sa province, que menaçait l’invasion des Helvètes16. Tout laisse à penser que, cette fois comme pour les quatre rogationes votées le 4 janvier, Clodius avait respecté, au plus juste, le délai légal.

11Il est certain qu’un délai sensible sépare le dépôt de la rogatio et la manifestation du Capitole. Dion Cassius, nous l’avons vu, fait allusion aux démonstrations publiques de Cicéron ; et celui-ci confirme cette indication17. Même si, comme nous le pensons, l’analyse des sentiments de Pompée et de César constitue, à cette date, un anachronisme et interrompt la suite des événements, personne ne saurait douter que Cicéron ne se soit livré alors à des démarches humiliantes, dont nous trouvons les échos dans son œuvre même. Nous le voyons, accompagné de son gendre, allant implorer le consul Pison18. Nous apprenons en même temps que, deux jours environ plus tard (illo fere biduo), Pison comparut à une grande contio tenue par Clodius au Champ de Mars. Il y eut encore d’autres visites. Cicéron alla trouver Pompée, qui s’était réfugié dans sa villa d’Albe19. Mais il ne fut pas reçu par le grand homme, qui s’était toujours prétendu son ami. Sur quoi, une délégation d’autres amis politiques, ceux-là plus sûrs, ou moins engagés auprès de César, se rendit à Albe pour intercéder en sa faveur. Ils furent reçus, mais Pompée leur répondit qu’il existait une autorité légale, celle des consuls, et qu’ils devaient s’adresser à elle20. Lorsque les délégués vinrent rendre compte à Cicéron de leur échec, tous, nous dit l’orateur, étaient furieux.

12Est-il possible de retrouver la chronologie de ces allées et venues ? Toutes, cela est certain, ne précédèrent pas la manifestation des chevaliers ; certaines, nous le verrons, ne datent que des derniers jours avant le vote, mais on ne peut croire que Cicéron n’ait pas commencé sa campagne immédiatement après le dépôt de la rogatio de Clodius. Trois événements principaux se produisirent dans les jours qui suivirent la promulgatio : la manifestation des chevaliers avec, le même jour, l’édit de Gabinius interdisant aux sénateurs de prendre le deuil, comme ils l’avaient décidé21 ; puis la contio où parut, entre autres, Pison ; enfin, la visite de Cicéron au consul Pison, et l’attitude de celui-ci. Dans quel ordre faut-il les placer ? La visite, nous le savons, précéda de deux jours la contio, mais la manifestation est-elle antérieure ou postérieure à celle-ci ?

13Les diverses mentions qui sont faites de la contio du Cirque Flaminien, au cours de laquelle Clodius, qui présidait, fit comparaître les principaux personnages de l’État, les deux consuls, César, Crassus (Pompée paraît avoir été absent, précisément pour n’avoir pas à prendre publiquement parti contre son allié de toujours, Cicéron) ne sont pas entièrement concordantes.

14Le récit de Dion Cassius place, sans aucune équivoque possible, la manifestation avant la visite à Pison et avant la contio, et son exactitude à propos de la chronologie des deux derniers événements rend probable celle qu’il établit en les faisant précéder l’un et l’autre par la manifestation du Capitole22. Dans le discours contre Pison, l’accent est mis sur les actes accomplis par Pison lui-même, alors qu’il avait les faisceaux. On comprend la raison pour laquelle la manifestation des chevaliers est citée seulement d’une façon incidente, et parce que Pison avait contresigné l’édit de Gabinius. C’est aussi pour cela que Cicéron commence par raconter sa visite à Pison, et rappeler son attitude au cours de la contio, lorsqu’il avait publiquement condamné la « cruauté ». Lorsqu’il mentionne la manifestation du Capitole, c’est comme un événement déjà passé au moment de la contio. L’ordre du discours n’est pas celui des faits23, il est imposé par la démonstration. Dans le discours au sénat, après son retour, Cicéron, au contraire, suit le même ordre que Dion ; il raconte d’abord la manifestation, dans ses divers moments, et enchaîne : « cum uero in Circo Flaminio... »24. La même conclusion, enfin, ressort du Pro Sestio, où le long récit de la manifestation du Capitole est suivi, à quelque distance, du rappel (rapide, pour des raisons facilement compréhensibles – en 56, Cicéron ne tenait pas à souligner que César avait pris alors position contre lui) de la contio 25.

