1La variable religieuse est un dénominateur essentiel et antagoniste dans la répartition partisane états-unienne depuis le xix^e siècle¹, et elle a joué un rôle majeur dans les différentes coalitions qui ont construit les partis et assuré leur alternance politique au xx^e siècle. Après la grande coalition du New Deal, qui a assuré une domination démocrate des années trente aux années 1960, l’électorat américain s’est distribué entre droite et gauche à partir des années 1970 selon son niveau de socialité religieuse et son degré d’acceptation ou de rejet du libéralisme sexuel et reproductif. Le conservatisme religieux dont la matrice catholique reste largement méconnue², a joué un rôle prépondérant dans cette nouvelle répartition. Sa forme politisée, la droite chrétienne, a été l’acteur majeur du God gap entre Républicains et Démocrates. Précédemment, le God gap électoral des deux grands partis qui balancent la vie politique américaine, avait une toute autre répartition. Le Parti républicain rassemblait jusqu’au début des années 1960 les protestants blancs mainline (WASP) majoritaires mais déjà en reflux. Le Parti démocrate rassemblait « tous les autres », c’est-à-dire les protestants congrégationalistes, évangéliques³ ou sectaires, les protestants non-blancs et les non-protestants minoritaires, comme les catholiques et les juifs. Cette répartition religieuse irriguait de manière sous-jacente mais très solide la confrontation politique⁴.

2En quarante ans, la sociologie religieuse des deux grands partis s’est entièrement transformée. Le parti de l’éléphant est resté le parti des protestants blancs certes mais les mainline sont devenus minoritaires, remplacés par les cohortes pratiquantes d’autres chrétiens autrefois très démocrates, à savoir les évangéliques et les catholiques⁵, mais aussi les chrétiens fondamentalistes et sectaires qui se tenaient traditionnellement à l’écart de la vie politique. Le parti républicain est devenu le gardien rhétorique de l’orthodoxie morale-sexuelle et de la famille chrétienne. À l’inverse, le parti de l’âne s’est appuyé sur une rhétorique libérale-progressiste et séparatiste. Il n’a pas exclu, comme nous l’ont montré les présidences Clinton et Obama, le recours à la religiosité collective, puisqu’il est resté le parti de toutes les minorités religieuses. Mais, tandis qu’il a élargi encore son spectre électoral religieux hors du christianisme, il est devenu le parti de l’hétérogénéité américaine en matière de conviction et de pratique : la majorité des libres-penseurs, des militants laïques défenseurs de la séparation, la majorité des sans-religion y côtoient les minorités ethnoreligieuses et les résistants du christianisme social. Le parti démocrate est resté le parti des Américains de fraîche date.

3Le glissement historique de la répartition religieuse entre Parti démocrate et Parti républicain est le résultat de la « guerre culturelle » qui s’est structurée au grand jour à l’orée des années 1970. La polarisation religieuse entre droite et gauche s’est ensuite amplifiée par paliers. Du côté républicain, elle s’est véritablement instituée en 1994, par l’intégration du Contrat avec la famille américaine dans la plateforme du Parti républicain, par l’intermédiaire de Newt Gingrich⁶. L’alliance du Parti républicain avec la droite chrétienne s’est poursuivie sans discontinuer les années suivantes, même si les résultats espérés par les alliés de la droite religieuse n’ont pas été atteints. Au niveau rhétorique, les réponses tranchées des conservateurs chrétiens sur le caractère criminel de l’avortement, sur l’immoralité de l’homosexualité libre, sur la « folie » du mariage homosexuel et sur d’autres questions symboliques, comme la prière à l’école ou l’enseignement de l’évolution, ont participé de la progressive christianisation (et catholicisation) du parti républicain, pendant que le parti démocrate incarnait officiellement la culture du disbelief, même si les minorités religieuses ethniques ne l’ont jamais quitté.

4Apparemment, les ressorts du God gap ont continué de fonctionner dans l’élection de Donald Trump, grâce à la mobilisation exemplaire de la droite chrétienne pour ce candidat. Mais l’alliance « stratégique » qui s’est alors mise en place a provoqué un ajustement “populiste” du discours conservateur qu’il ne possédait pas aussi ouvertement les années précédentes. Elle a aussi signifié une forme de passivité ou de silence devant l’émergence d’une Alt-right chrétienne qui a racialisé son identité religieuse. Peut-on décrire l’évolution idéologique de la droite chrétienne sous le trumpisme et mesurer ses gains d’influence ? Par ailleurs, le mandat présidentiel de Donald Trump a été un temps d’exportation de la réaction chrétienne états-unienne. Des réseaux se sont mis en place et ont soutenu à l’étranger la fabrication ex nihilo de nouveaux partis et mouvements réactionnaires christianistes⁷ en Europe. Ils ont aussi importé leurs thématiques dans les partis populistes déjà existants.

L’apport de la droite religieuse au trumpisme depuis 2016

5La droite chrétienne américaine, en appelant à voter pour Donald Trump à l’été 2016 a aidé à la mise en place d’une coalition idéologique que plusieurs commentateurs ont taxée de nationale-populiste, derrière la personne de Donald Trump pour qui 90 % des évangéliques américains et 52 % des catholiques blancs ont voté. La victoire de Donald Trump a assuré à la nébuleuse des conservateurs religieux une influence jamais atteinte. Quoique l’adhésion ait été plus poussive pour les conservateurs catholiques que pour les conservateurs évangéliques, il semble que les théoriciens et leaders médiatiques comme politiques de la droite religieuse aient repris à leur compte les thèses néo-droitières, anti-libérales en économie et en politique internationale⁸, portées par des intellectuels communicants comme Mickael Anton⁹ ou Yoram Hanozy¹⁰, tout en assurant une cimentation de la coalition gagnante derrière LEUR idée fixe, celle d’une identité chrétienne de la Nation et du Peuple américains bafouée par des ennemis élitaires et illégitimes, narration qui conditionne depuis quarante ans leurs combats médiatiques, législatifs et judiciaires.

L’importation du « Christianism » dans le national-populisme¹¹

6Par son apport théorique et par sa mobilisation renouvelée, la droite religieuse américaine paraît soutenir, au sens littéral du terme, le nouveau « conservatisme national », tel que le qualifie Maya Kandel¹². Il définit l’ère Trump comme le néo-libéralisme a représenté l’ère Reagan ou le néo-conservatisme l’ère Bush fils. Ce conservatisme national est à ce point instillé de Christianism, que les sociologues qui ont mis en valeur la correspondance, n’hésitent pas pour leur part à parler de Christian nationalism¹³.

7Comme l’écrit justement Maya Kandel, le conservatisme national a renversé les autres piliers du conservatisme d’antan, à savoir le libertarisme antiétatique et l’interventionnisme extérieur. On constate que la droite religieuse n’a absolument pas souffert de cette relégation et qu’elle est la seule survivante du conservatisme précédent. Alors qu’après la fin de la présidence de George W. Bush, plusieurs commentateurs avaient prédit son déclin¹⁴, elle s’est placée au cœur du dispositif néo-national¹⁵. Quarante ans après la création de l’organisation totémique Majorité morale, sous la houlette de Jerry Falwell, Howard Phillips, Richard Viguerie, Paul Weyrich et John Terrence Dolan (les trois derniers étant des idéologues catholiques), la droite religieuse a donné au national-populisme en cours de synthèse sa labellisation « chrétienne ».

