1Il ne saurait s'agir ici pour nous d'écrire l'histoire de l'enseignement contemporain au Maghreb. Cette histoire en soi requiert un travail de longue haleine et n'est pas notre objet. Il s'agit en effet pour nous de présenter un certain nombre de problèmes connexes à notre problématique d'ensemble. Les traits les plus caractéristiques des systèmes d'enseignement contemporains influent en effet, selon nous, directement sur le mode de production et de formation des élites de demain.

2L'arabisation peut être considérée, malgré sa forte charge symbolique et nationaliste, comme l'instrument d'un véritable apartheid social, et ce d'autant plus qu'elle reste à ce jour largement incomplète. Cette situation faite à l'enseignement secondaire public influence directement la ruée vers les établissements privés francophones de la part des classes dominantes mais aussi moyennes, qu'ils se situent au niveau infra-scolaire des crèches, ou au niveau de l'enseignement secondaire. Les établissements étrangers au Maghreb, en particulier ceux de la Mission (devenue l'AEFE) jouent ici un rôle essentiel, bien qu'il faille souligner la situation différente des cas marocain et tunisien. Dans ce dernier pays en effet, c'est souvent à l'intérieur du système public qu'ont été préservées des filières élitistes échappant en partie à l'arabisation.

3Cette situation de saturation des écoles étrangères et de misère de l'enseignement public devait naturellement déboucher sur la croissance de l'enseignement privé qui avait pourtant été proscrit par les principes fondateurs des indépendances. Les vingt dernières années ont en effet été au Maroc mais aussi en Tunisie celles de l'émergence et de la vive croissance d'un secteur d'enseignement privé, qui s'étend du préscolaire au supérieur. À partir de là, il faudra constater que les systèmes d'enseignement du Maroc et de la Tunisie sont aujourd'hui duaux, et que les passerelles entre les deux versants de cet enseignement semblent de plus en plus ténues.

1. Les politiques d'arabisation, une réponse aux troubles

Parachever l'arabisation incomplète

4Au Maroc comme en Tunisie, les autorités trouvèrent dans la poursuite de l'arabisation des cycles primaire et secondaire de l'enseignement une réponse à la vive contestation lycéenne et étudiante des débuts de la décennie soixante-dix. Après avoir réduit la contestation, ses organisations et ses meneurs, l'arabisation apparut comme la réponse adéquate visant à saper les bases idéologiques de la contestation gauchiste tout en s'appropriant une de ses grandes revendications.

5Mohamed Mzali lança l'opération en Tunisie dans le primaire à la rentrée 1971, tandis qu'il fallut attendre 1977 pour que l'opération commence au Maroc à l'initiative du docteur istiqlâlien Azeddine Laraki. Mohamed Mzali arabisa donc la première année du primaire en 1971, puis poursuivit en 1976 et 1977 pour les deuxième et troisième années primaires. Au total, 3 années primaires sur 5 étaient désormais entièrement arabisées, tandis que l'apprentissage du français comme langue étrangère commençait en 4^e année primaire. Au collège puis au lycée, le mouvement d'arabisation devait toucher les matières littéraires, l'histoire-géographie et la philosophie à partir de la rentrée 1976. En Tunisie, le statut de la langue française devenait celui d'une langue étrangère au primaire, mais restait néanmoins langue d'enseignement pour les matières scientifiques. Mais au niveau du supérieur, c'est tout le versant des disciplines littéraires et juridiques qui devait basculer dans l'arabisation. Sans être arabisées totalement, les facultés des sciences sociales et humaines furent peu à peu arabisées, au fur et à mesure que montaient dans le supérieur les cohortes d'étudiants ayant une maîtrise de plus en plus difficile de la langue française (en faculté d'histoire toutefois, un tiers des questions relatives au monde non musulman continue d'être enseigné en français, sans parler des sections de langues et de psychologie). Le mouvement se produisit au cours des années quatre-vingt. Au terme de la décennie, le droit, la philosophie et la sociologie étaient quasi entièrement arabisés. Au milieu des années quatre-vingt-dix, à la faculté du 9 Avril, la situation telle que nous l'a décrite le professeur Mohamed Hédi Chérif était pour le moins complexe.

6Ce professeur constate que, depuis l'instauration de l'orientation universitaire au début des années soixante-dix, le département d'histoire n'accueille plus que le bas du panier des bacheliers. De la sorte, la sélection en histoire est drastique puisque seuls 15 % des étudiants de première année parviennent à la maîtrise. Or, sur la cinquantaine d'étudiants de licence d'histoire, moins d’1 sur 10 se débrouille correctement en français... quand la quasi-totalité de la bibliographie est en français ! Ces 10 % d'étudiants sont destinés à passer l'agrégation d'histoire qui a été créée en 1985 et qui, de fait, est devenue une carte de plus en plus nécessaire pour entrer dans l'enseignement supérieur. Ce détour par le département d'histoire de la faculté du 9 Avril atteste le caractère extrêmement sélectif de l'enseignement supérieur à l'heure de l'arabisation de toutes les études en sciences humaines et sociales. La situation est telle qu'en droit, pour sauver le niveau des études juridiques, certains enseignants autour des Ben Achour ont créé à la fin des années quatre-vingt à l'Ariana une nouvelle faculté de droit recrutant des étudiants à profil, et où une partie des cours est assurée en français. Les étudiants de Tunis l'ont rapidement surnommée la « faculté Hermès » pour en souligner le caractère élitiste, tandis que la masse des étudiants de l'ancienne faculté de droit du campus subit le poids des sureffectifs et d'une extrême sélectivité en cours de cycle.

7Par-delà ces conséquences très visibles de l'arabisation, il faut toutefois souligner que l'arabisation des études n'a pas été poussée aussi loin en Tunisie qu'au Maroc puisque les disciplines scientifiques, y compris au niveau secondaire, restent enseignées en français. L'arabisation incomplète ne signifie toutefois pas que les bacheliers tunisiens sont capables de rédiger, ou même de communiquer aisément en français. Il y a en effet une très grande différence entre la capacité à suivre des cours de sciences en français, dans une langue semi-étrangère où les symboles et les chiffres ont une part prédominante, et la capacité à réfléchir et à rédiger clairement dans cette même langue.

8Quoi qu'il en soit, cette politique d'arabisation a été suivie avec constance pendant près d'une vingtaine d'années. Lancée par Mohamed Mzali, elle a été poursuivie lors de l'intermède de Driss Guiga à l'Éducation nationale en 1976, puis reprise par le même Mzali. La deuxième moitié du règne de Bourguiba est d'ailleurs marquée de ce point de vue par une grande continuité puisque Mohamed Mzali, issu comme Bourguiba de Monastir où il naquit en 1925, et par ailleurs licencié de philosophie, fut de manière quasi ininterrompue ministre de l'Éducation nationale de décembre 1969 à avril 1980 (malgré deux intermèdes de juin 1970 à octobre 1971 puis de mars 1973 à juin 1976). Par la suite, loin d'être désavoué, il devint Premier ministre d'avril 1980 à 1986, et le ministère de l'Éducation nationale resta aux mains de ministres monastiriens. La politique d'arabisation qu'il prôna avec constance mais non sans opportunisme (ou populisme) marqua donc de son sceau presque deux décennies de pouvoir bourguibien. Ce n'est qu'après le 7 novembre 1987 que put se faire jour une nouvelle orientation politique à la tête de ce ministère.

9Au Maroc, un long règne présida lui aussi au développement de l'arabisation, celui du docteur Azeddine Laraki, venu au pouvoir en tant que membre du Comité exécutif de l'Istiqlâl, lors de son retour au pouvoir en 1977, en pleine union sacrée autour de la cause saharienne. Ce dernier devait demeurer près de 10 ans titulaire du poste de l'Éducation nationale, du 10 octobre 1977 jusqu'au 12 mars 1986 (sous les gouvernements Osman puis Bouabid à partir du 5 novembre 1981), date à laquelle il devint Premier ministre jusqu'au mois d'août 1992. Ainsi, avec un léger décalage chronologique par rapport à la Tunisie, un long règne d'une quinzaine d'années débuta pour le promoteur de l'arabisation qui devait devenir Premier ministre. Ce seul fait et ce parallélisme attestent la haute importance stratégique et politique accordée à l'arabisation de renseignement au Maghreb par la classe dirigeante. Au Maroc, cette arabisation incomplète - parce qu'elle s'arrêta aux portes de l'enseignement supérieur scientifique - eut des conséquences redoutables, plus encore qu'en Tunisie, puisque l'ensemble de l'enseignement secondaire fut arabisé, ce qui accrut à la fois la sélectivité et la ghettoïsation d'un grand nombre de filière de l'enseignement supérieur.

10La personnalité du docteur Azeddine Laraki n'est pas sans intérêt pour montrer le caractère tactique et stratégique de l'arabisation au Maroc, qui démarra moins de 12 ans après le virage d'un autre docteur, celui de Mohammed Benhima. Contestée et menacée au début des années soixante-dix, la monarchie de Hassan II opéra un virage dicté par la pression exercée par les forces de l'opposition nationaliste et gauchiste. Engagé dans l'affaire saharienne qui lui permit de desserrer l'étau des oppositions, Hassan II choisit de faire revenir l'opposition au pouvoir pour mieux l'impliquer dans la gestion des affaires du royaume. L'arabisation lui apparut comme le gage fort qu'il pouvait offrir à peu de frais à l'Istiqlâl qui en avait fait une de ses principales revendications depuis l’indépendance. Mais il ne s'agissait pas de confier le poste stratégique de ministre de l'Éducation nationale à un idéologue ou à une personnalité ayant longuement milité en faveur de l'arabisation, à l'image du ministre Mohammed el Fassi des lendemains de l'indépendance. Le choix du Roi se porta donc sur Azeddine Laraki.

11Issu d'une grande famille de chorfa fassis, Azeddine Laraki est né à Fès en 1929. Après y avoir étudié, il part après-guerre à Paris pour suivre les cours de la faculté de médecine jusqu'au doctorat, obtenu en 1957. Malgré sa présence dans le Paris de l'après-guerre, il n'est alors pas connu comme militant actif de l'indépendance du Maroc. De retour dans le Maroc indépendant, il est envoyé comme médecin à Oujda jusqu'en 1958 avant d'être nommé, en raison de ses diplômes et de son milieu, directeur de cabinet du nouveau ministre de l'Éducation nationale, à un moment où le gouvernement prend ses distances avec les élans arabisateurs de Mohammed el Fassi. Il devient en 1959 directeur de cabinet du ministre de la Santé du gouvernement Ibrahim, ce qui est plus conforme à son parcours. Azeddine Laraki est alors membre du parti de l'Istiqlâl, à une époque où le parti est encore en plein bras de fer avec la monarchie. Après le renvoi du gouvernement Ibrahim, il entame alors une carrière hospitalière comme directeur de l'hôpital Avicenne où il est chef du service de pneumologie. Il obtient son agrégation de médecine en décembre 1962.

12Durant la traversée du désert de l'Istiqlâl, Azeddine Laraki en est membre du Comité exécutif, et c'est à ce titre qu'il est appelé ministre de l'Éducation nationale et de la Formation des cadres en octobre 1977, ministre istiqlâlien en compagnie de M'Hammed Boucetta et d'Abdelhafid Kadiri. Azeddine Laraki n'est pas un idéologue de l'arabisation, et son passé peu militant de l'avant 1956 le fait certainement considérer par le Roi comme un personnage acceptable. Le fait que ses enfants soient scolarisés à la Mission française à Rabat, au demeurant comme d'autres enfants de membres du Comité exécutif, atteste des convictions pour le moins tièdes du ministre. Aussi, lorsque le nouveau ministre entame le processus d'arabisation sur directive royale, ses discours ne sont guère passionnés : « Nous arabisons parce que nous sommes condamnés à arabiser », « la question de l'arabisation du supérieur ne se pose pas », « Je pense sérieusement que notre isolement linguistique et le repli chauvin sur notre culture ne pourraient être que néfastes »... On comprend dès lors que le ministre ne devait guère, en dépit de sa politique, entretenir de relations de confiance avec son parti. La brouille ne tarda pas, et quelques années après sa nomination, A. Laraki fut exclu du parti, ce qui était certainement nécessaire pour intégrer pleinement le système de gouvernement hassanien.

