Entreprise et pastorale

6Dans sa « traverse » d’un siècle et demi d’histoire, Yann Raison du Cleuziou montre bien ce que peut avoir d’original la dimension proprement spirituelle de l’engagement de la Maison de la Bonne Presse puis du groupe Bayard, et comment elle demeure valable aujourd’hui encore. L’abandon progressif de l’intransigeance originelle doit en effet être saisi dans le cadre d’un mouvement analogue de la société vers la sécularisation, en sorte que l’écart se déplace mais demeure bien présent, y compris dans les objectifs que se fixe le groupe et l’attachement dont il témoigne à sa propre histoire. Cette position de « double appartenance », à un univers religieux dont les valeurs furent jadis dominantes en France d’une part, à une société en voie de laïcisation dont les acteurs chrétiens sont partie prenante d’autre part, est un des ressorts de l’évolution du groupe.

7Cette évolution relève certes de l’attention portée au progrès technique, selon une logique bien connue depuis les travaux de Michel Lagrée7 : les catholiques adoptent le progrès technique dans lequel ils voient une participation à la création continuée du monde, dans une perspective liée à la relecture de Thomas d’Aquin depuis le milieu du xix^e siècle. Ils ambitionnent de christianiser le progrès technique et de le mettre au service de leur projet de reconquête, mais sont eux-mêmes transformés par la logique d’évolution des systèmes techniques à laquelle ils participent8. Les contributions de Sylvain Milbach et d’Isabelle Saint-Martin sont éloquentes sur ce point. La fondation du Pèlerin, au lendemain de la Commune et du premier concile du Vatican – qui a confirmé le tournant intransigeant de Rome –, est liée à une logique pastorale d’organisation des pèlerinages en contexte de catholicisme apocalyptique et antimoderne. Mais elle participe aussi de l’essor de la presse de masse et de celui du chemin de fer, clé de la vogue pèlerine, avant que le pèlerinage ne devienne une des fondations de pratiques touristiques, individuelles et collectives, dont on sait l’importance qu’elles prendront ensuite (Sylvain Milbach). L’attention de la Bonne Presse à la chromolithographie, aux « sermons lumineux » puis au cinéma (Isabelle Saint-Martin), confirme la place occupée par la mouvance catholique aux origines de la culture moderne de l’image en France et, plus tard, d’une cinéphilie à la française9. Mais l’image a sa logique propre, sécularisante, notamment parce qu’elle multiplie les possibilités de médiation entre le public et les œuvres, et que ces médiations sont de moins en moins exclusivement catholiques10.

8Le livre incite à conduire la même analyse sur le terrain politique. Entre les années 1880 et 1914, La Croix peut bien être un journal anti-républicain, antidreyfusard et antisémite. La mouvance noéliste, étudiée par Yann Raison du Cleuziou, peut bien s’organiser en concurrente de l’éducation « sans Dieu » promue par l’école laïque. Il n’en demeure pas moins que la première participe, à sa place et sur un mode oppositionnel, à la naissance d’une démocratie d’opinion. Quant au dispositif noéliste, il permet à de jeunes enfants de construire leur propre rapport à une culture commune et contribue à leur accès aux loisirs, au risque que ce double mouvement échappe peu à peu aux intentions de ceux qui ont contribué à l’initier. Autrement dit, le succès même des initiatives lancées par la Bonne Presse expose celle-ci à la menace de se voir dépossédée, à terme, du rôle qu’elle souhaite tenir dans la société qu’elle rêve de réinventer.

9Il y a là un principe d’incertitude, un inconfort qui est à la fois moteur et conséquence de la modernisation du groupe. En témoigne aussi la relation souvent compliquée avec Rome et l’épiscopat. Derrière les difficultés avec la première au temps de la condamnation de l’Action française (Christian Sorrel), derrière les circonvolutions de la position de La Croix sous Vichy (Yves Pitette et Isabelle Plassais)11, derrière les accusations contre le père Gabel puis son éviction (David Douyère, Étienne Fouilloux), se profilent l’inconfort de la médiation entre l’univers catholique romain et la société républicaine hexagonale, et la question de savoir si la Bonne Presse, et particulièrement son quotidien, doivent être les porte-parole de la position officielle de l’Église. Ce rôle, dirigeants et journalistes de La Croix l’ont toujours refusé, tout en devant bien assumer le fait que c’était souvent l’attente de l’institution, parfois même celle d’une partie de leurs lecteurs. Cet inconfort se joue aussi dans la relation entre laïcs et assomptionnistes, dont Yann Raison du Cleuziou rappelle qu’elle commence à susciter interrogations et remises en cause dans les années 1950, au moment où s’affirme l’apostolat des laïcs au sein du militantisme catholique. Il nourrit enfin les interrogations des assomptionnistes étudiés par Dominique Greiner, inquiets de l’équilibre entre leur statut de théologien et celui de journaliste, alors même que se maintient au sein du groupe quelque chose de la très ancienne tradition augustinienne du travail des moines (Isabelle Jonveaux), probablement bien ignorée pourtant de la plupart de ses salariés et salariées.

