À propos de l’affiliation maçonnique de M.-S. Mzali
p. 191-205
Texte intégral
1Notre étude se propose d’examiner un aspect des évolutions politiques, sociales et culturelles de la Tunisie de la première moitié du XXe siècle, en l’occurrence le contexte ayant favorisé l’affiliation maçonnique de Mohamed-Salah Mzali et les sources qui la confirment. Aussi l’analyse du parcours de ce personnage dans le contexte politique, social et culturel du protectorat interpelle-t-elle l’élite musulmane francophone dans sa réceptivité au discours franc-maçon d’un côté, et dans son rejet par sa partie arabophone de l’autre. S’agirait-il d’une instrumentalisation idéologique menant à la dénationalisation, comme l’affirment certains nationalistes tunisiens, ou plutôt d’une adhésion d’intérêt personnel ou professionnel, comme ce fut le cas de hauts cadres de l’administration tunisienne au temps du protectorat ? L’itinéraire savant du docteur en droit Mohamed-Salah Mzali apporte des éléments de réponse à ces interrogations.
2Pierre-Yves Beaurepaire rappelait déjà qu’en « ce milieu de XVIIIe [siècle], la Franc-maçonnerie prenait pied partout en Europe », et essaimait le monde islamo-méditerranéen au XIXe siècle, à la suite des deux expéditions d’Égypte (1798-1801) et du Maghreb après la prise d’Alger (1830)2. C’est que le colonialisme, ou fait colonial, se confondait alors avec le projet maçonnique. En effet, tous deux rimaient avec « la mission civilisatrice de la France, grande idée de 1789 »3. Il est vrai que la présence maçonnique anglo-saxonne, italienne et française était bien établie avant le protectorat4. Mais ce sont principalement les loges « Grand Orient de France » et « Grande Loge de France » qui consolidèrent leur présence durant le protectorat en recrutant parmi les colons :
Ces deux principales obédiences de la franc-maçonnerie française s’implantaient dans l’empire, dans les milieux coloniaux [...] Dans les années 1930, les frères ont été recrutés parmi les intellectuels tendant à l’assimilation. Les colonies sont vues comme un terrain propice à l’objectif d’améliorer l’homme et de le libérer de l’emprise des dogmes [...] À l’instar du projet colonial français, la franc-maçonnerie est tiraillée entre une forme de conservatisme, nécessaire à la préservation de l’ordre colonial, et un réformisme soucieux d’améliorer la condition des indigènes5.
3Aussi, l’anticolonialisme très restreint au sein du socialisme franc-maçon de l’Hexagone, et pratiquement absent de la fédération socialiste de Tunisie, « ne parvient pas à entraîner la majorité au Parlement français durant les législatures des IIIe et IVe Républiques (1875-1940) et demeure le fait des minorités de gauche »6.
4Dans cette perspective, il importe de savoir quand et de quelle manière le jeune lettré et brillant docteur en droit Mohamed-Salah Mzali, issu d’une famille makhzen qui tour à tour se montre fidèle au régime beylical et collabore avec celui du protectorat, s’est affilié à la Grande Loge de France, comme le mentionne Elyès Jouini dans la récente réédition des mémoires Au fil de ma vie7. Cette affiliation s’effectue dans une conjoncture des plus favorables pour la diffusion des préceptes de la franc-maçonnerie aussi bien en France qu’en Tunisie : les socialistes ainsi que les radicaux francs-maçons participent à l’exercice du pouvoir durant les deux législatures du Cartel des Gauches (1924-1928 ; 1932-1934) et celle du Front populaire (1936-1938)8.
5S’il est possible de penser que Mohamed-Salah Mzali « était vénérable ou premier surveillant de sa loge en 1927-28 »9, il importe d’expliquer et de relativiser la notion du secret de l’affiliation maçonnique, dans la mesure où la personne désignée peut l’annoncer en toute liberté. C’est en ces termes que Jean-Marc Aractingi présente cette affiliation survenue dans les années 1927-1928 :
Mohamed-Salah Mzali (1896-1984) : Grand vizir dans le dernier gouvernement tunisien nommé par la France. Il a appartenu en 1931 à la loge « L’Étoile de Carthage » du Grand Orient de France devenant plus tard haut dignitaire10.