15Un seul récit est discordant, celui que fait Plutarque dans la Vie de Cicéron 26: nous trouvons d’abord la mention de la contio au cours de laquelle César condamna, en principe, l’exécution sans jugement d’un citoyen romain – il s’agit évidemment de la réunion présidée par Clodius au Cirque Flaminien. Après quoi vient la manifestation des chevaliers. Mais Plutarque, comme l’avait fait Dion, groupe plusieurs événements séparés dans le temps pour caractériser la politique de César à l’égard de Cicéron ; les propos tenus par César au cours de la contio sont rapportés pour indiquer le terme d’une évolution qui va de la bienveillance à l’hostilité. Nous n’avons pas là un récit ordonné selon la chronologie. Que Plutarque ne se soit pas soucié de celle-ci, ou du moins qu’il n’en ait pas tiré le plan de son chapitre, c’est ce que prouve un autre passage qui, si on le prenait au pied de la lettre, suggérerait que la loi attribuant aux deux consuls les provinces de Macédoine et de Syrie est contemporaine des quatre rogationes votées le 4 janvier27. De même, on croira difficilement que l’idée d’une legatio soit venue de Cicéron lui-même, comme le dit Plutarque. Ici, comme dans l’exposé de Dion, nous avons affaire à une analyse qui ne concerne que le seul César et qui présente une thèse. Un peu plus loin, Plutarque paraît dire que Cicéron fut cité en vertu de la première loi clodienne et qu’à cette occasion il prit le vêtement d’un accusé28, ce qui est, aussi, inexact, puisque Cicéron ne fut jamais véritablement accusé, et qu’il se livra à des manifestations publiques dès la promulgatio de la lex de capite. Pour toutes ces raisons, l’ordre suivi dans le texte de Plutarque ne saurait prévaloir contre la chronologie qui résulte et de Dion et des témoignages apportés par Cicéron lui-même.

16Nous pouvons donc considérer comme acquis les résultats suivants :

1. dépôt de la rogatio par Clodius ;

2. manifestation des chevaliers au Capitole, pendant que le sénat siégeait dans le temple de la Concorde ; intervention des chevaliers qui est réprimée par Gabinius, aidé de Clodius, au cours d’une contio improvisée ; le jeune L. Aelius Lamia est éloigné de Rome par l’autorité du consul ; L. Ninnius Quadratus, ayant proposé au sénat une motion demandant à l’Ordre de prendre le deuil en faveur de Cicéron, Gabinius interdit aux sénateurs de mettre à exécution leur propre décret29 ;

3. contio tenue au Cirque Flaminien par Clodius, et au cours de laquelle prirent la parole, entre autres, César, Gabinius, Pison et Crassus le Jeune30.

17Comme nous savons, d’autre part, que la visite de Cicéron au consul Pison eut lieu deux jours avant la contio 31, nous pouvons, sans grand risque d’erreur, intercaler cette visite entre la manifestation des chevaliers et la contio du Cirque Flaminien : les deux séries d’événements (visite et contio d’une part, manifestation du Capitole d’autre part) sont nettement séparées dans le Contre Pison et les autres discours où il y est fait allusion. Pison avait déjà contresigné l’édit de Gabinius lorsque Cicéron vint lui rendre visite et implorer son aide.

18Il nous reste à déterminer le moment de la visite rendue par Cicéron à Pompée. Plutarque nous apporte sur ce point une précision intéressante. Nous savons, grâce à lui, avec certitude, que cette démarche se place après la manifestation des chevaliers et les troubles qui l’accompagnèrent. Sur ce point, il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition, mais d’une relation de cause à effet. C’est, nous dit Plutarque parce que les tentatives de pression sur les consuls par les chevaliers et les sénateurs, à la suite de L. Ninnius Quadratus, n’avaient obtenu aucun résultat, que Cicéron se rendit auprès de Pompée qui, dit Plutarque, « s’était à dessein retiré à l’écart et demeurait constamment dans sa villa campagnarde d’Albe »32. Lorsque, ajoute Plutarque, Cicéron fit le voyage d’Albe pour implorer son ami de toujours, Pompée ne put supporter l’idée de manquer à leur antique alliance et de ne pas lui témoigner la gratitude que Cicéron était en droit d’attendre pour les services rendus autrefois ; dès qu’il apprit sa venue, il s’enfuit par une porte dérobée. Le récit de Plutarque est suffisamment proche de celui que nous lisons chez Cicéron33 pour que nous n’hésitions pas à accepter l’indication chronologique qu’il implique : le voyage à Albe est sûrement postérieur à la manifestation des chevaliers. L’est-il également à la contio du Cirque Flaminien ?