13En dépit de tout cela, le nouveau ministre mena une politique assez lente (elle ne démarra vraiment qu'en 1982) mais radicale d'arabisation. La politique d'arabisation des matières littéraires, entreprise au début de la décennie soixante-dix, fut étendue aux matières scientifiques. Désormais, un enfant entrant dans le cursus scolaire connaît 3 années entièrement arabisées (sans parler de l'école coranique nouvelle mouture) puis, comme à Tunis, commence l'étude du français comme langue étrangère en 4^e année primaire. En revanche, avec l'arabisation totale des matières scientifiques qui s'échelonna de 1982 à 1989, la langue française garde un statut de langue étrangère jusqu'au baccalauréat. La première « promotion des arabisés » entra donc dans le supérieur en 1989. Les années quatre-vingt au Maroc furent donc celles d'une longue veillée d'armes. Tout continuait comme avant dans le supérieur, mais les collèges puis les lycées étaient soumis à la rude épreuve de l'arabisation.

14Les professeurs de sciences marocains formés en français durent, du jour au lendemain, formuler leurs cours en arabe, et face à l'extension des effectifs scolarisés, on dut recruter nombre d'enseignants aux compétences scientifiques et linguistiques douteuses, à l'image de ce que l'on avait fait dans les années soixante-dix pour les sciences humaines. Le tout s'opérait dans un contexte de blocage des salaires des fonctionnaires depuis le milieu des années soixante-dix à l'heure de la récession, qui accentua encore le discrédit porté à la condition des enseignants. La carrière gouvernementale du docteur Laraki se poursuivit pendant la décennie, et un universitaire l'entendit même déclarer dans un avion qui survolait Ouarzazate : « Est-ce qu'on ne pourrait pas leur mettre un peu de berbère aussi pour les embrouiller un peu plus ? »...

15Or, au terme de cette décennie, alors que la première promotion des arabisés allait quitter le lycée, l'arabisation fut arrêtée net. Pour faire bonne mesure, le ministère de l'Éducation nationale convoqua en janvier 1989 des « Journées d'études sur l'élévation du niveau d'enseignement des langues », où l'on décida d'arrêter la politique d'arabisation. On affirma que l'enseignement supérieur « pratique » ne pouvait pas être arabisé pour plusieurs raisons : impossibilité pour les enseignants formés en français de se mettre à l'arabe (ce qui avait été fait dans les lycées), nécessité d'attendre que les jeunes actuellement formés en arabe « prennent la relève dans vingt ans au minimum », impossibilité pour le Maroc de se couper de la recherche qui se fait en français et en anglais, problème des manuels que l'on ne peut traduire faute de crédits... En réalité, les arguments que le docteur A. Laraki, alors Premier ministre, avait délivrés près de 12 ans auparavant, étaient repris presque terme à terme.

16Le Maroc aborda ainsi la décennie quatre-vingt-dix avec la situation remarquable d'un système public d'enseignement coupé en deux par la question linguistique, non pas dans le sens vertical de filières mixtes ou dédoublées, mais dans le sens horizontal. Les élèves du primaire puis du secondaire reçoivent un enseignement entièrement arabisé, alors que les étudiants (qu'ils deviennent) entrent dans un enseignement supérieur dispensant largement ses cours en français. Mises à part les facultés des sciences humaines et sociales, toutes les facultés de sciences (y compris de sciences économiques), de médecine, les nouvelles classes préparatoires et les écoles d'ingénieurs, les Grandes Écoles et instituts techniques de formation des cadres, utilisent le français comme langue d'enseignement. Plus encore qu'à Tunis, les étudiants marocains sont, en grande majorité, incapables de rédiger un texte cohérent et bien structuré en français, et dans les années quatre-vingt-dix, de nombreux titulaires de maîtrise de sciences économiques (par exemple) sont incapables de parler correctement, et a fortiori de développer une argumentation en français, langue de travail courante de la haute administration et de tout le secteur privé. Notons que cette situation faite à l'enseignement marocain n'est pas unique, puisque l'Égypte des années quatre-vingt connaît le même système de partition entre un enseignement secondaire arabisé et un enseignement supérieur scientifique francophone ou anglophone dans ses meilleures filières.

L'éclatement des universités mères...

17Pour répondre à la montée de cohortes de bacheliers qu'il était difficile d'écarter en masse des études supérieures, et endiguer la menace des mouvements étudiants, dont les années soixante-huit/soixante-treize avaient montré la force, les autorités politiques du Maroc et de Tunisie trouvèrent une autre parade que l'arabisation. La répression des mouvements et syndicats étudiants avait été une réponse de court terme. L'arabisation était, elle, une réponse de moyen, voire de long terme pour saper les bases idéologiques de la gauche contestataire. Mais ces solutions n'offraient pas la garantie que les étudiants ne reprennent pas un jour le chemin de la contestation, a fortiori dans un contexte de massification et de chômage croissant des diplômés. Aussi la déconcentration des universités mères de Tunis et Rabat apparut-elle comme une garantie supplémentaire pour écarter la menace et disperser les mouvements étudiants.

18Certes, la création de nouvelles universités et facultés relevait souvent de l'urgence, au vu de la concentration toujours plus forte d'étudiants dans le quartier Sud de l'Agdal à Rabat et dans les faubourgs de Tunis. Mais la géographie des nouvelles localisations universitaires et le nombre d'établissements qui furent créés laissent deviner la tentation sécuritaire des régimes maghrébins lorsqu'ils procédèrent au milieu des années soixante-dix à l'aménagement d'une nouvelle carte universitaire. À Rabat comme à Tunis, la concentration étudiante pouvait apparaître comme une menace permanente, et l'on décida ainsi de multiplier les établissements en province, attitude qui n'est pas sans rappeler le souci de Lyautey de créer une université à Ifrane, ou celui des autorités coloniales des années trente de répartir les étudiants marocains en France dans les villes de province, au « contact de la France réelle ». Au Maroc, la « réorganisation » ou plus précisément l'éclatement, de l'ENS de Rabat en 1970 (décret du 7 octobre 1970) qui s'accompagna de la création des Centres pédagogiques régionaux (par décret de la même date), tout comme l'éclatement de l'ENS de Tunis et son déplacement en province au début des années quatre-vingt, pouvaient servir d'exemple.

19Au Maroc, Casablanca possédait depuis le protectorat une annexe de la faculté juridique de Rabat, mais celle-ci accéda désormais au rang de faculté (décret du 16 juillet 1974) et ses nouveaux locaux furent construits loin du centre-ville, sur la route d'Al Jadida. Ainsi, tandis qu'était créée à Rabat l'université Mohammed V (décret du 8 janvier 1974), qui cessait donc d'être l'université du Maroc, de nombreuses facultés provinciales étaient créées dans les grandes villes : faculté des lettres de Fès en juillet 1974, faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca à la même date, faculté des sciences juridiques à Fès en janvier 1975... en attendant les facultés de Marrakech. Enfin, pour couronner l'édifice, un décret du 16 octobre 1975 porta création des différentes universités du Maroc, à l'instar de l'université Hassan II de Casablanca.

20Pour montrer l'importance de l'aspect sécuritaire, il faut citer le cas des facultés de Casablanca. Loin de rassembler les établissements comme à Rabat dans un périmètre relativement étroit, ceux de Casablanca furent dispersés dans les banlieues lointaines de la grande agglomération. Outre la faculté de médecine envoyée le long de l'avenue Abdelmoumen, prolongement de l'avenue Hassan II mais maintenant intégrée à la ville, la faculté des sciences humaines fut envoyée dans la banlieue populaire d'Ain Chock au sud-est de la ville, à plus d'une dizaine de kilomètres du centre. À l'extrême opposé fut créée la faculté de droit, sur la route d'Al Jadida au Sud-Ouest, bien après Anfa. C'est sur cette même route que furent d'ailleurs installés un certain nombre d'écoles ou instituts supérieurs comme l'ISCAE, toujours en dehors de la grosse agglomération, ou l'école Hassania de Travaux publics. Enfin, la dernière création, la faculté des lettres de Ben Msik, fut envoyée dans une banlieue populaire encore au-delà d'Ain Chock. De cette manière, les étudiants sont isolés les uns des autres, et occupés pendant plusieurs heures par jour à attendre des bus en nombre très insuffisants. Cette situation devait susciter de multiples mouvements de révoltes, mais finalement cantonnés dans leur périphérie et peu dangereux pour l'ordre public.

21En Tunisie, l'émiettement fut presque plus intense qu'au Maroc puisque l'on y compte aujourd'hui 6 universités dans un pays peuplé comme la région parisienne mais comptant 10 fois moins d'étudiants. Dans le Nord du pays se situent 4 universités, Ezzitouna ainsi que Tunis I, II, et III. Le centre compte une université basée à Sousse et à Kairouan et le Sud une basée à Sfax, mais ayant chacune plusieurs antennes dans les villes proches. Cette division, favorable dans une perspective d'aménagement du territoire, permet néanmoins de répartir les 68 535 étudiants que comptait la Tunisie en 1990-1991 entre 63 établissements, 19 facultés et 44 écoles et instituts. Quoique les universités du Nord regroupent à cette date 70 % des étudiants, la quasi-totalité des secteurs d'enseignement sont divisés en un grand nombre d'établissements. Si l'on prend l'exemple des sciences de l'ingénieur qui regroupe en 1990-1991 6 855 étudiants, ces derniers sont répartis entre 12 écoles, la plus grosse d'entre elles étant l'ENSET qui compte à cette date 1 138 étudiants. Ces établissements sont répartis à Tunis, Sousse, Gabès, Nabeul, Ksar Helal, Gafsa.

22De la sorte, aucun établissement tunisien d'enseignement supérieur ne compte plus de 6 000 étudiants, le plus gros d'entre eux, la faculté des sciences humaines de La Manouba (elle-même construite loin du centre de Tunis) comptant 5 916 étudiants en 1990-1991. La volonté de segmentation est ici manifeste, surtout quand on compare ces chiffres avec ceux des universités françaises qui regroupent souvent sur un même site plusieurs dizaines de milliers d'étudiants. La multiplication d'établissements de petite taille (une quinzaine ont moins de 200 étudiants), et le dédoublement des facultés mères comme la faculté de médecine de Tunis (qui compte 4 rivales provinciales), entraînent une dispersion des moyens dans un contexte que les effectifs modestes peinent à justifier, et attestent la volonté sécuritaire du régime qui a dispersé pour mieux contrôler.

23La volonté de contrôle est d'ailleurs physiquement présente dans les facultés du Maghreb puisqu'en Tunisie comme au Maroc, des membres des forces de l'ordre sont présents sur les campus depuis les années soixante-dix. Un commissariat de police est installé à Rabat sur le « campus de la connaissance » à Agdal par exemple. Et aux « vigiles » en uniforme, policiers en civil et autres faux-étudiants des campus, que les étudiants marocains ont de longue date surnommés les Awax, répondent les policiers en uniforme et armés de mitraillettes qui stationnent à l'entrée de nombreux établissements d'enseignement supérieur tunisiens, épaulés à l'intérieur par des civils ou des faux étudiants mandatés, et toujours très actifs à la fin des années quatre-vingt-dix. À Kairouan par exemple, ils procèdent depuis quelques années à la faculté des lettres à une animation culturelle visant à détourner les étudiants de la chose politique (soirées dansantes, animation de la cafétéria, club de sports, etc.)

