La position du Parti communiste tunisien (PCT) face au gouvernement Mzali
p. 123-147
Texte intégral
Introduction
1Dans ses mémoires intitulés Au fil de ma vie, parus à Tunis en 1972, Mohamed-Salah Mzali ne consacre à son mandat de « chef du gouvernement » (chapitre 9) que 19 pages sur un total de 3802. La brièveté du récit a surpris beaucoup de lecteurs qui s’attendaient à des développements plus longs et plus détaillés sur cette phase cruciale de la vie de l’auteur3, puisqu’il s’agit de la plus haute fonction que pouvait briguer un homme public et, de surcroît, l’un des plus hauts dignitaires du makhzen. Plus encore, il s’agit de la dernière haute fonction occupée par l’auteur de ces mémoires, et de sa dernière expérience politique avant que le pays ne s’engage, à partir de juillet 1954, dans des négociations avec la France qui aboutissent à l’autonomie interne en 1955, puis à l’indépendance en 1956. Mzali justifie sa décision d’accepter ce mandat de « délégué [du bey] pour cette nouvelle négociation »4 en affirmant qu’il a été guidé « à la lumière du simple bon sens sans passion et sans préjugés »5. Or, cette acceptation va déterminer les positions des forces politiques et syndicales, être à l’origine de leurs critiques, et parfois d’une opposition de leur part, comme dans le cas du Parti communiste tunisien (PCT). C’est la désapprobation de ce dernier qui fera l’objet de cette étude. De fait, ce court passage (un peu plus de cent jours) à la tête du gouvernement sera l’action la plus « contestée » de la longue carrière administrative et politique de Mohamed-Salah Mzali6.
2Pour mieux comprendre les positions de refus catégorique exprimées par le PCT d’abord à l’égard des « consultations » entamées à la fin de l’année 1953, et ensuite au cours de la période de mise en place du gouvernement Mzali, il faut rappeler le contexte politique général de l’époque. Le PCT était déjà bien entré depuis décembre 1951, tout comme les autres forces patriotiques, dans une démarche de contestation radicale des « illusions miroitées » par les autorités coloniales et dont la dernière en date, l’expérience du gouvernement Chenik, s’était terminée par la « fin de non-recevoir »7 opposée aux revendications tunisiennes et consignée dans la fameuse note du 15 décembre 19518. À partir de cette date, la voie est ouverte aux grèves de protestation politique9 et à l’affrontement direct avec les autorités coloniales. Ainsi, la répression sévit dès le matin du 18 janvier 195210, suite à l’arrivée d’un nouveau résident général le 13 janvier 1952, Jean de Hauteclocque11.
3Dès lors, l’opposition au colonialisme prend un caractère insurrectionnel (grève générale illimitée, incidents sanglants, ratissage du Cap Bon). La « question tunisienne » suscite un intérêt particulier sur la scène internationale, et la lutte du peuple tunisien attire sympathie et solidarité12.
4Pour désamorcer cette pression aussi bien interne qu’internationale, le gouvernement français procède à des « concessions » formelles pour tenter de faire baisser les tensions. C’est dans ce contexte que le plan présenté le 2 avril 1952 par le Premier ministre Baccouche et celui exposé le 11 juin 1952 par le ministre Robert Schuman à la tribune de l’Assemblée française sont rejetés par les forces anticolonialistes en Tunisie13. En effet, tout laisse à penser que la nomination d’un nouveau résident général, au mois de septembre 1953, s’inscrit dans la droite ligne des manœuvres tentées auparavant.
5Au début de l’année 1954, tous les militants et dirigeants du PCT, tout comme les militants destouriens et d’autres patriotes, font l’objet de poursuites. Ils partagent leurs cellules dans les prisons et les camps d’internement du Sud tunisien. Néo-Destour, PCT, syndicats et autres associations sont sur le pied de guerre et affichent, à travers déclarations, tracts, manifestations et actes de sabotage, une opposition claire et frontale à la politique coloniale. Ils demandent l’arrêt de la voie répressive engagée depuis le 18 janvier 1952 et la libération des prisonniers politiques.
6Telles sont les premières mesures exigées sur la voie de l’assainissement du climat politique qui pèse lourdement à la fin de l’année 1953. De ce fait, l’annonce d’une « nouvelle politique » suite à l’arrivée du résident général Pierre Voizard14 est reçue avec scepticisme, soumise à une sévère critique parce qu’elle est interprétée comme une nouvelle manœuvre des autorités coloniales.
Mises en garde contre les manœuvres du nouveau résident Voizard
7Nommé en septembre 1953 en remplacement de Hauteclocque, le nouveau résident Pierre Voizard entame dès le 3 octobre des consultations avec « des personnalités favorables au colonialisme »15 sans penser à assainir le climat politique encore marqué par la terreur des deux années précédentes. Dans une seconde phase, il contacte des personnalités nationalistes telles que « Aziz Jellouli [sic], Ali Bouhajeb, le Dr Cohen-Hadria à la tête d’une délégation de la Fédération socialiste, Nouri Boudali à la tête d’une délégation de l’UGTT [Union générale tunisienne du travail] et aussi maître Bessis »16. Le 14 octobre 1953, le nouveau résident général rencontre Tahar Ben Ammar. Ce dernier le « m[e]t en garde » et lui demande de négocier avec les « vrais patriotes, qui sont les représentants authentiques du peuple tunisien »17. Ces contacts vont se poursuivre durant les mois de novembre et décembre 1953.
8Fin janvier 1954, un mois avant l’annonce officielle de la composition du nouveau gouvernement, le journal communiste Sawt al-’Umma18 (Voix de la Nation), commentant le discours prononcé par le résident général à Paris, évoque l’inquiétude et la désapprobation partagées par tous les milieux19. Même si le discours est apprécié comme une forme de « reconnaissance » des aspirations légitimes du peuple tunisien, le journal met en garde les lecteurs contre « le caractère ambigu du contenu des réformes » et les partenaires qui seront choisis pour négocier au nom du peuple20. Les informations qui fuitent autour des contacts entrepris par le résident général pour la formation d’un nouveau gouvernement attirent les foudres d’autres composantes de l’échiquier politique21.