6Ainsi, cette affiliation survint dans un contexte puissamment colonial et franc-maçon, que ce soit dans la métropole ou en Tunisie. D’un côté, ce contexte est marqué par la répression du mouvement syndical national autonome (dissolution de la Confédération générale des travailleurs tunisiens – CGTT ; condamnation de Mohamed Ali et Jean-Paul Finidori à l’exil en novembre 1925) et par la promulgation de décrets scélérats (20 janvier 1926) qui musèlent la presse nationaliste et communiste et neutralisent l’action du Destour11 ; de l’autre, il coïncide avec les préparatifs fébriles du cinquantenaire du protectorat en Tunisie (1931), le centenaire de la colonisation de l’Algérie (1930), et la tenue du grandiose et provocateur Congrès eucharistique de Carthage (mai 1930).
7Est-il besoin de rappeler que cette répression fut élaborée, justifiée et exécutée sous la responsabilité du résident général franc-maçon Lucien Saint (1921-1929) et de Joachim Durel, secrétaire général de l’Union des Syndicats français de Tunisie (CGT), professeur socialiste et franc-maçon, leader également de la Fédération socialiste de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) de Tunisie, entièrement franc-maçonne ? Partant de ces éléments, peut-on déduire que Mohamed-Salah Mzali était affilié à la fois à « La Volonté » de la Grande Loge de France et à « L’Étoile de Carthage » du Grand Orient ? Cela pose le problème de l’accès aux sources, a fortiori celles d’une société secrète qui, depuis quelques années, préfère se qualifier de « discrète ».
8Soulignons tout d’abord que les Partis socialiste et radical étaient parmi les groupements politiques les plus ouverts et réceptifs à l’idéologie franc-maçonne. Paul Gourdot la rattache à la construction même du socialisme français12. Tout porte à croire que la présence franc-maçonne, majoritaire au sein des cadres et militants de la SFIO et du Parti radical en France ainsi que dans leurs fédérations de Tunisie, explique le clivage entre, d’une part, socialistes et radicaux francs-maçons colonialistes, et d’autre part socialistes radicaux non francs-maçons et anticolonialistes.
9Quoi qu’il en soit, les archives « secrètes » de la franc-maçonnerie – c’est-à-dire les archives des maçons eux-mêmes – demeurent hors de portée pour les historiens13. Les archives des obédiences maçonniques, celles du Grand Orient et de la Grande Loge de France, dont peuvent disposer les chercheurs, sont essentiellement celles qui ont été récupérées au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, après la libération de Paris en 1944, et à Moscou après la chute du mur de Berlin en 1989. Restrictives, les archives maçonniques consultables imposent aux chercheurs de recourir à d’autres sources : celles des mémoires et de la presse écrite qui se font l’écho des activités de la franc-maçonnerie et de son discours14.
10À cet égard, le cas de Félicien Challaye, socialiste franc-maçon d’abord colonialiste qui adhèrera finalement à l’anticolonialisme franc-maçon, minoritaire au sein de la SFIO, est significatif15. En tout cas, le dépouillement systématique de Tunis socialiste et du Courrier de Tunisie pour la période étudiée – l’entre-deux-guerres – nous permet de saisir les six préceptes adoptés par chaque franc-maçon nouvellement affilié dans son engagement civil et politique.
11Il s’agit de : (1) la laïcité, « loi sacro-sainte de la République française »16 ; (2) l’adhésion à la libre pensée17 ; (3) la suprématie du choix du régime républicain et de la Constitution18 ; (4) l’engagement pour l’émancipation de la femme musulmane19 ; (5) la lutte contre les nationalismes, la haine du nationalisme religieux et son remplacement par le patriotisme laïc20 ; (6) enfin, l’engagement en faveur de la positivité du fait colonial et de sa perduration21.
12Il apparaît donc que Mohamed-Salah Mzali franc-maçon a adopté ces six préceptes durant sa carrière ministérielle de 1943 à 1952 (où il sera tour à tour ministre des Habous, de la Santé publique et des Affaires sociales, du Commerce et de l’Artisanat, puis du Commerce et de l’Industrie), et par la suite durant les cent jours de son gouvernement en tant que Grand vizir et président du Conseil (avril 1954-début juillet 1954).
13Plus précisément, s’il était patriote et favorable à la réforme du régime colonial, il était loin d’être anticolonialiste et pour l’indépendance du pays. La franc-maçonnerie française était bel et bien présente dans la politique coloniale mise en place dans les protectorats tunisien et marocain dans le contexte des IIIe et IVe Républiques22.