Vers une nouvelle forme de contestation

24Au moment où les autorités politiques du Maghreb entamaient une lutte sans merci contre les mouvements gauchistes et les syndicats étudiants au début des années soixante-dix, elles eurent le souci d'allumer un contre-feu idéologique en suscitant la naissance d'organisations d'obédience fondamentaliste. À Tunis, Bourguiba laissa se constituer en 1970 l'Association de sauvegarde du Coran (ASC) et facilita son entrée à l'université pour combattre la puissante UGET alors aux mains des étudiants gauchistes, tandis qu'au Maroc, les autorités officielles favorisèrent la création de l'Association de la jeunesse islamique en 1973 pour les mêmes raisons qu'à Tunis. Interdite en 1975 pour l'implication supposée de ses membres dans le meurtre du leader de l'USFP Omar Benjelloun, le 18 décembre de cette même année, elle avait en effet rapidement évolué comme « un vecteur de radicalisation et de contestation du régime ».

25À partir de ce moment, les étudiants d'obédience islamiste et leurs militants très actifs et disciplinés prirent une part croissante dans le mouvement étudiant, aussi bien au Maroc qu'en Tunisie, jusqu'à prendre le contrôle des syndicats étudiants historiques. Tahar Chegrouche montre bien comment la crise du gauchisme étudiant tunisien, à partir de la répression qui s'abattit sur lui en février 1977, favorisa la poussée du mouvement islamiste sur les campus. Les étudiants politisés de gauche ayant abandonné le terrain culturel au profit des luttes politiques, ce champ culturel (notamment religieux) avait été peu à peu investi par les étudiants islamistes. La mosquée du campus de Tunis construite au début de la décennie près de l’ENIT devait rapidement devenir un de leurs fiefs. À partir de la rentrée 1977, les étudiants islamistes fondent un courant politique au sein d'une véritable mosaïque politique. Or, à cette époque, la politique de leur allié objectif Mohamed Mzali commençait à porter ses fruits : les étudiants entrant à l'université étaient « imprégnés de valeurs islamiques ». Le début de libéralisation politique du régime en 1979 offrait dès lors un prolongement politique à cette activité syndicale : la Jamâa al-Islamiya constituée en avril 1972 se transforma plus tard en parti politique, le Mouvement de la Tendance islamique (janvier 1981). Dirigé par des intellectuels de formation universitaire à l'instar du professeur de philosophie Rached Ghannouchi ou du juriste Hassan Ghodbani, le mouvement trouvait dans le public étudiant une base militante de plus en plus radicale.

26Le double jeu de l'ambitieux Premier ministre Mohamed Mzali permit au mouvement d'échapper aux conséquences de la rigueur bourguibienne pour fomenter une prise armée du pouvoir à l'instar des Iraniens en 1979. Les violences anti-policières et les attentats de l'été 1987 poussent le Premier ministre Zine el Abidine Ben Ali, général formé à Saint-Cyr, à prendre lui-même la direction des affaires. Procédant dans un premier temps à une large amnistie, il autorise même la renaissance de deux syndicats étudiants, l'UGET pour les étudiants de gauche et l'Union générale tunisienne des étudiants (UGTE) pour les étudiants proches du MTI.

27Pourtant, le général Ben Ali, convaincu que la confrontation avec l'islamisme politique est inéluctable, ne tarde pas à l'affronter, et procède dès 1990 aux premières arrestations en série. Le mouvement Ennahda, déstabilisé, trouve alors dans les universités tunisiennes sa base la plus sûre. À partir de l'hiver 1991, les islamistes commencent à faire régner la terreur sur les campus de Tunis, Sousse et Kairouan, et à y affronter directement les forces de l'ordre. L'UGET est alors suspendue fin mars 1991, ce qui déclenche une nouvelle vague de violences qui culmine dans les universités le 8 mai 1991. L'occasion est saisie par les autorités pour procéder à une grande vague d'arrestations visant à décapiter le mouvement. L'université est fermée 10 jours et reprend ses activités en l'absence des militants islamistes, dans un contexte de relative indifférence d'une population tétanisée par l'éclatement de la violence en Algérie.

28Après plusieurs réformes de l'enseignement et près de 10 ans plus tard, les campus tunisiens, comme d'ailleurs de nombreux campus à travers le monde du fait d'une dépolitisation progressive des étudiants, sont redevenus plus calmes sous le contrôle vigilant des forces policières et des faux étudiants du RCD. L'absence de libertés publiques laisse pourtant poindre des foyers d'opposition, et comme par un grand retour de balancier, le contexte semble aujourd'hui plus favorable aux étudiants de gauche redevenus actifs. Ces derniers, affiliés au parti ouvrier communiste tunisien (proche du mouvement des démocrates socialistes), ont gagné les élections étudiantes (contre l'UGET officielle) dans plusieurs universités en 1998 et 1999, comme au 9 Avril à Tunis ou à la faculté des lettres de Kairouan. Mais c'est toujours sous l'accusation d'islamisme que ces derniers sont aujourd'hui pourchassés ou emprisonnés.

29Au Maroc, après la dissolution de l'Association de la jeunesse islamique en 1975, le mouvement islamiste étudiant fut privé définitivement de toute représentation légale. Lors de la renaissance de l'UNEM en novembre 1978, ce furent encore les étudiants de gauche qui en reprirent le contrôle. Les XVI^e et XVII^e congrès de l'UNEM, en 1979 et 1981, furent jusqu'à la fin du siècle les derniers de l'organisation étudiante. Au début de la décennie quatre-vingt, l'agitation politique et syndicale reprit sur les campus dans la droite ligne des années soixante-dix, en particulier à Rabat qui comptait encore 55 % des 80 000 étudiants marocains. Ainsi, les manifestations des 5 et 6 février 1981 furent sanctionnées par de nombreuses peines d'emprisonnement pour « troubles de l'ordre public ». En mai 1981, encore 7 étudiants marxistes-léninistes étaient condamnés pour complot, tandis que plusieurs établissements universitaires venaient de connaître des grèves - et fermetures administratives - de solidarité avec les étudiants de l'ENS de Rabat.

30Toutefois, un événement lourd de conséquences devait marquer la vie étudiante au cours de l'été. En effet, lors de son XVII^e congrès du 22 août au 5 septembre 1981, l'UNEM éclata par scission des étudiants membres de l'USFP. 5 membres (au lieu de 12) furent élus à la commission exécutive de l'UNEM : 3 gauchistes, qui furent arrêtés et emprisonnés peu après, et 2 étudiants du PPS (parti communiste). Consacrant la division de l'ancien mouvement national, l'Istiqlâl, dont le ministre de l'EN était membre, et qui continuait de contrôler l'UGEM, critiqua vivement dans son organe Al Alam du 14 décembre les mouvements de grève étudiants. À partir de là commença une lente mais méthodique conquête du syndicat étudiant par les islamistes. Ce travail de fond devait durer près d'une dizaine d'années au terme desquelles le syndicat de gauche avait vécu. En 1991 encore, les campus marocains, en particulier à Fès, étaient animés par une lutte entre étudiants « fondamentalistes » et étudiants « progressistes ».

31Pourtant, dès cette date, les étudiants islamistes avaient déjà partie gagnée. Ce sont eux qui animaient désormais les mouvements de grève à l'université, de la faculté de médecine de Casablanca à la faculté des lettres de Kénitra en passant par celle d'Oujda (où commença une grève de la faim de 23 étudiants de la faculté des lettres le 15 mai 1991). Les syndicats et partis de gauche savaient qu'ils avaient perdu le contrôle sur le mouvement étudiant, à l'image de l'USFP qui interpella le ministre de la Santé sur les événements de la faculté de médecine de Casablanca. Les nouveaux slogans (par exemple « Les traîtres seront maudits et Allah est grand ») ne pouvaient que leur rappeler cette cruelle réalité. C'est alors que les autorités prirent conscience du phénomène et qu'eut lieu (en novembre 1991) une première grande réunion entre ministères, forces de l'ordre, doyens et directeurs des établissements supérieurs pour faire le point et dénoncer la valeur légale des élections « sauvages » ayant eu lieu sur les campus en février 1990.

32Néanmoins, à l'inverse des situations algérienne et tunisienne, les autorités marocaines n'affrontèrent jamais directement le mouvement étudiant islamiste, se contentant de réprimer à la marge toute dérive extrémiste incontrôlée. D'ailleurs, le pouvoir semble accepter comme un moindre mal, tout au moins jusqu'à la mort d'Hassan II 1999, le monopole islamiste de la représentation étudiante. Aussi, à la faveur des contingents d'étudiants que l'arabisation totale du secondaire précipita dans les universités à partir de la rentrée 1989, le mouvement étudiant islamiste continua de croître en importance durant les années quatre-vingt-dix. L'UNEM pouvait désormais être, à juste titre, rebaptisée officieusement, Union Nationale des Étudiants musulmans.

33À la fin de la décennie, les islamistes se sentirent suffisamment forts pour envisager la tenue du XVIII^e congrès de l'UNEM. Les sixièmes rencontres des étudiants de « Al-Adl wa Al-Ihsane » du cheikh Abdeslam Yassine, lui-même ancien inspecteur de l'enseignement secondaire, qui se tinrent en février 1999 à Rabat, précisèrent nettement cette hypothèse, suscitant une levée de boucliers de la classe politique. Les partis de la Koutla, en particulier l'USFP, dénoncèrent l'OPA des islamistes sur l'UNEM, ne voulant reconnaître que la direction historique du XVI^e congrès dirigée par Mohammed Boukri, et dont la plupart des membres ont intégré la classe dirigeante marocaine, à l'instar du gauchiste Mohcine Ayouche devenu vice-président de la CGEM (patronat marocain) ou des 4 vice-présidents USFP (Yahya Bouabdalaoui, Abdellah Bouchtaoui...) devenus membres des cabinets des ministres USFP depuis l'alternance de 1998.

34Ce déni de réalité de la part des partis de la Koutla ne peut occulter à ce jour, et depuis une décennie, le quasi-monopole de facto de la représentation étudiante par des militants d'Al-Adl wa Al-Ihsane qui tiennent l'ensemble des facultés et nombre de Grandes Écoles du Maroc. Hassan Bennajeh, au nom du mouvement, n'hésite pas à affirmer :

« Soit. Nous sommes pour des élections démocratiques dans toutes les institutions universitaires, et prêts à nous plier aux résultats du scrutin. Ceux qui nous accusent d'être antidémocratiques sont ceux-là mêmes qui n'existent plus sur le terrain ».

35Mohammed Tozy a d'ailleurs montré comment les islamistes avaient d'ores et déjà fait main basse sur l'université marocaine. Une enquête réalisée en 1995 sur le mouvement estudiantin de Casablanca a montré que la totalité de ses dirigeants est islamiste, soit 64 étudiants appartenant aux facultés de droit, des lettres (dont 75 % d'étudiants appartenant aux filières arabisées) et des sciences. Ces militants qui, au demeurant, font de plus en plus régner un ordre moral suscitant l'autocensure des enseignants, s'attirent les faveurs de la masse des étudiants par leur action qui vise à pallier les énormes carences d'un système d'enseignement démuni et n'offrant guère de perspectives d'avenir...

Les autorités politiques en difficulté

36Ces conséquences menaçantes, pour ne pas dire désastreuses, du grand tournant sécuritaire et arabisateur des années soixante-dix restèrent sans réponse tant que Mzali et Laraki demeurèrent Premiers ministres de la Tunisie et du Maroc. Ce fut leur départ qui rendit possible une nouvelle approche en matière de politique de l'enseignement, en particulier dans le domaine de l'arabisation. La Tunisie de Ben Ali prit les devants dès la fin des années quatre-vingt. De même que l'on avait tenté 20 ans auparavant de saper les bases idéologiques de la contestation gauchiste, il s'agissait désormais de faire machine arrière pour réactiver parmi les étudiants d'avantage d'esprit critique et de rationalisme. La langue française apparut dès lors comme un des vecteurs de la réforme, quoiqu'il ait été impossible de revenir totalement en arrière. À Tunis, cette politique fut confiée à un éminent juriste francophone, président fondateur de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, Mohamed Charfi. Nommé ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique le 11 avril 1989, ce dernier fut chargé de réformer l'enseignement dans le sens de la réaffirmation des valeurs de la modernité et de la citoyenneté.

