IV-3. Interférences entre l’exploration/exploitation minière sous-marine et les autres activités
p. 471-482
Texte intégral
1. Contexte
1Compte tenu de ce que nous indiquions à propos de la spécificité du rapport nature-culture en Polynésie française (contribution I-1), des acteurs présents l’arène locale (contribution II-5), des conditions sociologiques qui président à un consentement et/ou à un permis social d’opérer (contribution II-4), l’exploitation minière en eau profonde apparaît comme un projet structurant à l’échelle de la Polynésie française. Une filière minière eu eau profonde risque donc d’avoir des répercussions profondes sur l’ensemble de la société polynésienne et bien au delà. Il s’agit donc d’une incroyable opportunité mais qui peut également avoir des conséquences socio-économiques et environnementales négatives à long terme.
2En outre, la capacité technologique, environnementale et politique de la France à mener des explorations et à conduire (ou co-piloter) une filière d’extraction minière en eau profonde, fera sans doute l’objet d’une attention soutenue de la part de partis prenants variés. Les entreprises minières exemplaires dans le monde, capable de mener des opérations en eau profonde en tenant compte de leur impact sur la biodiversité, en se souciant de l’acceptation sociale des populations et des acteurs locaux, pourraient s’engager dans de tels projets mais seront sans doute attentifs aux opportunités possibles notamment ailleurs dans le Pacifique.
3En tenant compte de ce contexte particulier où l’arène locale produite par l’exploitation minière s’étend à différentes échelles locales et globales, de l’ensemble des acteurs identifiés en II-5, de leurs craintes et de leurs attentes, il convient d’analyser les interférences et les conflits d’usage possibles avec les autres activités marines présentes dans la ZEE de la Polynésie française, en particulier, le tourisme, l’environnement et la pêche.
2. Interférences possibles
2.1. Interférences politiques et sociales
4Avec les conséquences sanitaires et de santé publique générées par la fin des expérimentations nucléaires en Polynésie française, un climat de méfiance, voire de défiance, s’est progressivement installé en Polynésie française vis-à-vis des grands projets. De nombreuses associations de victimes réclament une plus grande transparence sur les conséquences en terme de santé publique des essais nucléaires à propos des maladies radio-induites. Cette demande croît de la part des acteurs religieux (catholiques et protestants) et des acteurs environnementaux et politiques (Tavini Huiraatira, Heiura les Vert, une partie du Tahoeraa Huiraatira, Tapuraa Huiraatira). Beaucoup d’acteurs impliqués estiment que les informations communiquées sont peu transparentes (voir les Etats Généraux de la Polynésie française), que les conditions pour être reconnues comme victimes demeurent exigeantes et que la liste des maladies radio-induites est encore très restrictive comparativement à celles reconnues dans d’autres pays nord-américains et nord-européens.
5Dans ce contexte, une exploitation minière pourrait engendrer une méfiance quant aux conséquences induites sur la santé publique en raison des changements que cela pourrait occasionner sur l’environnement marin. Au-delà des conséquences avérées ou non, c’est aussi la transparence des informations, des enjeux, la connaissance des conséquences socio-économiques de l’exploitation minière qui nécessitent d’être prises en compte dans le cadre de la recherche d’un consentement social (contribution II-4).
2.2. Interférences avec les activités touristiques
6L’exploration, puis l’exploitation minière en eau profonde, devrait se dérouler à plusieurs dizaines de miles nautiques (mN) des côtes, hors de vue des activités touristiques. Si aucun impact direct n’est à craindre, à part les risques de pollution, les conséquences indirectes sont plus probables et peuvent entraîner des résistances. Il convient donc de s’interroger sur l’impact d’une exploitation minière sur la destination touristique polynésienne qui jouit aujourd’hui d’une réputation liée à un environnement préservé, « sauvage » (le mythe du bon sauvage). Toute activité fortement polluante pourrait entraîner une baisse de la fréquentation touristique en Polynésie française, ce qui serait dommageable pour cette économie insulaire déjà fragilisée par l’instabilité politique depuis plus de 10 ans et structurellement peu compétitive en raison de handicaps importants (éloignement des marchés émetteurs, cherté de la destination).
