Le cheikh Abdelaziz Thaâlbi ou l’impossible leadership (1897-1944)
p. 105-122
Texte intégral
Introduction
1L’étude du parcours du cheikh Abdelaziz Thaâlbi aboutit à un partage en deux séquences : une première période marquée par le passage du réformisme culturel, conforme à celui des réformateurs de son époque, au réformisme politique ; puis une deuxième phase marquée à la fois par l’engagement politique, l’exil et les échecs successifs. Qui est donc cet homme au parcours singulier ? A-t-il laissé une empreinte sur le cours des événements ? Répondre à ces questions revient à mettre en perspective les moments-clés de ce parcours et ses éclipses.
Du réformisme culturel au réformisme politique 1897-1919
2Né à Tunis vers 1873 dans une famille d’origine algérienne, Thaâlbi fait de solides études à la Grande Mosquée où il se distingue par son esprit critique. Au cours de ses études, il fait scandale par ses opinions avancées et sa liberté de jugement sur les idées et les hommes. Ces qualités font de lui un fervent partisan des nouvelles théories sociales et religieuses islamiques que prônent Al-Afghani et son héritier Mohamed Abdouh.
3En 1897, il fonde le journal Sabil Errachad où il publie des articles d’un style vigoureux et parfois violent, inspiré des nouvelles tendances de la pensée musulmane. Il se déclare affranchi du dogme et discute les principes du Coran. Mais lorsque Thaâlbi défend ses conceptions dans la Tunisie de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, il se trouve largement minoritaire. En 1898, le journal est interdit sous la pression des notabilités zitouniennes. Il quitte alors la Tunisie pour l’Égypte où il suit les cours de Mohamed Abdouh. Il est toutefois expulsé du Caire pour sa « doctrine hétérodoxe » et retourne en Tunisie en 1902.
4De retour en Tunisie, il se fait d’abord remarquer en prônant les idées de Mustapha Kamel (1874-1908), alors fondateur et chef du Parti national égyptien. Ensuite, il n’hésite pas à remettre en cause la version idéalisée de l’islam telle qu’elle était enseignée à la Zitouna, en affirmant par exemple que le « calife Othman a été le premier à instituer le despotisme et l’arbitraire dans le gouvernement islamique » et à critiquer les méthodes et le contenu de l’enseignement zitounien qu’il qualifie d’« enseignement inopérant ». Cette liberté de ton lui vaut rapidement une notoriété des plus fâcheuses parmi les professeurs de la Grande Mosquée et les juges des tribunaux charaïques.
5Dès lors, les forces du conservatisme – les chefs des confréries et les cheikhs de la Zitouna – se coalisent et lui intentent un procès pour blasphème en juillet 1904. Thaâlbi est déféré devant un tribunal religieux, le Charaâ de Tunis (Dīwān al-Chara‘a). Les cadis, hanéfite et malékite, s’apprêtent à le condamner à mort pour blasphème et apostasie. La peine aurait même été prononcée. Mais le directeur des Services judiciaires musulmans, Henri Guyot, propose de dessaisir le Charaâ de l’affaire, estimant que Thaâlbi devrait être poursuivi pour délit d’opinion devant une autre juridiction. Dans l’intervalle, il est écroué à la prison civile de la rue de l’Église et c’est au cours des déplacements entre la prison et Dar El Bey, qui abritait les Services judiciaires musulmans, que des manifestants tentent de le lyncher. La date de la première manifestation est incertaine, elle a probablement eu lieu le 1er juillet, la seconde le 5 juillet, au cours de laquelle les manifestants tentent de lyncher Thaâlbi à sa sortie du tribunal.
6Avec l’accord du secrétaire général du gouvernement, il a donc été décidé de le soustraire au tribunal religieux du Charaâ et de le traduire devant un tribunal non religieux : la Driba. En agissant ainsi, les autorités du protectorat veulent à la fois éviter à Thaâlbi une lourde peine et ménager les forces du conservatisme qui n’auraient pas accepté un acquittement. La défense de Thaâlbi est assurée par un avocat français, maître Louis Coulon, et par maître César Benattar, protégé britannique. La Driba, pour calmer les esprits, le condamne à deux mois de prison. Les journaux arabes, unanimes, le condamnent (As-Sawab, Al-Rochdiyya). En revanche, la presse française le soutient. Ce procès est un épisode instructif car il permet de prendre la mesure du chemin parcouru par le cheikh Thaâlbi.
7En effet, durant ces années 1897-1905, son combat n’est pas anticolonial, ce qui lui vaut d’ailleurs des amitiés au sein de l’administration coloniale. Son combat se concentre sur le conservatisme religieux. C’est là sans doute que Thaâlbi capte le plus l’attention : dans l’acuité de sa vision relative au fait religieux, cette intuition historique qui le mène où, longtemps après lui, n’osent encore aller des nationalistes qui se réclament des mêmes principes.