14Pour Jules Ferry, républicain et franc-maçon, ministre de l’Éducation puis président du Conseil, cette politique coloniale en Tunisie devait évoluer de l’assimilation à l’association (fin XIXe-début XXe siècles)23. De l’entre-deux-guerres à l’après-guerre, elle impose la co-souveraineté et défend la politique de l’indépendance dans l’interdépendance. En tout cas, il n’est pas question d’indépendance complète pour les colonies, c’est du moins ce qui ressort des longues, difficiles et éprouvantes négociations franco-tunisiennes entamées en 1950, arrêtées par la note du 15 décembre 195124 et reprises par le gouvernement de Tahar Ben Ammar (août 1954-avril 1956).
15Nommé président du Conseil du gouvernement tunisien sur proposition du résident général franc-maçon Pierre Voizard, Mohamed-Salah Mzali bénéficie de l’appui de Lamine Bey25 mais ses réformes n’en sont pas moins rejetées et critiquées par le Néo-Destour et les socialistes francs-maçons de la SFIO de Tunisie :
Les réformes du 4 mars constituaient évidemment sur le plan de l’exécutif un considérable pas en avant vers l’autonomie interne. Mais, en concentrant les pouvoirs entre les mains du président du Conseil tunisien, elles ne donnaient aucune satisfaction aux aspirations démocratiques du peuple tunisien. Par ailleurs, en maintenant l’existence d’une assemblée budgétaire mi-française mi-tunisienne, elles marquaient la persistance du concept de co-souveraineté dont ne voulait pas l’opinion publique tunisienne. Mais surtout elles avaient le défaut d’avoir été négociées dans le secret entre M. Mzali, mandaté et cautionné par la cour, et M. Voizard26.
16Mohieddine Mabrouk souligne finement que :
[...] l’histoire de la reconquête de la souveraineté tunisienne est l’histoire « de la carence de l’État tunisien réduit au rôle de fiction », en raison du « silence de Son Altesse le Bey devant les dérogations et les entorses qui ont pu être faites aux traités » et c’est, plus encore, l’histoire d’un peuple résolu à « faire entendre sa colère ». Ce peuple et son chef ont redonné vie à l’État. La co-souveraineté a été inventée, en tant que thème d’action politique, pour tuer la co-souveraineté27.
17En somme, l’affiliation maçonnique de Mohamed-Salah Mzali transparaît dans sa trajectoire administrative et politique. Elle a joué à la fois dans son apogée et dans sa chute en tant que président du Conseil du gouvernement tunisien (avril 1954-début juillet 195428). Son adhésion à la politique coloniale franc-maçonne plaidant pour la co-souveraineté explique son isolement et le peu de soutien dont il a bénéficié auprès de l’opinion publique tunisienne.
Compte rendu de l’ouvrage de Thierry Zarcone par Mohamed-Lotfi Chaïbi, paru dans Achāraa’ al-Maghāribi

Source : Achāraa’ al-Maghāribi du 5 novembre 2019.
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- Pellegrin Arthur, 1933, « Questions tunisiennes. Évolution du Destour », 28 mai.
Notes de bas de page
2Beaurepaire Pierre-Yves, 2023, « Enquête sur l’Internationale maçonnique », L’Histoire, n° 514, décembre, 52-55. Voir également Beaurepaire Pierre-Yves (dir.), 2014, Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Paris, Armand Colin, en particulier les chapitres « Archives » (24), « Ésotérisme et franc-maçonnerie » (93), « Judaïsme » (136), « Nahda » (179), « Nationalisme arabe » (181), « République universelle » (245), « Révolution française » (251), « Secret » (284) et « Serment » (289). Voir aussi Yacono Xavier, 1959, « Les débuts de la franc-maçonnerie à Alger (1830-1852) », La Revue Africaine (1er et 2e trimestres 54-91, ; 3e et 4e trimestres, 248-323).
3Dumont Paul, 1989, « La franc-maçonnerie ottomane et les "idées françaises" à l’époque des Tanzimat », Revue du Monde musulman et de la Méditerranée, n° 52-53, février-mars, 150-159 ; Reverchon Antoine, 2015, « Napoléon. L’universalisme en étendard », Le Monde hors-série, octobre-décembre, 34-36.
4Porset Charles, 2003, « La franc-maçonnerie tunisienne et l’héritage révolutionnaire », Les Cahiers de l’Orient. L’équerre et le croissant. La franc-maçonnerie en terres d’islam, n° 69, 1er trimestre, 37-50 ; Tlili Béchir, 2020, Les rapports culturels et idéologiques entre l’Orient et l’Occident en Tunisie au XIXe siècle (1830-1880), Tunis, Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis (voir notamment le chapitre consacré à « L’immigration italienne », 369-382).
