Laïcité et christianisme chez Émile Poulat
|L’homme, le chercheur
Texte intégral
- 1 Andrea Riccardi, « Émile Poulat, le catholicisme italien et Rome », dans Valentine Zuber (dir.), U (...)
1Émile Poulat est une énigme pour nombre de ses lecteurs, par ailleurs séduits par la liberté et le caractère imprévisible de sa pensée. Non que ses écrits fussent soumis à des secrets chiffrés, mais ils sont pleins de nuances et ils font appel à l’intuition. Poulat est inclassable, non catalogable, sans parti, en perpétuelle mobilité intellectuelle. Son esprit critique ne se laisse réduire à aucune position, mais il observe de haut, au-dessus de la mêlée. Alors qu’il a traversé des périodes de forte polarisation politique, religieuse, académique, Poulat « ne s’est jamais laissé classer, au point de devenir, quelquefois, un peu mystérieux, peut-être un peu fuyant. Droite ou gauche ? Anticonfessionnel ou confessionnel ou aconfessionnel1 ? ».
- 2 Cette « Journée Poulat » s’est déroulée le 22 novembre 2016 auprès de l’Institut d’Études avancées (...)
- 3 Hors-Série 2020, Cinq vies de recherche. À la mémoire des Archives. L’œuvre d’ Émile Poulat est tra (...)
- 4 « La théologie face à l’histoire. Retour sur un itinéraire », dans Émile Poulat, Le désir de voir (...)
- 5 Émile Poulat, « Chiesa e mondo moderno : il caso dei preti operai », dans Andrea Riccardi (dir.), (...)
2Au cours d’un colloque qui lui était consacré à Nantes en 2016, la meilleure définition qui ait pu être donnée à son refus des étiquettes, s’est fondée sur la formule « ni… ni…2 ». Ce n’est pas de l’ambiguïté. Inclassable ne signifie pas insaisissable, immatériel ou inconsistant. D’autant plus qu’il existe déjà sur Poulat une littérature consistante, à commencer par les nombreuses contributions présentées dans un colloque en son honneur à la Sorbonne en 1999. Depuis sa mort en 2014, Yvon Tranvouez, Andrea Riccardi, Jean-François Mayer ont évoqué son œuvre en plusieurs occasions. La revue Archives de sciences sociales des religions lui a consacré une partie de son numéro spécial « Cinq vies de recherche »3, et d’autres publications s’annoncent. Il a plusieurs fois parlé de lui-même dans la dernière partie de sa vie. Il faut citer surtout son autobiographie culturelle, L’ère postchrétienne, et son « testament intellectuel », comme il l’appelait avec ses amis, L’histoire savante devant le fait chrétien. Après la disparition de son épouse Odile, en 2010, il parlait plus librement de la parabole de sa vie, publique et privée, sans démentir ses priorités et son style de toujours. Son Entretien avec Yvon Tranvouez et François Trémolières, publié d’une manière posthume en 2015, est un outing sur les années au cours desquelles il avait revêtu l’habit ecclésiastique4. Mais même auparavant, les allusions biographiques n’ont jamais manqué. Je me souviens d’un colloque en Italie, à Bari, en 1982, où Poulat se présenta lui-même comme un « témoin » engagé de l’intérieur dans l’affaire des prêtres-ouvriers. Il soutenait qu’il ne ressentait aucune contradiction entre les deux rôles de protagoniste et d’historien de la même histoire, même si « ce double rôle n’était pas toujours facile à concilier5 ».
- 6 Émile Poulat, « Remercier, remémorer, réfléchir », dans Un objet de science, le catholicisme…, op. (...)
- 7 Le « Testament spirituel », daté du 24 avril 2011, a été publié en appendice à Le désir de voir Di (...)
- 8 Ibid., p. 278.
3Tempérament doux, sachant se montrer charmant, mais ni faible, ni naïf ou désarmé, Poulat n’avait jamais été iconoclaste envers son passé : « J’ai fui la polémique, que je déteste ; j’ai recherché la discussion, sans la trouver à ma suffisance […]. J’ai toujours enseigné qu’il fallait tout capitaliser de son passé et de son expérience, au lieu d’en faire table rase pour mieux repartir. J’ai toujours pensé que le conflit n’était pas une valeur en soi, mais une loi de l’histoire6. » De même, dans le Testament spirituel, il reprend : « J’ai tout capitalisé sans rien renier et sans transformer en conflits d’inévitables désaccords7. » Poulat n’a jamais renié aucune de ses conclusions scientifiques publiées dans plus de trente volumes, des centaines d’articles et des milliers de notes et de recensions. Cependant son caractère inclassable – ou la difficulté d’autrui à comprendre son identité – était pour lui un gage de liberté et d’indépendance. Il soutenait qu’il avait toujours maintenu et préservé, non sans lutter, son « cap intellectuel », n’ayant pas « de place définie dans les catégories communes, ni dans les attentes militantes ou médiatiques, sans même parler des traditions universitaires. On offre ainsi l’image floue d’un “inclassable”. C’est le prix d’une liberté intérieure que je tiens de naissance8 ».
4Quelques passages de l’entretien publié dans ce livre montrent comment Poulat défendait son inclassabilité :
- 9 Entretien avec Émile Poulat ci-après.
Je pense qu’il n’est peut-être pas nécessaire de formuler ses convictions pour qu’elles soient prises à parti par d’autres qui ne les partagent pas ou qui n’en ont pas ou qui en ont d’autres. Je veux dire par là que c’est donner prise souvent à des faux débats. Ceci dit, c’est un peu un problème d’identité. Les gens s’interrogent sur leur identité. On vous demande “Quelle est votre identité ?”. Moi, je n’ai jamais eu la moindre incertitude sur mon identité. Suis-je en état moi-même de formuler quelle est mon identité ? Formuler son identité, c’est en arriver à oublier de vivre. […] Ce qui me frappe, c’est quand on vous demande quelles sont vos certitudes, vos convictions. Pratiquement, les sondeurs d’opinion font passer des examens de catéchisme et les réponses sont toujours attendues comme des réponses aux questions du catéchisme. On est là à la surface des choses9.
5L’inclassabilité signifie ne pas être un homme de parti. Poulat était recroquevillé sur le refus acharné de toute forme de militantisme :
- 10 Ibid.
Ce que je refuse, c’est de travailler, de penser, d’écrire en militant. Mon langage, c’est : je suis un anti-militant. Enfin anti, je ne suis pas anti, mais je veux dire par là que je suis allergique à toute forme de militantisme. C’est une manière d’annuler une objectivité ou de la mobiliser à son service. Et donc de la monopoliser, donc d’opposer ses prétentions d’objectivité à la prétention à l’objectivité. Si je suis froid, c’est précisément parce que le militant est une espèce d’animal à sang chaud. Cela ne m’empêche pas d’avoir des convictions, même des convictions fortes et très fortes, que je n’ai jamais cachées. Être allergique au militantisme, c’est ce qui permet de parler à tout le monde. Moi, je parle avec les traditionalistes. Je les connais, je parle avec eux. Je connais les progressistes et les communistes. Je parle avec eux et aucun ne me reproche de parler avec l’autre. Finalement, je suis l’homme de la raison. Et la raison est froide […] Moi, ma position, elle n’est pas d’être militant, mais d’abord de regarder les choses, d’écouter les gens, de faire attention aux mots, c’est-à-dire une certaine forme de réalisme10.
- 11 Ibid.
6Le non-militantisme a un prix : « Je me fais gloire d’être dépassionné. Moyennant quoi, ça me prive du droit à l’existence, car si j’étais passionné pour un camp ou pour un autre, le camp pour lequel je serais passionné me mobiliserait. Tandis que là, on m’ignore. On me laisse travailler dans mon coin, ce qui me laisse une grande liberté. Je dis tout cela avec une parfaite sérénité11. » Militer aurait signifié, pour Poulat, trahir la compréhension de la réalité, en cédant à ses propres passions et mythologies. Il faut au contraire, selon lui, procéder à l’analyse la plus nuancée possible, en se méfiant des explications définitives, en laissant les dossiers toujours ouverts. C’est l’opposé du dogmatisme. Dans tous ses objets d’étude, des prêtres-ouvriers au modernisme, de l’intransigeantisme à la laïcité, Poulat a toujours enquêté sur les moments de crise et de conflit, les plus épiphaniques selon son expression, étudiant seulement des segments de paraboles plus amples. Il ne souhaitait pas être exhaustif, mais aller en profondeur, suscitant des interrogations, provoquant le doute.
- 12 Ignace Meyerson n’était pas seulement médecin, mais aussi chimiste, philosophe, historien d’art, e (...)
- 13 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, entretiens avec Guy Lafon, Paris, Centurion, 1983, (...)
- 14 Ibid., p. 92
- 15 Émile Poulat, « Remercier, remémorer… », op. cit., p. 278.
7Se montrer inclassable commençait, avec Poulat, au moment de sa propre présentation la plus élémentaire, celle de son métier. Était-il un sociologue ou un historien ? Lui-même hésitait. Il avait choisi au début – venant d’une expérience religieuse et civile prenante – d’être un sociologue, dans la mesure où la sociologie s’occupait du présent, tandis que l’histoire concernait le passé. Mais celui qui l’accueillit dans le monde de la recherche et qui l’influença le plus, tandis qu’il était novice, fut Ignace Meyerson, exilé polonais, juif, et surtout l’un des pères fondateurs de la psychologie historico-culturelle, antipositiviste, comparatiste, pratiquant fortement la pluridisciplinarité12. Puis, ayant opté pour le temps présent, Poulat se rendit compte qu’il ne pouvait pas, pour le comprendre, faire l’impasse sur la longue durée, d’où l’ajout du métier d’historien13 : « Mon sens de l’historicité est trop fort pour que je fasse un sociologue rivé au présent : j’ai besoin de durée comme d’oxygène14. » Non sans prendre en compte le fait que la longue durée, à l’observation de laquelle il attribuait à juste titre beaucoup de sa capacité à interpréter le présent (« les évolutions de mentalité – disait-il – sont lentes, très lentes15 »), comportait aussi des risques :
- 16 Émile Poulat, L’histoire savante devant le fait chrétien, Paris, Parole et Silence, 2014, p. 65-66
Comment je suis arrivé à l’histoire ? […] Quand vous vous intéressez au catholicisme, à l’Église catholique, vous vous apercevez très rapidement que le contemporain, ce n’est qu’une mince pellicule, un film très superficiel, et que, si vous vous tenez à ce film, vous ne comprenez rien. On est donc obligé de prendre l’Église catholique dans sa durée. Mais la durée, c’est aussi le gouffre, avec ce que Lucien Febvre appelait “le piège des origines” : de fil en aiguille, à force de remonter en arrière, on finit par perdre le sens de la différence des temps ; on en vient à confondre la graine et l’arbre, la fleur et le fruit16.
