1Au sein du paysage catholique tradi-intégriste, Catholica est originale à plus d’un titre¹. En effet, avant d’être un projet, elle est d’abord une réponse à un échec, celui de Bernard Dumont dans le pilotage du groupuscule qu’il domine de 1973 à 1986². Né en Algérie en 1944, Dumont fait une scolarité à Sciences Po (1961-1964) sans en être diplômé, puis entre au Séminaire français de Rome. Il en sort après le cycle de philosophie et s’engage à l’intransigeantiste Office international des œuvres de formation civique et d’action doctrinale selon le droit naturel et chrétien, fondé et dirigé par Jean Ousset, militant dans sa « branche jeune », le Secrétariat étudiant de recherche et d’information sur l’avenir et la responsabilité des cadres de la nation, présidé par Jean-François du Mérac³. Voulant être le seul maître du Secrétariat, Mérac rompt avec l’Office en 1968, entraînant une partie des troupes dont Dumont. Il développe alors un réseau communautaire dont il est le pôle. La militance est identifiée à une intense formation intellectuelle, tant en philosophie et sociologie historique et des organisations qu’en « dynamique de groupe »⁴. Le fonctionnement charismatique de Mérac et l’amenuisement du militantisme conduisent Dumont à proposer à des membres du groupe une alternative activiste : conquérir l’État pour rechristianiser la France. La rupture est consommée en 1973, Dumont et quatre autres militants fondant un groupuscule dissident. Positionnement proprement réactionnaire donc, visant à revenir à la situation antérieure à 1789, puisque la Révolution est considérée comme l’établissement d’un désordre démoniaque empêchant l’accès de chacun au salut, l’État se désintéressant du spirituel pour assurer sa puissance. Réactionnaire aussi en ce qu’il considère que le politique l’emporte sur le spirituel dans la pratique pour atteindre le but fixé, en raison de la dimension instrumentale du politique et de sa nécessaire conformation à l’ordre naturel créé par Dieu. Réactionnaire enfin en ce qu’il se rapproche ici des thèses maurrassiennes du « politique d’abord », même si c’est, fort classiquement, en un sens qui se veut catholicisé.

Du groupuscule intransigeantiste à la revue de philosophie politique et religieuse

2Entre 1973 et 1977, Dumont s’impose comme chef incontestable du groupuscule, revendiquant bientôt la légitimité exclusive du pouvoir politique, en tant que premier à avoir perçu le défaut de l’autorité (il ne peut plus y avoir d’autorité, puisque l’État ne veut plus le bien qu’il doit viser) et à s’en être saisi. Le groupuscule se développe rapidement comme une structure militante totale, fondée sur la reconnaissance du charisme prophétique de Dumont, la mise en place de procédures de formation et de remise entre les mains du chef (révision de vie débouchant dans une autocritique comparable à celle des cellules communistes ou à la limite de la confession du for interne), d’intenses pratiques religieuses, le versement d’une dîme, l’action militante. Cependant, il est en même temps confronté à la dynamique pulvérulente de son milieu de recrutement, le monde tradi-intégriste des années 1975-1977, déchiré par les débats sur la validité du nouvel ordo missæ de 1969 et de Vatican II et la légitimité de Paul VI : proclamation de la vacance du siège pontificale par le père Noël Barbara, chef du groupe Forts dans la Foi ; suspens de Mgr Marcel Lefebvre (1976) ; théorisation de la thèse sédévacantiste materialiter/formaliter par le dominincain Michel-Louis Guérard des Lauriers (1977-1978). Dès 1975, Dumont adhère personnellement au sédévacantisme de Barbara et oriente le groupe vers un noyautage de Forts dans la Foi. Cependant, à la fin des années 1970, le groupuscule, qui se présente sous plusieurs étiquettes (Institut Cardinal Pie, organisation Lépante) mais toujours comme organisation exigeante dans l’intégration de possibles membres, débauche également des membres du Mouvement de la Jeunesse Catholique de France, de la Fraternité Saint Pie X et des tradi-intégristes plus ou moins intégrés. Son activisme permet même de récupérer pour Forts dans la Foi l’abbé Claude Barthe (né en 1947), ordonné par M^gr Lefebvre, passé au sédévacantisme et exclu pour ce fait de Saint Nicolas du Chardonnet par son occupant sans titre, l’abbé François Ducaud-Bourget, en 1980⁵.

3Cependant, la recherche de militants a conduit à une concentration sur la question religieuse, en laissant de côté l’objectif politique. Le « Parti », comme il se nomme lui-même de manière ironique, doit aussi faire face à l’avancée dans le cycle de vie de ses membres, désormais parents d’enfants (nombreux) à éduquer. L’ouverture d’une école hors-contrat associée à un centre religieux de Forts dans la foi à Forges-les-Eaux permet de conjuguer les principaux engagements concrets. En parallèle, la revue du père Barbara, Forts dans la Foi, est refondée, doublée à partir de 1984 d’un organe plus politique, Confrontation. Le travail nécessité par ces organes conduit certains rédacteurs à prendre leur distance avec Dumont, son charisme de prophète réformateur étant remis en cause par l’absence de résultats politiques et la concentration sur des objectifs religieux et éducatifs, et l’accès à des outils intellectuels rendant apte à contester ses analyses. Le mouvement explose à la fin de l’été 1986, la plupart des membres rompant avec Dumont, sauf une petite dizaine de proches. L’existence du « Parti » lui étant révélé, Barthe refuse malgré tout de couper les ponts avec Dumont et ses proches, bien que ceux-ci soient expulsés de Forts dans la Foi et que la maison de Forges-les-Eaux s’effondre.

