Le Collège de France en situation coloniale ?
Autour de quelques chaires (fin xixe-début xxe siècle)
p. 197-221
Texte intégral
1Aujourd’hui encore, la référence à Ernest Renan semble indépassable pour tous ceux qui souhaitent évoquer l’identité du Collège de France dans le paysage de l’enseignement supérieur. C’est ainsi que l’extrait d’un texte publié en 1868 est repris à l’envi pour imprimer le caractère – pour ne pas dire l’esprit – de cet établissement de science pure, libre et désintéressée : le lieu de la science « en voie de se faire »1. Toutefois, personne ne semble avoir retenu la comparaison troublante que Renan établit pourtant dans la même page : « S’il était permis de comparer des choses aussi différentes par leur nature, je dirais que le Collège, aux bonnes époques, a été à l’Université ce que les anciennes colonies des Etats-Unis ont été pour l’Angleterre, un asile ouvert à tout ce qui ne se trouve point à l’aise dans la mère patrie2. »
2Pour incarner la situation du Collège, Renan a donc choisi une représentation spatiale et politique, celle des rapports problématiques entre métropole et colonies. L’indépendance de l’établissement est à l’image de celle des colonies qui, « distinctes, en apparence sans lien les unes avec les autres, arrivent à constituer par la liberté un ensemble harmonieux »3. Le choix d’une telle comparaison n’est pas anecdotique et s’inscrit dans une série de remarques que Renan déploie sur les lieux de la science4. Mais, pour ses successeurs, il est sans doute apparu trop contradictoire de fonder un discours sur l’étanchéité du Collège à toute hétéronomie politique, en usant d’une image sur l’indépendance du plus célèbre des territoires coloniaux britanniques.
3En examinant les relations entre le Collège de France et le fait colonial, je ferai preuve de moins d’audace métaphorique que Renan. Il s’agira de montrer ici que le Collège ne fait pas exception et que, comme tout autre lieu de science à la même époque, les relations avec le monde colonial ont suffisamment de poids pour apparaître dans les débats à propos du choix des chaires et des candidats. « L’atelier des intitulés » pourrait naturellement nous conduire à envisager la question de ces relations à travers le petit nombre de chaires pour lesquelles le titre comprend une référence directe à l’examen du fait colonial. Ce lien est ainsi affiché pour la chaire d’Histoire coloniale créée en 1921 ou encore celle de Médecine coloniale5 en 1923 (figure 8, p. 218). Une autre approche pourrait se concentrer sur les chaires dont les financements dépendent directement d’administrations ou d’entreprises coloniales (figure 9, p. 219).
4Cependant, saisir ainsi la relation entre une institution d’enseignement supérieur et les intérêts politiques ou économiques coloniaux reviendrait à ignorer le renouvellement historiographique qui fait suite aux études postcoloniales et aux débats méthodologiques à leur sujet. Depuis les années 2000, l’accent a été ainsi mis sur le concept de « situation coloniale ». Appliquée au domaine de l’histoire des sciences, il permet notamment de déconstruire des oppositions catégorielles qui ont pu voir le jour à cette période, entre des sciences « coloniales » et d’autres qui ne le seraient pas et répondraient ainsi aux canons de la science « désintéressée ». Comme l’a montré l’historien Simon Schaffer, l’astrophysique, elle-même, est confrontée à la situation coloniale lorsque l’administration de la preuve d’une théorie repose sur les observations faites dans un observatoire de l’Inde colonisée où les calculateurs sont indigènes6. Le concept de « savoirs situés », et spécifiquement de « savoirs en situation coloniale », nous conduit donc à envisager la production scientifique à travers ses pratiques et dans le cadre de circulations complexes, notamment entre les lieux de l’empire. Dans une telle perspective historiographique, examiner le Collège de France en situation coloniale constitue un programme de recherche qui dépasse très largement le cadre de cet article.
5De manière beaucoup plus modeste, nous avons choisi ici deux dossiers, concernant uniquement les sciences sociales, qui mettent différemment en jeu l’intitulé des chaires. À rebours d’un choix méthodologique qui pourrait paraître évident, il s’agira d’examiner deux cas qui n’apparaissent pas dans les tableaux synoptiques des créations de chaires dites « coloniales », en essayant de mettre au jour les interactions entre savoirs et pratiques politiques dans le cadre de réseaux coloniaux dont les configurations et les motivations sont plus complexes qu’il n’y paraît.
Localiser un enseignement colonial général : une chaire de « Science coloniale » au Collège (1897) ?
6En décembre 1897 avorte le projet d’une chaire de « Science coloniale » au Collège de France. Le dossier conservé par l’institution comprend peu d’informations dans la mesure où ce projet de création lui échappe presque complètement. On connaît néanmoins l’avis de la majorité des professeurs par l’intermédiaire de la voix de l’administrateur, Gaston Paris. En effet, dans un contexte budgétaire tendu, la Chambre des députés a invité le ministre de l’Instruction publique à demander à la Commission de révision des traitements des Facultés de se prononcer rapidement sur ce dossier, et Gaston Paris a été convié à y participer7. Il précise ainsi que si tous les professeurs reconnaissent l’intérêt de créer un tel enseignement, la grande majorité d’entre eux pense qu’« une telle création ne rentrerait pas dans l’esprit du Collège de France, dont le but est la recherche et le progrès de la science pure »8. L’argument central est ainsi qu’un tel enseignement est de nature pratique et doit toucher d’abord les jeunes gens là où ils sont, c’est-à-dire principalement à l’École coloniale et à l’Université.
