Un climat sahélien

11Le Sahel est une région à faible pluviométrie, qui connaît une courte saison des pluies de juin à septembre, suivie de huit mois avec peu ou pas de précipitations. Même durant la saison des pluies, les précipitations sont très variables d’un lieu à un autre, et selon les années. Au fil des décennies écoulées, elles sont devenues très inégales, des pluies diluviennes pouvant être observées dans un endroit alors que 5 km plus loin, un champ reste désespérément sec. La figure 6 présente les précipitations relevées au Sahel de 1901 à 2017. Elle montre un schéma cyclique d’années pluvieuses et d’années sèches, comme les sécheresses des années 1910 et la période exceptionnellement humide des années 1950 et 1960. C’est d’ailleurs pendant cette période que les paysans de Dlonguébougou tirèrent leur épingle du jeu en cultivant des arachides et en investissant les bénéfices dans des paires de bœufs de labour. À la fin des années 1960, on constata une forte baisse des précipitations qui dura jusque dans les années 1990. Aucune autre région du monde n’a connu des changements d’une telle amplitude dans le caractère des précipitations au cours du xx^e siècle (Giannini et al., 2013). Lors de ces fortes sécheresses impactant tout le Sahel, certains scientifiques ont estimé que le phénomène s’expliquait par un usage des sols destructeur, par la déforestation et par le défrichage des terres sahéliennes et d’autres régions de l’Afrique de l’Ouest. En conséquence, les pouvoirs publics ont tenté de mettre un frein aux pratiques locales d’agriculture et de pâturage afin de stopper « l’avancée du désert » (Behnke et Mortimore, 2016 ; Toulmin et Brock, 2016). Des travaux récents ont réussi à modéliser plus précisément les liens entre les interactions Terre/atmosphère et les processus climatiques mondiaux. Ils montrent que les régimes de précipitations sahéliens sont majoritairement impulsés par le changement climatique à l’échelle mondiale et par les températures de surface de l’océan Atlantique Nord et Sud. Les niveaux élevés de pollution dus aux sulfates en Europe du Nord à partir des années 1960 ont en partie bloqué l’énergie solaire et ont entraîné un refroidissement de l’Atlantique Nord par rapport à l’Atlantique Sud, ce qui a entravé le mouvement vers le nord de la mousson ouest-africaine à travers le Sahel. À partir des années 1980, la législation européenne mise en place pour mettre un terme aux « pluies acides » a entraîné des réductions massives de cette pollution due aux sulfates et la hausse subséquente des températures de surface dans l’Atlantique Nord par rapport à l’Atlantique Sud. Ce changement des températures relatives en surface des océans semble avoir engendré un redressement partiel des niveaux pluviométriques au Sahel (Giannini, 2016). Toutefois, si le volume moyen de précipitations reçues au Sahel a augmenté, il est aussi devenu de plus en plus volatil, prenant la forme de tempêtes violentes, et non plus de pluies continues et plus fines. Ainsi, « le caractère des précipitations durant la récente phase de redressement semble avoir revêtu une forme radicalement différente comparée à la période humide du milieu du xx^e siècle : moins de jours de pluie, comme lors d’une sécheresse prolongée, compensés dans les totaux saisonniers par une hausse de l’intensité moyenne des précipitations journalières » (Giannini et al., 2013)47. C’est la conséquence d’une atmosphère mondiale plus chaude qui absorbe une humidité plus importante et d’un cycle de l’eau plus intense.

Figure 6 | Anomalies des précipitations au Sahel (1901-2017) : un siècle de variations de la pluviométrie.