8C’est ainsi qu’il inspire et rédige en collaboration avec Hédi Sebaï et maître César Benattar L’Esprit libéral du Coran. Dans cet ouvrage, publié en français et en arabe, une question taraude les auteurs : « Comment a-t-on pu faire du Coran un instrument d’intolérance et de fanatisme ? »2, à rebours, écrivent-ils, de « la pensée essentielle du livre de la religion musulmane » qui se résume, selon eux, au « respect des autres religions et de la liberté de croyance […] ». La solution pour Thaâlbi va de soi. Tout en rappelant que l’esprit du Coran est compatible avec une vision moderne et libérale de la société, il prône l’instruction des filles et la suppression du voile traditionnel.
9Dans sa dédicace au sénateur Ernest Valle, président du Parti radical, ministre de la Justice de 1902 à 1905, Thaâlbi intègre également un autre élément : « […] Les Musulmans, écrit-il, peuvent, doivent même se donner entièrement à la France3. » Et d’ajouter :
avec la collaboration civilisatrice de la France, les esprits musulmans pourraient contribuer un jour en collaborant avec leurs protecteurs à l’avancement commun de la civilisation mondiale4.
10Pour Thaâlbi, le « devoir de civilisation », credo du discours colonial, n’est pas une formule vaine. Il semble ainsi se rallier au courant assimilateur. Cette option-là, à cette période-là, n’a rien de surprenant mais déjà l’argumentation justifiant le statu quo colonial a perdu de sa consistance.
11De fait, quelques années plus tard, une profonde mutation s’opère dans la pensée de Thaâlbi qui s’investit désormais dans l’action nationaliste. En 1910, la lutte anticoloniale vient se greffer à la lutte contre le conservatisme religieux. Pour Thaâlbi, les deux aspects relèvent d’une même problématique. Il crée la première cellule du Parti Jeune Tunisien avec Ali Bach Hamba et collabore au journal Le Tunisien, dont il rédige l’édition en langue arabe. Lors des troubles du Jellaz en 1911, il est signalé comme l’un des meneurs mais sa participation n’ayant pas été établie avec certitude, il n’est pas inquiété. En février-mars 1912, toujours aux côtés d’Ali Bach Hamba, il est l’un des promoteurs du « boycottage des tramways » de Tunis. Il est alors expulsé le 13 mars en même temps qu’Ali Bach Hamba et ses amis pour activités politiques jugées dangereuses. La mesure est rapportée quelques mois plus tard, Thaâlbi revient à Tunis le 26 août 1913. Mais en juillet 1914, son souhait de partir au Caire se heurte au refus des autorités du protectorat. Il multiplie alors les interventions publiques où il dénonce le contraste entre ce qu’il appelle la « barbarie » des méthodes françaises et le libéralisme anglais en Inde. Un véritable discours de rupture, capable d’exalter les foules, lui fera toutefois défaut. Thaâlbi mariant l’idéalisme, la dénonciation des abus et le respect de la légalité ne peut embrasser toute la réalité.
12En juin 1919, invoquant des raisons de santé, il obtient cette fois un passeport et s’embarque le 10 juillet pour Marseille, avant de se rendre à Paris au mois de septembre. Les autorités françaises le soupçonnent alors :
[…] d’avoir combiné avec Mohamed Bach Hamba tout un plan d’action d’inspiration allemande […], dans le but de changer la forme de gouvernement en Tunisie. Ce qui constitue les crimes de complot contre la sûreté intérieure de l’État prévus par les articles 68 et 70 du code pénal tunisien5.
13Les agents de Guillaume II ne sont peut-être pas étrangers au développement simultané de mouvements contestataires dans l’empire colonial français. Priver la France du renfort de ses possessions coloniales et en faire son talon d’Achille est après tout de « bonne guerre ». Il n’en demeure pas moins que, pour être efficace, cette stratégie doit pouvoir s’appuyer sur un milieu réceptif, éprouvant une profonde insatisfaction. À cette crainte d’une action allemande s’ajoute également, selon les autorités françaises, la jonction :
panislamisme et communisme. Tels sont les deux leviers qui vont être mis en action contre nous avec la coopération de Thaâlbi. La liaison entre les deux éléments ne tarde pas à s’opérer et dès l’arrivée de Thaâlbi à Paris, on voit s’ouvrir pour lui tous les cénacles où les agents de Moscou avec l’estampille de Berlin préparent l’avènement du grand soir6.
Le doute est permis sur la pertinence de ces affirmations.