8Un tel résultat est une succession d’alignements théoriques aussi rapides qu’inattendus. Un premier accolement de la dénonciation ancienne des conservateurs chrétiens à propos des élites libérales immorales qui détruisent l’âme de l’Amérique, avec la dénonciation nationale-populiste du complot des élites, non-patriotes et mondialistes, qui ont abandonné les États-Unis au pillage économique et à l’invasion migratoire. Un deuxième alignement à l’international de leur dénonciation également ancienne d’une Europe séculariste-immorale qui favoriserait le Grand remplacement face à un monde islamique anti-chrétien, avec la dénonciation nationale-populiste d’une Union européenne « impériale » qui force les échanges, d’un monde musulman hostile, et d’une Chine qui cherche à ruiner l’Amérique. Enfin, et c’est un dernier alignement lourd de conséquences, la droite religieuse a accolé sa sourde critique des droits de l’homme déviants à la dénonciation trumpiste d’un ordre internationaliste-libéral cherchant à imposer sa volonté aux États-Unis.

9En recourant à ce nouveau cadrage, la droite religieuse semble être en extension. Elle forge le ciment identitaire du courant national-populiste, elle flatte sa pente autoritaire et son culte du chef. Son discours permet de recouvrir causes intérieures et extérieures d’une explicitation religieuse : le retour de la vraie Amérique, du vrai Peuple américain, de la vraie Nation américaine signifie la reconnaissance aujourd’hui discursive et demain légale de son identité chrétienne. Il exclut comme ennemis à combattre/abattre tous ceux qui n’en font pas partie, non-chrétiens et « anti-chrétiens », sécularistes-libéraux, homosexuels, féministes, mondialistes, musulmans, étrangers et finalement communistes chinois.

10Cette cristallisation se repère par une remise en perspective chronologique. Pendant la campagne électorale de 2016, parmi les groupes de financeurs et d’influenceurs, ceux autour du futur conseiller Steve Bannon¹⁶ et du média dont il avait la responsabilité idéologique – Breibart News¹⁷ – se sont ostensiblement appuyés sur la trame narrative des conservateurs religieux depuis l’orée des années 1990, c’est-à-dire celle d’un Peuple américain religieux et fidèle, dépossédé de sa souveraineté démocratique par des élites libérales, sécularistes et ouvertes aux quatre vents de la globalisation¹⁸. Selon Philip Gorski¹⁹, l’ingestion de cette narration dans la communication de campagne de Trump a en quelque sorte servi de récit fondateur au néo-nationalisme qui en est sorti²⁰. Gorski parle ainsi de nationalisme religieux sous une forme sécularisée-civile qui fait désormais de l’identité chrétienne américaine l’étuve décisive de l’appartenance nationale²¹.

11Dans une étude intitulée Make America Christian Again : Christian Nationalism and Voting for Donald Trump in the 2016 Presidential Elections²² les sociologues Andrew L. Whitehead, Samuel L. Perry et Joseph O. Baker ont montré que ce référencement chrétien-nationaliste a été le facteur d’adhésion le plus important dans le choix pour Trump en 2016. Il a fonctionné, pour la première fois, comme un levier de rassemblement populaire, en appelant à la défense de l’héritage et de l’avenir chrétien distinctif de l’Amérique²³. Selon Whitehead, c’est cet ensemble de croyances et d’idéaux qui a construit au niveau national une identité chrétienne prétendument unique et tendue à préserver le christianisme en tant que culture nationale déterminante.

12Les électeurs chrétiens de leur côté, votant de plus en plus à droite, hormis les pratiquants des minorités ethniques qui restent encore démocrates, ont été sensibles à la construction rhétorique du « bon peuple contre des élites sans conscience », construction d’autant plus convaincante qu’elle fait disparaître leur sentiment de dépossession culturelle. Trois dynamiques ont joué dans le ralliement des électeurs chrétiens américains au populisme selon l’analyse proposée par Yann Raison du Cléziou²⁴. Sur le plan politique, le sentiment de leur déphasage culturel et de leur abandon par le parti démocrate qui se révèle indifférent aux questions bioéthiques et incapable de freiner l’ouverture des possibles. Sur le plan social, la crainte des revendications LGBTQ qui relativisent la normalité du modèle familial dont les chrétiens ont fait un levier d’influence. Enfin, sur un plan religieux, la peur de la sécularisation accélérée, accompagnée d’une pluralisation religieuse, qui les met en concurrence directe avec l’indifférentisme religieux et en confrontation (très fantasmée dans le cas américain) avec l’Islam, deux phénomènes perçus comme destructeurs de leur identité²⁵.

13À ce ressenti particulier des électeurs pratiquants, il est loisible de rajouter un autre ressenti social de déclassement de la classe moyenne américaine²⁶. Ce sentiment de déclassement est nourri par la comparaison avec les nouvelles classes populaires issues de l’immigration et les minorités culturelles qui bénéficient des politiques de discrimination positive. La promotion de ces dernières est interprétée comme l’unité de mesure du déclin des classes moyennes. L’émergence de personnalités représentatives de la «  diversité  » amenuise leur propre capacité de représentation de l’Amérique. Les classes moyennes ont le sentiment de perdre leur monopole symbolique de l’American way of life. Mark Lilla a vu dans cette perception populaire des politiques «  diversitaires  », l’une des causes du recul politique des démocrates²⁷.

L’avènement d’une République chrétienne

14L’apparente discrimination culturelle et sociale qui toucherait les classes moyennes américaines, doublée de leur frustration de ne plus incarner la norme majoritaire a été flattée pendant la première campagne de Donald Trump. Mettre fin à cette discrimination, rendre aux «  vrais  » Américains leur volonté majoritaire a consisté aussi en une restauration symbolique du christianisme comme fondement de la norme majoritaire. Promettre que la volonté du peuple (défini comme Peuple chrétien) serait respectée, a été le sésame du soutien des évangéliques et catholiques conservateurs à la candidature de Donald Trump comme l’avaient prévu ses conseillers de campagne. Le national-populisme a restauré symboliquement la capacité des chrétiens à incarner une norme sociale à vocation dominante.

15Nous avons donc assisté pendant cette présidence à la mise en place d’une architecture que la droite religieuse poursuit depuis des décennies : christianiser les fondements normatifs du système américain, tels qu’ils auraient été pensés à leurs commencements. Le lien entre la mobilisation de la droite religieuse autour de la liberté religieuse et l’affaiblissement du régime de séparation américain avait été tangible ces dernières années. Cet affaiblissement ne portait pas seulement sur le manque grandissant de distance et de non-interférence de l’État vis-à-vis des intérêts des Églises et groupes religieux. Il portait aussi sur la nature politique de l’État et sur l’idée même de neutralité. Le débat émergeant puis clivant sur l’origine historiquement chrétienne de la Constitution américaine²⁸, le détournement en preuve constitutionnelle de l’imaginaire civil hérité de la Révolution et fortement teinté de références bibliques²⁹ et enfin le choix de la stratégie judiciaire dans la contre-offensive conservatrice et religieuse³⁰, ont porté la trace de cette mobilisation. Les initiatives législatives républicaines et les batailles judiciaires au niveau des États et au niveau fédéral, ont été souvent féroces³¹.

16Ainsi, alors que l’administration Obama avait positivement accueilli la diversité religieuse croissante de la société américaine, tout en mettant l’accent sur la séparation de l’Église et de l’État, la présidence de Donald Trump a maximalisé le respect «  du  » à la liberté religieuse, pour renforcer dans les faits, les droits des institutions (chrétiennes) confessionnelles comme un pendant symbolique aux efforts des deux mandatures précédentes à protéger les droits des femmes et des personnes LGBTQ³².