7Avant même la tenue des débats, cette position a été relayée dans le journal Le Temps. L’article – anonyme – présente le Collège comme un lieu de « la culture absolument désintéressée de la haute science et de la science en formation » et souligne le problème qu’il y aurait d’y introduire « des enseignements à tendances utilitaires ». La « science coloniale » y est définie comme « une science de vulgarisation, se prêtant aux applications les plus variées et les plus immédiates ». L’article conclut : « Que le crédit proposé soit affecté à l’École coloniale ; qu’on y expose sous tous ses aspects la science coloniale et que le Collège de France reste le Collège de France, c’est-à-dire un sanctuaire scientifique qui est une des forces et une des gloires de la patrie9. » Dans cette défense de la tour d’ivoire, Gaston Paris déploie, en commission, sa critique d’un intitulé qui serait vague et réfute ainsi le fait qu’il y ait une science coloniale. Il fait également état du manque total de locaux pour accueillir un tel enseignement s’il venait à être créé. Mais surtout, il n’omet pas de rappeler le mécontentement de l’assemblée des professeurs : « L’esprit du Collège de France se trouve d’ailleurs détourné de ses voies originelles : de nouvelles chaires ont été créées qui n’étaient pas demandées, d’autres étaient sollicitées qui n’ont pas été créées10. »
8En effet, le 31 juillet 1897, le Collège a été déjà obligé d’accepter la création de la chaire de Philosophie sociale et la nomination de Jean-Bernard Izoulet, ancien secrétaire particulier de Paul Bert11. Les décrets de création et de nomination datent du même jour, signe que l’assemblée des professeurs n’a pas eu son mot à dire sur le choix du candidat12. La situation n’est pas exceptionnelle et Christophe Charle place d’ailleurs cet épisode dans une série d’autres qui montrent l’ingérence directe des cabinets ministériels républicains centristes dans les nominations de l’enseignement supérieur à la fin du xixe siècle, dans le but de donner délibérément un tournant social à l’enseignement supérieur, tout en luttant contre l’influence des idées de la gauche radicale13.
9En fait, dans cette affaire de chaire de Science coloniale, le gouvernement soutient une initiative parlementaire présentée dans le cadre de l’examen du budget de l’Instruction publique par la Chambre des députés en novembre 1897. La proposition de l’ajout d’une nouvelle ligne budgétaire de 10 000 francs par an pour la création d’un poste au Collège de France est un amendement porté par le prince d’Arenberg14. Ce dernier est depuis longtemps particulièrement actif sur les questions coloniales, préside le Comité de l’Afrique française et, depuis 1896, la Compagnie universelle du canal de Suez. Il est l’un des leaders du groupe colonial à la Chambre, c’est-à-dire un groupe de députés issus de divers horizons politiques et soutenant des intérêts coloniaux. Lors du débat parlementaire, le ministre Alfred Rambaud rappelle ainsi que ce projet est signé « de soixante-dix ou quatre-vingt de nos collègues »15, c’est-à-dire à peu près le périmètre du « Parti colonial », et le président de l’assemblée cite en fait les noms des 69 députés signataires de l’amendement parmi lesquels les leaders du groupe : Théophile Delcassé (ancien ministre des Colonies, 1894), Eugène Étienne (député d’Oran et ancien sous-secrétaire d’État aux Colonies), Émile Chautemps (ministre des Colonies de 1893 à 1895), Charles Jonnart (ancien membre du cabinet du Gouvernement général de l’Algérie). Cependant cette proposition, si elle est activement soutenue politiquement, n’est pas sans fondement scientifique.
10C’est un document postérieur qui permet ainsi de dessiner plus largement le réseau dans lequel le projet avait été forgé. Lors d’une session de l’Institut colonial international de 190316, on apprend à l’occasion de la discussion d’un rapport sur l’enseignement colonial général signé par le géographe Henri Froidevaux17, que le projet de chaire de Science coloniale au Collège était porté par Joseph Chailley-Bert18. Les deux frères Chailley sont les gendres de Paul Bert, et les liens de fidélité entre les familles sont tels que Joseph Chailley a pris le nom de son beau-père. Il en a été le chef de cabinet lorsque celui-ci a été nommé premier résident général du Tonkin et de l’Annam en 1886. En 1893, il est un des fondateurs de l’Union coloniale française et le secrétaire général de son journal La Quinzaine coloniale19. Chailley-Bert est ainsi un défenseur de la République centriste à laquelle il a rendu des services politiques, mais aussi un ardent défenseur du rôle de la science positive dans les fondements de celle-ci. Spécialiste du droit et développant ses relations avec les sciences politiques et économiques, il est l’une des figures qui militent pour une approche résolument scientifique des problèmes coloniaux.
11Chailley-Bert veut « faire entrer désormais la politique coloniale dans la science »20. Pour parvenir à cet objectif, il a fondé en 1894, aux côtés de plusieurs spécialistes libéraux de la colonisation, britanniques, belges et néerlandais, l’Institut colonial international défini par ses statuts comme « une association exclusivement scientifique »21. Dans ce cadre, il envisage la coproduction internationale du savoir scientifique sur les territoires coloniaux, qui en passe par le développement des travaux comparatistes dans toutes les matières qui intéressent la colonisation, et tout particulièrement le droit comparé. À partir de 1896, il enseigne lui-même la « colonisation comparée » à l’École libre des sciences politiques et s’intéresse notamment aux problèmes de l’irrigation et du droit de l’eau22. Par ses statuts, l’Institut colonial international rassemble donc des hommes politiques comme Auguste d’Arenberg, des administrateurs comme Camille Jansen, ancien gouverneur du Congo belge, et des savants et universitaires de renommée internationale. Dès 1894, Paul Leroy-Beaulieu, auteur de De la colonisation chez les peuples modernes, et Émile Levasseur, tous deux professeurs au Collège de France, ont rejoint l’Institut colonial international comme membres actifs. Il est donc vraisemblable qu’ils aient pu défendre le projet d’une chaire au sein du Collège23.