10Il y a donc, aux côtés des logiques techniques et entrepreneuriales de la modernisation du groupe, une dimension proprement pastorale de son évolution. Celle-ci tient au fait que Bayard participe du réseau d’œuvres, d’institutions et de mouvements catholiques qui ont longtemps contribué à tramer la société française12. Formée de générations successives d’organisations dont les cultures militantes ne se recoupent jamais exactement, confrontée à une conjoncture variable mais dont la tendance générale est celle d’une emprise déclinante13, cette trame militante est donc pluraliste, agitée de conflits et de crises qui pèsent sur la Bonne Presse mais peuvent lui offrir des opportunités de renouvellement. Des « comités de propagande » de la fin du xix^e siècle aux « Équipes Amis Croix » des années 1960-1980 en passant par les « chevaliers de la Croix » et les « pages du Christ » (Olivier Chatelan), le groupe dispose de relais, à la fois pour évaluer le paysage, c’est-à-dire pour le comprendre, et pour diffuser, relayer et acclimater sa stratégie. Le courrier des lecteurs joue un rôle analogue (Flore Di Sciullo, Maïté Eugène et Hélène Raux). Ajoutons que La Documentation catholique pour les clercs, et surtout Le Pèlerin, ce périodique de masse présent sur toutes les tables disposées à la sortie des messes dominicales, constituent entre le groupe et l’opinion catholique des relais essentiels.

11Les multiples contributions consacrées dans ce livre aux années 1950-1980 témoignent particulièrement de cet entrelacement entre logique d’entreprise et défis pastoraux. C’est dans les années 1950 que s’amorce le triple mouvement de professionnalisation du travail, de diversification des publics (Delia Guijarro Arribas) et d’internationalisation (Charles Mercier) qui fait l’originalité du Groupe Bayard et de sa gouvernance aujourd’hui (Jacques Palard). Le père Gabel y joue un rôle fondateur, et David Douyère souligne combien sa stratégie est portée par la conviction que la Bonne Presse doit s’adapter à la succession des générations si elle veut renouveler son lectorat (p. 115) : la question de la transmission intergénérationnelle a pris depuis lors suffisamment d’importance dans le débat catholique pour que le fait mérite d’être souligné. Plusieurs chapitres permettent de contextualiser les débuts de ce mouvement du point de vue d’une histoire du catholicisme français, dont ils éclairent en outre une période charnière, celle qui sépare la condamnation des prêtres-ouvriers en 1954 de l’ouverture du concile Vatican II en 1962.

12Au sortir de la crise du progressisme chrétien (1949-1955), la pastorale catholique est alors agitée de tensions qui précèdent de plus d’une décennie les événements de 1968. Depuis 1951, les évêques tentent de réorganiser cette pastorale autour d’un système hérité de l’Action catholique spécialisée par milieux sociaux, dont la JOC, la JEC, la JAC et leurs homologues féminins sont les modèles. Il s’agit en particulier, mais pas seulement, d’y intégrer la mouvance des patronages catholiques, dont les éditions Fleurus portent la plus grande partie des publications – d’où à la fois, pour la Bonne Presse, la nécessité de négocier avec elles et l’impossibilité de parvenir à un compromis sur les publications jeunesse. La réorganisation voulue par les évêques se heurte aussi à la résistance de l’Association catholique de la jeunesse française (ACJF), fondée en 1886, qui s’y intègre mal et prend appui sur la naissance d’une culture unitaire, via la démocratisation de l’enseignement et le développement de médias de masse, la radio et bientôt la télévision, pour plaider en faveur d’une « pastorale générale » qui se substituerait à la « pastorale par milieux14 ». L’ACJF est supprimée autoritairement en 195615.

13La réorganisation se heurte aussi à des tensions au sein même des mouvements d’Action catholique spécialisée, tensions dont les logiques sont à la fois pastorales et sociétales. La JOC défend un modèle de spécialisation dont elle revendique la paternité, et la plausibilité de son combat est renforcée par le fait que la culture ouvrière résiste plus longtemps aux normes collectives de la culture de masse en train de s’installer. Les jacistes, garçons et filles, sont saisis par l’exode rural et la diminution du nombre d’exploitations agricoles liée à la « révolution silencieuse » de la campagne initiée par leurs aînés16, en sorte que nombre des plus jeunes, tout en tenant à demeurer intégrés à un mouvement qui est celui de leur famille, s’éloignent du monde paysan au profit de villes moyennes et d’un milieu étudiant… qui est celui de la JEC.

