Mettre en liste les hommes et les territoires chez les protestants français du xvie et xviie siècle
Étude de cas et réflexions méthodologiques
Listing men and territories in the French protestants of the 17th and 18th centuries
p. 243-265
Résumés
Le présent article propose une réflexion épistémologique et méthodologique sur une source très utilisée par les historiens : les listes de noms ou de lieux. Il rejoindra les derniers écrits d’Yves Krumenacker qui a travaillé sur cette forme de source pour son livre sur les synodes de Bourgogne. Mettre en liste des hommes et des territoires est une pratique des gens d’Église depuis le milieu du Moyen Âge : paroisse, bénéfices, titulaires de charge… l’institution a éprouvé le besoin de compiler ces informations dans une énumération cumulative représentative sinon exhaustive. Les protestants firent de même dès qu’ils réussirent à constituer une Église autonome dans le royaume de France. Ainsi, dès 1559-1560 ils cherchèrent à se compter, à établir leurs lieux d’exercice dans une volonté affirmée de montrer la réalité de leur implantation dans un pays jusque-là catholique. Au cours des guerres de Religion qui suivirent, cette quantification par la liste s’attacha à révéler leur identité politique : listes de proscrits dans les villes catholiques, liste de places fortes dans les négociations de paix, liste de soldats dans les armées huguenotes. À travers le cas des places fortes protestantes et des synodes de Bourgogne, il s’agira de montrer deux études de cas d’une analyse historique à partir de ces sources. La méthode de traitement sera également questionnée sous l’angle des humanités numériques, la liste étant un objet particulièrement adapté au traitement numérique et à la modélisation des données quelle que soit la technique (structuration et analyse du texte, alimentation de base de données, etc.).
Listing men and territories in the French protestants of the 17th and 18th centuries
The present article proposes an epistemological and methodological reflection on a source that is widely used by historians: lists of names or places. It will join the latest writings of Yves Krumenacker who worked on this form of source for his book on the synods of Burgundy. Listing men and territories has been a practice of church people since the middle of the Middle Ages: parishes, benefices, office holders... the institution felt the need to compile this information in a representative if not exhaustive cumulative enumeration. The Protestants did the same as soon as they succeeded in constituting an autonomous Church in the kingdom of France. Thus, as early as 1559-1560, they tried to count themselves, to establish their places of practice in an assertive desire to show the reality of their establishment in a country that had been Catholic until then. During the following Wars of Religion, this quantification through lists was intended to reveal their political identity: lists of proscribed people in Catholic cities, lists of strongholds in peace negotiations, lists of soldiers in Huguenot armies. Through the case of the Protestant strongholds and the synods of Burgundy, the aim is to show two case studies of a historical analysis based on these sources. The processing method will also be questioned from the angle of digital humanities, the list being an object particularly adapted to digital processing and data modeling whatever the technique (structuring and analysis of the text, database feeding, etc.).
Texte intégral
1Le présent article propose une étude de cas et une réflexion méthodologique sur une source très utilisée par les historiens : les listes de noms ou de lieux. Il rejoint les derniers écrits d’Yves Krumenacker qui a travaillé sur cette forme de source pour son édition des synodes de Bourgogne1. Mettre en liste des hommes et des territoires fut d’abord une pratique des gens d’Église depuis le milieu du Moyen Âge, puis progressivement des différentes chancelleries princières : paroisses, bénéfices, taillables, titulaires de charge… Au sortir du Moyen Âge, la plupart des institutions ont éprouvé le besoin de compiler ces informations dans une énumération cumulative qui se voulait représentative, à défaut d’être exhaustive.
2Un récent colloque dirigé par Gregorio Salinero et Christine Lebeau a déjà fait un premier point méthodologique sur l’usage de ce type de sources2. En citant Jack Goody, les éditeurs de ces textes considèrent la liste comme une « technologie intellectuelle », un moyen d’appréhender le réel par un biais documentaire3. L’époque moderne connaît une inflation très importante de l’usage des listes, si bien que rares sont les historiens qui n’ont pas croisé un jour ou l’autre ce type de document. Dans ce même recueil, Julien Alerini utilise ces sources pour évaluer les violences militaires à l’encontre des populations civiles en terres savoyardes entre le xvie et le xviie siècle4. Il montre comment se met en place un récit visant à établir les événements en vue de traiter l’affaire à la chambre des Comptes du duché, récit doublé d’une liste des exactions servant essentiellement à attester les faits. La liste est ici attestation de la violence de guerre. Marco Penzi revient lui sur une véritable fièvre énumérative au temps de la Ligue, notamment dans l’établissement de listes de proscription ou de listes de bons chrétiens dans le contexte de la Ligue parisienne5. C’était un processus déjà ancien en usage dans les villes du royaume dès les premières années des guerres de Religion, et conduisant à des processus de purge de l’adversaire religieux6. Jérémie Foa, dans son dernier livre sur la Saint-Barthélemy, place les listes au cœur de son interprétation du massacre : listes d’écrou du Châtelet, listes d’impôts, listes de miliciens7…
3Les protestants eurent ce même souci, dès qu’ils réussirent à constituer des Églises autonomes dans le royaume de France. Ainsi, dès 1559-1560, ils cherchèrent à se compter, à établir leurs lieux d’exercice dans une volonté affirmée de montrer la réalité de leur implantation dans un pays jusque-là catholique. Au cours des guerres de Religion qui suivirent, cette quantification par la liste s’attacha à révéler leur identité politique : listes de proscrits dans les villes catholiques, liste de places fortes dans les négociations de paix, liste de soldats dans les armées huguenotes. À travers le cas des places fortes protestantes et des synodes de Bourgogne, la liste sera présentée comme source, que ce soit pour une histoire politique, religieuse et même culturelle. La méthode de traitement sera également questionnée sous l’angle des humanités numériques, la liste étant un objet particulièrement adapté à ce type de traitement et à la modélisation des données quelle que soit la technique (structuration et analyse du texte, alimentation de base de données, etc.). Ce sera l’objet de la deuxième partie présentant un travail sur les synodes protestants de Bourgogne.
Les listes de places fortes
4Les lignes qui vont suivre proposent d’explorer non pas une pratique documentaire de mise en liste, mais l’invention progressive d’un inventaire cumulatif d’un objet militaire, les places fortes protestantes. Ainsi, il s’agira de questionner la façon dont ces places ont fait l’objet, très progressivement, d’un inventaire par des biais différents, allant de l’administration royale à celle du parti en passant par les libellistes ou ingénieurs militaires au service du roi. Il n’y a pas une mise en liste unique des places huguenotes, mais des processus successifs répondant pourtant à la même idée de cerner une puissance militaire par essence insaisissable dans un contexte de guerre civile.