4Le tradi-intégrisme français a ainsi aussi connu son prurit groupusculaire, communautaire, politisé - ou se voulant tel. Dans le cas de Dumont, les résultats sont d’ailleurs comparables à celui des organisations trotskystes ou maoïstes, une fois constatée l’échec (ou l’impossibilité) du débouché politique sans noyautage : l’investissement du champ culturel. En effet, Dumont, Barthe et le petit reste du groupe transforment Confrontation en Catholica, y injectant en sus les analyses religieuses jusque là réservées à Forts dans la Foi. Le premier numéro paraît en mars 1987 et Catholica réussit à durer, se développer et être reconnue. Elle bénéficie de son positionnement, sur lequel on reviendra, du fort investissement de ses membres dans sa diffusion et de circonstances favorables. En effet, la théorisation d’une herméneutique continuiste de Vatican II par le cardinal Ratzinger à partir de 1985, et les difficultés des publications tradi-intégristes à partir de 1988, déchirées entre partisans et opposants aux sacres de Mgr Lefebvre, aboutissant notamment à la disparition d’Itinéraires de Jean Madiran (1989) et au dépérissement de la La Pensée catholique (lié aussi à la disparition de son directeur et cofondateur, l’abbé Luc J. Lefèvre), lui ouvrent un espace dans lequel elle peut se déployer.

Une revue pilotée par un groupe restreint

5Les particularités de la naissance de Catholica la placent sous la domination massive de quelques signatures, ce qui peut la rapprocher des revues sans enracinement institutionnel (universités, ordres ou congrégations…) très dépendantes de leur ou leurs fondateurs ou animateurs. En effet, Dumont et Barthe représentent à eux deux plus d’un tiers des signatures entre 1987 et 2003, et plus de la moitié pour la période 1987-2019. Si l’on rajoute trois autres fondateurs (Hugues Duchamp, Stephen de Petitville, Michel Bresson), cinq noms représentent la moitié des signatures jusqu’en 2003, plus de la moitié de 1987 à 2019, alors que la revue revendique 671 auteurs différents. Si l’on y ajoute certains enfants de Dumont signant sous pseudonyme ou leur nom propre (Gilles Dumont en particulier, qui s’appelle longtemps Gilles Mignot), la concentration de la revue entre les mains d’une équipe très réduite est encore plus patente.

6Notons qu’il s’agit bien de signatures. Car la divergence est réelle entre les noms du sommaire et les signatures relevées. En effet, les membres de l’équipe pilotant la revue sont présents sans nécessairement rédiger des articles proprement dits. Ainsi lorsqu’il s’agit de questionner un invité, de commenter ou mentionner rapidement un ouvrage, de participer à un débat avec des intervenants. Le nom de Dumont peut apparaître une fois dans le sommaire mais sa signature est présente cinq à six fois, le plus souvent pour des commentaires d’ouvrages qui concluent un article ou un entretien. La place réelle est ainsi bien différente de la place apparente. Cette massive domination de quelques personnes se manifeste également dans l’organisation de chacun des numéros. Entretiens, débats entre invités, commentaires approfondis d’ouvrages, publications de textes déjà parus dans d’autres contextes, prépublications de chapitres de livres, recensions et notules bibliographiques plus ou moins développées peuvent représenter plus de la moitié de la pagination. Les notes et notules bibliographiques sont surtout rédigées par les membres fondateurs et ceux qui intègrent le comité de rédaction à partir du numéro 90. Les entretiens sont principalement menés par Petitville alors que Dumont et Barthe trustent les articles de fond ou d’analyse. Les autres membres du comité de rédaction, notamment ceux qui le constituent à partir de l’hiver 2005, sont principalement chargés des notes bibliographiques, recensions parfois un peu développées. Les autres articles sont rédigés par des auteurs intégrés soit au comité de rédaction, ou au comité scientifique à partir du numéro 90, soit par des invités sollicités.