14Un univers catholique traversé de tensions liées à l’impact des mutations en cours dans la société française : tel est le théâtre sur lequel se joue pour partie la transformation de la Bonne Presse. Les Èditions du Centurion y trouvent une fenêtre de tir (Patricia Sorel). Surtout, tous les acteurs recrutés par le père Gabel, ancien aumônier de l’ACJF, ou par Roger Lavialle, qui en fut le secrétaire général après avoir milité à la JOC, sont, d’une manière ou d’une autre, des transfuges de ce milieu d’Action catholique spécialisée. Jean Boissonnat, Jacques Duquesne, Noël Copin sont des anciens de la JEC, Yves Beccaria est l’ancien directeur des Éditions de l’Épi, émanation de la JEC, son épouse Mijo qui deviendra rédactrice en chef de Pomme d’Api est issue de la JECF. Jean Gélamur ne fait pas exception, même si c’est d’une manière spécifique : il est un cadre du MICIAC (Mouvement des ingénieurs et chefs d’industrie d’action catholique), mouvement d’ingénieurs qui a permis l’intégration de l’ancienne USIC (Union sociale d’ingénieurs catholiques, fondée en 1906) dans le dispositif d’Action catholique dès 1937.

15Ces jeunes laïcs militants trouvent à la Bonne Presse un lieu où poursuivre leur engagement chrétien sur un mode professionnel, dans une forme d’autonomie relative à l’égard de la pastorale, celle-là même que ne cessent de préserver, vis-à-vis de Rome et des évêques, le quotidien La Croix et le groupe dans son ensemble (Béatrice Guillier). En diversifiant la production éditoriale du groupe, du côté de l’édition jeunesse puis de l’édition senior (Notre Temps, 1969), ils réinventent en quelque sorte la société française comme une société de publics diversifiés, pas de côté intéressant au regard du débat entre pastorale par milieux et pastorale générale. Cécile Boulaire montre de façon convaincante comment l’iconographie de Pomme d’Api déconfessionnalise le message catholique sans y renoncer complètement, ce qui contribue à rendre le magazine accessible à un public qui lui-même se déconfessionnalise. Dans ce mouvement, ils se heurtent non pas à l’Assomption, mais à la « vieille garde » des assomptionnistes présents depuis longtemps dans le groupe (Béatrice Guillier) : c’est que cette invention d’une « société de publics » rend obsolète la culture militante qui s’était constituée à la fin du xix^e siècle, dans une perspective de reconquête catholique, et avait résisté à trois quarts de siècle d’histoire. L’éviction du père Gabel, finement analysée par Étienne Fouilloux grâce aux archives romaines, trouve là sans doute un arrière-plan plus général, au temps du raidissement romain qui marque la fin du pontificat de Pie XII.

16Appréhender la société française à travers ses publics, c’est à la fois donner une direction à une entreprise d’édition et se livrer à une opération de classement social dont Delia Guijarro Arribas souligne à juste titre le contenu idéologique. L’échec du groupe Bayard à faire vivre un magazine féminin le confirme : sur le terrain du genre, Bayard n’échappe pas aux limites liées à son appartenance maintenue à une institution catholique rétive à l’évolution des mœurs, y compris celles de son lectorat (Juliette Masquelier). « Bayard a découvert que les centaines de milliers de femmes qui [lui] faisaient confiance […] pour leurs enfants ne leur faisaient pas automatiquement confiance pour elles-mêmes » (cité p. 234), remarque finement Geneviève Jurgensen interrogée par Juliette Masquelier. On ne saurait mieux dire, et cette remarque éclaire aussi la question de la succession des générations, si essentielle dans l’histoire de la Maison de la Bonne Presse et aujourd’hui centrale pour les responsables du groupe Bayard.

Acteurs et actrices d’une entreprise particulière

17Affirmer que, depuis 150 ans, le groupe Maison de la Bonne Presse puis Bayard est une entreprise engagée au service de la foi catholique, et spécialisée dans les activités de communication par l’écrit, ne suffit pas à rendre compte de son originalité parmi les multiples entreprises de communication catholique qui, par exemple, dans les années 1950, aboutissaient à cent dix-neuf titres différents et à deux groupements patronaux distincts17. Cerner la différence de Bayard est un des moyens d’expliquer sa trajectoire, sa résilience et sa capacité à rebondir.

18L’éclairage fourni sur les entreprises par les récents travaux d’histoire et de sciences de gestion met l’accent sur le potentiel d’action collective qu’elles constituent face aux défis et aux crises de la modernité18. Ce potentiel peut être créateur. Il est toujours situé, localisé au sein d’un écosystème porteur de ressources, de règles et de risques. L’entreprise n’est pas un simple agent économique, un assemblage de capital et de travail. Elle a un genre. Le type d’intrication qui peut être obtenu entre les différentes parties prenantes de son activité, selon un vocabulaire utilisé en sciences de gestion et en histoire des entreprises, est tantôt un moteur tantôt un frein.