37Après de premières mesures symboliques visant à retirer des établissements les manuels scolaires d'inspiration islamiste, à interdire le port du voile par les élèves et à rétablir partout la mixité, il élabora un vaste projet de loi sur le système éducatif (loi du 29 juillet 1991). Après avoir défini les finalités du système éducatif tunisien (fidélité et loyauté à l'égard de la Tunisie, lutte contre toute forme de ségrégation ou discrimination, formation des citoyens, acquisition de langues étrangères en plus de la langue nationale...), le texte de loi rend obligatoire la scolarité de 6 à 16 ans. Le système scolaire est désormais constitué de deux cycles, l'enseignement de base (qui dure 9 ans) et l'enseignement secondaire (deux degrés de 2 ans chacun). Cette réforme est parachevée par une refonte des manuels scolaires visant à lutter contre l'obscurantisme. Elle s'accompagne de la séparation entre instruction civique et instruction religieuse, tandis que les droits de l'homme sont désormais enseignés dans le secondaire et comme discipline à part à la faculté de droit.

38Au plan linguistique, la refonte des horaires d'enseignement donna à la langue française une place importante. Le français est toujours enseigné obligatoirement à partir de la 3^e année du cycle de base, mais selon un horaire lourd (qui va de 9 heures par semaine en 3^e année à 11,5 heures en 5^e année). Le français est langue obligatoire pour l'examen du diplôme de fin d'études de l'enseignement de base, et la loi le rend aussi obligatoire au baccalauréat, aux côtés de l'anglais. Le nouveau baccalauréat entra en vigueur à partir des années 1993-1994 (première session) et 1994-1995 (deuxième session). C'est dire qu'à partir de la promotion de bacheliers 1995, les étudiants tunisiens devaient retrouver un niveau de langue française élevé, cas unique au Maghreb, du fait des horaires importants de cette langue tout au long de la scolarité, de son emploi comme vecteur linguistique pour l'enseignement des sciences et de son statut de matière obligatoire dans les 5 filières du baccalauréat. Encore les futures promotions de bacheliers vont-elles voir leur niveau linguistique en français s'améliorer du fait de l'augmentation des horaires de français tout au long de leur scolarité.

39Cette situation nouvelle faite à l'enseignement de la langue française allait permettre au successeur de Mohamed Charfi de 1995 à 1999, Dali Jazi, autre juriste de formation française, d'accroître la place du français dans l'enseignement supérieur. Ainsi, depuis la rentrée 1998, le français est redevenu langue d'enseignement dans plusieurs facultés de lettres comme en philosophie. Désormais, 50 % des enseignements dans cette faculté sont prodigués en français, ce qui ouvre à nouveau aux étudiants tout le champ bibliographique de langue française, en particulier celui des classiques de la philosophie occidentale. Cette réforme rendue possible par l'élévation (dûment constatée par les universitaires) du niveau de langue française des étudiants, allait aussi avoir une influence sur la place des études de français dans le système de l'orientation universitaire. Les facultés de français ont fréquemment constitué un premier ou second choix des étudiants y étant admis, et elles représentent en 1998 le quatrième choix de l'orientation, ce qui constitue une remontée considérable. Cette situation s'explique en partie par la réouverture des débouchés dans cette filière autrefois saturée, en particulier pour les postes d'enseignement, à l'inverse de la philosophie extrêmement saturée (400 maîtrisards de philosophie en 1998 pour 4 postes d'enseignants).

40Au Maroc, les pouvoirs publics n'ont en revanche guère répondu à la situation qu'ils avaient créée dans les années quatre-vingt. La montée de l'islamisme dans les universités du royaume (désormais au nombre de 15), l'échec patent de l'arabisation en terme de qualité de l'enseignement et le chômage croissant des diplômés semblent avoir été acceptés jusqu'au terme du règne de Hassan II. Seule la presse continue de dénoncer le fiasco de l'enseignement public qui n'est plus un secret pour personne. À l'arrivée des premières promotions d'élèves arabisés dans les facultés à partir de la rentrée 1989, il n'y eut que des initiatives personnelles, le plus souvent d'enseignants, pour tenter de limiter les dégâts. Le principal problème étant l'arabisation des sciences toujours enseignées en français dans le supérieur, nombre d'enseignants décidèrent dès le premier cycle de procéder à une heure par semaine de terminologie en français. De même, à leur arrivée à l'université, les étudiants en sciences se virent proposer 2 semaines de remise à niveau linguistique. En l'absence de directives officielles, une pédagogie spécifique a été élaborée dans chaque établissement (utilisation du rétroprojecteur pour que les étudiants puissent copier un cours sans le comprendre, distribution de cours polycopiés dès le début de l'année...). Jusqu'au départ d'Azeddine Laraki du gouvernement en août 1992, rien ne vient cependant résoudre ces questions au niveau officiel.

41Après son départ, l'arrivée à l'Éducation nationale d'un ingénieur d'une Grande École française passé naguère par la prépa’ de Lyautey, Rachid Benmokhtar, sembla un temps signifier une réorientation de la politique en cours. Et ce d'autant que Hassan II, à la veille de la remise du fameux rapport de la Banque mondiale en juin 1995, appela à une révision urgente de l'enseignement arrivé à une « situation dramatique ». Cependant, les projets de réforme longuement élaborés ne débouchèrent que sur une ébauche de réforme. Deux axes furent particulièrement retenus : le développement de l'éducation en milieu rural (qui resta à l'état d'intention jusqu'au gouvernement d'alternance) et le développement de filières bilingues (qui fut intégré parmi les programmes de la coopération française lors de la venue du ministre français de l'EN François Bayrou à Rabat en mai-juin 1996).

42Ce projet novateur allait clairement à rebours de la politique d'arabisation menée au Maroc depuis les années soixante-dix. À la rentrée 1996, la création de l'option langue française (OLF) dans les différentes sections du cycle secondaire des lycées marocains visait à réintroduire l'enseignement de la littérature française à raison de 7 heures d'études du français par semaine (au lieu de 5 heures de cours de langue). L'expérience visait, comme à Tunis, à renforcer le niveau de langue française des lycéens et à réintroduire au lycée des éléments d'ouverture culturelle. En 1999-2000, le projet était resté au stade expérimental, puisqu'à Rabat-Salé par exemple, seul le lycée Hassan II offrait cette option à une partie de ses élèves. L'alternance politique de 1998 donna en effet un coup d'arrêt très net à l'extension du modèle. Le ministère de l'EN fut confié au PPS en la personne d'Ismaïl Alaoui, auquel était adjoint Abdallah Saâf (PSD issu de l'OADP) à l'enseignement secondaire. Après avoir brandi l'étendard de la réforme, les deux hommes évoquèrent d'une part l'impossibilité d'arabiser entièrement le supérieur (Ismaïl Alaoui) et d'autre part leur ferme conviction en l'arabisation (A. Saâf). Rien n'avait donc changé, si ce n'est que le ministre délégué à l'Enseignement secondaire se montra hostile à l'extension des classes de l'OLF.

43C'est du Palais que vint en définitive en juillet 1998 un nouvel appel pour une réforme de fond en comble du système éducatif. Une Commission spéciale éducation et formation (COSEF) composée de 38 membres et présidée par un ingénieur, Meziane Belfkih, eut la charge de procéder à des consultations en lien avec le MEN pour élaborer un projet de réforme. Un an plus tard, la Commission remit son rapport, sous forme d'une « Charte nationale de l'enseignement » au gouvernement qui, à l'automne 1999, en discutait les modalités sous le regard attentif du jeune souverain Mohammed VI.

2. L'attrait de la « Mission » se renforce

44Les conventions culturelles négociées par la France lors de l'indépendance de ses deux anciens protectorats se traduisirent par le maintien au Maghreb d'un enseignement public français. Les établissements publics français qui ne furent pas rétrocédés aux États maghrébins relevèrent désormais de la « Mission universitaire de coopération française » (MUCF). Pendant les premières années de l'indépendance, ces établissements scolarisent en majorité des écoliers et lycéens français ou européens, ainsi qu'une forte minorité d'élèves marocains ou tunisiens issus le plus souvent de milieux très favorisés, dans la droite ligne de ce qui s'était passé sous le protectorat. Pourtant, cet enseignement servi par des fonctionnaires français expatriés demeurait alors un enseignement public, laïc et gratuit. Les élèves marocains et tunisiens devinrent peu à peu majoritaires dans ces établissements au fur et à mesure que les Européens quittaient le Maghreb, mais l'effet optique de leur montée en pourcentage parmi les élèves des MUCF ne doit pas masquer leur tassement numérique sur le long terme. En effet, les autorités françaises n'entendent pas se substituer aux systèmes d'enseignement nationaux sous couvert de néo-colonialisme. Les années soixante-dix constituent néanmoins un tournant important pour les établissements de la Mission. L'enseignement y devient payant (en 1973 en Tunisie, vers 1978 au Maroc), tandis que les étudiants nationaux deviennent majoritaires.

La Mission française et les élites marocaines

45La nationalisation croissante du public scolaire de la MUCF au Maroc se poursuit sur le long terme. Les Marocains représentaient 28,5 % de l'effectif des écoliers de la Mission en 1959 (sur un total de 47 900 élèves) ; en 1977, ils sont quasiment majoritaires avec 46,4 % de l'effectif total (24 132 élèves), puis ils le sont franchement avec 63 % (sans compter les Franco-Marocains) en 1989 (sur un total de 16 143 élèves). Ainsi, la montée statistique du nombre de Marocains parmi les élèves de la MUCF du Maroc cache une baisse numérique absolue sur le long terme : les 13 648 élèves marocains de 1959 ne seront plus jamais aussi nombreux.

46Ils sont 10 500 au seuil des années soixante-dix, légèrement plus de 11 000 au milieu de la décennie, moins de 9 000 au milieu des années quatre-vingt (du fait de la volonté de rétractation des premiers gouvernements socialistes français), puis se stabilisent jusqu'à la fin du siècle autour d'une dizaine de milliers d'élèves ; même s'il faut ajouter à cet effectif un nombre croissant d'enfants de couples mixtes, inconnus à la fin des années cinquante, mais représentant le tiers des élèves français à la fin des années quatre-vingt ; ces élèves sont d'ailleurs inscrits de droit dans les établissements français.

47Du fait de cette stagnation numérique sur le long terme, alors que croissaient les effectifs de l'enseignement public, du fait de l'arabisation et de la dégradation de l'enseignement public marocain à partir des années soixante-dix, ainsi que de l'augmentation croissante du coût de la scolarité à partir de 1978 à la Mission, être élève marocain de la MUCF (qui d'ailleurs devint l'AEFE en 1990) dans les années quatre-vingt-dix n'a plus la même signification que dans les années soixante. L'élitisme social qui a été, dès le lendemain du protectorat, l’une des caractéristiques de la Mission concernant le public marocain, est devenu de plus en plus rigoureux.

48D'abord, la proportion de ces élèves par rapport à l'ensemble des effectifs scolarisés au Maroc, déjà faible au départ, a fortement décru : elle est passée de 1,18 % en 1959 à 0,22 % en 1999 (10 000 élèves de la Mission pour 4,5 millions d'élèves scolarisés). La part des lycéens est certes plus importante du fait de la forte déperdition scolaire dans le système marocain (à peu près 6 % des lycéens marocains en 1965-1966, et 4,3 % en 1975-1976), et elle s'accroît encore dans l'enseignement supérieur. Mais derrière les chiffres, le fait d'être élève de la Mission est devenu au fil des ans une véritable épreuve.