5Le milieu huguenot a très tôt manifesté le besoin de se compter, d’inventorier ses fidèles, ses Églises, ses ressources, de manière à se donner une existence concrète dans un royaume où les protestants étaient essentiellement des clandestins. Dès les années 1558-1559, les pasteurs les plus actifs dans ces Églises naissantes s’étaient attachés à mettre sur pied une organisation ecclésiastique de manière à donner une structure à ces Églises disséminées sur tout le territoire8. Le premier synode national s’était tenu à Paris en 1559 à l’initiative du pasteur Chandieu et de ses collègues parisiens, mais il avait cherché à fonder la représentation des Églises sur une géographie réformée empirique incarnée par les structures locales. Lors de l’assemblée de Fontainebleau réunie en août 1560 à la demande du roi, Coligny s’était fait le porte-parole des réformés de Normandie qui demandaient au roi l’autorisation de disposer d’un lieu de culte et de leur reconnaître une liberté de conscience9. Cette position était défendue par Coligny alors qu’à la cour, après la conjuration d’Amboise, les modérés prenaient l’ascendant. Elle encouragea les autres Églises du royaume à en faire autant. D’une structure ecclésiastique encore embryonnaire, les calvinistes espéraient passer à une Église publique : la brèche était ouverte. Ils décidèrent alors de se compter, de se donner une existence numérique de manière à obtenir du souverain un arbitrage favorable10. Au-delà de la seule logique revendicative, ce premier comptage permit aussi de dessiner une géographie protestante qui marqua définitivement son identité. C’est à partir de cet inventaire que s’est fixé le célèbre effectif des 2 150 Églises réformées en 1560 revendiquées par Coligny face à Charles IX11. Les États-Généraux d’Orléans en décembre 1560 virent affluer des demandes de temples dans les remontrances et fixèrent donc aux yeux de tous une géographie confessionnelle du royaume12.
6Dans ce contexte d’émergence de la nouvelle confession, cette première mise en liste de lieux fut d’abord de nature ecclésiastique. La mise en défense des Églises face aux risques encourus dans certaines régions du royaume conduisit à faire glisser ce territoire confessionnel vers un territoire partisan13. Nous ne reviendrons pas ici sur la structuration progressive du parti qui commença dès 1561 et se prolongea jusqu’à la fin des années 1620. Retenons simplement qu’en copiant le système synodal des Églises, le parti s’est toujours considéré comme une émanation des intérêts locaux, villes et villages, porteurs d’une parole singulière fondue ensuite dans une discussion générale sur les intérêts collectifs. Dès l’automne 1561, un synode provincial de Haute-Guyenne et du Limousin envisageait un système militaire fondé sur des commandants locaux et un enchevêtrement de conseils allant des paroisses aux colloques. Il ne fut pas le seul14. Le système mis en place après la Saint-Barthélemy et étudié par Janine Garrisson et Léonce Anquez était dans le même esprit15. Les huguenots ne cessèrent jamais de modifier leurs circonscriptions partisanes dans une redéfinition permanente de leur propre territoire. En 1588, l’assemblée générale de La Rochelle proposait un nouveau découpage des conseils provinciaux16. En 1594, à Sainte-Foy, était adoptée une nouvelle répartition des assemblées générales et provinciales et la composition de leur conseil17. À Loudun en 1596, La Rochelle devint à elle seule une province à part entière suite à la demande des échevins18. Le règlement politique du parti fut revu à Saumur en 1611, avec notamment la création des assemblées de cercle, nouvelle instance de fonctionnement du parti pour régler les litiges entre provinces19. Avec la reprise des guerres, lors de l’assemblée de La Rochelle, le 10 mai 1621, les huguenots en révolte adoptaient « L’ordre et règlement général de milice et de finances pour les Églises Réformées de France et souveraineté de Béarn »20. Ils créaient alors huit départements de plusieurs provinces pour encadrer levées d’hommes et de deniers. Ce rapide survol chronologique témoigne du besoin constant qu’eurent les instances huguenotes de mailler le territoire du royaume, de le rendre intelligible pour mener leur guerre et mobiliser ses ressources. La géographie protestante participe d’un « espace conçu », c’est-à-dire planifié par des experts, à savoir les députés du parti, et affirmé comme tel pour défendre l’identité du groupe21. Elle définit des « lieux », au sens anthropologique du terme, des éléments distribués dans l’espace qui définissent un rapport de coexistence et un ordre dans le territoire22. Nommer le lieu, c’est alors lui donner une identité, l’inscrire dans une histoire collective et lui permettre de servir de repère23.
7Ce souci d’inventaire du milieu réformé était tout aussi frénétique du côté de l’administration militaire. Le recours à la liste dans la gestion des questions militaires est une pratique ancienne et le parti protestant, en y ayant recours, ne faisait qu’imiter les outils administratifs de l’armée royale. En termes de liste, le document le plus célèbre est la « montre », revue de troupe effectuée par un commissaire des guerres sous le regard des officiers de la compagnie, pour enregistrer les soldats et leur verser leur solde. Document normé depuis le début du xvie siècle, une montre présente le contexte du passage en revue – date, lieu, commissaires, période payée – les officiers et les soldats composant la troupe. À partir des années 1560, les secrétaires prirent l’habitude d’ajouter l’origine géographique du soldat ainsi enregistré, document particulièrement précieux pour situer les logiques territoriales de recrutement. Ferdinand Lot est l’un des premiers historiens à avoir utilisé ces sources dont le nombre ne cesse de croître au fil du xvie siècle. Il en a souligné toute l’approximation et la déformation. Il met en garde l’historien sur des documents administratifs comptables dont souvent la forme inspire la confiance, mais qui en pratique « peuvent ne présenter que des vues, des souhaits auxquels la réalité ne répond qu’imparfaitement »24. De fait, ces listes n’étaient souvent qu’illusion, ou plutôt expression d’un désir de mobilisation, parce qu’entre les soldats appelés et ceux réellement présents, l’écart pouvait être de taille. La montre est une liste de noms et justifie le paiement de la solde. Sur le terrain, celui qui recevait la solde n’était pas toujours celui indiqué sur la liste, l’absentéisme étant souvent de mise. La montre, dans certains cas, indique une armée idéale, pas toujours la réalité des hommes présents sur le terrain. Ainsi, les montres demandent à être critiquées pour en tirer des informations fiables. Elles ont pourtant le mérite d’exister. Elles renseignent sur une intelligence administrative qui passe par la recherche de connaissances cumulatives, quitte à ce qu’elles soient approximatives. Leur fonction, probablement, était de donner l’illusion d’une maîtrise des questions militaires et sur le terrain, le pragmatisme du chef de guerre devait compenser ce qui n’était que fiction.