12Les climatologues ne sont pas capables de prédire avec certitude les régimes de précipitations et leurs tendances dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, en raison de la complexité des forces qui sont à l’œuvre. Les précipitations sahéliennes sont apportées par des vents chauds en provenance du sud-ouest, qui ont gagné de l’humidité en voyageant au-dessus de l’océan Atlantique et du golfe de Guinée. Ces vents rencontrent la puissante force contraire des vents du nord-est, plus chauds et très secs, en provenance du Sahara. La force relative de ces vents à différentes époques de l’année permet d’expliquer le calendrier du début de la saison des pluies, le volume des précipitations et leur arrêt plus ou moins brusque après les mois de juillet et août, les plus humides, comme on le voit sur la figure 7 (a et b). Certains modèles météorologiques suggèrent la possibilité de hausses sensibles du volume des précipitations, alors que d’autres prédisent un recul significatif des pluies à venir. Une hausse probable des températures durant la saison des pluies a été annoncée pour le Sahel, mais cela ne semble pas s’être produit car des précipitations plus élevées ont entraîné des conditions plus humides et, par conséquent, une évaporation supérieure. En revanche, les températures à la fin de la saison sèche et chaude ont augmenté de plus de 1 °C48. Il y a eu une variabilité accrue des totaux pluviométriques et de leur distribution, avec un regain d’intensité des tempêtes et des risques accrus d’érosion des sols et d’inondations. S’appuyant sur 35 années d’observations satellitaires, les recherches montrent que, par rapport à 1982, le nombre de systèmes météorologiques de convection intense a triplé, voire quadruplé, ce qui a entraîné de gros orages qui sont à l’origine de 90 % des précipitations du Sahel (Taylor et al., 2017). Les chercheurs considèrent que ce phénomène est probablement dû à une hausse du gradient thermique entre le Sahel et le Sahara, le désert se réchauffant beaucoup plus vite que le Sahel.

13La figure 7a montre les totaux pluviométriques annuels à Ségou pour la période 1991-2016. Si la moyenne est de 646 mm par an, on observe une variabilité prononcée d’une année sur l’autre, et il est impossible de dégager une tendance nette sur la période couverte. En allant vers le nord, on constate une chute rapide du volume et de la fiabilité des précipitations. Ainsi à Dlonguébougou, situé à 40 km au nord de la rivière à vol d’oiseau, pour les années où nous disposons de relevés pluviométriques à Ségou et dans le village, ceux-ci indiquent une moyenne annuelle de 200 mm inférieure à Dlonguébougou, ce qui montre une chute rapide des précipitations annuelles de l’ordre de 50 mm par bande de 10 km parcourus vers le nord.

Figure 7a | Précipitations (mm) à Ségou (1991-2016).

14Sur la figure 7b sont indiqués le nombre et la répartition des épisodes pluvieux à Dlonguébougou de 1991 à 2016. Ces données, recueillies par Makono Dembélé, qui réside au village, démontrent clairement le niveau élevé de variabilité des précipitations d’une année sur l’autre, et la répartition variée au fil de la saison. Le mois d’août connaît le plus grand nombre d’épisodes pluvieux, avec la meilleure fiabilité, suivi du mois de juillet. Les pluies sont plus inégales en juin et elles sont très occasionnelles en mai. À partir de la mi-septembre, les précipitations, qui sont particulièrement importantes à cette période pour permettre la croissance des grains de mil, sont devenues de plus en plus capricieuses et volatiles, ainsi que le rapporte Makono Dembélé :

« J’ai commencé à compter le nombre d’épisodes pluvieux en 1988. Je constate que, certaines années, il y a plus de pluies que d’autres. Prenons l’an 2000, par exemple. Il y a eu 22 épisodes de pluies durant cette campagne à Dlonguébougou, et le mil que nous avons récolté était le meilleur que nous avions vu depuis très longtemps. Certaines années, on peut avoir 40 ou 45 épisodes de pluie dans la saison, et la récolte est alors toute petite. D’autres années, il arrive une grosse pluie et certains s’en tirent tellement bien que tout le monde en entend parler. En fait, tout dépend de la façon dont les pluies arrivent. Samedi dernier, la pluie est venue et elle a duré toute la nuit pour ne cesser qu’au petit matin. Après ça, si nous n’avions plus de pluie pendant une semaine et si vous alliez voir l’état du mil, vous verriez qu’il pousse bien dans nos terres. Mais si on recevait aussi beaucoup de pluie pendant la journée et encore la nuit, le sol perdrait de sa force. Le mil ne serait pas capable de germer et de pousser. Il a besoin de la chaleur du soleil. La façon dont les pluies arrivent (sanji na cogo) à présent a vraiment changé… Nous avons changé notre façon de cultiver la terre ; c’est le résultat de la modification des précipitations. Les anciennes variétés de mil avaient plus de vigueur. Désormais, nous semons des variétés à cycle plus court – mais vous n’obtenez pas la même force de ces variétés. » (Entretien, juin 2014).

Figure 7b | Nombre d’épisodes pluvieux à Dlonguébougou (1991-2016).