7Cette question semble d’autant plus épineuse que le gouvernement de la Polynésie française semble avoir arrêté sa stratégie touristique pour la période 2015-2020 qui repose sur l’exemplarité environnementale. Du fait de l’importance de l’image de « nature paradisiaque » et du mythe de « Tahiti et ses îles » sur lesquels se base toujours la promotion touristique, dans un contexte international croissant de produits du tourisme vert, une attention toute particulière doit donc être portée sur trois principaux points : la minimisation ou mitigation des impacts environnementaux en terme de pollution marine et de transformations à terre, le contrôle et la limitation des impacts de l’activité minière sur la biodiversité et la stabilité du système socioculturel de chaque archipel qui doit conserver ses attraits et sa spécificité.
2.3. Interférences avec les activités environnementales
8Par activités environnementales, que l’on qualifie aussi d’« éco-activités » on entend des activités qui produisent des biens et services ayant pour finalité la protection de l’environnement ou la gestion des ressources naturelles. Ces biens et services sont destinés à mesurer, prévenir, limiter ou corriger les dommages environnementaux causés à l’eau, l’air et le sol et les problèmes relatifs aux déchets, aux bruits et aux écosystèmes (définition internationale de l'OCDE et d'Eurostat). A notre sens, les interférences et les conflits d’usages possibles doivent être déclinés selon les espaces géographiques de la ZEE de la Polynésie française car toutes ces zones n’ont pas la même importance selon les usages rencontrés.
9En outre, les populations des îles autres que les îles de la Société (notamment aux Marquises, aux Tuamotu et aux Australes) se plaignent souvent de la quasi-absence de retombées économiques lorsque les projets sont définis à l’échelle de la Polynésie française. Les grand projets structurants de développement (tourisme, pêche, santé publique, environnement, politique des transports, construction d’équipements structurants, voire exploitation des ressources minières en eau profonde) sont décidés par le gouvernement du pays basé à Tahiti, et perçus comme des choix d’une élite administrative et politique confinée à la capitale de Papeete, connaissant mal et tenant peu compte des spécificités locales et n’invitant guère à la participation les élus et les populations des archipels. Un foyer potentiel de conflit se situe donc au niveau de la gouvernance politique et administrative des projets miniers lorsque ceux-ci auraient lieu dans l’espace océanique de chaque archipel.
2.3.1. Marquises
10Le cas des Marquises est ici exemplaire car le projet de création d’une grande AMP de 700 000 km² autour des Marquises, a impliqué un processus de concertation inter-administratif (environnement, pêche, agence nationale des aires marines protégées, service de la culture et du patrimoine) et une dynamique participative (communautés de communes des Marquises, 6 comités de gestion des îles Marquises, diverses associations de défense de l’environnement et de la culture). Ces consultations ont mis en lumière deux grands types de conflits d’usages, latents ou réels, entre :
- intérêts des pêcheurs hauturiers (palangriers) versus pêcheurs côtiers. Les seconds estiment être les victimes des palangriers qui contribuent à diminuer les ressources disponibles. De plus, les palangriers peuvent poser des nasses pour capturer crabes et langoustes, diminuant d’autant les crustacés accessibles pour les autres types de pêche et pour la pêche vivrière ;
- intérêts des pêcheurs palangriers versus mise en protection intégrale de parties d’espaces maritimes. Le projet de mise en place d’une aire marine protégée à l’échelle de l’espace océanique marquisien n’est pas compatible avec la volonté des palangriers d’y pêcher, ni avec la possibilité pour le gouvernement de la Polynésie française de vendre ou d’affecter des droits de pêche à des pêcheurs locaux ou étrangers.
11Dans ce contexte, l’exploitation minière apparaît comme une autre activité qui risque de susciter trois types de conflits, latents ou réels :
- mineurs versus pêcheurs côtiers. Ces derniers estimant déjà être des victimes de la pêche palangrière, voient de fait d’un assez bon œil le double projets de protection de leur ZEE (AMP) et en même temps l’idée d’autoriser la pêche dans une zone de 20 mN autour de leur île (type AMG, Aire Marine Gérée). L’impact de l’exploitation minière en eau profonde sur les ressources côtières est inconnu, mais il impliquera forcément la réouverture de négociations sur le zonage des aires marines, et par là l’émergence de nouveaux risques de conflits dans une arène où les pêcheurs côtiers ne jouissent pas nécessairement d’un rapport de force favorable. En l’absence de compensation, la convergence des intérêts « protection de la ZEE » et « pêche côtière » risque de se renforcer avec l’arrivée d’un acteur minier ;
- mineurs versus pêcheurs palangriers. C’est là que le conflit d’usage est, potentiellement, le plus évident. Il est possible, en fonction des lieux intéressants de ressources, que la compétition y soit du type « gagnant/perdant ». Le conflit d’usage est réel. Il n’y a aucun compromis possible sans des mesures compensatoires qu’il convient d’évaluer ;
- mineurs versus promoteurs d’une mise en protection environnementale de la ZEE marquisienne. Ici également, le conflit d’usage est réel mais doit être décomposé en deux temps. Toute activité minière exploratoire peut aider à l’identification de nouvelles espèces marines et enrichir les connaissances environnementales. En revanche, la phase d’exploitation contribuera à détruire la biodiversité attachée à des substrats ou potentiellement celle qui vit aux alentours, ou celle pour qui les monts sous-marins sont un lieu de passage. La question de la substituabilité des espèces identifiées reste posée, tout comme celle des monts sous-marins cobaltifères des non cobaltifères.