14Plus sûrement, les quatorze points du président Wilson, la création de la Société des Nations (SDN) et les assurances données à l’Égypte constituent des éléments décisifs dont les effets ne vont pas tarder à se faire sentir. De juillet 1919 à juin 1920, Thaâlbi représente à Paris le Parti Jeune Tunisien dont il défend les revendications. À Paris, il concentre l’essentiel de son activité sur « une tâche difficile, dit-il. Cette tâche consiste à mettre la question tunisienne sur le tapis et à commencer à en parler ». Cependant, ce n’est pas à la France, « nation noble et généreuse », que Thaâlbi va s’attaquer ouvertement, mais aux Français de Tunisie et à la Résidence générale qui sont « le pire des fléaux ».
15Fin décembre 1919, il publie l’ouvrage rédigé en collaboration avec Ahmed Sakka, La Tunisie martyre. Cet ouvrage, qu’il adresse au président Wilson, témoigne d’une réflexion plus large. Il dénonce de manière générale les excès du colonialisme et les dangers de la politique française.
Ce mémoire est la longue et lamentable histoire des crimes d’une administration qui a dans tous ses actes violé, piétiné, désorganisé nos institutions et nos traditions nationales […] C’est une lutte à mort, une croisade dirigée contre notre société, c’est le brigandage organisé de nos richesses. Il n’entre dans la politique de nos maîtres absolument aucune idée d’avenir économique […]7.
16Dans ce pamphlet diffusé en Tunisie malgré son interdiction, Thaâlbi oppose la tyrannie française au régime qu’il juge « libéral » antérieur à 1881. Il reprend en l’adaptant aux nouvelles conditions l’essentiel du Pacte fondamental promulgué par Mohamed Bey en 1857 et de la Constitution de 1861 octroyée par Sadok Bey8. Thaâlbi tire deux conséquences de ses analyses : en premier lieu, l’établissement du protectorat français porte atteinte à la personnalité tunisienne, c’est pourquoi il réclame le rétablissement de la Constitution et le respect des libertés publiques. Ensuite, il affirme que la Tunisie n’a pas cessé en droit d’être souveraine.
17Thaâlbi dénonce aussi les abus administratifs9 et l’expropriation des paysans au profit des colons10. Mais c’est au service militaire qu’il réserve ses critiques les plus sévères.
C’est un puissant instrument de dissolution de notre organisation sociale et de notre abaissement aux yeux du monde civilisé. Il est organisé pour servir d’instrument à l’impérialisme du gouvernement français11.
18En ce sens, Thaâlbi entend présenter une explication actualisée de la nature destructrice du colonialisme français où l’exploitation et la « dissolution » de la société tunisienne jouent un rôle primordial. Il conteste la thèse selon laquelle la colonisation peut être un facteur de progrès. Bien au contraire, Thaâlbi estime qu’elle utilise par le travail et divers modes de pillage les formes primaires de l’exploitation. Plus grave encore, la colonisation a brouillé une évolution qui avait toutes les chances de réussir car elle n’a pas surpris la Tunisie en plein sommeil, mais dans une agitation intellectuelle prometteuse. Rien d’étonnant alors que dans sa conclusion, Thaâlbi, tout en condamnant encore une fois la politique coloniale française en Tunisie, réfute désormais l’idée de « mission civilisatrice ». Le jugement est sans appel : « […] Nous pensons que la civilisation française […] est pourrie et ne nous convient pas12. »
19Ce qui est à retenir de La Tunisie martyre, c’est que nulle part il n’est question de destinée commune. Le Tunisien n’a pas pour vocation de rejoindre son « éducateur ». Thaâlbi prend définitivement ses distances autant avec l’idée de réforme dans le sens du progrès qu’avec l’assimilation qui, selon ses défenseurs, devrait transcender la hiérarchie établie des civilisations pour créer une communauté réelle et harmonieuse. C’est une rupture majeure dans la pensée de Thaâlbi. Cette analyse des mécanismes du colonialisme et du rejet qui en découle, puis le retentissement de l’ouvrage ne sont évidemment pas sans effets sur l’opinion tunisienne et sur les autorités du protectorat.
De l’engagement politique aux lendemains qui déchantent 1919-1944
20Cet ouvrage en rupture avec l’idée d’assimilation semble ouvrir de nouvelles perspectives d’émancipation politique. En février 1920, une note de la Résidence générale s’inquiète de cet « appel presque ouvert à la révolte » et accuse, encore une fois, l’Allemagne, défaite après l’armistice de novembre 1918, d’être derrière le mouvement de contestation qui se dessine en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
On s’expliquerait mal en effet les progrès de l’agitation nationaliste en Égypte, en Tunisie et même en Algérie si on ne voulait y voir que le développement d’un mouvement spontané résultant de l’évolution économique et intellectuelle des populations. Du jour où l’Allemagne avait constaté le rapprochement de la France et de l’Angleterre, […] elle avait envisagé comme l’un des plus sûrs moyens de les atteindre dans leurs forces vitales la création d’insécurité dans leurs domaines d’outre-mer […].