17La droite religieuse a d’abord fait du renouvellement des juges et de l’ensemble du système judiciaire un objectif stratégique que Trump a promis de réaliser, en s’aidant des conseils de Leonard Leo, Vice-Président de la Federalist Society, proche de l’Opus Dei, qui a à son actif le « placement » de deux Justices sous George W. Bush, et aussi celui des deux Justices déjà nommés par Trump³³. La candidate pressentie, Amy Coney Barrett, avant l’élection présidentielle pour remplacer la juge décédée Ruth Bader Ginsburg, était également membre de la Federalist Society de 2005 à 2006 et de 2014 à 2017 - avant de devenir juge de Cour d’appel fédérale - tout comme les 4 juges précédemment nommés³⁴. Elle est, comme trois d’entre eux, une pieuse catholique. Sous les conseils de Leo, outre la Cour suprême, le quart des juges du 7^e circuit (cour d’appel fédérale du District fédéral de Columbia) –juges qui sont également nommés à vie et jouent un rôle décisif dans toute procédure allant vers la Cour suprême – a été renouvelé par Donald Trump et leur nomination approuvée par le Sénat. Pendant la rédaction de ce chapitre, le président Trump a proposé un jeune juge du district ouest du Kentucky, Justin Walker, ancien clerc du nouveau juge de la Cour suprême, Brett M. Kavanaugh, sur un poste vacant de cette deuxième Cour fédérale la plus puissante du pays³⁵. Walker est membre de la Federalist Society. Au-delà du district fédéral, en trois ans, le président a confirmé 50 juges de cours d’appel (à la date de février 2020), soit 1 sur 4, presque autant que les 55 nommés par Barack Obama en huit ans. Selon Leo durant son discours enthousiaste à la Convention de la Federalist Society de novembre 2019, Donald Trump aura nommé, à la fin de son premier mandat, un tiers des juges des cours d’appel fédérales. Auxquels s’ajoutent plus de 130 juges de cours de district, des tribunaux de première instance. Au total, donc, presque 200 magistrats ont été nommés, dont la plupart sont membres de la Federalist Society, et beaucoup catholiques. L’entrisme systématique et les soutiens financiers de cette structure de cooptation ont été dénoncés dans un rapport du Democratic Policy and Communications Policy du Congrès américain, rédigé par les sénateurs démocrates Debbie Stabenow, Chuck Schumer et Shelton Whitehouse³⁶. Sans surprise, on y retrouve les Koch Industries, Charles & David Koch foundations, Scaife Foundation, Lynde and Harry Bradley Foundation. Le rapport suggère que plus d’un quart de tous les fonds de la Federalist Society transitent par un anonyme Donors Trust, dont la structure « cache l’identité réelle de méga-donateurs politiquement motivés ».

18Un ensemble cohérent de réseaux d’influence a également pris position derrière les personnalités « droite chrétienne » de l’administration Trump³⁷ et ses nouvelles commissions et directions, notamment à la Maison Blanche (Conseil consultatif catholique, Conseil consultatif évangélique, Office of Faith and Opportunity Initiative,…) au sein du ministère de la Santé (dont la nouvelle direction de la conscience et de la liberté religieuse), à la Food and Drug Administration, au Département d’État (Commission sur les droits universels inaliénables³⁸). Les étapes de leur activisme sur l’inflation des décrets présidentiels, sur la transformation en cours de la liberté religieuse en droit d’exemption systématiquement opposable face aux législations « libérales », mais aussi sur la politique fédérale d’assurance-maladie, sur la fermeture aléatoire des frontières aux réfugiés, « musulmans », immigrés, reste à écrire. Mais nous pouvons en faire l’ébauche.

19L’administration républicaine a autorisé des dérogations au « mandat de contraception » de Barack Obama en faveur de tout employeur qui s’opposait au remboursement des contraceptifs pour des raisons « religieuses ou morale » sur la base de l’arrêt Burwell v. Hobby Lobby de 2014. En juillet 2020, la Cour Suprême a confirmé cette disposition, en raison d’objections religieuses ou morales³⁹. Cette question a été au cœur d’une intense bataille juridique qui a duré neuf ans. La décision de la Cour Suprême a élargi considérablement la capacité des employeurs à réclamer l’exemption et on estime qu’entre 70 000 et 126 000 femmes pourraient ainsi perdre l’accès à une contraception remboursée.

20Cette décision a été l’une des nombreuses prises, qui ont fait de la Cour suprême du mandat Trump un allié solide des intérêts « religieux » dans le pays. Par le même vote à 7 contre 2 que précédemment et le même jour, la Cour a également statué que les organisations religieuses avaient le droit d’embaucher et de licencier leur personnel de catéchèse sans enfreindre certaines lois anti-discrimination, si elles spécifiaient clairement l’orientation et la morale sexuelles exigées pour cette fonction⁴⁰. La Cour suprême a continué d’élargir les droits religieux des organisations confessionnelles et des entreprises privées (sur le modèle de HosannaTabor c. EEOC, 2012 et Hobby Lobby c. Burwell, 2014), avec les affaires Town of Greece c. Galloway (2014) et American Legion c. AHA (2019), qui ont de nouveau soulevé la question de la place et du rôle légitimes de la religion dans la sphère publique.

21Un bémol est cependant à noter et il est de taille. Le ministère de la Justice a fait valoir – ce qui était prévisible – que des croyances religieuses sincères pouvaient légalement justifier les discriminations à l’encontre des homosexuels (cf. son amicus curiae dans l’affaire Masterpiece Cakeshop v. Colorado Civil Rights Commission, 2018). Or, la Cour Suprême a refusé de le suivre sur cette pente en rendant en juin 2020 un arrêt très attendu : l’interdiction de discriminer selon le sexe, figurant dans le Civil Rights Act, concernait-elle aussi l’orientation sexuelle ? Une réponse négative aurait ouvert les possibilités d’exemption de manière phénoménale. Les juges pourtant à majorité conservatrice, ont répondu l’inverse. L’orientation sexuelle est couverte par l’interdiction de discrimination.

22Un autre point a été la distinction faite tout au long de ce mandat, par exemple par le directeur de la planification au département d’État, Peter Berkowitz, entre vrais et faux droits universels, droits contingents imposés par des traités internationaux ou par des minorités politiques. Les débats américains sur la nature réelle des droits et donc sur leur violation ou non-violation quand on ne veut pas les reconnaître, évoquent des débats similaires en Europe, soulevés notamment par le rapport Sargentini contre le gouvernement Orban. Et, en comparant les affaires d’objection de conscience devant la CEDH à celle qui arrivent devant la Cour Suprême, on s’aperçoit que les mêmes réseaux d’associations chrétiennes fournissent des avocats et des arguments devant la CEDH tout comme elles interviennent sur des questions nationales dans différents pays d’Europe⁴¹.