19Le récit de Dion qui, sur les autres points, nous a paru respectueux de la chronologie, ne laisse guère de doute sur ce point : l’absence systématique de Pompée, son refus de voir Cicéron, en dépit de ses anciennes protestations, se situent après la contio 34. Et l’on comprend assez bien comment Cicéron, après la prise de position officielle de César, de Crassus, de Pison et de Gabinius, désira connaître enfin le sentiment de Pompée, et puisque celui-ci n’avait point paru à la contio, il décida de l’interroger directement. Puis, comme une entrevue ne lui avait pas été accordée, il envoya sans plus tarder une délégation de sénateurs influents demander des explications à Pompée. C’est à ce concilium d’amis que fait certainement allusion le texte de Plutarque qui raconte les derniers jours de Cicéron à Rome35. On y trouve en effet le nom de Lucullus, qui figurait dans la députation envoyée à Pompée par Cicéron36. Cette fois, Pompée dut faire front. Il répondit qu’il s’en tiendrait à la légalité et soutiendrait la décision des consuls, quelle qu’elle fût. Cicéron nous l’apprend dans le Contre Pison 37; il le confirme, avec une nuance, dans le Pro Sestio 38. Plutarque nous dit que Cicéron, déçu par Pompée, chercha refuge auprès des consuls39. C’était bien le seul recours possible – après le conseil donné par Pompée aux optimates qui étaient venus le trouver, que pouvait-on faire d’autre ? Cicéron, sans grand espoir, avait tenté cette ultime démarche. Et Pison lui avait alors confirmé et précisé ce qu’il lui avait dit lors de leur première entrevue : pour le moment, et si l’on voulait éviter une guerre civile, il fallait céder à la force40.

20Nous pouvons donc admettre la chronologie relative suivante :

1. dépôt de la rogatio ;

2. manifestation des chevaliers ;

3. première visite de Cicéron à Pison ;

4. contio, deux jours après, au Cirque Flaminien ;

5. démarche de Cicéron à Albe ;

6. visite des amis de Cicéron à Pompée ;

7. nouvelle visite de Cicéron à Pison et (sur la foi du seul Plutarque) à Gabinius ;

8. sur le refus des consuls, conseil tenu par Cicéron et ses partisans ;

9. décision finale : Cicéron quittera Rome41.

21On voit que bien des événements ont pris place entre la séance du sénat dans le temple de la Concorde, et la manifestation des chevaliers qui l’accompagna, et le vote de la loi, qui eut lieu le lendemain même du jour où Cicéron quitta Rome42. Le même jour, aux mêmes comices (le concilium plebis), fut adopté le plébiscite confiant aux deux consuls les provinces qu’ils désiraient43. Parmi ces événements, certains n’ont pu se produire qu’à une date antérieure aux Calendes de mars : non seulement la séance du sénat au temple de la Concorde, que présidait Gabinius, mais aussi la visite de Cicéron à Pison. Nous savons en effet que celui-ci, ce jour-là, était resté chez lui jusqu’à une heure avancée de la matinée, qu’il était « en pantoufles »44, et Pison éprouve non pas le besoin d’excuser sa tenue (qui eût été singulière, s’il avait été alors chargé des affaires courantes) mais son haleine, en alléguant son mauvais état de santé. Nous en conclurons que nous sommes encore, à cette date, dans le mois de février ou (ce qui revient au même) dans le mois intercalaire. Et cette considération achève de rendre bien improbable l’hypothèse qui fixe le départ de Cicéron au 19 mars !

22Mais il ne suffit pas d’avoir établi une chronologie relative, il convient, si cela est possible, de la transformer en une chronologie absolue, de découvrir quelques dates qui puissent servir de points de repère, déterminer certaines limites à l’intérieur desquelles chaque événement se trouvera circonscrit.

Le départ de César pour la Gaule

23Tout deviendrait facile si nous pouvions connaître avec précision le jour où César quitta Rome pour gagner sa province. Nous savons, en effet, que ce départ précéda de fort peu le vote de la rogatio clodienne de capite ciuium. Plutarque dit expressément qu’il ne partit à l’armée qu’après avoir isolé Cicéron avec l’aide de Clodius et l’avoir expulsé d’Italie45. Cicéron nous confirme qu’au moment où Pompée, dans sa villa d’Albe, refusait de le recevoir, César campait encore aux portes de Rome. Son armée se trouvait en Cisalpine, certes46, mais elle pouvait intervenir aisément, si la situation à Rome l’exigeait. Il est donc bien tentant de chercher à déterminer la chronologie des mouvements de César, qui sont si étroitement liés à la procédure engagée par Clodius.