Et d’ajouter :
Un pamphlet représentant la Tunisie comme victime de l’impérialisme de la France et subissant avec la décadence de ses institutions nationales le joug le plus tyrannique et le plus odieux arrivait à point nommé pour servir les desseins de l’Allemagne13.
21Outre l’improbable instrumentalisation politique de La Tunisie martyre par l’Allemagne, la note de la Résidence générale souligne également ses répercussions dans les possessions coloniales de la France. De son point de vue :
l’ouvrage constitue un instrument pour combattre en Asie mineure notre prestige et notre influence renaissante et pour fortifier les résistances qui se préparent en Syrie. Il contient enfin le programme de toute une campagne de propagande capable de nous susciter en Tunisie, voire en Algérie, les difficultés que l’Angleterre connaissait en Égypte14.
22Pourtant, la relecture aujourd’hui du texte de La Tunisie martyre ou des déclarations de Thaâlbi dans les années 1920 et 1930 donne plus une impression de critiques assemblées que d’un programme. Le but est clair – la fin de la colonisation – mais les moyens pour y parvenir ne sont pas constitués en un système cohérent et pratique. Cette absence de formulation d’une stratégie de combat imprimera d’abord au Destour, ensuite à l’Archéo-Destour un mode de fonctionnement où « l’action directe » et la résistance armée ne trouvent pas leur place.
23Dans l’immédiat toutefois, la collecte organisée à Tunis « pour subvenir aux besoins » de Thaâlbi à Paris ajoute au trouble du résident général Lucien Saint : « […] la publication à Paris, note-t-il, de la "Tunisie martyre" a pu laisser croire à certains de nos protégés que les menées anti-françaises de Thaâlbi ne rencontraient aucun obstacle… » Pour appuyer sa démarche, le résident met l’accent sur la nécessité de surveiller « les agissements de Thaâlbi et qu’un avertissement lui soit donné »15. De fait, les autorités militaires veillent au grain. À l’issue des perquisitions simultanées à Paris et aux domiciles des correspondants de Thaâlbi à Tunis, il est inculpé de « complot contre la sûreté de l’État ». Arrêté le 31 juillet 1920, il est transféré à la prison militaire de Tunis le 21 août 1920 pour être traduit devant le Conseil de guerre.
24À ce stade, le Quai d’Orsay est amené à réagir. Il cherche, semble-t-il, à se démarquer des méthodes employées. Il rejette la responsabilité de l’arrestation sur les autorités militaires françaises et juge les perquisitions et l’arrestation de Thaâlbi illégales. Il ne peut accepter son transfert dans des conditions d’ailleurs inconcevables dans le cadre juridique français. À l’évidence, la note de la direction des Affaires politiques du Quai d’Orsay se distingue par son contenu. L’analyse des faits est en tous les cas novatrice pour un Quai d’Orsay toujours coincé dans le schéma habituel, celui de la défense de l’empire.
25Certes, l’auteur de la note n’a pas esquissé une attitude libérale, pour autant que ce soit son objectif, mais il convient de prendre ses distances et de se montrer prudent. Car de son point de vue :
cette arrestation a provoqué dans la population tunisienne un émoi considérable. Cette mesure, loin de produire les effets escomptés ne fait qu’accroître la vénération véritable dont Thaâlbi est l’objet de la part des Tunisiens. Cette arrestation apparaît d’ailleurs comme illégale.
Ensuite, l’auteur de la note détaille :
sans insister sur les conditions illégales de la perquisition opérée dans le domicile de Thaâlbi à Paris (elle a été faite à 4h30 du matin, en dehors de la présence de Thaâlbi puisqu’il était maintenu dans sa chambre pendant qu’on procédait à la perquisition de son cabinet de travail. Les scellés n’ont pas été mis devant lui et aucun procès-verbal n’a été dressé, ni présenté à sa signature). L’incompétence du Conseil de guerre de Tunis est certaine. Thaâlbi n’était pas domicilié au moment des faits à Tunis, le décret du 2 août 1914 s’applique à un territoire, la Tunisie, et ne peut donc avoir d’effet sur le territoire français qui a des lois propres. Les délits reprochés à Thaâlbi n’étaient pas prévus ou punissables par la loi française. Comment un étranger peut-il être arrêté pour les avoir commis en France ?
26Cependant, la Résidence générale à Tunis, persuadée de pouvoir gagner la partie qui se jouerait devant le tribunal militaire, ne partage pas le point de vue du Quai d’Orsay et approuve l’arrestation de Thaâlbi. Certes, l’ordre colonial n’est plus menacé car :
[...] la fin de la guerre en 1918, la défaite allemande font que l’agitation se calme peu à peu, le ton des journaux est moins acerbe. La campagne en faveur du Destour est de plus en plus tempérée par des protestations de déférence et de loyalisme. Parmi les facteurs de cette évolution, il convient de ne pas oublier un autre fait, c’est l’arrestation de Thaâlbi suivie de son transfert à Tunis.
