Une chaire sans intitulé ?
Les sciences morales et politiques au Collège de France (1795-1864)
p. 351-381
Texte intégral
1La chaire de Sciences morales et politiques du Collège de France n’a jamais existé. Aussi n’est-il pas étonnant que ce dernier soit à peu près ignoré des travaux qui ont renouvelé notre connaissance de ces sciences au cours des dernières années1. Afin de pouvoir mieux y situer le Collège de France, nous proposons de voir les sciences morales non pas seulement comme un ensemble d’institutions portant explicitement ce nom, mais comme une dynamique à la fois politique, institutionnelle et épistémologique engageant l’ensemble du monde savant2. Pendant environ un siècle, de la « deuxième révolution scientifique » de la fin du xviiie siècle jusqu’à l’essor des « disciplines » modernes à la fin du siècle suivant, la notion de « sciences morales et politiques », née sous la plume des physiocrates, s’impose comme l’un des cadres de classement les plus utilisés en Europe et en Amérique pour décrire des savoirs qu’on opposait aux sciences naturelles, et dont tout le monde percevait le caractère de nouveauté3.
2Si elles ont connu un tel succès, c’est en partie que la définition du périmètre des sciences morales, ainsi que leurs formes institutionnelles, ont beaucoup varié pour s’adapter aux circonstances et aux façons de concevoir leur « utilité ». Certains savoirs étaient presque toujours inclus, comme l’économie politique ou la philosophie morale, mais d’autres l’étaient moins souvent, comme le droit, la médecine ou la théologie, ou restaient marginaux, comme la phrénologie. Les formes institutionnelles prises par cet ensemble hétérogène n’étaient pas moins variées. Les sciences morales et politiques ne prirent pas toujours la forme d’une Académie, comme ce fut le cas en France avec la « classe des sciences morales et politiques » de l’Institut, entre 1795 et 1803, ou avec l’Académie du même nom en 1832. Elles étaient parfois le nom qu’on donnait à des institutions d’enseignement supérieur – départements d’université ou écoles d’application – et parfois un simple slogan, revendiqué parmi d’autres par des réseaux savants plus ou moins informels. En existant de ces différentes manières, les sciences morales ont établi des liens avec les institutions savantes existantes, ont eu des effets sur elles et les ont poussées à se redéfinir. Parfois dans une relation de concurrence, parfois dans une relation de complémentarité, parfois en étant accueillies sans le dire, par adoption de leur contenu mais pas du nom de « sciences morales ». Nous voudrions montrer que le Collège de France a pleinement pris part à cette dynamique complexe. Une telle approche peut permettre d’éclairer différemment une singularité du Collège de France, à savoir la permanence des discours de justification qui le définissent non pas pour lui-même mais toujours en relation avec les autres institutions savantes, soit pour en combler les manques, soit pour leur apporter une nouvelle portée philosophique. Elle peut aussi permettre de mieux comprendre l’enjeu qu’ont constitué les intitulés de chaires pour attribuer une position spécifique au Collège de France dans cet espace aujourd’hui disparu. On peut exposer cette idée sous la forme d’un tableau.
Figure 20. Réinterpréter un intitulé ou le changer ? Variation des configurations.
Quand il n’y a pas d’Académie des sciences morales et politiques (avant 1795, ou entre 1803 et 1832) | |
Réinterpréter les intitulés existants | Changer les intitulés ou en créer de nouveaux |
Éloquence latine (Dupuis) Médecine (Hallé) Histoire et morale (Lévêque, Daunou) Droit naturel (Franck) Physique générale (Ampère) | Statistique (Lasalle) Langue et philosophie (Thurot, 1814) Économie politique (Say, 1831) Législation comparée (Lerminier, 1831)
Projets : science des idées, allemand et grammaire |
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Réinterpréter les intitulés existants | Changer les intitulés ou en créer de nouveaux |
Éloquence latine (Dupuis) Histoire et morale (Michelet) Langue et littérature (Burnouf, Renan) | Chaires pour transformer le Collège de France en |
Projets en 1848 : Linguistique appliquée à l’ethnographie (Chavée) Technologie (Desormeaux) Philosophie de la nature (Nerva), Législation musulmane (Perron) Philosophie positive (Comte) Encyclopédie politique (Golovine) Histoire des croyances et institutions religieuses Science des rapports du physique et du moral (Clavel) |
On distingue les périodes où il n’existait pas d’Académie des sciences morales, comme ce fut le cas avant 1795 ou entre 1803 et 1832, et celles où une académie existait. Apparaissent ensuite deux stratégies pour inscrire le Collège de France dans l’espace des sciences morales : soit introduire un nouvel intitulé, soit réinterpréter un intitulé existant. On a ainsi quatre grandes configurations possibles, logiques structurales des sciences morales pendant ce siècle.
Le Collège de France, une succursale de l’Idéologie ?
3Dès 1789, le Collège de France participe aux débats qui émergent, d’une part, autour des rapports entre les sciences et la nouvelle organisation politique (question qui pose celle de la fonction et de l’utilité des sciences) et, d’autre part, autour de la question des rapports des sciences entre elles. Les professeurs du Collège sont ainsi loin de rester totalement étrangers aux transformations profondes qui agitent alors l’espace politique et social et aux débats sur les enjeux des sciences morales et politiques dans le contexte de la construction de la nouvelle communauté de citoyens à partir de 1789. En témoigne le texte majeur, publié en 1790 par l’administrateur du Collège, Jean-Jacques Garnier (1729-1805), sous le titre Éclaircissements sur le Collège de France, qui tente alors de promouvoir la légitimité institutionnelle et pédagogique de l’établissement dans le nouveau contexte politique. Alors que les députés de l’Assemblée constituante, soucieux de faire des économies et de promouvoir une organisation des savoirs adaptée à la nouvelle réalité politique incarnée désormais par la Nation, proposent de réorganiser en profondeur les institutions pédagogiques et scientifiques liées à l’appareil absolutiste (prévoyant en particulier de réunir les chaires d’Anatomie, de Médecine pratique et d’Histoire naturelle du Collège au Jardin du roi), Garnier défend l’idéal encyclopédique qui doit, en matière pédagogique, justifier la distribution des enseignements : selon lui, le Collège de France, qu’il présente comme une véritable « encyclopédie vivante », doit favoriser la « connexité entre les sciences » et la réunion entre les deux « grandes sections » dans lesquelles sont distribuées les chaires : celle qui comprend « toutes les sciences naturelles et mathématiques » et « l’autre la littérature et les sciences morales et Politiques »4. Selon lui en effet, « le Moraliste et le Politique peuvent encore moins se passer d’une étude approfondie de la Physiologie, puisque l’homme qui fait leur étude, est composé d’un corps et d’une âme qui agissent l’une sur l’autre, et qu’en ne s’attachant à connaître que l’une de ces deux substances, ils courraient le risque de les méconnaître toutes les deux »5. Sans être institutionnalisées par un intitulé de chaire, les sciences morales et politiques sont bien présentes au sein du Collège de France entre la fin du xviiie et le début du xixe siècle. Loin de reposer uniquement sur des enjeux intellectuels, cette présence souligne les effets produits par les dynamiques politiques sur cette institution scientifique et pédagogique.
4La nature encyclopédique et « utile » de l’enseignement dispensé par les professeurs du Collège de France est rappelée plusieurs fois à partir de 1791, particulièrement lorsque l’établissement est l’objet de critiques. Or, en dépit des attaques qu’elle subit (en particulier de la part de Jean-François La Harpe auquel répond Nicolas-Joseph Sélis6) et des divisions internes qui en menacent l’équilibre institutionnel7, cette institution, évoquée dans les différents plans de réformes des institutions pédagogiques proposés sous la Législative et la Convention (Condorcet veut le transformer en un vaste établissement d’apprentissage des langues), parvient non sans mal, comme peuvent en témoigner les nombreuses démarches des administrateurs auprès des autorités politiques successives, à poursuivre ses enseignements et à survivre à la loi du 8 août 1793 qui supprime en particulier les anciennes académies royales. En dépit de l’arrestation de plusieurs de ses professeurs (Poissonnier, Cousin, Mauduit ou Bouchaud), le Collège de France est ainsi l’une des seules grandes institutions issues de l’Ancien Régime à ne pas disparaître sous la Terreur. Cette position permet à son personnel, et en particulier à Jérôme Lalande, de jouer un rôle majeur dans le contexte politique créé au lendemain de la chute de Robespierre : entre l’été 1794 et la loi Daunou d’octobre 1795 qui réorganise l’espace intellectuel et pédagogique (création de l’Institut national des sciences, arts et lettres, des écoles centrales…), Lalande joue en effet un rôle central dans ce que Bronislaw Baczko définit comme « l’invention de la Terreur », participant, à travers ses différentes interventions, à la dénonciation des « barbares » et à la promotion des savants « martyrs »8. Le Collège de France est alors érigé en bastion de cette lutte.