12C’est donc dans ce contexte d’une « construction transnationale d’une science de la colonisation »24 que l’on doit examiner la portée des arguments épistémologiques avancés lors de la Commission. Adhémar Esmein25, alors professeur de droit constitutionnel, s’allie à Gaston Paris. D’une part, tout deux mettent l’accent sur le fait que l’on ne peut parler de « science constituée » et, d’autre part, sur le fait qu’il s’agit plutôt de sciences constituées comme la géographie, la science juridique ou encore la médecine qui, chacune, contribue légitimement à la connaissance du domaine colonial. D’un point de vue théorique, les membres de l’Institut colonial international débattent eux aussi de cette question en des termes semblables jusqu’au début du siècle suivant. Autour de Chailley-Bert, les spécialistes libéraux de la colonisation s’entendent sur une définition de la « science coloniale » comme une spécialisation de l’économie politique naissante. Ils ne prétendent pas à l’existence d’une science nouvelle, mais à l’intégration à venir d’un certain nombre de spécialités en cours de constitution. Le terme de « doctrine » employé par certains d’entre eux montrent les liens profonds qu’ils entretiennent avec les disciplines juridiques26 : la doctrine est précisément pour eux la réflexion critique et indépendante sur une règle ou situation.
13Alors même que Gaston Paris voudrait se défendre contre l’établissement au Collège d’une science encore mal définie, Arenberg insiste sur ce point en citant fort habilement devant la Chambre le discours d’Ernest Renan qui légitimerait une telle localisation : « “Loin de faire double emploi avec l’Université, le Collège de France répond à des besoins d’un autre ordre et qui tiennent si profondément aux progrès de l’esprit humain que la manière plus ou moins fidèle dont il remplit sa mission peut être prise comme mesure du développement scientifique à un moment donné.” Et il ajoutait : “À côté des établissements où se garde le dépôt des connaissances acquises, il est nécessaire qu’il y ait des chaires indépendantes où s’enseignent non les branches de la science qui sont faites mais celles qui sont en voie de se faire”. » Le Collège serait ainsi « un endroit unique au monde où l’on enseigne ce que l’on ne peut pas enseigner ailleurs »27.
14Dans les débats conduits par l’Institut colonial international en 1903, les intervenants reviennent sur les différents types d’enseignements coloniaux en distinguant clairement leurs objectifs : d’une part, l’enseignement colonial administratif et technique qui est représenté par l’École coloniale, d’autre part, l’enseignement colonial adressé aux indigènes, et enfin, l’« enseignement colonial général », qui serait « désintéressé », adressé surtout à ceux qui restent en métropole et destiné à faire de celui qui l’a reçu un « honnête homme ». Froidevaux pose alors immédiatement la question de l’utilité sociale d’un tel enseignement : « il faut un enseignement colonial qui descendra de la chaire magistrale à la bourgeoisie et qui s’enfoncera peut-être ensuite plus profondément encore »28. Pour ses promoteurs, l’idée d’une chaire de Science coloniale ne se confond donc pas avec l’enseignement colonial pratique donné à l’École coloniale, et sa localisation doit se faire dans un haut lieu de la science pure, tel que le Collège défini par Gaston Paris, pour des raisons de légitimation et de diffusion à l’intérieur des corps sociaux et politiques des nations colonisatrices. Alors qu’en 1897 un certain nombre des membres de l’Institut colonial international enseignent déjà dans des établissements d’enseignement supérieur et que certaines spécialités coloniales y sont d’ores et déjà représentées, le projet de créer une chaire au Collège de France semble donc plutôt lié à l’avantage symbolique qu’il y a aurait à tirer de cette position spécifique.
15Finalement, c’est dans les rapports de force au sein du monde universitaire français des juristes, et dans le contexte de la naissance de l’économie politique comme spécialité académique, qu’il convient sans doute de chercher les véritables explications de l’échec de cette proposition. Au tournant du siècle, la relation entre doctrine juridique et science politique se développe notamment à l’École des sciences politiques, et est incarnée par la création d’une nouvelle Revue de droit public et de science politique en France et à l’étranger en 1894. Cette revue propose dès son premier volume un article intitulé « Le problème colonial : assujettissement, autonomie ou assimilation » signé par Arthur Girault, alors chargé de cours à la faculté de droit de Poitiers, qui reprend notamment des analyses de Paul Leroy-Beaulieu sur les régimes de gouvernement. La recomposition institutionnelle des sciences juridiques n’est donc pas sans lien avec la critique d’Adhémar Esmein : « Peut-on dire qu’il y a une science de la colonisation, alors que les bases scientifiques de l’économie politique sont encore l’objet de recherche et de discussions ? »
16Selon Pierre Singaravélou, l’institutionnalisation des « sciences coloniales » résulte de la bataille que se livrent les grandes écoles françaises pour former les élites administratives coloniales depuis la création du statut d’administrateur civil des colonies, recruté par concours (figure 10, p. 220)29. Les spécialistes libéraux de l’économie politique critiquent âprement l’école coloniale et défendent l’école libre des sciences politiques où beaucoup d’entre eux enseignent ou ont enseigné tels Chailley-Bert ou Leroy-Beaulieu. Par ailleurs, l’économie politique se développe également à la faculté de droit, mais avec des moyens financiers et institutionnels encore très limités. À cette époque, le cours de législation et d’économie coloniale créé depuis près de dix ans n’est pas une chaire.
17Les débats de 1897 montrent qu’un bras de fer s’engage alors entre les plus fervents opposants à la chaire de science coloniale au Collège et le ministère de l’Instruction publique. À la Chambre, Jules Léveillé, professeur de droit à Sorbonne qui a laissé le cours de législation et d’économie coloniale pour devenir député de la Seine (1893-1898), et, dans la Commission de révision des traitements, Adhémar Esmein, multiplient les interventions qui visent à utiliser la nouvelle ligne budgétaire de 10 000 francs afin de renforcer la position du droit et de l’économie politique coloniale à l’Université. Le directeur de l’Enseignement supérieur, Louis Liard, rappelle d’ailleurs d’entrée de jeu lors de la Commission que le problème est de savoir s’il faut payer mieux le personnel déjà en poste et qui n’a pas été promu malgré son dévouement, ou utiliser le budget pour créer de nouvelles chaires. En 1897, l’arbitrage est finalement rendu en faveur de la faculté de droit par la transformation du cours en chaire de Législation coloniale, même si, pour sauver la face, la position officielle du ministère est de défendre le projet d’Instituts universitaires coloniaux, sans privilégier une faculté en particulier, ni créer de grade spécifique qui concurrencerait l’École coloniale30.