- 17 Entretien avec Émile Poulat ci-après.
- 18 Ibid.
- 19 Émile Poulat, « Remercier, remémorer… », op. cit., p. 279.
8De ce fait, il est nécessaire non seulement de cultiver la durée, mais aussi de maintenir le contact avec le temps présent, donc avec la pratique et l’observation sociologique. Dans un certain sens, la sociologie renvoie à l’histoire et l’histoire à la sociologie, mais le cercle n’est jamais fermé. Et aussi parce que Poulat, par nécessité scientifique, et en raison d’une érudition jamais rassasiée, de type encyclopédique, se situait entre de nombreuses disciplines. Il était en effet volontiers philologue, théologien, philosophe, sémiologue et, dans ses écrits, affleurent des éléments de littérature, de psychologie, de biologie, de mathématiques, de physique, de géologie et d’autres sciences encore. Il y avait chez Poulat une référence singulière à l’un de ses professeurs de lycée, qui enseignait la biologie en classe de philosophie, qu’il définissait avec admiration comme « l’homme qui idéationne17 ». Il était un modèle de la jeunesse, mais aussi de l’âge mûr. Dans l’entretien rapporté dans ce livre, il affirme : « Finalement je ne suis pas un enseignant, je suis quelqu’un qui idéationne18 ! » Une manière élégante de rester dans l’imprécision. Il disait n’être spécialiste de rien : « Je ne suis pas définissable par une appartenance disciplinaire. Et pourtant, je n’ai jamais douté de mon existence : Laboro, ergo sum19. »
- 20 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 246, où il s’identifie dans l’image d (...)
- 21 Émile Poulat rappelait son enfance heureuse entre Lyon et le quartier de Belleville-Ménilmontant, (...)
9L’incertitude d’exprimer son propre métier, presque comme s’il était un « métis culturel20 », affamé de connaissances, est liée aussi à sa formation mêlée, d’une certaine manière d’autodidacte, dans laquelle se mélangent diverses ascendances. Poulat est né en 1920 à Lyon dans une famille d’humbles canuts, venus ensuite à Paris comme vendeurs de tissus : chez lui, il y avait très peu de livres21. À sa formation intellectuelle ont concouru plutôt des enseignants de lycée, qui ont compris qu’il avait des capacités supérieures par rapport à son âge et lui firent sauter deux classes. À une excellente base scolaire, soutenue par une rare voracité de lecture, s’est surajoutée ensuite la culture ecclesiastico-théologique et l’université laïque avec sa panoplie de sciences diverses. Un intellectuel, en général, se distingue à partir de ses maîtres. Poulat n’a pas eu de maîtres au sens propre, bien qu’il ait fréquenté personnellement des personnes de valeur, comme Ignace Meyerson, Gabriel Le Bras, Alphonse Dupront. Ou bien, métaphysiquement, des personnages comme Alfred Loisy et Maurice Blondel.
- 22 Émile Poulat, L’histoire savante devant le fait chrétien, op. cit., p. 67.
10À la trame de l’inclassabilité, la méthode scientifique de Poulat n’est pas étrangère. Une méthode dépassionnée. Dans l’entretien rapporté ici, on utilise la métaphore du chaud et du froid, parce qu’il soutenait que, dans la recherche scientifique, on doit naviguer à basse température, en se dépouillant de son propre ego, en sortant de soi-même, en abolissant le subjectif pour s’immerger dans l’objectif, en se plaçant hors champ et en assumant une hauteur éloignée des disputes et des polémiques. Il stigmatisait le « parasitage par l’ego de l’historien », tenu à maintenir la « distance historique » nécessaire pour une exigence d’objectivité : « Le vrai problème, c’est la distance à soi-même, conquise sur soi-même […]. J’ai toujours cultivé cette distance à moi-même22. » Toutefois, il était bien conscient de la grande difficulté de mettre en œuvre la juste méthode :
- 23 Ibid., p. 134-135.
Le pur historien rêve d’une histoire universelle, faisant à chacun objectivement sa place. Mais dans une société où l’homme a toujours été un loup pour l’homme, et où la “trêve de Dieu” n’a été qu’une institution éphémère, dans une société déchirée de conflits et de contestations, où le christianisme est loin d’apparaître comme un facteur de paix et d’unité, il sait que c’est toujours une histoire de parti qui s’écrit, et que l’histoire dominante est aussi celle du parti dominant, du vainqueur du moment. Il sait aussi que, dans la condition humaine, ce “pur historien” n’est qu’un rêve et, au mieux, lui aussi à sa manière, une trêve, sinon même une grève devant la violence de l’histoire. Les techniques objectives qu’il élabore n’ont pas seulement pour finalité le traitement critique de sa documentation, mais aussi la maîtrise toujours inachevée de sa propre subjectivité individuelle et sociale. Plus qu’on ne l’imagine, l’histoire est une ascèse de vie, moins par les leçons qu’elle proposerait que par les exigences qu’elle suppose. L’historien aux prises avec son métier est d’abord un homme en lutte contre lui-même23.
- 24 Ibid., p. 137.
- 25 Ibid.
- 26 Ibid., p. 194.
11Il s’agit alors d’appliquer ces « techniques objectives » et de cultiver « une ascèse de vie ». Mais toujours reste la lutte contre soi-même. Poulat ne doutait pas que l’historien doit pratiquer une approche « radicalement sécularisée » de son objet d’étude, quand il est aussi, comme souvent dans son cas, un objet de foi24. Une fois affirmé le principe auquel on ne peut renoncer, celui du détachement de soi-même et de l’approche laïque du sujet, et après avoir également prévenu qu’il ne faisait pas de l’histoire pour donner raison ou tort à l’un contre l’autre25, Poulat ne craignait pas d’affirmer la nécessité de s’immerger totalement dans le langage et dans la culture des phénomènes religieux objets de ses enquêtes. Si l’on veut étudier le christianisme – soutenait-il –, il faut s’équiper en acquérant « le sens de la durée, de l’universalité, de la diversité ; une étroite familiarité avec ce qui se vit en son sein ; les compétences variées requises par ce de omni re scibili et quibusdam aliis que constitue l’enseignement catholique26 ».
- 27 Ibid.
- 28 Émile Poulat, L’ère postchrétienne. Un monde sorti de Dieu, Paris, Flammarion, 1994, p. 33-34, cit (...)
12Un semblable investissement intellectuel finit par engager la personne. Pour cette raison, Poulat répétait que la leçon de la méthode objective se renouvelle dans le travail de chaque jour, en perpétuel choc avec le fait que « tous les hommes ont une tête et un cœur27 ». Il n’est pas nécessaire de rappeler que l’objectivité, dans la méthode préconisée par Poulat, n’est pas à entendre selon la vieille manière positiviste, à la Langlois et Seignobos. Il savait bien construire une réflexion humaniste en interagissant avec la sensibilité des lecteurs. Il ne produisait pas des axiomes factuels ou des formules mathématiques, et les résultats de ses études valaient pour leur approche de la vérité, non parce qu’ils apporteraient une parole définitive et incontestable. « Nos schémas n’ont pas le pouvoir de simplifier une histoire qui leur résiste par sa complexité et opacité ». Cette citation doit être complétée, comme l’a fait Yvon Tranvouez, avec celle-ci : « Tout en un, mis en ordre, en formule et en mémoire : rêve et moteur de la connaissance humaine, comme, à sa manière, du pouvoir politique. Mais non : les lois de la vie et de l’histoire sont autres. Elles nous enseignent l’inépuisable, une luxuriante multiformité, une croissante complexité28. » Poulat ne croyait pas que l’histoire fût linéaire, qu’elle obéisse à des lois de rationalité et corresponde à une idée de progrès. Nous sommes à l’opposé du positivisme et même de la perspective des Lumières. Sa vision de l’histoire semble être plutôt celle du philosophe russe Alexander Herzen :
- 29 Cité dans Andrea Graziosi, L’Urss di Lenin e Stalin. Storia dell’Unione Sovietica 1914-1945, Bolog (...)
Si l’humanité marchait droit vers un certain résultat, ce ne serait pas de l’histoire, seulement de la logique... Si l’histoire suivait une ligne prédéfinie, elle perdrait tout intérêt, elle deviendrait inutile, ennuyeuse, ridicule... L’histoire est toute improvisation, toute volonté, toute improvisée – elle n’a ni limites, ni routes29.
13Même au sujet du christianisme qu’il voulait approcher comme un « objet de science », Poulat finissait toujours par souligner « la nature paradoxale de l’objet, qui se présente tout à la fois comme intramondain et supramondain, historique et métahistorique » :
- 30 Émile Poulat, « Anamnèse », dans Jean-Marie Mayeur et al. (dir.), Histoire du christianisme des or (...)
Au regard de l’histoire telle que nous la concevons et la pratiquons, le christianisme constitue un objet à la lettre extraordinaire et paradoxal, singulièrement résistant. Il est inséparable de la transcendance qu’il revendique et que notre histoire, méthodiquement cantonnée dans son immanence, n’est pas armée pour rejoindre. Chacun est en droit de penser ce qu’il veut de la foi chrétienne, mais elle est impensable sans cet au-delà de l’histoire, sans une métahistoire qui lui est consubstantielle […]. Nous butons ici sur le problème plus général de l’altérité […] dont, pour notre mentalité contemporaine, relève aujourd’hui le religieux30.