49Au total, ce sont près de 750 jeunes élèves marocains qui sont chaque année nouvellement scolarisés dans les établissements de l'Agence de l'Enseignement français à l'Étranger (AEFE). La demande d'inscriptions d'élèves marocains dans ces établissements est devenue une véritable affaire d'État pour l'ambassade de France à Rabat, depuis le lancement de l'arabisation dans les années quatre-vingt et le départ des coopérants français des lycées publics. La croissance des frais de scolarité ne semble guère décourager les parents d'élèves : ces frais se montaient en 1999 à plus de 10 000 FF par an pour les élèves marocains du collège, 13 000 FF pour les lycéens, sans parler des 5 500 FF de frais de première inscription. Or, malgré ce tarif dissuasif pour une majorité écrasante de familles marocaines, les demandes d'inscriptions sont croissantes. On estime que moins d'une demande sur dix est honorée pour l'entrée en première année primaire à Rabat au milieu des années quatre-vingt-dix.

50Face à la pression, les écoles de l'AEFE ont dû mettre en place de véritables concours d'admission pour enfants de 4 ans entrant en seconde année maternelle. Ces tests, écrits jusqu'en 1998 puis transformés en demi-journée d'observation en milieu scolaire, essentiellement basés sur l'acquisition de connaissances linguistiques en français, donnent lieu à une intense préparation familiale et scolaire d'ordre tant psychologique que linguistique auprès de milliers d'enfants de 3 ans dans des crèches ou maternelles privées littéralement transformées en petites « classes préparatoires ». L'inscription à la « Mission » est vécue comme une chance inespérée pour des milliers de familles, tandis que l'échec est reçu comme une injustice, une malédiction dont il faut tout faire pour échapper aux conséquences.

51Cette situation fait les beaux jours d'un enseignement privé marocain en pleine expansion, mais suscite aussi d'autres réponses plus inattendues. Lorsqu'il était venu à Rabat féliciter le jeune Prince Moulay Rachid pour son baccalauréat français obtenu au Collège Royal en 1989, le ministre français des Affaires étrangères Roland Dumas se vit demander officiellement par le Maroc la reprise par la France d'un ancien lycée du protectorat pour en faire un second lycée français à Rabat. De même, nombre de responsables des services culturels français furent approchés dans les 15 dernières années pour ouvrir des établissements français privés.

52Pour donner suite à la demande, les services de coopération français suscitèrent à partir de la rentrée 1996 l'ouverture d'établissements français d'un nouveau type au Maroc. À l'inverse des établissements de l'AEFE s'autofinançant aujourd'hui à hauteur de 30-35 %, les nouveaux établissements dits « de l'OSUI » (Office Inter-universitaire International), sont autogérés et autofinancés. Ainsi a été créée à Casablanca l'école primaire Alphonse Daudet qui débouche sur le lycée Louis Massignon. Ces établissements sont servis par des enseignants français titulaires détachés au Maroc. Le coût de leur scolarité est par définition plus élevé encore que dans ceux de l'AEFE.

53Enfin, parce que ces établissements sont loin de répondre à la demande solvable, les parents marocains argentés des grandes villes sont de plus en plus enclins à inscrire leurs enfants dans d'autres établissements étrangers du Maroc. L’American School de Rabat (comme celle de Casablanca), avec ses 800 élèves, propose une scolarité américaine à un tarif bien plus onéreux que celui de l'AEFE (32 000 FF par an par exemple en 1989-1990 pour un élève au lycée). La demande y est forte, en particulier de la part des plus hautes personnalités marocaines, mais ces établissements ne sont pas appelés à se développer. Les écoles espagnoles en revanche sont en plein essor. Le coût de la scolarité y étant encore dérisoire au début des années quatre-vingt-dix (et même gratuit en primaire) pour les élèves étrangers, une partie croissante de familles marocaines se tourna vers eux. Ces établissements sont au nombre de 10 au Maroc en 1999, et leurs effectifs, quoiqu’encore modestes (200 élèves à l'école primaire espagnole de Rabat), en pleine croissance.

54Au total, l'enseignement étranger au Maroc, et particulièrement français, constitue une véritable filière de substitution à un enseignement public arabisé et de plus en plus dégradé. Les effectifs scolarisés dans ces établissements, négligeables à l'échelle du Maroc, ne doivent pas masquer l'importance essentielle de cette filière parallèle pour les classes dirigeantes. Les enfants des hauts fonctionnaires et des professions libérales de Rabat comme les fils d'industriels et de commerçants casablancais qui peuplent ces établissements, constituent après leurs études une élite qui joue un rôle très important dans la sphère économique moderne. Leur poids, parmi les diplômés les plus en vue, en particulier ceux formés dans les Grandes Écoles à l'étranger, est tout à fait disproportionné par rapport à leur place infime dans la jeunesse marocaine.

55Cela est d'autant plus vrai aujourd'hui que les élèves ayant entrepris des études étrangères au Maroc, en particulier dans le système français, sont acceptés de droit dans l'enseignement supérieur des pays respectifs. Or, depuis l'instauration de visas d'études pour les étudiants marocains en 1984, et a fortiori depuis la demande de justification de ressources en 1992 (à hauteur de 6 000 Dh par mois), les études en France sont devenues de plus en plus inaccessibles pour les étudiants marocains, ce que confirme la forte baisse de la communauté étudiante marocaine en France durant les années quatre-vingt-dix. Faire entrer ses enfants à l'AEFE est donc non seulement un privilège rare, mais constitue aussi l'assurance d'échapper aux maux de l'enseignement public marocain, la garantie d'une culture francophone (et même bilingue en filière « Option internationale bilingue franco-arabe » créée dans les établissements secondaire AEFE au début des années quatre-vingt-dix), mais encore une garantie pour l'avenir universitaire.

Lycées pilotes tunisiens et excellence nationale

56En Tunisie, le rôle joué par les établissements de la Mission semble sensiblement différent de celui qu'ils jouent au Maroc. Cette situation provient du fait que le secteur public d'enseignement tunisien s'est moins dégradé qu'au Maroc. L'arabisation menée à partir des années soixante-dix a en effet épargné les matières scientifiques de l'enseignement secondaire, ce qui permet une transition plus aisée pour les bacheliers entre le lycée et l'enseignement supérieur scientifique. De plus, il semble que les autorités aient voulu préserver au sein du secteur public touché, bien que de manière moindre qu'au Maroc, par la massification et une perte d'efficacité, des filières d'élite, incarnées par les « lycées pilotes » des années quatre-vingt. Le système d'enseignement tunisien est ainsi capable de produire plusieurs centaines de bacheliers par an qui, par le biais du système de l'orientation, sont dirigés vers les classes préparatoires, Grandes Écoles et universités étrangères. Ainsi, sur les 80 élèves envoyés annuellement dans les classes préparatoires françaises par l'orientation, aucun ne vient des établissements de l'AEFE, bien que les bacheliers du système français soient injectés dans l'orientation universitaire.

57Ainsi, et quel qu'ait été le rôle important de la Mission dans la formation des élites tunisiennes jusqu'aux années soixante-quinze/quatre-vingt, il semble que les établissements de l'AEFE n'aient plus aujourd'hui le rôle central qu'ils ont gardé au Maroc. En revanche, le système tunisien d'enseignement est aujourd'hui extrêmement élitiste, et les élèves éjectés à tous les niveaux d'enseignement n'ont souvent aucune porte de sortie (mis à pari l'enseignement privé), à l'image des cartouchards de l'université. Aussi les établissements de l'AEFE peuvent-ils apparaître comme la garantie pour les parents de voir leurs enfants « portés à bout de bras ». D'autre part, l'entrée dans le système français apporte la garantie de pouvoir poursuivre des études en France, même s'il faut répondre aux conditions financières applicables aux étudiants étrangers en France.

58Avant d'en venir aux lycées pilotes créés en 1983 et réorganisés par la réforme Charfi en 1992, qui confortent la volonté méritocratique des parents tunisiens dont le rêve est incarné par le binôme baccalauréat-Polytechnique, il faut préciser le rôle des établissements de l'AEFE. Pour n'être pas les seuls établissements d'élite de la Tunisie, les 3 lycées AEFE de Tunisie (PMF et La Marsa à Tunis, et Sousse) n'en jouent pas moins un rôle important. Les effectifs, d'abord, sont loin d'y être négligeables. En 1992-1993, les établissements de l'AEFE en Tunisie comptaient 4 984 élèves, dont 52,9 % de Tunisiens, mais aussi 1 895 Français, aux deux tiers binationaux. Le secondaire compte 1 482 élèves tunisiens et le primaire 1 157, ce qui témoigne de la permanence du phénomène parmi les plus jeunes générations.

59Ainsi, sans connaître la situation du Maroc (les élèves tunisiens de l'AEFE ne représentent que 53 % du total des élèves contre 63 % pour les marocains, hors binationaux qui représentent le quart de l'effectif), les établissements AEFE de Tunisie scolarisent une fraction non négligeable des élèves tunisiens. Ils sont environ 220 chaque année à entrer dans le système français, ce qui représente proportionnellement le même contingent qu'au Maroc (dans un pays 3 fois moins peuplé), et même davantage en proportion du total des enfants d'âge scolaire, dans la mesure où la transition démographique est plus avancée en Tunisie. De plus, comme au Maroc, le quota d'élèves tunisiens ne correspond pas à la réalité de la demande, dans la mesure où il est fixé au niveau politique. Après une période creuse au milieu des années quatre-vingt correspondant à la création des premiers lycées pilotes (c'est en septembre 1983 que le lycée Carnot de Tunis devient lycée pilote Bourguiba), et au souci de désengagement de la France, les établissements de l'AEFE connaissent à nouveau une forte demande, en particulier au niveau du primaire. Le lycée Pierre Mendès France de Tunis (qui était l'ancien LEP de Carnot), conçu pour 500 élèves, en accueille aujourd'hui plus de 1 600.

60Certes, la situation est moins critique qu'au Maroc, mais plusieurs catégories de Tunisiens scolarisent délibérément leurs enfants dans le système français. Outre une population d'universitaires et de hauts fonctionnaires élevés dans le système biculturel des années soixante/soixante-dix, et soucieux de retrouver l'éducation qu'ils ont reçue, de nombreux parents fuient l'élitisme extrême du système tunisien, et visent l'accès de leurs enfants aux études supérieures en France. D'autre part, le coût croissant des études, comme au Maroc (scolariser son enfant à l'AEFE en 1994 revenait en moyenne à 5 500 FF par an) ne semble pas décourager nombre de candidats ; mieux, une clientèle plus aisée, faite d'enfants de professions libérales, de PDG, etc., est aujourd'hui ascendante. Enfin, un recrutement par concours, effectué chaque année pour les élèves sortant du primaire permet de faire entrer quelques dizaines d'élèves d'excellent niveau (plus de 15/20 de moyenne). Cela suggère qu'une frange de parents d'élèves aptes à entrer dans les lycées pilotes préfère le système français. Pour ces élèves d'ailleurs, l'intégration dans les meilleures classes préparatoires françaises, en dehors du système de l'orientation, est fréquente.

61À côté de cette filière représentée par l'AEFE, le système public tunisien possède cependant ses propres filières d'excellence dès le secondaire. Les lycées pilotes en sont le symbole depuis 1983. À cette date, deux lycées ont été créés : le lycée francophone Bourguiba visant à alimenter le flux des élèves tunisiens vers les classes préparatoires scientifiques françaises, et le lycée anglophone de l'Ariana (à Tunis) visant à alimenter les départs vers l'Amérique du Nord puis vers l'université anglophone d'Istanbul. Depuis 1994, le lycée de l'Ariana ne délivre cependant plus une formation anglophone (dans la mesure où la coopération universitaire avec les États-Unis a fait perdre à la Tunisie beaucoup de cadres brillants par émigration). Mais l'expérience des lycées pilotes s'est généralisée aux grandes villes tunisiennes (Sousse, Gafsa, Le Kef, Sfax), et la réforme Charfi de 1992 leur a redonné une nouvelle impulsion.