9Si le journal communiste relève l’unanimité faite contre le gouvernement Baccouche22, la solution ne réside pas uniquement, selon lui, dans la nomination de nouvelles personnalités politiques. C’est « avant tout une question de politique et de programme »23. Il affirme que l’essentiel réside dans le fait que « les négociations ne peuvent se faire que sur la base des revendications nationales ». De son point de vue, « toutes les bonnes intentions doivent commencer par la libération des déportés et par l’amnistie générale ». Le journal rappelle à ce propos le cas du leader Habib Bourguiba, toujours interné sur l’île de La Galite. Poursuivant l’action de mise en garde, un autre article appelle à se montrer prudent face aux « rumeurs persistantes sur un éventuel changement de gouvernement »24. Pour son auteur :
[...] le plus important est de changer de programme, tout d’abord de renoncer à la co-souveraineté et de procéder à de véritables réformes [...] La nation demande la souveraineté tunisienne25.
10Il rappelle ensuite qu’un tel changement ne pourra se produire que « sur la base de l’union et l’unité des forces nationalistes »26. Afin de dissuader de toute manœuvre consistant à remplacer des personnes par d’autres, l’auteur de l’article insiste sur le fait qu’il est plus important de « reconnaître la légitimité des revendications nationales et de montrer la bonne volonté à les réaliser »27, et note qu’il est nécessaire de « relever l’unanimité autour de l’idée du combat contre la colonisation, unanimité que les déclarations des partis destourien et communiste confirment ». Il ajoute cependant que ce qui manque terriblement, ce sont les « actions communes et unitaires entre les deux partis destourien et communiste ». Il conclut, dans une allusion évidente au Néo-Destour, que l’union qui, par le passé, « n’était pas recherchée parce que certaines forces pensaient pouvoir compter sur le soutien américain », s’impose « après l’expérience vécue à l’Assemblée des Nations unies qui a montré qu’aujourd’hui de telles illusions n’ont plus leur place après les positions exprimées par les États-Unis ».
11Les communistes exacerbent les pressions et les critiques en rendant publique une lettre ouverte adressée aux éventuels ministres tentés de faire partie de « l’équipe mzaliste ». La lettre les invite à « tirer toutes les leçons des expériences passées et à ne pas contribuer à l’éparpillement du mouvement national »28.
12Au début du mois de mars 1954, lorsque le nouveau gouvernement Mzali est finalement annoncé, les communistes entament une nouvelle phase d’opposition à ce que l’on nomme « les réformes Mzali-Voizard ».
Les réformes Mzali-Voizard, une « fausse solution » selon les communistes
13Les réformes Mzali-Voizard sont d’abord annoncées par les journaux parisiens29. La nouvelle initiative donne au PCT l’occasion de se livrer à une critique totale du contenu de ce programme qualifié de « fausse solution ». Les communistes vont dès le début du mois de mars 1954 la dénoncer dans de nombreuses publications. Outre les critiques partielles du programme des réformes qu’ils publient dans les livraisons hebdomadaires de Sawt al-’Umma, ils rassemblent leurs griefs dans une étude approfondie qui paraît dans la revue française Démocratie Nouvelle30 sous la plume de Mohamed Ennafâa31, secrétaire du PCT. Mzali, quant à lui, écrit dans ses mémoires que :
la simple comparaison de ces chiffres [i. e. du nombre de membres français et de membres tunisiens dans le Conseil des ministres] avec ceux qui les ont précédés fait apparaître clairement qu’il s’agissait bien d’un renversement de la vapeur32.
14La suprématie des Tunisiens au Conseil des ministres est, de son point de vue, « l’étape préparatoire annonciatrice de la tunisification intégrale du gouvernement »33. Réfutant cette opinion favorable, Mohamed Ennafâa considère au contraire que l’ensemble de l’opération constitue « une fausse réponse » et non « une réponse réelle », et que les réformes ne sont que la « dernière trouvaille des impérialistes »34. Pour lui, il « s’agit plutôt de réformes trompeuses, destinées à maintenir, sous des vocables que l’on voudrait neufs », une situation qui maintient le déséquilibre. Pour le secrétaire du PCT, la première condition nécessaire au succès de toute nouvelle politique est la garantie d’un contexte politique stable dans lequel les réformes annoncées puissent être réalisées. Or, écrit-il, « la Tunisie a connu depuis décembre 1951 une politique de maintien de l’ordre », une répression « qui s’est déchaînée contre les organisations du mouvement national et leurs dirigeants ». Mzali écrit dans ses mémoires qu’il est très conscient d’un tel impératif :
Dès le début de mes contacts avec Voizard, mon premier souci a été d’obtenir de lui l’annulation des mesures de coercition édictées par Hauteclocque contre une foule de Tunisiens […] Il fallait, préalablement aux conversations projetées, recréer un climat de calme et de confiance35.
15Évaluant les mesures annoncées, Ennafâa reconnaît qu’elles comportent des gestes qui constituent un préalable pour gérer la crise, pour gouverner d’une manière nouvelle. Il est vrai qu’« on changea donc de résident » et qu’« on parla beaucoup d’apaisement », mais sans « renoncer à l’arme de la répression »36. Il note dans son étude que les « colonialistes français ont eu recours à des manœuvres » et que l’on s’est mis à la recherche de personnalités pour « cautionner leur nouvelle politique » ; car, ajoute-t-il, « Baccouche, installé à la faveur de la terreur policière, ne pouvait plus remplir de rôle »37. Le fait de trouver une personne pour former un gouvernement apparaît à Ennafâa comme « une réussite [des colonialistes] qui détachent du mouvement national certains éléments instables » (sic) pour constituer le ministère Mzali38. Il considère que la « réussite » est double, puisqu’en plus de la formation du gouvernement, on arrive « également à faire sceller par le bey les réformes du 4 mars dernier »39, en obtenant « sa caution ».
Une « réédition » du contenu de la note du 15 décembre 195140
16Dans ses mémoires, Mzali revient sur la question « des réformes auxquelles ont abouti [les] discussions ». Il considère que l’on doit bien les analyser pour « [...] juger sainement de [leur] portée […] et décider notamment si elles constituaient un pas en avant vers l’émancipation ou, au contraire, une régression favorable à la consolidation du colonialisme »41.
