Ouverture
p. 11-14
Texte intégral
1Mes premières pensées vont à Mounira Chapoutot-Remadi qui a soutenu, encouragé et accompagné ce projet avec toute la force et la détermination que nous lui connaissons. Elle n’est malheureusement pas physiquement présente parmi nous mais elle l’est dans nos mémoires. Je voudrais également remercier Kmar Bendana qui a participé à la genèse du projet éditorial autour des mémoires de Mohamed-Salah Mzali2, et qui a été, pour moi, un partenaire de réflexion et un aiguillon fécond. Ce colloque sur le thème de « Mohamed-Salah Mzali (1896-1984). La Tunisie du makhzen à l’État national »3 vient marquer l’aboutissement d’un projet entamé avec elle il y a maintenant quatre ans. Mes remerciements vont aussi à Ahmed Ounaïes et Mohamed Kerrou, membres du comité d’organisation de ce colloque, ainsi qu’à toutes et tous les collègues qui ont accepté d’intervenir, et que nous aurons le plaisir d’écouter au cours de ces deux journées. Sincères remerciements, enfin, à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC) et à sa directrice Katia Boissevain, qui accueillent les actes de cette rencontre dans leurs collections, ainsi qu’à Selma Hentati qui, après avoir accompagné avec énormément de soin et un très grand professionnalisme la réédition des mémoires de Mohamed-Salah Mzali, poursuit la tâche avec l’édition des actes de cette rencontre.
2Pourquoi ce colloque sur le thème de « Mohamed-Salah Mzali (1896-1984). La Tunisie du makhzen à l’État national » ? L’idée de départ est qu’entre le XIXe siècle des mamelouks qu’a si bien décrit M’hamed Oualdi, et le XXe siècle que nous sommes nombreux à avoir connu, une première partie du XXe a vu la montée des nationalismes, des revendications modernistes, un bouillonnement culturel et intellectuel lié, notamment, à la confrontation souvent violente avec d’autres cultures ; un début de XXe siècle qui a connu des évolutions sociales et sociétales, ainsi que la formation de nouvelles élites sur la base de l’éducation. Sur le plan des élites, on y voit certaines similitudes avec l’aristocratie française de la IIIe République qui a cédé la place à une bourgeoisie corporatiste et fortunée, puis ensuite à ce que l’on a appelé la « bourgeoisie à talents ». Ce début de XXe siècle est un moment d’effervescence qu’illustre particulièrement Mohamed-Salah Mzali.
3Il l’illustre d’abord dans ses mémoires Au fil de ma vie. C’est pourquoi nous avons estimé, avec les éditions Cérès, Beït al-Hikma et l’IRMC, que ces mémoires, qui décrivent cette période, méritaient d’être réédités. Par-delà la trajectoire personnelle de l’auteur, ce tissu d’anecdotes et de descriptions nous donne à voir ce qu’était la Tunisie entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.
4Il l’illustre également dans sa thèse qui s’intéresse au système économique tunisien au début du XXe siècle4, thèse traduite par Hédi Timoumi et publiée en arabe par Beït al-Hikma en 1990. Un grand nombre de ses publications sont consacrées au personnage du général Khéreddine5, ce qui donne à voir ses connexions avec le XIXe siècle, mais aussi à des travaux qui portent sur l’instant, sur les traditions (le calendrier liturgique musulman, les us et coutumes tunisiens, les pratiques et traditions liées à l’accouchement, etc.) Il décrit les usages de son temps tout en se projetant dans l’avenir, la seconde moitié du XXe siècle, par exemple lorsqu’il aborde l’industrie textile en Tunisie. Son parcours personnel d’intellectuel issu du makhzen, investi en politique au service du souverain et de la souveraineté nationale, a pu être contesté et donner lieu à débat. Cela fait aussi partie de ce moment historique qu’a été la première moitié du XXe siècle.