7Catholica est donc la revue d’un petit groupe, lequel tend même à se rétrécir. En effet, entre le numéro 90 et le numéro 100, soit entre la fin 2005 et l’été 2008, disparaissent trois signataires fondateurs (Duchamp, Petitville, Barthe), plus un membre du « parti » depuis le milieu des années 1980, intégré au comité de rédaction à partir du numéro 90⁶. La prédominance de Dumont est désormais totale, aboutissement d’un processus observable depuis les origines de la revue lorsqu’on relève les variations du comité de rédaction et des responsabilités (direction de la publication, de l’administration). Dumont, d’abord rédacteur en chef, devient directeur de la rédaction (n° 4) puis aussi de l’administration (n° 18 - il remplace Barthe qui devient directeur administratif jusqu’au n° 44, lorsque la revue devient trimestrielle). Le comité de rédaction disparaît du numéro 31 au numéro 61 où il renaît avec quatre des fondateurs, après que la revue a obtenu le soutien du CNL. Mais lorsque est créé le conseil scientifique au numéro 90, ce comité de rédaction se réduit désormais à six membres, certains depuis longtemps dans le milieu Dumont (Alexis Campo), d’autres plus jeunes, puis bientôt à cinq, et quatre, tous liés à Dumont, notamment familialement. Le lien familial est même explicite lorsque Gilles Dumont, spécialiste de droit administratif, docteur en droit en 2002 et agrégé de droit public en 2004, intègre le conseil scientifique dès le numéro 90 (2005). En revanche, Barthe, chroniqueur religieux depuis le numéro 58, cesse de signer des articles au numéro 98 (2007), demeurant dans le conseil scientifique jusqu’au numéro 111 (2011).

Ouverture intellectuelle, réseau international

8Quoique Catholica soit le titre d’un petit groupe d’intellectuels tradi-intégristes, elle pratique l’ouverture non confessionnelle et intellectuelle. Un certain nombre de signatures sont éloignées de l’antimodernité catholique. Parmi les contributeurs les plus féconds, c’est le cas de Claude Polin (42), Jean-Pierre Ferrier (23), Eric Werner (28), Philippe Baillet (11). Parmi les contributeurs fort occasionnels, on peut relever Richard Hoggart, Alain Besançon, Jacques Julliard, Georges Daix, René Girard, Robert Redecker, Alain-Gérard Slama, Jacques Testart, Émile Poulat, Pierre Manent, Stéphane Courtois, Roland Hureaux, Robert Serrou, Jacques Frémeaux, Jean-Claude Guillebaud, Gérard Chaliand, Pierre Chaunu, Antoine Compagnon, Henri Mendras, Pierre Rosanvallon, Alain Etchegoyen, Salvatore Abbruzzese, Rony Brauman, Lucien Israël (1 fois chacun), Dominique Schnapper, Sylvie Brunel, Colette Beaune, Marcel Pérès, Serge Latouche, Thierry Wolton, Catherine Pickstock (2 fois chacun), Jean-Claude Milner, Paul Virilio (3 fois), Alexandre Zinoviev, Jean-Marie Domenach, Paul Yonnet, Yvon Tranvouez (4 fois chacun), Jacques Ellul (5 fois). Malgré tout, cela ne fait pas masse (ainsi, les collaborations citées ci-dessus représentent encore moins que l’ensemble des signatures de Barthe). De plus, leurs textes sont le plus souvent un entretien ou une participation à un débat. En effet, Catholica sollicite des intervenants, notamment sous la forme d’interviews, choix efficace pour obtenir un consentement auprès d’intellectuels et universitaires souvent fort occupés. Retranscrit par la revue, seulement relu avant publication, l’entretien ne demande pas de travail de rédaction. Il flatte aussi l’ego des sollicités, sans doute pas la part la moins développée de leur personnalité. Enfin, nombre de ces contributions sont publiées dans les premières années de la revue, lorsqu’elle travaille à gagner en légitimité (Hoggart, Slama, Rosanvallon, Mendras, Manent, Julliard)⁷. Catholica publie aussi des contributions originales de collaborateurs plus ou moins réguliers, pour une période plus ou moins longue : les pères Laurent-Marie Pocquet du Haut-Jussé (sjm), Francis Volle (cpcr), Florent Gaboriau (op), Jean-Paul Maisonneuve (sj) et Guy Hermet, Joël Hautebert, Christine Sourgins, Alexandra Viatteau… Sans partager nécessairement toutes les positions de la revue, ils y trouvent la possibilité de développer leurs réflexions, tout en la légitimant en retour par leurs compétences et spécialités.

9Cette ouverture de Catholica doit pourtant retenir l’attention car elle s’inscrit dans le cadre de l’appel, original parmi les revues tradi-intégristes françaises, à des auteurs non français, qui représentent en 30 ans près d’un tiers des signatures. Si leur place tend à croître, rares sont les auteurs étrangers à avoir une situation dominante, hormis Thomas Molnar (83 textes), lointainement suivi par les Italiens Carlo Gambescia (22) et Danilo Castellano (14), le Cubain Jorge Valls (22), le Suisse Éric Werner (28). Trois pays sont privilégiés : Espagne, Italie, Allemagne (Robert Spaemann, Reinard Löw, Günter Rohmroser, Friedrich H. Tenbrück, Günter Maschke, Georg Kamphausen, Peter Klossowski). L’Europe orientale est aussi présente (Roumanie : Cornelia Comorovski, installée en France, Monica Papazu, installée au Danemark ; Pologne, Alexandra Viatteau), comme la Suisse (Éric Werner, Bernard Wicht) et, dans une moindre mesure, les États-Unis (John Finnis, Paul Edward Gottfried, John Rao). Cet élargissement géographique se retrouve dans le comité scientifique : cinq Français (Dumont, Barthe, Réveillard, Polin, Olivier), un Suisse (Wicht), un Allemand (Weinacht), deux Espagnols (Ayuso, Pavón), trois Italiens (Castellano, Grosso, Gambecsia), un Étatsunien d’origine hongroise (Molnar).