14La garantie de qualité de son travail, pour Poulat, était double. Elle venait de la mise en garde contre sa propre subjectivité, et de l’accumulation de culture. C’est la quantité et la profondeur des connaissances qui permet de s’approcher de la vérité. Le secret, c’est « lire, lire, lire » :
- 31 Entretien avec Émile Poulat ci-après.
En réalité, d’abord, je ne sais pas si je suis historien ou sociologue. Je n’en sais rien, je suis un autodidacte en histoire et un autodidacte en sociologie, parce qu’à l’époque, on n’enseignait pas… Quand j’étais jeune, la sociologie n’était pratiquement pas enseignée à la Sorbonne. Finalement, je me sens beaucoup plus un philologue, c’est-à-dire un homme attentif au texte. Ce que je voudrais enseigner aux jeunes chercheurs, c’est lire, lire, lire, et apprendre à lire. On n’a jamais fini de lire. On n’a jamais épuisé un texte. Un texte est inépuisable. La lecture est infinie31.
- 32 Il s’agissait de la Libera Università Maria Santissima Assunta (LUMSA) à Rome.
15Poulat n’était pas scolaire dans sa manière d’organiser ses enquêtes. Il ne procédait pas comme s’il devait écrire une thèse de doctorat : d’abord l’acculturation générale sur le matériel imprimé, puis les recherches documentaires, avec une attention particulière pour découvrir l’inédit. Il ne recherchait pas le scoop, des éléments confidentiels, des démentis de ce qui est déjà bien connu. Il « idéationnait ». Il se servait de tout, de ses lectures anciennes et récentes, de ses observations de voyage, de ses contacts personnels, de matériaux d’archives, mais surtout, il privilégiait les textes publiés, dont il pensait que l’exégèse rigoureuse et l’interprétation constituaient un terrain plus solide que les expertises incertaines à confronter avec l’inédit, ce que, cependant, il ne négligeait pas. Je me souviens personnellement d’une de ses conférences dans une université romaine en 198532, donnée sans notes, sur un ton familier. Il commenta pendant plus d’une heure l’incipit d’un vague opuscule chiffonné publié par un personnage mineur du modernisme italien. Ce fut comme une symphonie dirigée avec une incroyable virtuosité, sur une seule tonalité déjà connue. Les auditeurs furent partagés. Certains apprécièrent le génie philologique et interprétatif de Poulat. D’autres se montrèrent déçus – dans ce qui était attendu comme une brillante présentation de soi et de l’inédit – par l’absence de quelque chose d’extraordinaire.
16À certains moments, en regardant autour de lui, Poulat semblait découragé : la méthode à laquelle il adhérait lui paraissait non respectée, non en raison d’une objectivité trop prétentieuse que les positivistes de la fin du xixe siècle auraient pu partager, mais à cause d’une subjectivité débordante :
- 33 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 181.
La méthode scientifique a longtemps eu une réputation de neutralité. Elle était neutre, parce qu’elle était objective. Nous savons aujourd’hui qu’il n’y a rien de neutre et que l’objectivité elle-même ne va pas sans problèmes, étant donné qu’il n’y a d’objectivité qu’à partir de la subjectivité de celui qui établit cette objectivité33.
17Il pensait être toujours resté fidèle à cette méthode, même lorsqu’il pénétrait dans l’intimité des croyances religieuses. S’il parlait de « sciences religieuses », c’était parce qu’il s’y sentait autorisé par l’existence d’une méthode laïque, séculière, scientifique à laquelle il adhérait, avec laquelle il pouvait approcher aussi la métaphysique, la théologie, la mystique, la prière, la piété, c’est-à-dire non seulement le visible, le perceptible, l’extérieur de la religion, comme les institutions ou bien les aspects juridiques et les structures.
- 34 Le père Georges Charreyre, ordonné prêtre la même année qu’Émile Poulat, le rencontra en 1954 à Sa (...)
18Poulat reçut de nombreux soutiens. Sa méthode était convaincante. Mais il suscita aussi de la méfiance et des critiques. Lorsqu’il passa à l’enquête sur l’intégrisme catholique d’Umberto Benigni, puis aux théorisations sur l’intransigeantisme, après avoir auparavant étudié les prêtres-ouvriers et le modernisme, c’est-à-dire deux sujets considérés d’une manière conformiste comme deux tâches sur le catholicisme et sur la papauté, Poulat fut accusé de trahir son supposé progressisme laïc et d’assumer les raisons de l’Église romaine. C’est qu’il ne s’était pas attaché à l’intégrisme et à l’intransigeantisme pour en dénoncer les méfaits, mais pour en faire une pure description historique et une évaluation stricte. En réalité, il avait traité le modernisme tout comme l’histoire des prêtres-ouvriers, peu de temps seulement après cette année 1954 où il avait connu, semble-t-il, l’unique grave crise existentielle de sa vie34.
- 35 Sur la vision de l’Église et du Mouvement catholique par le révisionnisme historiographique qui a (...)
19Église contre bourgeoisie, en 1977, sorte de complément du Catholicisme, démocratie et socialisme, centré précisément sur Benigni, suscita de la stupeur chez ceux qui pensaient que le catholicisme, en tant que phénomène religieux, n’avait pas une véritable autonomie institutionnelle, de pensée, de mouvement historique. Poulat, au contraire, avec le schéma triangulaire et non binaire qu’il préférait, attribuait au catholicisme un profil indépendant et même antagoniste par rapport au libéralisme et au socialisme. Il démontrait que l’Église avait développé « sa » politique, qu’elle avait travaillé pour « son » affirmation, qu’elle n’était pas à la remorque idéologique d’autres systèmes d’idées et de mouvements historiques, et qu’elle n’était pas une superstructure, ni une sous-culture. Dans l’atmosphère des années post-68, ces thèses n’étaient pas pacificatrices. La mode était de soutenir que le mouvement catholique était une superstructure de l’économie capitaliste et une alliée de classe de la bourgeoisie35. Ce n’est pas un hasard si Église contre bourgeoisie est son livre le plus connu et le plus traduit : construit sur une perspective historique longue, il heurtait des thèses construites sur des émotions politiques aussi séduisantes sur le moment que contingentes.
- 36 Des échos de ces débats dans Yvon Tranvouez, « L’institution au cœur : Émile Poulat », Archives de (...)
- 37 Par exemple Jean-Marie Donegani, peut-être le plus âpre de ses critiques : Émile Poulat, « Catholi (...)
- 38 Jean-Pierre Vernant, « Une amitié intellectuelle », dans Un objet de science, le catholicisme…, op (...)
20D’autres, plus familiers que moi des débats franco-français, ont relevé les observations critiques adressées à Poulat, à des moments divers et avec des accents plus ou moins aigres ou amicaux, par Jean-Marie Donegani, Pierre Bourdieu, André Rousseau, François-André Isambert, Philippe Levillain, Étienne Fouilloux, et pas seulement36. Le soupçon selon lequel étudier des thèmes considérés comme obscurantistes signifie être obscurantiste, comme si étudier le marxisme signifie se faire communiste ou étudier l’islamisme devenir fondamentaliste musulman, nie a priori la rigueur scientifique d’un chercheur. À partir de 1977, Poulat a été soupçonné de confessionnalisme. Il aurait fait siennes les raisons de l’Église catholique. Il aurait trop mis en évidence les données fondamentales de l’institution ecclésiastique (message révélé, doctrine définie, hiérarchie constituée, selon ses mots mêmes) jusqu’à les dégager de la liberté d’opinion de ses membres, en mortifiant leur autonomie, en faveur d’une Église qui existe quoi qu’il en soit. De plus, il aurait forgé puis confirmé l’intransigeantisme en l’étendant jusqu’à recouvrir la quasi-totalité de l’être catholique et en lui offrant ainsi une image positive. Poulat a apporté ses réponses37. Plutôt que de revenir aux débats publics, que chacun peut juger, mieux vaut se demander s’il dérogeait à sa méthode scientifique laïque et, dans ce cas, dans quelle mesure. Il n’était certainement pas un homme froid et sans passion. Il était très sensible à l’amitié. Il était capable d’émotion. En se rappelant d’amis disparus, il pouvait arriver qu’il ne retienne pas ses larmes. L’ami d’une vie, Jean-Pierre Vernant, le décrit même comme un sentimental38. Jean-François Mayer l’a décrit ainsi :
- 39 « La voie du chercheur : l’exemple d’Émile Poulat », Orbis.info @ Notes de Jean-François Mayer [en (...)
Poulat avait une haute idée de la recherche et de son rôle en refusant les récupérations idéologiques. Plus que tout autre, Poulat m’a montré ce que devrait être l’ascèse du chercheur, capable d’une approche dépassionnée, même sur des sujets sensibles. Cela n’a rien à voir avec l’absence de convictions : les siennes l’ont sans nul doute plus d’une fois inspiré, mais elles ne doivent pas envahir le champ de l’analyse ou s’y substituer39.
21Poulat avait des sentiments forts, des sympathies, des amitiés. Comme chercheur, il aurait pu y céder au cas où il n’en aurait pas eu une conscience lucide. Mais il était conscient de ses passions et cherchait à s’imposer une ascèse scientifique. Il se connaissait lui-même, d’où la froideur comme méthode :
- 40 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 143-144.
Si je donne l’apparence d’une objectivité facilement maîtrisée, je dois bien avouer que ce n’est pas la pente naturelle de mon tempérament. Disons que j’ai voulu mettre une sensibilité aiguisée au service d’une recherche objective et lui donner valeur scientifique. “Comme vous, je pleure, j’aime, je ris.” Mais aucun Discours de la méthode ne s’y arrête vraiment. C’est un autre monde. La mixité à l’école, oui, mais pas entre l’objectif et le subjectif40.
- 41 « Facciamo pienamente il nostro mestiere : porta più lontano di quanto non si creda », Rivista di (...)