5Ces proclamations sont d’autant plus importantes que la position institutionnelle du Collège reste fragile. En dépit de la mise en retrait du poète Delille jugé trop hostile à la République directoriale, de la décision prise le 11 mai 1795 par les membres du Comité d’instruction publique d’aligner le traitement des professeurs sur celui des grands établissements pédagogiques et de la présence de plusieurs de ses professeurs au sein de l’Institut (Lalande intègre la 1re classe de l’Institut, Bouchaud et Lévesque, la section « Histoire » de la Classe des sciences morales), le Collège n’est, selon le décret de la Convention nationale du 25 juillet 1795, que « provisoirement maintenu dans la nouvelle organisation de l’Instruction publique »9. De même, en 1790, Lalande est en effet confronté à la volonté des autorités de démanteler l’organisation des enseignements et de supprimer des chaires du Collège qui semblent désormais faire double emploi avec les nouveaux établissements, en particulier celles de l’École de médecine et du Muséum national d’histoire naturelle. Comme Garnier avant lui, Lalande multiplie les démarches auprès des autorités pour maintenir l’ensemble des chaires et défendre le caractère « philosophique » et « utile » des enseignements dans le contexte de la recomposition républicaine opérée par les membres de la Convention thermidorienne.
6Les professeurs se mobilisent également pour demander la transformation de la chaire de « Droit canon » en « Législation », une demande non obtenue. L’arrivée en 1796 de Jean-Nicolas Corvisart à la chaire de « Médecine expérimentale » souligne, de nouveau, l’efficacité de la résistance des professeurs du Collège10. Si les intitulés de chaire peuvent être identiques à ceux d’autres établissements pédagogiques parisiens, l’enseignement dispensé au Collège reste, selon lui, spécifique du fait même qu’il s’inscrit dans un projet d’établissement visant à former non seulement des savants mais surtout des serviteurs de la République. Lalande insiste particulièrement dans son discours du 25 février 1795 sur les astronomes, les médecins, les interprètes, les législateurs. Le Collège, caractérisé par son enseignement général relevant de l’idéal encyclopédique, doit être « l’emblème de la France régénérée et le gage de notre gloire et de notre bonheur »11.
7Ces prises de position n’en restent pas seulement à un niveau théorique, loin s’en faut. Dans le contexte troublé des élections de 1796-1797 qui voit la montée en puissance, au fil des élections, des adversaires de la République, le Collège de France fait en effet l’objet d’une attention plus grande des autorités administratives qui cherchent à en faire le fer de lance de la défense de la République. La question de la nature de l’enseignement et de la spécificité des chaires par rapport aux enseignements dispensés dans les autres établissements fait ainsi l’objet de nombreuses discussions. Le 10 frimaire an 5 (30 novembre 1796), une lettre de Lalande, en réponse à un rapport présenté par Daunou au Conseil des Cinq-cents (le 5 floréal an V), semble révéler les modalités d’une réforme importante des différentes chaires d’enseignement (qui devront être divisées en 3 sections et réduites à 17), projet qui doit renforcer l’intégration du Collège dans le projet politique et scientifique autour duquel Pierre-Jean-Georges Cabanis et Antoine Destutt de Tracy appellent les savants à se réunir, projet connu sous le nom d’Idéologie :
J’ai annoncé que le rapport de Daunou a été lu et agréé à la Commission des 500. Il y a 9 Lycées en France, le Collège de France est conservé sous le nom de Lycée de Paris. On ajoute un professeur de métaphysique et un professeur d’histoire et de statistique. On supprime les deux professeurs de médecine. On conserve les deux professeurs de grec mais il faut que Bosquillon fasse du grec et non de la médecine. […] J’ai écrit à Daunou pour lui représenter combien nos deux cours de médecine étaient suivis. […] Les professeurs assemblés invitent le C. Lalande à continuer ses insistances auprès de la Commission pour la conservation des professeurs de médecine dont les séances infiniment nombreuses attestent l’utilité12.
Au lendemain du coup d’État républicain du 5 septembre 1797 (qui vise à casser les élections gagnées par les royalistes), la création d’une nouvelle chaire, celle de « Statistique », confiée à Joseph-Henri Lasalle (1759-1833) marque nettement l’importance de la mission politique confiée au Collège. Avocat de Paris avant 1789, ce dernier se voit récompenser de sa fidélité envers la république du Directoire en devenant membre du bureau central de la Police de Paris, une institution qui joue un rôle majeur dans la politique de reprise en main républicaine qui caractérise ce « second directoire ». Ses cours, autorisés en novembre 1797, commencent dès le 8 janvier 1798. Lasalle « traite des rapports des différents gouvernements »13. Quelques jours plus tard, un rapport présenté au ministre de l’Intérieur signale que le cours connaît un véritable succès, justifiant la demande du professeur de garantir sa rémunération pour le semestre, cours qui dure jusqu’en 1800.
8Dans le contexte de la recomposition républicaine mise en place par les rédacteurs de la Constitution de l’an III qui insistent sur la distinction entre une élite civilisatrice (les « propriétaires » et les hommes raisonnables) et un peuple à civiliser14, la vocation de l’institution à s’inscrire dans l’horizon des sciences morales et politiques promue par les membres de la deuxième classe de l’Institut national est encore affermie par l’orientation pédagogique donnée à certaines chaires. C’est le cas de la chaire du Droit de la nature et des gens dont le cours est en fait confié, à la rentrée de 1797, non à Mathieu-Antoine Bouchaud (1719-1804), vieillissant et considéré comme trop tiède sur le plan politique (pourtant membre de la section « Législation » de la seconde classe), mais à son suppléant Jean-André Perreau (1749-1813). Ce dernier propose un cours sur la « science de l’homme », cours dont il tirera les matériaux nécessaires à la rédaction de son ouvrage publié à la fin de l’année 1799, Considérations physiques et morales sur la nature de l’homme, ses facultés. Proche de Jacques Peuchet, de Dominique Garat et de la nébuleuse des idéologues organisés autour de plusieurs journaux (La Décade philosophique, mais aussi la Clef du Cabinet des souverains et le Conservateur), Perreau est par ailleurs professeur de législation à l’École centrale du Panthéon à Paris. Dans le discours préliminaire de ses Considérations, il affirme, comme dans son cours, la nécessité de fonder la science de l’homme sur le principe du dualisme de la nature humaine, une position qui justifie la nécessité de lier les différentes sciences entre elles et qui rejoint le programme proposé par Garnier en 1789 – il tendra à la mettre en pratique dans son enseignement au Collège.
9L’exemple le plus important et significatif du rôle majeur joué par le Collège dans la diffusion des principes des sciences morales et politiques et dans la défense de la République reste néanmoins le cours professé par Charles-François Dupuis (1742-1807) qui occupe la chaire d’Éloquence latine depuis 1787. Protégé par Lalande, Dupuis participe aux débats et aux discussions qui agitent le monde des astronomes dans les années 1780. En 1781, il publie ainsi son Mémoire sur l’origine des constellations et sur l’explication de la fable par l’astronomie qui sera critiqué par Jean-Sylvain Bailly. En 1788, il devient membre de l’Académie des inscriptions et belles lettres. Partisan de la Révolution, il est élu député à la Convention nationale puis à l’Assemblée des Cinq-cents, intervenant activement dans les débats. Membre de la classe de littérature et beaux-arts de l’Institut national, il publie en septembre 1795 un ouvrage majeur, L’Origine de tous les cultes où il trace une vaste histoire des religions depuis l’Antiquité tendant à démontrer leurs origines purement humaines. Œuvre polémique, l’ouvrage, dont la diffusion est soutenue par les autorités, prouve que les religions ont toujours permis d’asservir le peuple. Faisant l’objet d’une large publicité dans les journaux républicains (Décade philosophique, Clef du Cabinet des souverains…) et apparaissant comme une figure de proue de l’offensive menée en faveur de la promotion des sciences morales et politiques, il déclenche de vives critiques de la part des publicistes catholiques15.
