Impact économique

1Globalement, les résultats sur le poids, la structure de l’économie informelle et les logiques sous-jacentes amènent à réviser les points de vue (et les a priori) et donc les politiques globales (sur l’emploi, sur la lutte contre la pauvreté, etc.) et conduisent également certains acteurs du secteur formel à changer de comportements et de stratégies.

2Ainsi, outre la précarité des conditions de vie et la marginalisation des acteurs dans l’informel, trois résultats majeurs (la prédominance de l’informel, son caractère non transitoire et sa contribution à l’économie), qui tendent à se confirmer dans la majorité des pays, sont maintenant de plus en plus pris en compte pour appréhender l’informel. Ils ont conduit à une modification des points de vue qui auparavant condamnaient a priori ce segment de l’économie.

3À titre d’exemple précis d’impact, on a pu entendre des discours (de décideurs, de responsables de groupements d’entrepreneurs1, etc.) reprendre les résultats des enquêtes sur le poids de l’informel et souligner le fait que les politiques doivent en tenir compte. Les décisions prises au Vietnam (à la suite des premières enquêtes) d’institutionnaliser (et d’inscrire dans les missions officielles de l’OGS) la mesure de l’informel en est un autre exemple. Enfin, au niveau de la communauté du développement (mesures préconisées par le BIT, le Pnud ou la Banque mondiale), on a pu constater un changement progressif de paradigme des années 1990 à aujourd’hui : de politiques centrées essentiellement sur la formalisation et en grande partie répressives, on est passé à une approche plus pragmatique, acceptant qu’un appui puisse être apporté au secteur informel sans forcément l’obliger à le formaliser. Les résultats issus du dispositif 1-2-3 font partie des éléments ayant contribué à ces changements.

4Les données des enquêtes 1-2-3 permettent de réviser le PIB (qui n’intègre qu’une partie de l’économie informelle)2. Sur ce point, le Pérou est, grâce à la coopération avec l’IRD, le premier pays en développement à publier de manière régulière une radiographie complète de l’économie informelle dans le cadre des comptes nationaux. Ces résultats ont permis à des chercheurs et aux décideurs des politiques publiques de disposer d’un outil précieux permettant de prendre la mesure de l’importance relative de l’économie informelle dans le PIB et de connaître de manière très détaillée ses caractéristiques. Ainsi, l’articulation entre recherche statistique et politiques publiques a été facilitée. La demande de la part de décideurs et chercheurs pour cette information a motivé l’Inei à actualiser périodiquement le compte satellite de l’économie informelle (nouvelles éditions en 2017 et 2018 couvrant les périodes 2007-2016 et 2007-2017).

5Les connaissances tirées des enquêtes sur l’économie informelle aident à la définition des politiques publiques pour la protection des travailleurs, l’appui aux microentreprises (formation adaptée aux besoins, accès au crédit) ou l’incitation à la formalisation.

6Par exemple, pour Madagascar, l’enquête 1-2-3, renommée Enempsi (Enquête nationale sur l’emploi dans le secteur informel) en 2012, a été largement mobilisée pour l’élaboration de la Pnefp (Politique nationale de l’emploi et de la formation professionnelle) par le ministère de l’Emploi, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle (MEETFP) avec l’appui du BIT et de l’Unesco.

7Pour le Vietnam, la reconnaissance du poids du secteur informel en 2011 a conduit à sa prise en compte pour la première fois dans la stratégie nationale pour l’emploi du ministère du Travail. Le gouvernement s’attache à accorder des avantages à la « formalisation » des unités productives, par l’accès au crédit ou à un meilleur emplacement sur le marché (voir les publications de l’ASSV en 2017). La nouvelle loi sur les entreprises de 2017 introduit des aides à la formalisation des entreprises individuelles (adoption d’un statut de microentreprises formelles) : aides fiscales, formations à la comptabilité, etc. Ces aides s’inscrivent dans l’objectif annoncé par le gouvernement en 2017 de doubler le nombre d’entreprises formelles au Vietnam, en le faisant passer de 500 000 à 1 million d’ici 2020.

8Pour le Pérou, la stratégie sectorielle pour la formalisation du travail 2018-2021 du ministère du Travail a été approuvée par une résolution ministérielle (RM n° 071-2017-TR) publiée dans le Journal officiel le 7 mars 2018. Cette nouvelle stratégie priorise les actions en mettant l’accent sur les segments où persistent des niveaux élevés d’informalité. Elle propose cinq objectifs spécifiques portant sur l’amélioration de l’employabilité et la productivité du travail, les conditions qui dynamisent le cycle du travail formel, le renforcement des capacités de régulation, la culture de la formalisation et la gestion de la connaissance. À la lecture du sommaire, on constate d’une part une appropriation assez poussée des débats récents sur les concepts et mesures de l’informalité ainsi qu’un usage intensif des résultats des enquêtes 123 adoptées et adaptées par l’Inei et du compte satellite de l’économie informelle.