18En 1897, l’échec de la création d’une chaire de Science coloniale au Collège résulte donc d’un arbitrage budgétaire conjoncturel au sein du réseau des établissements d’enseignement supérieur en compétition pour le monopole de l’enseignement colonial. Si l’argument de la préservation du « sanctuaire scientifique » a été avancé par Gaston Paris, cet échec renvoie sans doute plus à une résistance sourde face à des pratiques politiques intrusives – la seconde chaire que le gouvernement voudrait imposer en quelques mois – qu’à un rejet idéologique du fait colonial31. En 1902, le gouvernement qui s’inquiète alors du manque d’expertise en matière de sociétés musulmanes n’hésitera pas à créer et le cours de géographie de la colonisation et de l’Afrique du Nord à la Sorbonne pour Augustin Bernard, et la chaire de Sociologie musulmane d’Alfred Le Châtelier au Collège. L’un a des titres académiques, l’autre pas. Les deux défendent des positions légèrement différentes concernant la politique musulmane qu’il conviendrait de mener au Maroc, positions que l’on pourrait qualifier de « libérales » dans la mesure où elles portent une attention particulière aux conditions de vie des populations indigènes32. Les institutions universitaires n’auront pas leur mot à dire sur le choix des intitulés, ni des titulaires, financés avec un dispositif semblable par les gouvernements coloniaux33. Ces liens étroits entre universitaires et demande politique d’expertise coloniale ne sont d’ailleurs pas des pratiques propres à l’empire français34.
Par-delà les intitulés de 1911-1912 : itinéraires et réseaux des candidats
19Entre la fin de l’année 1911 et le début de 1912 ont lieu les débats et les élections concernant quatre supports de chaires libérées par trois décès et un départ en retraite. Le 12 novembre 1911, l’assemblée des professeurs déclare ainsi vacantes les chaires d’Anatomie générale de Louis Ranvier, d’Histoire naturelle des corps inorganiques d’Auguste Michel-Lévy, de Géographie, histoire et statistique économiques d’Émile Levasseur et celle de Géographie historique de la France d’Auguste Longnon35. Le Collège est alors littéralement submergé de propositions : une trentaine ; tant et si bien que les professeurs décident à la fin de l’année 1911 de les traiter non pas individuellement, mais par groupes thématiques. Huit groupements sont alors attribués à huit rapporteurs qui examinent ensemble et évaluent les avantages respectifs des propositions dans des domaines de savoirs considérés comme connexes (figure 11, p. 221)36.
20Ces regroupements mettent en lumière l’émergence de nouvelles disciplines en voie d’institutionnalisation. La géographie humaine est rapprochée de la démographie, alors que l’institutionnalisation de l’économie politique et ses relations avec les sciences sociales voit fleurir plusieurs propositions regroupées sous l’appellation « Doctrines économiques et sociales ». Des débats sont donc susceptibles de s’engager, au sein des groupements entre des conceptions différenciées, et entre groupements, reflétant ainsi les discussions scientifiques en cours entre les candidats. Ainsi, en 1909, François Simiand a signé une critique acerbe concernant les thèses des élèves de Vidal de La Blache, qui analysait la « défaite » de la géographie humaine comme science explicative face aux propositions théoriques et méthodologiques de la sociologie – cette critique épargnant néanmoins Jean Brunhes et son article « Qu’est-ce que la géographie humaine ? »37.
21À la rentrée de janvier 1912, l’assemblée des professeurs statue d’abord sur deux chaires qui se rapportent respectivement à la géologie et à l’anatomie, et ajourne jusqu’à la prochaine réunion le débat contradictoire sur toutes les autres candidatures, c’est-à-dire celles qui sont afférentes aux sciences humaines et sociales. Jacques Flach, spécialiste de l’histoire du droit comparé et ancien enseignant à l’École libre des sciences politiques, prend néanmoins déjà fait et cause pour la géographie humaine ; mais sa proposition de transformer la chaire de géologie en chaire de géographie ne reçoit que peu de voix38. La séance suivante fait alors émerger trois pôles autour desquels se focalisent les discussions : la géographie humaine, les sciences économiques et sociales, et le groupe rassemblant l’histoire de la marine et l’histoire hors d’Europe (Amérique du Sud, Afrique du Nord). La proposition d’une chaire de Psychologie pathologique appliquée à l’histoire des religions a été rapidement évincée par le rapporteur ; celle d’Henri Berr concernant la synthèse historique, malgré le soutien d’Henri Bergson et Joseph Bédier, semble recueillir peu d’adhésions. Par ailleurs, l’assemblée choisit de discuter ensemble les propositions de deux groupes qui avaient été au départ séparés : « histoire économique et sociale » et « doctrines économiques et sociales ».