27Mais une sanction demeure nécessaire d’autant que « par habitude séculaire, les Orientaux ne pouvaient comprendre le pardon s’il n’est précédé de la soumission complète et de la demande d’aman »16. La précision est significative et la conclusion évidente : il faut sévir.
28Le résident général Lucien Saint décide alors le maintien de l’état de siège, établi en 1914, pour ne pas dessaisir le Conseil de guerre qui devait juger de l’affaire Thaâlbi. La levée de l’état de siège aurait en effet impliqué la compétence de la juridiction civile française. L’intérêt des autorités françaises est donc de boucler l’affaire rapidement, qui « […] tant qu’elle n’aura pas été jugée, entretient dans les esprits en Tunisie un trouble regrettable », souligne une note du Quai d’Orsay au Garde des Sceaux datée du 7 janvier 1921. Le Quai d’Orsay presse le ministre de la Justice pour « qu’une rapide décision soit prise par la Cour de cassation au sujet du pourvoi formé par Thaâlbi » et permettre ainsi « le prompt achèvement de l’instruction » tandis que le ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, demande la levée de l’état de siège « dès la clôture de l’instruction de l’affaire Thaâlbi »17. Lucien Saint, sous pression, décide, avant la fin de l’instruction, de lever le 29 mars 1921 l’état de siège mais maintient la compétence des tribunaux militaires en matière de crimes et délits.
29Le 17 mai 1921, Thaâlbi est libéré. De longues procédures aboutissent à une décision de non-lieu et le 18 juin 1921, le général Robillot, commandant la division d’occupation de Tunisie, ordonne la cessation des poursuites contre Ahmed Sakka et Thaâlbi. Celui-ci connaît alors une popularité croissante. Des souscriptions sont ouvertes à Sfax et à Béjà à son profit tandis que Tunis socialiste appuie le programme de revendications en huit points du Destour fondé en 192018 :
élection d’une assemblée délibérante composée de membres tunisiens et français élus au suffrage universel ; un gouvernement responsable devant cette assemblée ; séparation des pouvoirs ; possibilité d’accès des Tunisiens à tous les postes administratifs ; égalité de traitement des fonctionnaires ; élections des municipalités au suffrage universel ; participation des Tunisiens à l’achat de terres ; enfin, respect des libertés publiques.
30Engagé dans la lutte contre le colonialisme, Thaâlbi, selon Tahar Sfar, « propage le mouvement dans les masses des villes, masses bourgeoises auxquelles viennent s’adjoindre peu à peu la grande masse des ouvriers et des artisans »19. La question nationale est donc bel et bien posée. Le Destour gagne en audience de 1920 à 1922. En novembre 1923, la Résidence générale estime à 85 000 le nombre d’adhérents au Destour.
31Avec la création en 1920 du « Parti libéral constitutionnel », ou Destour, par d’anciens membres du mouvement Jeune Tunisien, le nationalisme tunisien connaît en effet une profonde mutation. À un groupe d’intellectuels principalement soucieux d’éduquer leurs compatriotes et d’être traités sur un pied d’égalité par la colonie européenne, succède un parti politique, au sens moderne du terme, regroupant des adhérents sur la base d’un programme et suivant un minimum de principes d’organisation. En outre, la revendication de l’indépendance apparaît pour la première fois dans le débat politique, le Destour centrant son programme sur le rétablissement de la Constitution aux fins de libérer la Tunisie « des liens de l’esclavage ».
32Cependant, ni la nature des revendications du parti ni la notoriété n’ont permis au cheikh Thaâlbi, président du Destour, d’assurer de manière durable le leadership du nationalisme tunisien. La date du 5 avril 1922, qui a déclenché un renouveau d’attaques de la part de ses adversaires, lui est fatale. Il est alors contraint de quitter le pays pour un exil qui va durer de 1923 à 1937. L’Action tunisienne soulignera quelques années plus tard que son départ en exil en juin 1923 s’est effectué dans une indifférence à peu près totale. Ce départ annonce déjà sa retraite forcée de 1940. Thaâlbi aborde ainsi une traversée du désert qui l’éloigne progressivement des réalités tunisiennes.