17Quinze ans après les faits, Mzali semble donc persister dans ses convictions. Il continue à considérer que ces nouvelles mesures sont positives : « il convient de se reporter un peu en arrière et de jeter un coup d’œil sur l’évolution des institutions en Tunisie depuis les débuts du protectorat42. » À l’inverse, Ennafâa considère que les réformes annoncées par Mzali et Voizard « ne tiennent aucun compte des revendications nationales » et qu’« elles maintiennent "la co-souveraineté" colonialiste comme un principe intangible »43 ; « la majorité des sièges donnés à des Tunisiens au sein du Conseil des ministres ne supprime pas dans les faits le régime de la co-souveraineté. » Ennafâa estime que le titre de président du Conseil accordé pour la première fois au Premier ministre ne doit pas occulter le fait que le poste de secrétaire général reste tenu, depuis sa création, par un Français qui est « l’œil du résident général », auquel est attribué le nouveau titre de secrétaire à la présidence du Conseil44.
18Il reconnaît l’effort fait dans l’augmentation du nombre de ministres tunisiens45, mais il considère que le changement est de pure forme : l’exécutif demeure toujours sous domination française avec un résident général « dont les pouvoirs restent illimités » et des directeurs français qui « détiennent les postes-clés du pays et les principaux rouages de l’administration tunisienne »46. Le principe de « co-souveraineté » tant décrié par les communistes et par tous les nationalistes se trouve maintenu dans le mode de représentation proposé par les réformes Mzali-Voizard, même si le terme de « Grand Conseil »47 est remplacé par celui d’« Assemblée tunisienne ». Or, pour Mzali, la « co-souveraineté » n’est pas synonyme de minorisation des Tunisiens par rapport aux Français48. Se livrant à une « esquisse historique », il affirme en toute confiance que la co-souveraineté :
est une formule qui a été inventée non pour réduire les droits des Tunisiens mais, au contraire, pour leur restituer une part de la souveraineté qui leur avait été totalement ravie au profit des autorités françaises49.
19Il remonte alors aux origines du système de représentation législative en Tunisie établie par les autorités coloniales en 1896, pour en venir à l’« Assemblée tunisienne » prévue par les réformes de 1954. Il affirme que « le qualificatif inclus dans la dénomination se voulait prometteur de sa vocation à l’unité de composition, par l’élimination progressive des éléments étrangers »50. Mais Ennafâa réfute cette justification en avançant qu’il s’agit d’un simulacre d’assemblée tunisienne, d’une « assemblée […] flanquée d’une délégation des Français de Tunisie »51. En réalité, lorsqu’il s’agit de délibérer sur des questions importantes telles que « le vote du budget ou les problèmes de la législation financière », on « ressuscite l’ancien Grand Conseil », estime Ennafâa, avec « une parité entre les représentants des 150 000 Français et les représentants de plus de 3 millions de Tunisiens »52. Il ajoute que cette assemblée qu’on projette de mettre en place, et qui n’a de tunisien que le nom, « n’a qu’un pouvoir consultatif tout à fait théorique ».
20L’autre grief reproché à cette assemblée concerne sa structure composée de deux sections : la première est réservée aux Tunisiens (45 membres), et l’autre section (42 membres) est attribuée aux Français. Tout comme Ennafâa dans son article paru dans Démocratie Nouvelle, le journal Sawt al-’Umma s’insurge contre la parité de représentation presque totale entre une majorité de 3 millions de Tunisiens et une minorité de 150 000 Français53. Mohamed Ennafâa s’attarde sur la loi électorale organisant le mode d’élection des membres des deux sections de l’Assemblée tunisienne. Ainsi, écrit-il, « contrairement aux Français, élus au suffrage universel, les Tunisiens éliront leurs représentants au suffrage à deux degrés, ce qui permet le tri des candidats »54. De même, il reproche au code électoral son caractère exclusif. En effet, « les femmes sont écartées du scrutin » et « les jeunes doivent avoir 30 ans pour être éligibles et 25 ans pour être électeurs »55.
21Les critiques formulées par Ennafâa concernent, outre le caractère discriminatoire de la loi électorale et l’absence de pouvoir réel de l’Assemblée promise par les réformes Mzali-Voizard, le « climat de répression toujours maintenu, malgré les bruits qui sont faits autour des mesures d’apaisement »56, climat défavorable à la tenue de ces élections. Pour toutes ces raisons, Ennafâa arrive à la conclusion que dans un pays « en état de siège et d’absence de libertés essentielles, les élections préconisées n’auront pas plus de valeur que celles déjà organisées en 1953 par de Hauteclocque »57.
22Ainsi, après avoir présenté les réformes comme une « fausse solution », les communistes déclarent leur opposition totale au gouvernement Mzali, dont la formation est annoncée le 2 mars 1954.
Opposition des communistes au gouvernement Mzali
23Dès le 2 mars, le PCT diffuse un communiqué où il affirme son refus de la nouvelle équipe gouvernementale, et prévoit que « le peuple tunisien s’opposera à toutes les manœuvres colonialistes »58. Le communiqué exprime la conviction des dirigeants communistes que ces directeurs vont continuer à dominer « le pays de haut en bas ». Il déplore les insuffisances « qui ont empêché l’union des forces, facilitant ainsi les manœuvres, et ce malgré l’union exprimée autour des objectifs communs »59, ainsi que le refus de certaines personnalités de s’allier aux communistes de peur que cette alliance ne les prive du soutien américain. L’objectif du moment, conclut le communiqué, est « l’action pour obtenir l’amnistie pour tous les prisonniers ainsi que la lutte pour l’obtention d’une assemblée nationale tunisienne souveraine et d’un gouvernement responsable »60.
24Le même numéro de Sawt al-’Umma relève que dans le gouvernement qui vient d’être constitué siègent trois ministres, Mohamed-Salah Mzali, Mohamed Saâdallah et Mohamed Ben Salem, qui faisaient déjà partie du gouvernement de M’hamed Chenik (1950-1952) et qui avaient été parmi les signataires de la plainte adressée en mars 1952 aux Nations unies61. Le même journal rappelle que ce gouvernement compte en son sein le ministre Abdelkader Belkhodja, qui a lui-même fait « le déplacement au siège des Nations unies à Paris pour déposer la plainte de la Tunisie »62. Aux yeux du PCT, leur participation au nouveau gouvernement montre qu’ils ne semblent pas avoir tiré les leçons des échecs du gouvernement Chenik.