10Face à l’offensive menée par les « royalistes », Dupuis prend position au Conseil des Cinq-cents en faveur de mesures coercitives. Durant la campagne électorale du printemps 1797, il est la cible d’attaques particulièrement violentes : candidat dans le département de Seine et Oise, il est battu par un autre professeur du Collège, Jean-François Vauvilliers, détenteur jusqu’en 1791 de la chaire de Langue et de littérature grecques. Ce dernier sera victime du coup d’État républicain de septembre 1797. Dupuis participe alors activement à l’entreprise de reconquête républicaine et de « républicanisation » des esprits. C’est dans cette perspective qu’il décide de publier en août-septembre 1798 son Abrégé de l’origine de tous les cultes, œuvre de « vulgarisation » des principes républicains. L’éditeur de l’Origine, Henri Agasse, s’est alors associé à Baudouin qui se charge d’obtenir auprès du ministère de l’Intérieur une aide financière de 900 francs16. Pour favoriser la régénération des mœurs, Dupuis défend la nécessité de se débarrasser de la religion et des ecclésiastiques, des thèses qui constituent les fondements de son enseignement dispensé au Collège17.
11À partir de 1798, le Collège de France semble bien constituer un espace privilégié d’expression et d’action du courant des républicains démocrates ou néo-jacobins18. Aux côtés de Lalande et de Dupuis, il convient en effet de noter la présence d’Antoine de Cournand, professeur à la chaire des Langues et de littérature française que l’on retrouvera aux côtés des artistes et hommes de lettres engagés au sein du Portique républicain pour la défense de la République19. Comme d’autres à ce moment, Dupuis en vient pourtant à en appeler à l’homme « providentiel » susceptible de « sauver » la République. Les désillusions seront pourtant rapides. Dès le lendemain du coup d’État des 8-9 novembre 1799, les institutions pédagogiques sont de nouveau l’objet de l’attention des autorités consulaires. Dans le rapport présenté en février 1800 au nom du Comité d’instruction publique, Antoine Destutt de Tracy, en défenseur de la vocation encyclopédique de l’enseignement, propose alors de transformer le Collège en école « supérieure » des sciences morales et politiques : « les sciences morales et politiques sont peu avancées. […] On croit qu’il serait utile qu’elles eussent à Paris une école supérieure, qui fût à peu près pour elles ce qu’est l’École polytechnique pour les sciences physiques et mathématiques. Il suffirait peut-être d’apporter quelques légères modifications à l’existence du Collège de France, et d’y ajouter un petit nombre de chaires […] »20.
Des sciences souterraines
12Le contexte tant politique qu’intellectuel semble désormais peu favorable. Dans une lettre du 24 vendémiaire an XI/15 octobre 1802, Lasalle tente ainsi de convaincre Antoine-François Fourcroy21 de la nécessité de reprendre le cours de statistique.
Citoyen, Pendant deux ans, j’ai donné des leçons de statistiques au Collège de France. Elles ont eu quelques succès et j’ai […] à m’applaudir d’avoir le premier par un cours public appelé l’attention de la jeunesse sur une branche de nos connaissances. Je désire recommencer ce cours à la prochaine ouverture du collège. Pourquoi Paris n’aurait pas comme Göttingen, Vienne et Edimbourg un professeur de statistique ? Ce n’est point à vous que j’entreprendrais de prouver son utilité. […] Deux ministres de l’intérieur m’avaient accordé un traitement, une gratification sur les fonds mis à disposition pour l’encouragement des sciences et des arts […]22.
En brumaire/novembre 1802, Fourcroy sollicite Lefebvre-Gineau (administrateur du Collège) pour lui recommander Lasalle et se concerter avec les autres professeurs du Collège pour la destination de cette « gratification ». Or, dans le contexte de l’affaiblissement de l’influence politique des idéologues et de la signature du Concordat, la reprise du cours est refusée. Plus généralement, l’entrée de nouveaux professeurs à partir de 1800 (Georges Cuvier en 1800 à la chaire d’« Histoire naturelle », Jean Nicolas Vauquelin en 1801 à celle de « Chimie » et Jean-Baptiste Biot en 1801 à celle de « physique et mathématiques »), cumulant le plus souvent des chaires d’enseignement dans d’autres grands établissements pédagogiques de Paris, manifeste une transformation importante non seulement de la position du Collège de France au sein de l’espace savant parisien (ravalé en quelque sorte en succursale plus ou moins prestigieuse des grands établissements scientifiques et pédagogiques parisiens), mais encore de la conception même de l’enseignement qui s’éloigne de l’idéal pédagogique défendu par les idéologues en faveur d’une promotion d’une spécialisation et d’une individualisation des chaires23. L’élection de Jean-Noël Hallé à la chaire de Médecine (il remplace Corvisart) en 1804 montre que le Collège devient un lieu de conquête pour les personnalités savantes : il s’agit désormais de prendre le contrôle sur la chaire et son intitulé. Ces transformations accompagnent les réformes de 1802 et 1803 (suppression des écoles centrales remplacées par les lycées ; suppression de la classe des sciences morales et politiques de l’Institut et retour à l’organisation plus cloisonnée des académies) qui visent à détruire l’organisation institutionnelle et épistémologique des sciences mise en place en 1795, organisation sur laquelle reposait le projet politique de la République directoriale. Le Collège est touché par un mouvement de spécialisation et de polarisation des savoirs qui s’affirme, pour se renforcer par la suite, pendant les premières années du Consulat24. Reste que, malgré ce mouvement d’affirmation des logiques de chaires qui tend à justifier la revendication défendue par certains professeurs du renfermement de leurs enseignements dans les contours définis par l’intitulé de leur chaire, le Collège apparaît comme un espace refuge de la configuration des sciences morales et politiques.
13Cette institution continue en effet de cristalliser l’attention et les projets de ceux qui entendent défendre l’unité des savoirs, fondement selon eux des sciences utiles au gouvernement des hommes. C’est le cas d’un professeur de grammaire à l’École centrale du Panthéon, Jules-Michel Duhamel qui publie en avril 1802 un mémoire dans lequel il justifie la nécessité de créer deux nouvelles chaires, une d’« Analyse de l’esprit humain », l’autre de « Grammaire générale »25. Pour l’auteur, le Collège de France doit devenir un lieu de formation d’« administrateurs » et non de « grammairiens ». L’auteur propose ainsi que le Collège de France devienne le lieu d’enseignement de l’idéologie :
Si on considère les hommes comme citoyens, comme membres d’une société politique, c’est à l’ignorance de leur langue qu’on doit l’ignorance des lois et de tout l’ordre social, c’est-à-dire, des droits et des devoirs de tous envers la société ; et par conséquent, tous les faux raisonnements qu’ils font pour se soustraire aux charges qu’elle impose ; raisonnements qui détruisent partout l’esprit public. […] Un gouvernement éclairé ne peut donc se dispenser de faire cultiver la langue nationale : et où un cours de langue française serait-il mieux placé qu’au Collège de France. Il y est appelé par les cours de Littérature française, de littérature latine et de littérature grecque, dont il renferme les éléments les plus nécessaires. Il y est appelé par tous les nationaux qui désirent étudier leur propre langue, et par tous ceux qui connaissent le prix de ce genre d’instruction. Il y est appelé par tous les étrangers qui sont presque toujours la proie de l’ignorance et du charlatanisme. Enfin, dans le moment où la langue française va devenir, sinon générale, du moins la plus répandue de toute l’Europe, il y est commandé par la gloire de la Nation, et par son propre intérêt, qui, à cet égard, lui prescrit de perfectionner sa Langue, et de la répandre de plus en plus26.