8Les places de sûreté se trouvèrent à la croisée de l’ambition huguenote d’inscrire le parti dans le royaume et de la nécessité militaire d’inventorier hommes, lieux et matériels. C’est à ce titre qu’elles furent l’objet d’une mise en listes en constante évolution des années 1570 aux années 163025. Le premier inventaire des places de sûreté n’est pas à proprement parler une liste : il s’agit d’un article de la paix de Saint-Germain (1570), qui accorde les quatre premières places en garde aux huguenots malgré la fin des combats. De cette paix à la conférence de Nérac (1579), une trentaine de villes protestantes reçurent ce statut qui n’a pas donné lieu à une mise en liste spécifique, ni du côté protestant, ni du côté catholique. À notre connaissance, le premier inventaire de places fortes protestantes fut dressé en 1586 dans un document connu sous le titre : Dénombrement des villes et places fortes que tiennent ceux de la Religion dans le royaume de France suyvant le mémoire qui en ha esté baillé au roy au mois de mars mil cinq cens quatre vingt et six avec le nom des capitaines qui font la guerre pour le roy de Navarre. Janine Garrisson l’a repéré aux archives départementale du Lot ; il est à rapprocher de deux listes conservées à la Bibliothèque nationale de France et qui reprennent la même nomenclature26.
Dénombrement des villes et places fortes que tiennent ceux de la Religion

9En tout, 214 lieux sont inventoriés, classés par province, avec en plus pour l’une de ces listes un inventaire des chefs de guerre et de leurs troupes. En 1586, pour la première fois à ce qu’il nous semble, l’administration monarchique dressait un inventaire des places fortes protestantes. La forme de ce document correspondait à celle des états de garnisons ou des listes de places fortes que l’on pouvait trouver pour les provinces ou le piémont italien : la place forte n’était pas un point sur une carte, mais un nom sur une liste organisée par provinces. En étant un repérage partisan des places huguenotes, il manifeste le désir des autorités de mettre en liste un rapport de force géopolitique. Il se voyait traduit dans une représentation qui induisait une géographie sommaire, une liste de noms et des provinces. L’auteur de la liste, inconnu mais rompu aux pratiques administratives des armées, reconnaît en fin de liste que sa démarche relève de la chimère, plus de 500 lieux et lieux-dits tenus par les huguenots ne pouvant figurer dans sa recherche. Ainsi, en 1586, s’invente une première liste des places fortes protestantes, mais si l’entreprise est nouvelle, elle demeure encore impossible à satisfaire complètement.
10Après 1586, nous retrouvons ce processus d’inventaire en vue de la rédaction de l’édit de Nantes, à partir du milieu des années 1590. En 1596 ou 1597, l’assemblée générale du parti envoyait au roi un état des places à entretenir pour la défense des protestants en Dauphiné27. Il dut en être autant pour les autres provinces. Après la signature du brevet du 30 avril 1598 qui accordait aux protestants la conservation de toutes les places qu’ils tenaient et le paiement d’une petite centaine d’entre elles – les fameuses places de sûreté –, l’administration royale publia plusieurs états dressant la liste des places qu’elle s’engageait à financer28. Il s’agit de documents militaires renseignant sur le statut de la place, l’effectif de sa garnison et le montant versé par le roi pour son entretien. Ces états ont été copiés à plusieurs reprises, notamment dans une version imprimée tardivement, en 1617, à Montpellier. D’autres états ont été dressés, en 1603 et 1611, mais leur liste demeure identique à celle de mai 159829. Enfin en 1615, l’assemblée générale des Églises demandait un nouveau prolongement dans le contrôle de ces places et établissait une nouvelle liste à partir des précédentes. Ces listes appartenaient au genre de la littérature administrative habituelle, et ne concernaient pas toutes les places protestantes du royaume. En confiant à l’administration militaire un inventaire des places à financer, agents du roi comme membres du parti n’ont de leur côté jamais cherché à établir une liste exhaustive du potentiel militaire huguenot. Il ne s’agissait que de la petite centaine de lieux financés par le roi, pas la masse des places fortes tenues par le parti en vertu de l’édit de Nantes. Ces listes ne reflétaient pas la réalité militaire du parti, car elles étaient un outil de gestion militaire. Ainsi, comme en 1586, la réalité géographique du potentiel militaire huguenot était insaisissable, on ne pouvait inventorier toutes ses places et on restait ici sur un registre résolument administratif.
11L’entreprise d’inventaire exhaustif aurait été trop incertaine en raison de la précarité de certaines places, et finalement, parti comme agents royaux ont préféré laisser tout cela dans un flou relatif, une impression de potentiel militaire important mais non-quantifiable. La mise en liste avouait ici sa limite. Ce flou explique de fait la surinterprétation du potentiel militaire huguenot. À côté de la petite centaine de villes inscrites dans les états, la puissance militaire du parti semblait décuplée par ces villes et châteaux innombrables, au sens strict du terme, et impossibles à lister. Elles étaient sources d’inquiétude pour les adversaires du parti, parce que justement non-quantifiables. Cette menace insaisissable a participé à construire la rhétorique de l’État dans l’État et les discours fantasmant la puissance militaire du parti.
12Quand la guerre reprit, à partir de 1620, se multiplièrent les listes de places protestantes. Il ne s’agissait pas cette fois-ci d’états administratifs comme en 1598, mais d’inventaires de places fortes proposés par les thuriféraires royaux qui voulaient traduire dans l’espace la puissance du parti protestant pour mieux montrer la gloire du roi. La liste quittait le champ du document administratif pour rejoindre celui de l’occasionnel polémique au service de la couronne, au service d’une épopée victorieuse de Louis XIII dans le Midi protestant. Après la prise de Clairac en 1622, deux occasionnels vinrent faire le récit du triomphe royal et comportaient en fin de volume une liste de 60 ou 70 villes soumises préalablement. Clairac n’était qu’un cas parmi une multitude de villes fortes réduites à l’obéissance30. Figurent dans ces listes les places les plus connues parmi celles qui se sont soumises au roi, mais aussi quelques noms fantaisistes issus d’une erreur de copie et d’une invention comme « Zias », « Buesze » et « La Tour de Brie », difficiles à associer à un toponyme réel. Plus qu’une information géographique fiable, ces listes participaient d’un argumentaire cumulatif insistant sur le nombre des places huguenotes. D’autres occasionnels ne visaient qu’à publier ces listes de places soumises, aussi bien sur un format narratif que sur un format graphique. Ainsi, deux opuscules publièrent de telles listes en 1621 et 162231. Un troisième le fit de manière graphique.