15La figure 8 représente les précipitations reçues à Dlonguébougou de 1980 à 1984, et de 2016 à 2018, années durant lesquelles nous avions installé un pluviomètre. Elle fait ressortir les précipitations particulièrement médiocres de 1984 (une année de sécheresse généralisée dans tout le Sahel). En 2016, les précipitations ont été exceptionnellement élevées, puisqu’elles ont totalisé 720 mm, mais, si l’année a bien démarré, les pluies se sont arrêtées dès le début du mois de septembre. À la mi-août, un déluge de 105 mm en six heures a inondé une partie du village, de sorte que plusieurs maisons se sont effondrées, sans toutefois faire de victimes. Plusieurs champs autour des habitations étaient sous l’eau, ce qui a engendré des pertes sur récolte importantes. Durant l’année suivante, en 2017, Dlonguébougou n’a reçu que 470 mm. Les pluies ont démarré très tard – et aucun mil n’a été semé avant la mi-juillet –, puis elles se sont arrêtées à la mi-septembre. À la fin 2017, les agriculteurs ont déclaré qu’ils s’attendaient à ce que la récolte de 2017 soit encore pire que celle de 201649. En revanche, en 2018, le total des pluies était de 557 mm, répartis en 35 épisodes pluvieux, dont le plus important a apporté 82 mm début août. La quantité globale de précipitations, conjuguée à un espacement raisonnable des épisodes pluvieux aurait dû permettre une meilleure récolte pour Dlonguébougou mais, comme on peut le voir plus loin sur la figure 12, la quantité de mil récoltée en 2018 fut encore inférieure à celle de 2017, et elle fut particulièrement décevante pour le mil cultivé en champs de brousse, le sanio.

Figure 8 | Précipitations (en mm) reçues à Dlonguébougou de 1980 à 1984 et de 2016 à 2018.

16Comme on le voit sur la figure 8, le volume des précipitations est plus important aujourd’hui que dans les années 1980 ; en revanche, leur distribution a changé. Elles arrivent sous forme d’orages plus violents, souvent précédés par une énorme tempête de sable (photo 17), durant une saison des pluies plus courte. Les villageois confirment cette évolution du régime des précipitations et des tendances à partir des années 1960. Les femmes et les hommes plus âgés se rappellent que, lorsqu’ils étaient enfants, les précipitations arrivaient sous forme d’une pluie fine, qui tombait souvent tous les jours au plus fort de la saison humide. À présent, c’est beaucoup plus incertain.

Photo 17 | Une tempête de sable annonciatrice d’une grosse averse (juin 2014).

17Tout le monde s’accorde avec Makono pour dire que la distribution des précipitations est plus importante que leur volume total. Les paysans plus âgés se rappellent également de cultures qui ont maintenant pratiquement disparu, comme le sorgho (Sorghum bicolor) et l’arachide (Arachis hypogaea). O. S., un vieil homme de 90 ans, raconte :

« La pluie venait jadis comme un fin crachin brumeux, tout au long de la journée, et toute la nuit pendant une semaine ou plus. De gros nuages noirs arrivaient et, quel que soit l’endroit, vous saviez qu’il allait pleuvoir. Mais c’est différent aujourd’hui. Un peu de pluie arrose un côté de ton champ mais pas l’autre. La pluie qui venait jadis était bien plus utile aux cultures. Lorsque la pluie tombait, l’humidité durait pendant une semaine, mais à présent, après deux jours, le sol est sec. C’est la façon dont arrive la pluie qui est vraiment différente, et non le volume total de précipitations. Nous avions un mil à cycle plus long qui donnait de très bons résultats. À présent, il nous faut du mil à cycle plus court. » (Entretien, juin 2014).

Faire face à la variabilité des pluies 

18Par tradition, les agriculteurs ont répondu à cette pluviométrie incertaine en associant des cultures ayant des cycles de végétation de longueur différente, dans l’espoir qu’au moins un de leurs champs donnerait de bons résultats (Toulmin, 2009). La combinaison de mil souna à cycle court planté dans les champs de village et de mil sanio à cycle plus long planté dans les champs de brousse représente une stratégie de longue date, qui perdure encore aujourd’hui. À présent, les paysans recherchent des variétés de mil qui arrivent encore plus vite à maturité, car les pluies s’arrêtent de plus en plus tôt ces dernières années. Une variété de ce type du nom de iniadi, un mil à tige courte caractérisé par sa graine gris blanchâtre50, pouvait arriver à maturité en 60 jours et il était fort apprécié dans les années 1980. Mais aujourd’hui, plus aucun villageois n’a de semences de cette variété.