25À vrai dire, Mzali n’a pas lésiné sur les efforts pour essayer d’élargir la base de son gouvernement. Ainsi, le 19 février 1954, il propose à Tahar Ben Ammar « d’entrer au gouvernement en qualité de vice-président du Conseil, ministre de l’Agriculture », mais ce dernier repousse l’offre sèchement63. De même, il tente de s’ouvrir aux destouriens en proposant à Hédi Nouira de participer au gouvernement ; s’il en accepte le principe, il se rétracte par la suite et finit par refuser – à la demande, semble-t-il, de Tahar Ben Ammar64. Toutefois, ce dernier ne parvient pas à convaincre trois de ses proches de ne pas faire partie du gouvernement65, et ses tentatives pour faire avorter la formation politique que l’on s’apprête alors à annoncer demeurent vaines66.
26L’installation du nouveau gouvernement a lieu le 2 mars, date à laquelle le bey nomme officiellement Mohamed-Salah Mzali président du Conseil, le décore des insignes de l’Ordre du sang (Nishān ad-Dam) et approuve la composition du gouvernement67. Le 4 mars, le bey scelle six décrets-lois relatifs aux réformes. Mais le changement, préparé durant cinq mois, ne remporte pas l’adhésion espérée. À peine les textes des réformes sont-ils publiés qu’apparaît un mouvement de refus et de protestation contre celles-ci, auquel les étudiants de la Zitouna prennent part. Il se traduit par une grève générale et l’envoi de pétitions. De son côté, le Néo-Destour semble en proie à une dissension interne68 quant à la position à adopter vis-à-vis de ces changements. Finalement, le 10 mars, son bureau politique dénonce les réformes. Le lendemain est annoncée la démission de Hédi Nouira du bureau politique du Néo-Destour69.
27L’annonce des noms du nouveau gouvernement ne contribue pas à calmer les esprits. Même si, dans ses mémoires, Mzali rapporte qu’il a « romp[u] la tradition de demeurer trois jours à la maison pour recevoir les congratulations » afin de se « [mettre] au travail »70, les mois de mars et avril connaissent une reprise des embuscades armées menées par les résistants « fellagas » à l’encontre de l’armée française, d’abord à Sidi Bouzid, puis à Gafsa, Matmata, Metlaoui et Om Larayes. Ainsi, « les revendications patriotiques sont désormais soutenues par un soulèvement populaire armé »71. Les mesures prises par le gouvernement, telles que la remise en circulation de plusieurs journaux – comme Sawt al-’Umma qui réapparaît le 29 janvier 1954, et As-Sabah72 dont la suspension prend fin début mars 1954 – ainsi que la libération d’un certain nombre de détenus, apaisent les tensions et favorisent la prise de conscience collective. Comparée au poids et à l’impact de la réaction du Néo-Destour, la riposte communiste menée par l’Union syndicale des travailleurs de Tunisie (USTT), les associations proches du PCT et notamment le Mouvement de la Paix dirigé par le docteur Slimane Ben Slimane, apparaît marginale, mais elle contribue à amplifier le rejet du gouvernement Mzali. Ainsi, au mois d’avril, dès que ce dernier décide d’entamer la mise en œuvre des réformes en projetant la préparation des élections, des campagnes sont menées contre leur tenue car :
elles risquent d’avoir lieu dans une atmosphère politique étouffante, d’autant plus que les grèves des étudiants zitouniens ont été réprimées, faisant deux morts parmi les manifestants, et que l’on a procédé à la pendaison de trois militants de Moknine73.
28La répression continue dans un climat politique de plus en plus asphyxiant dont la presse se fait l’écho. En effet, tandis que l’on procède à la libération de certains détenus que l’on place en résidence surveillée, l’on envoie en prison d’autres militants, la presse signale l’interdiction du journal Al Akhbar, et un tract du PCT exprimant son point de vue au sujet de la grève des étudiants zitouniens est saisi. Cette atmosphère tendue74 donne lieu à des initiatives pour la remise en question des élections de l’Assemblée, dont on se demande si elles ne connaîtront pas le même sort que les municipales de 1953, largement boycottées75. Tout en rappelant que « le front national est la voie du salut »76 dans un contexte politique où les positions se rejoignent, le PCT semble suivre impuissant les actions unitaires auxquelles on refuse de l’associer. C’est le cas de la réunion tenue le 8 avril, à laquelle participent 150 représentants du mouvement national appartenant aux différentes sensibilités77, sans que les communistes y soient associés. Sous le titre « S’agit-il d’un vrai front national ? », un article du journal Sawt al-’Umma s’interroge au sujet de cette exclusion et s’en indigne. On n’hésite pas à dénoncer la supercherie :
Comment ose-t-on appeler cette réunion « front national » alors qu’il n’a été question que d’organisations et de personnalités réunies autour du Néo-Destour pour exprimer leur opposition aux réformes ?78
29L’article rappelle que les communistes ne cessent de marteler qu’ils sont les « défenseurs de l’unification des forces politiques » et qu’ils apportent leur « soutien à tout pas allant dans ce sens ». Constatant que « cette réunion a rassemblé toutes les composantes excepté l’USTT et le PCT », et qu’elle « a réuni la famille destourienne et la tendance socialiste représentée par Chedly Rhaiem »79, chef « d’un syndicat qui se dit autonome », l’auteur s’étonne que l’on invite à la réunion une association peu représentative tandis qu’on en exclut l’USTT. L’auteur attribue cette volonté de marginalisation à une idéologie « anti-communiste »80. Les délibérations des représentants aboutissent à la rédaction d’un texte qui est remis au bey par Tahar Ben Ammar le 20 avril 1954 : la note rejette les réformes du 4 mars81.
30Une des conséquences de cette mobilisation contre les réformes est la constitution d’un comité provisoire pour les demandes d’amnistie des prisonniers. Le journal communiste, qui rapporte l’information, se déclare favorable à cette initiative et s’engage à la diffuser82. Le Comité tunisien pour l’amnistie poursuit la collecte des signatures et appelle les citoyens à rester actifs, tandis que le bureau politique du PCT salue sa création. Il prend acte du fait que l’initiative en revient à « des patriotes appartenant à différentes opinions » et « appelle tous les citoyens à prendre part aux travaux de ce comité et tous les militants communistes à participer activement à la signature de la pétition »83. Le docteur Ben Abda, un des membres actifs du comité, interrogé par le journal communiste, révèle que « sa formation a été dictée par l’exécution des militants de Moknine »84.
