Introduction
L’atelier des intitulés du Collège de France
p. 15-50
Texte intégral
1L’historien des sciences comme l’historien tout court arrive le plus souvent après la bataille. Non seulement une fois que les armes se sont tues, mais surtout une fois que généraux, simples soldats ou civils de tous camps ont déjà livré leur version des faits, érigé les monuments aux morts comme aux vainqueurs. Lui-même éduqué dans cette mémoire-histoire collective, l’historien doit réussir à prendre du recul par rapport à elle. Pour un historien des sciences, étudier le Collège de France constitue un défi, et il faut, pour cette raison, saluer les travaux pionniers de Christophe Charle en la matière1.
2Un défi parce que le Collège de France a déjà son historiographie rythmée par les ouvrages de Guillaume Duval en 1644, de l’abbé Goujet en 1758, d’Abel Lefranc en 1893 et en 19322, les articles de ses administrateurs (Maurice Croiset et Marcel Bataillon3) ou par les innombrables annotations de Jacques Flach4 qui se mêlent aux dossiers archivés et les commentent5. Ces travaux ont scandé, périodisé, cadré l’histoire du Collège de France et obligent les enquêteurs qui viennent après à les historiciser autant que les actes, discours ou pratiques qui constituent leur objet d’étude premier. Un défi encore parce que le Collège de France est devenu le lieu de consécration le plus élevé du monde académique français. À cet égard, l’historiciser peut apparaître comme un geste iconoclaste. Mais c’est un défi aussi et surtout parce que bien des valeurs promues par cette institution – la liberté d’enseignement et de recherche, la volonté d’innover et d’échapper à la reproduction des savoirs institués, l’ouverture à tous les publics – sont celles pour la défense desquelles il arrive à l’historien de se faire citoyen et de descendre dans la rue. L’entreprise d’historicisation est donc une tâche compliquée.
3Mais ce serait il me semble une inconséquence, voire une faute, que d’y renoncer. Ce serait mépriser ces hautes valeurs qui nous tiennent à cœur, que de les faire valoir seulement pour étudier les acteurs que la mémoire collective rejette et que nous pouvons dénoncer avec elle. Les historiens des sciences ont trop longtemps eu tendance à n’historiciser que les vaincus et, au contraire, à actualiser et à traiter de manière purement épistémologique les acteurs « canonisés » ou ceux qu’en justiciers ils cherchaient à faire sortir de l’anonymat. Bref, il y a un danger à n’être historien qu’à moitié. Si l’historien veut être crédible, il ne saurait être complaisant avec ses propres croyances, ses propres tables de valeurs, ses choix intellectuels. Il ne doit pas oublier que, tout comme ses objets, il est historiquement situé.
4Au contraire, en historicisant ses propres valeurs, l’historien ne nie pas l’inscription contextuelle de ses travaux et en permet une lecture distanciée.
5Pour relever ces défis, le présent ouvrage6 veut interroger l’historicité de ce que les représentants du Collège de France considèrent comme sa spécificité institutionnelle7 : la libre transformation des enseignements. Ce principe se serait manifesté par des innovations successives dans les intitulés des chaires et aurait été un moteur du renouvellement des savoirs. Le Collège de France échapperait de la sorte à la reproduction des habitudes intellectuelles, des partages disciplinaires auxquelles sont a priori astreints les établissements d’enseignement. Il représenterait ainsi un cas à part dans le paysage des institutions d’enseignement supérieur parisiennes, françaises et même étrangères. Cette autodéfinition du Collège de France se manifeste par la reprise fréquente de la formule de l’un de ses administrateurs les plus célèbres, Ernest Renan, selon laquelle « à côté des établissements où se garde le dépôt des connaissances acquises, il est donc nécessaire qu’il y ait des chaires indépendantes où s’enseignent, non les branches de la Science qui sont faites, mais celles qui sont en voie de se faire »8.
Émergence et perpétuation d’une singularité du Collège de France
6En invitant le lecteur à entrer dans « l’atelier des intitulés », nous souhaitons revenir sur l’émergence et la perpétuation de cette autodéfinition performative. Par quels mécanismes (financiers, politiques, intellectuels) ce principe est-il apparu, comment a-t-il pu ou non cohabiter avec la tradition des charges de lecteurs royaux et plus généralement avec les mœurs d’une institution multiséculaire ? Le Collège de France n’a, dans l’ensemble, connu qu’un nombre restreint de créations de nouvelles chaires : au xixe siècle, il est passé d’une vingtaine de professeurs à une quarantaine, pour atteindre cinquante-deux au xxe siècle9, alors que parallèlement on assistait à une croissance exponentielle des effectifs de l’enseignement supérieur10. Comment les professeurs ont-ils alors pu accepter de transformer les intitulés sans renoncer à la plus ancienne devise de l’institution qui est de tout enseigner (docet omnia)11 et aux chaires considérées comme « fondamentales » (qu’elles existent depuis la fondation ou qu’elles soient vues comme telles) ?
7Un événement parmi d’autres témoigne de ce choix difficile. En 1951, la succession d’Étienne Gilson suscita une discussion sur l’emploi du crédit de sa chaire « d’Histoire de la philosophie au Moyen Âge ». Il apparaissait impensable à la plupart des professeurs que l’« histoire de la philosophie » disparaisse à cette occasion. Le physicien Francis Perrin développa alors une subtile argumentation relative à l’histoire des relations entre science et philosophie pour faire valoir l’intitulé d’« Histoire de la pensée scientifique » défendu par Alexandre Koyré. Lucien Febvre qui le soutenait ardemment pointa à cette occasion la difficulté pour le Collège à honorer à la fois sa devise et son principe d’innovation :
Tout-à-l’heure pour monter dans cette salle, nous avons foulé aux pieds, (que Guillaume Budé nous le pardonne !) la vieille devise de la maison : OMNIA DOCET, ce témoignage de la boulimie des humanistes. Si l’on me demandait de rapprocher cette formule vaine de nos réalités précises – je proposerais : NOVA DOCET. Il n’enseigne, il ne doit enseigner, notre Collège, que ce qui ne s’enseigne point ailleurs. La proposition qui nous est faite aujourd’hui par M. Francis Perrin nous donne l’occasion d’installer ici, à sa vraie place, un enseignement de haute, d’éminente valeur ; ne laissons pas échapper cette occasion […] de doter, en la personne d’un beau savant, l’histoire de la pensée scientifique, – le soutien de toute l’histoire de la civilisation – d’un instrument unique, désiré – et désirable12.
L’intervention du « poids lourd » de l’institution qu’était Lucien Febvre13 ne suffit pas à modifier les habitudes du Collège de France puisque ce fut Martial Gueroult qui fut élu par 21 voix contre 1814. Toutefois, l’examen des archives montre qu’au cours de sa campagne Gueroult modifia l’intitulé qu’il souhaitait faire valoir : le conventionnel « Histoire de la pensée philosophique dans les temps modernes »15 fut biffé et remplacé par « Histoire et technologie des systèmes philosophiques »16, un titre dont il souligna dans sa leçon inaugurale le caractère « inédit » apte à rendre saisissable la spécificité démonstrative de la philosophie17. Peut-être espérait-il ainsi convaincre les scientifiques qui hésitaient entre la candidature de Koyré et la sienne18 ?
8Ce cas explique le choix de la méthode ici mise en application. Il s’agit de partir de la lettre exacte des intitulés, de ne pas postuler d’équivalence entre les intitulés qui n’ait été proposée par les acteurs. Ainsi s’avère-t-il possible de reconstituer les divers points de vue des acteurs en jeu, les controverses que certains intitulés sont chargés de pacifier, les modèles imités à travers eux.
Tectonique des savoirs
9Les archives des assemblées des professeurs permettent d’entrer dans l’atelier des intitulés. On y trouve les arguments mobilisés pour reconduire ou transformer les titres des chaires, les traces des rapports de force qui structurent l’assemblée des professeurs. Le Collège de France n’y apparaît pas comme un établissement isolé, mais comme inscrit dans un contexte académique parisien (Sorbonne, Muséum national d’histoire naturelle, Institut de France…), national et international. L’existence d’un intitulé dans une autre institution incite les professeurs tantôt à ne pas l’attribuer à une chaire du Collège de France, tantôt au contraire à s’empresser de le reprendre. Cette enquête collective d’histoire socio-culturelle19 sur les choix opérés par les professeurs permet ainsi de préciser la manière dont s’opposent ou s’articulent des logiques de distinction et/ou de rattrapage. Elle met également en évidence quelles institutions françaises ou étrangères sont perçues comme de rang égal. Apparaît ainsi une véritable tectonique des savoirs : les choix des intitulés sont le résultat de facteurs multiples, dont les entrechoquements provoquent des effets en chaîne inattendus dans et hors de l’établissement.
10Loin d’avoir été une pratique depuis l’origine, l’étude des archives montre que c’est dans le dernier tiers du xviiie siècle que ce que C. Charle nomme un « mécanisme d’auto-adaptation » a pris forme20. Un mécanisme dont J. Peiffer établit ici pour la première fois qu’il est le résultat non d’une décision autonome du Collège royal, mais d’une contrainte que l’Université de Paris lui a imposée. Auparavant, la plupart des chaires du Collège royal étaient renouvelées au décès de leurs titulaires : c’était notamment le cas de la Médecine21, de l’Anatomie, de l’Arabe, de la Philosophie grecque, de la Langue grecque, de l’Éloquence latine, de la Poésie latine, du Droit canon, de l’Hébreu, des Mathématiques. Selon l’heureuse formule de R. Mandressi, nous étions dans un « ancien régime des chaires », dont témoigne le « tableau historique du Collège royal de France » publié par Goujet (1758) : les titres de chaires y apparaissent horizontalement comme des catégories atemporelles ; les titulaires venant verticalement leur donner corps.