33Pour autant, il ne renonce pas à ses activités et multiplie les déplacements d’abord en Italie, en août 1923, où il reçoit, précise-t-il dans une correspondance, un accueil favorable ; ensuite à Constantinople et au Caire. Les démarches de Thaâlbi en Égypte, notamment auprès des organisations nationalistes arabes et des Tunisiens installés dans ce pays, n’ont pas eu les effets espérés. Au Caire, Thaâlbi est rapidement confronté à des difficultés financières. Selon Henri Gaillard, ministre de France au Caire, il ne tarde pas à se retrouver en 1924 :
dans un très modeste logis. Il vit actuellement avec les maigres subsides qu’il a pu recueillir à Constantinople et qui seront vite épuisés. Malgré de pressantes démarches auprès des Tunisiens installés en Égypte, il n’a pu obtenir d’eux aucun appui et son projet de fonder ici « un club tunisien » ne pourra vraisemblablement pas se réaliser. Thaâlbi n’a pas trouvé meilleur accueil auprès des nationalistes égyptiens. Ils ne lui ont apporté aucune aide bien qu’il ait fait tout son possible pour les intéresser au mouvement nationaliste tunisien […]20.
34Le destin de Thaâlbi paraît très incertain, mais son influence est toujours jugée menaçante à long terme. D’où l’intérêt de l’éloigner du Caire et de l’Afrique du Nord en facilitant son départ pour Bagdad. Gaillard explique :
[qu’]Il est préférable que son séjour au Caire ne se prolonge pas, car les Tunisiens sont nombreux en Égypte et Thaâlbi serait peut-être arrivé, à la longue, à exercer une certaine influence sur eux. D’autre part, pour vivre, il était obligé d’écrire dans les journaux locaux et la presse égyptienne exerce une certaine action en Tunisie. À Bagdad au contraire, il n’y a pas de colonie tunisienne et les journaux de cette ville n’ont aucun rayonnement en Afrique du nord [sic] […]21.
35Le premier signe de tension émane du haut-commissaire à Beyrouth, le général Weygand, qui refuse le visa de passage de Thaâlbi pour Bagdad via Damas. Lucien Saint, qui partage le point de vue de Gaillard, proteste. Il souligne dans sa note du 12 juillet 1924 :
nous n’avons aucun intérêt à empêcher Thaâlbi de se rendre à Bagdad où il passera vraisemblablement inaperçu. Sa présence était surtout dangereuse en Égypte et en Italie. Nous ne pouvons que nous féliciter de le voir augmenter la distance qui le sépare de ces deux pays22.
36Weygand maintient pourtant son refus et laisse entrevoir une personnalité nettement plus engagée. C’est moins ce que Thaâlbi représente que ce qu’il dit qui constitue une menace :
Cet individu, écrit-il, qui est devenu un agent notoire de propagande anti-française s’est signalé en Palestine par de violentes attaques contre le mandat français et son apologie du régime anglais. Passé à la solde de l’Angleterre […], cet individu est devenu à l’étranger un instrument d’agitation très violent. Il est regrettable pour la politique française en Orient qu’il n’ait pu être retenu en Tunisie23.
37Mais de 1924 à 1936, pour les autorités de la Résidence générale, tout projet de retour de Thaâlbi en Tunisie est inenvisageable. Le résident général Manceron demande au gouvernement français, dans sa note du 21 juin 1934, de « lui interdire l’accès du territoire tunisien ainsi qu’à tous les territoires français ». De leur côté, en avril 1936, les Renseignements généraux mettent en garde contre son retour car « son prestige est immense dans toute la Régence. Il est le chef incontesté du mouvement national tunisien et est seul capable d’unir autour de lui les militants nationalistes sans distinction. » Cette analyse, on le sait, n’a pas résisté à l’épreuve des faits. La victoire du Front populaire en France au printemps 1936 ouvre toutefois de nouvelles perspectives. Le 11 août 1936, le Néo-Destour demande solennellement au résident général Guillon le retour du cheikh Thaâlbi en Tunisie. La lune de miel sera pourtant de très courte durée.
38Pour l’heure, son arrivée à Tunis, le 8 juillet 1937, après quatorze ans d’exil, fait sensation. « Une foule enthousiaste » l’accueille tandis que le Néo-Destour fête son retour. Le meeting à Gambetta Park, le 13 juillet 1937, consacre le rôle-clé de Thaâlbi dans l’affirmation du nationalisme tunisien. Bourguiba le présente comme « le père du Destour ». En réponse, Thaâlbi lance, dans son discours, un véritable appel à « l’indépendance et à la libération de l’Afrique du Nord ». Dès lors, le danger ne réside déjà plus dans l’activisme du Néo mais dans le retour de Thaâlbi qui selon le résident général donne une nouvelle signification à la lutte nationale. Le 14 juillet 1937, Armand Guillon note :
une évolution nouvelle semble s’ébaucher dans l’esprit des membres du parti destourien. Cette impression pourrait se résumer ainsi : moins de violence oratoire, mais plus de résolution comme si les membres du parti se sentaient renforcés par l’arrivée du cheikh.
39L’été 1937 est donc celui de tous les risques aussi bien pour les autorités du protectorat que pour Thaâlbi, qui confère à son retour un objectif prioritaire, celui de la réunification des deux partis. Il pense pouvoir ainsi amorcer la première étape d’un processus qui doit théoriquement le conduire à la tête du mouvement nationaliste.