23L’impact des nominations judiciaires actuelles sur la jurisprudence fédérale des premier et quatrième amendements est enfin, à l’occasion de cas d’espèce efficaces, un renversement radical des jurisprudences qui ont légitimé le droit à l’avortement⁴², le droit égal de mariage et le droit égal de parentalité. Ce renversement mettrait fin aux législations qui encadrent ces droits, dont l’avortement, malgré les 487 lois adoptées depuis Roe v. Wade de 1973 pour en limiter la portée, en permettant aux Chambres et gouverneurs républicains de les suspendre ou de les abroger. Si en l’instance, le droit à l’avortement n’est toujours pas déclaré inconstitutionnel, le recrutement accéléré de magistrats fédéraux conservateurs-chrétiens a servi ce but ultime. Jamais, si l’on fait un panorama de la législation des États et des batailles judiciaires locales depuis ces dix dernières années, l’offensive contre la légalité de l’avortement n’a été aussi systématique. Deux États, la Louisiane et le Texas notamment, l’ont quasiment interdit en 2016. La Cour Suprême a pour l’instant maintenu sa ligne historique. La loi anti-avortement du Texas a été déclarée inconstitutionnelle en juin 2016 et celle de Louisiane en juin 2020⁴³. Mais la bataille va continuer. À titre d’exemple récent, plusieurs États ont avancé la crise sanitaire de la Covid-19 pour suspendre les actes médicaux considérés comme non médicalement nécessaires. Le 22 mars 2020, le Gouverneur du Texas, Greg Abbott, a décidé d’accorder la priorité des places aux urgences médicales entraînées par le coronavirus⁴⁴. L’avocat général Ken Paxton a alors considéré que les avortements n’entraient pas dans cette catégorie et les a interdits. Une décision de justice a d’abord suspendu la mesure en première instance ; néanmoins ce jugement a été infirmé par la Cour d’appel fédérale du 5^e circuit. La juridiction est finalement revenue sur sa position le 13 avril 2020 : les IVG ne privaient pas les autres interventions médicales des ressources nécessaires⁴⁵.

Patrimonialisation raciale : les origines blanches du christianisme

24Il est enfin un ultime virage opéré par la droite religieuse dans son soutien à Trump : elle a couvert la dimension raciste de sa politique anti-migratoire⁴⁶. Dans une étude de novembre 2016, Explaining Nationalist Political Views : The Case of Donald Trump, les chercheurs de Gallup, Jonathan T. Rothwell et Pablo Diego-Rosell, ont observé que l’isolement racial et ethnique des Blancs, révélé par leur code postal a été l’un des indicateurs les plus fiables du soutien à Trump. Selon les sondages de sorties de vote de l’Edison Research for the National Election Pool⁴⁷, Trump a bien rassemblé une large coalition blanche en novembre 2016⁴⁸. Dans aucun des États où Edison a mené l’enquête, le soutien blanc à Trump n’est tombé en dessous de 40 %⁴⁹.

25La question de la fermeture des frontières et de la limitation voire de la disparition de l’immigration aux États-Unis a été l’enjeu principal de l’élection de Donald Trump et avant lui, sous Barack Obama, une bataille qui a empêché la mise en place du Border Security, Economic Opportunity and Immigration Modernization Act. Sur cette question, les conservateurs catholiques et évangéliques se sont nettement séparés des autorités religieuses de leur confession, Conférence des évêques américains et pape François pour les catholiques, responsables de fédérations évangéliques comme Tim Keller ou Max Lucado pour les évangéliques, qui ont condamné les positions du candidat puis ses Muslim bans de 2017. La peur de l’invasion migratoire et de la submersion culturelle par l’Amérique hispanique et notablement mexicaine, telle qu’elle a été euphémisée dans le dernier livre de Samuel Huntington, Who Are We : The Challenges to America’s National Identity (2005), suit la même logique du choc des civilisations que les conservateurs chrétiens ont adoptée. Cette double peur fait partie de la narration conservatrice, d’où il apparaît que 76 % des évangéliques, lesquels sont blancs à 61 % aux États-Unis, ont approuvé les Muslim bans en 2017 contre 50 % des catholiques blancs. Ils ont été encore 75 % en 2018 à approuver la politique répressive du gouvernement contre les clandestins, alors que les séparations de famille battaient leur plein, contre 46 % de la population dans son ensemble. Quant au mur de séparation avec le Mexique, il recevait encore en mars 2019 l’onction de 67 % des protestants évangéliques blancs et de 56 % des catholiques blancs.

26Cependant, le racisme de Trump qui a multiplié les attaques contre les Latinos et les musulmans dans sa campagne de 2016 et a recommencé pendant la campagne de 2020, a fini par dépasser la question de l’immigration pour rentrer en consonance avec l’ancien suprémacisme sudiste. Trump a mis plusieurs mois à désavouer David Duke, ancien dirigeant du Ku Klux Klan qui avait pris position en sa faveur pendant la campagne de 2016⁵⁰. Et ce n’est pas le moindre effet de la nouvelle synthèse « nationale » que d’avoir permis l’expression du racisme dans son Christianism, racisme qui existait aussi dans l’histoire de la droite chrétienne, sous le nom de paléo-conservatisme, veine à la fois « sudiste » et anti-fédérale, défendant les candidats Dixiecrat. De nouvelles questions se sont posées. Dans quelle mesure, la revendication récente d’un christianisme identitaire au sein de l’Alt-right raciste a permis de la rapprocher du conservatisme chrétien ? Jusqu’à quel point la droite chrétienne a-t-elle été contaminée par la mixure racialo-chrétienne de l’Alt right ?

27Que l’Alt-Right exprime son identité chrétienne est une nouveauté de l’ère Trump. Le terme d’Alt-Right a été inventé par l’ancien rédacteur en chef du magazine The American Conservative, Richard Spencer, qui donne cette étiquette à son propre blog en 2010 AlternativeRight.com, avant de présider le suprémaciste National Policy Institute né en 2011. À cette date, les propositions religieuses de cette mouvance sont franchement anti-chrétiennes, dénonçant ce que le christianisme était devenu, la religion des immigrants du tiers-monde et des Blancs qui se détestent⁵¹. Ces idées continuent à circuler parmi les groupes racistes et néopaïens actuels comme les Loups de Vinland à Lynchburg⁵². Le paganisme anti-chrétien de Richard Spencer devait alors beaucoup aux thèses de Samuel T. Francis, ancien conseiller du paléo-conservateur et très catholique Pat Buchanan⁵³. Collaborateur des principales publications conservatrices, éditeur en chef du bulletin d’information Citizens Informer (du groupe Council of Conservative Citizens), éditorialiste de la revue The Occidental Quarterly publiée par la Charles Martel Society (sic) elle-même financée par le milliardaire éditeur William Regnery, Samuel Francis a renié sa foi par dépit (avant de la retrouver), dans un livre bien diffusé de 2001⁵⁴. Le christianisme y est décrit comme l’ennemi de l’Occident et de la race qui l’avait créé. Ses livres suivants Ethnopolitics. Immigration, Race and the American Political Future (2003) et Essential Writings on Race (2007) ont incité le commentateur Brendan Dougherty à écrire dans The Week que ses écrits et son rejet du conservatisme dominant, présageaient l’élection de Donald Trump en 2016⁵⁵.