62À la lecture du décret de 1992 sur les lycées pilotes, on se rend compte que ces sections sont un miroir grossissant de l'enseignement tunisien, tout en accueillant à la base la quasi-totalité des élèves d'âge scolaire en bas de la pyramide (99 % de taux de scolarisation à 6 ans, ce qui constitue un record dans le monde arabe). Le système public tunisien semble avoir pour but ultime d'amener les meilleurs élèves au niveau des meilleures classes préparatoires françaises, quitte à sacrifier la plus grande partie des autres élèves. Cet objectif volontariste est bien l'héritier de cette « République des professeurs » issue de la III^e République française, que nous avons identifiée lors de la période des années soixante. Il est donc le fruit d'une histoire, et est d'autant plus respectable que le système tunisien l'atteint, à l'inverse du système marocain (les élèves tunisiens forment depuis plus de 20 ans le plus gros contingent d'élèves étrangers à Polytechnique). Mais il a pour contrepartie l'abandon de nombreux élèves en cours de route au prix d'une sélectivité aiguë.

63Au final, une cohorte de 100 enfants scolarisables en 1988 ne donnait en Tunisie que 6,9 bacheliers, quand elle en donnait 2,8 au Maroc (en 1986) et 6,6 en Algérie (en 1986). Si l'on prend en compte le fait que la moitié des élèves d'âge scolarisable au Maroc n'est pas scolarisée à 6 ans (à cette date), on peut dire que le taux de sélectivité des deux systèmes est analogue. Certes, en termes de développement humain, le résultat n'est pas du tout le même, puisque la Tunisie connaît en 1995 un taux d'analphabétisme de 33 % quand il est de 56 % au Maroc (et 38,5 en Algérie). Mais en termes de formation des diplômés de l'enseignement supérieur, les résultats sont similaires. De plus, en Tunisie, la forte sélectivité se poursuit dans le supérieur par le système des cartouches depuis le début des années soixante-dix, ce qui crée toute une population d'anciens étudiants non diplômés.

64Dans ce schéma, les lycées pilotes fonctionnent comme le miroir grossissant du système. Les élèves, recrutés par concours dans ces lycées au terme de la 3^e année du secondaire, sont sélectionnés en fonction de critères d'âge, de niveau scolaire, puis sont tenus d'obtenir au moins 12/20 de moyenne, faute de quoi ils sont reversés dans le système commun. Encadrés par les meilleurs professeurs recrutés spécialement, ces élèves suivent le parcours secondaire habituel enrichi de matières supplémentaires (latin, informatique...) et en petites classes. Comme le souligne le décret, ces lycées sont

« fréquentés par une élite d'élèves [...] qui se sont distingués par des aptitudes leur permettant de poursuivre leurs études dans des conditions spécifiques propres à développer leurs capacités ».

65Au lycée Bourguiba, les élèves reçus jusqu'en 1994 obtenaient au concours de recrutement dans le secondaire entre 17 et 19,4 sur 20 de moyenne. En 1994, il y avait au lycée Bourguiba 85 élèves suivant cette filière, tous internes, avec un taux de réussite au baccalauréat de 100 %. L'objectif fixé par le décret Charfi d'offrir à ces élèves des « filières d'excellence dans l'enseignement supérieur » était atteint, ces élèves entrant à l'IPEST (cf. infra), dans les classes préparatoires françaises ou les écoles d'ingénieurs allemandes, à l'IHEC ou en médecine (par le biais de l'orientation universitaire dont ils raflent les meilleures places).

66Au total, les lycées pilotes instaurent de véritables classes préparatoires pour lycéens (ayant entre 15 et 18 ans), avec tout le surmenage imaginable pour des adolescents transformés en élèves modèles. Un système de félicitations a d'ailleurs été mis en place pour créer une émulation intense, avec toute sa gradation, allant des encouragements (12/20 de moyenne) au prix d'excellence (plus de 16/20), en passant par le tableau d'honneur, les félicitations et le prix d'honneur. Les parents comme les professeurs sont impliqués fortement dans cette « ambiance particulière » suscitant l'esprit de concurrence et une grande « susceptibilité des élèves » (d'après leur proviseur). C'est à ce prix que le système tunisien conserve en son sein les filières d'excellence, qu'une trop forte massification, alliée à l'arabisation, auraient pu lui faire perdre.

3. Le retour de l'enseignement supérieur privé

67L' « unification » figurait parmi les 4 grands principes éducatifs adoptés à l'indépendance, tant à Rabat qu'à Tunis. Sous ce vocable se cachait la volonté de supprimer les différents ordres d'enseignement institués par la colonisation pour instaurer un enseignement national public. Outre la persistance d'écoles israélites et des établissements de la Mission française (MUCF), l'enseignement privé ne disparut cependant jamais des deux anciens protectorats. Il se perpétua sous différentes formes, en particulier au Maroc, mais aussi en Tunisie. Aux écoles congréganistes héritées des protectorats (comme l'école Jeanne d'Arc de Tunis, boulevard Mohammed V) s'ajoutaient au Maroc certaines héritières des Écoles libres bilingues nationalistes nées sous le protectorat. À l'étiage de ses effectifs au début des années soixante-dix, l'enseignement privé au Maroc comptait encore plus de 82 000 élèves dans les deux cycles (dont 42,8 % des collégiens et lycéens dans le secteur privé musulman).

68Néanmoins, avec la crise de l'enseignement, le secteur privé recommença à s'étoffer à partir des années 1970. L'arabisation croissante fut, d'après les statistiques, à l'origine de cette renaissance de l'enseignement privé. En 1970-1971, l'enseignement privé comptait encore au Maroc 82 355 élèves, contre seulement 18 418 en Tunisie. À cette époque, il y avait un équilibre entre les effectifs du primaire et du secondaire en Tunisie, alors qu'au Maroc, les deux tiers des élèves fréquentaient l'enseignement primaire. Les effectifs ont commencé à croître dès le milieu des années 1970, s'élevant en 1976-1977 à 103 762 élèves au Maroc et 19 782 en Tunisie. 15 ans plus tard, la Tunisie a rattrapé son retard, avec 68 906 élèves (dont plus de 61 800 dans le secondaire), tandis que le privé marocain culmine à 119 550 élèves (dont toujours les deux tiers dans le primaire).

Le renouveau des années quatre-vingt

69Le mouvement de croissance global du secteur d'enseignement privé dans les années 1970-1980 touche sans conteste les deux pays. Toutefois, en Tunisie, c'est la croissance de secteur secondaire qui est la plus frappante, venant sanctionner la forte sélectivité du secteur secondaire public. Le privé offre ainsi en Tunisie une seconde chance aux jeunes exclus sans diplômes du secteur public. Au Maroc en revanche, le secteur privé, sans connaître de mouvement aussi brutal qu'en Tunisie, poursuit une lente croissance qui traduit l'aspiration des classes supérieures à offrir à leurs enfants un enseignement de meilleure qualité que dans le public. C'est au moment où disparaît l'enseignement privé musulman au Maroc dans le secondaire en 1976-1977 que le secteur privé connaît une remontée de ses effectifs. Cette montée de l'enseignement privé (par nature bilingue) a une signification inverse du mouvement des Écoles libres sous le protectorat, puisqu'il s'agissait alors de renouer avec la culture arabe, quand il s'agit ici de préparer au mieux les enfants à l'assimilation de la langue française. À Rabat comme à Casablanca, de nombreuses écoles primaires se créent et se développent dans les quartiers aisés, à l'image de l'école Minbet à Souissi à Rabat, qui se prolongent en établissements secondaires durant les années quatre-vingt-dix.

70Pourtant, l’un des aspects les plus remarquables de cette nouvelle croissance du secteur privé est qu'elle touche en priorité le secteur préscolaire (pour les enfants de 2 à 6 ans). Ce niveau d'enseignement de la crèche à la maternelle est en effet un secteur négligé par les réformes scolaires depuis les protectorats, à l'exception des écoles coraniques relancées dans les années soixante-dix par Hassan II. Faute de moyens, l'obligation scolaire commence seulement au cours préparatoire. De ce fait, ce secteur est vierge de textes réglementaires, ce qui permet d'y enseigner la ou les langue(s) d'enseignement de son choix (ce qui n'est pas le cas des cycles primaire et secondaire où les écoles privées doivent se conformer aux programmes officiels, sauf dérogation ou cas particulier). Aux yeux d'une frange croissante de la population urbaine, en partant de la bourgeoisie puis en descendant de plus en plus vers les classes moyennes voire populaires supérieures, l'enseignement préscolaire privé s'est peu à peu imposé comme une nécessité. Cela est vrai pour les ménages dont les deux parents travaillent (en particulier dans les couples diplômés), pour lesquels ce secteur scolaire a acquis un rôle crucial dans leur stratégie scolaire.

71Sans vouloir entrer dans les détails, il faut insister sur le rôle fondamental que représente l'apprentissage de la langue française par des enfants dès l'âge de 2 ou 3 ans, quand les élèves scolarisés normalement ne commencent l'étude du français qu'en 3^e année de primaire, c'est-à-dire à 9 ou 10 ans. Le retard accumulé par les seconds est difficilement rattrapable puisque l'on sait que l'âge prélogique (avant 7 ans) est le terreau le plus propice pour les acquis linguistiques. Aussi ne doit-on pas s'étonner du rôle devenu fondamental de ces crèches et maternelles bilingues (voire trilingues car parfois s'ajoute l'apprentissage de l'anglais) dans les grandes villes du Maghreb. À Tunis, le président Ben Ali donne même l'exemple en plaçant sa fille à l'institution Bouebdelli (ex-école Jeanne d'Arc) au début des années quatre-vingt-dix. À Casablanca, on comptait déjà à la même époque plus de 1 000 écoles maternelles privées. Le secteur préscolaire privé dans le Maroc urbain connaît actuellement une croissance ininterrompue. Mais entre les « mini-classes préparatoires » qui cherchent à préparer leurs élèves aux concours d'entrée à la Mission, souvent logées dans d'anciennes villas coloniales restaurées avec grand jardin, et les crèches désargentées reléguées dans un petit deux-pièces d'un immeuble décrépi, la gamme est très large.

72Ce secteur est devenu un marché très lucratif, qui attire nombre d'entrepreneurs étrangers au métier, avec des résultats très inégaux (les coûts de scolarité reflètent d'ailleurs cette gamme très large des crèches, puisqu'ils vont de 100 Dh par mois à plus de 1 500). Enfin, pour souligner l'ampleur du mouvement, il faut mentionner l'actuelle transformation des msids (écoles coraniques) en écoles maternelles, qui permettent aux familles modestes, pour 50 Dh par mois, de connaître un ersatz de crèche maternelle privée.

Vers un enseignement privé supérieur

73Mais la véritable nouveauté des années quatre-vingt est qu'un enseignement supérieur privé commence à émerger au Maroc et en Tunisie, dans le plus total flou juridique au départ, pour devenir un secteur dynamique et aux effectifs croissants dans les années quatre-vingt-dix.