19Les paysans de Dlonguébougou n’expliquent pas la baisse des pluies depuis les années 1950 et 1960 ; pour eux, c’est la volonté de Dieu. Lorsqu’ils ont été confrontés à quelques semaines de sécheresse au milieu du cycle de végétation en août 1981, ils étaient consternés par le flétrissement de leurs champs de mil. Le chef du village nous a envoyé un émissaire et nous a demandé de conduire une délégation à Ouéta, à environ 35 km, auprès d’un imam qui était considéré comme l’un des personnages spirituels les plus puissants de la région. À notre arrivée, le saint homme prononça une bénédiction, écouta la demande des villageois et accepta leurs dons, puis nous enjoignit fermement de rentrer directement chez nous, sans nous arrêter. Dans l’un des villages que nous avions traversés durant le voyage de retour, nous fûmes contraints de nous arrêter brièvement pour permettre à l’un de nos passagers de saluer un parent proche. Est-ce la raison pour laquelle il n’y eut pas de pluies importantes après l’intercession du marabout ? Au bout d’une dizaine de jours supplémentaires de sécheresse, la pluie est finalement arrivée, mais, à ce stade, l’essentiel de la récolte de mil du village était sèche et cassante au toucher.

20Pragmatiques, les paysans sont prêts à essayer n’importe quelle source d’inspiration divine susceptible de leur amener le succès. En 1984, une année de grave sécheresse et de mauvaise récolte, une délégation des habitants du village voisin de Misribougou descendit à Ségou pour se rendre à la mission catholique et lui demander de l’aide. D’après les Pères blancs, après avoir prié avec leurs visiteurs dans l’église de Ségou et leur avoir servi un déjeuner, les missionnaires proposèrent de les reconduire chez eux. Sur le long chemin du retour, on put voir de gros nuages noirs s’amonceler au loin et l’orage commença à gronder. À 8 km du village, l’orage éclata et la pluie se mit à tomber avec une telle violence que la voiture des missionnaires ne put continuer d’avancer. Les villageois durent faire le reste du chemin à pied, mais ils étaient heureux que leur visite se soit soldée par un succès et ils furent très impressionnés par le pouvoir spirituel des missionnaires51. Cette même année d’extrême sécheresse, lorsque je me suis rendue à Dlonguébougou en octobre, j’ai trouvé les champs nus et desséchés. Mais le village de Djibougou, à une vingtaine de kilomètres seulement de Dlonguébougou, avait bénéficié de pluies exceptionnelles et engrangé une superbe récolte, avec l’aide de nombreux habitants des villages voisins qui pouvaient ainsi gagner en échange de leur travail quelques sacs de grains à ramener à la maison pour nourrir leur famille.

21À l’arrivée des premières pluies, les villageois décident s’il est temps de commencer les semis, et il y a alors des discussions animées sur le mois en cours et sur le fait de savoir si la période correspond à la position de certaines constellations dans le ciel. De nos jours, ils mêlent le calendrier bambara traditionnel – jominε, sunkalomakono, sunkalo – et les mois du calendrier occidental, il y a donc moins de doutes sur la date qu’en 1980. Personne ne va tenir compte d’une première pluie en mai, car il est peu probable qu’elle soit suivie de précipitations importantes, et il ne servirait donc à rien de semer le mil à ce moment-là. À la mi-juin, de fortes pluies rassurent suffisamment la plupart des agriculteurs pour qu’ils se rendent dans les champs de brousse et sèment le mil sanio, à cycle long ; mais ils attendront jusqu’en juillet pour semer la variété souna, à cycle court.