24Si l’on rejette (pour les raisons que nous avons dites) l’hypothèse qui place le départ de Cicéron le 19 mars, rien n’oblige à dater celui de César des derniers jours du mois, comme on le fait généralement. Nous savons par les Commentaires que les Helvètes avaient décidé de se rassembler devant Genève, à la frontière de la Prouincia, le 28 mars (c’est-à-dire, dans le système de Le Verrier, le 24 mars julien, jour de l’équinoxe de printemps). Nous savons, d’autre part, que César mit seulement sept jours pour accomplir le trajet entre Rome et Genève47. On en a souvent conclu, hâtivement, qu’il avait quitté Rome le 20, et la concordance approximative de cette date avec celle des Quinquatries, que l’on fait coïncider avec le départ de Cicéron, n’a pas peu contribué à accréditer cette dernière hypothèse. Mais il est peu croyable que César se soit mis en route à une date aussi tardive.

25Il y a déjà plus de 30 ans que M^me de Benedetti a montré, dans une étude sur l’exil de Cicéron48, qu’il eût été bien imprudent pour César d’attendre, pour prendre son commandement effectif, le jour où peut-être allait s’engager la bataille. Aussi pense-t-elle que le départ dut se produire vers le 10 mars. César nous dit en effet lui-même qu’il prit, après son arrivée, certaines mesures indispensables : couper le pont sur le Rhône, procéder à une levée de troupes dans la Province. Le 28 mars, il eût été trop tard. César n’a pas été surpris par le mouvement des Helvètes ; ses informateurs lui en avaient appris la préparation. Dès que la date choisie pour la migration du peuple fut publiée dans les divers cantons, César en avait certainement reçu lui-même la nouvelle. Dès ce moment, il sut que sa présence devenait indispensable à la frontière. Mais, avant de partir, il lui fallait régler deux affaires importantes à Rome : assurer le vote de la rogatio clodienne, qui éliminait Cicéron, et réduire au silence les deux préteurs, Memmius et Domitius Ahenobarbus qui, nous l’avons rappelé, prétendaient frapper de nullité les actes de son consulat49. Or, cette tentative des préteurs hostiles à César se place, sans aucun doute possible, au cours de la période où la rogatio de Clodius était déjà promulguée, mais non encore votée. Elle est mentionnée par Cicéron dans le récit des événements qui se déroulèrent alors50, et après les allusions à la contio du Cirque Flaminien. Mais il y a plus. Le texte de Suétone est formel. Comme les deux préteurs avaient présenté un rapport au sénat sur les irrégularités dont César s’était rendu coupable pendant son consulat, César avait demandé aux Pères de trancher, et il insistait pour une décision immédiate – qui ne pouvait que lui être favorable, dans la conjoncture, lui-même disposant d’une armée, Clodius étant maître de la rue, Pompée et Crassus prêts à l’aider. Et, comme le sénat se montrait réticent, les optimates souhaitant ne pas régler une question dont la menace constituait une arme contre le proconsul, César engagea contre les deux préteurs une vive polémique à la curie ; il prononça contre eux, au cours de trois altercationes successives, trois discours, que mentionne le scholiaste de Bobbio51. Mais le temps pressait ; la menace des Helvètes se précisait, et César dut partir sans rien avoir réglé – ce qui était pour lui une défaite tactique, un point vulnérable dans les défenses juridiques dont il sut toujours s’entourer, un défaut dont, nous le verrons, se prévaudra bientôt Clodius.

26Le texte de Suétone, joint à la scholie de Bobbio, nous permet un calcul peut-être décisif. La manœuvre dont ils nous parlent a nécessité, au cours du mois de mars, trois séances successives du sénat. Il faut donc trouver, au mois de mars, trois jours consécutifs pendant lesquels le sénat pouvait légalement siéger. Plusieurs groupes remplissent, a priori, cette condition :

271) les 6^e, 7^e, 8^e jours du mois52 ; 2) les 13^e, 14^e, 15^e, 16^e, 17^e ; 3) les 22^e, 23^e, 24^e.

