1Lorsque la ville de Belo Horizonte (Brésil) a fermé sa décharge à ciel ouvert, la possibilité de gagner sa vie en collectant des déchets commercialisables a conduit de nombreux pauvres à descendre dans la rue pour récupérer les matières recyclables, lors de l’inauguration de la décharge sanitaire en 1975. À l’époque, les collecteurs travaillaient de manière indépendante, sans aucune reconnaissance du service qu’ils rendaient. La création de la première coopérative de collecteurs (Asmare) en 1990 a fait la lumière sur le droit de gagner sa vie à partir des produits recyclables, et a conduit cette organisation à lutter pour les droits des travailleurs.

L’intégration des acteurs indépendants à Belo Horizonte

2En 1993, la ville a reconnu la contribution des travailleurs au système de gestion des déchets solides de la ville et a établi un partenariat avec la coopérative Asmare pour la mise en œuvre de son programme de recyclage municipal. Belo Horizonte, capitale de l’État du Minas Gerais, est la quatrième ville du pays, avec une population de 2 400 000 habitants (IBGE, 2010).

3Avant 1993, la ville ignorait la contribution des travailleurs informels à la santé publique et à l’environnement ; elle pénalisait leur activité en confisquant les matériaux et en les chassant. En 1993, un changement majeur a été entrepris en faveur d’un système favorable aux pauvres. Pour comprendre le passage de Belo Horizonte à l’inclusion, il est important de le situer dans deux aspects majeurs : le processus de plus grande réactivité aux demandes sociales au Brésil à cette époque et l’avènement de la gestion intégrée des déchets solides en tant que concept général, qui a introduit une approche multidimensionnelle de la gestion des déchets.

4Le Brésil a connu une vague de réactivité des gouvernements locaux aux demandes de la société civile à la fin des années 1980 et au début des années 1990 et, à cette fin, de nombreuses villes ont commencé à reconnaître l’importance de l’inclusion sociale dans les systèmes urbains et en particulier dans les systèmes de gestion des déchets. Dans le même temps, les premières associations et coopératives de ramasseurs de déchets ont été fondées dans de nombreuses villes ; des chercheurs et des militants d’ONG se sont engagés à fournir une assistance au processus d’organisation et à défendre les travailleurs informels. En 1998, avec le lancement de la campagne nationale de l’Unicef « Déchets et citoyenneté », de multiples acteurs de l’État (à tous les niveaux), des coopératives, de la société civile et de l’industrie se sont engagés dans un programme majeur qui comprenait de nombreuses initiatives : l’allocation en espèces, bolsa-escola, pour les enfants des récupérateurs de déchets, afin de soutenir leur scolarité ; un important renforcement des capacités en matière de gestion intégrée des déchets solides pour les municipalités, et ce, afin d’améliorer leur compréhension des principaux aspects sociaux et environnementaux de la gestion des déchets ; la création de lignes de financement pour soutenir l’infrastructure des coopératives et d’autres projets relatifs aux déchets, entre autres initiatives.

5Le cadre juridique a également subi des changements majeurs, afin d’inclure les collecteurs de déchets en tant que parties prenantes essentielles dans la gestion des déchets : des lois municipales dans certaines villes incluant des clauses relatives aux collecteurs de déchets, des décrets au niveau fédéral créant une collecte sélective solidaire des déchets dans les bâtiments publics, des directives, conditionnant la fermeture des décharges à ciel ouvert à l’existence de plans de subsistance, parmi d’autres ordonnances et lois légales. En 2010, la politique nationale brésilienne en matière de déchets solides a été approuvée et a institué la responsabilité élargie des producteurs. Dans ce contexte, le soutien exceptionnel de Belo Horizonte à l’intégration des travailleurs remonte à la première vague de soutien du gouvernement local aux collecteurs de déchets dans les années 1990. Ainsi, la ville a une longue tradition de gouvernance participative, en particulier au sein de l’agence de nettoyage de la ville, et aussi un fort activisme des mouvements sociaux autour de la question des déchets depuis 1988. La combinaison d’une société mobilisée et d’un personnel technique au sein du gouvernement engagé dans la gestion inclusive des déchets solides a permis vingt-huit ans de partenariat avec les coopératives de collecteurs de déchets, malgré l’actuelle présence de partis politiques opposés à ces partenariats dans les institutions administratives nationales et régionales au Brésil.