31Les communistes saisissent toutes les occasions pour entretenir la flamme de la mobilisation. À l’approche de la date du 12 mai marquant le 73e anniversaire de l’établissement du protectorat par la force, le journal Sawt al-’Umma rappelle que « le peuple tunisien a toujours lutté contre la colonisation », et ajoute que :
[...] ce combat va donner à la lutte d’aujourd’hui un sens nouveau, et au peuple la confiance et la détermination sur le fait que l’indépendance ne sera jamais offerte sur un plateau, mais acquise par la lutte effective sur le sol national. Nous sommes aujourd’hui à l’ère des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, les forces coloniales subissent partout des revers85.
32Apportant leur soutien à la Commission d’amnistie, les communistes se mobilisent pour assurer le succès de la réunion publique tenue le 11 mai 1954 et présidée par le docteur Ben Abda. L’orateur y rappelle que l’objectif du comité est d’obtenir l’amnistie générale. Parmi les intervenants figurent Tahar Guiga, Serge Moati, Hamadi Cherif, Tahar Sfar et Mohamed Harmel86. La campagne de mobilisation semble porter ses fruits puisque Sawt al-’Umma publie une information selon laquelle est prévue la « libération prochaine de 400 détenus » ; il annonce que « le leader Bourguiba87 a été transféré de son lieu de détention à La Galite pour une île en France », et que « trois militants internés à Tataouine vont être déplacés dans le Nord du pays »88.
33Près de trois mois après la mise en place du gouvernement, ces mesures « tardives », comme le note Mohamed-Salah Mzali dans ses mémoires, n’ont pas eu l’effet escompté89, d’autant que moins d’une semaine après, le 26 mai 1954, les autorités militaires exécutent deux patriotes tunisiens, de même que l’on procède à l’envoi de 200 patriotes à la prison de Lambèze, en Algérie90. Ces mesures contradictoires, qui ne peuvent qu’aigrir les esprits, ne permettent pas la mise en place des réformes et ouvrent la voie à un double mécontentement : d’une part celui de la droite française et des « prépondérants » qui estiment le gouvernement « responsable de l’insécurité des colons »91, et d’autre part celui des nationalistes qui lui reprochent la répression et l’inaction.
34C’est dans ce contexte tendu que le 28 mai 1954, Mzali fait l’objet d’une tentative d’assassinat à sa sortie du Palais de la Kasbah92. S’il évite les balles de justesse, l’acte sonne le glas du gouvernement.
La chute du gouvernement Mzali
35Au début du mois de juin 1954, la situation est tendue et les menaces fusent de toutes parts. Le chef du gouvernement et ses ministres reçoivent des lettres de menace, les prépondérants et les colons annoncent les pires représailles93. Le bureau politique du PCT, dans un communiqué rendu public le 5 juin 1954, réfute les allégations selon lesquelles les organisations et les partis tunisiens seraient responsables de la détérioration de la situation sécuritaire. Bien au contraire, le communiqué attribue la responsabilité du climat délétère :
[...] au gouvernement français qui mène en Tunisie une politique opposée aux revendications légitimes du peuple tunisien et aux négociations, leur préférant les déportations, les camps d’emprisonnement et l’exécution des patriotes […] [Le PCT] exprime sa volonté d’unir les efforts de toutes les forces politiques et regrette de voir le gouvernement français opposer une fin de non-recevoir à tous les appels94.
36De son côté, la Commission dédiée continue sans relâche de mener des actions pour l’obtention d’une amnistie générale pour tous les détenus, y compris ceux de l’île de Groix95. Dans le même ordre d’idées, il adresse une lettre au président de la République française pour protester contre les dernières exécutions96. Sawt al-’Umma revient également sur les pressions exercées par certaines parties en vue de l’exclusion des communistes, qui risquent de mettre en péril les activités du Comité97.
37C’est dans ces circonstances que le 17 juin 1954, Mzali décide de présenter sa démission au bey et au résident général. Pour lui, l’heure d’un changement de l’orientation de la politique française en matière coloniale est venue, surtout après la reddition de l’armée française à Diên Biên Phu le 7 mai dernier. Sous l’effet de cette débâcle historique, le gouvernement Laniel tombe, et Pierre Mendès France est appelé le 13 juin à former un nouveau gouvernement98.
38Les communistes, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour s’opposer au gouvernement Mzali, prennent acte de la nouvelle situation et considèrent que « sa chute [i. e. celle du gouvernement] n’est pas une surprise pour le peuple tunisien qui savait, dès le départ, que son espérance de vie ne pouvait être longue ». Pour le Parti communiste :
cette chute est le fruit de la lutte du peuple tunisien et de l’opposition des forces politiques, car le peuple tunisien avec toutes ses organisations politiques et sociales n’a jamais soutenu ce gouvernement, qui s’est formé contre sa volonté. Il s’agit d’un gouvernement qui a accepté de collaborer avec les colonialistes et de mettre en place des réformes qui reconnaissent la co-souveraineté99.
39Le départ de Mzali est interprété par les communistes comme « un aveu d’échec pour les forces colonialistes », de même qu’il démontre à toute personne qui voudrait « collaborer » avec les autorités coloniales « qu’il est impossible d’obtenir un résultat sans l’accord du peuple »100. Les communistes tunisiens font le parallèle entre le sort du gouvernement Mzali et celui du gouvernement Laniel. De leur point de vue, « en France, le peuple a obligé Laniel à abdiquer grâce à l’appel aux luttes du Parti communiste français » ; ils se félicitent que le nouveau Premier ministre, Pierre Mendès France :
[...] ait réussi à former un nouveau gouvernement et même à avoir le soutien du PCF, tout simplement parce qu’il a promis de tout mettre en œuvre pour réaliser la paix au Vietnam101.