5Ces actes s’articulent autour de quatre thématiques. La première, intitulée « De la notabilité régionale à l’entrée dans le makhzen : stratégies familiales et matrimoniales », réunit les contributions de M’hamed Oualdi sur les descendants de mamelouks au tournant du protectorat (19-32), de Fatma Chalfouh sur les stratégies familiales et alliances matrimoniales (33-52), et de moi-même, sur les grandes familles makhzéniennes de Monastir (53-72). La deuxième thématique, axée sur la période de l’« entre-deux », « du makhzen à l’indépendance », rassemble les interventions d’Ahmed Ounaïes sur l’« épisode complexe » de l’année 1954 (77-94), de Noureddine Dougui sur les « creusets du nationalisme dans l’entre-deux-guerres » (95-104), de Samya El Mechat sur « l’impossible leadership » d’Abdelaziz Thaâlbi (105-122), de Habib Kazdaghli sur « La position du Parti communiste tunisien face au gouvernement Mzali » (123-147), et de Hichem Abdessamad sur les « épurations » effectuées en temps de transition politique (149-164). La troisième thématique, « Une société en mutation », intègre les communications de Hédi Jallab sur « Les élites économiques tunisiennes dans l’entre-deux-guerres » (169-175), de Kmar Bendana autour de Slaheddine Tlatli (177-190), de Mohamed-Lotfi Chaïbi sur les liens entre Mzali et la franc-maçonnerie (191-205), et d’Abdelhamid Larguèche sur les liens entre celui-ci et Élie Cohen-Hadria (207-214). La quatrième partie, enfin, ressemble les articles de Adel Ben Youssef, Youssef Ben Ismaïl, Anis Marrakchi et Samia Kassab-Charfi sur l’« héritage intellectuel de Mohamed-Salah Mzali » (217-348), prolongée par l’étude (303-321) que je propose, qui s’inscrit dans cette thématique et porte sur une communication inédite de Mzali datant du 24 avril 1918, reproduite en fin d’ouvrage (323-343). En effet, cette découverte récente dans les archives personnelles de Mohamed-Salah Mzali apporte une dimension supplémentaire à ses centres d’intérêt, à mi-chemin entre l’archéologie et l’exégèse, et un éclairage additionnel sur l’itinéraire d’un intellectuel du makhzen au cours de la première moitié du XXe siècle.
6Grâce à l’accord de l’ensemble de ses ayants-droits, toutes les publications de Mohamed-Salah Mzali, à l’exception de ce dernier texte et de ses mémoires Au fil de ma vie qui viennent de faire l’objet d’une réédition, sont désormais accessibles gratuitement en ligne, sur un site créé à cet effet6.
7Je suis heureux que ces thématiques réunissent une grande partie de la fine fleur de nos intellectuels, de nos historiens, mais aussi – car nous avons voulu que ce colloque soit interdisciplinaire – des sociologue, économiste et spécialiste de littérature pour aborder son œuvre sous ses différents aspects. J’espère que vous trouverez autant de plaisir à suivre ces interventions que nous en avons eu à organiser cette rencontre.
8Carthage
14 décembre 2023
Notes de bas de page
2Mzali Mohamed-Salah, 2023 [1972], Au fil de ma vie, suivi de Jouini Elyès, 2023, Mohamed-Salah Mzali. L’intellectuel et l’homme d'État, Tunis, Cérès Éditions-Beït al-Hikma-Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), préface de Kmar Bendana, [en ligne : https://hctc.hypotheses.org/4265].
3Colloque tenu les 14 et 15 décembre 2023 à l’Académie des Sciences, des Lettres et des Arts Beït al-Hikma (Carthage, Tunisie). Voir notamment le compte rendu du colloque par l’IRMC (https://irmc.hypotheses.org/7396) et l’exposition organisée à cette occasion à Beït al-Hikma (https://sites.google.com/view/mohamedsalah-mzali/au-fil-de-sa-vie/exposition-2023).
4Mzali Mohamed-Salah, 1921, L’évolution économique de la Tunisie (1881-1920), thèse de doctorat en droit/sciences économiques, Tunis, Société anonyme de l’imprimerie rapide de Tunis.
5Les mémoires et une partie de la correspondance de Khéreddine ont été édités par Mzali et Pignon en 1971 (Tunis, Maison tunisienne de l’édition) après leur publication sous la forme d’une série d’articles dans la Revue Tunisienne (entre 1934 et 1940). D’autres éléments issus de la correspondance ont donné lieu à diverses monographies publiées par Mzali au cours de l’année 1969. Les mémoires ont fait l’objet d’une réédition par Beït al-Hikma en 2024, dans une traduction de Mohamed Larbi Senoussi.
6www.mzali.net, site internet consacré à la vie et à l’œuvre de Mohamed-Salah Mzali, avec diverses rubriques thématiques : « Au fil de [s]a vie », « CV », « Famille », « L’intellectuel », « Le Ministre », « Bourguiba », « Galerie » et « Éclairages ».
Auteur
Normalien (ENS Ulm, Paris), professeur d’économie à l’Université Paris Dauphine-PSL et administrateur de l’Institut universitaire de France (IUF).
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La formation des élites marocaines et tunisiennes
Des nationalistes aux islamistes 1920-2000
Pierre Vermeren
2022
La Tunisie du makhzen à l'État national
À la lumière de l'itinéraire de Mohamed-Salah Mzali
Elyès Jouini (dir.)
2025