28Ses écrits présageaient en effet que les suprémacistes allaient revenir au christianisme, quand ils auraient renversé la proposition de leur charge. C’était bien leurs ancêtres blancs d’Europe qui avaient inventé le christianisme, bien avant d’être perverti en religion de la haine de soi et de la haine des blancs. L’Alt-right, au milieu des années 2010, redevient Christianist. Usant de la terminologie biblique des « nations » que Dieu crée, connaît et rétribue selon leur fidélité, le bloggeur sudiste Hunter Wallace⁵⁶, de son vrai nom Bradley Dean Griffin, relit les œuvres de Pat Buchanan et se lie à la raciste et “godly” League of the South qui prône le retour au leadership de l’élite anglo-celtique⁵⁷. Il déclare que le réalisme racial est compatible avec le christianisme correctement compris, c’est-à-dire compris comme la religion exclusive de la nation blanche, d’ascendance européenne. Ainsi le christianisme est justifié comme la religion ethnique des Américains blancs, avant que « les Juifs n’aient détrôné le christianisme en tant que culture dominante » par le biais des universités et des médias, qu’ils ont détournés à leur profit au début du xx^e siècle⁵⁸. Avant aussi que les autres non-blancs ne se l’accaparent. Il convient de noter que les catholiques blancs se trouvent inclus dans la nouvelle appellation “anglo-celtique” de la nation chrétienne américaine selon ce néo-nativisme. Quand on connaît la haine anticatholique de l’ancien nativisme, cette réécriture rappelle à quel point les mémoires nationales ont une stabilité éphémère.

La mise en place d’une internationale transatlantique réactionnaire

29Outre les ingestions populistes et racistes de la droite chrétienne dans la coalition trumpiste, le mandat de Donald Trump aura été un temps d’extension atlantique assez remarquable. À l’exemple de la Federalist Society qui a invité à sa Convention 2019 une forte délégation de juristes d’Europe de l’Est, car cette confrérie « (n’était) pas un club, mais un grand et vaste mouvement » (Leonard Leo), de nombreux réseaux de la droite chrétienne ont cherché à s’internationaliser vers l’Europe et l’Amérique latine, depuis une vingtaine d’années⁵⁹ et il semble qu’ils aient accéléré leurs efforts depuis 2016. Peut-on mesurer l’influence de ces efforts dans la circulation des références chrétiennes revendiquées par les populismes existants ou dans la naissance de nouveaux mouvements extrémistes de droite en Amérique latine et en Europe⁶⁰ ?

30Cette question ne recoupe pas exactement la presque complète fusion, dans le nationalisme anti-libéral qui domine la politique extérieure américaine⁶¹, des idées occidentalistes chrétiennes de défense et de reconstruction d’une civilisation en état de siège dont l’Islam est l’ennemi. Seul bémol à cet unanimisme, l’inconditionnel soutien à Israël départage les franges catholiques et suprémacistes de la droite chrétienne de sa frange évangélique et fondamentaliste, fortement sioniste⁶². Pour le reste, la vision internationale de la droite chrétienne américaine suit celle du Président (et de ses inspirateurs), y compris dans son China’s bashing, qu’elle a appelé de ses vœux et qu’elle enrobe d’anticommunisme et de liberté religieuse. En échange, le Département d’État met en scène sa protection des chrétiens et la promotion des organisations religieuses (chrétiennes), notamment dans la défense de la liberté religieuse, tout comme il ne cesse de valoriser le caractère chrétien du gouvernement actuel⁶³.

31Quoique ce soutien international mutuel soit particulièrement intéressant, la propagation des idées véhiculées par la nébuleuse actuelle des conservateurs et ultra-conservateurs religieux américains est tout à fait remarquable. L’inflexion dans les thématiques populistes à l’extérieur des États-Unis et la multiplication de groupes réactionnaires christianistes de type Vox⁶⁴ en Espagne, signalent une influence directe des réseaux de la droite religieuse états-unienne et la tentative de constitution d’une internationale populiste-réactionnaire, à l’image de l’éphémère The Movement, créé par Steve Bannon en 2017 pour les élections européennes de 2019⁶⁵.

Les références chrétiennes dans les populismes contemporains

32Comme l’a observé Olivier Roy dans son dernier livre et dans sa communication au colloque de novembre 2018 du CERI consacré à ce sujet, la sécularisation du christianisme s’est traduite par une culturalisation des références chrétiennes dans les populismes européens⁶⁶. Elle n’a pas été importée par les réseaux américains. Idem pour l’Amérique latine, beaucoup moins sécularisée. Ainsi du chapelet brandi par Matteo Salvini, de la crèche de Noël de Robert Ménard ou des crucifix de Markus Söder qui rappellent la défense de la fête de Noël par Donald Trump. C’est également suivant ce raisonnement que plusieurs députés français ont demandé l’inscription dans la Constitution des «  racines chrétiennes de la France  ». Le détournement populiste du culturel chrétien est une caractéristique mécanique du populisme de droite⁶⁷. Présentons brièvement les éléments communs des populismes de droite dans des pays de culture chrétienne plus ou moins sécularisés, pour montrer comment ceux dont nous voudrions tracer la généalogie proprement états-unienne sont plus spécifiques.

33Premièrement, l’idée de Nation chrétienne. En Europe centrale, les catholiques conservateurs justifient depuis longtemps la notion de Nation chrétienne, développée sous Jean-Paul II. Dans son dernier livre Mémoire et identité, Jean-Paul II a utilisé ce concept pour exhorter les nations d’Europe à préserver leurs langues, leur histoire et leurs traditions religieuses. Il a d’ailleurs inventé l’idée que le baptême des rois fondateurs avait entraîné le baptême (éternel) des nations d’Europe⁶⁸. Selon Andrew Arato, il existe donc une affinité profonde entre la rhétorique populiste émanant du groupe de Visegrad et la théologie politique catholique moderne⁶⁹. Son populisme restaure une symbolique sacrale du pouvoir qui a été évidée, pour reprendre une formule de Claude Lefort, par la dynamique du libéralisme politique. La rhétorique populiste ne redonne légitimité aux titulaires du pouvoir qu’en tant qu’incarnation de l’identité du Peuple. Cette dynamique met en opposition les horizons démo-cratiques et libéraux et génère la variante illibérale⁷⁰ des régimes représentatifs : l’exercice du pouvoir n’est légitimement démo-cratique que dans la mesure où il n’entrave pas la perpétuation de l’identité du Peuple, c’est-à-dire ne tranche pas ses «  racines  ». Dès lors, on comprend mieux les références et le culte voué à Viktor Orban et sa définition de la démocratie illibérale comme démocratie chrétienne, laquelle, contrairement à la démocratie libérale, n’aurait pas renié ses origines et fondations chrétiennes.

34De même, pour Benjamin Moffitt, le populisme est une capacité à représenter le peuple de manière performative⁷¹. Il repose donc sur des opérations de réagencement d’éléments de la culture politique qui le précèdent. Dans les partis populistes actuels, le chef est l’héritier indirect des rois oints par Dieu. Il incarne la rémanence de cette vocation religieuse du peuple et cristallise cette attente sur lui en se présentant comme un sauveur en capacité de chasser le mal et d’interrompre la décadence. On retrouve cette dimension sotériologique aux États-Unis et au Brésil, dans l’appel au vote en faveur de Jair Bolsonaro ou de Donald Trump par des pasteurs évangéliques ou du Prosperity Gospel.