10L’ouverture internationale apparaît très rapidement car l’équipe de Catholica est soucieuse de ce qui se passe en Europe de l’Est encore sous domination soviétique (un des soucis de Dumont dès avant 1986, notamment dans Confrontation, et qui relève de l’anticommunisme catholique réactivé à partir de la fin des années 1970), ou sortant du socialisme, mais aussi en Italie, dont les publications politico-religieuses sont lues attentivement. Elle se fait selon deux axes. Le premier est développé par Barthe, qui recherche des collaborations de théologiens ou philosophes, auprès de membres ou d’héritiers des Romains de la Curie de Pie XII et de Vatican II⁸, ou de néo-intransigeants (Communione e Liberazione, Opus Dei) qui se retrouvent notamment à l’Institut pontifical d’études sur la famille et le mariage. Il tisse ainsi des relations avec des partisans d’une lecture romaine de Vatican II, à la suite de Paul VI et de Jean-Paul II, voire d’une lecture critique de l’œcuménisme, de la collégialité et de la réforme liturgique, et avec des théologiens ou intellectuels hostiles à la transigeance intellectuelle. Il obtient ainsi la collaboration d’enseignants des instituts et universités romaines (du bénédictin Dario Composta, Cornelio Fabro, Bruno Gherardini, Stanislaw Grygiel) ou allemandes (Spaemann, Martin Mosebach) ou des religieux (le bénédictin Ansgar Santogrossi). Catholica est ainsi une espèce de caisse de résonance anticipée de la partielle convergence de néo-intransigeants et de tradi-intégristes sous le pontificat de Benoît XVI.

11Le second axe qui marque davantage la revue, est développé par Dumont, essentiellement à partir des années 2000. Déjà entré en relation avec Castellano, professeur de droit à l’Université d’Udine et ancien participant aux congrès de Lausanne de l’Office, et déjà introduit par lui dans les activités de la revue intransigeantiste udinoise Instaurare (1989, 2013)⁹, il est aussi invité à un colloque de l’Institut international d’études européennes Antonio Rosmini de l’Université libre de Bolzano en 2002 dont Castellano est membre¹⁰. Il y rencontre Miguel Ayuso, professeur de droit à l’Université pontificale Comillas (Madrid), membre de la Ciudad Católica, fondée en 1959 sur le modèle de la Cité catholique¹¹. Les liens avec la Ciduad se développent fortement à partir du début des années 2000, Dumont étant régulièrement invité à ses réunions annuelles. En Italie, Dumont entre aussi en relation avec l’avocat Teodoro Klitsche de la Grange qui l’intègre au comité scientifique de sa revue Behémoth (disparue en 2016), et avec l’éditeur et politiste indépendant Carlo Gambescia. Enfin, il est introduit en 2011 dans le Forum Romanum, organisation fondée par Dietrich von Hildebrand en 1968 pour soutenir Paul VI, et relancé dans un sens tradi-intégriste en 1991 par l’Étatsunien John Rao, associate professor d’histoire de l’Église à la lazariste St John’s University de New York, notamment par des symposiums estivaux¹².

12Parallèlement, Catholica se met à organiser des colloques internationaux. Ses auteurs membres de l’Université lui permettent d’utiliser des ressources universitaires : « Volonté politique et esprit de compromis » à Paris IV en novembre 2003, publié en 2007 sous le titre La culture du refus de l’ennemi. Modérantisme et religion au seuil du xxi^e siècle par les Presses universitaires de Limoges (Gilles Dumont, docteur en droit en 2002, agrégé de droit public en 2004) avec le soutien du Centre Droit et changement social de l’Université de Nantes (Gilles Dumont) et de l’UMR Roland Mousnier de Paris IV (Christophe Réveillard)¹³ ; « Ordre et changement politique, de nouveaux paradigmes : la transmission » à Paris IV en novembre 2006¹⁴ ; « Ordre et changement politique, de nouveaux paradigmes : la communauté » à Paris IV en juin 2007¹⁵ ; « Guerre civile et modernité » à l’Université de Lausanne en 2008, organisé conjointement avec l’Institut d’études politiques internationales de l’Université de Lausanne (avec le Privat Dozent Bernard Wicht), Paris IV (Claude Polin), Limoges (Gilles Dumont, alors maître de conférence) et la revue Conflits actuels (Christophe Réveillard)¹⁶, publié en 2011 par François-Xavier de Guibert sous le titre Guerre civile et modernité. Prolongement de la crise de conscience européenne (republié en 2012 sous le titre La guerre civile perpétuelle. Aux origines modernes de la dissociété chez Artège) ; enfin un colloque à l’Université de Nantes en mai 2011¹⁷. Ces colloques se poursuivent dans un travail collectif à partir de 2009, débouchant dans la publication d’un livre aux éditions Artège en 2013, sous la codirection de Dumont, Ayuso et Castellano : Église et politique, changer de paradigme, avec des contributions de Juan Fernando Segovia, Julio Alvear Téllez, Christophe Réveillard, Mgr Ignacio Barreiro Carámbula, José Miguel Gambra Guttiérrez, John Rao, Gilles Dumont, et Sylvain Luquet. L’ouvrage, qui paraît simultanément en français et espagnol, est l’objet d’un vaste opération de promotion par le biais des institutions auxquelles participent tout ou certains des directeurs : Institut Rosmini, Forum Romanum, réunion annuelle de Instaurare, Buenos Aires (Segovia enseigne à l’université de Mendoza), Santiago du Chili (Alvear est professeur de droit à l’université del Desarollo), Lisbonne, Madrid (Ayuso appartient à la Real Academia de Jurisprudencia y de Legislacion)¹⁸. En 2020, Sur la dignité humaine, de nouveau dirigé par Dumont, Ayuso et Castellano, cette fois publiée chez Pierre-Guillaume de Roux, traduit la poursuite de la collaboration et l’introduction d’une nouvelle génération d’auteurs participant à Catholica (Sylvain Luquet, Guilhem Golfin).