28Il est certain que, de toute façon, le 3^e groupe est trop tardif pour être pris en considération. Mais n’en est-il pas de même du second groupe ? Étant donné l’urgence de la situation créée par la migration des Helvètes, il est douteux que César ait consenti à ne quitter Rome que le 17 ou, au plus tôt, dans cette hypothèse, le 15 au soir. Il n’aurait disposé que de cinq ou six jours pour commencer les travaux de campagne et provoquer la levée sur laquelle il comptait. On nous dit qu’il parvint à retarder l’exode des Helvètes jusqu’aux Ides d’avril, cela est vrai, mais, lorsqu’il quitta Rome, pouvait-il raisonnablement espérer que l’ennemi en puissance se montrerait aussi complaisant ? Cela eût constitué une imprudence évidente. Tout indique au contraire que les trois séances du sénat dont parle Suétone se déroulèrent le 6, le 7 et le 8 mars. César aurait donc quitté Rome, au plus tôt le soir du 8 mars, peut-être seulement le matin du 9, pour arriver à Genève le 16. Ce qui lui laissait onze à douze jours pour commencer l’exécution des mesures les plus urgentes.

29Quelle est, pour notre chronologie, la conséquence du résultat auquel nous parvenons ainsi ? S’il est vrai que César – ce dont on ne peut douter – ne quitta Rome qu’au moment où le vote de la rogatio clodienne était assuré, son départ se place, dans la chronologie relative que nous avons établie, au cours de la phase finale, après le conseil tenu par Cicéron et ses partisans – puisque l’un des arguments qui décida Cicéron à se retirer fut précisément la présence de César aux portes de la Ville. Quant au vote lui-même, il ne pouvait avoir lieu qu’un jour comitial. Pendant la période qui nous importe, il s’en trouvait quatre : le 9^e, le 10^e, le 11^e et le 12^e jour de mars. L’une de ces quatre dates est certainement celle où la rogatio prit force de loi ; la veille de ce jour sera celle où Cicéron quitta Rome. Puisque, apparemment, Cicéron n’avait pas encore effectivement quitté Rome lorsque César se mit en route, mais s’apprêtait à le faire, le vote ne peut dater du 9 – premier jour possible pour le départ de Cicéron, et jour du départ de César. Restent seulement le 10, le 11 et le 12. Mais, pour l’instant au moins, il ne semble y avoir aucun moyen de décider entre ces trois possibilités.

30Si nous voulons parvenir à une précision plus grande, il est nécessaire de chercher, à l’intérieur des différents systèmes chronologiques compatibles avec les données que nous venons d’établir, quelques points de repère supplémentaires.

Essai de chronologie « absolue »

31Si l’on admet que le vote de la rogatio ne put avoir lieu que le 10^e, le 11^e ou le 12^e jour de mars, il est nécessaire que la promulgatio ait été faite au plus tard 24 jours auparavant, comme le voulait la loi, c’est-à-dire le 13^e, le 14^e ou le 15^e jour du mois intercalaire. Ces dates répondent-elles aux exigences que nous avons posées ?

32Elles laissent toutes trois, avant les Calendes de mars, un délai suffisant pour qu’aient pu survenir les événements qui ne peuvent s’être produits que pendant le temps où Gabinius avait les faisceaux : la promulgatio, la manifestation du Capitole et la visite de Cicéron à Pison.

33A ce point, les données précises ne sauraient plus nous venir des textes, qui semblent bien avoir épuisé tout ce qu’ils avaient à nous dire. Si l’on veut ne pas se résigner aux incertitudes qui subsistent, il est nécessaire de recourir à l’hypothèse.

34Pendant la période au cours de laquelle dut forcément se tenir la contio du Cirque Flaminien (c’est-à-dire le 15^e jour, au plus tôt, et le lendemain des Calendes de mars, si la visite à Pison eut lieu le 27^e et dernier jour du mois intercalaire, le dernier jour où Gabinius avait les faisceaux), se trouve un jour qui convenait particulièrement aux intentions du tribun, celui du Regifugium (le 24^e jour de février, le 23^e du mois intercalaire). Quelles que soient les origines et la signification réelle de cette fête mystérieuse, le sens qu’on lui donnait alors est bien connu. Ce rite était censé commémorer l’expulsion des Tarquins. C’est ainsi que le comprend Ovide53. Les Romains se félicitaient, ce jour-là, d’avoir mis fin à la tyrannie. Or, nous savons que P. Clodius ne manquait pas une occasion d’accuser Cicéron de s’être conduit en tyran54. Il était à la fois piquant et symbolique de provoquer, le jour du Regifugium, une contio où seraient condamnés la tyrannie, l’arbitraire, la « cruauté »55 du Romulus d’Arpinum56.