40Ils semblent confiants face aux changements survenus en France, et appellent le peuple tunisien à porter un intérêt particulier « à la montée au pouvoir, en France, d’un homme qui propose une autre politique ». Les communistes tunisiens se montrent encore davantage rassurés au début du mois de juillet, puisque le gouvernement Mzali est empêché de continuer à gérer les affaires courantes en attendant la formation d’un nouveau gouvernement. Mais ces changements, jugés positifs par les communistes, vont-ils les mettre en meilleure posture dans la situation actuelle ? Permettront-ils de mettre un terme à leur marginalisation, qui semble effective depuis un bon moment ? Lors du Ve congrès du PCT au mois de mai 1956 (soit deux mois après la prise d’indépendance), le rapport présenté par Mohamed Ennafâa revient sur cette phase de l’histoire du pays :
Le résident Voizard qui succéda à de Hauteclocque, tout en maintenant sous des formes différentes la politique de force, tenta le recours aux manœuvres de division du mouvement national. Mais le ministère Mzali qu’il réussit à constituer s’effondra au bout de cent jours et le plan de réformes qu’il élabora fut rejeté par notre peuple unanime102.
41On voit que le PCT continue d’assumer et de revendiquer son rôle dans l’échec du gouvernement Mzali, échec qui a contribué à l’indépendance de la Tunisie. Mais il ne parvient pas à expliquer les raisons de son isolement, puisque sur les douze listes qu’il présente aux élections de l’Assemblée constituante le 25 mars 1956, aucune n’arrive à obtenir la majorité des voix dans une circonscription. Ce bilan nettement négatif après tant de sacrifices consentis va déclencher un débat interne au sein du PCT, qui aboutira à la tenue d’un congrès extraordinaire en décembre 1957, baptisé « congrès de la Déstalinisation ».
Bibliographie
Sources imprimées
Ennafâa Mohamed, 1956, La voie d’une indépendance complète au service du peuple, rapport présenté au Ve congrès national du Parti communiste tunisien (Tunis, 18-19-20 mai 1956).
Parti communiste tunisien (PCT), 1954, « Appel du comité central du PCT », tract, avril.
Ouvrages, chapitres d’ouvrages et articles
Ben Ammar Chedly, 2017, Tahar Ben Ammar, homme d’État. La force de la persévérance, Tunis, Éditions Chedly Ben Ammar.
Hamza Hassine Raouf, 1994, Communisme et nationalisme en Tunisie. De la libération à l’indépendance (1943-1956), Tunis, Centre de Publication universitaire.
Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], Au fil de ma vie, suivi de Jouini Elyès, 2023, Mohamed-Salah Mzali. L’intellectuel et l’homme d’État, Tunis, Cérès Éditions-Beït al-Hikma-IRMC.
Presse
Ennafâa Mohamed, 1954, « La Tunisie n’est pas dupe », Démocratie Nouvelle, n° 5, mai.
Ettaliaa (L’Avant-garde) :
- 21 décembre 1951 ;
- année 1952.
Le Petit matin :
- 11 mars 1954 ;
- 27 avril 1954.
Sawt al-’Umma (Voix de la Nation) :
- 5 février 1954, n° 2 ;
- 12 février 1954, n° 3 ;
- 19 février 1954, « Réalisons l’unité dans l’action », n° 4 ;
- 26 février 1954, n° 5 ;
- 5 mars 1954, n° 6 : communiqué du PCT daté du 2 mars 1954 ; rubrique « Chronique hebdomadaire » ;
- 2 avril 1954, n° 10 ;
- 9 avril 1954, n° 11 ;
- 16 avril 1954, n° 12 ;
- 23 avril 1954, n° 13 ;
- 30 avril 1954, n° 14 ;
- 8 mai 1954, n° 15, « La nation aspire à l’indépendance » ;
- 15 mai 1954, n° 16 ;
- 22 mai 1954, n° 17 ;
- 26 mai 1954, n° 18 ;
- 5 juin 1954, n° 19, communiqué du bureau politique du PCT ;
- 11 juin 1954, n° 20 ;
- 25 juin 1954, n° 23.
Annexe
Notes de bas de page
2Dans la dernière édition (2023) coordonnée par Elyès Jouini et agrémentée de photographies et de diverses archives, ce même chapitre occupe une trentaine de pages. La présente contribution reprend la pagination de cette dernière édition : Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], Au fil de ma vie, suivi de Jouini Elyès, 2023, Mohamed-Salah Mzali. L’intellectuel et l’homme d’État, Tunis, Cérès Éditions-Beït al-Hikma-Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC).
3Ben Ammar Chedly, 2017, Tahar Ben Ammar, homme d’État. La force de la persévérance, Tunis, Éditions Chedly Ben Ammar, 235. L’auteur commente sévèrement le fait que « Mzali n’a pas jugé utile de s’arrêter sur cette période de son parcours politique qui avait constitué une pierre d’achoppement sur la voie d’une pseudo-émancipation nationale et qui s’était caractérisée par une collusion avec les autorités coloniales ».
4Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 431.
5Ibid., 432.
6Ce court passage lui sera reproché après l’indépendance et sera à l’origine de toutes les accusations portées contre lui, de sa comparution devant les tribunaux et de sa marginalisation dans l’espace public. Voir à ce sujet la contribution d’Ahmed Ounaïes, supra, 77-94.
7Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 661.
8Cette note est retranscrite en intégralité dans les mémoires de Mohamed-Salah Mzali (ibid., 387-391) et en annexe de cette contribution (voir infra, 144-146).
9Le journal Ettaliaa (organe central en langue arabe du PCT) du 21 décembre 1951 annonce une grève nationale de trois jours les 21, 22 et 23 décembre 1951, pour protester contre le refus du gouvernement français de répondre positivement aux demandes du gouvernement Chenik.
10Ettaliaa du 19 janvier 1952 annonce en première page le bilan sanglant de la veille. On dénombre dix morts et des centaines de blessés, l’arrestation des leaders destouriens Habib Bourguiba et Mongi Slim, ainsi que des chefs communistes Mohamed Ennafâa, Maurice Nisard, Jacques Belaiche, Mohamed Jerad et Khmaïs El Kaabi, qui sont envoyés dans le Sud tunisien.
11Jean de Hauteclocque, né le 11 février 1893 et décédé le 27 décembre 1957, a exercé les fonctions de résident général de France en Tunisie du 13 janvier 1952 au 2 septembre 1953.