35L’attente du sauveur permet d’accuser les élites politiques existantes d’être «  le parti de l’étranger  », que ce soit en raison de la politique d’accueil des migrants ou de la signature de traités de libre-échange. Le raisonnement protectionniste a ainsi une légitimité religieuse. Pour certains pays du groupe de Visegrád, le christianisme a permis d’exalter l’identité nationale face aux nouvelles menaces que ferait peser l’Union européenne sur leur indépendance. Comme aux xix^e et xx^e siècles, l’exaltation du peuple comme matrice de la cité a un caractère exclusif et violent. Les ennemis ont changé. Hier, l’impérialisme était allemand ou soviétique. Aujourd’hui, il est identifié au marché économique, à l’Union Européenne, aux migrants. Hier, l’ennemi intérieur pouvait être catholique, juif, franc-maçon ou protestant, aujourd’hui, il est musulman. Comme l’explique Yann Raison du Cleuziou, il s’agit d’une transformation discursive, d’un changement de cadre d’identification et d’analyse. Cette construction de l’ennemi permet au populisme d’articuler sans incohérence la fermeture des frontières nationales et l’intensification des alliances politiques transnationales. L’Israël des années 2010⁷² et la Russie constituent actuellement deux pôles offerts aux dirigeants populistes qui mobilisent une argumentation antimusulmane. Pour ces puissances d’ailleurs, les populismes de droite sont devenus une voie privilégiée de soft power⁷³.

Narration victimaire et complotiste des réseaux états-uniens

36Sur ces références chrétiennes identitaires « mécaniques » qui favorisent le droit de rejet de toutes les figures de l’étranger, une autre narration s’est greffée, dont on peut remonter l’origine et la circulation⁷⁴. En effet, non seulement de nouveaux mouvements se sont créés, comme Vox, mais leurs thèmes sont articulés à cette narration : l’invasion programmée, la peste homosexuelle, le complot de l’UE, le reniement du Pape. Ces thèmes ne sont pas le seul résultat de la désinformation ou des financements russes, surtout concernant le Pape dont Poutine apprécie la bienveillance… Ces thèmes sont diffusés par des réseaux qui en financent la circulation. Les organisations américaines à leur origine ont elles-mêmes des liens avec des milliardaires mécènes et conservateurs chrétiens, comme les frères Koch⁷⁵ (qui ont aidé à financer le Tea Party Movement), la famille DeVos (qui compte la secrétaire à l’Éducation de Trump) ou la famille Mercer (qui a investi dans la société Cambridge Analytica)⁷⁶. Nous avons quelques éclairages sur cette hypothèse.

37Ainsi, les 3 et 4 février 2020, un congrès a réuni à Rome des figures éminentes du populisme de droite autour du thème God, Honor, Country : President Ronald Reagan, Pope Jean-Paul II, and the Freedom of Nations. L’événement a été coorganisé et financé par l’Edmund Burke Foundation (américaine), la Nazione Futura (née en 2017), le Herzl Institute (dédié à la défense du sionisme, de l’amitié judéo-chrétienne et qui fait la promotion de Yoram Hazony), le Danube -Institute (né en 2013, fondé par un ancien membre de la National Review et de l’Hudson Institute), l’International Reagan Thatcher Society et d’autres fondations promouvant le conservatisme national. S’y sont croisés des Américains, Anglais, Hongrois, Italiens, Israéliens, Néerlandais et quelques Français ayant participé à la Convention des droites organisée en septembre 2019 par le mensuel L’Incorrect autour de Marion Maréchal. Le Premier ministre Victor Orbán en a été la vedette. La mémoire hagiographique des relations de Ronald Reagan et de Jean-Paul II a nourri un récit hybride de romans nationaux et d’histoire providentielle⁷⁷. Le pape polonais et le président états-unien ont été désignés comme de dignes successeurs de Charlemagne et de Léon III, faisant front contre les -Lombards et créant l’Empire de la foi, protecteur des Nations. Cette image du couple providentiel des Nations chrétiennes, réunies dans l’Empire de la foi, renvoie aussi à l’anti-couple Trump-François. L’un des deux supposés gardiens de la néo-Chrétienté syncrétique, le Pape, en serait devenu le fossoyeur, face aux Maures, Lombards et autres Saxons infidèles de notre époque.

38Les thèmes de la droite religieuse américaine (et droite israélienne) ont des caractéristiques reconnaissables. Le premier est une foi commune dans la théorie du Grand remplacement. Cette théorie, diffusée par le livre de Bat Ye’or sur l’Eurabia en 2005, a été embrassée par les chrétiens conservateurs américains. L’Union européenne y a été accusée d’islamophilie et d’avoir négocié par intérêt avec les pays islamiques une immigration musulmane substitutive aux populations de souche. En France, les premiers écrits sur la réalité de ce grand remplacement sont repérables (entre autres) sous la plume de l’ancien conseiller personnel du Président Sarkozy, Patrick Buisson, et celle de Renaud Camus, devenu le défenseur tutélaire de la culture chrétienne française contre « l’invasion islamique ». L’islamisation programmée de l’Europe est devenue un repoussoir opérant dont l’accueil des migrants syriens est devenu le symbole. Frédéric Poisson, du Parti démocrate-chrétien (et candidat aux dernières élections présidentielles françaises) a ainsi écrit en 2018, L’Islam à la conquête de l’Occident : la stratégie dévoilée. Le passage du conservatisme chrétien européen à la thèse de la conquête programmée s’est produit par le même filtre complotiste que celui des élites libérales trahissant le Peuple chrétien. Déjà convaincus que les élites ont cherché à détruire les Peuples par leur sécularisme et libertarisme, les conservateurs chrétiens pensent désormais que ces mêmes élites sont islamophiles par intérêt et vendent le remplacement de leurs peuples, comme l’a fait Angela Merkel. Leur trahison conduit les peuples de l’Occident chrétien, à l’effondrement. La défense du christianisme et le retour à l’identité chrétienne de toutes les nations de l’Occident contre leurs élites et contre l’Islam conquérant sont la réponse qui évitera l’effondrement prédit.

39Comme aux États-Unis, les chrétiens conservateurs d’Europe et d’Amérique latine ont pu se mobiliser en mouvements sociaux contre la normalisation de l’homosexualité et sa reconnaissance dans le mariage et la parentalité. Ainsi en France, le collectif d’associations La Manif pour tous créé en 2013, transformé en mouvement politique en 2015 et qui a tenté une duplication européenne. Les réseaux catholiques (non politiques) ont été mobilisés de manière continue contre les changements de législation, mais au fur et à mesure et de manière disséminée, un prêchât homophobe s’est infiltré, qui a dénoncé l’emprise du lobby gay jusqu’au Vatican⁷⁸ et appelé à le démasquer. À titre d’exemple, l’éditeur catholique Nicolas Diat a publié en 2015 une biographie du cardinal africain Robert Sarah qui a déclaré publiquement que la civilisation européenne était menacée par les deux “bêtes de l’Apocalypse”, l’islam et le lobby homosexuel. Même « son de cloche » de l’archevêque de Cracovie, traitant l’homosexualité de nouveau grand fléau de l’Europe. On note incidemment que le cardinal Sarah a été invité aux États-Unis pour faire la promotion de son livre à peine paru. Il a prononcé des discours devant des assistances acquises, rassemblées par le Becket Fund for Religious Liberty, les Chevaliers de Colomb (qui ont maintenant une antenne française) et le National Catholic Prayer Breakfast. 10 000 exemplaires de son livre ont été achetés par les Chevaliers de Colomb à destination de l’Afrique francophone.

40Par ailleurs, de nouveaux partis ont fait de cette dénonciation du lobby gay un objectif prioritaire et ils peuvent être liés à des réseaux politico-religieux américains. Une enquête d’openDemocracy a mis en évidence que le parti Vox en Espagne a fait prioritairement de l’abrogation du mariage homosexuel son cheval de bataille aidé par des contributeurs chrétiens d’outre-Atlantique anti-LGBT, comme le Howard Center for Family, ou Religion and Society⁷⁹. Vox s’est engagé également à construire des murs autour des enclaves espagnoles en Afrique du Nord, à emprisonner les leaders indépendantistes catalans, à assouplir les lois sur le contrôle des armes et à rendre « l’Espagne grande à nouveau ». On ne sait ce qui est le plus consternant, du contenu ou du plagiat rhétorique.