Ordre des villes d'ostage et places de seureté retirées par force ou autrement sur ceux de la Religion pret. Ref par le roy Louys le Juste ez années 1620, 21, et 22

13Cette gravure n’est pas la seule dans ce genre, et je renvoie à mes travaux pour un inventaire plus complet32. Sa construction est classique : une représentation équestre de Louis XIII en armure entouré de plans de villes. Le roi tient dans sa main droite un bâton de commandement et porte sur sa tête les lauriers de la victoire. Le cheval est cabré, il foule au pied ses adversaires, à savoir une allégorie de l’hérésie en Méduse. Le roi est au milieu de ses armées, dans le cartouche central. Les armes de France et Navarre sont toutes deux associées au roi, ainsi qu’une représentation de Dieu et une devise qui fait de Louis XIII le nouveau César.
14Pierre Boyer du Parc, ingénieur du roi qui l’a suivi dans l’ensemble de ses campagnes et auteur du manuscrit célèbre Les lauriers triomphants, est probablement celui qui a fait basculer cette rhétorique de la mise en liste des places fortes vers une représentation cartographique33. Son livre est un récit graphique des campagnes de Louis XIII, dans lequel il dresse pour chaque place un plan manuscrit et en couleur. Il a ajouté à cet opus un ensemble de quatre cartes provinciales figurant les places huguenotes avec un catalogue manuscrit de l’ensemble des places fortes protestantes en 1620. C’est du moins l’interprétation de François de Dainville, qui a retrouvé ces documents à la bibliothèque municipale de Grenoble34. Sa démonstration est magistrale, et implique pour notre propos qu’en plus des plans de villes, Boyer du Parc avait proposé en amont de son ouvrage un inventaire complet du potentiel militaire huguenot sous forme de liste, ajoutant à l’accumulation des plans celle d’une liste qui se voulait encore plus exhaustive. Comme l’écrit François de Dainville, ces cartes et ces listes n’avaient pas de dimension militaire, elles avaient été « conçues non pour l’actio mais pour la laudatio »35. Boyer du Parc fait le lien entre la liste cumulative et une première cartographie tout aussi cumulative. Il met la liste dans l’espace en la situant sur ses cartes de province. Il fut le premier à le faire. Écrit dans le même esprit, l’ouvrage de Louis de Chabans, capitaine royal à la suite des armées de Louis XIII, propose, lui aussi, dans ses premières pages, une liste des places fortes protestantes36.
15Dans ces derniers cas, liste et représentation de l’espace se trouvent intimement liées. Selon Léonard Dauphant, ce lien remonte à la fin du xiie siècle, au Provincial romain, liste des diocèses classés par nation et par province37. Dès le xiiie siècle, la désignation d’un territoire se mit à passer par l’énumération des villes, regroupées en provinces ou gouvernements. Elle servait à la fois à administrer et à témoigner de la puissance du prince. La « liste statistique », celle qui servait à prélever l’impôt sur les communautés, apparut au xve siècle38. La liste valait alors modélisation géographique, car elle permettait de désigner une rue, une maison, un individu, un champ. Au xvie siècle, François de Belleforest, dans sa Cosmographie, ne faisait pas autre chose que de présenter le territoire en partant des villes et des juridictions qui leur étaient attachées39. Pour définir les voies de circulation, les confins, les limites ou les frontières, un géographe comme Robert Estienne utilisait les lignes des rivières et les points constitués par les villes. La liste devenait itinéraire, et définissait une hiérarchie entre les lieux. Les travaux de Boyer du Parc sont à cheval entre cartographie provinciale et liste des villes protestantes. Ses cartes sont illisibles tellement il met de noms sur ses planches, et en ce sens il se situe bien encore dans une logique cumulative. Mais les places sont figurées les unes par rapport aux autres, sur des cours d’eau, dans des reliefs, et en ce sens on dépasse la seule énumération classée par provinces, telle un chapelet sans ordre spécifique. La mise en liste des places protestantes se fait dans un contexte de transformation de la représentation cartographique et elles en sont les témoins.
16Il n’est pas lieu ici de proposer un état exhaustif de tous les inventaires de places, ce qui relèverait d’ailleurs d’une chimère. À côté du document militaire et du document littéraire qui viennent d’être vus, il existe encore des listes servant aux agents du roi au travail dans les provinces comme celle-ci-dessous, réalisée par Auguste Galland envoyé en Languedoc en 1625-1627 pour tenter d’apaiser les esprits40. À la différence des inventaires précédents, pensés pour raconter et non pour administrer, cette liste est une pièce qui n’avait pour but que d’aider le commissaire royal à remplir sa mission.
17Ainsi, entre 1570 et les années 1630, s’est progressivement inventée une pratique d’inventaire des places fortes protestantes. Pour des usages divers, on a alors eu besoin de lister les lieux que tenaient les huguenots de manière à identifier leur force militaire. Ce sont d’abord les négociateurs des paix pour se mettre d’accord sur ce que le parti pouvait conserver. Dans la masse des villes tenues par les protestants, il s’agissait de définir celles qui conserveraient soldats et murailles. Ce furent ensuite les administrateurs royaux qui rédigèrent d’authentiques états pour inventorier et classer les villes qui, parmi toutes celles laissées au parti en 1598, seraient financées par le roi. Ces listes comportaient alors les effectifs des garnisons et les sommes allouées. Ce furent également des agents du roi qui tentèrent de repérer les lieux qui lui étaient hostiles, que ce soit dans les années 1580 ou les années 1620. Enfin, ce furent les thuriféraires royaux qui se servirent de ces listes pour désigner la puissance du parti protestant et face à elle, l’extraordinaire courage politique de Louis XIII dont la réussite militaire prouvait tous ses mérites.
Mémoire des villes et bourgs détenus par ceux de la Religion – s. d. (v. 1627)

18Concernant ces places fortes protestantes, il n’y eut donc pas un usage unique de la liste, mais au contraire une multiplication de fonctions qui donnent à ces documents des valeurs très différentes. Le document administratif est efficace pour mesurer le poids des villes les plus importantes. Le document narratif est plus utile pour essayer d’opérer une pesée globale, tout en étant conscient de ses déformations, de ses exagérations, mais aussi de ses lacunes. Dans les deux cas, ces listes n’offrent qu’une lecture partielle de cette réalité militaire qu’elles tentent pourtant de circonscrire. Le point commun à tout cela réside dans un effort systématique de classement géographique. À l’image des guides ou cosmographies contemporaines, les places étaient classées par provinces, gouvernements, voire généralités et c’est très logiquement que cette mise en liste du territoire fut une des premières à bénéficier d’un traitement cartographique grâce aux travaux de Boyer du Parc. Ce dernier ne fit pas autre chose que ce qu’avaient fait ses prédécesseurs – inventorier le potentiel militaire du parti pour montrer la grandeur du roi – mais ses compétences d’ingénieur et l’apparition des premiers atlas manuscrits à cette époque l’incitèrent à projeter ces listes sur ses plans.
Ce que les humanités numériques peuvent apporter au traitement des listes : le cas des synodes de Bourgogne ?