Cette vocation du Collège est encore réaffirmée par Destutt de Tracy dans la troisième partie de ses Éléments d’idéologie (parue en 1805) où il revient sur la nécessité de faire du Collège de France une véritable « école spéciale » des sciences morales et politiques dont a besoin la France. Il relance l’idée d’un établissement susceptible de permettre une véritable complémentarité entre les chaires et de former des diplomates, des administrateurs ou des négociants :
Faisons que l’on y trouve l’enseignement complet des sciences idéologiques, morales et politiques. […] De même au Collège de France, je ne désirerais pas seulement des chaires où l’on démontrât les principes de l’économie politique ou de l’organisation sociale en général. Je voudrais qu’il y en eût où l’on enseignât en particulier la statistique des différents États, la théorie de l’impôt, celle du système monétaire, celle du change, celle de diverses branches du commerce, etc. pour l’utilité particulière de certains diplomates, de certains administrateurs, de certains négociants27.
Espace refuge encore parce que certains professeurs refusent de réduire leur enseignement à leur intitulé. Dupuis (dont la signature du Concordat et son exclusion du corps législatif en 1802 témoignent de sa défaite politique) poursuit ainsi sa campagne contre la religion catholique. Est-ce d’ailleurs la raison pour laquelle la rentrée de novembre 1803 nécessite la présence d’une force armée autour et à l’intérieur du Collège28 ? On peut penser que c’est pour neutraliser le caractère subversif et non conforme au nouvel ordre des savoirs que les autorités tentent de réformer le Collège à la suite du décès de Lalande. En mars 1807, le ministre de l’Intérieur Champagny propose en effet de remplacer la chaire de Littérature française (de Cournand) par quatre nouvelles chaires (d’Histoire de France, d’Éloquence française, de Poésie française, d’Histoire littéraire et critique) afin, selon lui, de « régénérer » la littérature française29. Il s’agissait alors de transformer le Collège de France en une institution spécialisée dans l’enseignement de la littérature, en promouvant une certaine concurrence entre les différents enseignements. Or, face au modèle d’organisation pédagogique qui sera affirmé en mars 1808 par la création de l’Université valorisant la spécialisation aux dépens du modèle encyclopédique, le Collège conserve une position originale du fait même de cette présence des sciences morales et politiques qui perdure pendant le xixe siècle.
14La suppression de la deuxième classe de l’Institut, en 1803, marque l’avènement d’un nouvel ordre savant, sans existence officielle des sciences morales et politiques. Cette nouvelle invisibilité institutionnelle ne fut pas sans effet sur le Collège de France, amené à redéfinir sa place vis-à-vis de l’Institut et, à partir de mars 1808, de la nouvelle Université impériale. Ainsi, dès 1809, la chaire d’Éloquence latine, qui avait été transformée en tribune républicaine par Dupuis, est mise au service de la restauration des études classiques mise en place au même moment dans les lycées et à l’École (ou Pensionnat) normal(e)30.
15Tout en s’alignant sur le nouvel ordre impérial, le Collège de France sert néanmoins de refuge discret pour l’ancienne classe des sciences morales et politiques. C’est assurément le cas de la chaire d’Histoire et morale, à travers Pierre Charles Levesque, jusqu’en 1811, puis Daunou, de 1819 à 1830. Jusqu’à sa mort, Levesque prolonge le programme politique et historiographique défini à son arrivé au Collège de France en 1791, et mis en avant par la deuxième classe dont il devient membre dès la création de l’Institut. Ancien professeur à l’École normale de l’an III, il avait abandonné le terrain d’études qui l’avait fait connaître, l’histoire de la Russie, pour se lancer dans une relecture des républiques grecque et romaine, dont il présenta les premières conclusions devant la deuxième classe sous le Directoire31. Dans son Histoire critique de la République romaine, publiée en 1807, il se proposait de « détruire des préjugés invétérés sur l’histoire des premiers siècles de la République, sur la morale des romains, leurs vertus »32. À travers une double critique, « critique d’authenticité » et « critique morale »33, il prolongeait le programme culturel du Directoire en réfutant les célébrations jacobines du républicanisme classique, au profit d’un républicanisme moderne et commercial valorisé par la Constitution de l’an III34.
Figure 21. Portrait de Daunou en promoteur des sciences morales et politiques.

Jules Boilly, chargé en 1820 d’établir une Iconographie de l’Institut royal de France, inscrivit sous le nom de Daunou cette nomenclature non officielle : « Académie des inscriptions et belles-lettres (littérature, histoire, sciences morales et politiques) ». La référence inattendue aux « sciences morales et politiques » qui ne correspondait à rien dans l’Académie de l’époque reflète toutefois le projet intellectuel de Daunou, tel qu’il l’avait présenté en 1819 dans son discours d’ouverture au Collège de France.
Jules Boilly, Iconographie de l’Institut de France, Paris, chez l’auteur et chez Bénard, 1823.
L’élection de Daunou sur la même chaire, en 1819, prolongeait avec encore plus de force le programme historiographique de la deuxième classe. Daunou commence ses cours au Collège de France comme l’un des maîtres de la jeunesse libérale35. C’est ce que suggère le petit nombre de noms d’auditeurs qui sont reportés sur un registre pour les années 182036. Dans son discours d’ouverture, le 13 avril 1819, il utilise l’intitulé de sa chaire pour justifier son ambition à la fois érudite et politique. Il s’agit de fonder l’histoire sur des bases scientifiques en proposant une méthode permettant de classer les faits dans le temps et dans l’espace, mais aussi de les sélectionner en fonction de leur utilité politique et morale :
[…] la chaire que je viens occuper a porté jusqu’ici le titre d’histoire et morale ; et le devoir que je désire le plus de bien remplir, est de resserrer l’antique lien entre ces deux genres d’études. Je ne conçois aucunement ce que pourrait être l’histoire, ni comment elle serait une science, si elle n’était pas la morale expérimentale37.
C’est au contraire en modifiant l’intitulé de l’ancienne chaire de Philosophie grecque et latine, pour revenir à celle de « Langue et philosophie grecque », que Jean-François Thurot s’efforce à partir de 1814 de faire revivre l’esprit des sciences morales et politiques au sein du Collège de France38. Comme Adiamantos Coray, également pressenti pour cette chaire, Thurot relie la philologie grecque à la grammaire générale. Ancien auditeur des cours de Garat sur l’analyse de l’entendement à l’École normale de l’an III (il lui dédie sa traduction de la grammaire générale de James Harris en 1796), proche de Cabanis, Destutt de Tracy et Laromiguière, mais aussi de Ginguené, Lacroix et Daunou39, il prolonge à la Faculté des lettres de Paris, au Collège de France et à l’Académie des inscriptions et belles lettres, le projet savant et politique défini par Daunou dans la Constitution de l’an III puis dans la loi du 3 brumaire an IV. S’il intègre à son maître livre sur l’entendement et la raison, en 1830, les conceptions en vogue de Thomas Reid, pour faire des facultés de l’esprit des « puissances actives », il reste profondément fidèle au projet des idéologues : la philosophie est pour lui une histoire naturelle de l’entendement dont les faits sont des idées, l’art des signes est l’instrument privilégié du progrès de l’esprit humain40. « De tous les noms donnés à cette science, celui d’idéologie lui paraît le plus convenable »41, rappelle Daunou dans la nécrologie de son ami :
Le 7 mai 1830, trois mois après la publication du traité de l’entendement et de la raison, M. Thurot fut élu membre de l’Institut. Dès 1803, sa place y était marquée dans la classe des sciences morales et politiques où les équitables suffrages de ses amis Cabanis, Ginguené, Garat, etc., n’eussent pas tardé à l’appeler. Mais le pouvoir absolu de ce temps-là se hâta de supprimer cette classe, qui avait déjà répandu trop de lumières et imprimé aux études philosophiques des caractères dangereux d’exactitude et de franchise. On raya du tableau des connaissances humaines ces sciences téméraires qui cherchaient dans les besoins et les facultés des hommes les éléments du système social ; dans les intérêts des peuples plus que dans ceux des gouvernements, la théorie des mœurs et des lois. Deux académies, qui avaient mieux vécu avec les hautes puissances, et qui ne figuraient point assez dans la première composition de l’Institut, l’envahirent soudainement, et reprirent leurs paisibles habitudes, s’occupant, l’une des formes du langage moderne, l’autre de la recherche des choses antiques. À la vérité M. Thurot pouvait encore trouver place dans la première, comme l’un des plus savants grammairiens et des plus purs écrivains de cet âge ; dans la seconde, comme un de deux qui cultivaient avec le plus de méthode et de fruit la littérature grecque. Mais vingt-sept ans s’écoulèrent sans qu’il obtînt cette justice42.