19Les assomptionnistes, ou Augustins de l’Assomption, sont les premiers acteurs, première partie prenante, présents depuis les débuts, qui différencient Bayard de ses homologues religieux dans les entreprises de la communication catholique, dominicains, bénédictins, jésuites ou franciscains, et dont le groupe porte la marque de plusieurs manières.

20Actionnaires, ils choisissent un mode de gestion où les profits sont intégralement réinvestis dans l’entreprise. Cette pratique n’est pas isolée : on la rencontre aussi, au moins un temps, dans des entreprises privées contemporaines de la communication numérique comme Amazon, Google et Apple. Elle incite les assomptionnistes à choisir un modèle d’affaires durable. Ils le trouvent autour d’eux, dans l’économie de la grande presse, avec le dispositif conjoint de l’abonnement et de la vente au numéro, qui, dans leur cas, repose à la fois sur la fidélité des lecteurs et sur leur engagement. Ils vont parvenir à le perfectionner et à le modifier. Le reste provient de dons, de souscriptions, de subventions, de la publicité, ainsi que de crédits consentis par des établissements financiers. En revanche, lorsque le monde de la communication passe « de l’écrit à l’écran » (Roger Chartier)19, l’entreprise va connaître des difficultés pour faire évoluer son modèle centré sur les lecteurs et lectrices vers celui de l’offre numérique et de la disponibilité des contenus accessibles sur des plates-formes en ligne et sur les réseaux sociaux.

21Comme dans la tradition de l’entreprise familiale à la française, les assomptionnistes ne sont pas seulement actionnaires collectivement, ils peuvent aussi être dirigeants, cadres ou journalistes sans formation particulière. Ce sont des acteurs sociaux à la double nature : membres d’un appareil ecclésiastique dirigé par les évêques et le Vatican et uni par la fidélité doctrinale, ils sont néanmoins dans leur métier en position de liberté éditoriale. De surcroît, ils doivent prendre des risques ou des initiatives pour maintenir ou développer les profits, donc développer des capacités ou acquérir des compétences dans tous les domaines : économique, littéraire, culturel, politique, voire comme auteurs de contes ou de romans policiers et scénaristes de bandes dessinées. Ils reprennent ainsi la pratique des pseudonymes traditionnelle dans le journalisme et la culture, à côté de noms de religion, et dont il faudra à l’avenir faire une liste complète.

22On en vient aux seconds acteurs, seconde partie prenante : le personnel. Des différentes formes de présence des hommes que sont les assomptionnistes découlent trois questions délicates que les contributions du livre abordent sans détour : l’intrication entre religieux et laïcs, la longue présence de religieuses, et donc l’importance dans l’entreprise des logiques de genre20.

23Les assomptionnistes ont appris à composer avec des laïcs dont le rôle est croissant au fil du temps, notamment avec l’entrée à partir des années 1950 de nombreux collaborateurs issus des mouvements de jeunesse. La position des assomptionnistes au sein des rédactions et dans le groupe évolue (Isabelle Jonveaux). Si elle peut d’abord apparaître comme une place de surplomb à la Bonne Presse, elle est jugée plus complexe dans les périodes récentes. Certains assomptionnistes disent aujourd’hui avoir parfois été perçus comme « imposés », représentant l’œil de l’actionnaire, l’œil du patron ou l’œil du Vatican. Les exemples de crises traités dans l’ouvrage montrent que cette histoire a pu être mouvementée. L’élargissement délibéré à un laïc au sommet de l’entreprise est une étape majeure de leur nouvelle position, au milieu des « Trente Glorieuses ». En 1960, le groupe recrute un ingénieur de l’aéronautique, directeur aux Glaces de Boussois, Jean Gélamur, comme président-directeur général de la société Maison de La Bonne Presse puis de Bayard Presse. Il pousse à l’évolution de la gouvernance du groupe, nourrie de son engagement de patron chrétien21. Il en résulte, à l’issue d’une exploration du champ des possibles, un modèle de gouvernance « fondé depuis 1985 sur la collégialité et le développement de l’intelligence collective » (Jacques Palard). Qu’en est-il en pratique ? L’histoire de ces relations, exemple concret d’articulation entre une entreprise et une religion, est aussi en partie celle des prises de décision au sein du groupe22.