19Les lignes qui vont suivre nous plongent au cœur d’un traitement numérique de données cumulatives contenues dans des textes ou des listes. Elles se veulent précises et concrètes, et pour certains lecteurs peu familiers au langage informatique, elles pourront même s’avérer énigmatiques. Elles ont tout leur sens ici, parce que cette méthode de traitement accompagna le travail d’Yves Krumenacker sur les synodes de Bourgogne. Elles ont aussi leur sens pour l’historien néophyte dans ce langage, car elles partent de la modélisation des données historiques pour arriver à leur traitement, point qui intéresse tout chercheur. Les synodes de Bourgogne constituent la base documentaire et son traitement par le biais de l’outil numérique le cœur de ce propos.
20Les synodes des Églises réformées rassemblent les représentants des Églises d’une province pour traiter des questions financières, disciplinaires, doctrinales etc. Chaque synode désigne un secrétaire pour transcrire les débats, plusieurs copies de ses actes sont ensuite réalisées. Au xixe siècle, le pasteur Louis Auzière a recherché ces copies afin d’en faire une transcription conservée à la Bibliothèque du Protestantisme français41. Les actes des synodes des Églises réformées représentent une source essentielle pour la connaissance du protestantisme français sous l’Ancien Régime. Ils font l’objet d’une édition chez Droz dans une sous-série de la collection « Travaux d’Humanisme et Renaissance » intitulée « Archives des Églises réformées de France ». Le premier volume, édité par Didier Boisson, a été publié en 2012 et concerne l’Anjou-Touraine-Maine [1594-1683]42. Le second volume, édité par Yves Krumenacker, propose les actes des Églises de Bourgogne43.
La rencontre entre un chercheur, une ingénieure et un objet
21Outre les questions de discipline ecclésiastique et les « appellations », les listes constituent un élément récurrent des actes : liste des participants au synode (liste des Églises et de leurs représentants, des commissaires, d’invités éventuels etc.), liste des collèges et des écoles, liste d’attribution des pasteurs, liste de « distribution des deniers » (aux Églises, aux pasteurs, aux veuves de pasteur, etc.).
22La structure formalisée des actes44, l’intérêt de pouvoir croiser les données d’une session à l’autre (Églises représentées ou non, changement des périmètres des Églises, changement de pasteurs dans les Églises etc.), l’intérêt de pouvoir compléter des actes, parfois lacunaires, par d’autres sources voire d’enrichir l’édition au cas où des textes d’autres sessions ou des données biographiques sur un pasteur seraient retrouvées, étaient autant d’éléments qui plaidaient en faveur d’un traitement numérique de cette source. Alors qu’Yves Krumenacker se voyait confier l’édition des actes des Églises de Bourgogne, se mettait en place au Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (LARHRA) un pôle d’histoire numérique résolument tourné vers l’interopérabilité et l’accessibilité des données, une dizaine d’années avant que le « FAIR45 » et l’Open Science ne deviennent une recommandation du CNRS.
23Mais il ne suffit pas d’une orientation stratégique pour monter un projet, il faut essentiellement des hommes et des femmes. Il faut un chercheur qui prenne en compte l’intérêt de ce que le numérique peut apporter à sa recherche ; un ingénieur pour organiser le travail (dans le cas des actes des synodes deux ingénieures : une masterante de l’École des chartes pour construire le schéma, et une ingénieure pour prendre le relais et structurer le projet)46 ; un langage et un outil à la fois assez souples pour être indifféremment utilisés par le chercheur et l’ingénieure, mais suffisamment puissants et performants pour assurer un bon traitement des données.
24C’est d’après le manuscrit du pasteur Auzière que le projet d’édition électronique a été construit, puis cette édition a été complétée à l’aide des copies du xviie siècle conservées dans différents dépôts d’archives, copies qui ont été transcrites par Yves Krumenacker. Nous avons choisi d’utiliser la TEI, Text Encoding Initiative, pour les grandes possibilités de balisage structurel et sémantique qu’elle offre, mais aussi parce qu’elle reste lisible par l’œil humain.
L’analyse du document
25Pionnier en histoire, le LARHRA a souhaité associer une expérimentation XML/TEI dès le début du travail d’édition critique. L’encodeur, et c’est une des originalités du projet, a ainsi été amené à travailler sur une édition en devenir, en étroite collaboration avec l’éditeur scientifique, et en s’efforçant d’anticiper d’éventuels besoins et/ou contraintes futurs. Élaboré à partir d’un état intermédiaire de l’édition critique (mi-juillet 2010), le schéma devait évoluer avec l’avancement du travail47.
26Au départ, le projet prévoyait de traiter l’édition électronique en un seul volume (TEI corpus48). À l’usage, il est apparu préférable de gérer chaque synode comme une entité propre : chaque synode étant un document unitaire, indépendant des autres, avec un même schéma appliqué à tous. L’édition en ligne étant un objet différent du livre, il est important de s’éloigner des réflexes de conception hérités de l’édition du livre pour apprendre à créer de nouveaux objets plus souples, adaptés à une autre forme de lecture : pouvoir travailler sur un seul volume papier rassemblant la totalité des actes des synodes par région est un avantage pour le lecteur, mais pour la lecture en ligne, il est plus confortable d’afficher des textes courts, tant pour des raisons de confort de lecture que de temps de téléchargement. Dans le cas des synodes, comme dans d’autres projets collaboratifs, il fallait aussi un objet adapté au travail en équipe : que l’ingénieure puisse poursuivre la transcription d’après le manuscrit Auzière en même temps que le chercheur puisse compléter les textes déjà saisis à l’aide des copies du xviie siècle conservées en archives. D’où l’intérêt de travailler sur des entités séparées et de l’utilisation de l’élément TEI « revisionDesc », qui permet de décrire chaque intervention sur le document : auteur, date et modification apportée.
<revisionDesc>
<change who ="[…]" when ="[…]">Modification apportée</change>
</revisionDesc>
27Pour essayer de résumer un langage aussi structuré que la TEI49, celui-ci permet de rassembler dans un seul document :
Les métadonnées dans le TEI Header
abstract
idno identifiant standardisé
keywords
language
licence
profileDesc (fournit une description détaillée des aspects non bibliographiques du texte, notamment les langues utilisées et leurs variantes, les circonstances de sa production, les collaborateurs et leur statut)
publicationStmt (regroupe des informations concernant la publication ou la diffusion d’un texte électronique)
revisionDesc
titleStmt (regroupe les informations sur le titre d’une œuvre et les personnes ou institutions responsables de son contenu, etc.