12Hamza Hassine Raouf, 1994, Communisme et nationalisme en Tunisie. De la libération à l’indépendance (1943-1956), Tunis, Centre de Publication universitaire, 255.
13Ibid., 256.
14Pierre Voizard, né le 22 août 1896 et décédé le 21 décembre 1982, est résident général de France en Tunisie de septembre 1953 à juillet 1954.
15Ben Ammar Chedly, 2017, op. cit., 229.
16Ibid., 230.
17Ibid. : « Tahar Ben Ammar avait mis en garde le résident général et lui avait demandé de négocier avec les vrais patriotes, qui sont les représentants authentiques du peuple tunisien et qui incarnent ses aspirations, faute de quoi Voizard connaîtra le même échec cuisant que son prédécesseur de Hauteclocque. »
18Sawt al-’Umma (Voix de la Nation) est un journal hebdomadaire communiste en langue arabe. Les autorités permettent sa parution en signe d’apaisement, alors que l’organe officiel Ettaliaa est interdit depuis février 1952, tout comme L’Avenir de la Tunisie, publié en langue française. Le premier numéro du nouvel hebdomadaire est daté du 29 janvier 1954. Les traductions de Sawt al-’Umma dans cette contribution sont de l’auteur.
19Sawt al-’Umma du 5 février 1954, n° 2.
20Ibid.
21Ben Ammar Chedly, 2017, op. cit., 230.
22Slaheddine Baccouche, né le 14 août 1883 et décédé le 24 décembre 1959, est le chef du gouvernement du bey de mars 1952 à février 1954.
23Sawt al-’Umma du 12 février 1954, n° 3.
24Sawt al-’Umma du 19 février 1954, « Réalisons l’unité dans l’action », n° 4.
25Sawt al-’Umma du 12 février 1954, n° 3.
26Ibid.
27Sawt al-’Umma du 19 février 1954, n° 4.
28Sawt al-’Umma du 26 février 1954, n° 5.
29Notamment Le Monde du 3 mars 1954 (« M. Mzali devient président du conseil de Tunisie »), ou encore le journal Combat du même jour (« Le Cabinet M’zali [sic] a été constitué »).
30Ennafaâ Mohamed, 1954, « La Tunisie n’est pas dupe », Démocratie Nouvelle, n° 5, mai, 293-296.
31Mohamed Ennafâa, né le 28 août 1917 à Jendouba et décédé le 17 octobre 2007 à Tunis, intègre le PCT en 1943, où il occupe des rôles de premier plan à partir de mai 1948 suite à l’exclusion d’Ali Jerad, secrétaire du Parti depuis juin 1936. Ennafâa est arrêté et envoyé dans les territoires du Sud tunisien le 18 janvier 1952. Il profite d’une permission qui lui est accordée d’assister à l’enterrement de sa sœur pour entrer dans la clandestinité à partir du 6 février 1953.
32Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 437.
33Ibid.
34Ennafaâ Mohamed, 1954, art. cit., 293.
35Ibid., 432. Mzali écrit que « le résident a aussitôt libéré par vagues successives de nombreux hôtes des prisons ou des camps […] Seul le cas du leader Habib Bourguiba demeurait réservé. J’insistais sur sa libération de La Galite et Voizard n’y était pas opposé. Mais le gouvernement français se montrait réticent. »
36Ennafaâ Mohamed, 1954, art. cit., 293.
37Ibid.
38Ibid., 295.
39Ibid., 293.
40Voir l’annexe infra, 144-146.
41Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 432.
42Ibid.
43Ennafaâ Mohamed, 1954, art. cit., 293.
44Ibid.
45Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 436-437 : « Les réformes du 4 mars 1954 ont porté le nombre des ministres tunisiens à huit par la création du portefeuille de l’Urbanisme et de l’Habitat. Par contre, elles ont réduit le nombre des membres français, en écartant du Conseil le secrétaire général adjoint et directeur des PTT [Postes, Télégraphes et Téléphones], en supprimant le commissaire de la Reconstruction au Logement […] Pour la première fois dans l’histoire, les ministres tunisiens étaient en majorité […] La suprématie des Tunisiens au Conseil des ministres était l’étape préparatoire annonciatrice de la tunisification intégrale du gouvernement. »
46Ennafaâ Mohamed, 1954, art. cit., 295.
47Le Grand Conseil, assemblée de représentation législative instituée par le décret du 13 juillet 1922, est lui-même venu remplacer la conférence consultative créée par un arrêté résidentiel du 22 février 1896. Au départ exclusivement réservée aux Français de Tunisie, la représentation sera étendue aux Tunisiens par un décret datant du 2 février 1907.
48Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 439 : « Il est indéniable que notre épiderme tunisien est particulièrement sensible à l’idée de co-souveraineté et nous réagissons, comme à une agression visant notre personnalité, contre toute doctrine qui la proclame ou s’en réclame. »
49Ibid., 440.
50Ibid.
51Ennafaâ Mohamed, 1954, art. cit., 293.
52Ibid., 294.
53Sawt al-’Umma du 26 février 1954, n° 5.
54Ennafaâ Mohamed, 1954, art. cit., 294.
55Ibid.
56Ibid. Ennafâa rappelle que « maître Bourguiba est toujours sur l’île de La Galite, notre camarade Maurice Nisard et d’autres patriotes sont encore internés à Tataouine, et l’auteur de ces lignes [Mohamed Ennafâa] est toujours sous le coup d’un arrêté dit d’éloignement. Les patriotes libérés des camps sont pour la plupart astreints au régime de résidence surveillée. Les prisons sont encore pleines et les tribunaux militaires continuent de distribuer de lourdes condamnations. »
57Ibid. Il rappelle ici les élections municipales prévues par les réformes Baccouche, et qui ont été boycottées.
58Communiqué paru dans Sawt al-’Umma du 5 mars 1954, n° 6.
59Ibid.
60Ibid.
61Le Monde du 3 mars 1954 (art. cit.) rappelle au sujet de Mzali que « sa formation occidentale le rapproche de certains Français, lorsqu’ils sont disposés à oublier qu’il fut au nombre des signataires de la plainte à l’ONU contre la France ».
62Sawt al-’Umma du 5 mars 1954, rubrique « Chronique hebdomadaire », n° 6.