Sous la Restauration, les « sciences morales et politiques » deviennent un slogan de tous les libéraux – y compris lorsque, à l’image des doctrinaires, ils s’opposent à l’idéologie – qui saisissent toutes les occasions pour rappeler que la suppression de la seconde classe en 1803, loin de les faire disparaître, en a fait des sciences souterraines43. On reconnaît ici la pensée de Guizot, pour qui les sciences morales sont inscrites dans le mouvement même des idées, sont sécrétées par la société civile, si bien qu’aucun gouvernement représentatif ne peut avoir intérêt à les rendre invisibles44. Dans son discours de réception à l’Académie française, en 1827, Royer-Collard souligne l’incongruité de sa présence. Que fait-il là, lui qui ne partage aucunement les préoccupations traditionnellement littéraires de cette assemblée ? Son élection, explique-t-il, est en réalité le signe d’une « profonde révolution sociale », une poussée par en bas de la délibération publique, qui se fait ressentir jusque dans les institutions littéraires45. On ne manque pas alors, dans la presse, de rappeler l’odieuse suppression de 180346. L’Académie française apparaît comme un autre refuge possible pour des sciences sans organe représentatif.
16Dans les derniers mois de la Restauration, le titulaire de la chaire de Physique générale au Collège de France, André-Marie Ampère, consacre plusieurs leçons à la philosophie des sciences47. Il ne fait alors que prolonger un travail entamé dès le Consulat, dans l’entourage de Maine de Biran et des membres de la Société d’Auteuil, comme Gérando et Destutt de Tracy, avec lesquels il était entré en contact après avoir envisagé de répondre au concours de la classe des sciences morales sur la façon de décomposer la faculté48. Cette réflexion, prolongée quand il enseigne à la Faculté des lettres en 1819, avant d’être interrompue par ses recherches sur l’électromagnétisme en 1820, s’étend après la révolution de Juillet en direction des sciences morales, ou « noologiques »49.
17C’est dans la suite de ces événements qu’il faut lire l’ordonnance de mars 1831 qui crée trois nouvelles chaires au Collège de France (de Géologie, d’Économie politique et de Législation comparée), dont deux se rattachent à la tradition des sciences morales. Les justifications mobilisées à l’appui de ces créations ont déjà été employées par le passé : il s’agit dans le cas de l’Économie politique d’enseigner une science qui n’a pas de chaire dans les facultés, et dans celui de la Législation comparée de donner au droit une dimension plus philosophique. Derrière ces arguments rituels, ce sont en réalité deux pétitions envoyées au ministre qui sont à l’origine immédiate des deux chaires50. La première a été adressée par les étudiants en droit de Paris, qui l’ont accompagnée d’un rapport sur l’état de l’économie politique en Europe, et de citations de Louis-Philippe sur l’importance de l’enseigner aux classes moyennes. La deuxième a été envoyée par trois membres de la chambre des pairs51. La création de ces nouvelles chaires est bien d’origine politique. Elle s’inscrit littéralement dans la logique du gouvernement représentatif qui caractérise les débuts de la monarchie de Juillet et conduit à la création de l’Académie des sciences morales et politiques par Guizot, en 1832.
Une annexe de l’Académie ou un espace d’opposition pour les sciences morales ?
18La création de 1832 change la position du Collège dans l’espace des sciences morales désormais restructuré autour d’une institution centrale. Soumis au pouvoir de l’Académie, qui propose au ministre, parallèlement à l’assemblée des professeurs, ses propres candidats pour la désignation aux chaires concernées (l’Économie politique, la Législation, le Droit naturel et la Philosophie), le Collège se place aussi en concurrence symbolique avec elle, en devenant une instance de consécration supplémentaire ou alternative. Si ses professeurs, une fois nommés, ont vocation à devenir académiciens lorsqu’ils ne le sont pas déjà, ils peuvent aussi garder leurs distances pour devenir les relais d’un contre-pouvoir intellectuel.
19La presse périodique est alors un acteur de premier plan de cette concurrence entre plusieurs conceptions des sciences morales, dans laquelle les intitulés des chaires sont un enjeu récurrent. Depuis les années 1830, les journalistes et les sténographes sont entrés dans les institutions savantes, notamment à l’Institut dont ils publient des comptes rendus de séance52. Ils sont également entrés au Collège de France dont ils publient les cours ou les résumés de cours de façon plus ou moins autorisée. Plusieurs revues leur consacrent une rubrique entière, ce qui a des effets en retour sur l’enseignement. Ainsi le cours conjoint de Michelet et Quinet sur les jésuites, en 1843, est commenté chaque semaine dans la presse parisienne et provinciale, et les professeurs répondent aux articles dans le cours suivant53.
20La périodicité des cours et leur publicité permettent surtout à la presse de mettre en scène la concurrence entre plusieurs sciences morales rivales. Dans le numéro du 10 avril 1843 de la Revue indépendante, journal républicain et socialiste dirigé par George Sand et Pierre Leroux, deux types de cours sont ainsi distingués. Certains professeurs, comme Barthélémy Saint-Hilaire ou Michel Chevalier, sont très critiqués comme représentants de la science officielle. Le premier est présenté comme « un docile élève de M. Cousin, un éclectique, un partisan par état de cette philosophie timide qui depuis quinze ans a mis l’Université et nos collèges au triste et maigre régime de l’observation du moi par le moi ». Derrière la critique philosophique, il y a aussi une critique de l’intitulé de sa chaire :
Quoi ! Dans ce vaste établissement d’études, dont le programme est presque une encyclopédie et qui fut placé à côté de la pesante Sorbonne pour lui donner l’éveil et la pousser vers les idées libérales de progrès et d’avenir ; dans ce collège de France, destiné à être l’arène où toutes les conceptions de l’esprit humain devaient venir combattre, une seule chaire de philosophie, alors que la plus petite Université d’Allemagne en possède plusieurs ! […] Et encore […], la philosophie ne s’y glisse que sous le déguisement de la philosophie et de la littérature ; c’est une chaire d’histoire de la philosophie grecque. L’histoire, toujours l’histoire de la philosophie ! Et les systèmes, Messieurs les professeurs, quand viendront-ils54 ?
Le journaliste républicain Godefroy Cavaignac, de retour d’exil, reproche quant à lui à Michel Chevalier, titulaire de la chaire d’Économie politique, de ne pas respecter l’intitulé de son cours : il ne traite que de la production, qui est abordée par une diversité de sciences, et délaisse la distribution qui est le domaine propre de sa science. Ainsi, « le principe fondamental de l’économie politique n’est pas scientifiquement traité »55.
21À l’inverse, Michelet est présenté comme le représentant d’une science morale alternative à la philosophie officielle, faisant du Collège de France un lieu d’opposition intellectuelle et politique, celui d’une contre-science morale. La question de la fidélité de Michelet à l’intitulé de sa chaire (Histoire et morale) est ici un enjeu majeur. À l’assemblée des professeurs du 11 mars 1851, réunie spécialement pour parler des désordres perpétuels dans les cours de Michelet, Jean-Baptiste Biot explique que « le cours, tel que l’entend le professeur, n’est pas un cours d’histoire, mais un cours de passions ; et [il] y a là un péril évident pour le Collège dans un pareil enseignement »56. Au contraire, la Revue indépendante défend Michelet en brandissant l’intitulé de sa chaire : « Il n’a pas oublié qu’il enseignait l’histoire et la morale. » Cet intitulé, dont les origines évoquées plus haut sont oubliées, sert d’étendard à une science morale républicaine et socialiste qui se développe en dehors de l’Académie. Les idées de Michelet sur la façon de faire une histoire de la vie dans son ensemble, retrouve en effet le projet philosophique de Pierre Leroux, publiciste sans position institutionnelle et figure emblématique de la contre-science républicaine instituée aux marges des institutions officielles57 :
Et voici que, dans le domaine des sciences morales, deux hommes partis de points tout différents, presque étrangers l’un à l’autre, M. Pierre Leroux et M. Michelet, se retrouvent sur ce terrain commun de la synthèse ; tous deux proclament l’unité et l’indivisibilité de la vie ; pour la reproduire, l’un dans la métaphysique, l’autre dans l’histoire, tous deux prennent pour guide le sentiment, la passion58.