Le texte lui-même (<text>) contenant un <front> (Titre, description du manuscrit, lieu de conservation, etc.) le <body>, structuré en éléments <div>. La TEI permet non seulement d’attribuer à chaque élément du <body> un identifiant unique, mais aussi de les « typer ». Dans le cadre de l’édition des actes des synodes, nous avons ainsi créé des <div> « invocation » contenant les bénédictions, « preambule » contenant les éléments sur l’organisation du synode, « participants » pour la liste des pasteurs présents et des Églises représentées, et d’autres éléments propres à l’assemblée.
Structure en xml TEI des actes du synode de 1618
qui s’est tenu à Paray-le-Monial

28Pour traiter les listes de participants aux synodes, nous avons retenu les éléments TEI suivants :
1er niveau : une <div> (subdivision) à laquelle on attribue un titre placé dans un élément <head>
2e niveau : l’invocation est traitée comme du texte (<p> : paragraphe) et la liste des participants est placée entre les balises <list></list>
3e niveau : chaque élément de la liste est placé entre les balises <item> et chaque élément est numéroté.
29Ces trois niveaux relèvent du balisage structurel. Vient ensuite le balisage sémantique qui porte sur les données. C’est à l’intérieur de chaque item que l’on identifie les types de données :
Les personnes et les Églises listées sont placées dans une balise <name> et sont référencées grâce à l’identifiant qui leur a été attribué lors de la saisie dans la BHP50.
Les données textuelles (i.e. présences et absences aux synodes) sont placées dans une balise <seg> (segment de texte) et sont, de même, référencées grâce à l’identifiant qui leur a été attribué lors de la saisie dans la BHP.
30Pour les identifiants, on utilise l’attribut @ana pour les données textuelles, puisque celles-ci doivent être « analysées » pour pouvoir être classées (c’est-à-dire absence/présence) et l’attribut @ref pour les noms de personne ou d’Église, puisqu’il s’agit de les référencer. Voici ce que cela donne dans un éditeur xml :
Saisie en xml TEI de la liste des participants au synode de 1618 (Paray-le-Monial)

31Typer les données, par exemple avec l’élément <name>, permet notamment de cibler les parties du texte sur lesquelles on souhaite effectuer une recherche textuelle et l’identifiant unique permet de repérer instantanément la portion du texte concerné et ce, quel que soit le langage utilisé pour effectuer les recherches. On pourrait ainsi écrire une requête en xslt pour lister les occurrences pour une personne ou une Église, et en lister les différentes orthographes :
Albert Du Mars escuier sieur de Balenes 4 Albert Du Mars escuier sieur de Balenes 1 Ballene 1 de Balesne 1 de Ballene 1 | leglise d’Arnay le Duc 6 celle dArnay le Duc 1 l’eglise dArnay le Duc 1 leglise d’Arnay le Duc 2 leglise dArnay 1 leglise dArnay le Duc 1 |
32Dans l’exemple ci-dessus, la recherche a été réalisée sur deux synodes (1603 à Oullins et 1618 à Paray), mais elle pourrait bien évidement s’appliquer à l’ensemble des textes.
Le traitement des données
33Grâce aux ressources développées par le Pôle histoire numérique du LARHRA, le projet a pu aller bien au-delà de la transcription de sources. L’édition est enrichie par des informations récoltées dans des sources complémentaires, saisies dans la base collaborative du projet Symogih.org et utilisées non seulement pour préciser l’un ou l’autre renseignement fourni par le texte, selon la démarche d’annotation classique d’une édition papier, mais en proposant une explication contextuelle dynamique – que permet l’édition numérique – en croisant toute sorte de données et tout en conservant leur traçabilité, par l’enregistrement des sources et de la bibliographie de chaque information. Il est ainsi possible de reconstituer la généalogie et la carrière d’un pasteur, ou sa bibliographie car l’utilisation d’une base de données collaborative et cumulative permet de multiplier les sources. Ainsi, dans le cas des synodes, sont souvent mobilisés des journaux de pasteurs comme celui édité par Auguste Bernus (« Le ministre Antoine de Chandieu d’après son journal autographe inédit 1534-1591 », Bulletin de la SHPF, t. 37, 1888), mais aussi des sources régionales (Philibert Papillon, Bibliothèque des auteurs de Bourgogne, Dijon, Philippe Marteret, 1742), ainsi que les Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève, édités chez Droz.
34Les éléments récoltés sont saisis dans une base de données cumulative et collaborative (Base d’hébergement de projet – BHP – du projet SyMoGIH.org (http://symogih.org/), Système Modulaire de Gestion de L’Information Historique) qui propose un modèle générique de stockage des données historiques permettant leur interopérabilité et leur publication sélective. À partir de ce modèle, une plate-forme collaborative pour la recherche en histoire a été mise en place, utilisée par plusieurs chercheurs et projets. Cela permet le stockage de données primaires, d’images et de leurs métadonnées, de textes codés en XML/TEI via un portail dédié http://xmlportal.symogih.org/index.html)51.
Fiche symogih.org du pasteur Théophile Cassegrain

35Toutes les informations contenues dans les actes et celles récoltées en parallèle dans d’autres sources ou dans la bibliographie sont saisies dans la BHP. Sur les 25 informations concernant le pasteur Théophile Cassegrain, les informations proviennent d’un ensemble de données :
14 ont été créées à partir des actes des synodes.
4 à partir de l’article de Jérémie Foa, « Don Quichotte controversiste. Les disputes de Théophile Cassegrain (fin xvie-début xviie) », dans Julien Léonard (dir.), Prêtres et pasteurs. Les clergés à l’ère des divisions confessionnelles (xvie- xviie siècles), Rennes, PUR, 2016, p. 115-141.
2 à partir des Registres de la Compagnie des pasteurs de Genève, T. VIII, 1600-1603, Gabriella Cahier et Matteo Campagnolo (éd.), Genève, Droz, 1986.
1 à partir du site web de la Société genevoise de Généalogie.
4 sont des ouvrages dont il est l’auteur, avec le lien vers l’ouvrage lorsque celui-ci est en ligne en accès ouvert (exemple : Advertissement sur le libelle fameux publié par F. Humblot sous le nom de la Dispute solennelle agitée en la maison de ville de Mascon entre ledict Humblot Minime, et Th. Cassegrain Ministre. Par Th. Cassegrain – http://www.e-rara.ch/doi/10.3931/e-rara-6904).
La cartographie
Carte des Églises réformées de Bourgogne en 1637

36Outre la possibilité de réaliser des requêtes sur le texte, le traitement numérique des listes offre également des possibilités de traitement cartographique de données. Reprenant la devise « Qui peut le plus, peut le moins », nous avons choisi d’utiliser un système d’information géographique (SIG) pour réaliser la cartographie des synodes. Ce choix était guidé, dans un premier temps, par la possibilité de réaliser des cartes à partir des données stockées dans le projet symogih.org grâce à la présence d’une géomaticienne au sein du LARHRA. Grâce à une requête SQL52, nous pouvions lister toutes les Églises protestantes représentées à chaque synode et réaliser, via le SIG Quantum Gis (Qgis), une carte indiquant pour chaque Église sa présence sur plusieurs synodes et permettant donc de visualiser la représentativité de chaque Église au fil des synodes.