11Avec les lettres patentes de 1773, le processus de transformation des chaires semble s’être véritablement enclenché. À partir du xixe siècle, les cas de transformations se sont multipliés. L’esquisse de chronologie réalisée à cent cinquante ans de distance par Jacques Flach tente de rendre compte de ce nouveau mode de fonctionnement (cf. Compagnon, Corvol, Scheid, Surprenant, 2015, p. 43). Ceci explique que, pour l’essentiel, cet ouvrage focalise son attention sur une période qui va des années 1770 à nos jours. Il n’en reste pas moins que l’autodéfinition du Collège de France comme le lieu de la « science en voie de se faire » est plus récente. Ernest Renan l’invente et elle devient comme la deuxième devise de l’établissement au tournant des xixe et xxe siècles22.
12L’un des objectifs de l’ouvrage est notamment de repérer les logiques de transformation. Toute chaire peut-elle se transformer en toute autre ? Ou bien la grande division universitaire française de l’époque entre lettres et sciences joue-t-elle aussi dans cette institution ? Les changements d’intitulé relèvent-ils de procédures propres au Collège de France ou bien d’une logique de spécialisation beaucoup plus générale ? Quelle place occupent les facteurs politiques et budgétaires dans les décisions de maintien ou de transformation des chaires ?
13Inversement, il faut aussi s’interroger sur les chaires dont l’intitulé se perpétue longtemps, comme les Mathématiques, le Grec, le Latin ou l’Hébreu24. Faut-il voir dans ce maintien le signe que le Collège de France ne peut voir disparaître un intitulé qui était présent dès 1530 ? Ou est-ce plus simplement l’indice d’une hiérarchie des savoirs que le Collège partagerait avec la plupart des autres grandes institutions d’enseignement ?
14Même à partir du moment où, en 1873, le règlement impose de s’interroger sur le maintien ou la transformation d’un intitulé avant de considérer les candidats possibles, en arrière-plan des débats sur les titres25, il y a – au moins implicitement – débat sur les hommes. Les intitulés sont le plus souvent aussi la face visible d’un candidat26. Tous – professeurs au sein de l’assemblée ou historiens face aux archives – ne peuvent d’ailleurs éviter de se demander qui se cache derrière tel ou tel intitulé. L’historiographie a ainsi mis en évidence les échecs répétés de Durkheim et de Mauss pour montrer combien la « Sociologie » avait eu du mal à être acceptée dans ce lieu si prestigieux du savoir27. La grille de lecture des intitulés permet de compléter ces études. En effet, le titre « Sociologie » n’apparaît pas pour la première fois avec la chaire de Mauss en 1930, mais dès 1902 avec celle d’Alfred Le Châtelier (Sociologie et sociographie musulmanes) et aura une très longue pérennité28. La chaire était une « création » politique financée par le gouvernement général de l’Algérie et des protectorats de la Tunisie et du Maroc. Le premier titre envisagé – « Politique musulmane et africaine » – heurta les représentants de l’enseignement supérieur du ministère de l’Instruction publique (Louis Liard et Charles Bayet). C’est pour désamorcer les critiques de ces proches de Durkheim que Le Châtelier proposa alors le titre retenu (Burke, 2014, p. 57). Trois années auparavant, Ribot avait, au contraire, suggéré à Tarde le titre de « Psychologie sociologique » afin de faire exister une autre « sociologie » que celle de l’école durkheimienne, comme le montrent ici J. Carroy, A. Ohayon et R. Plas. Le paysage des savoirs qui émerge des décisions des assemblées est donc le résultat complexe d’une dialectique entre de multiples facteurs, dont la promotion ou le rejet de tel ou tel savant, les représentations associées à un intitulé, le poids des facteurs politiques ou encore l’idéal prêté par ses membres à l’institution.
15Le xxe siècle a accentué le renouvellement des intitulés comme le montrent les statistiques produites ici par Y. Renisio29. Il devient quasi systématique après la Seconde Guerre mondiale. Une enquête précise sur cette période serait d’autant plus intéressante qu’elle permettrait de mettre en évidence des effets variés de ce renouvellement. Sous réserve d’un travail approfondi, il semble qu’il manifeste une différence entre les sciences d’un côté et les sciences humaines et sociales de l’autre. Parmi les secondes, la singularisation des intitulés est parfois telle qu’ils apparaissent non plus comme le titre d’une spécialisation, mais comme l’expression d’un programme de recherche individuel : ainsi de la chaire de « Sociologie du travail créateur » ou de celle d’« État social et mondialisation : analyse juridique des solidarités » occupées respectivement par Pierre-Michel Menger et Alain Supiot. Dans ces cas, les titres de chaires deviennent des semi-noms propres : par-delà leur généralité apparente, ils maintiennent une référence tacite à la production intellectuelle d’un chercheur particulier30. Ces intitulés coexistent toutefois avec d’autres qui soit ne marquent pas de spécificité par rapport aux spécialisations universitaires (« Histoire de la philosophie médiévale », Alain de Libera), soit ont des spectres très larges (« Histoire moderne et contemporaine du politique », Pierre Rosanvallon). Même s’ils se renouvellent, en sciences mathématiques, physiques ou biologiques, les intitulés restent dans la quasi-totalité des cas beaucoup plus génériques et pourraient valoir pour un grand nombre de représentants de la discipline : ainsi de la chaire de Jean-Marie Lehn, « Chimie des interactions moléculaires », ou de celle de Pierre-Gilles de Gennes : « Physique de la matière condensée »31.
16Comme l’a bien montré Françoise Waquet, dans la plupart des leçons inaugurales le nouvel entrant s’inscrit dans une généalogie de professeurs qui l’ont précédé en ce lieu tout en revendiquant une originalité32. Il en résulte une tension entre tradition et singularité qui est particulièrement frappante dans le cas d’intitulés de chaire très individualisés. Deux cas récents en témoignent. Thomas Römer, titulaire de la chaire « Milieux bibliques », rappelle au début de sa leçon inaugurale que « de nombreuses chaires du Collège de France […] ont largement contribué [aux] progrès des sciences bibliques » ; mais il note ensuite – non sans malice – qu’il occupe « la première chaire du Collège de France dans l’intitulé de laquelle le mot “Bible” apparaît explicitement »33. Mettant en avant son statut d’étranger aux mœurs académiques françaises34, il entreprend d’expliquer ce phénomène : « Est-ce simplement le fruit du hasard ou la France académique aurait-elle un problème avec le terme de “Bible” ? L’évitement du mot “Bible” s’explique-t-il par l’idée que l’on pourrait, sur le plan scientifique, s’occuper de l’hébreu, de l’araméen, de l’épigraphie, des antiquités sémitiques, mais que la Bible et son intelligence resteraient réservées aux synagogues et aux églises ? »35 Plus récemment, Claudine Tiercelin reconnaissait dans la leçon inaugurale de sa chaire de « Métaphysique et philosophie de la connaissance » ses dettes à l’égard de certains de ses prédécesseurs (Jules Vuillemin, Gilles-Gaston Granger, Jacques Bouveresse). Elle insistait toutefois, elle aussi, non seulement sur le fait qu’elle était la première à inscrire « dans son intitulé le terme de métaphysique »36, mais surtout qu’en associant métaphysique et philosophie de la connaissance elle proposait un attelage pouvant paraître « saugrenu ou culotté »37. Toute la rhétorique de sa leçon cherchait ensuite à montrer comment derrière l’apparent oxymore il n’y aurait en fait rien d’« inconvenant », mais une « forme […] indispensable de l’enquête rationnelle »38 renvoyant dos à dos les méditations « sur l’être en tant qu’être » et les recherches réduisant la connaissance à la connaissance scientifique39. De manière générale, rares sont les professeurs qui ne thématisent pas le choix du titre de leur chaire et le rapport qu’il entretient avec les traditions de l’établissement.
Découpages des savoirs et inerties des intitulés
17À travers le cas du Collège de France, l’objectif du livre est aussi, d’un point de vue historiographique, d’étudier de près cette opération de partage des savoirs bien spécifique qu’implique la fabrication d’intitulés de chaire et plus généralement d’étiquetages savants40. Si l’on se situe du point de vue de la pragmatique, les discours – même les plus ésotériques – peuvent être envisagés comme des actes. En outre, le découpage des savoirs, loin d’être une opération seulement indexée sur la nature des objets étudiés, apparaît comme une pratique sociale aux effets performatifs indéniables et dont l’élucidation requiert une contextualisation plurielle. Les facteurs locaux, intellectuels, politiques, financiers, institutionnels ou familiaux contribuent à façonner une carte des savoirs dont les territoires, royaumes et frontières ne cessent d’être disputés, remodelés. Ils expliquent le rejet de nombre d’intitulés que, dans une optique contrefactuelle, on peut nommer, avec Antoine Compagnon, le « collège virtuel »41. Pour saisir les dynamiques comme les inerties de cette carte des savoirs, l’historien ne saurait projeter a priori ses propres classifications disciplinaires, mais doit, au contraire, reconstituer celles des acteurs qu’il étudie.