6Par conséquent, les préoccupations socio-environnementales, telles que l’amélioration des systèmes existants et la génération de revenus pour les pauvres, ont encouragé les améliorations vers un système de gestion des déchets solides (GDS) intégré et durable dans la ville. Cela a conduit en 1993 à l’adoption d’un modèle axé sur la promotion du tri à la source, afin de minimiser l’impact environnemental nuisible causé par les déchets et de maximiser les avantages sociaux et économiques pour la ville. Le nouveau système intégré a apporté des améliorations de grande envergure. Celles-ci comprenaient l’amélioration de la gestion de la décharge existante, la collecte sélective et un programme de recyclage des déchets de la construction, le compostage des matières organiques, l’éducation environnementale, l’amélioration des conditions de travail des travailleurs formels (balayeurs et éboueurs) et un engagement fort en faveur de l’inclusion des collecteurs informels de matières recyclables (Dias, 2011a).

Le système municipal intégré de collecte et de ramassage des ordures

7En 1993, l’agence publique de nettoyage (SLU) a entrepris un processus de consultation avec la coopérative de collecte et ramassage des ordures (Asmare), ainsi que les ONG Pastoral de Rua et Cáritas afin de déterminer le meilleur modèle pour la ville. Un système mixte comprenant un système de dépôt des déchets recyclables dans des conteneurs, la reconnaissance officielle des collecteurs et le soutien des collecteurs informels a été soumis à la ville en réponse aux demandes de ces travailleurs. SLU et Asmare sont devenus des partenaires dans le système municipal de collecte sélective des déchets. Au fil des années, alors que le nombre de coopératives passait de un à six, le système de collecte municipal a évolué vers sa forme actuelle : la municipalité récupère, en partenariat avec les coopératives sous contrat, les matériaux recyclables non organiques du flux de déchets solides domestiques à travers quatre canaux principaux.

8Tout d’abord, le système de dépôt consiste en l’installation de conteneurs répartis dans toute la ville, dans lesquels la population peut déposer les matières recyclables (plastique, papier, métaux et verre) sur une base volontaire (carte 1). Les conteneurs sont vidés chaque semaine par le personnel de SLU et les matériaux sont transportés vers les centres de tri des coopératives pour un traitement ultérieur. En moyenne, ce système permet de collecter 335 t par mois (SNS et Snis, 2020). L’un des inconvénients de ce système est le niveau élevé de dommages causés aux conteneurs de recyclage par le vandalisme et par des populations, n’appartenant pas aux coopératives, à la recherche de produits recyclables.

Carte 1. Les conteneurs des centres de tri pour le dépôt des déchets à Belo Horizonte en 2020.

9Puis, la collecte en porte-à-porte des produits recyclables est organisée par des coopératives dans les zones non résidentielles. Les coopératives de collecteurs de déchets récupèrent les matériaux recyclables auprès des gros générateurs tels que les établissements commerciaux et les bureaux, en particulier dans le centre-ville de Belo Horizonte, à l’aide de véhicules appartenant aux coopératives. Les matériaux sont acheminés vers des centres de tri pour être traités et commercialisés.

10Par ailleurs, la collecte en porte-à-porte des produits recyclables dans les zones résidentielles est organisée dans des zones désignées par les camions des coopératives sous contrat avec la municipalité. Dans ce système, 15 % de la population est concernée. Les matériaux sont acheminés vers des centres de tri pour être traités et commercialisés. En moyenne, 188 t de déchets par mois sont collectées (SNS et Snis, 2020).

