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Introduction
p. 9-11
Texte intégral
1Il y a intérêt à séparer l’étude du concept de lex 1de celle de la législation romaine. En interrogeant inlassablement cette dernière, on est parvenu assez bien à préciser son rôle dans l’histoire politique de la République et sa place dans l’ensemble des sources du droit. Mais force est bien de reconnaître que la notion de lex n’a pas été complètement clarifiée. Autre chose est l’histoire politique, autre chose le contenu d’un concept profondément ancré dans la mentalité romaine depuis les temps les plus anciens.
2Pareillement, sont d’un faible secours les définitions relativement tardives que les juristes romains donnent de la lex publica (Capito ap. Gell. 10, 20, 2 , Gaius 1, 3). Voir en elle un iussum populi, c’est rendre hommage au principe de la souveraineté populaire, cher aux derniers siècles de la République mais incapable de s’enraciner profondément dans le droit public romain. Ce principe nouveau ne saurait rendre compte de la lex publica des premiers siècles qu’il recouvre dans l’annalistique d’un voile trompeur. Et jamais du début à la fin de la République il ne concerne les lois qui ne sont pas votées comme la lex templi, la lex censoria, la lex censui censendo.
3La lex ancienne est hors de portée des juristes classiques, et même de l’annalistique, qui la décrivent sous les couleurs d’un autre temps. Non seulement l’esprit des lois archaïques a été faussé, mais il est bien connu que la tradition en a imaginé un assez grand nombre d’apocryphes. De plus, l’attention des anciens et des modernes s’est concentrée sur la lex publica populi romani 2, en la séparant dangereusement des autres types de leges. Il n’est pas arbitraire de rapprocher la lex publica de la lex censoria, de la lex collegii, des leges des formulaires de contrats de droit privé, conservés par Caton, car, même si l’autorité dont émanent ces différentes leges n’est pas la même, elles ont en commun non seulement la même qualification mais aussi leur rédaction à l’impératif. Ces traits permettent de circonscrire un phénomène de l’ancien droit, qui a des applications diverses malgré son unité. La philologie juridique est mieux à même de l’atteindre que l’histoire politique, qui nécessairement plus superficielle et moins sûre n’a pas de prise ferme sur une catégorie juridique du premier âge républicain que l’annalistique perçoit ensuite sous un jour nouveau.
4A la série des différents types de leges il faut ajouter la lex (ou leges) des traités internationaux. Le singulier est attesté par Festus 342L : Reciperatio est, ut ait Gallus Aelius, cum inter populum et reges nationesque et civitates peregrinas lex convenit quomodo per reciperatores reddantur res reciperenturque, resque privatas inter se persequantur 3. On le retrouve ailleurs (Cic. Phil. 13, 2 ; Stat. Theb. 12, 692 ; Thesaurus Ling. lat. VII, 2, 1243-44, v. lex). Le pluriel est plus fréquent (Liv. 30, 38, 7 ; 30, 43, 10 ; 38, 45, 1 ; Thes. 1.1. ibid.), de même que l’on disait leges (duodecim) ou leges decemvirales pour les XII tables4, dont les auteurs s’intitulaient Xviri legibus scribundis. Appliquée au foedus, la qualification de lex ou leges n’est pas dérivée, mais certainement aussi ancienne que pour les lois proprement dites, puisque dans un cas comme dans l’autre le texte est rédigé à l’impératif5.
5Ce mode de rédaction, commun aux divers types de leges de l’ancien droit (lex publica, lex templi, lex censoria, leges de Caton), peut servir de critère pour délimiter le domaine d’une source du droit qui, malgré la diversité de ses formes, a son langage propre, qu’elle ne partage pas avec les édits des magistrats et les sénatusconsultes. Ce critère stylistique permettra de dénoncer comme une extension l’emploi du mot lex (ou leges) pour désigner les clauses d’un acte de droit privé ou de droit sacré qui s’exprime selon d’autres modes du verbe6. Et il n’y aurait pas de pire erreur, pour retracer l’histoire de la notion de lex, que de lui assigner comme point de départ ce sens second7 (clause d’un acte), qui, lorsqu’il concerne quelques actes de droit sacré, conduirait à l’erreur plus grave encore de prêter au mot une origine religieuse.
6Car la lex archaïque est un acte laïc, non seulement la lex publica, la lex collegii, la lex censoria, la lex des formulaires de Caton, mais aussi la lex des traités internationaux, malgré sa confirmation par un serment, et la lex templi acte du magistrat auteur de la dédicace, malgré son objet cultuel8. Tous ces textes, pareillement rédigés à l’impératif, ont la même nature, purement laïque ; et il n’y a pas lieu de douter qu’un romain des temps anciens n’ait regardé du même œil les XII tables, qui réglaient le droit privé des citoyens, le foedus Cassianum (de 493), qui fixait leurs relations publiques et privées avec les Latins, et la lex arae Dianae in Aventino, qui servit depuis Servius Tullius9 (selon la tradition) de modèle aux autres leges templorum, ces trois documents ayant été pareillement affichés.