22La confiance en l’objectivité de Poulat ne peut pas être séparée de la confiance en sa capacité à discerner et à dominer sa propre subjectivité. C’est là une chance : une personnalité forte sait dominer une matière complexe. Mais ce peut être aussi une tyrannie à laquelle seule une méthode juste permet d’échapper. Il savait que le degré d’objectivité que l’on peut atteindre est lié au degré d’honnêteté intellectuelle, non à des règles formelles : « On a beaucoup écrit sur “les limites de l’objectivité historique”. C’est là problème de philosophe. Pour l’historien, la démarche est inverse : au commencement, il y a sa subjectivité propre, tout ensemble individuelle et sociale, et c’est pour en alléger la tyrannie qu’il se construit sa discipline. Comme la reine d’Angleterre, l’objectivité règne, mais ne gouverne pas, et la conformité à ses règles ne la garantit jamais41. »
- 42 Je me souviens comment, dans les années 1980, parmi les chercheurs italiens en histoire religieuse (...)
23Ce fut la grande surprise pour les intellectuels italiens, historiens et sociologues, fréquentés intensément par Poulat : ce chercheur si fin, si cultivé, si empathique, si impressionniste42, avec son objectivité clinique, refroidissait tellement leurs passions éthico-politiques ou ecclésiastico-prophétiques d’une histoire téléologique qui devait conduire au triomphe du Bien (à l’époque, de diverses formes, le socialisme ou bien une réforme spirituelle). Une intervention de Poulat dans la revue turinoise Rivista di storia e letteratura religiosa, qui invitait à faire confiance à la méthode historique, c’est-à-dire aux instruments de son métier, non à ses passions, leur convenait très bien, comme l’a rappelé Andrea Riccardi :
- 43 « Facciamo pienamente…», op. cit., p. 122, cité par Andrea Riccardi, « Émile Poulat, le catholicis (...)
L’historien doit être strictement historien, même et surtout quand il traite de religion : sans complexe et sans arrière-pensées. Il n’est pas nécessaire de confessionnaliser l’histoire religieuse (ou, sur le même plan, de l’œcuméniciser) pour éviter de dissoudre sa spécificité : elle est d’abord une discipline comme les autres, soumise aux mêmes exigences. Mais précisément, il ne faut pas reculer devant ces exigences, et c’est trop souvent parce qu’on en méconnaît les ressources qu’on en reste à des positions faciles. Que l’on fasse confiance aux vertus de la méthode, et l’on obtiendra des résultats surprenants : à commencer par la catharsis des passions qui nous tiennent et le consensus d’esprits que tout sépare. Faisons pleinement notre métier : il mène à lui seul plus loin qu’on n’imagine souvent43.
24« Faisons pleinement notre métier » : c’est un principe solide. Poulat se laissait déchiffrer aisément, dès lors qu’on le suivait dans sa méthode et son intuition :
- 44 Entretien avec Émile Poulat ci-après.
Je pense qu’il faut être très clair. Je n’ai jamais voulu être, je n’ai jamais été historien du catholicisme, je n’ai jamais voulu être historien, ni sociologue du catholicisme. Je ne suis ni historien, ni sociologue du catholicisme ou d’histoire religieuse ou de sociologie religieuse. Mon problème a toujours été d’être l’historien et le sociologue d’un conflit : le conflit de l’histoire et de la théologie ; le conflit de la pensée traditionnelle et de la pensée moderne laïque. J’ai toujours été l’homme de ce conflit. C’est cela qui m’intéresse et, pratiquement, si vous prenez tous mes livres, depuis l’origine, le premier, c’est l’histoire des dogmes et critiques dans la crise moderniste. On est bien au cœur du problème, et le dernier, c’est France chrétienne, France laïque, on est bien dans le conflit. Il y a une continuité qui mène de l’un à l’autre et c’est la seule question. C’est la question centrale qui a été pour moi dominante. Parce que les conflits sont les moments qui font la lumière sur la réalité. Je ne suis pas un homme de conflit. Je suis un homme de paix qui s’est voué à l’étude des conflits. Et peut-être que c’est ce qui est nécessaire d’ailleurs pour dénouer les conflits, parce qu’autrement, les gens qui sont en conflit n’arrêtent pas de se battre et n’ont que des raisons d’en rajouter44.
- 45 Émile Poulat, « Remercier, remémorer, réfléchir », op. cit., p. 277.
- 46 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 26.
25C’est l’approche du conflit, au cœur de l’approche de Poulat : « J’ai toujours pensé que le conflit n’était pas une valeur en soi, mais une loi de l’histoire, comme la violence, et qu’il n’y avait pas de meilleur analyseur de ce qui se joue dans la vie humaine45. » Les conflits éclairent, font émerger ce qui est souterrain, ils obligent à prendre position, révèlent les différences. Sans la perception des conflits, l’on serait « comme un neurologue devant le tracé d’un électro-encéphalogramme : que dire d’un encéphalogramme plat46 ? » Normalement, les conflits interviennent entre deux acteurs, deux partis, deux facteurs opposés. C’est un schéma binaire qui ne convenait pas toujours à Poulat, mais qu’il devait souvent accepter par manque d’alternatives. Du reste, le fil rouge de ses enquêtes se trouve dans l’étude du rapport conflictuel entre religion et modernité, décliné de diverses manières : ancien vs. moderne, tradition chrétienne vs. innovation laïque ; théologie vs. histoire ; transcendance vs. historicité ; sacré vs. profane ; mystique vs. critique ; foi vs. sécularisation, etc. Généralement, Poulat ne concluait pas ses analyses par un jugement de valeur, positif ou négatif. L’étude des conflits n’était pas faite pour donner raison à l’une ou l’autre partie en cause. Elle servait à ciseler la réalité, à la révéler, à la rendre visible dans sa complexité, en conjuguant passé et présent sans anachronismes. Mais pourquoi le schéma binaire le gênait-il ? Il lui paraissait simpliste, manichéen. Si c’était possible, il le transformait en un schéma triangulaire. Il se montrait particulièrement irrité par les réductions idéologiques, comme l’opposition entre droite et gauche. Il en parlait souvent, mais le texte dans lequel il y insistait le plus est Église contre bourgeoisie, où il posait d’abord la question :
- 47 Émile Poulat, Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel, Paris, Be (...)
Les sciences politiques (l’histoire politique, puis la sociologie politique et la politologie) se sont longtemps reposées – et elles n’y ont pas toujours renoncé – sur un dualisme explicatif où gauche et droite jouaient un rôle capital […]. Sur le plan électoral, cela donne le progrès et la réaction ; sur le plan confessionnel, le laïcisme et le cléricalisme ; et sur le plan archétypique, “les deux France”, avec toutes les modulations souhaitées et ce résidu de modérés, mal à l’aise dans les dichotomies. L’histoire religieuse de la France contemporaine ou, pour mieux dire, l’histoire politique du catholicisme contemporain a longtemps fait de même. Les catholiques ont paru se diviser selon l’attitude qu’ils adoptaient devant cette division, promue enjeu de leurs luttes. Comme la société, l’Église a eu sa gauche et sa droite, contrecoup interne d’un clivage extérieur dont elle n’était pourtant pas la réplique […]. Pour parler en termes connus, on décèlera sans peine dans ce cadre de pensée l’influence de l’idéologie dominante. Droite et gauche, ce sont des catégories historiques, liées à l’avènement du régime représentatif dans une société bourgeoise47.
26Puis il en décrit la distorsion sur le plan religieux :
- 48 Ibid., p. 198-199.
Certes, l’opposition gauche-droite est une de nos grandes évidences françaises ; elle est fondamentale dans notre vocabulaire politique, tout au moins dans celui de la classe politique, et sans doute au-delà, on ne peut clairement dire jusqu’où. On nous a appris à voir ainsi : c’est une catégorie de notre pensée indigène, élevée à la dignité scientifique, canonisée par notre foi en nous-mêmes. […] Forgée par et pour l’histoire politique, la mécanique du schéma gauche-droite a vite envahi l’histoire religieuse, lui imposant sa dichotomie. Reflétant le conflit de l’Église et de la société moderne, deux tendances internes ont été opposées, deux mentalités : traditionalistes et progressistes, conservateurs et novateurs. Puis, à ces tendances, on a fait correspondre une ecclésiologie de droite et une ecclésiologie de gauche, qu’on détaille sur deux colonnes : institution socio-juridique / mystère christologique, autorité oligarchique et bureaucratique / liberté critique et engagée, conception théocratique (ou hiérocratique) / conception démocratique, droit canonique / communauté eucharistique, piété dévotionnelle et moralisante / piété liturgique et communautaire, saints de droite / saints de gauche, etc. […]. Deux France religieuses après deux France politiques, quand ce n’est pas la France laïque et la France religieuse ennemies, le mythe, sous ses divers visages, est partout reconnaissable à son chiffre […]. Il faut ici l’affirmer avec force et insistance : quoique vaille l’opposition droite-gauche dans notre société, elle ne se laisse pas transposer automatiquement dans le catholicisme48.
- 49 Andrea Riccardi, « Émile Poulat, le catholicisme italien et Rome », op. cit., p. 185. Et, bien sûr (...)
27On pourrait alors relire l’œuvre de Poulat comme un dépassement du schéma binaire. Déjà, ses premiers travaux sur les prêtres-ouvriers impliquaient un scénario à trois : les prêtres missionnaires pour le compte de l’Église ; le monde des périphéries communistes et de la classe ouvrière ; la société établie du patronat, des classes aisées, de la civilisation technique, de la classe politique libérale au pouvoir. Puis en 1961, la publication critique du Journal d’un prêtre d’après-demain, journal intime imaginaire de l’abbé Calippe, ardent démocrate-chrétien, offrait un tableau de la culture catholique des premières années du xxe siècle et identifiait trois systèmes sociaux : le capitalisme libéral, le socialisme collectiviste, la démocratie chrétienne. Dans ses études suivantes sur l’intégrisme, Poulat put vérifier comment, dans la figure de Benigni, il n’était pas possible d’appliquer les catégories politiques bipolaires de la droite et de la gauche49.