11Enfin, la collecte des déchets recyclables est aussi entreprise par des collecteurs de déchets indépendants (non-membres de coopératives). Bien que le système officiel de la ville n’intègre que les travailleurs organisés en coopératives, la ville ne pénalise pas les collecteurs de déchets indépendants qui parcourent les rues en récupérant les recyclables avec leurs charrettes.

12Les matériaux collectés par les coopératives sont amenés dans des centres de tri leur appartenant et/ou loués par elles. Là, les matériaux sont traités avant de remonter la chaîne de recyclage. Toutes les coopératives disposent de balances, d’équipements de protection individuelle et de grands sacs. Certaines disposent de broyeurs, de chariots élévateurs à fourche et de tapis roulants de tri manuel. Les matériaux sont vendus dans des usines à Belo Horizonte ou ailleurs dans l’État du Minas Gerais. Les coopératives reçoivent tout l’argent des ventes, qui est ensuite partagé entre les associés (Dias et Samson, 2016). Selon le Système national d’information sur l’assainissement (SNS et Snis, 2020), le système de tri formel à la source entrepris par les coopératives et les entreprises de collecteurs indépendants de Belo Horizonte a collecté 546 t par mois en 2019, ce qui représente 1 % de la masse des recyclables. Ces données ne prennent pas en compte ce qui est récupéré par les travailleurs informels à travers les systèmes de collecte réalisés par les coopératives et les travailleurs indépendants liés aux intermédiaires.

13Jusqu’en 1999, il n’y avait qu’une seule coopérative dans la ville, puis de nouveaux groupes de personnes travaillant à la collecte des produits recyclables ont été formés. Ces groupes ont commencé à demander à être inclus comme partenaires du système de recyclage au même titre que l’Asmare de la ville. Un Forum des déchets et de la citoyenneté a été créé en 2003, qui comprenait des représentants des nouveaux groupes de recycleurs informels, du gouvernement local et des ONG, dans le but de permettre à toutes les parties prenantes de discuter des lignes directrices pour l’intégration des organisations de recycleurs informels et l’accès aux ressources publiques.

14Pendant la pandémie de covid en 2020, le forum municipal des déchets et de la citoyenneté a joué un rôle important puisqu’il s’est organisé en deux groupes pour contribuer aux actions de soutien aux récupérateurs de déchets qui ont travaillé en ligne, étant donné les mesures de distanciation sociale mises en place. L’un des groupes de travail était chargé d’organiser des réseaux de soutien, de donner des paniers de nourriture et de contacter les collecteurs de déchets, ce qui a permis d’aider plus de 500 familles. Le second groupe a été organisé pour construire des protocoles de sécurité afin de reprendre les activités de collecte sélective. L’interruption de la collecte pour la protection des collecteurs a duré sept mois ; le résultat de ce groupe de travail a été la construction collective d’un manuel opérationnel pour soutenir les coopératives.

15La gouvernance participative a été cruciale pour étendre les droits des citoyens et consolider une approche inclusive de la gestion des déchets solides. C’était déjà le cas en 2003 lorsque de nouvelles coopératives ont émergé et c’est encore le cas aujourd’hui (Dias, 2016).

Carte 2. Intensité de l’activité des ramasseurs de déchets indépendants à Belo Horizonte en 2015.

Les collecteurs de déchets indépendants

16Au Brésil, la majorité des collecteurs de déchets travaillent de manière autonome ou, dans certains cas, avec l’aide de leur conjoint et de leurs enfants. Certains peuvent vivre dans la rue, mais beaucoup vivent dans des logements informels. Bien que ces travailleurs ne soient pas organisés en coopératives ou en associations, ils peuvent former des groupes d’entraide ou d’autres modes de regroupement informels. L’étude de Dias et al. (2009) a révélé que seuls 15 % des collecteurs de déchets à Belo Horizonte étaient organisés, ce qui signifie que la majorité travaille en tant que collecteurs de déchets autonomes.

