Partenariats et objectifs initiaux

2Dans les trois pays, les projets ont été lancés principalement en partenariat avec les instituts nationaux de statistique : Instituto Nacional de Estadística e Informática (Inei) au Pérou, Instat à Madagascar, et Office général des statistiques (OGS) au Vietnam. Ce partenariat privilégié découle de la demande d’appui de ces institutions sur la mesure de l’emploi et l’informel, mais également de la spécificité de la mission de Dial. L’objectif est en effet d’investir sur la mise en place d’enquêtes statistiques officielles spécifiques mobilisant les compétences de statisticiens professionnels qu’il convient de renforcer si besoin.

3Toutefois, les objectifs ne se limitant pas à la production de données mais comportant aussi un important volet analytique, des collaborations avec des chercheurs universitaires ou de centres de recherche ont également été mises en place dans les trois cas1.

4Enfin, les travaux ont été conduits avec l’appui ou en coordination avec des institutions régionales ou internationales. Au niveau régional, le programme au Pérou a été articulé avec un projet de la Communauté andine des nations (CAN)2, celui de Madagascar s’est prolongé dans le cadre d’un programme plus large mené à l’échelle africaine par Afristat3, tandis que le programme vietnamien a été articulé avec un projet de mesure du secteur informel en Asie, lancé par l’Escap4. Dans les trois cas, les projets régionaux ont adopté la méthodologie des enquêtes 1-2-3. Plus largement, au niveau international, le BIT et le Pnud ont été des organismes partenaires tandis que les coopérations bilatérales (Scac/MAE-France, DFID) et multilatérales (Union européenne et Banque mondiale) ont participé au financement des projets.

Rôle respectif de chaque institution

5Les chercheurs de l’IRD ont été à l’origine de la méthodologie. Dans chaque pays, l’équipe IRD a apporté un appui technique5 pour l’adaptation de la méthodologie générique au contexte du pays, pour la formation des cadres, pour la mise en œuvre et pour l’analyse des résultats et sa diffusion.

6Les INS sont responsables de l’opération statistique : après une phase d’appropriation et d’adaptation de la méthode (ajustement de certaines questions et rajout éventuel de questions ou modules spécifiques), l’INS est en charge de la mise en œuvre (collecte sur le terrain et premiers résultats). Les INS sont au centre du processus : ce sont eux qui recueillent en amont les demandes (des potentiels utilisateurs des données), ils sont également responsables en aval des premières analyses et de la restitution des résultats. Toutefois dans la majorité des cas, les différentes phases des opérations (préparation, terrain et résultats) sont conduites en collaboration avec d’autres institutions (en partenariat étroit avec les chercheurs IRD lors de leur affectation sur place).

7Les centres de recherche dans certains cas ont participé à l’adaptation du questionnaire au contexte local, mais ils interviennent surtout en aval pour l’analyse des résultats en lien avec les INS.

8Les organismes régionaux offrent un cadre institutionnel et un appui, en articulation avec les activités des chercheurs de l’IRD, qui permettent l’obtention de financement dans le cadre de programmes régionaux. D’une certaine manière, ils assurent et garantissent la crédibilité et la légitimité de la méthode 1-2-3 en tant qu’instrument harmonisé que les différents pays intéressés de la région peuvent appliquer.

9Les bailleurs de fonds enfin participent aux discussions pour l’adaptation de la méthodologie ou pour orienter les analyses sur des questions spécifiques jugées prioritaires. Mais les bailleurs de fonds jouent surtout un rôle essentiel en apportant leur appui financier, un appui qui permet la réalisation des opérations d’enquêtes mais qui renforce également la crédibilité et la notoriété de la méthode 1-2-3.

10Chaque institution a son rôle (plus ou moins marqué/distinct) et même si les collaborations ne sont pas exemptes de difficultés, elles ont pu être mises en œuvre et des synergies se sont développées.

Cadre et contexte spécifiques de chaque pays

11Au Pérou, l’ambition du projet était d’intégrer la mesure de l’économie informelle dans le système des comptes nationaux en évitant une approche trop sectorielle, afin de pouvoir quantifier son poids dans l’ensemble de l’économie ainsi que comprendre son articulation avec le reste de l’économie. De ce fait, les travaux entrepris dépassaient le seul cercle des spécialistes du marché du travail et des microentreprises. Ainsi, les recherches sur l’économie informelle ont servi d’intrant dans les réflexions sur la protection sociale, les politiques d’accroissement de la compétitivité, les politiques fiscales, etc.

Vendeurs de pommes de terre, Distrito de Yungay, Ancash, Pérou, 2015.