2.3.2. Tuamotu
12Comme indiqué en II-4, il existe une aire marine protégée dans la commune de Fakarava au Tuamotu. Cette commune est originale dans la mesure où elle réunit sept atolls, dont six habités (Fakarava, Niau, Aratika, Raraka, Kauehi, Toau) réunis sous le label Unesco « L’homme et la Biosphère ».
13En ce qui concerne les ressources minières en eaux profondes, il convient de distinguer le cas de l’exploration de celui de l’exploitation.
14Dans la mesure où la phase exploratrice apporterait de nouvelles connaissances en matière de biodiversité en eaux profondes, celle-ci pourrait être favorablement accueillie y compris aux abords de la biosphère de Fakarava. En revanche, il semble que l’exploitation des ressources minérales en eaux profondes impliquerait la perte irrémédiable du label Unesco auquel les Paumotu paraissent attachés. Depuis une décennie, avec la crise de l’industrie perlière, ce label a permis de faire de Fakarava une destination touristique attractive, bien qu’on ne puisse pas en indiquer l’importance économique. En résumé, il nous semble qu’une activité minière au sein de la réserve soit difficilement envisageable. Aux abords de la réserve, la question de l’impact de l’exploitation minière se posera avec acuité et il n’est pas certain que des mesures compensatrices soient suffisantes pour faire accepter l’idée d’une activité minière dans la zone de la commune de Fakarava.
15Il reste à considérer les autres atolls des Tuamotu. La même remarque négative sur le fait que les projets économiques structurants ne bénéficient financièrement qu’aux îles de Société, s’y applique. De plus, il convient de distinguer les atolls qui souffrent le plus aujourd’hui des conséquences des essais nucléaires, des autres. Les populations de ces dernières pourraient ne pas être favorables à de nouvelles formes d’expérimentations sans transparence sur les conséquences sanitaires et en termes de pollution. En outre, les Paumotu sont extrêmement attachés au rôle culturel et écologique que leurs oiseaux. Ceux-ci peuvent avoir une route de circulation qui inclut la zone des monts sous-marins et celle des îlots où ils nichent à terre. La mise en œuvre d’une exploitation minière pourrait modifier la zone de nourrissage des oiseaux et avoir des conséquences sur leur écologie. Les études environnementales et sociales devraient intégrer les zones écologiques des oiseaux au Tuamotu. Dans tous les cas, le consentement social à opérer y jouera un rôle crucial compte tenu de l’histoire contemporaine des populations Paumotu.
2.3.3. Iles de la Société, le secteur des monts Tarava
16Dans son principe, le type d’interférence principal qui pourrait émerger dans le secteur des monts Tarava, au sud de Tahiti, est celui qui met en scène les pêcheurs hauturiers et les acteurs miniers. Comme indiqué précédemment, la concurrence entre acteurs miniers et de la pêche peut être frontale. Des compensations doivent être envisagées ainsi qu’un zonage de l’espace marin pour que les deux types d’activités deviennent compatibles.
17Il existe également des risques de pollution sur la côte ouest de Tahiti, la plus peuplée, qui doivent être évalués. Il n’y a pas, à notre connaissance de projet de mise en réserve de la zone Tarava pour des raisons environnementales. Enfin, la même remarque concernant les oiseaux paumotu s’applique à ceux des Iles-du-Vent.