22En présentant son projet de chaire de Géographie humaine, Jean Brunhes vise principalement la transformation de la chaire d’Émile Levasseur anciennement intitulée « Géographie, histoire et statistique économiques ». Au cours de l’été, il a reçu le soutien de Camille Jullian pour porter devant l’assemblée des professeurs cette transformation : « J’estime comme vous que le Collège de France doit faire une part à la géographie, et surtout à la géographie nouvelle qui est la vraie, qui est la vôtre, et pour laquelle vous ignorez peut-être la campagne que j’ai menée depuis 1899 dans la revue des Études anciennes39. » Cependant, avec le décès de Longnon, Brunhes peut aussi prétendre à la transformation de la chaire de Géographie historique de la France en « géographie humaine ». Quelques années plus tôt, Paul Vidal de La Blache avait obtenu à la Sorbonne une transformation similaire de la chaire d’Auguste Himly. Dans ce double objectif, il a rédigé en 1911 la présentation de son opuscule Titres et Travaux dans lequel il reprend exhaustivement la moindre de ses publications. Il rappelle ainsi ses contributions engagées en matière d’économie mutualiste et dévoile même l’anonymat ou le caractère plus confidentiel de publications sur la colonisation, tout en soulignant aussi leur dimension historique :
En fait de problème de géographie humaine, un certain nombre de travaux de l’auteur, dont on trouvera plus loin l’indication détaillée, se rapportent spécialement à la question primordiale de la colonisation ancienne et moderne : il s’agit de l’irrigation. Les conditions géographiques, les modes et les organisations de l’irrigation ont été examinés de près et sur place en Espagne, dans l’Algérie-Tunisie et en Égypte (voir n° 16, 19, 56, 75, et surtout dans les deux volumes 32 et 83). L’auteur s’est aussi occupé des entreprises et des modalités de l’irrigation aux États-Unis (3 et 55), à Java et dans le Limousin (44).
Dans les n° 28, 57, 62, 108, etc., sont abordés des faits encore plus complexes de colonisation.
23Brunhes revendique ainsi, d’une part, une approche de géographie historique des questions de l’irrigation dans les régions arides, et d’autre part, une proximité avec l’économie politique concernant des questions coloniales les plus diverses : développement de l’agriculture en Tunisie, organisation de l’administration coloniale au Congo, statut de la femme indigène, approches géographiques qui incluent le domaine de la législation avec des perspectives comparatives. Il insiste ensuite sur la portée de ses travaux concernant les problèmes économiques, commerciaux et techniques portant notamment sur les voies de circulations à travers les Alpes. Cette candidature est ainsi un moment où il insiste sur son appartenance à des réseaux scientifiques coloniaux, tout particulièrement avec la référence 83 publiée sous l’égide de l’Institut colonial international dont il est membre associé depuis 1903, mais aussi avec ses articles dans la Revue d’économie politique ou dans la revue Questions diplomatiques et coloniales.
24En visant la chaire de Levasseur, Brunhes entre directement en compétition avec les treize propositions du groupe « Sciences économiques et sociales ». Or, la dynamique de ce groupe se résume rapidement à un duel entre la proposition de François Simiand, initialement classée dans les doctrines économiques et sociales, qui est soutenue par Georges Renard, et celle de Marcel Marion, initialement classée dans l’histoire économique et sociale. Si Camille Jullian avait assuré diplomatiquement Brunhes de son soutien, il ne lui avait pas caché que Marion et Gsell étaient ses amis et présentaient aussi de solides candidatures40. Dans les faits, Jullian privilégie ouvertement la « statistique sociale » et la candidature de Marion, privant ainsi Brunhes de son soutien pour la transformation de la chaire de Levasseur41. Par ailleurs, Brunhes doit faire face à une opposition d’ordre politique menée par Louis Havet et Antoine Meillet qui proposent Franz Schrader pour une chaire de géographie humaine, ou plutôt d’anthropogéographie42.
25En orientant la présentation de ses travaux vers les questions coloniales, Jean Brunhes entend certainement s’assurer le report d’un certain nombre de voix vers sa candidature qui est nettement soutenue par Leroy-Beaulieu et Flach. En effet, un troisième ensemble de propositions semble très hétérogène au premier abord : histoire de la marine, de la puissance navale, de l’Amérique du Sud et de l’Afrique du Nord. Mais le choix du rapporteur, Leroy-Beaulieu, et les débats qui s’ensuivent montrent bien tout le poids des questions coloniales et impériales dans les enjeux liés à ce groupement. La défense de l’histoire de la marine (ou de la puissance navale) est directement associée à l’extension contemporaine de l’empire colonial français. Ainsi, Ernest Babelon et Jean-Bernard Izoulet, qui soutiennent respectivement deux candidats pour cette spécialité – de la Roncière et Lacour-Gayet –, usent tous deux d’arguments semblables dans le débat :
Il [Cet enseignement] serait bon de l’instituer précisément dans ce temps où nous voyons se reconstituer et s’étendre notre domaine d’outre-mer, se fortifier notre marine, notre commerce et nos moyens d’action au dehors. Il n’y aurait pas seulement un moyen rétrospectif, mais actuel. Il pourrait exercer une véritable action pour le bien de notre expansion coloniale43.
La force de la France sur les mers est l’une des conditions essentielles de sa grandeur […] un enseignement d’histoire de notre puissance maritime exercerait une action bienfaisante44.
Mais finalement la discussion s’oriente sur la proposition concernant « l’Histoire de l’Afrique du Nord », derrière laquelle se trouve Stéphane Gsell en poste à Alger et qui souhaite, pour des raisons personnelles, revenir en métropole. La surface scientifique de Gsell ne fait pas débat. Camille Jullian lui apporte un soutien sans faille et vante les mérites de ce savant chez qui l’on trouve réunis « les dons et les aptitudes de l’archéologue, du géographe, du philologue, de l’économiste » et qui est « apte à reconstituer la vie entière d’un pays en toutes ses manifestations, à en faire ce que Michelet appelait l’histoire intégrale »45. Gsell est surtout déjà à cette époque un éminent historien de la période antique. L’opposition, menée notamment par Georges Renard qui soutient par ailleurs Simiand, s’arc-boute donc sur le fait que cette chaire ferait double emploi avec des enseignements déjà donnés au Collège. En effet, cette attaque fait implicitement référence à la chaire d’« Épigraphie et antiquités romaines » occupée par René Cagnat.