24Dès lors que l’entreprise, par souci d’indépendance et de réduction des coûts et des transports, recourt une première fois à l’intégration verticale et se dote d’une imprimerie, dont les locaux sont loués au 3 rue Bayard à Paris en 1884 puis achetés en 1889 et étendus au n° 5, une congrégation féminine apparaît également (Anne Jusseaume). Invisibles, les femmes y fabriquent pourtant les journaux et revues du groupe. Ces ouvrières compositrices sont formées et encadrées par une congrégation féminine, les Sœurs Oblates de l’Assomption, équivalent féminin de la congrégation de l’Assomption depuis 1865. Cette place des femmes comme ouvrières les distingue des imprimeries, dont le personnel adhère à partir de 1881 à la bientôt puissante Fédération du Livre. Dès son premier congrès, celle-ci s’oppose au travail des femmes et son entrée à la CGT, en 1895, ne la fait pas revenir sur son refus23. Anne Jusseaume présente la vie de travail de ces ouvrières, dont certaines sont devenues religieuses. Bayard Presse a gardé des imprimeries jusque dans les années 1990, date à laquelle elle en possédait encore quatre. Comme la plupart des quotidiens français, elle s’en est alors délestée.

25Plus largement, les rapports de genre distinguent longtemps cette entreprise et il faut insister sur les apports fondamentaux de ce livre en la matière. Outre les ouvrières et les sœurs oblates, plusieurs chapitres mettent en effet en lumière les rôles multiples occupés par des femmes : secrétaires, lectrices, mais aussi commerciales et rédactrices. Ces premiers résultats confirment la place nouvelle faite aux femmes dans l’histoire du catholicisme24. Durant la première période, celle de la Bonne Presse, les employées de bureau sont uniquement visibles sur les photographies, par exemple comme collaboratrices des pères qui dirigeaient les publications. Le directeur de l’hebdomadaire pour petites filles Bernadette, le père Laurien Richard (1910-1997), pseudonyme L. Bartres, est entouré de plusieurs femmes qui effectuent un travail central de secrétariat, voire de secrétariat de rédaction (Janine Lefebvre, Béatrice Guillier)25. La place désormais centrale des femmes au sein du groupe Bayard Presse (71 % en 2021), qu’elles soient journalistes, cadres ou employées, n’est donc qu’en partie une rupture historique. La mémoire collective a retenu que Geneviève Honoré-Lainé (1913-2017) a été la première femme journaliste à La Croix en 1951. Ancienne dirigeante de la Jeunesse indépendante chrétienne féminine (1936-1944), elle a été journaliste sous le pseudonyme de Geneviève
Lainé (1945-1978). Mais les femmes sont bien présentes depuis l’origine, souvent en arrière-plan ou en marge, comme le montre le qualificatif de « petites dames de Pomme d’Api » signalé par Delia Guijarro Arribas26. Ce n’est qu’en 1993 qu’une femme, Mijo Beccaria, entre au directoire de Bayard Presse ; Florence Guémy est la deuxième, directrice et membre du directoire depuis 2017. Il reste sans aucun doute beaucoup à faire pour continuer à évaluer la place des femmes dans le groupe, la place du genre dans la culture de l’entreprise, ainsi que l’image des femmes véhiculée dans les titres, parfois en décalage avec la société, comme le montre Juliette Masquelier.

26Le quatrième groupe d’acteurs (quatrième partie prenante), les lecteurs et lectrices, a enfin une importance distinctive. Si le rôle des femmes en tant que consommatrices est peu évoqué – même si ce sont elles qui achètent les publications destinées aux enfants –, les femmes sont présentes dans cet ouvrage en tant que lectrices. On les devine évidemment lectrices de Le Noël, titre déjà évoqué (Yann Raison du Cleuziou). Dans les pages de ce journal pour jeunes filles, les « noélistes », parfois signalées par un pseudonyme, sont appelées à faire le catéchisme, encadrer les patronages et les garderies d’enfants. Elles devraient s’occuper entre autres des bibliothèques ou des ouvroirs. Appelées à agir avant tout en tant que mères, elles apparaissent subordonnées à leur directeur de conscience et à leur mari. Il reste à savoir si ces femmes utilisaient ces incitations conservatrices pour en faire, comme dans d’autres cas, un levier d’action et de parole publique, parfois différentes des discours dominants27.

27La place donnée aux lecteurs et lectrices reste essentielle jusqu’à aujourd’hui, comme le montrent les chapitres consacrés aux « courriers des lecteurs » (Maïté Eugène et Hélène Raux, Flore di Sciullo). Les lecteurs qui écrivent à J’aime lire et à Notre Temps sont en majorité des lectrices, dans des proportions diverses. Ces courriers montrent le rôle joué par J’aime lire dans l’apprentissage de la lecture, la pratique de la lecture se construisant comme un lien entre un lecteur ou une lectrice et son journal. Les différentes rédactions considèrent que les lecteurs et lectrices jouent un rôle central dans les rubriques spécialisées consacrées au courrier, qui deviennent parfois des espaces de dénonciation, des « arènes publiques » : c’est le cas à Notre Temps mais aussi à La Croix, où ce sont davantage cependant des hommes qui écrivent, comme l’a expliqué Dominique Quinio lors du colloque.