18J. Carroy, A. Ohayon et R. Plas retracent ici quelques dynamiques. Retenons-en une : celle de la création d’une chaire de « Psychologie expérimentale et comparée » en 1887 par transformation de la chaire de droit de la nature et des gens. Résultat d’un compromis entre deux camps ennemis au sein de l’assemblée des professeurs, cet intitulé verra s’affronter Théodule Ribot, adversaire du spiritualisme et promoteur des psychologies expérimentales anglaises et allemandes, à Henri Joly, opposé au darwinisme et qui revendiquait une définition de la « psychologie comparée » marquant la différence entre l’homme et l’animal. Plus largement, entre la fin du xixe siècle et aujourd’hui, l’intitulé « psychologie » recoupe, au Collège de France, des pratiques savantes très variées dont témoigne le fait qu’il ne fut jamais utilisé seul et que tous les professeurs ont éprouvé le besoin d’adjectiver ou de préciser le substantif « psychologie ». De fait, l’écart est grand entre la « Psychologie et éducation de l’enfance » du marxiste Henri Wallon, la « Psychologie des arts plastiques » de l’historien d’art René Huyghe et la « Psychologie cognitive expérimentale » de Stanislas Dehaene. La géographie, étudiée ici par Olivier Orain et Marie-Claire Robic, offre, elle aussi, un cas particulièrement marquant de la plasticité des étiquetages savants. C’est pourquoi le mot « géographie » sert aux auteurs « d’analyseur à la fois d’opérations sociales propres à la scène du Collège de France (des transactions) et de sémantisations révélatrices d’usages plus ou moins connectés à un processus de disciplinarisation qui lui est contemporain »42.
19Mais la carte des savoirs du Collège de France n’en est pas moins structurée par des inerties. La transmission d’une chaire d’un professeur à son suppléant en est un des indicateurs principaux au xixe et au début du xxe siècle43. Dans un autre ordre, le cas des mathématiques est emblématique et la focalisation de l’enquête d’H. Gispert sur une période allant de 1860 à 1950 d’autant plus révélatrice qu’elle correspond à l’institutionnalisation de l’autodéfinition du Collège de France comme l’établissement promoteur de la « science en voie de se faire ». Avant la Seconde Guerre mondiale, les trois chaires de mathématiques font l’objet d’une reconduction quasi mécanique sans discussion (à une exception près). Mais, même après 1945, dans un contexte où la discipline connaît de profonds changements, et où les intitulés sont plus spécialisés et désignent des candidats considérés comme hors normes, la rhétorique des autoprésentations comme celle des rapports ne changent pas.
20Dans tout espace social, l’inertie la plus flagrante est celle liée à la reproduction biologique. À une époque où les intitulés de chaire ne changent pas (xvie et xviie siècles), Rafael Mandressi montre combien le fait est massif dans la population des professeurs de médecine du Collège royal. Fils, neveux, cousins représentent la plus grande part des acteurs considérés. Cette inertie se double d’une pratique de cumul des chaires. Très nombreux sont les professeurs qui enseignaient aussi parallèlement dans d’autres institutions parisiennes. Pour la période postérieure à 1773, Anne Collinot s’est focalisée sur la filiation directe : le rapport de père à fils. Les effectifs sont peu nombreux : entre 1800 et 1932, elle dénombre cinq transmissions de chaires de père en fils qui ont abouti. Même si le nombre serait peut-être plus important en élargissant à d’autres liens familiaux44, A. Collinot souligne que de nos jours l’enjeu est ailleurs : il concerne la filiation de maître à disciple45. Rejetée comme inconvenante eu égard au principe selon lequel le Collège de France ne doit abriter que la science en train de se faire, elle n’entre pas moins en résonance avec le souci des professeurs quittant leur chaire de voir leur ligne de recherche prolongée. D’où la subtile dialectique que l’on retrouve parfois entre un intitulé singulier et un héritage assumé. Ainsi notamment de P. Descola qui, d’un côté, souligne le caractère transgressif, oxymorique et inédit de l’expression « Anthropologie de la nature » et, d’un autre, se présente comme un héritier, le troisième titulaire d’une chaire d’anthropologie sociale inaugurée par C. Lévi-Strauss en 1959 et dont le Collège aurait précisément voulu qu’elle ne soit pas interrompue46.
Intitulés récurrents et identité du Collège de France
21Cette enquête collective fait aussi apparaître des récurrences qui ressemblent fort à des habitudes institutionnelles. Celui qui souhaite candidater à une chaire n’en a pas nécessairement conscience, mais cela ne l’empêche pas de s’y conformer. À l’échelle de deux siècles, il apparaît ainsi que des intitulés sont systématiquement associés à certains domaines d’enquêtes47. E. Lehoux montre qu’il n’est d’« antiquités » au Collège de France que gréco-romaines, sémitiques ou nationales. Les spécialistes qui s’aventurent en Égypte, en Mésopotamie, en Asie, à Byzance, au Proche-Orient ou en Gaule sont titulaires de chaires d’« archéologie ». Comme dans la plupart des autres institutions d’enseignement supérieur, la carte des savoirs du Collège de France semble donc aussi être une carte hiérarchisée où en l’occurrence, les mondes classique, sémitique ou national jouissent d’une primauté certaine. L’échec répété des tentatives pour fonder une chaire de grec moderne, relaté par V. Perraky, en témoigne a contrario. Il est des hiérarchies de la pensée tellement ancrées dans les formations et les cursus intellectuels – en l’occurrence la primauté du grec ancien sur le grec moderne – qu’il apparaît difficile, voire impossible, de les remettre en cause.
22Ressortent également des phénomènes de contamination et d’homogénéisation qui tendent à donner une identité à l’établissement. Après avoir obtenu son transfert de la chaire de « Langue persane » qu’il occupait depuis 1876 à celle de « Langue arabe », et alors qu’on discute en parallèle des candidats pour les « Langues et littératures d’origine slave », Adrien Barbier de Meynard demande le 18 janvier 1885 à ce que son ancien intitulé soit renommé « Langues et littératures de la Perse », « de façon à ce que la chaire embrasse les langues et les littératures de la Perse, à ses différentes époques »48. Le 1er mars, il fait la même demande pour sa nouvelle chaire. Ses collègues Pavet de Courteille (Langue turque) et Renan (Langues hébraïque, chaldaïque et syriaque) souhaitent un changement identique pour leur propre titre49. Étant donné que les enseignements des professeurs de grec, de langues d’origine germanique, de chinois et tartare-mandchou ou de sanskrit étaient déjà intitulés de la sorte, une labellisation institutionnelle des cours portant sur des aires linguistiques semble ainsi s’imposer au Collège de France, une labellisation qui affirme le couplage essentiel entre linguistique et philologie. Ce couplage évoquait la philologie des choses de l’Allemagne du début du xixe siècle tant vantée par Eugène Burnouf et Ernest Renan50 et qui, à travers l’examen des langues et des littératures, souhaitait reconstituer des états de civilisation passés. Signe de la singularité des temporalités propres à chaque institution, cette identité était affichée à une époque où émergeait à Leipzig la linguistique néogrammairienne qui, au contraire, traitait les faits de langue indépendamment des faits de culture.
23Il est des termes qui non seulement disséminent assez rapidement, mais sont aussi durables. Sarah Rey montre ainsi le succès de celui de « civilisation ». De 1932 à nos jours on ne trouve pas moins de 24 professeurs dont l’intitulé fait usage de ce mot. Apparu avec les chaires de « Civilisation romaine » (E. Albertini), de « Civilisation américaine » (B. Faÿ) et d’« Histoire de la civilisation moderne » (L. Febvre), il sera repris par les successeurs, offrant à l’expression une très importante longévité51. Promoteurs et représentants de l’école des Annales dès les années 1930, défenseurs de l’introduction des area studies après la Seconde Guerre mondiale, spécialistes d’aires linguistiques anciennes ou contemporaines jusqu’à nos jours52 ou sociologues (« Sociologie de la civilisation moderne » [R. Aron, 1970-1978]) semblent avoir trouvé leur bonheur dans cette expression. Actuellement, le terme se trouve dans trois intitulés de professeurs en activité : « Civilisation mésopotamienne » (D. Charpin, depuis 2014), « Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire » (N. Grimal, depuis 2000), « Philologie de la civilisation japonaise » (J.-N. Robert, depuis 2011). Il semble tant faire l’unanimité qu’il a récemment été repris pour rassembler douze chaires dans un Institut des civilisations53. Le sens qui lui est aujourd’hui attribué est manifestement celui d’« aires culturelles » ayant chacune leur unité propre et que l’Institut en question a vocation à faire dialoguer (Römer, in coll., 2015, p. 6)54.