40Dans un premier temps, le Néo-Destour joue le jeu de la tentative de réunification. Il accepte, le 21 juillet 1937, le principe d’une réunion entre la Commission exécutive et le Comité politique sous la présidence de Thaâlbi. Une commission de liaison est créée à l’issue de la réunion. Elle a pour mission de relancer la dynamique de la fusion et de définir les objectifs. Le 5 août 1937, une motion d’union est publiée dans les journaux tunisiens. Mais les apparences sont trompeuses et le consensus est des plus limités. C’est évidemment la prétention de Thaâlbi de contrôler le mouvement qui a ouvert entre lui et Bourguiba la fracture la plus large.
41Inquiet pour son prestige, Bourguiba refuse la mise en place d’un Comité supérieur dit « Comité d’examen et d’études politiques », investi de pouvoirs importants et présidé par Thaâlbi. Le fil du dialogue est alors rompu et les rapports ne tardent pas à se dégrader. Dès le mois d’août 1937, l’attitude d’hostilité déclarée de Bourguiba à l’égard de Thaâlbi met un terme à tous les espoirs. D’août 1937 à mars 1938, les « bagarres » entre les partisans de l’un et l’autre partis se suivent et se ressemblent tandis que l’Archéo-Destour, à l’issue des « bagarres », renvoie de plus en plus l’image d’un parti en déclin. L’échec de la tournée de Thaâlbi au Sahel en août 1937, où Bourguiba l’avait précédé pour prévenir les militants de la duplicité de son rival, est complet. Il est conspué aux cris de « dictateur », de « traître » et de « vendu au résident ». La bataille se poursuit ensuite au cœur du bastion de l’Archéo-Destour, la région de Mateur. Il s’agit cette fois d’abattre ce parti et son président. Le Néo mobilise alors militants et hommes de main pour barrer la route à Thaâlbi. Quant à Bourguiba, il n’hésite pas à recourir à la violence, à laquelle s’opposent certains de ses plus fidèles partisans comme Tahar Sfar. Elle culmine avec la tentative d’assassinat de Thaâlbi en visite à Mateur, le 25 septembre. La ville est envahie par une foule de contre-manifestants venus de Bizerte et dont certains sont armés. Des coups de feu sont tirés sur la voiture du chef de l’Archéo-Destour qui en réchappe. Mais on compte un mort parmi ses partisans, une vingtaine de blessés et une centaine d’arrestations. Les rapports de police et la presse invoquent la responsabilité du Néo, mais Bourguiba poursuit sans relâche sa lutte contre Thaâlbi et l’Archéo-Destour. C’est à Béjà que se déroule une autre « bagarre », le 3 octobre 1937. Le Néo-Destour prend prétexte de la présence de la gendarmerie dans cette ville pour la déclencher. Charles Saumagne raconte dans son rapport que :
voulant disperser un rassemblement de manifestants indigènes massés sur la route de Tunis pour empêcher le cheikh de prendre la parole à Béjà, une patrouille de gendarmes lapidée a fait feu pour se dégager24.
42Le bilan s’élève à un mort et 16 blessés dont 4 gendarmes. Thaâlbi renonce pour un temps aux déplacements. En mars 1938, il effectue une dernière tournée dans le Sahel où il s’en prend directement au président du Néo. Mais déjà l’Archéo-Destour et Thaâlbi ont perdu la partie, le Néo-Destour est désormais le seul maître du terrain.
43Ce regard porté sur le parcours de Thaâlbi permet de faire quelques constats. Le premier est qu’il n’a pas bénéficié de circonstances favorables pour pouvoir donner toute sa mesure. À son retour d’exil, il a eu du mal à appréhender les nouvelles réalités ainsi que les profonds clivages politiques et générationnels. Ses études à la Grande Mosquée l’ont évidemment placé, à son retour, dans le camp des conservateurs alors que son discours d’avant l’exil, on s’en souvient, était critique à leur égard. L’incertitude à partir de 1937 renforce le besoin d’ancrage dans le passé, dans la religion. Thaâlbi s’est ainsi enfermé dans un cadre qui ne facilite plus l’évolution ou la réalisation des aspirations. Divergences tactiques mais également différence de culture politique entre anciens militants issus de la bourgeoisie citadine et militants activistes accentuent le décalage. Et ce n’est pas la franche hostilité de Bourguiba qui peut aider Thaâlbi à surmonter ces difficultés. Mais d’autres raisons expliquent ses échecs. D’abord, Thaâlbi, resté fidèle à la tradition de l’Archéo-Destour, n’a pas disposé d’une force politique cohérente et organisée, à l’inverse du Néo-Destour qui apparaît comme une organisation autrement plus efficace que toutes les formations nationalistes l’ayant précédée et qui a réussi l’articulation entre le peuple et le parti. Ensuite, Thaâlbi a rencontré des adversaires irréconciliables qui dénonçaient en lui tous les dangers : inconsistance des analyses, « radicalisme velléitaire »25, absence d’un véritable programme politique, etc. Pour ceux qui ne lui reconnaissent aucune autorité morale, il n’apparaît plus comme un recours possible. Et son retour en 1937 n’a pas brisé son isolement, son décès en juillet 1944 n’a pas suscité une émotion nationale. Enfin, le Néo-Destour et Bourguiba lui ont dérobé le rôle de leader du mouvement d’indépendance. En définitive, le caractère de destin contrarié et inachevé résume parfaitement son parcours d’homme public.