37Même si nous avons dû renoncer à la réalisation des cartes par interrogation de la base de données (le départ de notre géomaticienne compromettant lourdement le traitement des données géographiques via symogih.org), nos listes d’Églises et de synodes exportées dans un tableur ne nous en ont pas moins permis de réaliser au LARHRA l’ensemble de la cartographie du volume publié chez Droz53, Qgis pouvant travailler aussi bien à partir de bases de données que plus basiquement à partir de fichiers csv.
38Qu’il s’agisse de listes ou de textes, grâce à la structuration des données, la publication n’est plus une fin en soi : non seulement le document est enrichi d’éléments non contenus dans le texte, mais il peut devenir évolutif grâce au travail collaboratif, un « work in progress » permanent... Face à de tels enjeux les éditeurs (éditeur scientifique du texte et ingénieur éditeur construisant le document électronique) deviennent des acteurs de la production de données historiques. Données « FAIR » comme il se doit à l’heure où la « science ouverte » se structure et où le traitement des données pour assurer leur diffusion et leur circulation devient un élément à prendre en compte en histoire, autant que la publication classique sous forme d’articles ou d’ouvrages qu’ils soient en version papier ou électronique.
39De la source cumulative – la liste – à son traitement systématique, tel est le circuit qui a été proposé dans cet article. La source est somme toute banale, puisque depuis le milieu du Moyen Âge, elle est devenue un outil de gestion, aussi bien pour les institutions publiques que pour les particuliers. Dans les deux exemples développés ici, les listes correspondaient à une perception du territoire, l’implantation des pasteurs présents aux synodes de Bourgogne et la localisation des places fortes huguenotes. Elles nous parlent d’un territoire sans chercher à le représenter en image. Elles furent nombreuses, souvent redondantes, et leur analyse critique, au moins pour les places fortes, conduit l’historien à considérer que leur ambition totalisante était le plus souvent chimérique. Les résultats ainsi obtenus sont toujours des esquisses, des tendances, rarement une duplication exacte du terrain sur le papier. Mais ils ont le mérite d’exister, dans une période pré-statistique avare en enquête, au moins pour le xvie siècle et la première moitié du xviie. La transformation de ces listes en bases de données, leur croisement avec d’autres sources, dans une logique d’open access et d’interopérabilité, ouvrent un champ d’investigation aux horizons très larges. De l’information unique et limitée – un pasteur, une Église, une place forte, une province – on passe à une logique cumulative : la liste est alors insérée dans d’autres listes, ses informations confirmées ou infirmées, sa valeur documentaire plus assurée. Le croisement des sources est au cœur de la pratique historienne depuis toujours, mais la collaboration que permet la mise en commun des données dans une base accessible à de nombreux chercheurs est un moyen de donner une seconde vie à toutes ces listes venues du passé.
Notes de bas de page
1 Yves Krumenacker (éd.), Actes des synodes provinciaux. Bourgogne (1601-1682), Genève, Droz, 2022.
2 Gregorio Salinero et Christine Lebeau, « Présentation », dans Gregorio Salinero et Christine Lebeau (dir.), Pour faire une histoire des listes à l’époque moderne. Mélanges de la Casa de Velázquez [En ligne], t. 44-2, 2014, mis en ligne le 01 janvier 2018, consulté le 16 février 2022. URL : http://journals.openedition.org/mcv/5723 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mcv.5723
3 Jack Goody, Pouvoirs et savoirs de l’écrit, Paris, La Découverte, 2007.
4 Julien Alerini, « Mettre en liste les foules de guerre en Savoie, xvie-xviie siècle », dans G. Salinero et C. Lebeau (dir.), Pour faire…, op. cit.
5 Marco Penzi, « Les listes de proscription au temps de la Ligue », dans G. Salinero et C. Lebeau (dir.), Pour faire…, op. cit.
6 Joan Davies, « Persecution and Protestantism : Toulouse, 1562-1575 », The Historical Journal, 1979, n° 22, p. 33 ; Paul Romane-Musculus, « Les protestants de Toulouse en 1568 », Bulletin de la SHPF, t. 107-2, 1961, p. 69-94 ; id., « Les protestants de Toulouse en 1574 », Bulletin de la SHPF, t. 110-4, 1964, p. 272-283 ; AM Toulouse, AA 14/1 (liste des personnes dont le parlement de Toulouse a ordonné l’arrestation et fait saisir les biens du 25 mai au 17 décembre 1562)
7 Jérémie Foa, Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy, Paris, La Découverte, 2021.
8 Hugues Daussy, Le parti huguenot. Chronique d’une désillusion (1557-1572), Genève, Droz, 2015, p. 83.
9 Nicolas Le Roux, Les guerres de Religion, 1559-1629, Paris, Belin, 2009, p. 43.
10 Hugues Daussy situe cet effort de comptage dans la préparation d’une assemblée prévue à Melun le 14 février 1561 réunissant des représentants des trois ordres (H. Daussy, Le parti…, op. cit. p. 218). Il est confié aux Églises locales et doit être collecté lors du synode national réuni à Poitiers en mars 1561.
11 Philip Benedict et Nicolas Fornerod, « Les 2 150 “églises” réformées de France de 1561-1562 », Revue historique, n° 651, 2009, p. 535.
12 Ibid., p. 538.
13 H. Daussy, Le parti…, op. cit. p. 351 et suiv. : « La création d’un système politique et militaire ».
14 Ibid., p. 354-355 et p. 364.
15 Janine Garrisson, Protestants du Midi, Toulouse, Privat, 1980, p. 187 ; Léonce Anquez, Histoire des assemblées politiques des réformés de France, Paris, Auguste Durand, 1859 (Genève, Slatkine Reprints, 1970), p. 41-42.
16 L. Anquez, Histoire des assemblées…, op. cit., p. 41-42.
17 Ibid., p. 62-64.
18 Ibid., p. 66.
19 Ibid., p. 247-249.
20 Ibid., p. 341.
21 Henri Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000.
22 Louis Marin, « Le lieu de pouvoir à Versailles », Dossier des séminaires TTS. La production symbolique des lieux exemplaires, n° 14, 1991, p. 90.
23 Michel de Certeau, « Pratiques d’espace », dans L’invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1990, p. 137-191.
24 Ferdinand Lot, Recherches sur les effectifs des armées françaises des Guerres d’Italie aux Guerres de Religion, Paris, SEVPEN, 1962, p. 13.