41Enfin, le thème du lobby gay ennemi de la famille se développe. Son succès au sein des organisations chrétiennes qui en font ou pas la promotion, varie selon leur niveau de « relations » avec des partenaires américains. Par exemple, le Congrès mondial des familles (WCF), fondé aux États-Unis en 1999, s’est transformé en caisse de résonance antigay. Il est dirigé par l’Américain Brian Brown, également à la tête de la National Organization for Marriage, qui a tissé des liens avec des politiciens et des mouvements d’extrême droite dans plusieurs pays européens, dont l’Italie, la Hongrie, la Pologne, l’Espagne, la Serbie, la Croatie, la Moldavie et la Russie. On retrouve Brian Brown à l’origine de la plateforme de pétitions chrétiennes en ligne, Citizengo, officiellement créée à Madrid en 2013. Ses interfaces sont en anglais, espagnol, français, portugais, italien, allemand, polonais, russe, croate, hongrois, néerlandais et slovaque. La plateforme a aujourd’hui 50 sites nationaux et des pétitions à répétition. Quoiqu’elle affirme n’accepter le soutien d’aucune organisation privée ou publique, son fondateur est Ignacio Arsuaga Rato, ancien membre de l’American Phoenix Institute, fondateur de l’organisation espa
gnole anti-LGBT Hazte Oír qui milite contre « l’inquisition gay »⁸⁰. Le conseil d’administration de Citizengo comprend le russe Alexey Komov, proche de l’oligarque ultra-orthodoxe Constantin Malofeev. Komov est responsable de la branche russe du WCF et de l’Associazione Culturale Lombardia Russia qui financerait La Lega (ex Ligue du Nord) selon The Daily Beast.

42On comprend mieux pourquoi, en mars 2019, le XIII^e sommet du WCF s’est tenu à Vérone, en Italie, en présence de Matteo Salvini. Le vice-premier ministre italien a fait la « une » des journaux, après avoir décrit le WCF comme une vitrine de « l’Europe que nous aimons ». Ed Martin, l’expert républicain qui a co-écrit The Conservative Case for Trump, également présent, y a déclaré : « La Bible, les frontières et le Brexit » vont « rendre l’Europe grande à nouveau ». Nous pouvons mesurer en tout cas d’où part ce « vent de changement en Europe que les libéraux laïques n’auraient jamais pu imaginer », selon les dires, à ce même meeting, de Steve Turley, la star conservatrice et américaine de YouTube. Les élections européennes de 2019 paraissent bien avoir été un temps d’intense rapprochements transatlantiques entre les lobbies de la droite religieuse américaine et les nationalistes populistes ou groupusculaires d’Europe. Une enquête d’openDemocracy de mars 2019 a estimé qu’au cours de la dernière décennie, les réseaux outre-Atlantique avaient dépensé au moins 550 millions de livres sterling pour financer des campagnes et des actions de sensibilisation anti-UE. Parmi les plus gros contributeurs soupçonnés figure l’American Center for Law and Justice dont l’avocat est Jay Sekulow, également avocat de… Donald Trump. Une autre organisation déjà citée, le Beckett Fund for Religious Liberty a contribué en 2011 à la naissance en Italie de l’institut ultra-catholique et anti-UE Dignitatis Humanæ, fondé en 2011 par le britannique Benjamin Harnwell. Le cardinal Martino en a été le président d’honneur, puis le cardinal américain Raymond Burke, chef de file des anti-François jusqu’en 2019. En 2014, l’Institut a invité Steve Bannon à prendre la parole. En 2017, ce dernier, réfugié en Europe après son éviction de la Maison Blanche, fonde The Movement qu’il imagine comme une grande alliance continentale des populismes, fer de lance de leur victoire aux élections européennes. Bannon veut briser le “parti de Davos” - cette élite financière, managériale et culturelle « qui a mené le monde occidental à sa perte »⁸¹.

43Pour finir, l’ingérence des réseaux de la droite religieuse américaine ces dernières années se mesure aussi à la circulation grandissante d’une légende noire autour du pape François. En opposition avec sa pastorale et l’ordre de ses priorités sociétales, ces réseaux qui représentent la frange catholique et évangélique américaine la plus conservatrice, répandent sur la toile la rumeur de sa traîtrise et de son islamophilie⁸², en parallèle de son hérésie (pas moins), décrétée par une noria de cardinaux et évêques intransigeants en sécession ouverte. Dans une interview accordée en 2018, Steve Bannon qui peut être considéré comme l’un des porte-voix majeurs de cette légende en Europe, a déclaré à la journaliste italienne Alexandra Bocchi : « Le soutien du pape aux migrations de masse aide la classe dirigeante à détruire les fondements mêmes de la famille. François et le parti des élites de Davos voient tous deux les migrants comme la solution à une maladie (la faible fécondité) qu’ils n’ont pas correctement diagnostiquée »⁸³.

Une droite catholique appelée à durer au sein de la droite religieuse ?

44Tout en rappelant le caractère faillible des sondages, l’analyse des données qui sont traditionnellement récupérées à la sortie des urnes lors des élections présidentielles américaines fournit une photographie intéressante du vote religieux à la fin de l’année 2020⁸⁴ : visiblement le vote que l’on pourrait qualifier de droite religieuse est en train de se recomposer, en montrant des signes de désengagement du côté catholique.

45Les chrétiens évangéliques blancs qui représentent 76 % de la population évangélique et 25 % de la population votante sont restés fermement arrimés au soutien de Donald Trump. Selon le National Election Pool et les sondages de sortie de l’AP/VoteCast⁸⁵, ce dernier a reçu 81 % de leur vote, soit à peu près le même nombre qu’en 2016. Partout où leur poids démographique est le plus important, les votes du collège électoral sont restés républicains. Ce faisant, ils ont ratifié le réalignement idéologique que nous avons décrit, qualifié rapidement de trumpiste. Pour paraphraser Robert P. Jones, directeur du Public Religion Research Institute et auteur de l’essai White Too Long : The Legacy of White Supremacy in American Christianity, leur cristallisation raciale-nationaliste semble correspondre à un réveil « confédéré » de la résistance identitaire, se saisissant aussi de la liberté religieuse comme la ressource fondatrice de leur orientation politique. Dans les États de la Sun Belt, en apparente transition démographique, le soutien évangélique à Trump a été encore plus important : 82 % en Floride, 89 % en Géorgie, 86 % en Caroline du Nord et 82 % au Texas.

46Cependant, les signes d’érosion ou de dés-adhérence du bloc évangélique à l’idéologie trumpiste se sont manifestés avant la campagne et pendant celle-ci. Il semble que la surenchère interne menée par le nouveau réseau grandissant des Églises pentecôtistes néo-charismatiques, politiquement jusqu’au-boutistes et qui aspirent au monopole protestant derrière le combat pour le pouvoir de Donald Trump⁸⁶, a aidé à provoquer une distanciation anti-trumpiste d’une partie des responsables⁸⁷ et des médias évangéliques⁸⁸. Ces derniers ont également manifesté leur confiance dans le système électoral américain pendant la crise de transition. La surenchère interne a également réveillé la minorité grandissante des évangéliques sociaux, remuant de leur côté les mânes de la justice sociale et raciale, si intimement liée à l’histoire de l’évangélisme américain. Les sondages avancent que Joe Biden a gagné plus de votes parmi les évangéliques blancs dans les États clefs⁸⁹ que nationalement.