Ce qui intéresse ces républicains dans le Collège de France, au-delà des intitulés individuels, c’est l’articulation entre eux. Pour ces défenseurs nuancés de l’héritage de l’idéologie, la véritable science morale ne peut pas procéder d’une juxtaposition de spécialités : si elle se fonde sur l’unité de la vie, elle doit donc découler de la coexistence entre plusieurs sciences. C’est une conception encyclopédique des sciences morales que portent sous la Monarchie de Juillet, entre autres, Jean Reynaud et Pierre Leroux en dirigeant successivement la Revue encyclopédique et l’Encyclopédie nouvelle59. Les comptes rendus des cours de l’orientaliste Eugène Burnouf offrent ici un bon révélateur. La chaire de Langue et littérature sanscrite relève-t-elle des sciences morales ? C’est l’avis d’un Michelet, ou d’un Jean Reynaud pour qui la redécouverte des religions orientales par Burnouf ouvre la voie d’une nouvelle métaphysique et d’une nouvelle théologie qui permettra de dépasser l’individualisme moderne60. Au contraire, à l’Académie, Cousin minimise l’apport philosophique de ce travail, qu’il ramène à de l’érudition, et s’élève contre le danger d’une vogue bouddhiste en Europe, qui marquerait une régression philosophique et le retour du sensualisme61.
22L’autre intérêt du Collège de France, pour les Républicains qui arrivent au pouvoir, est qu’il dispense des enseignements publics. En 1848, l’Académie des sciences morales et politiques est en première ligne de la résistance à la révolution socialiste. Le Collège de France offre alors une fois de plus un accueil possible pour les réformateurs de ces sciences. Comme pendant la Révolution française et comme en 1830 on y voit affluer, dès février 1848, les propositions de cours libres ou de chaires nouvelles : outre le célèbre cours d’Ernest Legouvé sur l’Histoire morale des femmes62, on trouve une diversité de projets : Linguistique appliquée à l’ethnographie (Honoré-Joseph Chavée), Technologie (Paulin Desormeaux), Philosophie de la nature (Samuele Emilio Nerva), Anthropologie (Henri Hollard), Législation musulmane (Nicolas Perron), Philosophie positive (Auguste Comte), Encyclopédie politique (Ivan Golovine), Histoire des croyances et institutions religieuses dans l’antiquité et dans le moyen âge (Cyprien Anot de Maizières), ou encore Science des rapports du physique et du moral (Louis-Augute Clavel)63.
23Le cas d’Ivan Golovine illustre bien, parmi d’autres exemples possibles, la façon dont le Collège de France joue alors le rôle de parlement des sciences alternatif à l’Académie de Cousin64. Dès 1844 ce francophone, exilé à Londres en 1846, avait exposé son projet d’une science politique nouvelle. Socialiste opposé à « la prétention de certains utopistes, de faire un ordre de choses parfait pour des hommes imparfaits », il voulait qu’elle soit une science expérimentale et non spéculative ou idéale. Cette science serait la juxtaposition, sans recherche d’un plan systématique particulier, de tous les savoirs utiles au législateur. La mise en relation de tous les savoirs permettrait de créer une intelligence supérieure, et l’instauration d’un congrès européen dont le centre serait à Paris, cœur de la civilisation permettrait d’instaurer le socialisme universel sous la forme d’un libre échange organisé65. C’est dans la continuité de ces réflexions qu’il propose la création d’une chaire d’Encyclopédie politique au Collège de France au printemps 1848. Celle-ci ne devait pas englober toutes les sciences morales et politiques, mais seulement les mettre en relation. Partisan de la division des sciences comme de celle du travail, Golovine voulait ainsi que l’économie politique devienne une science spécialisée66. En mars 1848, il envisage un congrès européen permanent qui permettrait de créer une république universelle et commerciale67. Chez Golovine, la chaire d’Encyclopédie politique réalise ainsi un projet de science collaborative et européenne hérité de l’abbé Grégoire, et dont l’un des grands promoteurs, sous la Restauration et le début de la monarchie de Juillet, avait été l’éditeur de la Revue encyclopédique, Marc-Antoine Jullien68.
24C’est finalement le nouveau ministre de l’Instruction publique Hippolyte Carnot, et surtout son secrétaire d’État Jean Reynaud, qui imposent au Collège de France leur version des sciences morales et politiques républicanisées69. On sait comment Reynaud commença par abolir les chaires d’Économie politique et de Législation comparée, pour les remplacer par douze chaires gratuites attribuées à diverses personnalités républicaines (dont une à lui-même)70. Le Collège de France, à travers ses intitulés de chaire, devient alors le coeur de la nouvelle science morale et politique, républicaine et encyclopédique, dont Carnot et Reynaud étaient déjà les porteurs, comme hommes de lettres, sous la monarchie de Juillet. Tout d’abord, les cours doivent former un ensemble cohérent : les élèves de l’école administrative ont le titre d’élèves du Collège de France, et à ce titre doivent suivre des cours généralistes dans tous les domaines, en plus de leurs cours administratifs. Reprenant les mots et les arguments qu’avaient déjà utilisés Bursot et Destutt de Tracy sous le Consulat, Reynaud fait ensuite du Collège de France une école d’application pour les sciences morales, sur le modèle de l’École polytechnique71. Selon Reynaud, les intitulés des chaires sont des choix politiques qui ont des conséquences scientifiques. Ils ne doivent pas suivre une logique savante supposée autonome, mais doivent d’abord répondre aux besoins des élèves et à ceux de la nation. C’est pourquoi Reynaud supprime la chaire d’Économie politique vue comme une science spéculative, et crée cinq chaires d’« Économie générale et statistique ». C’est bien une vision du progrès scientifique qui est en jeu, car il s’agit d’enseigner une science qui n’existe pas encore. La science administrative et statistique à laquelle aspire Reynaud, sorte d’économie politique inductive s’opposant à la science déductive consacrée par la monarchie de Juillet, n’est encore qu’un projet, l’expression d’une volonté politique72. Mais les révolutions scientifiques peuvent fort bien commencer par des cours didactiques voulus par le législateur : le Collège de France, souligne Reynaud, a lui-même commencé « par de simples classes de grammaire », et ne s’est tourné vers les cours originaux qu’à mesure que des chaires analogues se créaient ailleurs73.
25L’échec de l’École d’administration marque la fin de la tentative républicaine pour faire du Collège de France une contre-Académie des sciences morales et politiques. Michelet, qui refuse de prêter serment, est exclu de sa chaire en avril 1852. La chaire d’Économie politique de Michel Chevalier est rétablie au même moment. Les conditions sont réunies pour aligner le Collège de France sur l’Académie, dans un contexte où celle-ci est de plus en plus au service du pouvoir : comme l’a montré Corinne Delmas, on y voit se renforcer dans les années 1850 l’emprise de savants qui sont aussi des hommes d’État, et qui cumulent des chaires d’enseignement, des positions académiques et des positions politiques, ou sont établis dans les grands corps comme le Conseil d’État. Comme vers la fin du Consulat, le Collège de France devient un enjeu de conquête pour des grands personnages cherchant à contrôler une spécialité savante. Ainsi Michel Chevalier, qui était déjà maître des requêtes en service extraordinaire, devient en 1852 conseiller d’État en service ordinaire. Il demande alors à avoir un suppléant, Henri Baudrillart. Un conflit l’oppose à l’administrateur et à certains professeurs, qui pensent que ce cumul est illégal en vertu de l’article 6 du décret organique du 25 janvier 1852 sur le Conseil d’État, qui interdit le cumul avec une autre fonction publique salariée. Ce qui est en jeu est la définition de la suppléance : ce qui permettait jusqu’ici aux professeurs de prendre une retraite informelle, devient un moyen de cumuler les fonctions. Logiquement, le ministère tranche en faveur de Michel Chevalier, en évoquant les « précédents » de Guizot, Villemain ou Cousin (sans mentionner toutefois qu’aucun d’entre eux n’avait été professeur au Collège de France74).