5Liauzu Claude, 2007, « Franc-maçonnerie », in C. Liauzu (dir.), Dictionnaire de la colonisation française, Paris, Larousse, 304-305.
6Liauzu Claude, 2007, Histoire de l’anticolonialisme en France du XVIe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, en particulier 164-174 (sur l’anticolonialisme minoritaire).
7Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], Au fil de ma vie, suivi de Jouini Elyès, 2023, Mohamed-Salah Mzali. L’intellectuel et l’homme d’État, Tunis, Cérès Éditions-Beït al-Hikma-Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC). Si Elyès Jouini précise que Mohamed-Salah Mzali devait effectivement être « vénérable » en 1927-1928, son adhésion date probablement du début des années 1920. Dans ses mémoires, Mohamed-Salah Mzali indique que c’est un publiciste et ancien surveillant à Carnot qui l’a attiré vers la franc-maçonnerie. Notons que des archives indiquent qu’il est passé « maître » en 1923. De « La Volonté » à la Grande Loge, il passe à « L’Étoile de Carthage » du Grand Orient, à la fin des années 1920 ou au début des années 1930, avant de présenter sa démission le 7 décembre 1932.
8Nord Philippe, 2000, « Utopistes, radicaux et universalistes. Les francs-maçons aux origines de la IIIe République », in L.-P. Martin (dir.), Les francs-maçons dans la cité. Les cultures politiques de la franc-maçonnerie en Europe (XIXe-XXe siècles), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 59-76, [en ligne : https://books.openedition.org/pur/19603] ; Nicolet Claude, 1974, Le radicalisme, Paris, Presses universitaires de France ; Combes André, 2004, « Chapitre 4. Radicalisme et franc-maçonnerie », in S. Berstein, M. Ruby (dir.), Un siècle de radicalisme, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 71-79, [en ligne : https://books.openedition.org/septentrion/53048] ; Cohen-Hadria Élie, 1976, Du protectorat français à l’indépendance tunisienne. Souvenirs d’un témoin socialiste, Nice, Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (CMMC), 83-84. On y lit : « Lors des élections du Grand Conseil en 1928, le succès des socialistes à Tunis est triomphal. Ils ont la majorité et enlèvent trois sièges sur cinq : Duran-Angliviel, Arthur Pellegrin et Albert Cattan sont élus. »
9Jouini Elyès, 2023, op. cit., 645 (section « Le franc-maçon » du chapitre consacré à « Mzali, l’homme »).
10Aractingi Jean-Marc, 2018, Dictionnaire des francs-maçons arabes et musulmans (1re édition), Create Space Independent Publishing Platform, 88 ; 339 ; 466.
11Parti libéral constitutionnaliste tunisien fondé en 1920.
12Gourdot Paul, 1998, Les sources maçonniques du socialisme français, Monaco, Éditions du Rocher, 109-126 (« La franc-maçonnerie et la construction du socialisme français »).
13Mollier Pierre, 2003, « Le voile levé sur les archives "secrètes" de la franc-maçonnerie », in S. Laurent (dir.), Archives « secrètes », secrets d’archives ? Historiens et archivistes face aux archives sensibles, Paris, CNRS Éditions, 123-132, [en ligne : https://books.openedition.org/editionscnrs/1508] : « La dernière catégorie des archives maçonniques recouvre les archives des maçons eux-mêmes quant à leur engagement. C’est là un chantier à ouvrir car, paradoxalement, c’est probablement le type d’archives le plus rare. Pourtant les correspondances privées, les planches, c’est-à-dire les exposés que les frères font en loge, et tous ces documents personnels présentent les pensées et les réflexions des maçons avec des détails et des nuances infiniment plus fines que les comptes rendus de loge, forcément synthétiques. »
14On peut citer les mémoires de Mohamed-Salah Mzali, Jean Mons et Félicien Challaye qui font mention de leur affiliation à la franc-maçonnerie : Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit. ; Mons Jean, 1981, Sur les routes de l’histoire, Paris, Albatros ; Challaye Félicien, 1998 [1935], Un livre noir du colonialisme. Souvenirs sur la colonisation, Paris, Les Nuits Rouges. Pour la presse socialiste et radicale en Tunisie durant le protectorat, voir les hebdomadaires Tunis socialiste (1920-1956) et Le Courrier de Tunisie (1906-1956).