Les champs de brousse

30Les champs de brousse de Dlonguébougou sont de vastes zones de terres légèrement défrichées, où nombre d’arbres et de bosquets sont conservés. Ils ne sont pas fermés par une clôture et n’ont pas de délimitation formelle, même si leur périmètre reste visible sur les images satellitaires car les terres cultivées sont de couleur plus pâle que les jachères de brousse voisines. Aujourd’hui, le plus grand de ces champs a une superficie de 115 ha et il est mis en valeur par le ménage du chef du village ; en 1981, ce champ n’était que de 67 ha. Si celui-ci est exceptionnellement grand pour un ménage de Dlonguébougou, beaucoup de champs s’étendent sur 30 à 50 ha. Ce sont des superficies très importantes, qui s’expliquent en partie par la très grande taille des ménages bambara concernés, ainsi que par les méthodes culturales extensives qui sont pratiquées. La superficie moyenne d’un champ par adulte travaillant dans le ménage est de 3 à 4 ha. Ces grands champs sont aussi le résultat d’une utilisation répandue de charrues tirées par des bœufs, afin d’accélérer le traçage de sillons et le sarclage des sols légers sablonneux pour tirer profit au mieux de la brève saison des pluies. On compte 121 charrues dans le village, tous les ménages en possèdent au moins une, même si plusieurs familles sont obligées d’emprunter un deuxième bœuf pour compléter leur attelage. La famille du chef possède dix charrues, et il est très impressionnant de les voir toutes au travail au début des travaux des champs. Introduites à Dlonguébougou dans les années 1950 pour la culture de l’arachide, ces charrues légères sont utilisées pour préparer la terre en creusant un sillon le long duquel le mil est semé et pour assurer le sarclage un fois qu’il a germé. Les charrues sont fabriquées et réparées localement par les forgerons de Noumoubougou, à 8 km au sud de Dlonguébougou. Il est intéressant de noter que le champ du chef, s’il a presque doublé de taille au cours des trente-cinq dernières années, n’a pas augmenté dans les mêmes proportions que la taille du ménage, qui a plus que triplé, passant de cinquante-six personnes en 1980 à 184 en 2016. Cela illustre la tendance de la main-d’œuvre familiale à passer de l’exploitation collective des champs de mil du ménage aux parcelles individuelles plantées en sésame sur lesquelles on canalise les efforts, comme expliqué plus loin de manière détaillée.

31Juxtaposés, les champs de brousse évoluent au fil du temps, s’éloignant peu à peu du village, avec l’ajout d’un lopin de terre à l’avant, et l’abandon à l’arrière des terres les plus anciennes. Chaque champ est une mosaïque de lopins de terre défrichés années après années, comme l’illustre la figure 10. Lorsque les charrues n’étaient pas encore si répandues, il était fréquent d’ensemencer rapidement le vieux champ de brousse sans l’avoir labouré au préalable. Cela visait à procéder aux semis le plus vite possible après les premières précipitations dignes de ce nom, dans de petites cuvettes creusées dans le sol au moyen d’une houe à long manche, une technique appelée paki. Aujourd’hui, la plupart des ménages choisissent de labourer et de billonner la totalité du champ de brousse avant de semer le mil, afin d’avoir le temps de labourer et d’ensemencer le champ de village avant de revenir sarcler le champ de brousse. Toutefois, labourer la totalité du champ de brousse avant les semis demande plus de temps que la technique du paki, et on prend le risque de compromettre la récolte du champ de brousse si les pluies s’arrêtent tôt au début du mois de septembre.

32Les nouvelles terres à l’avant du champ de brousse sont souvent semées de cultures comme les pois bambara, qui bénéficient d’une terre fertile et fournissent un réservoir d’azote pour la récolte de mil de l’année suivante. Les pourtours du nouveau champ sont semés de dah, qui forme un marquage esthétique et le délimite clairement. Comme le dah est récolté tardivement, après le mil, il signale également aux éleveurs l’occupation continue du champ. La fertilité du sol diminue au bout de quatre à cinq années de culture du mil, par conséquent, la portion de terre abandonnée chaque année a généralement cinq ans. À ce stade, le sol est fatigué et les plantes qui y poussent – notamment le fogo-fogo (Calotropis procera) et le zamara (Cenchrus biflorus) – témoignent de son épuisement.

Figure 10 | Composition d’un champ de brousse : une mosaïque de parcelles.