28En effet, ses études sur l’intransigeantisme comme matrice de divers courants, dont l’intégrisme, montraient l’opposition entre l’Église et la modernité libérale-bourgeoise, mais en même temps comment les catholiques intransigeants étaient aussi des catholiques sociaux, proches du peuple, contredisant les schémas d’interprétation de politologie pour lesquels un catholique antimoderne devait être forcément rétrograde, réactionnaire, conservateur sur le plan social. Dans Église contre bourgeoisie, on retrouve de nouveau le schéma triangulaire, avec le catholicisme dans sa dimension institutionnelle et idéologique à la place de la démocratie chrétienne de Calippe, comme confirmation d’une société fondée sur la dialectique entre trois piliers bien distincts, et peu importe si chacun a ses propres déclinaisons internes : le libéral, le socialiste, le catholique.
- 50 Émile Poulat, « Le modernisme et Sorella Maria », dans Roberto Morozzo della Rocca (dir.), Maria d (...)
- 51 Ibid., p. 194.
29Bien entendu, « ces trois cultures modernes que je fais entrer dans mon jeu », comme il disait, ne pouvaient pas être généralisées au vaste monde, mais concernaient surtout l’Europe occidentale catholique, et encore pas toute. L’Italie méridionale, par exemple, que Poulat connaissait bien, car, chaque année, il passait le mois de mai à parcourir l’Italie en voiture avec Odile50, constituait une exception au tripolarisme, avec un catholicisme non tridentin, non militant, non intransigeant, non social, avec seulement des expressions socialistes isolées et une société plus patriarcale que libérale. Une exception analogue s’appliquait à la Pologne, où l’Église jouissait d’un énorme prestige, parce qu’elle s’identifiait à la nation, et la nation à elle, et cela parce qu’ « elle a toujours été présente », contrairement aux autorités constituées et aux classes dirigeantes, et de plus le socialisme y était vécu comme un produit d’importation. Mais encore différent était le cas du Mexique, autre pays fréquenté par Poulat, où l’Église était la « seule force organisée sur place51 ». Au-delà du Mexique, l’Amérique latine dans son ensemble semblait être pour Poulat un modèle exemplaire d’exaspération du schéma binaire de droite et de gauche : ici, l’Église était divisée sur des lignes politiques, entre partisans de la théologie de la libération et soutiens aux régimes de sécurité nationale.
- 52 Ibid., p. 43. Roberto Blancarte le rappelle aussi, « Émile Poulat et l’Amérique latine », dans Un (...)
30Poulat pensait qu’il fallait aborder l’Amérique latine en procédant « à basse température52 ». Aux Latino-américains qui suivaient ses séminaires, convaincus que leur continent était un creuset de nouveautés prophétiques, il faisait observer, avec sa vision de la longue période, que les nouveautés étaient rares. Il expliquait que, dans l’Église, il ne fallait pas négliger la force de l’institution, ni le cadre fourni par le magistère, dont l’appel à la doctrine sociale et aux droits humains avait de profondes racines théologiques et juridiques. Quant aux catholiques qui soutenaient les dictatures, ils présentaient, selon Poulat, bien des caractères intégristes et traditionalistes. Les chrétiens révolutionnaires étaient eux aussi un produit de l’intransigeantisme qui, historiquement, avait des filiations en de nombreuses directions, parmi lesquelles celle du progressisme catholique multicolore qui, en Amérique latine, s’appelait selon les cas, Communautés de base, Chrétiens pour le socialisme, Église populaire, etc... Il est intéressant de voir comment un élève de Poulat, Rodolfo De Roux, qui est devenu un spécialiste du monde hispano-américain, raconte la démythification opérée par son maître :
- 53 Rodolfo De Roux, « L’observation attentive d’un catholicisme latino-américain bouillonnant », dans(...)
Cette référence à un intransigeantisme catholique d’origine était difficile à assumer par de nombreux chrétiens-marxistes ou chrétiens-socialistes latino-américains présents à l’époque à Paris. Ils analysaient les alliances et les conflits en termes d’opposition binaire entre oppresseurs-opprimés, droite-gauche et voyaient dans l’intransigeantisme une caractéristique de la droite catholique, tandis qu’Émile Poulat renvoyait à la nature intransigeante de l’institution catholique, et même du christianisme : “Le Christ ou rien” n’était-ce pas de la même nature que “La Révolution et l’avènement du Royaume de Dieu sur terre ou rien53 ?”
- 54 Roberto Blancarte, « Émile Poulat et l’Amérique latine », op. cit., p. 154-155.
- 55 Rodolfo De Roux, « L’observation attentive… », op. cit., p. 197-198. Ayant travaillé incidemment s (...)
31À ses auditeurs et doctorants latino-américains qui, dans une urgence messianique, mélangeaient Révolution et Royaume de Dieu, homme nouveau socialiste et Église populaire, Poulat « soulignait la patience historique exigée par tout changement en profondeur », invitant à ne pas prendre ses désirs pour la réalité. Il insistait, se souvient son élève mexicain Roberto Blancarte, sur la « possibilité d’un traitement objectif et non passionné d’un sujet qui, normalement, était regardé à partir d’une perspective militante [… ]. Cela signifiait aussi la possibilité de dépasser les conceptions dualistes de la réalité sociale54 ». Poulat démontait le mécanisme historique de ses élèves convaincus du caractère inéluctable des changements en cours. Il rappelait « aussi bien l’imprévisibilité de l’histoire que le poids du passé […] ; fidèle à sa méthode, il ne faisait pas des pronostics, mais des diagnostics très nuancés, il s’abstenait de faire des propositions catégoriques et récusait la polémique pour favoriser la discussion civilisée55 ».
32Selon Jean Meyer, important historien du catholicisme latino-américain,
- 56 Jean Meyer, El contexto histórico salvadoreño de los años 1977-1980 (texte dactylographié de 2001) (...)
il y a une continuité génétique entre catholicisme “intransigeant” et catholicisme “libérationniste ”, sous trois aspects principalement : 1. Une conception du monde qui niait absolument toute autonomie des activités humaines, toute sécularisation, toute privatisation de la religion. Instaurare omnia in Christo, “Tout le christianisme dans toute la vie” étaient les formules qui circulaient au xxe siècle. 2. Une dénonciation vigoureuse du libéralisme sous toutes ses formes, idéologique, économique et social, rendu responsable de tous les maux. 3. La constitution du catholicisme en une contre-société, comme preuve vivante qu’un autre monde était possible56.
33Nous retrouvons ici les grands thèmes de Poulat comme l’intransigeantisme. Avant d’en discuter plus directement, il convient de faire quelques dernières remarques sur son style intellectuel et sur son histoire personnelle.
- 57 Émile Poulat, L’ère postchrétienne, op. cit., p. 12.
- 58 Émile Poulat, Où va le christianisme ? À l’aube du IIIe millénaire, Paris, Plon-Mame, 1996, p. 282
34Poulat écrivait avec une prose singulière, parfois compliquée, parfois mordante où, à l’improviste, des attaques brutales et des moqueries éclairaient un raisonnement difficile. Un exemple en 1994 : « En ces années 1990, “le monde libre” a vaincu sur deux fronts, même si les augures hésitent sur son avenir. Il triomphe sans modestie sur les ruines du totalitarisme, brun ou noir, puis rouge, et sur l’échec de l’intégralisme catholique, cette “Internationale blanche” tant dénoncée, déclarée même “contre nature”57. » Ce que l’on retient de cette citation, c’est surtout ce mortel « triomphe sans modestie » du monde libre, qui traduit la perception qu’il avait du monde à la suite de l’effondrement du bloc soviétique : « Il y avait deux blocs : il ne subsiste qu’un marché-monde ceinturé d’un immense bidonville58. » Une autre fois, introduisant pour les lecteurs de La Croix, le thème de l’immigration, il s’exprimait ainsi :
- 59 La Croix, 31 mars 1998.
Nous vivons sur la vieille dichotomie sédentaires-nomades, assurés que sédentaire, c’est mieux et c’est nous. Du coup, nous avons du mal à prendre la mesure des “flux migratoires”. Et pourtant, l’humanité bouge, infatigablement. Elle est sans cesse en mouvement avec ses populations mobiles, ses frontières mouvantes, ses métissages incontrôlables. On cherche encore le “berceau de l’humanité”, mais on sait que l’Europe s’est faite d’apports successifs hétérogènes où les “Indo-Européens” se sont taillé la part du lion. Tous nos manuels d’histoire sont d’accord : sous l’empire romain, quand le mouvement arrive chez nous de l’Est, ce sont “les grandes invasions” ; quand, au xvi ͤ siècle, il repart de chez nous vers l’Ouest, ce sont “les grandes découvertes”. Pour les indigènes, aborigènes et autres autochtones, ce n’est qu’une invasion d’Européens […]. Les hommes se sont lancés sur terre, sur mer et finalement dans l’air. Première différence : ils se sont partagé la terre que chaque groupe s’appropriait ; ils ont gardé à la mer et à l’air leur caractère de domaine commun. Seconde différence : au début, la terre était vacante, disponible au “premier occupant” ; tout a changé avec l’arrivée de nouveaux venus sur un territoire déjà occupé. Ce jour-là est né l’étranger, l’homme du dehors, de l’extérieur59.
- 60 Ce goût de Poulat de procéder comme dans des romans policiers a été souligné par Maurilio Guasco d (...)
35Mais Poulat ne recherchait pas toujours des mises à feu. Parfois, il se dévoilait lentement. Il était rectiligne comme un sentier de montagne escarpé. Il en sortait des textes semblables à des romans policiers, où l’obscurité s’éclaircissait lentement. Comme dans Intégrisme et catholicisme intégral, consacré du reste à une sorte de société secrète dont les archives avaient connu des aventures60. Il se plaisait à être imprévisible et relativiste. Ainsi, parfois, s’aventurait-il dans un récit tortueux, d’autres fois, il se faisait lapidaire. Ainsi commençait-il un article intitulé « Du jeu des étiquettes dans l’Église » :
- 61 La Croix, 19 mai 1999.