24Parallèlement, à partir des années 1970, le succès de toute une série d’intitulés commençant par l’expression « études comparées ou comparatives »55, mis en évidence et analysé ici par P. Rabault-Feuerhahn, contribua – sans que cela fût voulu – à conférer une identité forte à l’établissement. Par-delà les divergences au sein de l’institution56, la répétition de titres de chaires aux formules identiques donnait une impression d’unité intellectuelle. Le Collège de France pouvait ainsi apparaître comme le fer de lance de la méthode comparative dans les sciences humaines et sociales, ce qui renforçait son image de temple du structuralisme à l’échelle nationale et internationale acquise avec l’élection de Claude Lévi-Strauss57. Conçu alors par ses promoteurs comme une démarche permettant de ramener la diversité des phénomènes sociaux à des oppositions signifiantes et ainsi d’offrir un modèle d’intelligibilité universel, l’usage de cette méthode autorisait à affirmer la proximité entre sciences et sciences sociales. Dès sa leçon inaugurale, Claude Lévi-Strauss révélait son « rêve secret » : « l’anthropologie sociale […] appartient aux sciences humaines, son nom le proclame assez ; mais, si elle se résigne à faire son purgatoire auprès des sciences sociales, c’est qu’elle ne désespère pas de se réveiller parmi les sciences naturelles, à l’heure du Jugement dernier58 ». Sans être orchestrée comme une politique scientifique, la dynamique électorale des assemblées des professeurs faisait ainsi émerger une identité institutionnelle qui mettait en valeur une définition des sciences sociales empruntant ses outils aux sciences mathématiques. Cette scientificité affichée s’inscrit dans un processus au long cours mesuré par Yann Renisio : celui de l’ascension des sciences au sein du monde académique. Par là, il faut comprendre l’accroissement progressif du poids des sciences par rapport aux lettres dans l’enseignement supérieur français. Le phénomène concerne l’ensemble du monde académique français et international au cours du xxe siècle, mais il prend une coloration singulière au Collège de France, l’une des seules institutions françaises dont le fonctionnement n’est pas sectorisé en facultés et où représentants des sciences, des lettres et des sciences humaines et sociales se côtoient quotidiennement. Même si, en nombre de chaires, l’équilibre entre les ordres de savoir s’est maintenu, en phase avec le développement du monde international de la recherche, le poids des budgets alloués aux sciences par le Collège de France s’est considérablement accru59.
25Cela est allé de pair avec une évolution de l’autodéfinition plus ou moins affichée de l’institution, mais dont la politique de publications peut fournir un indicateur. Jusqu’en 1992, le Collège de France assurait seul la visibilité des travaux de ses membres. Mais, cette année-là, il établit un partenariat avec les éditions Odile Jacob60. Déjà éditrice attitrée du professeur de Communications cellulaires Jean-Pierre Changeux61 – et notamment de son best-seller L’Homme neuronal 62 –, Odile Jacob revendiquait une position singulière dans l’espace éditorial français. Elle s’était fait une spécialité de publier des ouvrages signés de la main de professeurs de sciences très reconnus qui proposaient des explications biologiques des phénomènes humains et sociaux63. Hostile aux théories postmodernes, l’éditrice publiera en 1997 l’ouvrage d’Alan Sokal et Jean Bricmont Impostures intellectuelles qui dénonçait les « extrapolations abusives des sciences exactes aux sciences humaines »64 promues par les tenants de la « French Theory » : Jacques Lacan, Julia Kristeva, Luce Irigaray, Bruno Latour, Jean Baudrillard, Gilles Deleuze, Félix Guattari et Paul Virilio65. En 2010, le Collège de France a inauguré un partenariat éditorial avec le portail Revues.org (OpenEdition depuis 2011). Outre les collections « Leçons inaugurales », « Annuaires », « La Lettre du Collège de France » et « Conférences du Collège de France », une cinquième, très dynamique, a rapidement été mise en place : la collection « Philosophie de la connaissance » dont l’argumentaire s’appuie sur la reprise d’un intitulé :
À travers les enseignements de Jules Vuillemin (chaire de Philosophie de la connaissance, 1962-1992), Jacques Bouveresse (chaire de Philosophie du langage et de la connaissance, 1995-2010) et maintenant de Claudine Tiercelin (chaire de Métaphysique et philosophie de la connaissance, 2010), la philosophie de la connaissance a depuis cinquante ans une présence forte au Collège de France. Elle s’y est développée selon des voies originales, en s’ouvrant largement aux philosophies de langue allemande et anglaise et au style de pensée analytique, tout en s’appuyant également sur un certain courant du rationalisme français. Le site éditorial « La philosophie de la connaissance au Collège de France » a pour but de rendre visible et largement accessible cette tradition de pensée66.
La permanence du titre n’est pas ici considérée comme un marqueur d’inertie institutionnelle, mais au contraire de singularité qui contribue aussi à donner au Collège de France l’image d’un haut lieu du rationalisme en France.
Superpositions des découpages des savoirs
26Jusqu’ici nous avons parlé d’une carte des savoirs, celle que matérialisent les intitulés ; mais il est aussi nécessaire de prendre en compte d’autres échelles, d’autres cartes qui se superposent et interagissent avec cette première. Observer l’échelle « micro », celle des titres et des contenus des cours dispensés chaque année permet de voir que la conservation d’un intitulé n’implique pas nécessairement la permanence d’un même enseignement. Ceci permet notamment de manifester l’écart entre deux interprétations d’un même intitulé. La focale « micro » met aussi en évidence la latitude que s’autorisent les professeurs dans l’interprétation de leurs intitulés ainsi que son éventuelle évolution en fonction des contextes politiques, financiers ou de recherches. J.-L. Chappey et J. Vincent montrent ainsi que derrière un intitulé qui peut paraître anodin, celui de « Droit de la nature et des gens », le cours sur la « science de l’homme » proposé en 1798 par Jean-André Perreau, suppléant de Mathieu-Antoine Bouchaud, s’inscrit dans la reprise en main politique de la vie intellectuelle par le Directoire à la suite du coup d’État républicain du 5 septembre 1797. En proposant un enseignement conforme à l’Idéologie défendue alors par Cabanis et Destutt de Tracy à l’Académie des sciences morales et politiques, Perreau contribue, avec d’autres professeurs, titulaires de chaires aussi différentes qu’« Éloquence latine » (Charles-François Dupuis) ou « Littérature française » (Antoine de Cournand), à faire du Collège de France un bastion de cette science analytique des sensations et des idées qui rejetait toute recherche métaphysique des causes premières. À un siècle et demi de distance, le mathématicien Jean Leray, titulaire d’une chaire de « Théorie des équations différentielles et fonctionnelles », dit avoir disposé d’une très grande liberté dans le choix de ses enseignements (en topologie algébrique, puis en théorie des équations, mais aussi sur la théorie des ponts-plaques intéressant les ingénieurs des Ponts)67. Parfois, l’évolution des cours comme des recherches des professeurs les amène toutefois à demander une modification du titre de leurs chaires. C’est le cas de Joseph-Alfred Serret, pour lequel son collègue Joseph Bertrand (chaire de Physique générale et mathématique) réclame en 1885 le changement de son intitulé de « Mécanique céleste » en « Mécanique analytique et mécanique céleste », comme le relate H. Gispert. Quelques années plus tard, Henri Bergson qui, en 1899, avait échoué à obtenir la chaire de « Philosophie moderne » (sur laquelle Gabriel Tarde avait été élu) et avait repris la chaire de « Philosophie grecque et latine » l’année suivante, demanda et obtint au décès de Tarde en 1904 de changer pour la chaire de Philosophie moderne davantage en adéquation avec ses enseignements68. Le choix des titres d’enseignements comme des intitulés de chaire n’est pas indifférent à l’espoir qu’entretiennent les professeurs de réunir un public nombreux et/ou érudit. Une enquête sur l’auditoire respectif des différentes chaires serait particulièrement précieuse. Les sources sont rares, mais Bruno Belhoste a récemment mis au jour un article de presse de 1828 indiquant le nombre d’auditeurs par chaire69.
27Si les intitulés figurent le niveau « méso », reste l’échelle « macro » : celle des facultés au sein de l’Université napoléonienne70, des sections pour l’École pratique des hautes études par exemple. Sur ce point, le Collège de France témoigne d’une singularité. Très longtemps, ce niveau n’a pas d’existence sinon dans quelques rares textes programmatiques71. On ne trouve pas de distinction entre sciences et lettres sur les affiches au xixe siècle, par exemple. Toutefois, deux remarques s’imposent. D’abord, dès le xviiie siècle, l’annonce des cours ne se fait pas dans un ordre alphabétique. Vivi Perraky qui étudie de près l’Almanach royal note que, sans que ces termes génériques soient employés, alors qu’au xviiie siècle deux langues (hébreu et grec72) ouvrent la liste et que les mathématiques ne viennent qu’après, à partir de 1795 c’est l’inverse. Les informations mentionnées sur les affiches de 1771 et 1865, reproduites à titre comparatif, correspondent à ce que l’on trouve dans l’Almanach :
Figure 3. Comparaison des affiches du Collège (1770-71 et 1865-66).
Affiche pour le premier semestre 1770-1771 Ordre des professeurs (4 AFF 139) | Affiche pour le premier semestre 1865-1866 Ordre des titres (4 AFF 250) |
Lectores et professores regii linguae hebraicae et syriacae graecarum litterarum scientiarum mathematicarum universae physices graecae et latinae philosophiae latinae eloquentiae medicinae, chirurgiae, chymiae et botanices, linguae arabicae, juris canonici, historiae
| Mécanique céleste Mathématiques Physique gale et mathématique Physique gale et expérimentale Chimie Chimie organique Médecine Histoire naturelle des corps inorganiques Histoire naturelle des corps organisés Embryogénie comparée Droit de la nature et des gens Droit de la nature et des gens Histoire des législations comparées Économie politique Histoire et morale Epigraphie et antiquités romaines Philologie et archéologie égyptienne Langues hébraïque, chaldaïque et syriaque Langue et litt. arabe Langue et litt. persane Langue turque Langue et litt. chinoise et tartare mandchou Langue et litt. sanskrite Langue et litt. grecque Éloquence latine Poésie latine Philosophie grecque et latine Langue et litt. française du Moyen Âge Langue et litt. française moderne Langues et litt. étrangères de l’Europe moderne Langue et litt. slave Grammaire comparée |
V. Perraky est ainsi amenée à s’interroger sur le passage dans l’histoire de l’établissement d’un « Collège de Langues » à un « Collège de Sciences ». Sans que cette question puisse ici être tranchée, la coïncidence chronologique de ce changement avec le fait que le Collège de France devienne alors un bastion de l’idéologie mériterait d’être étudiée de près.
