Conclusion
p. 189-190
Texte intégral
1En ces temps reculés que l’on a hâtivement qualifiés d’Ages Sombres, l’absence de législation laissait au maître de l’oikos un pouvoir discrétionnaire de sanction qui inspira nombre de récits mythologiques. C’est à l’exercice de ces châtiments privés qu’appartinrent l’estrapade, la pendaison, mais aussi la lapidation qui, fébrilement pratiquée en période de crise, demeura toujours à la lisière de la pénalité officielle. C’est à cet héritage que la répression pénale dut son fonctionnement à plusieurs "vitesses". Excluant, en les soumettant à l’autorité du genos, les femmes du système, livrant en revanche les esclaves à la question et à la discipline domestique, elle maintint en marges de la légalité le non-citoyen.
2Interroger les témoignages des arts et de la littérature a induit à essentiellement regarder vers Athènes. C’est là que fut élaborée, à l’époque historique, une législation "draconienne" qui, châtiant les kakourgoi et les traîtres, allait rester en vigueur jusqu’aux temps d’Aristophane, voire par-delà. Rapidement, parmi les peines, la précipitation et l’exposition devinrent les modes d’exécutions les plus usuels. "Fataliste", l’exécution capitale consista à précipiter, à lier au poteau, perpétuant des procédures d’anéantissement qui tinrent davantage de l’ordalie et du sacré. Ces usages résultaient d’une perception de la souffrance et de la mort, différente de celle, occultée ou inversement médiatisée, à laquelle nous a accoutumés la société contemporaine, et compréhensible de la part de cités-états qui, en proie aux crises intestines, ne connurent guère le répit de la paix…
3Ressentie comme un phénomène magique dans sa propagation, la notion de "souillure", qui généra l’éloignement des bourreaux et l’infamie des condamnés, suscita l’exemplarité des exécutions. Exclusion et publicité projetèrent la pénalité dans le quotidien des citoyens.
4La luxuriance du vocabulaire grec a conforté leur familiarité avec la torture et les peines. Les imagiers n’ont pas échappé à cette promiscuité, peignant dans les scènes de fiction, le déroulement, les effets et les outils de la répression réelle.
5 Au service du mythe, l’iconographie a toutefois gardé une certaine réserve. Tributaires des conventions propres à leur art, les peintres ont ignoré la souffrance et la mutilation qu’entrainaient les supplices, tout comme, sauf en de rares exceptions, ils renoncèrent à reproduire les fonctions et les aléas de la physiologie humaine. Rejoignant en cela les textes juridiques, parce que dépourvue des excès qui caractérisent les évocations théâtrales et philosophiques, l’imagerie offre une vision détachée et technique des supplices qui ajoute naturellement à sa valeur informative. Même lorsque les peintres ont réadapté des cartons, ont privilégié les effets plastiques, la puissance de leur témoignage demeure. C’est l’impact direct de la représentation figurée, plus immédiatement perceptible que la plus parfaite des descriptions écrites, qui, à des millénaires de distance, nous permet d’être les témoins oculaires des supplices que les auteurs anciens avaient, selon les genres littéraires, occultés, raillés, ou magnifiés.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Parier sur le temps
La quête héroïque d’immortalité dans l’épopée homérique
Catherine Collobert
2011
Provocation et vérité
Forme et sens des paradoxes stoïciens dans la poésie latine, chez Lucilius, Horace, Lucain et Perse
Diane Demanche
2013
Se Nettoyer à Rome (IIe siècle av. J.-C.- IIe siècle ap. J.-C.)
Pratiques et enjeux
Michel Blonski
2014