35On ne peut objecter que ce jour, désigné comme nefastus par les calendriers épigraphiques, ne se serait pas prêté à la convocation d’une contio. L’exemple de la réunion tenue par Pompée le 7 février 56, celui de la contio provoquée le 7 avril 52 par les partisans de Clodius57 montrent que les contiones pouvaient fort bien être tenues les jours néfastes.

36A la vérité, il peut sembler un peu hâtif de dater la contio du Cirque Flaminien d’après un symbolisme possible, mais dont rien ne vient nous garantir qu’il ait tenté Clodius. Mais une hypothèse se juge aux conséquences qu’elle entraîne.

37Si l’on admet, à titre d’hypothèse, que la contio du Cirque Flaminien eut lieu le 6^e jour avant les Calendes de mars (c’est-à-dire le 23^e jour de l’intercalaire), cela implique que la visite de Cicéron à Pison, environ deux jours (illo fere biduo) avant cette contio, se placera le 21^e jour du mois, à la 5^e heure, comme l’indique le Contre Pison. La légère restriction apportée par Cicéron (fere) s’explique sans doute par la différence des heures : le biduum, commencé le 21 à la 5^e heure (vers onze heures du matin), se terminait le 23 à la même heure. Nous avons vu que Cicéron avait déjà, bien des années auparavant, fait un calcul de cette sorte58. Mais la contio avait sans doute duré longtemps ; commencée avant la 5^e heure, elle s’était probablement terminée dans l’après-midi ; le délai de deux jours n’est pas exact – tel est sans doute le sens de cet adverbe, fere, qui, par lui-même, ne laisse pas d’intriguer.

38Quoi qu’il en soit, si la visite de Cicéron au consul date du 21, par une coïncidence curieuse, cette date vient renforcer une autre hypothèse, tout à fait indépendante de celle que nous essayons de mettre à l’épreuve et qui situe la contio au jour du Regifugium. Cicéron raconte, dans le Contre Pison, les circonstances de sa visite ; il est arrivé chez le consul vers la cinquième heure (onze heures du matin), et l’autre est sorti, nous l’avons rappelé, en « pantoufles », la tête emmitouflée, l’haleine empestée de vin59. L’impression de Cicéron est que l’autre a passé la nuit à boire, bien que Pison s’en défende et prétende être malade et prendre des remèdes à base de vin. Si l’on admet que l’impression de Cicéron est la bonne, que son odorat ne l’a pas trompé, c’est que Pison a fait la fête la nuit précédente. Or, le 21 est précisément le lendemain des Icades, la fête épicurienne que Pison, nous le savons depuis un ingénieux article de M.P. Boyancé60, ne se faisait pas faute de célébrer chez lui avec ses amis grecs. En elle-même, cette circonstance ne constitue assurément pas une preuve ; mais le fait qu’elle concorde avec l’autre hypothèse, formulée indépendamment, le fait aussi que les conséquences qui en découlent s’insèrent parfaitement dans l’ensemble de la chronologie relative que nous avons cru pouvoir reconstituer d’après les témoignages directs de Cicéron lui-même, tout cela ne laisse pas de lui ajouter une certaine vraisemblance.

39Ainsi, le 21^e et le 23^e jour du mois intercalaire nous fournissent deux points fixes, à partir desquels il devient possible de situer notre chronologie relative. Ils correspondent aux événements n^os 3 et 4. Il faut donc que le dépôt de la rogatio soit compris entre le 13 (au plus tôt) et le 15 (au plus tard) du mois intercalaire. Ce que nous avons dit du départ de César nous invite à préférer, pour le vote de la loi, la date du 12 mars (jour comitial), donc, pour sa promulgatio, celle du 15 intercalaire (XIV^e jour avant les Calendes de mars). La manifestation des chevaliers peut se situer trois ou quatre jours après la promulgatio, c’est-à-dire le 19, peut-être le 20. Elle expliquerait la visite au consul Pison. Devant l’hostilité de Gabinius, sa prise de position, après le décret contresigné par Pison, Cicéron aurait éprouvé le besoin de demander à celui-ci pourquoi, alors que, depuis le début de son consulat, Pison ne lui avait pas ménagé les marques d’estime, voire de déférence61, il se joignait soudain à Gabinius. Et l’on comprend mieux alors la réponse de celui-ci : Gabinius a besoin de Clodius, moi, je ne fais que me montrer complaisant à mon collègue. Mauvaise raison, sans doute, et qui n’est qu’une dérobade, mais elle est parfaitement adaptée à la situation. Gabinius aide Clodius, mais parce qu’il en attend une province ; c’est un marché. Pison ne veut pas s’opposer à sa conclusion. Cette réponse de Pison suppose effectivement que Gabinius a déjà agi et favorisé Clodius ; elle ne peut venir qu’après la manifestation manquée du Capitole, et, sans doute, quelques heures seulement après elle.