28Deuxième remarque : des macro-découpages apparaissent en 1852, mais de façon souterraine. Dans le cadre de la reprise en main de l’institution par Napoléon III, un décret (9 mars 1852) est promulgué qui impose, pour chaque chaire ouverte, que les deux candidats retenus par le Collège de France ne soient pas les seuls en lice, mais que l’Académie dont dépend la chaire propose également deux noms et que le Président de la République puisse en proposer un. Dans les faits, ni l’Institut ni le Président n’useront de leur droit de nommer des candidats, mais désormais chaque chaire relèvera d’une des cinq Académies.
29Lorsqu’à la fin du xixe siècle le docteur Saintour fit un legs au Collège de France pour qu’il distribue chaque année un prix récompensant une publication savante, un nouveau découpage fut mis en place. Afin qu’aucune science ne soit lésée, une commission fut constituée et, constatant que la part des Académies au sein de l’assemblée n’était pas égale, elle proposa de nouveaux groupements : « Elle a donc pensé, l’Académie Française et l’Académie des Beaux-Arts présentant à une seule chaire, l’Académie des Sciences morales et politiques à huit chaires, qu’il y aurait lieu de réunir en une section ces trois académies, et d’en former une avec l’Académie des Inscriptions (20 chaires) et une avec l’Académie des Sciences (12 chaires) », ainsi que de fonctionner par rotation dans l’attribution du prix. Toutefois, témoignage d’une hiérarchie des groupes de chaires, la rotation prévue ne devait pas être d’un an sur trois. L’« Académie des Inscriptions et la variété des objets de l’enseignement qui y est donné » conduisirent les membres de la commission à « penser que cette section devrait avoir deux tours contre un attribué à la section des Académie française, des Beaux-Arts et des Sciences morales (ne comprenant ensemble que 10 chaires) ». Et surtout, « l’intérêt tout particulier que le fondateur du prix portait aux sciences proprement dites a fait attribuer le même avantage à la section des sciences ». La proposition adoptée était donc « que le prix Saintour sera donné par les trois sections dans l’ordre suivant, formant un roulement de cinq années : première année – première section (Académie des Sciences) ; deuxième année – deuxième section (Académie des inscriptions et belles lettres) ; troisième année – première section ; quatrième année – deuxième section ; cinquième année – troisième section (Académie française, des Beaux-Arts, des Sciences morales et politiques) »73. Cette tripartition se traduisit ensuite dans l’Annuaire de l’année 1908 par le découpage en : « sciences / sciences historiques et philologiques / sciences morales et politiques »74. À ce premier découpage est venu se superposer un deuxième, indépendant du prix Saintour, que l’on trouve dans les annuaires entre 1932 et 2007 et qui distingue entre : 1) sciences mathématiques, physiques et naturelles ; 2) sciences philosophiques et sociologiques ; 3) sciences historiques, philologiques et archéologiques. Avec la création des chaires annuelles en 2008, les cartes ont été rebattues et l’annuaire affichait la trichotomie suivante : 1) sciences mathématiques, physiques et naturelles ; 2) sciences humaines et sociales ; 3) chaires annuelles. La modernité technologique a rendu le paysage plus complexe encore. Sur le site internet du Collège de France, sept catégories sont distinguées : 1) mathématiques et sciences numériques ; 2) physique et chimie ; 3) sciences du vivant ; 4) sciences humaines 5) histoire et littérature ; 6) chaires annuelles 7) chaires internationales 8) professeurs invités75.
Le Collège de France dans le grand jeu universitaire
30Le Collège de France ne fut jamais un îlot sans relation avec l’extérieur. C’est sous la contrainte de l’Université de Paris qu’il commença à changer les intitulés de ses chaires et, quand Renan voulut en faire un établissement de la science en train de se faire, il mobilisa l’exemple des universités allemandes qui, selon lui, devaient fournir un modèle au Collège de France pour qu’il se distingue plus franchement de la Sorbonne. La carte des savoirs que ces assemblées dessinent et modifient est ouvertement inscrite dans le « grand jeu » des établissements d’enseignement supérieur français et étrangers. Dans les argumentaires, les références étrangères sont explicites. Au xixe siècle, c’est le monde germanique qui fait figure de modèle à imiter ou mieux à dépasser ; après la Première Guerre mondiale, les États-Unis jouent peu à peu ce rôle. À partir de 1903, le legs de Georges Louis Michonis va permettre l’invitation régulière à donner des leçons « d’un savant ou penseur étranger, désigné par l’assemblée des professeurs »76. Après la chute du mur de Berlin, sont mises en place une « chaire européenne » puis une « chaire internationale » pour accueillir des savants « originaires des pays de l’Est ou appartenant à d’autres continents ». Parallèlement, en 1992, un décret a été pris « autorisant le recrutement de personnalités n’ayant pas la nationalité française en qualité de professeur au Collège de France ». Actuellement, 15 % des titulaires de chaires permanentes ne sont pas de nationalité française77.
31Même si le Collège de France souhaite acquérir un prestige international, l’échelle nationale joue également. Celle-ci est caractérisée par une très forte centralisation que manifeste déjà la hiérarchie entre province et Paris. Mais au sein de la capitale, le paysage est complexe. On a vu la dépendance dans laquelle était le Collège de France vis-à-vis des Académies. J.-L. Chappey et J. Vincent montrent que la définition des sciences morales et politiques au Collège de France et à l’Institut dépendent de l’existence et des orientations majoritaires de l’autre. Dans une analyse très détaillée des quelques mois de l’année 1848 au cours desquels l’École d’administration prit place au sein du Collège de France, Yann Potin a reconstitué le jeu complexe de ces deux institutions avec l’École des chartes78. À la centralisation parisienne s’ajoute une hypercentralisation autour de la montagne Sainte-Geneviève, lieu du plus grand prestige savant français. Le Collège de France n’y est pas la seule institution présente. S’y côtoient universités, classes préparatoires, grandes écoles, hautes études en plus de lui. Ces divers établissements y occupent des locaux mitoyens tout en ayant une vocation, un public et une histoire très différents. Les réformes de l’enseignement supérieur n’effacent pas celles qui les ont précédées. Les institutions qu’elles ont fait naître perdurent à côté des plus récentes. Le terrain, la pierre et les mœurs scientifiques sont porteurs de cette histoire complexe, faite de rivalités et de collaborations.
32La concurrence avec la Sorbonne est la plus importante. Moquée par Renan en 1856, sa transformation par la jeune IIIe République en lieu de production de savoirs qui doit, elle aussi, égaler l’Université allemande, en fit rapidement une menace. Le ministère de l’Instruction publique en joua pour obtenir que le Collège de France se tienne à la devise qu’il promouvait et renouvelle vraiment ses chaires. Preuve en est un avis de la commission du budget de l’Assemblée nationale émis en 1883 et qui dressait un bilan très négatif des dix années du nouveau règlement (1873). Institué alors, le vote en deux temps (la question du candidat étant précédée de celle qui portait sur le maintien ou la transformation du titre), censé garantir le renouvellement des enseignements, n’aurait pas eu les effets attendus :
À chaque professeur décédé on a donné un successeur, un « remplaçant », absolument comme on l’eût fait chez l’antique rivale du Collège de France. Si bien que l’on a été obligé de créer des chaires nouvelles pour telle science nouvelle, comme la mythologie comparée ou pour tel savant éminent auquel il était indispensable d’ouvrir le Collège. On a ainsi créé, depuis dix ans, 5 chaires nouvelles, ce qui en a porté à 40 le nombre total. Cependant, on en trouverait dans ce nombre qui seraient consacrées à un enseignement superflu, donné largement dans nos facultés (où pourraient d’ailleurs trouver place les titulaires de ces mêmes chaires) tandis que des sciences nouvelles, comme l’archéologie préhistorique, l’ethnographie, la linguistique, la sociologie, etc., dont l’importance et la portée sont considérables et qui pourraient être enseignées par des hommes de haute valeur, n’ont pu encore obtenir droit de cité dans l’établissement fondé pour les chercheurs et les novateurs79.
Le ministère renouvellera ce type d’exigence au début du siècle jusqu’à ce qu’un nouveau règlement soit adopté en 1911, un règlement censé faire en sorte que les transformations de chaires soient le cas le plus fréquent80.