13Les relations internationales les plus fortes se nouent ainsi avec Castellano, avec les colloques de l’Institut international d’études européennes Antonio Rosmini (1992, 2017), et Ayuso. Celui-ci, membre d’une série d’organismes scientifiques, universitaires, catholiques (Association internationale des juristes catholiques, qu’il préside de 2009 à 2019, avec Castellano dans le bureau¹⁹) et carlistes (Conseil d’Etudes hispaniques Philippe II, émanation de la carliste Fondation Elias de Tajada, comptant nombre de membres de la Ciudad Catolica), les ouvre aux Dumont. Bernard participe ainsi aux Journées hispaniques de droit naturel (2008, 2012) et à des séminaires de philosophie du droit tenus à la Real Academia de Jurisprudentia y de Legislacion (Madrid, 2014, 2015, 2018, 2019) ou dans le cadre du Conseil d’Études Hispaniques
Philippe II, Gilles est invité aux Journées hispaniques de droit naturel (2016, 2018)²⁰.

14In fine, Catholica contribue au développement d’un réseau intellectuel transnational, antilibéral, intransigeantiste. Les organisations et publications conservent leur identité propre (Behemoth est moins marqué par le catholicisme, la Ciudad catolica défend surtout le droit public ecclésiastique, Forum romanum entretient l’intransigeantisme critique de Vatican II...) mais partagent, plus ou moins, leurs membres et contributeurs, que ce soit aux revues ou aux journées d’études (figure 1 et figure 2). Catholica tisse ainsi des liens étroits avec la Ciudad catolica, sans que les contacts avec Castellano ne cessent, d’autant que celui-ci est fortement lié à celle-là (Castellano écrit 14 fois dans Catholica, Ayuso 12 fois, Dumont signe 12 articles dans Verbo, ses contributions aux journées de la Ciudad de 2007 à 2011 sont publiées). Au sein de ce réseau, les Dumont sont les Français les plus intégrés, l’Italien Castellano et surtout l’Espagnol Ayuso Torres s’inscrivant cependant davantage en position centrale, en pouvant s’appuyer sur leurs institutions universitaires, plus confessionnelles qu’en France, et sur des fondations privées disposant d’une légitimité intellectuelle. Cette moindre centralité institutionnelle de Catholica s’observe dans ses rapports avec la Confédération française des juristes catholiques (CFJC), moins intransigeante que ses pendants italiens, espagnols et latino-américains. Catholica n’est pas ainsi un véritable relais de la CFJC, ne publiant qu’un entretien avec Michel Villey (son fondateur) et Jean-Michel Lemoyne de Forges (son vice-président), mais n’accueillant pas son principal représentant des années 1990-2000, Joël-Benoît d’Onorio.

15Du point de vue des domaines, dominent des philosophes et sociologues du droit et de la politique et des juristes (tableau 1). Les juristes et politistes sont surtout jusnaturalistes, nombre de théologiens et philosophes relèvent du thomisme, un certain nombre d’entre eux appartiennent à la Société internationale Thomas d’Aquin, notamment dans ses origines italiennes (Fabro, Composta) ou ses sections napolitaine (Turco, Ceccoti) et espagnole (Forment, Canals Vidal, Vallet de Goytisolo)²¹.

À la recherche d’une théologie politique jusnaturaliste ?