40Nous avions supposé, naguère, que les allées et venues entre Rome et Albe (où se trouvait Pompée) avaient précédé la démarche de Cicéron auprès de Pison62. Un examen plus exact des textes nous oblige, nous l’avons dit, à reporter ces visites à une date plus tardive, c’est-à-dire dans la dernière partie du trinum nundinum, entre la contio et le 12 mars (IV^e jour des Ides). Il est possible que le voyage de Cicéron à Albe se soit placé tout de suite après la contio (que nous datons du 23^e jour intercalaire, le VI^e jour avant les Calendes de mars). Il s’écoule là un délai de 16 jours pendant lesquels on peut penser que Cicéron s’employa à poursuivre ses démarches, mais avec un espoir de plus en plus faible. C’est sans doute à ce moment que se situent les épisodes, d’ailleurs assez vaguement rapportés, par Plutarque, à la période qui suivit la promulgatio de la loi. Comme Cicéron se montrait en habit de deuil, Clodius et ses gens le poursuivaient dans la rue de leurs sarcasmes, lui lançaient de la boue et des pierres et enlevaient toute dignité à sa campagne63. Plutarque nous apprend aussi qu’avant de se rendre lui-même à Albe, Cicéron envoya auprès de Pompée son gendre, le jeune C. Pison, mais sans succès64. Tout cela demande du temps et l’on peut, par exemple, dater le voyage de C. Pison du 25 intercalaire (IV Kal. Mart.), et celui de Cicéron du 27 intercalaire (la veille des Calendes) ou des Calendes de mars.

41Dans ces conditions, la députation des sénateurs amis de Cicéron dut se rendre à Albe pendant les premiers jours de mars. Deux périodes sont possibles, celles où le sénat ne pouvait, en principe, se réunir, c’est-à-dire soit du 3 au 5, soit après le 8 – entre le 8 et le 12. Mais nous avons dit que César n’était probablement pas parti après le 10, et qu’à cette date tout était décidé. Ce qui suggère que la visite des optimates à Pompée eut lieu avant les trois jours d’altercationes (6, 7 et 8 mars) qui précédèrent immédiatement le départ de César. Peut-être faut-il penser que l’attaque de Domitius et de Memmius contre César est l’ultime tentative des optimates pour sauver Cicéron, exercer sur César une pression qui annonce celle que tentera Clodius l’année suivante65, mais pour des raisons différentes. Clodius aussi, à ce moment-là, établira un lien entre le sort de Cicéron et la ratification des acta Caesaris. Cette analogie suggère que les deux questions ont pu être considérées comme solidaires dès ce moment. Cela est d’autant plus vraisemblable que Cicéron et Domitius étaient des alliés politiques. Domitius est nommé, avec Memmius, parmi les préteurs de 58 sur lesquels l’orateur croit pouvoir compter66. Au cours de sa préture, et précisément vers le moment où se produisit la « volte-face » de Clodius, il proposa une loi de rappel en faveur de l’exilé67. Il est donc injuste d’écrire, comme le fait Münzer68, qu’il ne se soucia point de Cicéron au moment du vote de la loi d’exil, ne fit rien pour l’aider, mais se préoccupa seulement d’obtenir l’invalidation des acta Caesaris. Son attaque et celle de Memmius au début de mars semblent bien prouver qu’il n’en fut rien. Le résultat fut contraire à ce qu’il espérait, ou du moins César ne céda pas à ce chantage. Mais cette tentative n’en fut pas moins le dernier acte de la résistance des optimates contre la loi qu’ils jugeaient contraire à l’auctoritas du sénat et dangereuse pour le régime.