26Cette nouvelle situation offre peut-être un contexte pour relire et éclairer différemment le célèbre article de Renan dans la Revue des deux mondes en 1864, qui veut que les chaires du Collège de France reflètent la « science en train de se faire »75. De nombreux éléments du contexte politique immédiat peuvent être évoqués pour comprendre ce texte, ainsi que des dynamiques internes aux études philologiques. Mais nous voudrions proposer une autre lecture. Dans son texte, Renan oppose les sciences mathématiques et physiques qui sont sources de puissance économique et militaire, aux sciences historiques et philologiques. Il ne mentionne jamais l’économie politique, le droit ni aucune science morale, qui sont toutes incluses implicitement dans sa conception large des sciences historiques. Les nouvelles chaires dont il demande la création au gouvernement sont toutes des chaires de « Langue et littérature » : une chaire de Zend, une chaire de Littérature védique, une autre de Langue et littérature celtique. Il ne les limite pas non plus à une étude purement érudite : elles sont une étude des lois du développement de l’espèce humaine, dit-il, « la base des sciences sociales ». Il semble que Renan formule là un modèle possible de sciences morales ancrées dans la recherche philologique et historique, proposition qui permet de relier le Collège de France à l’Académie des inscriptions et belles lettres plutôt qu’à celle des sciences morales et politiques. Il s’agit par-là de défendre un modèle de savant plus « purement savant » qu’un Michel Chevalier.
27Ce modèle historique et philologique lui permet d’éloigner le Collège de France de l’Académie de Guizot, mais également du modèle de l’École d’administration de Destutt de Tracy et de Jean Reynaud. Renan oppose d’ailleurs les établissements de science pure, comme le Collège de France et le Muséum, aux établissements de science appliquée comme l’École polytechnique. Il s’agit aussi de s’écarter de l’idéal encyclopédique : si le Collège de France se consacre à la science en train de se faire, il est inutile de chercher à offrir des enseignements portant sur tous les domaines, et qui formeraient un système. « Il ne faut pas s’obliger ici à des symétries imaginaires, ni tenir à ce que toutes les branches de l’enseignement soient représentées76. » C’est donc contre la science morale encyclopédique autant que contre la science morale libérale que Renan élabore son modèle. Finalement on peut interpréter le texte de Renan et sa théorie des chaires, comme une tentative pour s’extraire de l’espace épistémologique et politique des sciences morales, ou plutôt pour le recréer et mettre à nouveau le Collège de France en concurrence avec l’Académie des sciences morales et politiques.
Notes de bas de page
1 Damamme, 1982 ; Leterrier, 1995 ; Delmas, 2006 ; Chappey, Christen, Moullier (dir.), 2014.
2 Vincent, 2007 ; Vincent, 2016.
3 Cunningham et Williams, 1993 ; Staum, 1996 ; Chappey, 2014 ; Chappey, 2015.
4 Garnier, 1789, p. 21 (contrairement à l’habitude, nous datons ce texte de janvier 1790).
5 Ibid., p. 25-26.
6 Nicolas Joseph Sélis (pseud. Joseph Dubois), Lettre au citoyen La Harpe sur le collège de France, Paris, C.-J. Gelé, 1792.
7 Ces divisions renvoient principalement aux effets du schisme qui divise l’Église catholique à partir de 1791 (lié au refus d’une partie des écclésiastiques – les réfractaires – de prêter serment à la Constitution civile du clergé), une crise qui explique la suppression de la chaire du Droit canon et le retrait de plusieurs professeurs : Garnier (chaire d’Histoire et morale) est remplacé par Pierre Charles Levesque ; P. S. Lourdet (chaire d’Hébreu), par Jean-Baptiste Lefèbvre de Villebrune et Jean-François Vauvilliers (chaire de Grec) par Jean-Baptiste Gail.
8 Baczko, 1989.
9 Archives nationales, F/17/3855.
10 7 CDF 4, pièce 8. Selon le registre de présence, le cours de Corvisart en l’an VII est suivi par 124 étudiants (les premiers signataires sont Anthelme Richerand et Jean-Baptiste Bignon).
11 2 CDF 3-3. Copie de registres d’assemblée et du Journal de Lalande pour la période 1789-1800, p. 33.
12 Ibid.
13 Archives nationales, F/17/3855.
14 Azouvi, 1992 ; Chappey, 2006.
15 Comme celles de Bernard Lambert, La Vérité et la sainteté du christianisme, vengées contre les blasphèmes et les folles erreurs d’un livre intitulé : Origine de tous les cultes, ou, Religion universelle par Dupuis […], Paris, Le Clère, an IV/1796.
16 Archives nationales, F/17/1055, d. 4, pièce 13.
17 Pauvros, 2013.
18 Gainot, 2001.
19 Chappey, 2004.
20 « Extrait du procès-verbal de la séance du 16 pluviôse an VIII/5 février 1800 », publié dans Antoine Destutt de Tracy, Œuvres complètes. Premiers écrits sur l’éducation et l’instruction publique, Claude Jolly (éd.), Paris, Vrin, 2011, p. 193.
21 Membre du Conseil d’État, Fourcroy est spécialement chargé des questions relatives à l’instruction et à l’enseignement. Remplaçant Pierre-Louis Roederer au poste de directeur de l’Instruction publique, il donne son nom à la loi du 11 floréal an X/1er mai 1802 qui supprime les écoles centrales et crée les lycées.
22 Archives nationales. F/17/13553. Collège de France – demandes de création de cours.
23 Chappey, 2014 ; id., 2013.
24 Chappey, 2001.
25 Mémoire tendant à faire établir deux chaires au Collège de France ; l’une d’analyse de l’esprit humain et l’autre de langue française, par [Jules Michel] Duhamel, professeur de grammaire à l’École centrale du Panthéon, Paris, Desray, germinal an X (1802).
26 Ibid., p. 22-23.
27 Antoine-Louis-Claude Destutt de Tracy, Éléments d’idéologie, Logique, Paris, Courcier, 1805, p. 366-367.
28 La Décade philosophique, an XII/1803, 1er trimestre, p. 435.
29 Lefranc, 1893, p. 326.
30 On le voit en examinant la trajectoire des deux successeurs de Dupuis sur la chaire d’Éloquence latine. Avant d’être nommé en 1809, Pierre-Antoine Guéroult, éditeur de Cicéron, avait été élève de l’École normale de l’an III avec son frère aîné Pierre-Claude-Bernard, puis chargé de la censure théâtrale sous le Directoire. Il s’était ensuite rallié à l’Empire en devenant professeur au lycée Napoléon. Son frère, auteur d’une Grammaire française à l’usage des lycées et des écoles secondaires (1806), devient membre du Conseil de l’Université en 1808, puis directeur du « pensionnat normal » (ancêtre de l’école normale supérieure) en 1810. Le successeur de Pierre-Antoine Guéroult en 1817, Jean-Louis Burnouf, est également un ancien professeur de lycée sous l’Empire. Enseignant à l’École normale à partir de 1810, il publie une Méthode pour étudier la langue grecque en 1813, manuel qui manquait (alors qu’il existait des grammaires latines et françaises) et qui fit l’objet de nombreuses adaptations par les professeurs de lycée pendant la première moitié du xixe siècle. Dans cette méthode, qu’il expliquait avoir écrite à partir de ses cours aux élèves de l’École normale et à la demande de Claude-Bernard Guéroult, il évoque la grammaire de Port-Royal et les exemples allemands, mais ne fait aucune référence à la grammaire générale des républicains. Devenu professeur au Collège de France, il ne se désintéresse pas de ce travail, met à jour sa grammaire et en écrit une autre, sur la langue latine, en 1838. Par ailleurs, dans ses travaux au Collège de France, il établit des éditions de Cicéron, Tacite ou Pline le Jeune, qui contribuent à renouveler le corpus des études au lycée.