26Comme l’ont montré Ève Gran-Aymerich et Clémentine Gutron46, le développement de l’épigraphie latine sous l’impulsion de Léon Rénier47 et celui de l’histoire et de l’archéologie antiques à la fin du xixe siècle sont intimement liés au contexte colonial algérien et tunisien. Les élèves de l’École française de Rome trouvent dans ces nouveaux territoires des terrains d’étude sur lesquels ils obtiennent la quasi-exclusivité scientifique en raison de la situation coloniale, à la différence de la péninsule italienne où la concurrence internationale est rude. Les moissons archéologiques sur lesquelles Léon Renier fonde le développement de l’épigraphie latine sont faites dans la suite de l’exploration militaire et scientifique de l’Algérie. Élève de Léon Renier, René Cagnat48 explore la Tunisie pendant plusieurs années et est nommé secrétaire de la Commission d’Afrique du Nord en 1883. Dans ces années 1880, René du Coudray du Moulin de La Blanchère49, détenteur d’une chaire de géographie de l’Afrique du Nord à Alger, y enseigne cependant l’épigraphie latine au grand dam du directeur de l’École de lettres50, et conduit des fouilles sur les irrigations antiques au Maghreb dont le but affiché est d’éclairer la politique coloniale51. Lorsqu’il devient directeur du service des Antiquités de Tunisie, le jeune Stéphane Gsell52 remarqué pour ses recherches à l’École française de Rome, est envoyé à l’École des lettres d’Alger pour assurer des enseignements d’archéologie et d’histoire ancienne, puis il y devient en 1895 le titulaire de la chaire d’histoire et d’antiquités de l’Afrique du Nord. Il développe ainsi en Algérie une activité scientifique et de conservation muséale concernant la période islamique, mais il reste néanmoins principalement un spécialiste reconnu de la période antique.
27L’accusation de double emploi entre une chaire d’Histoire de l’Afrique du Nord et celle d’Antiquités romaines s’éclaire donc par la spécificité française du réseau et des circulations professionnelles de ces scientifiques en situation coloniale. L’enjeu colonial fait d’ailleurs partie des arguments exposés par Cagnat pour défendre cette candidature et la différencier de son propre enseignement :
L’objet de cet enseignement serait surtout de montrer ce qui a fait jadis la grandeur de l’Afrique du Nord, ce qui a fait sa décadence, ce que le passé peut apprendre au présent ; ce serait avant tout de l’histoire économique. Le titulaire s’attacherait sans doute davantage à l’époque antique, parce que la grandeur du pays africain nous importe plus, à nous Français, que sa décadence ; mais il ne pourrait pas éviter d’aborder d’autres périodes plus récentes, d’étudier, par exemple, l’agriculture africaine après la conquête arabe, ou bien les industries indigènes. Ce n’est pas au moment où notre domaine africain, son administration, son développement, occupent la première place dans les questions coloniales, qu’il est besoin de montrer longuement l’opportunité d’une semblable création53.
On voit ainsi comment, dans un contexte institutionnel précis, une rhétorique spécieuse peut construire ainsi l’épigraphie latine comme une science « pure » par opposition à l’histoire de l’antiquité africaine dont les horizons intellectuels seraient intimement liés aux motivations du présent. Insister sur le caractère « colonial » de la production scientifique de certains collègues a pour principal effet d’épurer symboliquement le reste du champ scientifique de son rapport à la colonisation54.
28À l’issue de ces débats, les intitulés « Statistique économique » et « Histoire de l’Afrique du Nord » obtiennent, après trois tours de vote, une majorité55. La stratégie « coloniale » de Brunhes échoue, alors que celle qui est mise en œuvre pour la candidature de Gsell n’effraie pas une majorité de professeurs. Quelques mois plus tard, lors de la seconde candidature de Brunhes sur une chaire financée par le mécène Albert Khan à l’instigation de son directeur de conscience Henri Bergson, un groupe de professeurs mené par Louis Havet s’insurge contre les conditions dans lesquelles on veut imposer ce candidat à l’assemblée des professeurs56. Ces opposants n’hésitent pas à aller chercher en la personne d’Émile-Félix Gautier57, professeur de géographie à la Faculté des lettres d’Alger, figure de l’exploration saharienne et chantre de la colonisation en Algérie, un candidat de dernière minute à opposer à Brunhes58. Dans sa correspondance privée, et une fois l’élection gagnée, ce dernier ironise sur cette cabale montée par Louis Havet et Sylvain Lévi : « L’extrême gauche a donné avec intempérance, ils ont parlé à trois pendant 55 minutes en faveur de Gautier, pour réunir au premier tour, sous ce nom, 4 voix. C’est brillant !59 »
***
29À travers l’examen de ces deux dossiers, nous avons voulu souligner la complexité des situations dans lesquelles la question coloniale apparaît. Elle n’est parfois qu’un argument rhétorique, tantôt pour soutenir et tantôt pour rejeter une candidature. Elle s’entremêle parfois avec des stratégies académiques ou avec des conflits politiques qui ont une tout autre origine comme dans le cas de Brunhes. Mais elle est aussi parfois un réel enjeu scientifique et politique, par exemple lorsqu’il s’agit de promouvoir dans des lieux scientifiques prestigieux, des savoirs comparatistes sur les législations coloniales ou sur les organisations des sociétés indigènes. En la matière, il ne s’agit jamais d’un lobby colonial monolithique qui voudrait soumettre à ses intérêts les gardiens du temple de la science. Comme d’autres grandes institutions scientifiques, le Collège de France est affecté par les débats contradictoires sur l’empire et son gouvernement. Il n’en est pas la victime : ses membres en sont, comme d’autres, des acteurs.