28À partir des années 1970, Bayard a mis en place des méthodes d’écoute approfondie de ses lecteurs et lectrices, qui s’inscrivent dans l’histoire des pratiques d’enquête catholique et dans celle des cercles d’études28. Là encore, l’innovation marketing – l’usage des techniques de stimulation de la créativité du travail de groupe29 – se nourrit d’une tradition des pratiques militantes nées dans les milieux catholiques. Le « contrat de lecture », qui date des années 1980, symbolise ce rapport particulier à des communautés de lecteurs et de lectrices30. André Antoni a affirmé durant le colloque que la valeur de Bayard est celle des « liens tissés avec les communautés de lecteurs ».

29Le statut de lecteur, et surtout de lectrice, a été un tremplin pour devenir collaboratrices à la diffusion des titres, autrement dit commerciales, d’abord bénévoles puis professionnalisées (et, plus tard, rédactrices, comme le montre Cécile Boulaire). Il s’agit d’une spécificité importante de l’histoire de Bayard, qui s’inscrit au carrefour de l’histoire du catholicisme et de celle de l’entreprise.

30Olivier Chatelan montre ainsi l’existence de « comités de lecteurs et lectrices », qui servent à la fois à la propagande et à la vente des journaux (La Croix, Le Pèlerin et d’autres). Ces comités apparaissent dès 1887, à l’instigation de l’industriel catholique Léon Harmel ; ils sont au nombre de 600 en 1889. Des femmes y apparaissent actives. Insistons sur le fait que la responsabilité financière de la vente des titres est confiée aux lecteurs et aux lectrices qui sont chargés de les revendre ! Après 1968, ces comités disparaissent en tant que tels. Toutefois, la formule est à nouveau utilisée pour relancer La Croix dans les années 1970 : un comité « Amis Croix » et des équipes « Amis Croix » sont animés par Georgette Pierre. Au même moment, des acheteuses de la presse jeunesse sont aussi mobilisées comme agentes bénévoles de la diffusion de certains titres. C’est ainsi que Pomme d’Api, créé en 1966, bénéficie d’un réseau d’animatrices de la presse jeune, appelées « mamans relais », recrutées par petites annonces, chargées de vendre des abonnements dans les écoles. Ce réseau est d’abord structuré dans une association, Presse et Culture, avant d’être progressivement professionnalisé, les « mamans » acquérant peu à peu un statut de salariées rémunérées avec une partie fixe et une partie variable (VRP). Le réseau commercial de Bayard Presse bénéficie ainsi d’une pratique catholique plus ancienne, l’engagement bénévole dans les paroisses et dans les ventes des titres. Mais cette tradition est professionnalisée, transformée en ressource de marketing direct et en force de vente particulièrement efficace, y compris aujourd’hui à destination des expatriés dans le monde entier31.

Corriger le cours d’un fleuve ? Le changement dans l’entreprise

31« Il arrive que l’histoire récompense ceux qui s’obstinent et qu’un rocher bien placé corrige le cours d’un fleuve », écrivait le philosophe personnaliste et catholique Emmanuel Mounier, fondateur de la revue Esprit, peu avant sa mort en 1950. Une telle formule est-elle applicable à l’histoire de Bayard ?

32Bifurcation imprévue de l’activité de voyages de masse créée par les assomptionnistes (et qui se poursuit aujourd’hui), la fondation en 1873 d’un bulletin d’information pour le Conseil général des pèlerinages, Le Pèlerin, débouche, grâce à la créativité du père Vincent de Paul Bailly, sur une activité de communication de masse engagée bientôt segmentée et plurielle : un volet familial et populaire, un volet d’idées et de combat, que vient compléter l’édition de brochures et de livres. Si le point de départ est inattendu, si la capacité de l’entreprise à tenir et à durer n’est pas davantage certaine, alors il nous faut aujourd’hui identifier les grandes tendances qui, grâce à la collaboration étroite des parties prenantes spécifiques que l’on vient de voir, ont marqué « l’histoire de sept générations de femmes et d’hommes », évoquée par Pascal Ruffenach, président du directoire du groupe Bayard depuis 2017, en ouverture du colloque. On peut en distinguer trois : un sentier de croissance sur la longue durée, la récurrence de difficultés graves en partie extérieures à l’entreprise, l’affirmation d’une place propre dans la cité et l’opinion.