33Dans les archives, on ne trouve pas trace de rivalité avec l’EPHE, fondée en 1868 pour mettre un terme à ce qui était perçu comme un retard scientifique français vis-à-vis de la Prusse81. Il semble qu’assez rapidement cette institution ait plutôt joué le rôle de pourvoyeuse de philologues et d’historiens pour le Collège de France. Plus tard, la 6e section de l’EPHE fondée en 1947, devenue EHESS en 1975, aura une fonction analogue pour les sciences sociales. Du côté des sciences physiques et chimiques, les échanges entre laboratoires et les passages de professeurs entre l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris fondée après la guerre franco-prussienne, par des Alsaciens exilés et le Collège de France mériteraient d’être étudiés. Ils mettraient sans doute en évidence qu’un savant comme Paul Langevin a commencé sa carrière comme professeur (d’Électricité générale) à l’ESPCI avant d’être élu au Collège de France sur un intitulé beaucoup plus général (Physique générale et expérimentale) en 1909. Mais une telle étude manifesterait probablement aussi que, pour tous ces établissements, le rapport n’est pas de simple sujétion : même une fois élus, les professeurs maintiennent souvent un pied dans leur institution d’origine (quand elle n’est pas universitaire) et cumulent ainsi plusieurs appartenances. Dans le cas de l’ESPCI, Paul Langevin et Pierre-Gilles de Gennes en assumeront la direction après leur élection au Collège de France. Dans celui du Muséum national d’Histoire naturelle, on peut citer Georges Cuvier qui conserva sa chaire d’Anatomie comparée à côté de celle d’Histoire naturelle du Collège de France. Même s’il fut souvent suppléé, il opérait ainsi un partage entre un enseignement plus technique au jardin des plantes et un autre qui s’adressait à un public non spécialiste au Collège de France82.
34Prendre le Collège de France pour objet de la tectonique des savoirs oblige d’aller voir ailleurs si l’on veut écrire l’histoire de la constitution et de l’évolution de ce paysage-palimpseste. Il est possible d’œuvrer en ce sens en analysant les échanges, les circulations, les transferts et les appropriations, mais aussi les rejets et les conflits qui ont émaillé les relations entre ces institutions. L’enquête collective ici menée ne fait qu’ouvrir un chantier.
Des intitulés politisés
35Le rythme de la vie savante est loin d’être le seul à façonner la carte des intitulés du Collège de France. On a déjà évoqué le poids de facteurs politiques. S’il est présent à toute époque, il en est toutefois où il exerce une pression particulièrement forte. Les spectaculaires révocations de Michelet, Quinet et Mickiewicz en 1852 sont restées dans la mémoire du Collège de France comme une page sombre de son histoire, comme un moment de remise en cause de son autonomie intellectuelle par le nouveau pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte. Elles n’ont pas été sans conséquences sur le paysage des intitulés. Philarète Chasles, dont la chaire de « Langues et littératures d’origine germanique » avait été créée en 1841 au même moment que celle de Quinet (Langues et littératures de l’Europe méridionale), voit son enseignement renommé en « Langues et littératures étrangères de l’Europe moderne » pour combler la lacune laissée par la révocation de Quinet83. En 1870, Quinet fut rétabli dans ses fonctions, de même que la partition initiale. Enjeux politiques, enjeux de découpage des savoirs et de spécialisations sont ici fortement intriqués.
36Explorer les périodes de forte politisation de la vie savante qui eurent des répercussions relativement immédiates sur les enseignements et le fonctionnement du Collège de France comme d’autres institutions académiques est donc très profitable à une enquête sur les intitulés de chaire. Preuve en est le cas des enseignements liés à la colonisation. Au cours de la IIIe République, période phare de l’impérialisme français, le Collège de France n’a pas plus été une institution anticoloniale que la plupart des autres lieux académiques français. Le terme « colonial » n’y a pas fonctionné comme un repoussoir. On le retrouve explicitement dans trois titres de chaires : « Histoire coloniale », « Histoire de la colonisation », « Études coloniales, protistologie pathologique », et implicitement dans « Histoire de l’expansion de l’Occident ». Lorsque des propositions – comme celle de « Science coloniale » en 1897 – ont été rejetées, c’est, ainsi que le montre ici F. Deprest, non parce que l’expression apparaissait absolument contradictoire à l’assemblée, mais parce que ces propositions semblaient aux professeurs comme imposées de l’extérieur. Mais, au-delà, une telle enquête permet de porter un autre regard sur des intitulés qui, a priori, pourraient sembler purement apolitiques. La chaire de « Géographie humaine » sur laquelle sera élue J. Brunhes de même que plusieurs chaires d’épigraphie dont les professeurs titulaires travaillaient dans les colonies sont pourtant inséparables de ce que F. Deprest nomme une « situation coloniale » ; une configuration politico-académique qui donne une coloration tout à fait singulière aux choix d’enseignements et qui montre que certains intitulés, sans user de l’épithète « colonial », ne sont pas moins inséparables de cette politique.
37L’Occupation est un autre observatoire passionnant de ces enjeux. A. Compagnon a montré, à travers les engagements de son administrateur Bernard Faÿ, l’implication du Collège de France dans la politique de Vichy84. Outre le sort des professeurs juifs de l’institution, ce moment historique est aussi intéressant pour étudier la recomposition de la carte des savoirs induite par la mainmise politique sur les affaires académiques. La disparition de la « Sociologie », considérée par les autorités de Vichy comme une science juive et socialiste, au profit de la « Psychologie collective » en est un témoignage éloquent85. Sans doute moins évident, le maintien de l’intitulé « Philosophie » en 1941 n’en est pas moins révélateur des enjeux politiques des choix opérés. Il a été obtenu à l’issue d’un duel entre Mario Roques (Histoire du vocabulaire français) et Étienne Gilson, et bénéficia à nul autre que Louis Lavelle, alors représentant du ministère de l’Éducation nationale de Vichy à Paris. Pour Gilson, l’intitulé « Philosophie » était une vulgaire extension du cours proposé dans les lycées et il promouvait sa transformation en une chaire d’« Histoire des idées philosophiques dans la France moderne »86. Il faisait valoir qu’au Collège de France on ne cherche pas « le mainteneur d’une tradition », mais un professeur qui « communique au public le résultat de ses travaux »87. Selon lui, « pour une telle chaire de philosophie, ce n’est ni un intuitif sans paroles, ni un tribun ou un prophète qu’il nous faut, mais un esprit original dont l’œuvre doive laisser un sillage dans l’histoire de la philosophie ». Faute de connaître un tel « philosophe » sur le territoire national, il faisait valoir la « fécondité créatrice » de l’histoire de la philosophie en France88. Ce débat indissociable du rôle joué par Lavelle dans la politisation contemporaine des affaires académiques incite, en retour, à s’interroger sur la transformation de l’intitulé en 1921 : de « Philosophie moderne » en « Philosophie » tout court, un titre alors inédit au Collège de France. Pierre Janet, professeur de Psychologie expérimentale et comparée, avait milité pour ce changement, et pour deux raisons. La première, de prestige international, car il souhaitait renforcer la tendance qu’il voyait en cours à l’étranger « à venir à notre pays ce qu’on allait autrefois chercher en Allemagne » ; la seconde étant qu’en se libérant ainsi de la domination de l’histoire de la philosophie qui marquait, selon lui, l’enseignement universitaire, il devenait possible de maintenir « l’union de la philosophie avec la science positive »89. À vingt ans de distance, le rayonnement international restait certes l’idéal recherché, mais l’intitulé « Philosophie » se voyait doté d’une signification toute autre : signe « d’un professeur associant à l’esprit philosophique de solides connaissances scientifiques » chez Janet en 1921, il devenait pour Gilson et dans la France collaborationniste la rhétorique d’un tribun. Ces situations de forte politisation peuvent ainsi permettre de considérer sous un nouveau jour, des périodes apparemment « moins politiques » et d’élucider les opérations de resémantisations que l’on retrouve bien souvent dans les cas de maintien des intitulés.
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38L’histoire du Collège de France offre un passionnant terrain à qui veut travailler sur les pratiques d’étiquetages savants et de partages des savoirs. Par son organisation complexe et feuilletée, l’atelier des intitulés que constitue l’assemblée des professeurs est la chambre d’échos de mouvements tectoniques de toute nature (scientifiques, institutionnels, économiques, politiques…) extérieurs et intérieurs à l’institution. En sortent des cartes des savoirs mouvantes mais non sans inerties. Étant donné le prestige acquis par l’institution, elles ont des effets performatifs sur d’autres institutions, sur des programmes de recherches extérieurs et plus généralement sur les habitus savants.
Remerciements
39J’aimerais tout d’abord, en la personne de John Scheid, très vivement remercier le Collège de France de son hospitalité ainsi que d’avoir rendu le colloque et la présente publication possibles. En amont, depuis 2011, Antoine Compagnon a très généreusement associé à son programme « Passage des disciplines » des historiens et sociologues extérieurs à cette institution. Je lui adresse tous mes remerciements. Ce programme fédère plusieurs autres membres du Collège de France, parmi lesquels John Scheid, Pierre Corvol et Pierre-Michel Menger que je remercie d’avoir accepté de présider certaines des séances du colloque. Mes remerciements vont également à Éric Brian, Henri Leridon et Françoise Waquet, qui ont eux aussi bien voulu jouer ce rôle. Hors du Collège de France, le labex Hastec, l’Institut d’histoire moderne et contemporaine et le laboratoire d’Anthropologie et d’histoire des mondes antiques (Anhima) ont soutenu financièrement et surtout intellectuellement ce colloque – je leur en sais gré. J’adresse tous mes remerciements à la direction du Centre Alexandre-Koyré auquel j’appartiens et qui, en la personne de ses deux directrices successives, Jeanne Peiffer et Antonella Romano, m’a sans hésitation apporté son soutien dans cette entreprise. L’aide de Céline Surprenant, contributrice à ce volume et coordinatrice de « Passage des disciplines », m’a été très précieuse. Mais, bien entendu, deux groupes d’acteurs ont permis la réalisation de cette enquête collective : l’équipe des archives du Collège de France (Claire Guttinger, Christophe Labaune et Laure Léveillé) que je crois pouvoir remercier très chaleureusement au nom de tous90, ainsi que l’ensemble des contributeurs qui ont accepté de se plonger dans les archives de l’établissement. Merci enfin à Nicolas Filicic et à toute l’équipe des Belles Lettres ainsi qu’à Céline Vautrin, des Publications du Collège de France, pour leur grand professionnalisme.