Omnis definitio periculosa. Toute définition est périlleuse. Les mots sont comme les oiseaux, ils ne sont pas faits pour vivre en cage. Ils préfèrent le grand air de la liberté et nul ne peut leur fixer un parcours imposé. Même en théologie, une définition dogmatique s’impose à la foi sans arrêter la pensée et sans enfermer son objet. Dieu et l’homme excèdent toute définition. C’est le langage qui fait l’homme et l’homme qui fait le langage : de l’un et de l’autre, nous éprouvons tout ensemble l’inachèvement et les limites61.
36Poulat était volontiers ironique, voire sarcastique. Il l’était pour diverses raisons. Par goût littéraire. Pour s’exprimer avec une prudence dubitative plutôt que d’assener fermement son idée. Pour passer indemne entre le double désaccord de laïcistes qui le voyaient comme un catholique infiltré et de catholiques qui le voyaient comme un scientiste masqué. En particulier, les renversements de rôles dans les grandes institutions, non exempts d’éléments d’hypocrisie, suscitaient son ironie, comme cette citation sur l’Église catholique :
- 62 Émile Poulat, Église contre bourgeoisie, op. cit., p. 82.
En 1854, Pie IX avait proclamé le dogme de l’Immaculée Conception : symbole de l’Église et pour l’Église, dressé devant ce monde soumis, comme dira Drumont, à la triple loi de l’or, de la boue et du sang. Après avoir été si longtemps au gouvernail, l’Église découvrait les vertus de l’opposition : jamais elle ne s’était sentie si pure. Pure et dure, sûre de l’avenir qu’elle voit dans le ciel. Et, comme au temps des cathares, elle redécouvrait la mystérieuse puissance du Rosaire, auquel Léon XIII consacrera quinze encycliques… Temps de contrefaçon, où les Ténèbres invoquaient les Lumières, où la raison prétendait ravir à la foi sa certitude et avoir le dernier mot62.
37Ou sur le même registre :
- 63 Émile Poulat, L’histoire savante devant le fait chrétien, op. cit., p. 246.
Aujourd’hui, bien des choses ont changé. À l’âge de l’éloquence parlementaire a succédé le temps d’une histoire sans paroles où la sécularisation n’a pas besoin de discours pour progresser. L’Église accepte la laïcité et défend les droits de l’homme. Plusieurs, non sans bonnes raisons, rappellent tout ce que leur émergence doit au christianisme et portent même leur invention à son crédit. Reste à expliquer comment a pu naître un conflit majeur et durable sur leur interprétation et leur application, au point d’engendrer une divergence aussi profonde, et pourquoi ces “inventions chrétiennes” ont attiré tant de fulminations sans appel. La récente béatification de Pie IX, pape du Syllabus, a bien montré que ce n’est pas un volcan éteint, et les débats autour de la bioéthique, parmi d’autres, témoignent de cette béance, qui renaît chaque fois qu’on veut la croire surmontée63.
38De même, il se montrait ironique au sujet de l’incompréhension de l’identité et des finalités essentielles de l’Église catholique :
- 64 Émile Poulat, Église contre bourgeoisie, op.cit., p. 195-196.
On ne comprend rien à Maritain quand on objecte à ses proclamations d’antimodernité (ou qu’on les ignore) son goût pour les recherches de l’avant-garde artistique et poétique, sans voir leur commun refus des valeurs reconnues. On comprend encore moins Pie XII quand on en fait l’aumônier général de la croisade américaine contre le communisme et la caution spirituelle du “monde libre” : comment aurait-il jamais été capable de cette illusion libérale ? Si ce catholicisme est politiquement si déconcertant, si protéiforme, n’est-ce pas précisément que sa consistance politique est en raison inverse de sa consistance religieuse64 ?
39Ironique, paradoxal, usant de la dérision, Poulat était habile à démy-
thifier :
- 65 Ibid., p. 207.
Le phénomène moderniste, au sens strict, a commencé avant qu’on le découvrît et qu’on s’en préoccupât. Il existait, il cheminait, et on ne le savait pas encore. Quand on lui eut trouvé un nom, ceux qu’ils visaient s’en défendirent ou glosèrent le mot. Aujourd’hui, donnant raison aux intégristes du temps, les historiens découvrent des modernistes partout comme à la Libération en 1944 : hors une poignée de traîtres, de collaborateurs et de fascistes, il n’y avait que des patriotes et des résistants65.
- 66 Ibid., p. 264.
40L’ironie étant un langage allusif, Poulat est parfois apparu comme fuyant, évasif. Encore son caractère inclassable ? Significative est la conclusion de Église contre bourgoisie : « “Tu as vaincu, Galiléen !” Tu as vaincu, Modernité, et c’est ce qui te confère la légitimité historique. Tu nous domines et tu nous tiens, tu nous entraînes on ne sait où, et c’est pourquoi, invinciblement, on s’interroge tant sur toi, de plus en plus, un peu tout le monde et un peu partout. Minute de consensus. Comme, en d’autres circonstances, la minute de silence. Terre des hommes66. » Dans la traduction italienne du livre “Galiléen” est devenu Galilée, conduisant à quelque malentendu, car en fait de relations entre modernité et christianisme, en Italie, on pense aussitôt à Galileo Galilei. Poulat entendait naturellement parler du Christ et de l’expression attribuée à l’empereur Julien l’Apostat, alors qu’il venait d’être frappé à mort. Ce qui a intrigué dans cette conclusion a été de savoir si Poulat était favorable ou hostile à la modernité. Mais on doit bien comprendre que c’est une conclusion sarcastique : la victoire de la modernité, quoique solennelle et irréfutable, a un résultat dérisoire, la minute de consensus est comme la minute de silence devant la mort ou une tragédie humaine. Poulat expliquait :
- 67 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 233.
La phrase qui termine Église contre bourgeoisie m’a ainsi été plusieurs fois signalée comme ambiguë et obscure, alors qu’elle me paraissait d’une transparence suggestive : j’y évoquais les embarras croissants et les inextricables contradictions d’une “modernité” conquérante contre laquelle on voyait se retourner nombre de gens qui la brûlaient après l’avoir tant adorée. Constatation de fait, sans inutile jugement de valeur, mais problème de fond, puisque l’Église romaine a été jugée sur son refus de s’associer à ce culte67.
41Poulat, en effet, ne se soumettait pas au mythe de la modernité :
- 68 Émile Poulat, Église contre bourgeoisie, op. cit., p. 253.
Pendant des siècles, une société chrétienne s’est d’abord reconnue à ses institutions, à ses lois et à ses cadres : elle distinguait avec soin le for externe, qui exigeait une stricte soumission, et le for interne, duquel, en fin des comptes, Dieu seul restait juge […]. Le sentiment n’était pas exclu, mais subalterné à la communauté qui détermine sa condition. [Aujourd’hui], on naît citoyen de son pays, on est vacciné et on commence l’école obligatoire sans avoir son mot à dire. C’est la loi : nous lui devons de n’être pas apatride, analphabète et asocial, mais qui nous assure que les générations futures ne verront pas dans cet état de mœurs une atteinte aux libertés fondamentales ? Sommes-nous en vérité aussi loin de ce vieux passé que nous le croyons et le donnons à croire ? Dans notre occidentalité, la modernité a remplacé la chrétienté. Nous avons changé d’enveloppe – ou de carapace –, mais nous ne sommes pas socialement moins enveloppés68.
- 69 Émile Poulat était directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et directeu (...)
- 70 Laurent Larcher, « Émile Poulat, toute une vie à étudier le catholicisme », La Croix, 23 novembre (...)
- 71 Le Testament se trouve en appendice à Émile Poulat, Le désir de voir Dieu…, op. cit., p. 297-298.
42Quelles étaient les ambitions de Poulat ? Il dirigeait des recherches et des séminaires dans des institutions prestigieuses69, mais il n’avait pas de chaire universitaire. Il n’avait pas construit une école de pensée, il ne participait pas à des groupes de pouvoir, il n’avait pas sous son aile des équipes académiques. Cela ne l’intéressait pas. Il se sentait plus chercheur que professeur. Il tenait pourtant à une influence intellectuelle et, pour cette raison, il écrivait et publiait le plus possible et un peu partout. Il ne voulait pas perdre du temps dans les structures. Il savait que beaucoup reconnaissaient son autorité et il en était content : il parlait de son écurie, dans un sens idéal, au bon sens du terme, parce que tous ses liens dépendaient d’un échange libre et confiant d’idées et de conseils. « Le monde savant », c’était son monde à lui, avec cette ambition qu’il livrait sans fausse pudeur : « laisser une œuvre ! »70. Poulat croyait en son travail, il s’imposait une discipline stricte dans l’organisation de son temps, il savait qu’il avait beaucoup à faire et il voulait peser intellectuellement dans la sphère publique. Ainsi écrit-il dans son Testament, « j’ai choisi d’être un homme de science et de culture, préférant […] le savoir au pouvoir sans faire du savoir une fin en soi. Aux prises avec les problèmes religieux de notre temps, j’ai toujours privilégié l’accueil, l’écoute, le partage, le discernement, et la rigueur. Le savoir est une discipline de vie, exigeante, au service d’une humanité qui en dispose bien ou mal, on ne sait qu’en faire et préfère l’ignorer71. »
- 72 Poulat était très ami avec Pierre Veuillot, son canal privilégié dans l’archidiocèse de Paris où, (...)
- 73 Sur les relations entre Poulat et Lustiger, il y a une évocation, émouvante au point qu’il en pleu (...)
- 74 La théologie face à l’histoire. Retour sur un itinéraire, op. cit., p. 291. Yvon Tranvouez note : (...)
- 75 Dans mon entretien avec Émile Poulat, dans ce volume, moi-même, habitué à une discrétion sur les c (...)