15En parcourant l’ouvrage du franc-maçon socialiste et pacifiste Félicien Challaye (1875-1967) paru en 1935 (op. cit.), nous avons relevé un extrait où il semble confesser la duperie dont il a été victime de la part de l’école « républicaine laïque de Jules Ferry ». Nous le reproduisons ici dans ses termes exacts, en retirant les sauts de ligne : « Quand je suis parti, il y a trente-cinq ans, pour le premier de mes grands voyages, je croyais naïvement ce qu’on m’avait enseigné dans les écoles de la République. Je croyais que la colonisation est une entreprise humanitaire, destinée à faire progresser des peuples de race inférieure au contact de la civilisation blanche. Je croyais que ces peuples arriérés sollicitent le concours des blancs, et qu’ils leur sont reconnaissants de cette aide dévouée. Je croyais que la France est la plus bienveillante de toutes les puissances colonisatrices, et que le loyalisme de ses sujets témoigne de leur gratitude. Quelques expériences, au cours de mon premier voyage autour du monde, ont suggéré mes premiers doutes sur la valeur humaine du régime colonial. Ces doutes ont pris de plus en plus de force, à mesure que j’étudiais de plus près la situation des diverses colonies. Enfin, s’est imposée à moi une certitude exactement opposée à ma première hypothèse : la colonisation n’est pas une entreprise humanitaire ; elle est un régime d’oppression politique ayant pour fin l’exploitation économique des peuples soumis » (ibid., 24).
16Voir dans Le Courrier de Tunisie du 21 février 1906 l’article dédié à la « Franc-maçonnerie » ; de même, dans Tunis socialiste du 27 avril 1927, « Un ordre du jour » ; voir également Arslan Chakib (1869-1946), La question de la séparation de la religion et de la politique dans le monde musulman actuel, volume II, 1re partie (en arabe), s. éd., 343-364.
17Voir Duran André, 1906, « La libre pensée tunisienne », Le Courrier de Tunisie, 5 octobre ; Bayet Albert, 1959, Histoire de la libre pensée, Paris, Presses universitaires de France, 108-126 (chapitre « Le XXe siècle. De la libre pensée à la laïcité »). Voir également Fédération internationale de la Libre pensée, 2010, Actes du Congrès de Rome. 1904 (compte rendu officiel), Libre Pensée-Theolib, 74-77 (au sujet des loges maçonniques de Tunisie qui ont adhéré et envoyé des représentants, parmi lesquelles « Le Progrès » de Sousse et « Veritas » de Tunis). Voir également le journal El Hadira des 11 et 18 octobre 1904, n° 815-816.
18Voir dans Tunis socialiste les articles publiés par Auriol Vincent, 1933, « La République en Tunisie », 13 juillet, et Pellegrin Arthur, 1933, « Questions tunisiennes. Évolution du Destour », 28 mai ; voir également Ozouf Mona, 2014, Jules Ferry. La liberté et la tradition, Paris, Gallimard, 46.
19Béna Jacky, 2011, Orient disparu. L’histoire des francs-maçons en Algérie, Toulouse, Privat, 40-44 (sur le congrès maçonnique tenu à Bizerte en 1905 relatif à l’émancipation des femmes musulmanes) ; voir également dans La Dépêche tunisienne : 1906, « L’esprit libéral du Coran », 12 février ; Benattar César, 1919, « La femme musulmane/Le voile (I) », 6 mars, et la suite : 1919, « La femme musulmane/Son rôle social (II) », 13 mars ; Geniaux Charles, 1909, Les musulmanes, Paris, Éditions du « Monde Illustré ». Voir également les articles suivants, dans L’Étendard tunisien : Bourguiba Habib, 1929, « Le voile », 11 janvier ; « Le "Durellisme" ou le socialisme boiteux (1) », 1er février, et la suite (2), 23 février ; Noëlle Ève, 1924, « Lettre aux dames musulmanes », 30 juin ; 1929, « Lettres d’une musulmane », 29 février.
20Durel Joachim, 1929, La politique coloniale du Parti socialiste, Tunis, Éditions de Tunis socialiste ; voir également Cattan Albert, 1908, Notes sur la colonisation. Français et indigènes, Tunis, Imprimerie générale, et son article paru en 1931, « Contre les nationalismes », Tunis socialiste, 16 janvier ; Millet Thierry, 2014, Le Tablier et le Tarbouche. Francs-maçons et nationalisme en Syrie mandataire, Paris, Garnier (en particulier le chapitre « Une franc-maçonnerie à l’épreuve du pouvoir nationaliste », 268-274).