16Ce jusnaturalisme à modalité typiquement intransigeantiste est une des originalité de Catholica. La revue affirme sans cesse l’existence de principes politiques naturels, reconnus et promus par l’Église : « Au cours des siècles, l’Église a assumé le rôle de conservatoire de vérités naturelles dont elle ne prétendait pas avoir le monopole, mais que son magistère a défendu et illustré contre vents et marées. » Ce sont « […] des principes que la philosophie politique classique a eu soin de cultiver et la théologie de consolider, et qu’il s’agirait avant tout de redécouvrir : le souci de la justice, l’unité sociale, l’autorité qui la fonde, le bien commun qui la justifie, l’ordre terrestre confronté à l’ordre divin »²². Ainsi, l’Église est « vue comme lieu de conservation et foyer de développement du droit naturel - en d’autres termes, de l’appréhension du juste en matière politique ». La conséquence logique en est une critique radicale de la démocratie libérale, « oligarchie organisée » au profit de la sphère marchande, « système social […] mensonger dans la définition qu’il donne de lui-même, dans ses promesses, et dans son invraisemblable prétention à constituer l’achèvement de l’histoire [...] »²³. La neutralité axiale de l’État et la primauté de l’individu sont systématiquement refusées car en fait négation du politique en sa spécificité propre. Celui-ci est en effet chargé d’une mission fondamentale :

La politique est l’art de construire par la volonté les cadres de l’existence humaine. Si l’on veut déterminer sa nature profonde, on pourra la considérer en tant que pouvoir : comme la capacité de transformer les conduites humaines – l’attitude mutuelle des hommes entre eux – pour les conformer à un projet existentiel conçu au préalable par l’intelligence, personnellement assumé, dont la possibilité est comprise et jugée désirable. […]
Le politique n’est pas la raison ultime de l’homme, mais il est le seul moyen par lequel, en tant qu’espèce, il se met en condition pour accéder à cette fin ultime²⁴.

17La revue défend au final une conception salvifique du politique, totalement opposé au pluralisme démocratique moderne²⁵. Elle fait de la politique le moyen indispensable de la conformation des sociétés à la volonté divine créatrice, et également à la catholicisation, car « Il ne peut y avoir un grand peuple chrétien sans institutions chrétiennes »²⁶. Si l’on peut y voir une reprise du « politique d’abord » maurrassien qui a marqué, peu ou prou, la formation des rédacteurs principaux de Catholica, on peut aussi y voir la continuité d’une tradition intransigeantiste revendiquant d’abord l’application du droit public ecclésiastique, ayant trouvé un allié en l’Action Française, et marginalisée depuis sa condamnation. On peut y voir aussi une réappropriation de la pensée aristotélicienne médiatisée par Thomas d’Aquin, faisant du politique l’instance suprême du choix prudentiel dans une communauté humaine afin d’atteindre son bien commun. Le politique se voit conférer une fonction « architectonique » et donc unificatrice de la collectivité, notamment par la notion de « bien commun »²⁷.

18Avec ce jusnaturalisme intransigeantiste, Catholica diverge clairement tant de la théologie politique des années 1970 marquées par le compagnonnage avec le marxisme (théologies de la libération, théologie politique de Johan-Baptist Metz) que de celle des années 1990-2010, soit qu’elle s’inscrive dans le cadre de Radical orthodoxy ou des penseurs communautariens anglo-saxons, soit qu’elle tente une relecture post-moderne de Jacques Maritain (Willam Cavanaugh)²⁸. Elle rejette aussi avec netteté tout ce qui pourrait ressembler à jouer, quelque forme qu’elles prennent ou que la revue leur donne (libéralisme catholique, héritage du Sillon, progressisme, légitimité de principe des régimes établis), les cartes de l’utilité sociale de la religion et de la transaction pratique avec la modernité politique. Elle n’entend pas pour autant proposer une réaction au sens strict du terme, relisant régulièrement de manière critique les modalités de l’action politique des catholiques depuis la Révolution. Impasse du « raidissement antimoderne », errance doctrinalo-pratique du libéralisme catholique, perversion du personnalisme maritainien (le fruit d’une sympathie intellectuelle pour les antimaritainiens Marcel de Corte et Charles de Koninck), « ralliement » conçu comme transaction avec le plus puissant, pratique empirique de la politique afin de préserver les positions catholiques et la liberté d’action de l’Église, échec de la « cellulite doctrinale » de Ousset qui n’a abouti qu’à proposer des services au « modérantisme politique » catholique, tropisme communautaire manifestant un repli sur l’entre-soi catholique, incapacité à valoriser le politique, à le penser catholiquement et agir pour le sauver, la revue est au final sans concession pour le passé, même papal, et le présent²⁹.

19Car, comme l’écrit Dumont,

Le réalisme demande d’estimer la situation à sa juste mesure, celle d’une sécularisation unique dans l’histoire, procédant d’une philosophie d’ensemble et reposant sur un régime social en accord avec celle-ci. Le même réalisme interdit par conséquent de rêver la politique, mais il oblige inversement à la penser. […] Penser la politique, c’est acquérir et appliquer les données théologiques, philosophiques, juridiques, historiques… concernant l’organisation de la vie collective, ce dont le patrimoine chrétien fournit largement moyens et conditions d’acquisition à quiconque en possède les aptitudes³⁰.