17Dans le centre-ville de Belo Horizonte, la majorité des collecteurs de déchets indépendants transportent les matériaux à l’aide de charrettes à bras à leur propre point de collecte. La carte 2 montre la fréquence d’activité des collecteurs de déchets indépendants dans la ville en 2014. Le centre-ville est le lieu qui compte le plus de travailleurs en raison du flux important de personnes et de l’existence de nombreux gros producteurs de déchets. La zone est connaît également une présence intense de ramasseurs de déchets autonomes. Cela est dû à son emplacement, près du centre-ville, et à sa proximité avec les commerçants intermédiaires de matériaux recyclables. La plus forte concentration de travailleurs indépendants dans cette région est également due à l’existence de centres de référence pour les sans-abris, qui leur offrent un filet de sécurité sur lequel ils peuvent compter.

18Comme certains de ces travailleurs indépendants n’ont pas le capital nécessaire pour acheter une voiture ou leur propre charrette, ils doivent les emprunter à des intermédiaires. Par conséquent, ces travailleurs sont rarement libres de vendre leurs produits recyclables où ils le souhaitent, car une condition préalable imposée par les intermédiaires pour prêter des outils est que les matériaux soient vendus au propriétaire de l’outil.

19Il convient de souligner que les travailleurs indépendants sont plus vulnérables que les travailleurs organisés, en raison de l’absence de politiques spécifiques pour soutenir leurs stratégies de subsistance. Les défis à relever pour inclure ces collecteurs dans le système de collecte actuel sont les suivants : 1) l’absence d’un système de statistiques et d’enregistrement au niveau de la ville, qui pourrait permettre de connaître la taille et les principales caractéristiques de ce sous-groupe et donc de concevoir des politiques adéquates ; 2) le contrôle des conditions de travail dans les boutiques de recyclage des intermédiaires par le secrétariat de la réglementation urbaine de la ville ; 3) des politiques plus complètes répondant aux besoins spécifiques de ce groupe sectoriel, tels que les infrastructures, la santé, le logement et la protection sociale.

Les systèmes alternatifs de zéro déchet

20Les villes sont des lieux d’une incroyable diversité culturelle, géographique et physique. La diversité des dynamiques territoriales au sein de la profession de ramasseur de déchets est l’un des éléments clefs à prendre en considération dans la gestion des déchets solides et appelle une approche qui tienne compte des expériences bottom-up, ainsi que des spécificités de chaque territoire.

21À Belo Horizonte, il existe des « systèmes alternatifs », c’est-à-dire des actions et des pratiques bottom-up menées par les récupérateurs de déchets avec la population locale dans certains territoires. Une de ces expériences est le projet Zero Waste Santa Tereza qui articule les collecteurs de déchets, la communauté locale des quartiers de Santa Tereza et les organisations de la société civile, et comprend diverses initiatives : compostage des aliments, système de coopérative alimentaire, jardin potager et sensibilisation à l’environnement (Lima et al., 2019).

22Le Zero Waste Santa Tereza dispose de deux sites où les résidents peuvent se débarrasser de leurs déchets recyclables et organiques (dans un système de dépôt), moyennant des frais de service mensuels. Le système dessert plus de 90 familles voisines. En plus d’être un point de collecte, les sites disposent également d’un jardin potager agroécologique, d’un emporium pour la consommation d’aliments sains et d’un système de coopérative alimentaire pour l’achat collectif.

23Le projet fournit un service de collecte de quartier, desservant 150 familles, dans lequel la coopérative de collecteurs de déchets (Coopesol Leste) effectue une collecte en porte-à-porte des produits recyclables, moyennant une redevance mensuelle payée par les résidents desservis. La coopérative fournit également des services de collecte aux grands générateurs de déchets du territoire, contribuant ainsi à une augmentation du volume de matériaux collectés et, par conséquent, du revenu global des travailleurs. Coopesol Leste est également impliquée dans la cartographie des collecteurs indépendants en partenariat avec le secrétariat social municipal, afin de créer des liens de solidarité entre les collecteurs de déchets et d’étendre les droits aux travailleurs indépendants¹.