Impact social et politique

9Le secteur informel a émergé dans le débat public (Pérou) : alimentation des débats sur la réalité et l’ampleur de l’informel et une catégorie d’acteurs (les « informels ») a été reconnue socialement.

Impact institutionnel

13L’impact institutionnel est le renforcement de la crédibilité des instituts nationaux de statistique grâce aux compétences acquises mais aussi grâce à la mobilisation (appropriation/institutionnalisation) d’un outil performant et pertinent : i) pour le suivi de l’emploi et des conditions de vie de la population ; ii) permettant la disponibilité de données fiables et pertinentes sur le secteur informel (biens publics, réponse à la demande des utilisateurs) ; iii) donnant des éléments (inputs) pour l’élaboration des comptes nationaux, avec l’inclusion des comptes satellites de l’économie informelle dans la comptabilité nationale (objectif atteint pour le cas du Pérou).

14Notons ici que ce résultat sur la crédibilité institutionnelle a été particulièrement significatif pour l’Instat à Madagascar. La production statistique a été mise au service de l’analyse économique, et ce savoir-faire a lui-même été subordonné au faire-savoir à travers la diffusion des résultats. L’effort de valorisation des résultats d’enquêtes Madio (études économiques, présentation publique, création d’une revue, etc.) s’est révélé payant, engendrant un véritable cercle vertueux : les résultats d’enquêtes produits en temps réel et les analyses thématiques qui en sont issues suscitent l’intérêt et apportent des ressources fraîches pour de nouvelles enquêtes. Non seulement, Madio a réussi à susciter une demande forte pour ses productions, mais l’expression de cette demande est elle-même un puissant facteur de motivation des cadres et de renforcement de la confiance entre l’institution et les usagers.

15L’intense politique de diffusion et valorisation des résultats consentie par le projet correspond à un parti pris méthodologique délibérément choisi. Il part du constat que la déchéance des instituts nationaux de statistique africains est en partie imputable à l’incapacité des statisticiens à répondre à la demande en temps et avec la qualité requise. Or dans un contexte d’extrême rareté des ressources et où la « culture statistique » des décideurs est limitée, les statisticiens sont mis en demeure de prouver l’intérêt fondamental des produits qu’ils proposent.

Renforcement de capacités

16Les compétences des cadres, des chercheurs ou d’autres acteurs (décideurs, cadres de la fonction publique, société civile) participant aux ateliers de formation ou bénéficiant des enseignements (thèses, masters) se sont renforcées.

17Nous avons déjà souligné plus haut que des compétences se sont construites au niveau national dans les différents pays : les cadres qui ont été responsables de la mise en œuvre du dispositif d’enquêtes ont acquis une expérience et une expertise méthodologique et analytique qu’ils peuvent transmettre à leur tour. Mais au-delà des compétences techniques, le recours et l’application pratique du dispositif d’enquête et d’analyse permettent également de sensibiliser sur l’intérêt d’une approche, une méthode d’analyse accordant une place majeure aux conditions de production des données statistiques et à leur restitution au grand public. Plus spécifiquement, il s’agit de privilégier une démarche qui ancre fortement les analyses au terrain en tenant compte en amont des contextes nationaux, des impératifs de la collecte et en aval des attentes des décideurs et du grand public. Ne peut-on dire que cette approche (que l’on retrouve dans la démarche Dial évoquée plus haut) qui a permis de former un grand nombre de chercheurs (au Nord comme au Sud) a d’une certaine manière « fait école » et que l’on pourrait ainsi parler de « l’école des enquêtes 1-2-3 »6 ?

18Les compétences acquises ont également été mobilisées pour l’accès à des postes à responsabilité de haut niveau. Notons par exemple que parmi les cadres statisticiens-économistes que les chercheurs de l’IRD ont pu former dans le cadre du projet Madio autour de l’enquête 1-2-3 et ses dérivés (outre les experts reconnus au niveau national et international que nous avons cités précédemment), un cadre est devenu ministre des Finances tandis qu’un autre a accédé à la fonction de secrétaire général (SG) du ministère du Plan et de l’Économie.