Introduction

1La pandémie de Covid-19 a souligné une ambivalence dans la conception et la mise en œuvre des interventions (politiques, stratégies, actions) de santé. En effet, malgré une prise de conscience qu’elles doivent dépasser le cadre du système de soins pour impliquer tous les secteurs et toutes les personnes concernées, la crise a rendu saillant l’enracinement de la santé publique dans une approche biomédicale inadaptée (faire « la guerre » à un virus sans penser aux impacts sociaux, imposer des mesures à toute la population sans la moduler selon les besoins et les risques, vacciner prioritairement les plus vulnérables au sens biologique sans déployer des actions pour atteindre les personnes les plus défavorisées, etc.).

2Il y a eu, de plus, de réelles difficultés à soutenir le développement et à étudier ces interventions selon une approche pluridisciplinaire, fondée sur des données probantes et ancrée dans la diversité des réalités territoriales et populationnelles. La crise a ainsi mobilisé des processus décisionnaires n’impliquant pas les populations et trop rarement l’expertise interdisciplinaire. Elle a été pilotée par des moyens, pour une fois sans limite, plutôt que par des objectifs étayés scientifiquement et orientés vers l’équité, au-delà de l’efficacité. Ces processus n’ont notamment pas intégré les vulnérabilités des personnes et des populations, en dehors des vulnérabilités biomédicales, et ont souvent contribué à maintenir, sinon renforcer, les inégalités sociales de santé préexistantes.

3Pourtant, le champ de la recherche concernant les interventions de santé des populations est bien ancré à l’échelle internationale et aurait pu contribuer à nourrir les réflexions et les décisions de la santé publique. Or, tant cette recherche que son usage dans les décisions restent marginaux dans la francophonie, du nord au sud et de l’est à l’ouest. La crise que nous venons de vivre montre combien il est essentiel de mieux expliciter ce qu’est la recherche interventionnelle en santé des populations (Risp) et comment, par son interdisciplinarité et sa rigueur, elle peut contribuer à appuyer les décisions politiques et les pratiques pour améliorer la santé des populations et réduire les inégalités sociales de santé aux échelles locale comme internationale.

4La Risp est un domaine émergeant dans l’espace francophone. Ainsi, il y a une très forte demande des communautés de recherche, de décisions, de pratiques et des étudiants, de formation et d’accompagnement pour concevoir, mettre en œuvre et évaluer ce type d’interventions dans le contexte francophone international. Nous proposons donc de répondre à ce besoin par un ouvrage original en langue française à la fois théorique et pratique à destination des personnes concernées.

5Cet ouvrage est une contribution méthodologique pour analyser les interventions de santé destinées à la population. Il se présente comme un contrepoids à la prolifération des livres et des publications scientifiques dans le domaine de la santé qui ont, jusqu’alors, surtout mis l’accent sur les approches expérimentales issues de la recherche clinique, pourtant peu adaptée à ce type d’interventions complexes par nature.

6Ce livre est basé sur vingt ans de pratique de recherche des trois auteurs sur plusieurs continents, dans plusieurs domaines de la santé et avec une myriade d’approches différentes  : actions dans le système de soins (la mobilisation des services de soins de premier recours) et en dehors du système de soins (la répartition des espaces verts dans une ville) ; approches individuelles (vaccination, tabagisme) ou collectives (conditions de travail) ; développement par les chercheurs d’innovations organisationnelles ou techniques, ou analyse d’interventions mises en œuvre dans le contexte de politiques publiques. Il présente de manière accessible les fondements et les concepts de la Risp à partir de multiples exemples de leur mise en pratique dans plusieurs pays.

7L’ouvrage cherche ainsi à montrer que cette approche s’applique à toutes les interventions, qu’elles soient mises en œuvre à Bordeaux, Paris, Bamako ou Ouagadougou. Si les contextes changent, les approches méthodologiques doivent pouvoir, justement, s’adapter et offrir des solutions optimales pour disposer de données empiriques permettant de répondre aux questions de recherche originelles. Les exemples de cet ouvrage permettent ainsi de comprendre comment ces démarches sont mobilisées pour étudier la vaccination contre la Covid-19 en France, la dengue ou le paludisme et leur vecteur au Burkina Faso ou l’accès aux soins au Mali et au Niger.

8Les textes qui le composent sont accompagnés de vingt-trois tableaux et figures ainsi que trente encadrés permettant de mieux comprendre les enjeux spécifiques de la Risp dans des contextes variés. Enfin, ce livre tente de clarifier et de distinguer les particularités de cette recherche et ce qu’elle convoque d’ouverture, d’ancrage contextuel, de participation des populations, de pluridisciplinarité et de partage de connaissances pour des prises de décisions éclairées. Il est solidement référencé et structuré en six chapitres abordant des aspects conceptuels et méthodologiques de la Risp.

9Le premier chapitre définit la Risp et la caractérise par rapport aux autres approches de recherche dans le domaine de la santé au regard de ses spécificités d’objets, d’approches, de méthodes et aussi, de par sa finalité double, cognitive (comme toute recherche) et conative (utilité sociale). Cette finalité d’utilité sociale interroge non seulement les perspectives, les objectifs, les méthodes, mais aussi la démarche en elle-même, qui ne peut être qu’ancrée dans un contexte (souvent local) et participative. Le deuxième chapitre aborde les questions de recherche et la manière de les formuler dans un contexte de Risp. Le troisième chapitre présente les principales méthodes afférentes qui doivent permettre de répondre à ces questions. La diversité des méthodes utilisées dans la Risp et issues de diverses traditions de recherche reflète ce croisement pluridisciplinaire, mais aussi la diversité des objets et des questions de recherche. L’efficacité, centrale en recherche biomédicale dans un contexte contrôlé, est une des questions de recherche aux côtés d’autres, tout aussi fondamentales pour la Risp comme les processus, la pertinence ou le passage à l’échelle des interventions et de leurs impacts. Le quatrième chapitre explicite les démarches de production de données et d’analyses, qu’elles soient dans une perspective qualitative, quantitative ou mixte. Enfin, la Risp n’est pas qu’un processus technique et n’est pas centrée uniquement sur des enjeux de méthodes. Ainsi, le cinquième chapitre montre comment elle s’inscrit dans des enjeux de pouvoir entre une myriade d’acteurs dont il faut tenir compte et impliquer tout en étant préoccupé par l’inclusion et la diversité. Enfin, le sixième chapitre met en exergue la finalité ultime d’une Risp, soit le fait que les résultats puissent être non seulement rigoureux et utiles, mais a minima utilisés. Or, cela ne se réalise pas de manière magique, il faut prévoir et organiser des activités spécifiques favorables au transfert de connaissances. Acteurs et transferts de connaissances se rejoignent, car l’utilisation des résultats n’est pas un « service après-vente » de la recherche, mais un processus rigoureux, permanent et inclusif qui dépend aussi de la façon de conduire la recherche et notamment des formes de mobilisation des partenaires.

10Ainsi, nous espérons que la lecture de cet ouvrage saura nourrir les réflexions actuelles sur la manière de produire des connaissances scientifiques concernant les interventions de santé publique qui sont par nature complexes et qui ne peuvent donc être réduites à des études ancrées d’une approche biomédicale, nécessairement réductrice. Il devient urgent que la communauté francophone internationale, de Dakar à Québec en passant par Marseille et Tanger, puisse mieux s’approprier, financer, organiser et publier la démarche des Risp. C’est toute l’ambition de cet ouvrage introductif.