43À part sa vie professionnelle, un certain halo de mystère, atténué par sa transparence humaine, sa disponibilité, sa courtoisie, entourait sa vie privée. Dans le milieu scientifique, tout le monde notait son harmonie avec Odile, dont il disait qu’elle était associée à tous ses travaux. On savait plus ou moins, sans qu’il en parlât, qu’avant de s’engager dans une vie de chercheur, en 1954, il avait été prêtre et avait participé à la Mission de Paris, non sans une discussion serrée avec le mentor de cette dernière, le cardinal Suhard. Poulat ne parlait pas de ses trente-quatre premières années d’existence. Anonyme est l’ouvrage sur les prêtres ouvriers paru en 1954, son premier livre, fruit de son travail de documentation auprès de la centaine de prêtres-ouvriers rebelles à la condamnation de Rome, à qui il donna parole et dignité, réfutant indirectement le Saint-Office. À partir du choc de 1954, il évita soigneusement de faire mention publiquement de sa condition d’ancien ecclésiastique. Cependant, en privé, quelque chose transparaissait inévitablement. Un jour qu’Andrea Riccardi lui demandait s’il avait connu le cardinal Emmanuel Suhard, il s’entendit répondre : « Bien sûr, le jour de mon ordination. » En tous cas, Poulat n’était pas précisément « ex » sur le plan canonique, n’ayant jamais été réduit à l’état laïc. Grâce à son amitié avec Pierre Veuillot, lié aux prêtres-ouvriers, puis coadjuteur du cardinal Maurice Feltin et enfin archevêque de Paris de 1966 à 1968, Poulat aurait fait simplement effacer toute trace de lui72. Il a réussi à disparaître des registres ecclésiastiques. Il a vécu dans l’oubli plus ou moins complet de l’institution cléricale, au moins jusqu’au début des années 1980, lorsqu’il établit des rapports profonds avec le cardinal Jean-Marie Lustiger73 et engagea une collaboration régulière avec le journal La Croix. Selon lui, ce qui lui était arrivé était très simple : « Je me suis retrouvé dehors, c’est tout74. » Le rapport avec Odile n’explique pas entièrement, mais certainement en partie, le silence de Poulat sur son passé. Émile avait connu Odile à Grenoble en 1951 et l’avait prise comme compagne après qu’elle eut connu un moment difficile, abandonnée par son fiancé, peu avant son mariage, en raison de problèmes de santé. Odile lui en fut reconnaissante et vécut toute sa vie amoureuse d’Émile. Odile pouvait apparaître un peu étrange dans son rapport avec les objets de la maison et avec les fleurs, mais elle vivait pour Émile, elle était toujours à ses côtés, elle lui servait de secrétaire attentive et le soutenait par sa gaieté légère. Poulat a intellectuellement soutenu que l’amitié ne doit jamais être fusion, mais différence, mais évidemment, avec Odile, il ne s’agissait pas d’amitié, mais d’affection intensément vécue pendant près de soixante ans, dans une communion réciproque de paix intérieure, comme il aimait le rappeler à la fin de sa vie. Ainsi la famille d’Odile ne savait pas qu’il avait été prêtre et ignorait d’autant plus sa situation canonique, et tous deux voulaient fermement qu’elle ne le sache pas. C’était un secret à protéger ou une vérité à taire. Et tout le monde se taisait, par égard pour eux75.
Notes
1 Andrea Riccardi, « Émile Poulat, le catholicisme italien et Rome », dans Valentine Zuber (dir.), Un objet de science, le catholicisme. Réflexions autour de l’œuvre d’Émile Poulat (en Sorbonne, 22-23 octobre 1999), Paris, Bayard, 2001, p. 180-191.
2 Cette « Journée Poulat » s’est déroulée le 22 novembre 2016 auprès de l’Institut d’Études avancées de Nantes, où sont conservées la bibliothèque et les archives personnelles de Poulat. L’intervention dans la discussion d’Andrea Riccardi s’est particulièrement centrée sur la formule du « ni… ni… » poulatien.
3 Hors-Série 2020, Cinq vies de recherche. À la mémoire des Archives. L’œuvre d’ Émile Poulat est traitée par Yvon Tranvouez, « Émile Poulat, la marge et l’implication », p. 119-153.
4 « La théologie face à l’histoire. Retour sur un itinéraire », dans Émile Poulat, Le désir de voir Dieu et sa signification pour la théologie française contemporaine, Paris, DDB, 2015, p. 287-296, où l’on repère bien le thème du caractère inclassable et de la singulière autonomie intellectuelle de Poulat. Dans sa jeunesse, il avait été prêtre (né en 1920, il avait été ordonné en 1945 par le cardinal Suhard, archevêque de Paris), mais il a vécu cette identité en la niant dans un certain sens, en récusant non pas la foi et la théologie, mais la mentalité et la culture cléricales, et en se plaçant, vis à vis de l’institution ecclésiastique, d’une manière marginale, sans que cela signifiât la contester. Il s’était occupé de théologie mais en dehors de toute finalité apostolique. Tout en portant la soutane, il avait voulu se consacrer à des études profanes, passant des années à la Sorbonne entre Lettres classiques et Philosophie, pensant déjà, en 1949, à entrer au CNRS. Il avait préféré aller à la Mission de Paris, très composite, plutôt qu’à la Mission de France, plus ecclésiastiquement caractérisée. Il s’était assimilé aux prêtres-ouvriers, nouant de nombreuses amitiés, mais il ne s’était jamais fait ouvrier. Il avait travaillé dans une compagnie d’assurances à Paris, puis à Grenoble comme assistant de laboratoire dans une société d’électrochimie et d’électrométallurgie. Il était un ecclésiastique qui n’entrait pas en dissidence ni ne jetait le trouble, mais il était convaincu de ne pouvoir assumer aucune fonction intellectuelle sans se maintenir à distance de l’institution, en sauvegardant son autonomie individuelle et sa faculté critique. En 1954, il refusa avec la grande majorité de ses compagnons de la Mission de Paris de se soumettre à la hiérarchie ecclésiastique qui entendait mettre fin à l’expérience. De fait, cela détermina l’abandon de la condition cléricale, sans que cela ne se fît jamais de jure, ne se plaçant jamais à l’extérieur de l’institution, ni à travers une réduction à l’état laïque, ni à travers une abjuration culturelle ou religieuse : « À cause de la position que j’ai prise en 1954, je me suis retrouvé dehors, c’est tout. Et je crois bien, quand je vois l’attitude de l’institution à mon égard, qu’elle confirme ce que je dis. Je ne suis pas perçu comme en rupture, tout en étant un outsider. Je ne me suis jamais senti rejeté, et je n’ai pas été rejeté. Pendant un temps, il n’y a plus eu de relations, jusqu’au début des années 80 » (p. 291).
5 Émile Poulat, « Chiesa e mondo moderno : il caso dei preti operai », dans Andrea Riccardi (dir.), Pio XII, Rome-Bari, Laterza, 1984, p. 295.
6 Émile Poulat, « Remercier, remémorer, réfléchir », dans Un objet de science, le catholicisme…, op. cit., p. 277.
7 Le « Testament spirituel », daté du 24 avril 2011, a été publié en appendice à Le désir de voir Dieu, op. cit., p. 297-298.
8 Ibid., p. 278.
9 Entretien avec Émile Poulat ci-après.
10 Ibid.
11 Ibid.
12 Ignace Meyerson n’était pas seulement médecin, mais aussi chimiste, philosophe, historien d’art, et ne dédaignait aucun savoir, retenant que la psychologie, comme science de l’esprit de l’homme, doit s’enrichir de toutes les branches de la pensée, de la médecine à l’anthropologie, de l’ethnologie à la théologie, de l’histoire à la philosophie, de la sociologie à la linguistique. Il donnait à la psychologie une orientation humaniste et phénoménologique, donc fortement liée aux faits historiques et aux transformations des cadres mentaux, en opposition au positivisme dont il critiquait les aspects déterministes et dogmatiques. Comment ne pas voir l’affinité intellectuelle et méthodologique entre Meyerson et Poulat ?
13 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, entretiens avec Guy Lafon, Paris, Centurion, 1983, p. 63.
14 Ibid., p. 92
15 Émile Poulat, « Remercier, remémorer… », op. cit., p. 278.
16 Émile Poulat, L’histoire savante devant le fait chrétien, Paris, Parole et Silence, 2014, p. 65-66.
17 Entretien avec Émile Poulat ci-après.
18 Ibid.
19 Émile Poulat, « Remercier, remémorer… », op. cit., p. 279.
20 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 246, où il s’identifie dans l’image de la célèbre Place des Trois-Cultures de Mexico.
21 Émile Poulat rappelait son enfance heureuse entre Lyon et le quartier de Belleville-Ménilmontant, à Paris, où sa famille issue de la soierie s’était installée alors qu’il s’approchait de l’adolescence.
22 Émile Poulat, L’histoire savante devant le fait chrétien, op. cit., p. 67.
23 Ibid., p. 134-135.
24 Ibid., p. 137.
25 Ibid.
26 Ibid., p. 194.
27 Ibid.
28 Émile Poulat, L’ère postchrétienne. Un monde sorti de Dieu, Paris, Flammarion, 1994, p. 33-34, cité par Yvon Tranvouez, « Émile Poulat ou la pratique “méditative” de l’histoire », dans Un objet de science, le catholicisme…, op. cit., p. 51.
29 Cité dans Andrea Graziosi, L’Urss di Lenin e Stalin. Storia dell’Unione Sovietica 1914-1945, Bologne, Il Mulino, 2007, p. 9.
30 Émile Poulat, « Anamnèse », dans Jean-Marie Mayeur et al. (dir.), Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. 14, Paris, Desclée, 2001, p. 261.
31 Entretien avec Émile Poulat ci-après.
32 Il s’agissait de la Libera Università Maria Santissima Assunta (LUMSA) à Rome.
33 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 181.
34 Le père Georges Charreyre, ordonné prêtre la même année qu’Émile Poulat, le rencontra en 1954 à Sainte-Marie des Batignolles, où il était vicaire. Il était alors très nerveux et lui demanda ce qu’« eux » (i. e. diocèse de Paris) pensaient de tout cela. Charreyre répondit qu’il était désolé. Poulat rétorqua très énervé : « Tout le monde est contre nous, l’Église, la politique, la société, tout le monde. » Il ne trouvait aucun allié selon Charreyre (entretien de l’auteur avec Valérie Régnier, 8 décembre 2014).
