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Hà Nội, future métropole

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Sylvie Fanchette

Troisième partie. Périphéries : une intégration à l’encontre de la dynamique des villages

Périphéries : une intégration à l’encontre de la dynamique des villages

Volltext

1La province de Hà Nội est composée de plusieurs couronnes dont la densité démographique diminue avec l’éloignement de la ville. Anciennement peuplé, le haut-delta, site de la capitale, fait partie des régions les plus densément peuplées au monde, avec des densités moyennes de 1 400 hab./km2 en 2009. La carte des densités démographiques est la résultante d’un processus multi-millénaire d’occupation par les populations d’un espace hydraulique riche, mais difficilement maîtrisable en raison des hauts risques d’inondation. Cette occupation très intensive de l’espace deltaïque repose sur la pluri-activité liée à la pratique de la riziculture inondée avec repiquage, très consommatrice en main d’œuvre et capable d’atteindre des rendements très élevés. Par ailleurs, l’entretien du réseau hydraulique nécessite une main d’œuvre nombreuse que l’administration réquisitionne jusqu’aux années 1980 sous forme de corvées.

2La concentration de la population y est la règle absolue : son regroupement en de gros villages s’explique par la nécessité de la communauté villageoise d’organiser la gestion de l’eau et se protéger contre les incursions des pillards. Cette cohésion sociale autour de l’organisation des travaux hydrauliques a été pendant des siècles un des facteurs favorables au maintien sur place d’une dense population et au développement des capacités productives très diversifiées (artisanat, commerce). De même, dans cette plaine fortement sujette à la submersion des terres, les habitants se sont très tôt regroupés sur des élévations, bourrelets de berge, les collines ou les tertres artificiels.

Illustration 10 — Expropriation des terres agricoles et projets péri-urbains

Illustration 10 — Expropriation des terres agricoles et projets péri-urbains

© Sébastien Löffler / Nội Pictures

3Ces fortes densités démographiques liées à la riziculture irriguée se retrouvent dans d’autres régions de l’Asie des moussons, notamment dans certaines parties de l’île de Java en Indonésie, où les activités non agricoles sont nombreuses dans les villages (artisanat, commerce, services…). T. McGee a développé un modèle pour définir ces zones qu’il nomme le desakota. Il identifie des noyaux urbains localisés au sein d’espaces ruraux très peuplés où l’agriculture garde une place importante. L’originalité de ces régions tient à ce qu’elles s’industrialisent et diversifient leurs modes d’occupation et de consommation de l’espace sans exode rural, ni explosion urbaine. Cet espace économique métropolitain serait composé de cinq sous-espaces :

  • les villes principales de la hiérarchie urbaine qui sont souvent en Asie dominées par une ou deux grandes villes ;

  • la zone péri-urbaine au sein de laquelle les migrants pendulaires évoluent quotidiennement entre leur Domicile et leur travail en centre-ville, zone d’impact de la ville ;

  • le desakota : est une zone à densité élevée de population liée à la pratique de la riziculture irriguée, caractérisée par une forte mixité économique (agriculture et activités non agricoles) le long de corridors entre les différentes villes de la zone, une dynamique propre et qui n’est pas uniquement sous influence de la ville ;

  • la zone rurale densément peuplée à vocation rizicole intensive ;

  • la zone frontière où sont envisagés les projets d’aménagements.

4Ce modèle se décline sous différentes formes dans l’Asie rizicole densément peuplée. Le niveau de développement de ces desakota dépend de la diversification des activités, de la part du secteur non agricole dans le PNB et de la valeur des investissements. Les desakota de la zone métropolitaine de Hà Nội se distinguent de ceux d’Asie du Sud-Est, très tôt intégrés dans le marché mondial et plus industrialisés.

5Le processus de métropolisation de la ville de Hà Nội s’accélère depuis les années 1990 dans un contexte de rattrapage urbain, après des décennies de politique anti-urbaine. Il se traduit par une accélération de la croissance démographique dans les première et seconde couronnes péri-urbaines et un maintien des dynamiques de croissance naturelle, grâce à la pluri-activité liée à la riziculture intensive. Après plusieurs décennies de contrôle des mouvements migratoires, l’exode rural s’accélère et conduit à la périphérie de la capitale. Cependant, ces flux restent modestes au regard de ceux qui ont transformé les périphéries des grandes villes de la région où les investissements dans l’industrie et la construction ont été massifs et attiré plusieurs millions de migrants à partir des années 1970. Hà Nội reste une capitale de taille très moyenne comparée à Jakarta, Hồ Chí Minh‑Ville ou Bangkok.

6Cependant, on observe une extrême fragmentation du territoire créée par les grands projets urbains et autoroutiers et l’émergence de nouveaux lieux de polarité que sont les villes satellites, les grands centres commerciaux ou les carrefours de communication. La métropolisation et les économies d’échelle liées aux processus macro-économiques d’agglomération prônées par la doxa libérale sont en train de mettre à mal le processus d’urbanisation in situ fondé sur le développement spontané des agglomérations rurales denses et diversifiées qui dominent dans les zones de desakota. Les emprises foncières très grandes, la disparition de la riziculture aux abords de la ville et l’envol des prix du foncier renchérissent les coûts de production de l’artisanat local et de l’agriculture maraîchère. La zone péri-urbaine s’étend, dynamisée par les investissements autoroutiers et la construction de nouveaux quartiers urbains et de zones industrielles complètement déconnectées de leur environnement rural. Les zones cultivées en riz sont repoussées dans la dernière couronne.

7Un des défis de la métropolisation de Hà Nội est de reconvertir les villageois expropriés par les projets urbains et de leur offrir de nouveaux emplois, notamment dans les usines qui s’installent dans les parcs industriels. En effet, avec plus de dix ans de retard par rapport aux pays capitalistes de l’Asie du Sud-Est, le Vietnam s’est engagé dans l’industrie mondialisée et a délaissé les usines d’État de la période révolutionnaire. Un autre défi est de maintenir l’agriculture péri-urbaine, très intensive qui nourrit la capitale depuis plusieurs siècles, et de la protéger des emprises urbaines.

8Mais comment, dans un contexte foncier au coût très élevé et de libéralisation des terres par l’État, est-il possible de maintenir des activités peu rentables comme l’artisanat et l’agriculture maraîchère comparées à la vente de terre ? Est-ce que les entreprises étrangères sises dans les parcs industriels, tenaillées par la rentabilité du capital investi et la concurrence entre pays de la sous-région, sont-elles prêtes à s’adapter aux contextes sociaux et économiques des bassins d’emplois (âge, sexe et qualification) où elles s’implantent ?

Abbildungsverzeichnis

Titel Illustration 10 — Expropriation des terres agricoles et projets péri-urbains
Impressum © Sébastien Löffler / Nội Pictures
URL http://books.openedition.org/irdeditions/docannexe/image/8897/img-1.jpg
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