12À Madagascar, les travaux se sont inscrits dans le cadre du projet Madio (Madagascar-Dial-Instat-Orstom) qui avait pour objectif d’étudier les conditions de réussite du processus de double transition, économique et politique, dans lequel le pays s’était engagé au début des années 1990. En 1996, un des premiers constats était que si le secteur informel pouvait jouer un rôle d’amortisseur de choc en temps de crise, il se caractérise par la très forte précarité des conditions de travail et des emplois créés (Fiches d’actualité scientifique, mai 1996). Partant de cette observation, il s’agissait de trouver les conditions de l’essor des activités informelles compatible avec une sortie de la précarité.

13Au Vietnam, la demande est venue de l’OGS qui a envoyé une délégation en France en 2003. Les membres de cette délégation ont sollicité l’Insee pour un appui sur la mesure du secteur informel, une demande que l’Insee a délégué à Dial qui a monté le projet de collaboration. Au Vietnam, l’intérêt porté à l’informel découle en premier lieu des préoccupations liées à l’évolution des inégalités. Le Vietnam connaît un rythme élevé de croissance économique avec des effets positifs significatifs sur la réduction de la pauvreté. Toutefois, parmi les questions qui se posent : cette croissance rapide profite-t-elle également à ceux qui sont insérés dans l’économie informelle ? Ces derniers sont-ils marginalisés ou bénéficient-ils des effets d’entraînement du secteur formel ?

Les problématiques de recherche

14Au-delà de la description de l’économie informelle (son poids, les caractéristiques des activités, leurs liens avec le secteur informel), il convient aussi d’identifier ses causes, sa dynamique et la (ou les) logique sous-jacente. Ces sujets ont fait l’objet de grands débats au niveau académique comme politique. À titre d’illustration, on peut citer notamment les questions suivantes : le secteur informel est-il une composante résiduelle déconnectée du reste de l’économie, constituée d’activités créées par défaut suivant une logique de subsistance (comme un mode de survie), le secteur formel étant dans l’incapacité de créer suffisamment d’emplois (hypothèse de l’approche « dualiste ») ? Ou a contrario, l’informalité résulte-t-elle du fait que les entreprises formelles cherchent des produits et du travail bon marché que seuls les informels peuvent fournir (école « structuraliste ») ? Ou enfin, est-ce que « l’entrée en informalité » est un choix délibéré pour échapper aux régulations et contourner les coûts de la légalisation liés à l’enregistrement de l’activité (approche « légaliste ») ?

15Pour apporter des réponses, définir des politiques, il est nécessaire de savoir laquelle de ces hypothèses prévaut, ou plus exactement, comme l’informalité est un phénomène multidimensionnel, il s’agit d’identifier les types d’activités ou d’emplois qui relèvent de chacune des logiques mentionnées ci-dessus.

Bassin des connaissances

16La communauté internationale des statisticiens a fini par converger quant à la définition de l’économie informelle. Elle est articulée autour de deux concepts-clés : le secteur informel, d’un côté, et l’emploi informel, de l’autre (Hussmanns, 2004). Globalement, le secteur informel est défini comme l’ensemble des entreprises individuelles non enregistrées et/ou qui opèrent à très petite échelle (souvent moins de cinq employés) (ILO, 1993). L’emploi informel regroupe l’ensemble des emplois non protégés dans le secteur informel ou formel (absence de couverture sociale ou de contrat de travail, etc.) (ILO, 2003).

17Ces définitions adoptées à l’échelle internationale ont fourni un cadre officiel et harmonisé pour des analyses fiables, pertinentes et approfondies, et permettre des comparaisons. Toutefois, d’une part, les initiatives pour analyser l’économie informelle ont débuté sans attendre ces résolutions sur les définitions. Les premières mesures et analyses du phénomène (dont les travaux de l’IRD) ont d’ailleurs contribué à justifier la pertinence des définitions standards retenues. D’autre part, en dépit de ces avancées conceptuelles décisives, force est de constater que la confusion continue de régner dans la communauté académique et plus largement dans la communauté du développement. En atteste nombre de publications censées traiter de l’informalité dans les PED, mais où il existe autant de définitions que d’auteurs6. La synthèse publiée par le BIT et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les liens entre l’économie informelle et l’ouverture commerciale souligne que l’absence dans les analyses de définition homogène et de données comparables entre pays entache gravement les enseignements généraux qui peuvent en être tirés (Bacchetta et al., 2009). En témoignent également, à titre d’exemple, les estimations les plus irréalistes qui ont été avancées sur le poids de l’informel au Vietnam7 avant la mise en place du projet IRD mobilisant une méthode de mesure rigoureuse et adéquate.