2.3.4. Australes
18L’archipel des îles Australes comprend cinq îles habitées (Rurutu, Rimatara, Raivavae, Tupuai et Rapa) et deux îles ou îlots non habitées, Marotiri au sud de Rapa et l’îlot Maria entre Rurutu et Rimatara. Sans qu’on puisse parler de conflits réels, l’arrivée d’un projet d’exploitation minière dans la zone Rapa, met en exergue la concurrence de plusieurs autorités quant à la « souveraineté » sur l’espace marin :
- le conseil coutumier versus les autorités de l’Etat et de la Polynésie française. Les uns comme les autres entendent rester maître de la maîtrise de leur espace marin. Les conflits qui s’y poseront en terme de gouvernance ne pourront être résolus ou amoindri que par un dispositif de gestion de l’espace qui associe les parties prenantes ;
- dans une moindre mesure, il en sera de même avec les populations des autres îles Australes qui défendent l’idée d’un rahui (mise en jachère d’un espace marin), laquelle n’est pas compatible avec une activité d’exploitation minière. Ce ne seront pas seulement des mesures de compensation qui sont en jeu, mais aussi l’idée de sanctuariser certains espaces marins, maîtrisés par les populations autochtones elles-mêmes ;
- enfin, à l’instar de la mise en place d’une AMP aux Marquises, il existe également un projet de mise en place d’une AMP d’un million de kilomètres carrés aux Australes. Ce projet n’est pas aussi avancé que celui des Marquises en terme de concertation avec les autorités locales, territoriales, et les populations. Dans son principe, la typologie des conflits latents et réels identifiés précédemment pour les Marquises se retrouve aux Australes.
2.4. Interférences avec les activités de pêche
19Ayant déjà abordé les cas des pêches côtières et lagonaires, il reste à discuter celui de la pêche palangrière.
20Depuis quelques années, aucune licence de pêche n’a été accordée aux bateaux étrangers dans la ZEE de la Polynésie française, la politique de pêche étant désormais de privilégier la flottille locale. Les armateurs n’ont pas manqué de faire peser des menaces de blocage du port de Papeete lorsque la question du renouvellement des licences de pêches à des bateaux étrangers s’était posée.
21Les types de conflits d’usage rencontrés dans l’hypothèse d’une exploration et d’une exploitation minière en eau profonde, sont liés à une concurrence d’usage sur les mêmes sites convoités. L’étude exploratoire pourrait mettre en évidence :
- les monts sous-marins cobaltifères des autres monts sous-marins ;
- l’importance relative de chaque mont en terme de biodiversité commerciale et non commerciale ;
- les impacts de l’exploitation sur les ressources commerciales.
22C’est dans la zone Tuamotu, des îles de la Société et dans une moindre mesure celles des Australes et des Marquises, que les conflits d’usage seront les plus saillants.
23A l’instar des projets d’AMP aux Marquises et aux Australes, un partage du territoire impliquera un processus de concertation avec les acteurs, susceptible d’aboutir à un macro-zonage permettant de développer plusieurs activités plus ou moins compatibles.
2.5. Interférences avec les activités de transport maritime
24Ce point a déjà été discuté dans la contribution II-5. Il convient de disposer d’une part, d’une carte précise des routes maritimes inter-archipels des bateaux et navires de croisières, d’autre part, des lieux d’exploration et d’exploitation possibles des ressources marines minérales en eaux profondes pour identifier les incompatibilités entre les activités.
25A priori, une zone de sécurité autour des sites d’exploitation devrait permettre de concilier les routes maritimes et l’exploitation minière. En termes de gouvernance, cela implique que les schémas directeurs des transports maritimes et ceux des usages de la ZEE de la Polynésie française, soient cohérents.
3. Conclusion
26Une typologie des conflits d’usages latents et/ou réels permet de repérer leur nature :
- conflits de gouvernance (État/Polynésie/Communautés locales et/ou autochtones) ;
- concurrence sur l’usage des lieux (environnement, pêche palangrière) ;
- divergence de positions pro-ou anti-mines en eau profonde (pêche côtière, lagonaire, environnement) ;
- cohérence à rechercher entre un zonage des activités minières et les routes de transport maritime ;
- concurrence en termes de représentations sociales et de stratégie (politique touristique versus politique minière).
27Dans tous les cas, les différentes politiques publiques menées par la Polynésie française en matière touristique, de pêche et de protection environnementale présentent des contradictions possibles. Celle-ci devront être discutées et des compromis pourront être trouvés au travers d’un ensemble de mesures qui répondent aux problèmes exprimés (gouvernance, zonage, mesures compensatrices, etc.).
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