Notes de bas de page
1 Charle, 1986, 1994 ; Charle et Delangle, 1987 ; Charle et Telkès, 1988.
2 Duval, 1644 ; Goujet, 1758 ; Lefranc, 1893, 1932.
3 Croiset, 1911, 1918 ; Bataillon, 1962.
4 Chaire d’Histoire des législations comparées (1884-1919).
5 En 1993, un Comité pour l’histoire du Collège de France présidé par M. Fumaroli (chaire de Rhétorique et société en Europe, xvie et xviie siècles [1987-2002]) fut mis en place par l’institution. Il a donné lieu à la publication de deux ouvrages : Fumaroli & Lion-Violet, 1998, et Tuilier, 2006. Cf. Compagnon, Corvol, Scheid, Surprenant, 2015, p. 119.
6 Ce livre fait suite à un colloque (« Dans l’atelier des intitulés. À propos de la singularité du Collège de France ») organisé au Collège de France les 27 et 28 novembre 2014 dans le cadre du programme « Passage des disciplines » (dirigé par A. Compagnon et C. Surprenant) et avec le soutien du LabEx Hastec, du Centre Alexandre Koyré (UMR 8560), de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine (UMR 8066) et du laboratoire « Anthropologie et histoire des mondes antiques » (Anhima – UMR 8210).
7 À ce titre, cette enquête a bénéficié des travaux menés par C. Jacob et ses collègues sur les « lieux de savoir » : Jacob, 2007, 2011, 2014.
8 Renan, 1868, p. 144. La formule se trouve dès 1856 dans le compte rendu d’un livre de Charles Waddington sur Ramus : Renan, 1856.
9 Cf. Leridon, 2010b : https://lettre-cdf.revues.org/856.
10 Yann Renisio rappelle dans sa contribution qu’« en 2015, avec ses 44 chaires magistrales, ses 3 professeurs invités et ses 3 chaires annuelles, le Collège de France représentait moins d’un demi-pourcent des quelque 13 400 professeurs d’université relevant d’un établissement sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ». La « rareté relative d’une chaire du Collège de France », déjà soulignée par C. Charle pour le xixe siècle (Charle, 1986, p. 403), s’est donc encore considérablement accrue un siècle plus tard et a accentué le prestige de l’institution.
11 Les armoiries du Collège de France ne lui furent pas accordées dès la fondation, mais le 18 janvier 1699 (Lefranc, 1893, p. 363). Je n’ai pas trouvé trace de la devise auparavant.
12 Assemblée des professeurs du 11 mars 1951 (4 AP 542), « Rapport de M. Lucien Febvre sur la création d’une chaire d’histoire de la pensée scientifique », p. 3-4.
13 Sur le poids de L. Febvre au sein des assemblées des professeurs, voir l’article d’O. Orain et M.-C. Robic dans ce volume. De manière générale, il serait intéressant de mesurer le poids relatif des professeurs en dénombrant leurs présentations ayant abouti à une élection.
14 Redondi, 2016, p. 176.
15 M. Gueroult était alors titulaire de la chaire d’Histoire de la philosophie moderne à la Sorbonne (voir la présentation de ses titres et travaux : 4 AP 542, g, p. 1.
16 4 AP 542, g, p. 4, pour cette correction manuelle.
17 Gueroult, 1952, p. 6, 30. Sur la spécificité de la pratique de l’histoire de la philosophie par Gueroult, voir Bianco, 2016, p. 154-166. Dès le projet de « plan d’enseignement », outre la correction du titre de sa chaire, Gueroult avait ajouté un dernier titre à vocation générale : « Idée d’une science des conditions objectives des Monuments philosophiques ».
18 Sur cette campagne, voir les lettres de Jean Pommier qui soutenait Gueroult in Redondi, 2016, p. 182-183.
19 Roche, 1979. Voir aussi les réflexions de Roger Chartier sur l’historicité des découpages mobilisés par les sciences humaines et sociales et leurs usages rassemblées dans Chartier, 2009.
20 Charle, 1986, p. 394. Sur la deuxième moitié du xviiie siècle, voir aussi Gillispie, 1980, p. 130-142 ; Belhoste, 2012, p. 63.
21 Comme le montre Rafael Mandressi, la médecine est un cas emblématique de la reproduction des intitulés et des enseignements au Collège royal et dans les autres institutions d’enseignement parisiennes avant le xviiie siècle.
22 Voir la contribution de Wolf Feuerhahn dans ce volume.
23 2 CDF 3-1, pièce 7, s.d.
24 Voir les contributions d’Hélène Gispert (mathématiques), de Vivi Perraky (grec) et de Sarah Rey (latin) dans ce volume. Concernant l’hébreu, voir Waquet, 2010, p. 113.
25 Règlement de 1873, article 16.
26 Preuve en est le fait que le premier vote est le plus fréquemment décisif. Une fois l’intitulé choisi, le candidat dont il était la face visible assure son élection en faisant en sorte que le deuxième candidat soit un proche ou un disciple et se présente « en deuxième ligne ». Il arrive fréquemment que ce dernier succède plus tard à son maître. Voir en particulier les contributions de C. Surprenant et de F. Waquet dans ce volume.
27 Durkheim n’a jamais été élu et a rencontré deux échecs, Mauss a été élu la troisième fois en 1930. Cf. Besnard, 1979 ; Benthien, 2015 ; Fournier, 1996.
28 Alfred Le Châtelier l’occupe jusqu’en 1926, son suppléant Louis Massignon lui succède jusqu’en 1954 et Henri Laoust est ensuite professeur de « Sociologie musulmane » de 1956 à 1976. Une enquête sur le sens attribué à ces intitulés et les éventuelles relations avec les autres intitulés sociologiques du Collège de France serait passionnante.
29 Voir la figure 12 dans la contribution de Y. Renisio.
30 Passeron, 2006, p. 130. Cette singularisation est encore accentuée par un fait éditorial. À partir de 2003, les leçons inaugurales sont publiées chez Fayard, et s’impose petit à petit la pratique consistant à donner un titre à la leçon distinct de celui de la chaire.
31 Je remercie Emanuel Bertrand de m’avoir rendu attentif à cette différence.
32 Waquet, 2010.
33 Römer, 2009, p. 34.
34 Ibid., p. 21.
35 Römer, 2009, p. 34-35.
36 Tiercelin, 2011, p. 18.
37 Ibid.
38 Ibid., p. 21.
39 Ibid., p. 19.
40 Cf. Topalov, 2008.
41 Compagnon, Corvol, Scheid, Surprenant, 2015, p. 54-56.
42 Voir la contribution de O. Orain et M.-C. Robic dans ce volume.
43 Voir les contributions de C. Surprenant, F. Waquet, A. Collinot.
44 A. Collinot et H. Gispert analysent le cas de Marcel Brillouin qui, avant d’être élu (Physique générale et mathématique) et de voir son fils lui succéder, avait été suppléant de son beau-père, E. Mascart (Physique générale et expérimentale).
45 Sur les métaphores « familiales » dans les leçons inaugurales, voir Waquet, 2010, p. 113.
46 Descola, 2001, p. 10 : « C’est ce mouvement que nous entendons poursuivre, mais en lui donnant un infléchissement dont l’intitulé de la chaire offre déjà comme une préfiguration ».
47 La comparaison avec les découpages du Magasin encyclopédique au début du xixe siècle, lesquels répètent eux-mêmes ceux de l’Institut national (Lacour, 2012), témoigne de la singularité des profils des différentes institutions parisiennes.
48 4 AP 234-l : brouillon du procès-verbal de l’assemblée des professeurs du 18 janvier 1885.
49 Assemblée des professeurs du 1er mars 1885 (2 AP 8 – p. 148).
50 Sur ce couplage et ses remises en cause en Allemagne comme en France de même que sur son importance pour Renan à la suite d’Eugène Burnouf, voir Rabault-Feuerhahn, 2008 ; Rabault-Feuerhahn, 2015.
51 E. Albertini (1932-1941), A. Piganiol (1942-1954), J. Gagé (1955-1972) ont successivement occupé la chaire de « Civilisation romaine ». L. Febvre (1933-1949), F. Braudel (1950-1972) et E. Le Roy Ladurie (1973-1999), celle d’« Histoire de la civilisation moderne ». Enfin, la chaire de « Civilisation américaine » de B. Faÿ (1932-1945) a ensuite laissé la place à une chaire d’« Histoire de la civilisation de l’Amérique du Nord » (M. Giraud, 1947-71). En 1927, avant la première série de créations, un Institut de civilisation indienne de l’Université de Paris avait été fondé (Lardinois, 2004 et 2008) avec une compréhension très extensive de ladite « civilisation indienne ». Rattaché au Collège de France en 1973, il a été renommé « Institut d’études indiennes » en 2000.