24La carte 3 montre l’étendue des services et des acteurs desservis par ce système alternatif dans la zone est de la ville. Il est juste de dire que ce système alternatif, conçu en étroite interaction avec la coopérative locale et respectueux de leur capacité opérationnelle, a permis d’offrir une large gamme de services et un plus grand nombre d’utilisateurs, et d’intégrer différentes stratégies pour gérer les déchets solides tout en abordant l’inclusion sociale. L’intégration de systèmes alternatifs dans les systèmes formels existants de gestion des déchets solides peut accroître la portée et l’étendue des politiques publiques, améliorer les taux de recyclage et renforcer les approches innovantes.

Carte 3. Interface entre les systèmes de collecte alternatifs et formels à Belo Horizonte en 2020.

25Le projet Zero Waste cherche à créer de nouveaux paradigmes pour traiter la question des déchets solides urbains, en mettant en scène un nouveau concept de récupération sélective de déchets et de mobilisation sociale, fondé sur la participation de la communauté locale et sur l’intégration de tous les types de déchets générés par la communauté. En ce sens, le projet ne travaille pas seulement avec les emballages postconsommation, mais plutôt avec l’ensemble du flux de déchets recyclables (déchets organiques et secs, médicaments, déchets électroniques, gestion des déchets encombrants, vêtements et meubles, piles, entre autres matériaux qui peuvent être réduits, réutilisés et recyclés), avec l’objectif de n’envoyer à la décharge qu’une fraction des déchets rejetés. Le zéro déchet est une approche contemporaine capable d’intégrer les questions environnementales et urbaines au développement économique, y compris l’inclusion sociale des collecteurs de déchets.

26Dans les années 1990, le concept de gestion intégrée et durable des déchets solides (GIDS) est apparu et est devenu de plus en plus populaire parmi les spécialistes concernés par les dilemmes du développement humain et durable. Ce concept a problématisé l’approche principalement technico-opérationnelle en ajoutant d’autres dimensions pertinentes à la planification de la gestion des déchets solides, en particulier la dimension sociale avec un accent particulier sur les aspects participatifs et d’inclusion sociale (Wilson et al., 2013). La modernisation de la gestion des déchets solides va bien au-delà des technologies à forte intensité de capital. Elle peut et doit impliquer, en particulier dans les pays du Sud, une approche de la gestion des déchets fondée sur le développement humain et des technologies locales, ce que la littérature sur la modernisation écologique appelle des « mélanges modernisateurs » (Scheinberg, 2011).

27Le système de gestion des déchets de Belo Horizonte, tant dans son système formel que dans son système communautaire, adopte une approche mixte de la gestion des déchets solides, qui comprend : des systèmes de recyclage par tri à la source, qui peuvent être des systèmes de collecte au porte-à-porte et/ou de dépôt, les travailleurs informels étant intégrés en tant que prestataires de services pour la collecte et/ou le tri et le traitement des matières recyclables ; une initiative communautaire « zéro déchet » ; une gouvernance participative.

28Un autre élément à mentionner est que le cas de Belo Horizonte aide à comprendre l’importance des éléments sociospatiaux dans le développement de modèles alternatifs de déchets solides. Les dynamiques sociales et territoriales des ramasseurs de déchets devraient être prises en compte dans les processus de planification.

29En réfléchissant de manière critique, il est nécessaire d’établir un système cohérent de documentation et d’indicateurs socio-environnementaux pour le suivi des modèles formels et alternatifs (Besen et Dias, 2011). Une autre question clef est la nécessité d’universaliser le système en étendant la couverture des services (collecte sélective des déchets, déchets organiques et autres). De même, le développement de méthodologies pour le paiement des différents services rendus par les différents acteurs (coopératives, ramasseurs de déchets indépendants, opérateurs de sites « zéro déchet »), en tenant compte de la dimension service (collecte, tri, traitement) et de la dimension environnementale (contribution à la préservation de l’environnement et à l’atténuation du changement climatique), reste un défi majeur.