21Cohen-Hadria Élie, 1947, « Le fait colonial », La Revue socialiste, n° 14, octobre, 303-312 ; Durel Joachim, 1929, La politique coloniale… op. cit. ; voir aussi les articles suivants parus dans Tunis socialiste : 1927 « Un ordre du jour » (art. cit., 27 avril) ; Ben Slama Habib, 1947, « Moncef Bey, Bourguiba. Indépendance ! », 28 juin ; Moati Serge, 1954, « Indépendance ? Oui. Sécession, non », 2 juillet.
22Perrier Antoine, 2023, Monarchies au Maghreb. L’État au Maroc et en Tunisie sous protectorat (1881-1956), Paris, Éditions de l’EHESS.
23Luizard Pierre-Jean, 2006, « La politique coloniale de Jules Ferry en Algérie et en Tunisie », in P.-J. Luizard (dir.), Le choc colonial et l’islam. Les politiques religieuses des puissances coloniales en terres d’islam, Paris, La Découverte, 89-120 ; voir également l’article d’Emmanuel Rodocanachi, journaliste reporter qui accompagne le résident général René Millet dans sa tournée à l’intérieur des territoires du protectorat : 1896, « L’assimilation française en Tunisie », Nouvelle Revue, 15 mai, 363-374. On y lit : « Tout arabe qui sait le français devient un client de la France au point de vue commercial, un ami de la France au point de vue moral ; la conquête par la parole est, de tous les moyens d’assimilation, le plus sûr et le plus prompt. Grâce au dévouement de ces maîtres, cette conquête est rapide ; il y avait en 1883 à peine cent cinquante enfants musulmans étudiant la langue française, aujourd’hui [1896], on en compte trois mille cinq cents, non compris les adultes. » Voir enfin Vermeren Pierre, 2020, « Le républicanisme et la franc-maçonnerie impériale en Tunisie », in P. Vermeren (dir.), La France en terre d’islam. Empire colonial et religions XIXe-XXe siècles, Paris, Tallandier, 209-223.
24Cette note est reproduite en annexe de la contribution de Habib Kazdaghli, supra, 144-146.
25Dans Le Monde du 5 février 1954 (« M. Mzali succéderait à M. Baccouche »), on peut lire : « M. Mzali peut se flatter de bénéficier de la confiance de Sidi Lamine : les nationalistes – tout au moins les néo-destouriens – seront à coup sûr beaucoup plus réservés. Dès hier soir le bureau politique du parti a en effet diffusé une déclaration qui ne laisse aucun doute sur son attitude à venir. Il rappelle ses positions de principe sur la restauration de la souveraineté interne de la Tunisie et l’instauration d’un régime constitutionnel et démocratique. Il ajoute que là est le problème essentiel, et qu’à ses yeux la substitution d’un ministère à un autre, si l’on s’en bornait là, ne serait qu’un expédient. Sans citer aucun nom, il affirme également qu’un dialogue utile ne saurait s’engager qu’en présence de ce qu’il appelle des "éléments représentatifs des forces vives de la nation". »
26Cohen-Hadria Élie, 1955, « Bilan de l’expérience Mendès France en Tunisie », La Revue socialiste, n° 85, mars, 231-241.
27Mabrouk Mohieddine, 1974, « L’idée de co-souveraineté appliquée à l’administration en Tunisie sous le protectorat », in Centre d’études et de recherches économiques et sociales (CERES) (dir.), Identité culturelle et conscience nationale en Tunisie (actes) ; également publié dans Les Cahiers du CERES, série sociologique, n° 2, juin 1975, 189-206 ; voir également Chaïbi Mohamed-Lotfi, 2018, « La présence maçonnique française en Tunisie, du protectorat aux négociations de l’indépendance à Paris de 1881 à 1956 », Revue d’Histoire maghrébine, vol. 45, fasc. 171, 15-30 ; 2016, « La suppression des loges maçonniques françaises et ses conséquences sur le mouvement national tunisien et le syndicalisme », Ensemble pour l’indépendance 1944-1951 (en arabe), t. I, Tunis, Centre de Publication universitaire, 50-61.
28Au sujet de « l’épisode complexe » de l’année 1954, voir la contribution d’Ahmed Ounaies, supra, 77-94.
Auteur
Historien contemporanéiste, ancien professeur d’enseignement supérieur à l’Université de Tunis, et ancien directeur de l’Institut supérieur d’Histoire du mouvement national (ISHMN, Tunis).
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