20Considérant ainsi que la pensée catholique a sous-estimé la rupture structurelle que représente la modernité politique et ne s’est pas donné les moyens de penser sérieusement la situation moderne (avec l’exception du philosophe italien Augusto Del Noce [1910-1989] que Dumont promeut), qui a tellement rompu avec le passé et structurellement transformé les sociétés et les psychés, qu’elle rend impossible un retour à la situation antérieure, Catholica appelle sans relâche à une réappropriation de la pensée politique « classique », à un effort conceptuel d’intégration de la pensée contemporaine et au développement d’une véritable pensée politique catholique³¹. Le catholicisme doit se donner de pouvoir construire un ordre alternatif à la modernité occidentale, inlassablement analysée comme aliénante pour les hommes, déracinant les peuples, fonctionnant au profit d’une oligarchie manipulant le pouvoir, et dont les caractéristiques antisociales et déshumanisantes s’accentuent alors qu’elle est au bord de la déliquescence³².

21Cependant, la revue ne développe jamais aucune théologie politique alternative. Le rappel incessant de la nécessité de construire une authentique pensée politique catholique ne s’accompagne jamais que d’une lecture critique systématique des théologies politiques ou des pensées du politique par les catholiques, et d’une exploitation poussée des pensées critiques de la modernité surgies du sein même de celle-ci pour participer à son analyse-déconstruction. Cette analyse critique est même posée comme préalable à la possible reconstruction d’un véritable ordre chrétien, tant la rupture entre la chrétienté et la modernité est définie comme radicale et profonde³³. Le travail de compréhension critique du monde contemporain l’emportant finalement sur celui de proposition d’une pensée catholique alternative à la modernité, Catholica peut ainsi accueillir abondamment des penseurs antilibéraux non catholiques (Polin), et puiser ses références jusqu’auprès de Giorgio Agamben, Naomi Klein ou du Comité invisible³⁴. L’abondante participation d’auteurs non catholiques et non intransigeantistes à la revue s’inscrit ainsi dans une logique de fond : procéder à un travail métapolitique de délégitimation conceptuelle de la modernité, et en particulier de la démocratie libérale. Parce qu’elle est jugée bien plus important que tout activité politique immédiate, cette orientation conduit à accorder un satisfecit à ce qui fit d’abord le fond de l’action de Ousset, la formation intellectuelle antérieure à l’action politique³⁵.

L’omniprésence du politique

22Pratique « gramscienne » donc, que cette manière de faire. Pratique d’intellectuels aussi, même d’idéocrates, persuadés comme tout intellectuel qui se respecte, que les idées mènent le monde – ou le devraient, et regrettant qu’il n’en soit pas ainsi, à voir les critiques répétées contre la domination socio-politique de la sphère marchande. Mais positions d’intellectuels en quête incessant du politique, voire d’un débouché politique. On peut alors parler de politisation du catholicisme, dans le sens que le politique, appartenant à l’ordre naturel créé par Dieu, ayant été atteint par le péché, doit être catholicisé, c’est-à-dire restauré et sauvé. Le catholicisme doit nécessairement investir le politique, en ses conceptions et en sa pratique, afin que celui-ci se conforme à sa nature : établir un ordre juste au service du bien commun qui favorise le salut de chacun et de tous. Le catholicisme est ainsi nécessairement politique – sans que jamais, cependant, on l’a dit, la forme que pourrait prendre ce catholicisme restaurant le politique ou ce politique restauré par le catholicisme, soit exposée, au-delà du rappel à la nécessaire fidélité créatrice à la pensée politique classique (aristotélo-thomiste) et de l’impossibilité de voir dans la démocratie libérale une simple procédure dissociable de son soubassement philosophico-anthropologique³⁶. Les institutions ont beau être pensées comme fondamentales, aucune institution alternative n’est jamais exposée.

23Si le catholicisme est posé comme moyen de droitement penser le politique, position typiquement intransigeantiste, les critères politiques modernes sont aussi paradoxalement utilisés pour penser l’état du catholicisme. Typique est l’analyse de Barthe anticipant la mort de Jean-Paul II en 1999 : « La “couleur” du futur élu du conclave ne sera pas d’importance fondamentale : s’il est de “centre gauche”, il assumera la mutation [de l’Église], s’il est de “centre droit”, il l’avalisera avec plus ou moins de réticences »³⁷. La spatialisation politique post-révolutionnaire, tout en étant relativisée par les guillemets, car partiellement inadéquate, sert à penser les positions au sein de l’Église, et le fonctionnement interne de celle-ci est compris en terme de lutte de pouvoir entre tendances idéologiques, rompant avec la ligne défendue dans le premier numéro en 1987 (décrypter les signes des temps en étudiant la situation de l’Église, en ne se situant pas au niveau d’analyse de la sociologie), elle-même d’emblée divergeant avec le premier article d’analyse de l’état de l’Église, consacré à l’interprétation du synode de 1985 par la revue Concilium, qui use de facto d’une lecture politique³⁸. C’est qu’il y a en fait continuité dans l’analyse du politique moderne et de l’Église contemporaine : les méthodes d’agir (des petits groupes efficaces faisant avancer leurs idées par la manipulation médiatique – soit l’exploitation des analyses d’Augustin Cochin sur la Révolution française) y sont comparables et les crises semblables (refus de l’obéissance de la part d’individus autocentrés) car les enjeux y sont identiques (inscription dans l’ordre voulu par Dieu, ou rupture avec lui)³⁹.