74À Tunis, l'établissement le plus ancien est l'Université Libre de Tunis (ULT), qui se développa à partir de 1973 du fait de l'instauration d'une sélection drastique par Mohamed Mzali à l'université (système des cartouches). Au départ, l'ULT n'était qu'un lycée puis, à partir de 1978, elle se mit à former des techniciens supérieurs (recrutés sans le baccalauréat) et à partir des années 1987-1988 des ingénieurs à bac +4. Elle forme aujourd'hui des diplômés à bac +5, et le baccalauréat y est devenu obligatoire depuis 1999. Depuis juillet 2000, elle est passée sous le contrôle du ministère de l'Enseignement supérieur, et elle est soumise dès la rentrée 2001 à un strict cahier des charges. Créée pour pallier la trop grande sélectivité de l'université, l'ULT est dotée de 6 grandes facultés, qui vont du droit à l'informatique. L'ULT avait été créée pour répondre aux besoins d'ingénieurs alors très vifs en Tunisie, en particulier dans le secteur électronique. Toutefois, sa principale faculté est aujourd'hui celles des sciences économiques et de gestion (FSEG), qui forme des diplômés commerciaux, conformément aux nouveaux besoins du marché des cadres commerciaux. Jusqu'en 2000, cette université privée fonctionnant depuis plus de 25 ans était « autorisée », mais aucune loi ne l'avait officiellement reconnue. C'est chose faite, avec des perspectives de développement importantes.

75Au Maroc, l'enseignement supérieur privé n'a réellement démarré qu'en 1984. C'est à cette date qu'a été créée la première école supérieure privée au Maroc, l'Institut supérieur de gestion de Casablanca. Les années quatre-vingt sont en effet la période où la crise de l'enseignement supérieur prend une ampleur sans précédent. L'enseignement supérieur public ne semblant plus pouvoir offrir de légitimes opportunités d'ascension sociale ni même de formation répondant aux exigences du marché de l'encadrement, il n'est guère surprenant qu'un mouvement de création d'établissements d'enseignement supérieur privé commence à se développer, notamment dans les domaines de la gestion, de l'informatique appliquée, de la finance et de la comptabilité, jusque-là quasi délaissés par le secteur public. Une loi de 1986 (la loi 15/86) vint opportunément donner un cadre juridique légal à ce mouvement, mais sans offrir de reconnaissance publique des diplômes délivrés par le secteur. Le public visé par ces écoles privées peut être entrevu à la lecture de la revue Lamalif à la fin des années quatre-vingt, ou par la lecture du Journal 10 ans plus tard. Ces journaux, lus par l'intelligentsia francophone et libérale des grandes villes du Maroc, sont, à l'instar du dernier numéro de Lamalif, jonchés de publicités en faveur des nouvelles institutions privées.

76Ainsi s'explique la très forte expansion de ce secteur qui vit en 10 ans le nombre de ses étudiants multiplié par 10. Les établissements, quant à eux, passèrent de 7 en 1985 (avec 786 étudiants) à 46 en 1998 (avec 7 726 étudiants). Ces écoles privées sont pour l'essentiel concentrées à Casablanca et Rabat où elles accueillent une partie notable des étudiants de la bourgeoisie de fonction (à Rabat) et de la bourgeoisie économique (à Casablanca). Une partie du patronat et des investisseurs marocains a pris rapidement en compte la demande pressante de nombreuses familles, et leur disponibilité à financer des études coûteuses mais susceptibles d'assurer des débouchés à leurs descendants. Au sein de la CGEM, l'organisation du patronat marocain, la Fédération de l'enseignement supérieur (créée en 1997) représente un secteur puissant (30 000 salariés et 215 000 élèves en 1999, soit 4,7 % des élèves scolarisés dans le public), malgré ses divergences. Ce marché, bien que très concurrentiel, est néanmoins rentable non seulement dans le secondaire mais aussi dans le supérieur.

77Le coût de la scolarité dans ces établissements privés supérieurs peut en effet apparaître comme prohibitif dans un pays dont le revenu annuel par habitant atteint à peine 3 500 $ en PIB à parité de pouvoir d'achat (PPA). Il n'en est pas moins très compétitif, au vu d'une demande croissante. D'après la revue L'Étudiant marocain de septembre 1997, il n'existait pas moins de 21 établissements supérieurs privés proposant au Maroc une scolarité annuelle égale ou supérieure à 30 000 Dh par an, soit l'équivalent du revenu annuel moyen par habitant en PPA. Or, le coût élevé, voire prohibitif des études quand on sait que de nombreux enseignants de ces établissements sont des universitaires du secteur public payés en « extra », loin de décourager les familles, apparaît au contraire comme un gage de réussite et une preuve de compétence. Cette impression semble confirmée par un décret pris par le ministre de l'Enseignement supérieur le 19 juillet 1999 qui accorde pour la première fois une équivalence (valant reconnaissance officielle) à un diplôme de l'enseignement supérieur privé.

78L'apogée de ce système d'enseignement supérieur privé est certainement représenté au Maghreb par l'université américaine d'Ifrane (dans le Moyen-Atlas marocain), Al Akhuwayn, voulue par le Palais durant les années quatre-vingt et financée par des capitaux saoudiens. Inaugurée par le Roi Hassan II en personne, et présidée au départ - ironie de l'histoire - par le chantre de l'arabisation Azeddine Laraki, elle se voulait être le pendant maghrébin des universités américaines du Proche-Orient (Beyrouth, Le Caire, Istanbul). Nichée dans une station de moyenne montagne, elle offre à ses étudiants un vaste campus à l'américaine, où logent les étudiants, et un enseignement de qualité dispensé par des enseignants anglo-saxons et marocains (en particulier par les diplômés marocains des universités américaines). La scolarité exorbitante n'a pas découragé de nombreuses familles marocaines d'y inscrire leurs descendants. En 1998-1999, la scolarité semestrielle y était de 42 000 Dh, or le cursus compte 7 semestres (soit 30 000 $ au total). La première promotion est sortie fin 1998. Quels que soient les problèmes rencontrés au cours de ces 4 années par une institution encore mal définie, Al Akhawayn est un établissement emblématique avec ses 3 filières (business, humanities et science engineering), et toujours fortement soutenu comme le prouve la nomination de son nouveau directeur Rachid Benmokhtar, ancien ministre de l'Éducation nationale et ingénieur de l'ENICA (Toulouse)... issu de la prépa’ de Lyautey.

Le privé, écoles refuge ou écoles d'excellence ?

79Au plan strictement scolaire, ces Écoles sont loin d'être le débouché naturel des « bons élèves ». L'ISCAE de Casablanca comme l'IHEC de Tunis recrutent des élèves de niveau scolaire très supérieur. Au Maroc, être reçu à l'ISCAE, au terme d'un concours très sélectif, qui met en compétition les bacheliers avec mention issus pour l'essentiel de la section sciences math., est vécu comme une grande réussite. Tel n'est pas le cas dans les Écoles supérieures privées, qui recrutent essentiellement des bacheliers argentés au détriment de la méritocratie, mis à part quelques établissements. Mieux, ces écoles peuvent apparaître à bien des égards comme des écoles de relégation scolaire (ou de dernière chance) pour les jeunes gens ou jeunes filles de familles aisées. P. Bourdieu a montré que cette configuration n'a rien d'extraordinaire, puisque le champ scolaire français de l'enseignement supérieur connaît bien cette ligne de fracture qui oppose :

« [les] établissements qui, souvent de statut privé, [...] n'exigent ni une réussite scolaire très élevée ni un temps de préparation très long, aux écoles d'ingénieurs, d'agronomie, d'enseignement et de recherche [...] le plus souvent publiques, exigeant des frais de scolarité plus faibles, et accueillant des élèves plus fortement sélectionnés scolairement, au terme d'une préparation plus longue ».

80Toutefois, pour crédibiliser leurs écoles, certains entrepreneurs ou directeurs s'assurent de la coopération d'établissements étrangers, en particulier d'Écoles de commerce françaises. Tel est le cas de l'École supérieure de gestion de Casablanca, créée dès 1984 sous le patronage de l'ESG de Paris, ou encore de Sup de Co Marrakech, née en 1987, et qui se place dès son origine sous celui des Sup de Co françaises. Cette dernière école, qui accueillit 164 étudiants dès sa première promotion, est un modèle du genre. Placée sous la protection de la fine fleur du capitalisme fassi, comme en atteste son Comité d'honneur, et présidée par Ahmed Bennis, elle obtint la coopération et le parrainage de Sup de Co Toulouse, qui lui permet d'offrir à ses étudiants les plus brillants une dernière année en stage à Toulouse. Une démarche analogue présida à la création de l'Institut marocain de management (IMM) de Casablanca en 1989, associé à l'École supérieure de commerce de Paris (ESCP). Pour affirmer son originalité, l'IMM mit sur pied une classe préparatoire offrant aux étudiants la possibilité de passer les concours des Grandes Écoles de commerce françaises (cette ouverture demeurant cependant tout à fait théorique). Enfin, à la rentrée 1999 voit le jour à Tanger un établissement privé de classes préparatoires aux Grandes Écoles commerciales françaises.

4. Un système d'enseignement dual

Enseignement en crise au Maroc

81Au Maroc, la critique du système d'enseignement public est unanime depuis une quinzaine d'années. À chaque rentrée scolaire, la presse du royaume rivalise de titres alarmants et catastrophiques pour décrire un système jugé inégalitaire, inopérant et générateur de désillusions. Du numéro spécial de Lamalif « À quoi sert l'enseignement ? » de l'été 1985 au spécial rentrée scolaire de La vie économique du 17 septembre 1999, « École : sous les sourires de la rentrée, un drame national », l'ensemble de la presse constate la déserrance du système public marocain. Cette situation semble pourtant laisser de marbre les autorités qui, de projets de réforme en constats accablants de la COSEF (à la suite du Palais et des organisations internationales), n'ont procédé à aucune remise en ordre digne de ce nom jusqu'en 2000. Cette situation fait les beaux jours de l'enseignement privé et des établissements étrangers installés au Maroc, mais l'ensemble de ces établissements concerne moins de 5 % des élèves marocains (hors niveau préscolaire et sans parler des 2 millions d'enfants d'âge scolaire non scolarisés).

82Parmi les problèmes les plus souvent cités, l'arabisation incomplète (ou mal conduite) est au premier rang. Un professeur de lycée en sciences naturelles donnait récemment dans une interview à La Gazette du Maroc son sentiment sur la situation :

« Savez-vous que nos jeunes diplômés issus de l'enseignement public ne sont généralement pas capables d'aligner deux traîtres mots en français afin de former une malheureuse phrase intelligible ? Alors dites-moi quelle entreprise ou société digne de ce nom voudra embaucher ces candidats à l'emploi ? [...] En vertu des pouvoirs qui nous sont conférés à nous enseignants des matières scientifiques, en prenant en considération les longues années d'expérience dont nous jouissons, nous jugeons l'arabisation coupable d'assassinat de notre enseignement avec préméditation et la condamnons à l'ajournement ».

83Mais par-delà cette condamnation polémique et sans appel, l'auteur soulignait aussi l'incapacité de la langue arabe telle qu'enseignée au Maroc à véhiculer les connaissances scientifiques requises par les élèves marocains. Un brillant article d'Alain Bentolila, professeur à la Sorbonne dans Le Journal en 1999 est venu conforter cette analyse.

84Dans ce système, seule une minorité d'élèves favorisés, parce que leur scolarité a été précédée d'une solide formation linguistique à la maison, ou à la maternelle et au primaire (privés), semble à même d'affronter et de surmonter les carences d'un système basé de surcroît sur l'apprentissage du par cœur et la triche institutionnalisée aux examens (quand la corruption n'incite pas les enseignants à trafiquer les notes ou à sanctionner les élèves non « participants »). Pourtant, dans ce champ en ruines, la dualité du système est à la fois externe et interne. Ceux qui échappent à l'enseignement public (ils sont moins de 5 %) ont une forte probabilité de poursuivre des études supérieures réussies ou à l'étranger (deux notions souvent synonymes dans l'imaginaire des jeunes Marocains). Pour les autres, seuls les cours particuliers intensifs, des efforts surhumains, un climat familial favorable et les cours de langue dans les nombreux instituts culturels étrangers permettent de pallier les handicaps structurels.