35 Sur la vision de l’Église et du Mouvement catholique par le révisionnisme historiographique qui a suivi 1968, Fausto Fonzi écrivait dans la troisième édition de I cattolici e la società italiana dopo l’unità, Roma, Studium, 1977 : « Adhérant avec passion à des mouvements politiques actuels, beaucoup de jeunes gens (et des anciens), poussés par la condamnation préalable du passé comme responsable d’un présent que l’on veut détruire, sont conduits à retourner, sur le plan historiographique, à une nuit indistincte où toutes les vaches sont noires, réduisant à rien toute distinction et toute nuance à l’intérieur d’un antagonisme générique entre bourgeoisie et prolétariat » (p. 11).
36 Des échos de ces débats dans Yvon Tranvouez, « L’institution au cœur : Émile Poulat », Archives de sciences sociales des religions (https://assr.revues.org/27179#tocto1n2), présenté auparavant en décembre 2015 lors d’une journée d’étude des Archives Nationales (Pierrefitte-sur-Seine). Yvon Tranvouez a aussi signalé une série de textes sur l’œuvre de Poulat, favorables ou non, en appendice de Un objet de science, le catholicisme…, op. cit., p. 333-335.
37 Par exemple Jean-Marie Donegani, peut-être le plus âpre de ses critiques : Émile Poulat, « Catholiques sans Église », Catholica, avril 1994, p. 59-65, et « La religion de l’opinion », La Croix, 28 mars 2001, qui conclut ainsi : « Depuis quarante ans, j’attends un débat de fond là où je ne rencontre que rejet sans discussion […] ; je peux me tromper sur ces questions graves, mais sur la volonté d’en débattre sereinement, je suis de plus en plus sceptique. »
38 Jean-Pierre Vernant, « Une amitié intellectuelle », dans Un objet de science, le catholicisme…, op. cit., p. 15-22.
39 « La voie du chercheur : l’exemple d’Émile Poulat », Orbis.info @ Notes de Jean-François Mayer [en ligne], https://www.orbis.info/2014/12/emile-poulat/.
40 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 143-144.
41 « Facciamo pienamente il nostro mestiere : porta più lontano di quanto non si creda », Rivista di storia e letteratura religiosa, 1, 1971, p. 120-122, 121.
42 Je me souviens comment, dans les années 1980, parmi les chercheurs italiens en histoire religieuse, circulaient des lieux communs sur les collègues français avec lesquels ils avaient le plus de relations : Poulat était décrit comme un impressionniste génial et extroverti, Jean-Marie Mayeur comme un esprit laborieux et tenace systématique, René Rémond comme un éminent maître d’académie. Lieux communs qui disaient peut-être plus sur leurs auteurs que sur ceux qui en étaient l’objet.
43 « Facciamo pienamente…», op. cit., p. 122, cité par Andrea Riccardi, « Émile Poulat, le catholicisme italien et Rome », dans Un objet de science, le catholicisme…, op. cit., p. 188.
44 Entretien avec Émile Poulat ci-après.
45 Émile Poulat, « Remercier, remémorer, réfléchir », op. cit., p. 277.
46 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 26.
47 Émile Poulat, Église contre bourgeoisie. Introduction au devenir du catholicisme actuel, Paris, Berg International, 2006 (1ère éd., Paris-Tournai, Casterman, 1977), p. 177.
48 Ibid., p. 198-199.
49 Andrea Riccardi, « Émile Poulat, le catholicisme italien et Rome », op. cit., p. 185. Et, bien sûr, Émile Poulat, Catholicisme, démocratie et socialisme. Le mouvement catholique et Mgr Benigni de la naissance du socialisme à la victoire du fascisme, Paris-Tournai, Casterman, 1977.
50 Émile Poulat, « Le modernisme et Sorella Maria », dans Roberto Morozzo della Rocca (dir.), Maria di Campello. Un’amicizia francescana, Brescia, Morcelliana, 2013, p. 147: « Avec Odile, nous venions chaque année en Italie, pendant un mois, en voiture, au mois de mai. Et nous “draguions”, si je peux employer l’expression, l’Italie du Nord au Sud et du Sud au Nord, toujours en voiture, jamais en train, jamais en avion. Aussi, les Italiens à l’époque, nous disaient que nous connaissions l’Italie mieux qu’eux ». Sur Poulat et l’Italie, voir Émile Poulat, « Memorie sul cattolicesimo italiano del Novecento, entretien avec Arnaldo Nesti », Religione e Società, mai-août 1998, p. 87-97 ; Andrea Riccardi, « Émile Poulat, le catholicisme italien et Rome », op. cit. ; Émile Poulat, Le catholicisme sous observation…, op. cit., p. 193-194.
51 Ibid., p. 194.
52 Ibid., p. 43. Roberto Blancarte le rappelle aussi, « Émile Poulat et l’Amérique latine », dans Un objet de science, le catholicisme…, op. cit., p. 151-160.
53 Rodolfo De Roux, « L’observation attentive d’un catholicisme latino-américain bouillonnant », dans Un objet de science, le catholicisme…, op. cit., p. 196.
54 Roberto Blancarte, « Émile Poulat et l’Amérique latine », op. cit., p. 154-155.
55 Rodolfo De Roux, « L’observation attentive… », op. cit., p. 197-198. Ayant travaillé incidemment sur le christianisme de l’Amérique latine, j’ai observé chez les chrétiens révolutionnaires, très présents sur le continent dans les années 1960 et 1970, de nombreux éléments de continuité avec leurs ancêtres aux convictions intransigeantes. Les premiers et les seconds se sacrifiaient pour le Royaume de Dieu ; ils vivaient la mystique de la violence purificatrice ; ils mélangeaient la religion et la politique, avec une analogue exaltation existentielle et religieuse de l’expérience de la lutte, de la persécution, du martyre ; ils affirmaient la valeur du peuple et négligeaient la valeur des institutions. Voir Roberto Morozzo della Rocca, Primero Dios. Vita di Oscar Romero, Milan, Mondadori, 2005, p. 35-41. Trad. française : Mgr Romero, Paris, DDB, 2015.
56 Jean Meyer, El contexto histórico salvadoreño de los años 1977-1980 (texte dactylographié de 2001) et Les chrétiens d’Amérique latine. xix ͤ et xx ͤ siècles, Paris, Desclée, 1991, p. 259-264.
57 Émile Poulat, L’ère postchrétienne, op. cit., p. 12.
58 Émile Poulat, Où va le christianisme ? À l’aube du IIIe millénaire, Paris, Plon-Mame, 1996, p. 282.
59 La Croix, 31 mars 1998.
60 Ce goût de Poulat de procéder comme dans des romans policiers a été souligné par Maurilio Guasco dans sa préface à l’édition italienne de Église contre bourgeoisie, Casale Monferrato, Marietti, 1984, p. VII-XX.
61 La Croix, 19 mai 1999.
62 Émile Poulat, Église contre bourgeoisie, op. cit., p. 82.
63 Émile Poulat, L’histoire savante devant le fait chrétien, op. cit., p. 246.
64 Émile Poulat, Église contre bourgeoisie, op.cit., p. 195-196.
65 Ibid., p. 207.
66 Ibid., p. 264.
67 Émile Poulat, Le catholicisme sous observation, op. cit., p. 233.
68 Émile Poulat, Église contre bourgeoisie, op. cit., p. 253.
69 Émile Poulat était directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et directeur de recherches au CNRS.
70 Laurent Larcher, « Émile Poulat, toute une vie à étudier le catholicisme », La Croix, 23 novembre 2014.
71 Le Testament se trouve en appendice à Émile Poulat, Le désir de voir Dieu…, op. cit., p. 297-298.
72 Poulat était très ami avec Pierre Veuillot, son canal privilégié dans l’archidiocèse de Paris où, en revanche, il n’avait pas de bonnes relations avec le cardinal Feltin. Ce serait Veuillot, selon Philippe Ploix, archiviste de l’archevêché de Paris à partir de 1976, qui aurait éliminé des archives diocésaines les références à Poulat, sur lequel il n’a trouvé aucun document (« c’est Veuillot qui a tout effacé pour rendre service à Émile »). Pierre Veuillot, de sept ans plus âgé, mourut prématurément en 1968, quelques mois après avoir été créé cardinal. Un archiviste a montré à Marta Margotti, au cours de ses recherches dans les archives de l’archevêché de Paris, une petite fiche encore présente sur Poulat, prouvant son état ecclésiastique, qui avait échappé à la censure des amis de Poulat.
73 Sur les relations entre Poulat et Lustiger, il y a une évocation, émouvante au point qu’il en pleura, faite par Poulat le 21 janvier 2011, dans la soirée organisée en son honneur au Collège des Bernardins, pour ses quatre-vingt-dix ans. La vidéo est consultable sur le site jpdiacre.over-blog.com : [http://jpdiacre.over-blog.com/article-22-novembre-2014-rappel-a-dieu-d-emile-poulat-125071892.html].
74 La théologie face à l’histoire. Retour sur un itinéraire, op. cit., p. 291. Yvon Tranvouez note : « Il n’a pas demandé sa réduction à l’état laïc. Il s’est simplement trouvé hors du clergé, par la force des choses, dès lors qu’il s’est marié. Par la suite, il n’a jamais fait état de son passé clérical, ni pour le rejeter, ni pour l’invoquer : il l’a au contraire soigneusement occulté. Ses amis et certains de ses lecteurs savaient qu’il avait été prêtre, mais beaucoup l’ignoraient » (« L’institution au cœur : Émile Poulat », op. cit.).
75 Dans mon entretien avec Émile Poulat, dans ce volume, moi-même, habitué à une discrétion sur les chapitres les plus lointains de sa vie, j’évite de rappeler son précédent état ecclésiastique et je préfère parler d’« expériences de jeunesse ».
© LARHRA, 2020