7On n’échappe pas à l’idée d’un concept unitaire. Mais lequel ? Il n’est pas entièrement faux de penser que la lex est un contrat, puisque Papinien le dit de la lex publica (D. 1, 3, 1 communis reipublicae sponsio), fruit d’une question posée au peuple par le magistrat ; de même le foedus repose sur un accord la lex collegii sur une pactio (XII tables 8, 27), la lex censoria débouche sur une adjudication publique et les leges de Caton sur une adjudication privée. Mais il n’y a pas trace de convention, même avec les dieux, dans la lex templi, qui remonte au temps des rois. Et on a de bonnes raisons de penser que les XII tables ne furent pas votées par le peuple mais promulguées d’autorité par les décemvirs10. L’idée de la lex-contrat correspond à un stade assez avancé de la pensée romaine et obscurcit l’état le plus ancien du droit. Même quand la loi s’accompagne d’un accord, elle en reste distincte. Une chose est le texte (lex, leges) du foedus archaïque, rédigé dans la même langue que les XII tables, une autre le serment qui le consacre. La lex censoria, nous le verrons (chap. II), est moins le texte d’un marché public que le règlement préalable que lui assigne autoritairement le magistrat. Dans aucun cas la lex ne se réduit à un échange de consentements. La loi-contrat est une idée nouvelle et (malgré le prestige de Papinien) assez vulgaire, qui obéit à la tendance facile d’assimiler une institution à une autre, ce qui dispense d’en préciser la nature propre. Cette idée fausse, qui avait pour elle quelques apparences, une fois éliminée, il faut remonter plus haut. Pour réussir dans cette tâche, le meilleur instrument, si on écarte l’écume de la vie politique, est l’histoire du mot lex. C’est aussi le style identique des divers types de leges, du foedus aux formulaires de Caton, toutes rédigées à l’impératif, à la différence des autres sources du droit et autres actes juridiques. Une même qualification (lex), un même style (l’impératif), voilà ce qui fait l’unité et l’originalité d’une catégorie juridique qui possède divers aspects et ne se laisse identifier à aucune autre.
Notes de bas de page
1 Sur lex voir en particulier : Dizionario Epigrafico vol. IV, 702-793 article lex : (BARBIERI et TIBILETTI) ; J. BLEICKEN, Lex Publica, 1975 ; F. SERRAO, Classi partiti e legge nella Republica romana 7 (1975) ; cf. FREZZA, Preistoria e storia della lex publica, Archives de droit privé XVI, 1953 (vol. dédié à Fr. Pringsheim) p. 54-76 ; cf. STEIN, Regulae Juris, 1966, p. 3-25 ; SCHMIDLIN, Tij-voor Rechtsgeschiedenis, 1970, p. 373 suiv. ; WATSON, The Nature of Law, 1977.
2 ROTONDI, Leges Publicae Populi Romani, 1912 (réimprimé en 1962).
3 Sur ce texte Y. BONGERT, Recherches sur les récupérateurs, dans Varia III, 1952, (Instit. de Droit romain) p. 117 ; cf. WENGER, RE IA, 405 ; dans un autre sens SCHMIDLIN, Das Rekuperatorenverfahren, 1963, p. 6-10.
4 MOMMSEN, Jur. Schrift. III p. 364-366.
5 MOMMSEN, Staatsrecht I p. 248 ; 249, 1 ; TÄUBLER, Imperium Romanum, 1913 (nombreux textes de traités cités) ; BENGTSON, Die Staatsverträge des Altertums II, passim.
6 Pour le droit sacré voir Thes. Ling. lat. v. lex 1244, 54-60. Sur de telles clauses de droit privé ou droit sacré, voir chap. II in fine.
7 Voir cependant Diz. Ep. v. lex Il, 702.
8 Sur la lex sacrata voir chap. III au début.
9 Sur l’attribution à Servius Tullius (aujourd’hui discutée) de l’ara de Diane Aventine, voir DUMÉZIL, Religion romaine archaïque, 2e éd., 1974, p. 412.
10 Sur la lex publica comme contrat entre le peuple et le magistrat, voir dernièrement FREZZA BIDR, 1968, p. 18 suiv., où cette idée revêt une forme nouvelle en relation avec la lutte entre patriciens et plébéiens. La formule de D.H. 10, 4, 1 πόλεως κοινῆ συνθήκη à propos de la loi est, à notre avis, l’expression d’une théorie philosophique sans portée historique. Même idée chez Marcien qui cite Démosthène (D. 1,3,2).
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La Loi à Rome
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