85Au total, les bacheliers qui représentent, grosso modo, 14 % d'une classe d'âge en 1999 (soit 78 000 personnes), ne sont que « 4 200 à pouvoir s'inscrire dans des établissements universitaires cotés ». Dans cette petite catégorie, on relève les classes préparatoires aux grandes Écoles d'ingénieurs, les facultés de médecine, l'ISCAE, l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II. Les autres bacheliers (soit 93,7 %) « devront se diriger vers les universités à accès libre ou les écoles privées ». Mais la surenchère est telle, pour entrer dans cette poignée d'établissements, qu'il faut aujourd'hui plus de 14,5 % de moyenne au bac pour espérer être pris dans l'un d'eux. Or, dans cette élite si restreinte, les candidats issus des établissements de l'AEFE concourent (ils sont environ 650 chaque année) et raflent une bonne partie des places, bien que la tendance à partir faire ses études à l'étranger soit de plus en plus massive.

Filières d'excellence dans le public tunisien

86En Tunisie, bien que ne reposant pas sur les mêmes postulats, la situation ne nous semble pourtant pas si éloignée. La dualité du système scolaire et universitaire est d'avantage interne qu'externe. Mais nous avons vu la place croissante de l'enseignement secondaire privé, même s'il n'est en grande partie qu’un espace de relégation scolaire, et la place proportionnellement équivalente au Maroc des établissements de l'AEFE (ex-Mission). La grande différence est que la dualité du système tunisien est en grande partie interne au système scolaire. Un petit nombre de lycées publics, au premier rang desquels se trouvent les lycées pilotes, assurent, aux côtés de l'AEFE, une grande partie de la réussite des élites scolaires. Car, comme au Maroc, il n'y a qu'un petit nombre d'établissements d'enseignement supérieur qui ont toute la confiance et les faveurs des étudiants.

87Ces derniers se trouvent aux premières places des vœux des bacheliers qui sont triés et classés par le système né en 1976, de l'orientation universitaire. Système informatisé de nos jours, l'orientation universitaire répartit les bacheliers dans les établissements d'enseignement supérieur en fonction de leurs vœux et des moyennes qu'ils ont obtenues au baccalauréat. Pour atténuer la grogne des étudiants regrettant leur affectation a été créé en 1982 un concours sur épreuves dans l'année universitaire qui suit le baccalauréat, permettant de détecter les candidats les plus aptes à une réorientation. La réorientation n'en reste pas moins marginale. Or, ce système, comme au Maroc, permet de connaître les vœux privilégiés par les lycéens : de manière régulière, les 5 établissements favoris sont les classes préparatoires de Nabeul (qui depuis leur création donnent accès aux écoles d'ingénieurs de Tunisie), les facultés de médecine et de pharmacie, l'IHEC et l'Institut supérieur de gestion de Tunis. À cela il faut ajouter, depuis sa création en 1991, l'IPEST, centre de classes préparatoires de La Marsa, qui permet aux étudiants de préparer à la fois les concours des Grandes Écoles d'ingénieurs tunisiennes, en particulier l'École Polytechnique de Tunis, créée en 1994, mais aussi les concours des Grandes Écoles françaises. Ces choix favoris ne prennent pas en compte la centaine de bacheliers scientifiques qui, arrivés en tête au baccalauréat, partent directement à l'étranger par la filière A de l'ENIT.

88Le Guide de l'orientation universitaire publié par le ministère de l'Éducation et des Sciences permet de déterminer les filières d'excellence de l'enseignement tunisien dans les années quatre-vingt-dix. Si l'on classe les établissements d'enseignement supérieur tunisiens par prestige décroissant, selon l'orientation universitaire (année de référence 1993-1994, cf. tableau 14), on constate que les spécialités préférées par les étudiants tunisiens sont sensiblement les mêmes qu'au Maroc.

89L'élite des étudiants est constituée d'une minorité à peu près équivalente à ce que l'on trouvait au Maroc (avec près de 2 600 étudiants, auxquels nous n'avons pas agrégé par choix plusieurs centaines d'étudiants de l'ISG ayant des scores inférieurs). Si bien que la Tunisie produit proportionnellement un peu plus de diplômes cotés. La répartition des étudiants, comme le classement des institutions, prouve le caractère toujours dominant en Tunisie au milieu des années quatre-vingt-dix des études d'ingénieurs, y compris agronomes (41,1 % du groupe identifié). Les médecins constituent l'autre forte minorité (34,8 %), et arrivent en seconde place parmi les vœux. Enfin, ils sont suivis par les commerciaux, qui représentent 17,9 % du groupe de tête.

90En définitive, et pour se rendre compte de la nette domination de ces filières par rapport aux filières universitaires classiques, en particulier littéraires, il faut signaler les scores des étudiants derniers entrant dans ces institutions. À la faculté des lettres de La Manouba par exemple, en 1994-1995, les derniers entrants se situaient entre 65,43 (en français) et 100,77 (en anglais), l'histoire étant à 89,18. En droit, les choses ne sont guère plus brillantes puisque les étudiants de la faculté de droit et des sciences politiques de Tunis atteignent 90,96 (1 000 étudiants), tandis que ceux de la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales (« Fac Hermès ») atteignent 101,7 (210 étudiants pour lesquels l'anglais est obligatoire).

La passerelle des prépas de la coopération française

91Pour finir, il faut évoquer le cas des classes préparatoires aux grandes écoles d'ingénieurs créées au Maroc puis en Tunisie au tournant des années quatre-vingt-dix dans le cadre d'un vaste projet de coopération avec la France. Cette expérience qui se poursuit est intéressante à plus d'un titre, parce qu'elle tente un rapprochement entre des systèmes par ailleurs étanches. En quelque sorte, elle abolit ponctuellement la dualité d'un système d'enseignement supérieur coupé en deux. Cela est particulièrement vrai au Maroc, où le projet a été voulu comme tel par ses concepteurs, en particulier Bernard Spenlehauer qui avait enseigné la physique pendant 22 ans dans la prépa’ math. sup. de Lyautey. Lorsque cette prépa’ fut condamnée (elle ferma ses portes en 1987), l'idée était de perpétuer et d'élargir son mode de fonctionnement à plusieurs grands lycées publics marocains. Les meilleurs élèves issus des classes de terminales sciences math. des lycées marocains se verraient octroyer la possibilité d'entrer en classe préparatoire au Maroc, et de présenter les concours des Grandes Écoles d'ingénieurs marocaines d'une part, mais aussi françaises. Au milieu des années quatre-vingt, tandis que le montant des bourses des étudiants marocains partants en France devenait dérisoire (quelques centaines de dirhams par mois), et que la France instaurait des visas étudiants de plus en plus soumis à des conditions financières élevées, la présence de classes prépa’ au Maroc devait donner à de jeunes bacheliers marocains issus de milieux modestes (y compris aux élèves ruraux pour lesquels furent ouverts des internats) la possibilité d'intégrer les meilleures écoles françaises.

92Ce projet soutenu par la coopération française démarra au Maroc en 1985. À cette date, 12 classes de math. sup. ouvrirent à Rabat (lycée Moulay Youssef), Casablanca (lycée Mohammed V) et Fès (lycée Moulay Idriss). L'année d'après, en 1986-1987, de nouvelles math. sup. ouvrirent à Marrakech, tandis que les 3 premiers lycées ouvrirent 9 classes de math. spé. Ce projet qui prit rapidement de l'ampleur - les élèves passèrent de 347 en 1985 à 1 802 en 1993-1994, et il y avait en 1999 près de 70 classes préparatoires réparties dans 9 lycées des grandes villes du Maroc - entraîna une refonte du mode de recrutement des écoles d'ingénieurs marocaines (qui supprimèrent leur cycle préparatoire interne pour recruter désormais leurs élèves à bac +3), et impliqua une grosse participation française. Dans les premières années, en effet, la quasi-totalité du corps enseignant de ces classes (professeurs d'arabe mis à part) fut mis à disposition par la coopération française. Mais comme cette solution n'était pas envisageable à long terme, et comme les professeurs marocains n'avaient pas les diplômes requis, l'administration marocaine créa plusieurs centres de préparation aux agrégations, toujours en coopération avec la France qui, à nouveau, envoya des coopérants pour assurer la préparation de ces concours supervisés par les inspections générales françaises. Les premiers agrégés marocains furent formés en 1988. Les 4 ou 5 premiers reçus à l'agrégation devaient enseigner en prépa, les autres étant répartis dans les autres branches de l'enseignement secondaire ou supérieur. Financièrement, un statut spécial fut créé pour ces agrégés qui sont payés comme des professeurs de faculté à l'échelle A. À la fin des années quatre-vingt-dix, la préparation d'une dizaine d'agrégations était assurée au Maroc.

93En définitive, cette opération fut très importante, car elle permit à la fois d'élargir les débouchés aux étudiants scientifiques, de relever le niveau de recrutement des écoles d'ingénieurs marocaines tout en créant une émulation entre elles, de susciter un débouché relativement méritocratique dans un contexte de fermeture sociale, et de contribuer à revaloriser une partie du corps enseignant via le système des agrégations. Il nous restera à voir dans quelle mesure cette nouvelle institution fonctionne de manière réellement méritocratique. Ce qui est certain, en revanche, c'est que ces classes préparatoires permettent d'envoyer chaque année plusieurs dizaines de jeunes lauréats marocains (en forte croissance) dans les Grandes Écoles françaises (de 7 en 1987, la première année, à 59 en 1991 - dont 6 polytechniciens, 67 en 1996, 117 en 1997 dont 11 à Polytechnique), qui proviennent de tous les lycées, et pas seulement de la « super MP étoile » de Mohammed V. Un système de bourses d'études relevant d'une commission mixte franco-marocaine permet aux étudiants modestes de faire face aux frais suscités par leur intégration dans une école française (48 bourses en 1996 pour 67 étudiants).

94Ayant observé cette expérience, les Tunisiens (à l'instar de plusieurs pays d'Afrique noire comme le Sénégal) voulurent la reproduire. Les conditions étaient toutefois différentes du fait que les écoles d'ingénieurs avaient créé dès 1985 leur propre centre préparatoire à Nabeul, et du fait de l'existence de la filière A de l'ENIT qui n'est, jusqu'en 2000, pas remise en cause. La création de l'IPEST en 1991 (Institut préparatoire aux études scientifiques et techniques), à La Marsa, fut donc d'une autre nature qu'au Maroc. L'ambition élitiste du système tunisien s'incarna une nouvelle fois à travers ce programme monté avec la Coopération française qui envoya des professeurs français. La préparation à l'agrégation débuta en 1991, puis en 1992 furent ouvertes les premières math. sup. Le souci des promoteurs tunisiens de ce projet fut d'aligner leurs méthodes sur la France (copies de l'agrégation tunisienne corrigées anonymement en France avec les copies françaises, mêmes normes pour les classes préparatoires qu'en France).

95Les deux premières promotions de « taupins » tunisiens comptèrent 115 étudiants chacune, recrutés avec un minimum de 14,69/20 de moyenne au baccalauréat math. (sur 4 000 en 1993). La création de l'École Polytechnique de Tunis en 1994 visait à recruter une trentaine d'étudiants chaque année au sortir de l'IPEST pour que la Tunisie forme elle-même une partie de ses ingénieurs de conception, leur quasi-totalité étant jusqu'alors formée en France du fait que les écoles tunisiennes (comme les marocaines) ne forment que des ingénieurs d'application du niveau des ENSI françaises. Ce projet très élitiste suscita de violentes oppositions, en particulier de Mokhtar Latiri, et ne réussit pas à créer une passerelle avec les écoles tunisiennes. Les ambitions méritocratiques, il est vrai déjà accomplies à travers la filière A de l'ENIT, ne se trouvèrent pas au cœur de ce projet comme au Maroc, et il faudra analyser la base sociologique du recrutement de ces établissements.