52 Civilisations de l’Extrême-Orient (P. Mus, 1946-1969) ; Civilisation indo-européenne (G. Dumézil, 1949-1968) ; Histoire de la civilisation italienne (A. Renaudet, 1946-1950) ; Littératures et civilisation italiennes (A. Pézard, 1951-1963) ; Histoire et civilisations de l’Asie centrale (L. Hambis, 1965-1977) ; Histoire et civilisation de Byzance (P. Lemerle, 1967-73) ; Histoire et civilisation du monde byzantin (G. Dagron, 1975-2001) ; Art et civilisation de la Renaissance en Italie (A. Chastel, 1970-1984) ; Langues et civilisation de l’Asie Mineure (E. Laroche, 1973-1985) ; Civilisation japonaise (B. Franck, 1979-1996) ; Civilisations de l’Europe au néolithique et à l’âge du bronze (J. Guilaine, 1994-2007) ; Histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre (P. Briant, 1999-2012).
53 Le fait qu’il ne regroupe pas uniquement des chaires usant du terme de « civilisation » dans leur titre témoigne de l’approbation qu’il suscite. Il serait intéressant d’étudier les rapports (écarts, convergences ou cumulativité) entre les intitulés usant du terme de « civilisation » et ceux qui mobilisent celui de « monde ». Ce dernier, qui suggère également l’idée d’une approche intégratrice d’un espace défini comme ayant sa spécificité propre, se retrouve dans 8 intitulés depuis 1946 : Histoire du monde arabe (J. Sauvaget, 1946-1950) ; Étude du monde tropical (P. Gourou, 1947-1970) ; Étude du monde chinois : institutions et concepts (R. A. Stein, 1966-1981) ; Histoire et civilisation du monde byzantin (G. Dagron, 1975-2001) ; Histoire du monde indien (G. Fussman, 1984-2011) ; Histoire moderne et contemporaine du monde russe (F.-X. Coquin, 1993-2001) ; Histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre (P. Briant, 1999-2012) ; Histoire contemporaine du monde arabe (H. Laurens, depuis 2003).
54 L’histoire transnationale (croisée, globale, connectée…), qui se présente souvent comme une alternative au comparatisme, est moins représentée au Collège de France. S. Subrahmanyam (Histoire globale de la première modernité) fait certes exception, mais sa leçon inaugurale n’insiste pas sur la différence entre l’histoire croisée ou globale et l’approche comparée.
55 J.-P. Vernant (Études comparées des religions antiques, 1975-1984) ; Y. Bonnefoy (Études comparées de la fonction poétique, 1981-1993) ; F. Héritier-Augé (Études comparées des sociétés africaines, 1982-1998) ; G. Gaston-Granger (Épistémologie comparative, 1986-1991) ; M. Delmas-Marty (Études juridiques comparatives et internationalisation du droit, 2002-2012).
56 Comme le montre P. Rabault-Feuerhahn, c’est l’opposition entre tenants d’une philologie spécialisée et promoteurs d’une approche comparatiste qui suscita le plus de débats au sein de l’assemblée.
57 Boschetti, 2014, p. 221. Après la chaire d’Anthropologie sociale, celle d’« Histoire des systèmes de pensée » (1970) pour Michel Foucault a accru cette impression. On a souvent souligné la consécration apportée par le Collège de France aux tenants du structuralisme (Léon, 2013, p. 4) ; il serait intéressant d’étudier inversement la contribution des promoteurs du structuralisme à la renommée internationale du Collège de France.
58 Lévi-Strauss, 1960, p. 27.
59 Voir la contribution de Yann Renisio dans ce volume.
60 4 AP 703 (Assemblée du 28 juin 1992). Outre la collection « Travaux du Collège de France » (fondée en 1995), les éditions Odile Jacob publient les colloques de rentrée à vocation interdisciplinaire mis en place en 2001.
61 Sa candidature avait été présentée en 1975 par François Jacob, Prix Nobel de médecine en 1965, professeur de Génétique cellulaire (1964-1992) et père d’Odile Jacob (cf. Surprenant, 2016, p. 108-109).
62 En 1983, date de sa parution, Odile Jacob n’avait pas encore fondé sa maison d’édition. Elle dirigeait la collection « Le temps des sciences » chez Fayard. Sur la commande du livre, voir le récit rétrospectif de J.-P. Changeux (Changeux, 2016).
63 Lemerle, 2006.
64 Quatrième de couverture de l’ouvrage.
65 Au sein du Collège de France, le professeur de Philosophie du langage et de la connaissance, Jacques Bouveresse, prolongea cette critique dans un opuscule au sous-titre explicite (Prodiges et vertiges de l’analogie : de l’abus des belles-lettres dans la pensée), ouvrage publié dans une collection dirigée par son collègue Pierre Bourdieu (Bouveresse, 1999). De manière générale, J. Bouveresse est connu pour avoir dénoncé l’irrationalisme du paysage philosophique français et s’est parfois considéré de ce fait comme unfrench (Bouveresse, 1982). Sur l’introduction de la philosophie analytique en France et la polarité de l’espace philosophique français, voir Pudal, 2004 ; Pinto, 2007, p. 202-215 ; Feuerhahn, 2011.
66 Voir http://books.openedition.org/cdf/1420 (consulté le 11 août 2016).
67 Voir la contribution d’Hélène Gispert dans ce volume.
68 Voir les contributions de J. Carroy, A. Ohayon et R. Plas, ainsi que celle de C. Surprenant.
69 Dans le cadre de la communication sur la « place des chaires dans le système d’enseignement parisien dans la première moitié du xixe siècle » présentée au colloque sur « l’atelier des intitulés », B. Belhoste constatait que la fréquentation d’enseignements équivalents entre la Sorbonne et le Collège de France semblait avoir été du même ordre cette année-là. Pour la période contemporaine, H. Leridon (2010a) a effectué une étude sur l’identité sociale et professionnelle des auditeurs des cours en amphithéâtre et sur Internet. Leur ventilation en fonction des titres de chaire et des sujets de cours ou de séminaires en serait un passionnant prolongement.
70 Sur ce partage, voir Feuerhahn, 2015.
71 J. Peiffer mentionne un arrêt du Conseil d’État de 1773 qui demande que les premières transformations de chaire respectent l’équilibre entre « littérature » et « science » (p. 95) ; J.-L. Chappey et J. Vincent, un projet d’organisation des chaires en trois sections par Lalande en 1796 (p. 358).
72 À partir de 1775, l’Arabe, ainsi que la nouvelle chaire composite de Turc et de persan tout juste créée, viennent s’intercaler entre l’Hébreu et le Grec.
73 4 AP 271 c, assemblée du 3 avril 1892. Attribution du prix Saintour, projet de règlement : rapport présenté par G. Paris.
74 Voir la présentation du prix Saintour dans l’Annuaire du Collège de France, huitième année, Paris, Ernest Leroux, 1908, p. 30. Les « ordres de recherches » apparaissent par ailleurs dans le règlement de 1911 (voir la contribution de Wolf Feuerhahn), sans pour autant qu’une liste en soit donnée.
75 Voir http://www.college-de-france.fr/site/alain-connes/index.htm (consulté le 12 septembre 2016).
76 Compagnon, Corvol, Scheid, Surprenant, 2015, p. 143.
77 Ibid., p. 144-145.
78 Potin, 2015.
79 Journal officiel, Débats. Chambre des députés, séance du 10 novembre 1883, p. 245, cité d’après Charle, 1994, p. 321-322.
80 Voir la contribution de Wolf Feuerhahn.
81 Digeon, 1959.
82 Les dernières années de cours au Collège de France consacrées à l’histoire des sciences naturelles furent manifestement les seuls cours effectivement prononcés par Cuvier au Collège de France, ce qui lui valait les railleries de ses collègues. Je remercie Pietro Corsi de cette indication (voir Corsi, 2001, 2012). Pour une version annotée de ces cours, cf. Pietsch, 2012, 2015.
83 Sur Philarète Chasles, dans le contexte des intitulés de chaires usant du syntagme « littérature étrangère », voir Espagne, 1993. Sur Chasles, voir Pichois, 1965.
84 Compagnon, 2009.
85 Voir la contribution de J. Carroy, A. Ohayon et R. Plas.
86 14 CDF 57 e ; proposition d’É. Gilson pour une transformation en chaire d’Histoire des idées philosophiques dans la France moderne (2p. dactylogr. ; assemblée du 30 mars 1941).
87 14 CDF 57 e : assemblée du 30 mars 1941 : proposition de transformation de la chaire de « Philosophie » en chaire d’« Histoire des idées philosophiques dans la France moderne » par Étienne Gilson, p. 2.
88 Ibid., p. 3.
89 2 AP 12, registre des délibérations, assemblée des professeurs du 10 avril 1921, p. 343.
90 Claire Guttinger et Christophe Labaune ont en outre vérifié l’intégralité des cotes des archives du Collège de France citées. Qu’ils en soient ici très vivement remerciés !
Auteur
Wolf Feuerhahn est chargé de recherches au CNRS, membre du LabEx Hastec et de PSL, directeur-adjoint du Centre Alexandre-Koyré et co-directeur de la Revue d’histoire des sciences humaines (RHSH). Historien des sciences, il travaille sur l’histoire transnationale de l’organisation, du partage et de l’étiquetage des savoirs en Europe (xviiie-xxie siècle). Sur ces questions, il a notamment édité La Fabrique internationale de la science. Les congrès scientifiques entre 1865 et 1945, Revue germanique internationale, 2010, avec P. Rabault-Feuerhahn ; Les Sciences de l’homme à l’âge du neurone, RHSH, 2011, avec R. Mandressi ; Humanités environnementales. Enquêtes et contre-enquêtes, Publications de la Sorbonne, 2017, avec G. Blanc et É. Demeulenaere.
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