Bilan de l’activité du Service des antiquités sous la direction d’Alfred Merlin

1Alors que les archéologues amateurs avaient jusqu’à l’époque de Gauckler travaillé sous le joug du Service des antiquités, effectuant des fouilles sur tout le territoire, tels de véritables membres de cette administration, soumis à la politique régalienne de son directeur, le rôle de ces bénévoles connut une évolution notable sous la direction de Merlin. Parfois groupés en associations et sociétés savantes, ces archéologues amateurs avaient intégré la donnée touristique à leurs desseins archéologiques, comprenant tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer de cet argument économique pour l’étude et la sauvegarde du patrimoine du pays. Si les membres de la Société archéologique de Sfax avaient accepté de placer leurs fouilles dans le cadre d’un projet municipal de développement économique, l’Institut de Carthage et le Comité des sites et monuments pittoresques avaient de façon plus éloquente utilisé le tourisme pour tenter de sauvegarder le patrimoine du pays, et plus particulièrement les ruines de l’Antiquité. C’est d’ailleurs ce même argument du tourisme qui fut indirectement à l’origine de la patrimonialisation des ensembles paysagers, sous le joug du Touring-Club de France.

2L’action de ces associations, essentiellement portée par le docteur Louis Carton, personnage emblématique de l’archéologie tunisienne, reste fondamentale pour la préservation du site de Carthage. En endossant le rôle de contestataire dénonçant la destruction des ruines de la Tunisie, Carton constitua à lui seul un contre-pouvoir efficace, véritable complément de l’action du Service des antiquités. Pour servir sa lutte en faveur du patrimoine de l’Antiquité, Carton sut utiliser l’argument du tourisme pour faire prendre conscience aux autorités françaises de Tunisie de l’intérêt de racheter les terrains de Carthage en vue de créer un parc archéologique. Cet argument touristique constitua un levier efficace en faveur du patrimoine du pays, qui complétait les mesures plus concrètes portées par le Service des antiquités.

3L’ouverture de la Tunisie aux premières manifestations du tourisme moderne a été facilitée par les différents types de publication qui, émanant des sociétés savantes comme des scientifiques, permirent de faire connaître la diversité du patrimoine tunisien, protégé par le Service des antiquités et des arts. Parallèlement aux traditionnels récits de voyage et aux publications scientifiques, se diffusait de plus en plus une littérature visant à mettre à la disposition des potentiels touristes, des informations sur l’ensemble du patrimoine du pays, sur les récentes découvertes archéologiques, le tout dans une prose plus accessible, « moins rébarbative²⁰⁶ ».

4Dans ce contexte, où le Service des antiquités pouvait s’appuyer sur les actes militants des associations et des sociétés savantes qui tentaient de compléter l’action patrimoniale officielle, la guerre allait considérablement ralentir l’œuvre du Service.

5La guerre ayant été déclarée pendant l’été 1914, au moment où les membres du Service étaient pour la plupart en congé en France²⁰⁷, il fallut un certain temps pour que l’ensemble du personnel regagne son poste. Pendant ces quatre années, ces fonctionnaires travaillèrent dans des conditions plus difficiles qu’auparavant car leurs budgets avaient bien évidemment été réduits. À l’instar des autres services beylicaux, la direction des antiquités vit baisser ses crédits, la résidence ayant ordonné à toutes les administrations de « veiller à ce qu’aucune dépense ne soit engagée sans présenter un caractère d’urgence et de nécessité absolue pour le bon fonctionnement du service²⁰⁸ ». Cette réduction eut des conséquences sur le programme de restauration des monuments historiques, notamment sur celle de la mosquée de Kairouan dont le projet fut remis à plus tard.

6Entre 1918 et 1920, date à laquelle Alfred Merlin quitta ses fonctions tunisiennes, ce dernier s’attacha à concrétiser ses derniers projets visant à assurer plus efficacement la protection de l’antique Carthage. Il travailla à la promulgation du décret du 8 janvier 1920 sur les antiquités préislamiques, texte conçu pour mettre un terme aux actes de vandalisme que connaissait alors Carthage. Comme si ce texte si décrié ne suffisait pas à assurer la sauvegarde de cette cité antique, Merlin mit au point d’autres formules réglementaires telles que le décret établissant le territoire de la commune de Carthage « zone protectrice des ruines historiques ». Le départ de Merlin doit aussi être remis dans le contexte de la création en 1920 du Comité consultatif des monuments historiques, qui modifiait le mode de gestion du Service des antiquités et des arts et risquait de mettre un terme à la politique régalienne que cette administration menait depuis sa création. Le patrimoine tunisien, qui représentait désormais une charge économique essentielle pour les autorités françaises, n’était plus laissé entre les seules mains des savants archéologues du Service des antiquités.