30La capacité des systèmes de gestion des déchets solides à offrir des solutions qui intègrent à la fois les préoccupations sociales et environnementales dépend d’un changement de paradigme dans lequel les différents systèmes – formels, informels, communautaires – sont pris en considération dans les processus de planification. Il va sans dire que la gouvernance participative, c’est-à-dire l’existence de plateformes multipartites pour la coproduction, la mise en œuvre et le suivi est l’épine dorsale des systèmes de gestion des déchets solides inclusifs.

Les gisements urbains de déchets : un bassin commun de ressources

31À Hà Nội, la récupération des déchets recyclables par les travailleurs du secteur informel semble à la croisée des chemins entre intégration et disparition, du fait de la régulation annoncée du secteur. Au sein de ce secteur, la question des déchets recyclables risque de cristalliser les tensions. Des convoitises concurrentes se profilent avec la mise en œuvre du principe de la responsabilité élargie des producteurs, dans un pays où le secteur informel de la récupération n’est pas reconnu à sa juste valeur par les autorités.

32L’expérience prouve que l’affirmation, par les autorités municipales, d’un monopole sur l’ensemble des déchets urbains, se traduisant par une éviction des récupérateurs informels au nom de la « modernisation », est souvent assez inopérante. Pour éviter cette déroute annoncée, il pourrait être intéressant de penser les gisements urbains de déchets comme des communs. De fait, les déchets (res derelicta) n’appartiennent juridiquement à personne. Cependant, la gestion d’une ressource ne devient un commun que si les différents acteurs se concertent et négocient les règles d’usage.

33Le cas du Brésil constitue un exemple intéressant de ce point de vue-là. À la fin des années 2000, juste avant l’adoption de la première loi nationale en matière de gestion des déchets, eut lieu à Vitória, capitale de l’État de l’Espírito Santo, un processus tout à fait intéressant de gestion concertée entre les différents acteurs du secteur. Ce cas offre un éclairage original d’une transition entre un système où la récupération était informelle, mais tolérée, et un système où elle entre potentiellement en concurrence avec des opérateurs privés formels qui cherchent à accéder aux ressources recyclables.

Le processus de structuration du secteur à Vitória

34Vitória est la ville-centre d’une agglomération de 1,3 million d’habitants. La dynamique autour de la gestion des déchets dans cette région métropolitaine débuta, en 2002, de la volonté de résoudre des conflits d’appropriation récurrents : « Il y a eu une réunion pour centraliser, parce que c’était confus. Par exemple, dans le quartier résidentiel de Jardim Camburí, les catadores passaient avant le camion de collecte de la municipalité. Cela a provoqué des bagarres. C’est de là qu’est venue l’idée de monter un dispositif qui prenne tout le monde en compte. » (Cavé, 2015).

35Afin de mettre fin à une situation de gestion disputée, les autorités publiques sectorielles créent une plateforme institutionnelle de dialogue qui permet d’aborder les conflits d’appropriation, avec pour objectif d’élaborer un cadre réglementaire pour la valorisation des déchets. Deux institutions clefs ont ainsi été créées. Le conseil gestionnaire de déchets de l’Espírito Santo, composé de 35 institutions publiques et autant d’organisations privées, est une arène destinée à débattre collectivement des aspects réglementaires. Le programme Capixaba de matériaux recyclables, défini à la fois comme « politique publique et promotion d’affaires », est une plateforme d’échanges entre acteurs, destinée à maximiser la valorisation des déchets.

36Au-delà, la dynamique de concertation a amené les autres parties prenantes du secteur à s’organiser. Les négociants et recycleurs formels se sont fédérés en un réseau (Ecociência), dont l’objectif est de récupérer l’ensemble des déchets recyclables des entreprises, puis de se les répartir. De leur côté, les sept associations de catadores de la région métropolitaine tentent de monter une centrale commune de revente des recyclables. À l’échelle de l’agglomération, le conflit le plus ardu oppose justement ces deux organisations. L’enjeu de ce conflit est le produit de la collecte sélective.