33Le sentier de croissance est jalonné par des initiatives de développement dont les formes correspondent assez bien au répertoire d’interprétations établi par historiens, économistes et sociologues. De nombreux projets, une recherche de possibilités de développement dont l’éventail est large, un effort régulier de consolidation ou de contrôle des zones précaires. On y repère ainsi l’exploitation de ce que l’historien Alfred Chandler a appelé des économies d’échelle et de gamme32. Économies d’échelle : la publication de masse entraîne une répartition des coûts et des frais généraux plus favorable et, de même, l’utilisation maximale de l’imprimerie. Économies de gamme : ce ressort pousse ainsi à la multiplication des titres par les rédactions, au point qu’un auteur de l’ouvrage cite la formule : « Il fallait à chaque père sa publication. » Il rend aussi souhaitables très tôt les accords, les contrats et les implantations à l’international. Ainsi, Charles Mercier montre que l’internationalisation du groupe ne date pas des années 1960 mais s’inscrit dans une temporalité longue, qui remonte à la création de la Bonne Presse. À l’unisson des travaux récents sur les multinationales, il fait une part aux demandes et règles des pays d’accueil et à l’hybridation possible entre leurs cultures et celles de Bayard. Ces bases rendent possibles des stratégies de développement familières aux dirigeants d’entreprise français au cours des cent-cinquante ans écoulés : intégration verticale (on a évoqué plus haut celle des imprimeries), intégration horizontale par prise de participations ou achats d’entreprises présentes ou complémentaires sur le même marché. L’exemple le plus spectaculaire et le plus réussi présenté dans l’ouvrage est l’acquisition en 2003 des éditions Milan à Toulouse, pourtant situées sur le créneau « laïc » du marché, acquisition abordée dans plusieurs chapitres de ce volume. Un autre exemple, inabouti celui-ci, est l’offre de rachat du groupe La Vie catholique, avec son titre phare Télérama et ses actifs immobiliers, en 199733. Des services communs peuvent favoriser la rationalisation de cette variété : ce fut pendant un temps le rôle d’une agence interne de documentation photographique.

34Sur ce sentier de croissance, l’innovation au sens strict, par exploration collective de l’inconnu, a été une des pratiques distinctives de Bayard. On retiendra en particulier la systématisation d’un processus identifié et théorisé par des chercheurs il y a quelque vingt ans : l’innovation répétée34. L’ouvrage en analyse un exemple puissant et bien montré : la percée dans l’édition jeunesse. D’autres magazines suivent Pomme d’Api (1966), comme Okapi (1971), Les Belles Histoires de Pomme d’Api (1972), J’aime lire (1977), Astrapi (1978), Phosphore (1981) ou Je bouquine (1984). À une échelle plus restreinte, c’est la création, en 1895, d’un service des projections qui permet la conception de lanternes, puis de lampes, textes, plaques et accompagnements musicaux pour phonos (Isabelle Saint-Martin). En 1912, le service, animé par un véritable directeur créatif, comporte plusieurs départements. Il emploie cinquante-six personnes : vingt-neuf « jeunes filles », sœurs d’une congrégation unie aux oblates et spécialisées dans la finition et le contrôle qualité des calques, et vingt-sept hommes. Il est relancé après la guerre et continue jusque dans les années 1930 à vendre des lanternes et louer des plaques, tout en créant désormais des films d’images fixes35.

35Ce sentier de croissance repose sur des ressources, d’abord internes, puis externes36. Ressources internes : la constitution et le renouvellement d’équipes spécialisées dans la conception de produits, la définition de titres, le recours à l’image et la relation image-texte, l’articulation entre la maquette et la fabrication, la recherche du positionnement, le sens de la force des marques (voir, pour l’édition, Patricia Sorel). A contrario, il arrive que les savoirs et savoir-faire disponibles ne se combinent pas harmonieusement au sein d’une organisation en projet apprenante, ou avec l’identité perçue du groupe : l’ouvrage donne à voir les difficultés de genèse et finalement l’échec du magazine féminin Alma (1986-1987) puis celles du retour de Bayard sur ce terrain, qui pouvait encore paraître prometteur, avec Côté femme (1999-2008) (Juliette Masquelier). Dans ces ressources internes entre aussi le recrutement de personnes spécialisées dans des fonctions de support ou de contrôle : informaticiens, comptables, contrôleurs de gestion, financiers, gestionnaires de ressources humaines. Ces ressources de professionnels spécialisés (et laïcs), hommes et femmes, apportent, comme dans les autres entreprises, des compétences complémentaires à celles des créatifs, et des signaux quant aux risques possibles. Cette catégorie est désormais représentée au directoire.

36À partir des années 1960, Bayard recourt également à des ressources externes, tout comme la majeure partie des entreprises de communication de masse : outre les données fournies par les instituts publics de recherche, les apports des organismes de sondages et d’études de marché, consultants spécialisés dans les médias, entreprises du numérique. Ici comme ailleurs, il n’y a pas de cloison étanche entre ces deux types de femmes et d’hommes, qui sont autant de ressources. Ainsi Georges Sanerot a-t-il été consultant régulier à partir de 1974, avant d’être recruté pour la branche jeunesse en 1994 puis de devenir président du directoire37. Des recherches futures pourraient être consacrées à l’histoire financière de Bayard, où, par exemple, la rentabilité publicitaire de la presse magazine de masse à Notre Temps ou Pèlerin soutient des projets dont l’installation est lente ou le modèle économique difficile à trouver.