Les champs de village

33Les champs de village constituent un anneau de terres cultivées en permanence tout autour de villages comme Dlonguébougou et bénéficient d’un peu de fumier et d’ordures ménagères pour augmenter la fertilité du sol. Ils abritent aussi des peuplements d’arbres utiles tels que les balanzans, les tamariniers et les karités. Les champs de village sont habituellement semés de mil souna, la variété à cycle court, avec quelques petites parcelles consacrées à la culture du maïs et des pois bambara. De nos jours, quelques ménages confrontés à un manque de main-d’œuvre et de fumier ont semé leur champ de village de mil sanio. On peut toujours compter sur une récolte de sanio, même si le sol est pauvre, alors que le souna a besoin de fumier pour pouvoir arriver à maturité dans le petit laps de temps mis à sa disposition pour croître, fleurir et former des graines. Les terres des champs de village sont toujours labourées avant les semis, car elles seront couvertes de mauvaises herbes lorsque la famille abandonnera les semis du champ de brousse pour entamer les semis de mil à cycle plus court. Le mil souna est généralement intercalé avec du niébé, qui vient apporter un peu d’azote dans le sol, mais les nombreuses taches rosâtres formées par l’adventice du nom de ségé (striga, ou « herbes des sorcières ») indiquent que de nombreux champs de village sont épuisés par des décennies d’exploitation sans que le sol ait bénéficié de suffisamment de nutriments. Personne n’aime épandre les ordures et le fumier, tâche épuisante et malodorante ; ce sont donc les jeunes les plus énergiques du ménage qui se chargent régulièrement de cette opération. Il était bien plus facile d’engraisser les champs lorsque les bovins étaient régulièrement amenés d’un champ à l’autre pendant la saison sèche, leur enclos pour la nuit étant monté tour à tour sur chaque parcelle. On déplore aussi un problème croissant lié à l’infestation par une plante arbustive, Sesbania, qui s’est propagée dans la majeure partie des champs de village et qu’il faut impérativement déraciner très tôt pour l’empêcher d’étouffer les plants de mil.

34La plupart des puits sont creusés sur des parcelles tout autour du village afin que le propriétaire du champ puisse profiter du fumier laissé par les bêtes venues s’abreuver à son puits (photo 23). Jadis, durant la longue saison sèche, on trouvait de nombreux éleveurs peuls et maures installés dans des tentes et des abris montés dans les champs appartenant au propriétaire du puits, mais il y en a beaucoup moins de nos jours (voir chap. 6). Le manque de pâturages près du village fait que les éleveurs de passage gardent leurs bêtes sur des pâturages plus distants, ce qui fait qu’ils ne les abreuvent que tous les deux ou trois jours.

Photo 23 | Le bétail attend d’être abreuvé au puits durant la saison sèche ; en arrière-plan, on peut voir la cour de l’école ombragée par quelques arbres (2011).

Les pâturages

35Les paysages autour de Dlonguébougou sont le fruit de nombreuses décennies de défrichage et d’exploitation, de sorte que le mélange d’arbres et d’arbustes montre clairement à quel moment les terres ont été exploitées ou laissées en jachère. Sur la vaste étendue de terres autour du village, environ un quart n’est pas adapté à l’agriculture : cette partie des terres n’a pas été mise en valeur et est utilisée comme pâturage. Les terres qui ont été cultivées mais sont maintenant laissées en jachère sont progressivement reconquises par des buissons et des herbacées qui fournissent du fourrage aux bovins, aux moutons et aux chèvres, qui y paissent pendant les mois de l’année où les sols ne sont pas cultivés (Cissé et Hiernaux, 1984). Les garçons sont envoyés dans la brousse pour y ramasser le foin destiné aux nombreux ânes dont dépendent aujourd’hui tant d’opérations de transport. Quatre ménages ont un cheval, mais c’est considéré comme un luxe que seuls les hommes les plus âgés sont tentés de s’offrir, en souvenir des jours anciens. Les éleveurs coupent les branches de buissons et d’arbustes afin d’avoir du fourrage pour les animaux au plus fort de la saison sèche, avant le reverdissement des pâturages. Durant la campagne agricole, les bovins du village sont gardés dans un enclos au sud-ouest des champs de village, près d’un grand étang ; pendant la saison sèche, ils peuvent errer librement et sont ramenés au village lorsqu’ils ont besoin d’eau53. Des couloirs pastoraux bien établis sillonnent le paysage du nord au sud, permettant les mouvements saisonniers des gros troupeaux. Ces couloirs sont censés être séparés des cultures, mais il est de plus en plus fréquent que les champs empiètent sur eux, ce qui est source de conflit avec les éleveurs quand ils guident leurs bêtes vers le sud tout près des champs en pleine période de mûrissement à la fin des pluies.