31 Pierre-Charles Levesque, Études de l’histoire ancienne et de celle de la Grèce : de la constitution de la république d’Athènes et de celle de Lacédémone ; de la législation, des tribunaux, des moeurs et usages des Athéniens ; de la poésie, de la philosophie et des arts chez les Grecs, Paris, Fournier frères, 5 vol., 1811.
32 Pierre-Charles Levesque, Histoire critique de la République romaine, 3 vol., Paris, Dentu, 1807. C’est le sous-titre de l’ouvrage.
33 Ibid., p. xxxiv.
34 Mazon, 1963 ; Staum, 1996, p. 145-146 ; Somov, 2002.
35 Schreiber, 2010.
36 7 CDF 6-16 (auditeurs de la chaire d’Histoire et morale 1808-1841). On identifie notamment William Duckett, fils d’un traducteur irlandais pour le compte du Comité de salut public, le Suisse Jacques-Julien Dubochet, futur éditeur et proche de Thiers, le saint-simonien Étienne Desprat, et plusieurs étudiants en droit : Édouard Servan de Sugny, un protégé de La Rochefoudault-Liancourt, Casimir Delzers, futur député sous la Monarchie de Juillet.
37 Pierre Claude François Daunou, « Discours d’ouverture du cours d’histoire prononcé au Collège royal de France, le 13 avril 1819 », in Cours d’études historiques, vol. 1, Paris, Firmin Didot frères, 1842, p. xxii.
38 Bergheaud, 1985 ; Hassler, 2005.
39 Jean-Baptiste-Antoine-Aimé Sanson de Pongerville, Notice sur la vie et les ouvrages de M. J. F. Thurot, Paris, Typographie de A. Pinard, 1833, p. 7-8.
40 François Thurot, De l’entendement et de la raison : Introduction à l’étude de la philosophie, Paris, A. André, 1830 ; Jean-François Thurot, Œuvres posthumes de M. Fr. Thurot. Leçons de grammaire et de logique. Vie de Reid, Paris, Hachette, 1837.
41 Pierre-Claude-François Daunou, Notice sur la vie et les ouvrages de M. François Thurot, Paris, H. Fournier, 1833, p. xix-xxi, xxviii.
42 Ibid., p. xl-xli.
43 Pierre-Louis Lacretelle, Fragments politiques et littéraires, Paris, Foulon, 1817, p. 261.
44 François Guizot, Des moyens de gouvernement et d’opposition dans l’État actuel de la France (1821), Paris, Belin, 1987 ; Rosanvallon, 1985.
45 Revue encyclopédique, vol. 36, octobre 1827, p. 517.
46 Courrier des tribunaux, 15 novembre 1827.
47 Il en tirera son dernier ouvrage : André-Marie Ampère, Essai sur la philosophie des sciences : ou, Exposition analytique d’une classification naturelle de toutes les connaissances humaines, 2 vol., Paris, Bachelier, 1834 et 1843.
48 Le long manuscrit de ce mémoire est publié dans Jules Barthélémy Saint-Hilaire, La Philosophie des deux Ampère, Paris, Didier, 1866. Sur la pensée philosophique d’Ampère, voir la synthèse de Robert Locqueneux (2008).
49 A.-M. Ampère, Essai…, op. cit., vol. 1, p. xi : « J’achevai, dès le printemps de l’année 1830, pour les sciences que j’appelle cosmologiques, c’est-à-dire, relatives à tous les êtres matériels dont l’univers est composé, une classification à peu près semblable à celle que je publie aujourd’hui. Ce ne fut que quelque temps après, dans le courant de la même année, que je songeai à classer aussi les sciences relatives à l’étude de la pensée et des sociétés humaines, désignées dans cet ouvrage sous le nom de sciences noologiques. »
50 Archives nationales, F/17/13556 et F/17/13551 (procès-verbaux des professeurs du Collège de France, 5 décembre 1830).
51 Jean Louis Eugène Lerminier, Dix Ans d’enseignement, Paris, Gosselin, 1839, p. 7.
52 Bensaude-Vincent, 2013.
53 Jules Michelet et Edgar Quinet, Des Jésuites, Paris, Hachette, Paulin, 1843.
54 Revue indépendante, vol. 7, 10 avril 1843, p. 433-434.
55 Ibid., p. 442.
56 2 AP 5, assemblée des professeurs.
57 Sur Pierre Leroux, voir la bibliographie du site de l’Association des Amis de Pierre Leroux : http://www.amisdepierreleroux.fr/bibliographie/04etudesgenerales.htm – consultée le 3 août 2015.
58 Revue indépendante, vol. 7, 10 avril 1843, p. 455-456.
59 Aramani et Bourdeau, 2015.
60 Aramini, 2014.
61 Séances et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques. Compte rendu par MM. Ch. Vergé et Loiseau, dir. M. Mignet, deuxième série, t. I, Paris, administration du compte rendu de l’Académie des sciences morales et politiques, 1847, p. 60.
62 Ernest Legouvé, Jean Reynaud, Paris, Charpentier, 1864, p. 105.
63 Archives nationales, F/17/15353 et F/17/15354.
64 Šliwowska, 1970.
65 Ivan Golovine, Science de la politique, Paris, Didot frères, 1844, p. 2-6, 15-16 ; sur le socialisme comme science déductive, voir Rignol, 2014.
66 Ivan Golovine, Des économistes et des socialistes, Paris, Didot, Cappelle, 1845, p. 36-37.
67 Ivan Golovine, L’Europe révolutionnaire, Paris, Capelle, 1849, p. xi, 198-199.
68 Revelli, 2009.
69 Griffiths, 1965 ; Thuillier, 1983.
70 Sur les réformes de Jean Reynaud, voir Griffiths, 1965 ; Thuillier, 1983 ; Wright, 1976 ; Potin, 2015.
71 Documents officiels sur l’école d’administration fondée par le gouvernement ou Guide de l’aspirant au titre d’élève du Collège de France, Paris, Librairie élémentaire d’Eugène Ducrocq, 1848, p. 34-38.
72 L’opposition à l’économie politque déductive, au nom d’une économie statistique et inductive, n’est en rien le monopole des républicains ni des socialistes : sur ce point voir Goldman, 1983.
73 Ibid., p. 10.
74 16 CDF 70, lettre du ministre Fortoul, le 21 avril 1852 : « Je n’hésite pas à penser, Monsieur l’Administrateur, que l’incompatibilité prononcée par cet article ne s’applique pas aux chaires du haut enseignement. Jusqu’à la loi du 3 mars 1849, ces chaires ont été laissées en dehors des règles établies pour les autres emplois, en ce sens que la possession en a été jugée compatible avec toutes les autres fonctions, même les plus élevées. Sans parler des professeurs de la Faculté des Lettres qui, comme MM. Guizot, Villemain, Cousin, ont conservé leurs chaires en devenant ministres, de nombreux exemples attestent qu’à toutes les époques, les professeurs du haut enseignement appelés à des fonctions administratives sont demeurés titulaires de leurs chaires ».
75 Renan, 1864.
76 Ibid., p. 90.
Auteurs
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Jean-Luc Chappey
Jean-Luc Chappey est maître de conférences habilité à diriger les recherches en histoire moderne à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, membre de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (CNRS UMR 8066). Ses recherches portent sur l’histoire des mutations politiques et intellectuelles, en France et en Europe, entre 1770 et 1820.
Il est notamment l’auteur d’Ordres et désordres biographiques. Dictionnaires, listes de noms et réputation des Lumières à Wikipedia, Seyssel, Champ Vallon, « La Chose publique », 2013 et, avec Bernard Gainot, de l’Atlas de l’Empire napoléonien, Autrement, 2015 (rééd.). -
Julien Vincent
Julien Vincent est maître de conférences en histoire des sciences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, et chercheur à l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (UMR 8066 CNRS/Paris I/ENS).
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