37La seconde grande tendance est, en revanche, la récurrence de difficultés graves, pour partie extérieures à l’entreprise. La conclusion à en tirer est plus large et dépasse le cadre de l’histoire de Bayard : l’entreprise est par les conditions mêmes de ses activités une organisation instable, souvent même précaire. La résilience de Bayard sur cent cinquante ans ans n’en est que n’en est que plus remarquable plus remarquable. Mais il faut se garder de l’illusion rétrospective qui invoquerait soit la prétendue pérennité des grandes entreprises, soit la non moins prétendue pérennité d’un ADN, en réalité en pleine évolution. Difficultés pour partie extérieures à l’entreprise ? On pense ici d’abord au choc de la Première Guerre mondiale, qui, certes, ne laisse indemne aucune firme française, mais qui, chez la Bonne Presse, fait cinquante morts38. On songe aussi à la gravité de l’impact du tandem dictature de Vichy-Occupation allemande sur l’entreprise : au-delà de sa délocalisation complète et de l’abandon forcé de certaines activités, elle expose dans toute leur ampleur les dilemmes et hésitations de ce secteur des catholiques engagés et de ses animateurs, que ne fait pas oublier l’autorisation de reparaître accordée à La Croix à la Libération (Yves Pitette et Isabelle Plassais)39. On pense enfin à la conflictualité des relations avec l’État républicain anticlérical et aux problèmes qu’elle pose. La création d’une société commerciale envisagée par
l’Assomption en 1895 n’est réalisée qu’en 1924 (société anonyme). À partir de 1902, l’entreprise est obligée de dissimuler son identité et son propriétaire, et
l’Assomption, expulsée en 1900, ne retrouve une reconnaissance légale qu’en 2013 (Jacques Palard). Cependant, d’autres difficultés viennent à l’esprit, issues de l’intérieur de la sphère catholique dont émane Bayard, nous en avons déjà parlé (voir les chapitres d’Étienne Fouilloux et Christian Sorrel). D’autres obstacles relèvent, eux, du registre propre de l’entreprise face à des changements de l’écosystème, à des prises de risques ou à des problèmes de personnes. Ils se traduisent, comme dans le reste de l’univers entrepreneurial, par des réductions du périmètre d’activité, des plans sociaux, voire des non-renouvellements ou évictions de dirigeants (Jacques Palard).

38Une troisième grande tendance est l’affirmation d’une place propre pour Bayard, groupe de taille intermédiaire, dans la cité et l’opinion. Dans l’espace public, il joue un rôle actif dans les syndicats patronaux de la presse quotidienne, de la presse magazine, de la presse politique et d’opinion, ainsi que de l’édition. Il y incarne une capacité d’autonomie sans soumission aux intérêts industriels et de participation à l’évolution du système coopératif de diffusion. Vis-à-vis du grand public, il représente dans les débats des chaînes de l’audiovisuel et du numérique, depuis le temps du journaliste Noël Copin, l’écho des visions plurielles qui se partagent désormais les catholiques. Il a donc choisi, après avoir enquêté auprès fondations d’Europe du Nord, de se joindre au mouvement qui commence à s’étoffer en faveur de la définition des raisons d’être puis du statut de société à mission. En interne, reconnaissant la diversité des cultures, des intérêts et des opinions comme une composante propre de Bayard, il s’efforce de promouvoir une gestion plus participative et plus coopérative du personnel, mais sans éviter les conflits que peut susciter l’adaptation aux mutations en cours.

39En se définissant, le 25 janvier 2023, comme un « réseau international de création constitué d’équipes de journalistes, d’éditeurs, de concepteurs de contenus papier, numériques et audiovisuels », Bayard montre de façon discrète que l’évolution de l’entreprise n’a pas été linéaire, qu’il y a eu beaucoup de ruptures et que l’histoire en définitive met au premier plan un mouvement permanent, qui peut aller jusqu’à l’invention de nouveaux lecteurs et lectrices et la remise en question.

40Pour finir, cet ouvrage montre que Bayard a eu raison d’ouvrir ses archives et de les confier à un collectif de chercheurs et de chercheuses ! On voit la richesse des résultats produits, qui contribuent à l’histoire du catholicisme, à celle des entreprises et, plus largement, à celle de notre monde contemporain. Il reste sans doute beaucoup à faire pour poursuivre sur le chemin si bien ouvert par ce travail collectif, concernant par exemple la place des femmes dans l’entreprise ou la capacité de Bayard à se réinventer dans un monde mouvant. Quoi qu’il en soit, l’expérience pourra servir de modèle à d’autres entreprises qui hésiteraient de leur côté à ouvrir leurs portes et leurs archives ou à collaborer avec la communauté des chercheurs et chercheuses.