63Ben Ammar Chedly, 2017, op. cit., 236. Il rapporte la réplique de Tahar Ben Ammar, courte et sèche : « Vous me proposez de participer à un gouvernement, dites-moi d’abord, un gouvernement pour quoi faire ? Un gouvernement pour la réalisation de quel programme ? »
64Ibid., 237 : « Une hésitation de Hédi Nouira peut paraître étrange, voire surprenante. Mais le climat de terreur entretenu par de Hauteclocque puis par Voizard, conjugué à l’amertume suscitée par les déceptions dues aux échecs successifs, finissent par installer petit à petit le trouble et le doute dans les esprits. » Chedly Ben Ammar avance que c’est Tahar Ben Ammar qui « lui recommande de ne pas participer » (ibid., 238).
65Ibid. Il s’agit de Mohamed Saâdallah, Tahar Lakhdar et Noureddine Zaouche.
66Ibid., 240. Le 25 février 1954, Tahar Ben Ammar invite les responsables des organisations économiques et politiques à une réunion au siège de la Chambre d’agriculture pour examiner la situation à la veille de la formation du gouvernement Mzali. À la fin de la réunion, les personnes présentes approuvent une motion très critique à l’égard des réformes dont les signataires sont Tahar Ben Ammar (Chambre d’agriculture), Mahmoud Zerzri (Chambre tunisienne de commerce), Habib Mouelhi (président de l’Union des Agriculteurs), Brahim Abdallah (secrétaire général de l’Union des Agriculteurs), Ferjani Belhaj Ammar (secrétaire général de l’Union tunisienne de l’Artisanat et du Commerce), Mahmoud Messaadi (secrétaire général de l’UGTT), Habib Mekki (Fédération des Fonctionnaires), Chedly Rhaiem (Fédération syndicale ouvrière) et Mongi Slim (Néo-Destour).
67Mzali en fait mention dans ses mémoires (op. cit., 443). Voir également Ben Ammar Chedly, 2017, op. cit., 240.
68Ibid.
69Le Petit Matin du 11 mars 1954.
70Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 444.
71Ben Ammar Chedly, 2017, op. cit.
72Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 450.
73Sawt al-’Umma du 2 avril 1954, n° 10.
74Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 453 sqq. Il expose « quelques faits saillants » parmi ce qu’il nomme « les actions et les réactions qui ont troublé l’ordre public à cette époque ».
75Ibid.
76Sawt al-’Umma du 9 avril 1954, n° 11.
77Ben Ammar Chedly, 2017, op. cit., 247.
78Sawt al-’Umma du 30 avril 1954, n° 14.
79Ibid. L’auteur écrit : « Nous précisons que nous n’avons rien contre la personne de Chedly Rhaiem, cependant tout le monde reconnaît l’importance et le poids des communistes par rapport aux socialistes. »
80Ibid.
81Le Petit Matin du 27 avril 1954.
82Sawt al-’Umma du 16 avril 1954, n° 12. Le journal publie la liste des signataires, composée de médecins et avocats destouriens et communistes qui demandent au gouvernement d’amnistier les détenus.
83Sawt al-’Umma du 23 avril 1954, n° 13.
84Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 454 : « Quoi qu’il en soit, la population a vivement ressenti la mort de ces condamnés passés par les armes au moment où l’on prêchait la concorde et la réconciliation. »
85Sawt al-’Umma du 8 mai 1954, « La nation aspire à l’indépendance », n° 15.
86Sawt al-’Umma du 15 mai 1954, n° 16.
87Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 455 : « Enfin, le 20 mai 1954, Bourguiba quittait La Galite où il se trouvait depuis le 7 mai 1952, et s’installait dans l’île de Groix, en Bretagne, dans des conditions de confort améliorées, assorties de certaines restrictions à sa liberté de circulation. »
88Sawt al-’Umma du 22 mai 1954, n° 17.
89Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 455 : « Cette mesure tardive est loin d’avoir eu tout l’effet psychologique qui eût été le sien si elle n’avait pas été tant marchandée. »
90Sawt al-’Umma du 26 mai 1954, n° 18.
91Sawt al-’Umma du 15 juin 1954.
92Ben Ammar Chedly, 2017, op. cit. Mzali rapporte également cet épisode dans ses mémoires (op. cit., 456) : « Derrière les soldats […] un jeune homme a vidé son révolver dans ma direction […] Ayant gardé mon sang-froid et continué à me déplacer d’un pas égal, je me suis faufilé entre les balles de mon agresseur que j’ai vu prendre la fuite en s’engouffrant dans le Souk El Bey. »
93Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 454 sqq.
94Sawt al-’Umma du 5 juin 1954, communiqué du bureau politique du PCT, n° 19.
95Sawt al-’Umma du 11 juin 1954, n° 20.
96Ibid.
97Ibid. Le journal écrit que « de telles pressions ne peuvent avoir l’accord et le soutien des vrais patriotes [...] les derniers événements ont montré que la politique visant à écarter les communistes n’a eu comme résultat que l’effritement des forces patriotiques à un moment où elles avaient besoin d’être unies […] la Commission d’amnistie n’est pas un parti politique et […] ne doit être sous l’influence d’aucun parti. C’est un large front qui doit englober toutes les forces tunisiennes qui demandent la libération des détenus. »
98Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], op. cit., 460 : « L’arrivée de Mendès France au pouvoir me paraissait être l’occasion favorable pour mon ministère de s’effacer afin de laisser la place, comme je l’envisageais depuis la mi-mai, à une formule plus adéquate à la situation. »
99Sawt al-’Umma du 25 juin 1954, n° 23.
100Ibid.
101Ibid.
102Ennafaâ Mohamed, 1956, La voie d’une indépendance complète au service du peuple, rapport présenté au Ve congrès national du Parti communiste tunisien (Tunis, 18-19-20 mai 1956), 5.
Auteur
Historien, doyen de la Faculté des lettres, des arts et des humanités de La Manouba, et ancien responsable de l’unité d’histoire orale à l’Institut supérieur d’Histoire du mouvement national (ISHMN).
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La formation des élites marocaines et tunisiennes
Des nationalistes aux islamistes 1920-2000
Pierre Vermeren
2022
La Tunisie du makhzen à l'État national
À la lumière de l'itinéraire de Mohamed-Salah Mzali
Elyès Jouini (dir.)
2025