47Surtout, il semble que le vote catholique a entamé une décrue républicaine. Il est revenu à la quasi-parité entre républicains et démocrates, soit 50 % pour Trump et 49 % pour Biden ou inversement selon les sondages. Dans le détail, la répartition raciale et sociale de cette population, la plus diversifiée de toutes les dénominations américaines et la plus importante démographiquement derrière les Évangéliques (22 % de l’électorat, composé pour 2/3 de catholiques blancs et 1/4 de catholiques latinos), se combine avec leur nombre élevé dans certains États (Rust Belt, Nouvelle-Angleterre et Sun Belt). Ces États ont été des États clefs. La palette des références catholiques proches des positions démocrates (sur l’immigration, l’accueil des réfugiés, la justice sociale, le juste salaire, le droit à la santé, l’éducation, le bien commun, y compris sanitaire et environnemental) a permis – malgré la forte mobilisation des catholiques conservateurs⁹⁰ contre le vote démocrate – des désengagements partisans qui ont réduit leur propre polarisation.

48Une part de catholiques blancs, à la fois conservateurs et plus pratiquants, plus importante encore que chez les évangéliques, a rompu l’amarre qui la rattachait au camp républicain. C’est la surprise attendue du scrutin présidentiel de 2020. Dans les deux sondages de sortie, Biden a réduit l’écart qui le séparait de Trump chez les catholiques blancs de 12 ou 13 points. La raison en est double : Trump a rempli leur objectif judiciaire avec les trois juges conservateurs nommés à la Cour Suprême et ils ne sont pas passés, cette fois-ci, par-dessus sa personnalité rebutante. Ensuite, Biden aura manifesté une foi suffisamment sincère et un projet politique suffisamment modéré pour qu’ils se souviennent de son appartenance catholique. Ainsi, alors qu’ils avaient voté à 64 % pour Donald Trump en 2016 et qu’ils sont restés concernés par le même rejet de l’avortement et du mariage pour les homosexuels, les catholiques blancs ne sont « plus » que 57 % à avoir voté pour le président sortant en 2020⁹¹. Dans les États-clefs de Wisconsin, Michigan et Pennsylvanie, ces mêmes catholiques blancs ont encore un peu moins voté pour Trump que leur moyenne générale (54 %)⁹². Leurs points de différence ont contribué à faire basculer lesdits États pour Biden, lequel y a récolté également toutes les voix des électeurs religieux non blancs.

49La justice raciale a particulièrement contribué à fissurer le mur des catholiques pratiquants et d’une part frémissante des évangéliques. Tandis que 7 évangéliques blancs sur 10 considéraient avant les élections que les meurtres d’afro-américains par la police étaient des incidents isolés, plutôt qu’un problème de racisme (73 % en 2015 et 70 % en 2020), la proportion de catholiques blancs sur cette perception a chuté de 13 points (71 % en 2015 à 58 % en 2020). De même, quoique conservateurs, patriotes et sensibles à la rhétorique du remplacement démographique, les catholiques blancs sont moins inquiets de l’altérité ethnique et plus sensibles à l’éradication de la pauvreté comme cause politique. Ils sont susceptibles de plus de compromis aussi quant à l’humanité partagée des minorités sexuelles et sont majoritaires à accepter - et non approuver - la légalité de l’avortement⁹³.

50Le signe d’un vent tournant a été l’intérêt affiché de la campagne Biden à manifester la foi de son candidat et à multiplier les mains tendues vers l’électorat croyant, bien que les catholiques conservateurs aient argumenté avec force sur le côté superficiel de ses positions, mettant en avant plutôt ses revirements sur les questions telles que l’avortement ou les droits des personnes LGBTQ⁹⁴. Il a provoqué en retour des réajustements militants et la mobilisation de nouveaux groupes comme les Progressive Pro-Lifers ou les Pro-Climate Christians avec une communication plus opportune et solidaire des responsables d’Églises sur les questions de migration, de racisme et de santé. La traditionnelle défense des minorités sexuelles – qui est absolument acquise au sein de ce parti - a été moins valorisée que celle de la promotion des femmes, comme forces de la nation, sans parler de l’appel constant de Biden à la « décence » durant sa campagne. Cela a abouti, dans le discours de victoire de Joe Biden, non seulement au retour de la rhétorique biblique de bénédiction, qu’emploient les présidents des États-Unis comme grands prêtres d’une religion civile toujours vibrante, mais également à la récitation des paroles d’un hymne catholique qu’aimait son fils décédé, Beau, paroles dédiées à tous les Américains en souffrance.

51Cependant, la bascule électorale remarquée des catholiques blancs, qui est un des facteurs de l’élection de Joe Biden n’a pas fait disparaître la droite catholique américaine : Celle-ci se retrouve bien intégrée au nouveau visage trumpiste de la droite religieuse et ne va plus – à la différence des précédentes mandatures – donner sa touche jusnaturaliste spécifique à un national-conservatisme qui dérive vers d’autres rivages. La nouvelle militance de la droite catholique se positionne désormais dans la diffusion, sur les ondes audiovisuelles avec des télévisions comme EWTN, sur internet avec des sites comme Church Militant ou LifeSiteNews⁹⁵ et avec des leaders youtubeurs comme Tony R. Marshall⁹⁶, à adapter son périmètre aux théories complotistes et millénaristes de l’Alt-Right, en accolant la co-destruction en cours de l’Église catholique avec celle des États-Unis. Elle applaudit aux arguments de Mgr Vigano, ancien secrétaire général du gouvernorat de la Cité du Vatican et auteur d’une lettre médiatisée par le site LifeSiteNews en août 2018, sur la complaisance du pape François envers son entourage homosexuel. Cette droite catholique nouvelle mouture soutient Donald Trump comme son allié, dans le co-front de lutte Deep State-Deep Church. Dans une lettre ouverte au Président, Mgr Vigano l’a considéré comme le dernier rempart des croyants, face à l’épidémie du coronavirus et au mouvement Black Lives Matter, eux-mêmes interprétés comme les forces du mal à l’œuvre dans le combat spirituel en cours⁹⁷. Au-delà de sa vindicte contre Joe Biden copieusement taxé d’apostat, la droite catholique néo-trumpiste a communiqué, grâce à ses groupes dédiés, comme les Catholics for Trump et ses lobbyistes comme Austin Ruse⁹⁸, président du Center for Family and Human Rights au demeurant chevalier de Malte et du Saint-Sépulcre, sur la croisade du président Trump : lui seul avait promis des milliards pour les écoles catholiques ou un immédiat Born Alive Order pour financer sur fonds fédéraux la prise en charge des fœtus avortés et viables. Lui seul s’était rendu en tant que président à la Marche pour la vie. Lui seul, comme président, s’était rendu à une rencontre à propos de la liberté religieuse de l’Assemblée de l’ONU pour annoncer une aide de 25 millions d’euros des États-Unis... Cette frange catholique de la droite religieuse américaine va continuer à accompagner l’avenir politique de Donald Trump, elle va continuer son travail de mise en réseau politique en Europe et continuer de polariser de l’intérieur l’Église
catholique américaine. Et l’on hésite aujourd’hui entre prévoir sa marginalisation ou tout au contraire conjecturer sur sa grande capacité d’influence qui risque de réorienter le populisme européen.