30Au-delà des intitulés, la question des réseaux, des circulations et des itinéraires professionnels des scientifiques et de leurs savoirs constitue l’entrée méthodologique à partir de laquelle il convient de mettre au jour les relations du Collège avec la colonisation et les empires. Le Collège de France est ainsi un haut lieu de l’orientalisme60, et tout « orientaliste » est conduit à avoir des relations professionnelles avec le Quai d’Orsay, les consulats, les administrations coloniales et militaires, etc., dans des réseaux scientifiques et politiques à la fois impériaux, trans-impériaux, mais également locaux. C’est la raison pour laquelle les tenants de la chaire d’Épigraphie latine du Collège ont tous une notice dans le Dictionnaire des orientalistes de langue française car, s’ils ne furent pas des « orientalistes » au sens de la linguistique, ils le furent dans leurs pratiques professionnelles et leurs contacts avec le terrain et la société du Maghreb colonisé. C’est au prix d’un tel retournement de perspective qu’il devient possible d’écrire une histoire du Collège de France « tel qu’il se fait »61.
Figure 8. Chaires du Collège de France comportant la référence au fait colonial dans leur intitulé.
Intitulé | Transformation | Détenteur |
Histoire coloniale | Histoire Histoire | Martineau (1921-35) Chassigneux (1939-46) Montagne (1948-54) |
Études coloniales : Protistologie pathologique | Nattan-Larrier |
Figure 9. Chaires du Collège de France financées par des institutions et/ou entreprises coloniales (ministère des Colonies, gouvernements coloniaux, compagnies commerciales coloniales).
Intitulé | Transformation | Détenteur | Financeurs au moment |
Sociologie et sociographie musulmanes (1902) | Sociologie musulmane | Le Châtelier (1902-25) Massignon (1926-54) Laoust (1956-75) | Gouv. de l’Algérie Gouv. de l’AOF Résidence de Tunis |
Histoire coloniale (1921) | Histoire de la colonisation Histoire de l’expansion | Martineau (1921-35) Chassigneux (1939-46) Montagne (1948-54) | Gouv. de l’Indochine Gouv. de l’AOF Gouv. de l’AEF Gouv. de Madagascar |
Études coloniales : protistologie pathologique | Nattan-Larrier (1923-43) | Cie forestière Sangha-Oubangui Cie française du Haut-Congo Cie Afrique et Congo Cie de l’Ouahme-Nana Messageries fluviales du Congo Banque fr. de l’Afrique équatoriale | |
Histoire et philologie indichinoises | Finot (1920-30) Przyluski (1931-44) Gaspardone (1946-65) | Gouv. de l’Indochine |
Figure 10. Le domaine colonial dans l’enseignement supérieur à Paris vers 1900.

Figure 11. Répartition en 8 groupes d’intitulés attribués à 8 rapporteurs (10 décembre 1911).

Notes de bas de page
1 Renan, 1868, p. 144. Le recours à cet extrait dans un débat parlementaire est examiné plus loin.
2 Ibid.
3 Ibid., p. 145.
4 Entre autres, il note que le Collège « n’a jamais été plus florissant qu’à l’époque où il n’avait pas de bâtiment à lui », 1868, p. 109.
5 Elle concerne l’étude des pathologies liées aux protistes, plus connues sous le terme d’amibes (annexe 1).
6 Schaffer, 2010, p. 121-140.
7 Compte rendu de la Commission de révision des traitements des Facultés. Séance du 3 décembre 1897, Présidence de M. Le Ministre de l’Instruction publique. Archives Collège de France, 14 CDF 21 a Chaire de science coloniale, projet 1897.
8 Intervention de Gaston Paris, ibid.
9 S.n., « La science coloniale et le collège de France », Le Temps, 24 novembre 1897, ibid.
10 Ibid.
11 Brillant scientifique, élève de Claude Bernard, Paul Bert (1833-1886) entre dans la carrière politique en 1870. Il est élu député dès 1872 et nommé ministre de l’Instruction publique sous le gouvernement de Gambetta (1881-1882). Il meurt à Hanoï, alors qu’il y exerce la fonction de gouverneur de l’Annam et Tonkin.
12 Archives Collège de France, Registre de l’assemblée des professeurs du Collège de France du 11 mars 1894 au 3 novembre 1902, p. 96-97. Cette création a néanmoins suscité quelques remous, les cours d’Izoulet ont été chahutés par les étudiants de gauche. Cf. Charle, 1994, p. 327-329.
13 Charle, 1994, p. 323-331.
14 Documents parlementaires, Chambre des députés, séance du 22 novembre 1897, p. 2544.
15 Ibid., p. 2545.
16 Institut colonial international, 1903.
17 Froidevaux, 1903.
18 Au cours des débats de 1903, le père Piolet, missionnaire jésuite bien connu pour ses travaux sur Madagascar, regrette ainsi par deux reprises que Joseph Chailley-Bert n’ait pas pu réaliser son projet de fonder un enseignement colonial général au Collège de France. Cf. Institut colonial international, 1903, p. 274 et p. 277.
19 Joly, p. 1977.
20 Chailley, 1892, Préface, p. vi.
21 Singaravélou, 2012, p. 135-157. Selon les statuts adoptés en 1894, les buts de l’Institut colonial international sont « de faciliter et de répandre l’étude comparée de l’administration et du droit des colonies » et de « créer des relations internationales entre les personnes qui s’occupent d’une façon suivie de l’étude du droit et de l’administration et des colonies – hommes politiques, administrateurs, savants – et de favoriser l’échange des idées et des connaissances spéciales entre hommes compétents ». Sur la contribution des savants libéraux néerlandais, cf. Bertrand, 2005, p. 343-396.
22 Il est envoyé officiellement en mission pour étudier scientifiquement cette question à Java en 1897, et en Inde en 1900-1901, puis en 1904-1905.
23 Nous ne disposons d’aucune archive pour attester ce fait.
24 L’expression est de Pierre Singaravélou, 2012.
25 Sur Esmein, cf. Sacriste, 2011.
26 Saada, 2009, p. 103-116.
27 Documents parlementaires, Chambre des députés, séance du 22 novembre 1897, p. 2545.
28 Institut colonial international, 1903, p. 251 et p. 253-255. Le père Piolet défend cette même idée : « Je voudrais qu’il fut donné une chaire encore plus élevée que celle de nos Universités ; je voudrais qu’il se rencontrât un homme, deux hommes dans chaque pays, qui y fissent autorité et donnâssent la vraie doctrine coloniale, celle qui est basée sur les faits, sur l’observation, et que d’en haut cette doctrine descendit en bas pour se répandre et s’imposer partout », p. 274.