25 Pierre-Jean Souriac, « Devenir une place huguenote au cours des guerres de Religion (1562-1600) », dans Gautier Mingous et Aurélien Roulet, Gouverner les villes en temps de crise. Urgences militaires et sanitaires aux xvie et xviie siècles, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2019, p. 33-54.
26 BnF, Dupuy 844, fol. 409 r°-v°, ms. fr. 20965, fol. 35 r°-36 r° : Dénombrement des villes et places fortes que tiennent ceux de la Religion dans le royaume de France suyvant le mémoire qui en ha esté baillé au roy au mois de mars mil cinq cent quatre vingt et six avec le nom des capitaines qui font la guerre pour le roy de Navarre. AD Lot, F 109 : Dénombrement des villes et places fortes que tiennent ceux de la Religion dans le royaume de France.
27 BnF, ms. fr. 15814, fol. 543 et suiv.
28 Bibl. Mazarine, ms. 2595, fol. 101 r°-v° et BnF, ms. fr. 20965, fol. 67 r : Etat des garnisons du Dauphiné ordonnées par le roi ; Bibl. Mazarine, ms. 2595, fol. 102r°-v° : Etat public des garnisons ; Bibl. Mazarine, ms. 2595, fol. 103 r : Etat des places en plus de l’état public ; Bibl. Mazarine, ms. 2595, fol. 104 r°-v° : Etat des deniers pour le paiement des garnisons.
29 BnF, ms. fr. 7605, fol. 85 r-89 r° : Etat des places données en garde à ceux de la Religion dressé à la demande du roi.
30 « Nombre des villes et places que tenoient ceux de la Religion pretendue réformée, rendus à l’obeissance du Roy, en la pluspart desquelles sa Majesté entretenoit garnison pour eux », dans La prise de la ville de Clerac rendue à la discretion du Roy, le 4. Aoust, Lyon, Claude Armand, 1621 ; « Places remises en l’obeyssance du Roy despuis un an », dans La réduction de Clerac avec les parolles qui ont esté tenues par ceux de Clérac, Lyon, Claude Larjot, 1621.
31 La description générale des villes et places reduictes et reprises par le roy sur ceux de la Religion Pretendue Réformée. Depuis le 28 avril dernier jsuques à present, par les armes du roy, sa majesté y estant en personne, Paris, A. Saugrain, 1621 ; Relation generale des conquestes et victoires du roy sur les rebelles, depuis l’année mil six cens vingt jusqu’à present. Avec les noms et situation des villes, places et chasteaux rendus à l’obeïssance de sa majesté, tant par force que par submission, Paris, F. Bourriquant, 1622.
32 Pierre-Jean Souriac, Les armes de la paix. Places fortes, guerres et pacification chez les protestants française (v. 1560-v. 1630), mémoire inédit d’habilitation à diriger des recherches, université Sorbonne-Paris Nord, 2022.
33 BnF, ms. fr. 15381 : Pierre Boyer du Parc, Les lauriers triomphants du grand Alcide Gaulois.
34 François de Dainville, « Carte des places protestantes en 1620, dessinées à la fin du règne de Louis XIII », Journal des savants, n° 4, 1968, p. 214-243.
35 Ibid., p. 218.
36 Louis de Chabans, Histoire de la guerre des Huguenots faicte en France sous le regne de Louys XIII, avec les plans des sièges des villes en taille douce, Paris, Toussaint Du Bray, 1634.
37 Léonard Dauphant, Géographies. Ce qu’ils savaient de la France (1100-1600), Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018, p. 172.
38 Ibid., p. 184.
39 François de Belleforest, La cosmographie universelle de tout le monde, Paris, Michel Sonnius, 1575.
40 Dénes Harai, Pour le « Bien de l’État » et le « Repos public », Auguste II Galland (1572-1637), conseiller d’État et commissaire de Louis XIII aux synodes des Églises réformées de France, Paris, Honoré Champion, 2012.
41 BPF, ms. 527-530, copies faites par le pasteur Louis Auzière († 1886) de documents concernant les Églises réformées de Bourgogne, Cévennes et Dauphiné, du xvie siècle à la Révocation, ms. 5271-3 Bourgogne, actes des Synodes provinciaux de 1603 à 1682, 277 feuillets.
42 Didier Boisson (éd.), Actes des Synodes Provinciaux. Anjou-Touraine-Maine (1594-1683), Genève, Droz, 2012.
43 Y. Krumenacker (éd.), Actes des synodes…, op. cit.
44 Pour un aperçu de la structure d’une session de synode : http://synodes-protestants.symogih.org/documents/document-text.html.
45 Findable, Accessible, Interoperable, Reusable / Facile à trouver, Accessible, Interopérable, Réutilisable.
46 Sur la genèse du projet voir Yves Krumenacker, « Les actes des synodes des Églises réformées de France au xviie siècle : édition imprimée ou numérique ? », dans Fabienne Henryot (dir.), L’historien face au manuscrit. Du parchemin à la bibliothèque numérique, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2012, p. 267-283 [en ligne : https://books.openedition.org/pucl/1280].
47 Émily Borgeaud, Schéma TEISynodes. Manuel d’encodage, version 1.0 - 01/09/2010, Paris, École nationale des chartes, 2010.
48 Émily Borgeaud, TEI, le chercheur et l’encodeur. Réalisation d’un schéma XML/TEI pour l’encodage [d’une édition] des actes des synodes des Églises réformées de la province de Bourgogne au xviie siècle, Paris, École nationale des chartes, 2010.
49 Les Guidelines, Consortium TEI, P5 : Recommandations pour l’encodage et l’échange de textes électroniques. Version 4.3.0. Last updated on 31st August 2021, revision b4f72b1ff [en ligne : https://tei-c.org/release/doc/tei-p5-doc/fr/html/index.html] Ce sont 23 chapitres et 9 annexes…
50 Base d’hébergement de projet de SyMoGIH.org, base de données collaborative et cumulative en histoire moderne et contemporaine, créée par le Pôle histoire numérique du LARHRA.
51 Christine Chadier, Rosemonde Letricot, Francesco Beretta et Sylvain Boschetto, « Deux projets d’édition numérique dans le cadre du projet SyMoGIH : Le Journal de Léonard Michon et les Actes des Synodes des Églises réformées de Bourgogne », dans Digital Humanities 2016 : Conference Abstracts, Cracovie, Jagiellonian University & Pedagogical University, 2016, p. 448-450.
52 Le SQL (Structured Query Language) permet grâce à des requêtes d’exécuter via un moteur de base de données une recherche sur les données contenues dans les différentes tables de la base.
53 Y. Krumenacker (éd.), Actes des synodes…, op. cit.
Auteurs
-
Christine Chadier
Université Jean Moulin-Lyon3–LARHRA (UMR 5190)
-
Pierre-Jean Souriac
Université Jean Moulin-Lyon3–LARHRA (UMR 5190)

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