Bibliographie
Fonds d’archives
Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), fonds Charles Saumagne, rapport, vers octobre 1937.
Ministère des Affaires étrangères (MAE) :
- Note sur La Tunisie martyre - Résidence générale, 1552B/R28, février 1920 ;
- Note du résident général à Millerand, président du Conseil et ministère des Affaires étrangères (MAE), 1552B/bob.28, 4 février 1920 ;
- Note de la Résidence, 1552B/R28, août 1920 ;
- Note du président du conseil et MAE Aristide Briand au résident Lucien Saint, 1552B/bob.28, 18 février 1921 ;
- Note de Henri Gaillard, ministre de France au Caire, au MAE, 2224(2)/R464, 21 novembre 1923 ;
- Note de Gaillard à Henri Poincaré, 2224/2/R464, 18 avril 1924 ;
- Note de Lucien Saint à Édouard Herriot, 2224/2/R464, 12 juillet 1924 ;
- Note du général Weygand, haut-commissaire de France en Syrie et au Liban, au MAE, 2224/2/R464, 14 août 1924.
Ouvrages, chapitres d’ouvrages et articles
Benattar César, Sebaï Hédi, Thaâlbi Abdelaziz, 1905, L’Esprit libéral du Coran, Paris, Ernest Leroux.
Sfar Tahar, 1960, Journal d'un exilé, Zarzis 1935, Tunis, Éditions A. Bouslama.
Thaâlbi Abdelaziz, Sakka Ahmed, 1920, La Tunisie martyre et ses revendications, Paris, Jouve.
Notes de bas de page
2Benattar César, Sébaï Hédi, Thaâlbi Abdelaziz, 1905, L’Esprit libéral du Coran, Paris, Ernest Leroux, 82.
3Ibid., 2.
4Ibid., 4.
5Affaire Thaâlbi. Le rapport d’instruction daté du 21 octobre 1920 retrace les activités de Thaâlbi de 1919 à 1920 (1552 B/bob.28). Entre 1919 et 1920, Mohamed Bach Hamba réside à Genève et à Berlin, où il décède en décembre 1920.
6Ibid.
7Thaâlbi Abdelaziz, Sakka Ahmed, 1920, La Tunisie martyre et ses revendications, Paris, Jouve, 113.
8Il convient de rappeler que les deux textes ont été élaborés sous la pression des puissances européennes soucieuses de protéger les intérêts de leurs propres ressortissants vivant en Tunisie.
9Ibid., 18-21 ; 28-29.
10Ibid., 81-83 ; 94 ; 101 ; 112.
11Ibid., 153.
12Ibid., 198.
13Note sur La Tunisie martyre - Résidence générale, 1552B/R28, février 1920.
14Ibid.
15Note du résident général à Millerand, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères (MAE), 1552B/bob.28, 4 février 1920.
16Note de la Résidence, 1552B/R28, août 1920.
17Note du président du conseil et MAE Aristide Briand au résident Lucien Saint, 1552B/bob.28, 18 février 1921.
18Date de la fondation du Destour : février ou juin 1920, selon les sources.
19Sfar Tahar, 1960, Journal d'un exilé, Zarzis 1935, Tunis, Éditions A. Bouslama.
20Note de Henri Gaillard, ministre de France au Caire, au MAE, 2224(2)/R464, 21 novembre 1923.
21Note de Gaillard à Henri Poincaré - MAE, 2224/2/R464, 18 avril 1924.
22Note de Lucien Saint à Édouard Herriot, 2224/2/R464, 12 juillet 1924.
23Note du général Weygand, haut-commissaire de France en Syrie et au Liban, au MAE, 2224/2/R464, 14 août 1924.
24Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), fonds Charles Saumagne, rapport, vers octobre 1937.
25Expression empruntée à Lacouture Jean, 1969, Quatre hommes et leurs peuples. Sur-pouvoir et sous-développement, Paris, Éditions du Seuil.
Auteur
Historienne, professeure des universités honoraire à l’Université de Nice-Sophia Antipolis.
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