29 Singaravélou, 2009, p. 87-102 ; 2011.
30 Compte rendu de la Commission de révision… 14 CDF 21 a Chaire de science coloniale, projet 1897.
31 Dans les débats archivés, la légitimité d’un enseignement colonial n’est d’ailleurs jamais remise en question.
32 Sur Bernard, voir Deprest, 2009, p. 149-166 ; sur Le Châtelier, voir Lefébure, 2008, p. 575-576.
33 Le cours de la Sorbonne est financé par le Gouvernement général de l’Algérie et la Résidence de Tunis.
34 Bertrand, 2006, p. 95-117.
35 Émile Levasseur est décédé le 10 juillet 1911 ; Auguste Longnon le 12 juillet 1911 ; Auguste Michel-Lévy le 25 septembre 1911. 4 AP 378, assemblée du 12 novembre 1911.
36 4 AP 379, assemblée du 10 décembre 1911.
37 Simiand, 1909, p. 723-732 ; Brunhes, 1908, p. 223-250.
38 4 AP 380, assemblée du 14 janvier 1912.
39 Lettre de Camille Jullian adressée à Jean Brunhes, 4 août 1911, CARAN, Brunhes, 615AP/61.
40 Lettre de Camille Jullian adressée à Jean Brunhes, 4 août 1911, CARAN, Brunhes, 615AP/61.
41 14 CDF 33 c, dossier « Géographie humaine ».
42 Militant du catholicisme social et rallié à la République, Brunhes est néanmoins lié aux antidreyfusards comme Ferdinand Brunetière ou Marcel Dubois. Dans des correspondances privées de 1912 à propos de sa seconde candidature, Brunhes évoquent Louis Havet et Sylvain Levi comme les principaux animateurs du « comité de salut public pour sauver le Collège », de la « minorité sectaire », de « l’extrême gauche » qui refuse une chaire de « géographie humaine » sur fonds privés, financée par le mécène Albert Kahn. Lettres de Jean Brunhes, 7 et 17 juin 1912. CARAN, Brunhes, 615AP/61, dossier de correspondances, 1912 ; Archives du Collège de France, 14 CDF 33c, dossier « Géographie humaine ».
43 Intervention de Babelon, 4 AP 381, assemblée du 21 janvier 1912.
44 Intervention d’Izoulet, ibid.
45 Intervention de Jullian, ibid.
46 Gran-Aymerich, 2010.
47 Gran-Aymerich, 2008, p. 815-816.
48 Gutron, 2008, p. 164-165.
49 Ibid., p. 321-322.
50 Deprest, 2009, p. 45-49.
51 De la Blanchère, 1891, p. 428-429. Voir aussi CARAN 17/13058-13059, sur l’organisation des missions concernant l’archéologie hydraulique.
52 Gutron, 2008, p. 462-463.
53 4 AP 381, assemblée du 21 janvier 1912.
54 Deprest, 2009, p. 273-281.
55 Lorsqu’il est procédé au vote sur le projet de transformation de l’intitulé de la chaire Levasseur comme sur celui de Longnon, la « géographie humaine » arrive toujours en tête avec 13 voix au premier tour, mais elle ne parvient jamais à atteindre aux tours suivants la majorité des 19 voix requises. Un troisième tour permet finalement à la « statistique économique » d’emporter une majorité contre la « géographie humaine » qui stagne à 18 voix. Sur le support de Longnon, l’« histoire de l’Afrique du Nord » jouit d’un report de 8 voix entre le 1er et le 3e tour, ce qui lui procure la majorité, tandis que la « géographie humaine » ne dépasse plus les 16 voix.
56 Plusieurs lettres de Louis Havet et une cosignée de Hadamard, Havet, Le Châtelier, Jullian, Langevin, Meillet, Sylvain Levi, Renard, sont adressées à l’administrateur du Collège. 14 CDF 33 c, dossier « Géographie humaine ».
57 Homme d’action, Gautier avait les titres et diplômes requis pour intégrer l’Université, mais tout au long de sa carrière on se plaint en haut lieu du peu d’assiduité qu’il montre pour les charges liées à ses fonctions universitaires (organisation collective de la recherche, formation d’étudiants, administration). Politiquement, il défend, ostensiblement à partir de 1920, une opposition à toute réforme du gouvernement colonial en Algérie. Cf. Deprest, 2009, p. 125-272.
58 Lettre d’Émile-Félix Gautier à Jean Brunhes, 5 juin 1912. CARAN, Brunhes, 615AP/99 ; Lettre d’Augustin Bernard à Jean Brunhes, s.d., Brunhes, 615AP/103 ; Lettres de Jean Brunhes à divers correspondants, 17 juin 1912. Archives nationales, Brunhes, 615AP/61.
59 Au premier tour, Brunhes obtient alors 25 voix sur 36 ; les 7 autres bulletins sont blancs.
60 Valensi, 2008, 233-234.
61 Callon et Latour, 1991.
Auteur
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Florence Deprest
Florence Deprest est professeur des universités et enseigne la géographie à Paris I Panthéon-Sorbonne. Ses recherches récentes concernent la construction des savoirs géographiques en situation coloniale et impériale, et particulièrement les représentations savantes de la Méditerranée occidentale.
Elle est l’auteur d’Élisée Reclus et l’Algérie colonisée, Belin, 2012, Géographes en Algérie, 1880-1950, Belin, 2009, et a codirigé avec Hélène Blais et Pierre Singaravélou l’ouvrage collectif Territoires impériaux. Une histoire spatiale du fait colonial, Publications de la Sorbonne, 2011.
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