Avant-propos

1Avec son Atlas de la vulnérabilité de l’agglomération de La Paz, Sébastien Hardy nous convie à une réflexion sur les liens entre la gestion des risques et l’urbanisation de la capitale bolivienne. Précisons immédiatement que son objectif est aussi de contribuer à la prévention des désastres. Pour ce faire, il mobilise plusieurs années de travaux de recherche, menés dans le cadre de l’IRD, avec l’appui de l’équipe PACIVUR, et les relations qu’il a pu développer avec les institutions locales. C’est dire immédiatement combien il s’agit d’une réflexion murie sur la durée, confrontée régulièrement aux problèmes que pose la prévention des désastres, une nécessité géopolitiquement très sensible. Notamment parce qu’elle exige des bilans des politiques antérieurement menées, et qu’il est toujours délicat de faire ressortir leurs limites. Ce sont pourtant elles que le titre de l’atlas suggère.

2En effet, pourquoi centrer l’Atlas sur la vulnérabilité de l’agglomération de La Paz ? Comme ont pu le vérifier d’autres travaux menés sous d’autres cieux, le bilan que défend Sébastien Hardy fait ressortir l’impossibilité d’éliminer les aléas, ce malgré la multiplicité des programmes de travaux correctifs qui concernent, notamment, la municipalité de La Paz. Dès l’introduction de l’atlas, la figure 2 attire l’attention sur les limites de ces travaux de correction, qui marquent pourtant si visiblement les paysages de l’agglomération, tout particulièrement le long des torrents et rivières torrentielles.

3Est-ce que cela signifierait l’impasse des politiques structurelles ? Le prétendre supposerait d’admettre que les travaux de correction n’auraient aucunement contribué à l’intensification de l’urbanisation que connaît l’agglomération pacénienne. Ce n’est pourtant pas ce que nous montrent, entre autres, l’illustration 14, tout comme la planche 23 sur la constructibilité. La chenalisation, malgré ses limites que reconnaît désormais largement la bibliographie sur la prévention des désastres, permet de gagner des terrains urbanisables aux dépens du lit majeur des cours d’eau, et elle contribue à réduire les fréquences des inondations par débordement. Ces avantages, parmi d’autres, permettent de comprendre que ce type de politique apparaisse au premier plan sur la planche 24 concernant les programmes de prévention. Il n’empêche que ces travaux de correction ne peuvent aucunement éliminer tout dommage. Du reste, l’illustration 36 montre très clairement la reconnaissance officielle, à La Paz, des limites que présentent les ouvrages de correction structurelle.

4La planche sur les programmes de prévention fait aussi ressortir le différentiel entre La Paz et El Alto, la première étant privilégiée. Malgré les évidentes disparités physiques entre les deux communes majeures de l’agglomération, que fait ressortir le très esthétique bloc-diagramme de la planche 9, l’antériorité de l’urbanisation sur La Paz contribue certainement à expliquer un tel différentiel. La planche 6 sur l’évolution de la tache urbaine le confirme et c’est ce que suggèrent aussi les multiples cartes sur l’équipement des ménages. Les travaux de correction, malgré leurs limites, constituent un accompagnement de l’urbanisation, qu’ils contribuent à densifier. L’atlas porte un message que l’on pourrait aussi trouver ailleurs : il y aurait plus de risques à ne pas occuper des territoires à risques identifiés (mais lesquels et pour qui ?) et on attend des travaux de correction qu’ils réduisent ces risques identifiés. Surtout que l’évolution démographique de La Paz est aujourd’hui bien inférieure à celle d’El Alto, et même, si l’on change d’échelle, à celle de la ville concurrente principale, sur le plan économique, Santa Cruz de La Sierra. Densifier l’urbanisation et la défendre peut donc apparaître d’autant plus essentiel aux yeux des édiles et des gestionnaires de La Paz. Mais le processus permet tout autant de préparer de futurs désastres, c’est-à-dire des événements de fréquence rare et d’intensité comparativement élevée, qui dépassent les capacités des sociétés locales à y faire face. L’atlas de la vulnérabilité prend alors tout son sens.

5Dans ces conditions, il devient essentiel d’accompagner ces politiques de lutte contre l’aléa, et leurs limites du reste reconnues, en renforçant la prévention des crises. Et cela suppose un approfondissement des connaissances concernant les facteurs de vulnérabilité. On peut souscrire à l’affirmation selon laquelle l’urgence et la crise occupent désormais le cœur de la réflexion. C’est le cœur de l’approche que présente ici Sébastien Hardy, en accord avec les travaux de recherche que mène l’équipe PACIVUR, comme, par exemple, avec la thèse de Jérémy Robert sur Lima (Robert, 2012).

6Mais l’approfondissement de la connaissance pose un double problème, qui est celui de sa constitution et de son acceptation par les acteurs participant à la gestion de la crise.

7La constitution. Comme le montre Sébastien Hardy, la thématique de l’accessibilité est plurifactorielle, et elle est aussi très difficile à évaluer. La question est pourtant fondamentale, comme le montre l’accessibilité inégale aux centres de santé. En effet, la répartition des centres de santé est moins importante en situation de crise que la capacité inégale de pouvoir y accéder. D’où l’importance du bilan que présente la planche 31, très originale.

8L’acceptation. En effet, il existe déjà dans l’agglomération pacénienne un centre d’opération des urgences pour chacune des deux municipalités principales de l’agglomération. Toutefois, comme le souligne Sébastien Hardy, les municipalités « n’ont pas nécessairement réfléchi à la vulnérabilité de la structure elle-même ». Notamment, sur les 120 acteurs du Centre d’opération des urgences, 70 sont localisés dans des secteurs posant des problèmes d’accessibilité. Comment ce type de diagnostic peut-il être reçu par les institutions concernées ? Surtout qu’il suppose plus de collaboration entre deux communes qui ne travaillent pas nécessairement ensemble. L’atlas attire aussi l’attention sur la nécessité d’accorder la morphologie de l’agglomération à sa gouvernance politique, dans le sens d’une plus grande intégration de gestion.

9Au total, l’Atlas de la vulnérabilité de l’agglomération de La Paz apparaît comme une contribution majeure à l’évolution des politiques qui visent à prévenir les désastres. Il offre un panorama très clair de la situation en 2013, construit en lien avec les acteurs locaux qu’implique la gestion des risques. Et il confirme qu’une agglomération comme celle de La Paz développe la capacité à repérer, et à intégrer, les limites des politiques antérieurement menées. En ce sens, on pourrait prétendre que l’atlas contribue, potentiellement, à augmenter la résilience de l’agglomération, c’est-à-dire, à prévenir les désastres, à limiter l’intensité des futurs dommages. Même si la bibliographie internationale reconnaît aussi que l’augmentation de la résilience ne permet jamais d’éliminer tout désastre.

10On peut bien relever les limites des politiques prévenant les désastres, mais il serait tout aussi utile de se poser la question de savoir ce que serait le bilan humain et économique de cette agglomération, entre autres, s’il n’y avait pas de capacité à reconnaître ces limites et à essayer de les atténuer. C’est sans doute à cela que sert la recherche de Sébastien Hardy, comme l’atlas qu’il présente aujourd’hui, autant de manière fondamentale qu’appliquée.