24Aussi l’analyse critique sans cesse reconduite de la modernité libérale est-elle le recto du verso qu’est la critique répétée de l’Église post-duovaticane et l’appel au dépassement ou au comblement de la solution de continuité qu’est le concile. Le concile et la pastorale qui s’en revendique sont contestés comme non homogènes à l’évolution doctrinale catholique, spécialement en matière d’œcuménisme, de liberté religieuse et de liturgie⁴⁰. Cependant, autant les transformations politiques jugées indispensables ne sont pas développées, autant des propositions de réforme du catholicisme sont avancées. Les liens tissés par Barthe avec certains théologiens romains, l’intérêt porté aux positions du cardinal Ratzinger, aboutissent à ce que la revue travaille durant tout le pontificat de Benoît XVI, et spécialement après le discours à la Curie du 22 décembre 2005 appelant à lire Vatican II selon une « herméneutique de la continuité », à théoriser et défendre une convergence des contestataires de Vatican II, des ratzingériens et des théologiens romains critiques de certains aspects du concile lui-même. Barthe en particulier propose des modalités de rapprochement entre tendances, notamment en matière liturgique :

Tout invite donc, dans la perspective d’une volonté de ranimer l’apostolat de l’Église, à une union des forces vives des […] nouvelles générations de prêtres « attachés à la légalité conciliaire » et [des] prêtres tridentins, ou du moins à l’union d’une partie des unes ou des autres. […] l’union des forces vives du catholicisme pourrait être progressivement favorisée par l’aménagement de ponts et de passages ponctuels ou permanents, et surtout par l’évolution (transformation) concrète plus ou moins importante, dans un sens traditionnel, de la réforme de Paul VI (qui deviendrait progressivement, pourquoi pas ? réforme de Benoît XVI)⁴¹.

25La revue devient ainsi un lieu de diffusion du « nouveau mouvement liturgique » défendant une « réforme de la réforme liturgique », dans le sens d’une tridentinisation nette de l’ordo missæ de 1969⁴². Elle accueille certains des promoteurs de la relecture critique de Vatican II, notamment Gherardini⁴³, Cependant, la renonciation de Benoît XVI, le pontificat de François, une rupture personnelle (mais non doctrinale) entre Dumont et une partie des cofondateurs de la revue, dont Barthe, conduisent Catholica à relancer sa critique tradi-intégriste après 2011-2013.

26Articulation de la critique de la démocratie libérale et de la critique de Vatican II, la première ayant perverti l’Église par le second qui a intégré en son sein les pensées libérales et personnalistes, la restauration intransigeantiste de celle-ci permettant à terme de sauver le politique, telle est la ligne de Catholica depuis ses origines. Et de Dumont – l’individualisation est justifiée, tant il est omniprésent. Il n’y a en effet pas de différence fondamentale entre les positions défendues en 1988, lorsque Dumont réfléchit sur « L’État et le bien commun », et tout ce qui sera par la suite développé dans la revue, y compris du point de vue des méthodes (utilisation d’auteurs non catholiques, appui sur des catholiques proposant de facto une révision de la compréhension de Vatican II)⁴⁴. Même, entre le Dumont chef d’un groupuscule et celui de Catholica, la différence ne réside que dans le déploiement dans le temps de positions déjà solidement tenues⁴⁵. À cette aune, la crise groupusculaire de 1986 aura permis le basculement total de Dumont et ses proches dans l’action métapolitique que Confrontation entamait, le groupuscule réduit prenant la forme d’une revue. Alors, l’élargissement intellectuel contrôlé par la réitération théologico-politique et le choix de l’ancrage international pour obtenir une place et peser au sein du catholicisme, le tout servi par un petit noyau (en partie renouvelé au fil du temps) pratiquant l’investissement au long cours, font de Catholica, porté par Dumont et dans une moindre mesure Barthe, l’une des réalités tradi-intégristes les plus originales de la vague militante catholique née dans les années 1960-1990.

27Cependant, à l’aune des xix^e et xx^e siècles intellectuels, y compris catholiques, l’articulation à une petite communauté d’intense engagement où prédomine une figure charismatique, et la volonté de refondation ou de transformation sont des grands classiques des revues. Catholica dit alors plus la banalisation du tradi-intégrisme, en son inscription dans un phénomène plus ancien qu’elle poursuit, que son exceptionnalité, y compris dans cette figure d’intellectuel in et out qu’est Dumont. De même, à l’aune des rapports entre intransigeantisme et politique dans la seconde partie du xx^e siècle, elle confirme l’extrême difficulté tradi-intégriste à passer à l’action politique au sein d’un monde dont les fondements sont radicalement contestés et, en conséquence la préférence de plus en plus nette pour l’action intellectuelle, en attendant d’éventuels jours meilleurs que promettent la Révélation et l’analyse socio-historique d’une modernité nécessairement vouée à son auto-dissolution⁴⁶.

Figure 1 : Participations des principaux acteurs de Catholica à d’autres organisations (en haut : réseau complet ; en bas : liens principaux)47

Figure 2 : Liens entre les principaux acteurs de Catholica à d’autres organisations48