37L’idée du réseau Ecociência consiste à fédérer les différents acteurs de la chaîne de récupération et de recyclage au sein d’une marque unique. Ils n’auraient alors plus à payer pour obtenir certains déchets secs, mais seraient rémunérés pour gérer l’ensemble des résidus dont l’entreprise cherche à se débarrasser. La difficulté dans l’élaboration de ce réseau réside dans le fait que les négociants doivent développer une culture de coopération. Au contraire des catadores qui ont très tôt développé des formes de solidarité (grâce au MNCR² notamment), les négociants sont des self-made men, souvent partis de rien et endurcis par une concurrence impitoyable. Quoi qu’il en soit, Ecociência fait du lobbying en vue d’obtenir des incitations fiscales, un meilleur accès au crédit et surtout un droit reconnu sur certaines sections du gisement de déchets. Les responsables du réseau Ecociência prétendent vouloir inclure les catadores dans leur démarche.

38Les partisans des catadores, toutefois, ne sont pas dupes. Plutôt que d’être phagocytés par des opérateurs plus puissants, les catadores ont le projet de former un réseau avec les autres associations de la région métropolitaine. L’enjeu consiste à acquérir du volume et des équipements en vue de percevoir des recettes de vente plus importantes. Vendre des matériaux secs en vrac rapporte, par exemple, moitié moins que si l’ensemble est séparé par type et par couleur. La perspective de agregar valor³ est attirante, mais le défi pour ces organisations de travailleurs informels est que chacun accepte cet engagement sur la durée. Au fil des mois, les séances de concertation organisées permirent de surmonter ce nœud conflictuel entre Ecociência et les catadores et d’aboutir en 2009 à l’adoption d’une loi régionale de gestion des déchets, un an avant la loi nationale !

Les déchets urbains comme bassin commun de ressources

39Même s’ils ne le formulent pas en ces termes, les acteurs envisagent le gisement métropolitain de déchets comme un bassin commun de ressources (BCR). Ils reconnaissent collectivement l’existence d’un ensemble de ressources, relativement accessibles et pourtant peu exploitées. Et ils définissent un objectif commun : maximiser la valorisation des déchets urbains de l’agglomération.

40À nos yeux, l’erreur courante (Bose et Blore, 1993 ; Chaturvedi et Gidwani, 2010 ; Lane, 2011) consiste à n’envisager que les recyclables comme communs, en excluant le reste du gisement (Cavé, 2015).

41Or, comme l’explique Ostrom (1990), tout système de ressources est formé par deux composantes interdépendantes : le stock et les flux. L’apport principal du concept de BCR réside précisément dans cette distinction analytique. Le flux de ressources correspond au prélèvement d’unités au sein du stock de ressources (ex : les poissons du lac qui seront pêchés), tandis que le stock est assimilé aux unités qui ne sont pas extraites de la ressource (ex : les jeunes poissons d’un lac).

42De même, le gisement de déchets est composé de flux⁴ et d’un stock⁵. Concevoir le gisement urbain de déchets comme un BCR implique cependant d’inverser la dynamique interne du système. Si, dans les BCR ostromiens⁶, le stock est nécessaire pour le renouvellement du flux, dans le cas des déchets, c’est l’inverse : le flux (les déchets-ressources) s’accompagne d’un stock (les déchets-ordures) qui peut potentiellement nuire et qui par conséquent ne doit pas croître, mais que personne ne veut s’approprier.

43Autrement dit, le danger ne réside pas dans l’épuisement du stock, mais bien plutôt dans sa croissance et sa dissémination incontrôlée. Le risque que les récupérateurs font courir est qu’en extrayant la partie la plus lucrative du gisement ils déséquilibrent financièrement le service municipal et, partant, mettent en péril l’enfouissement contrôlé des déchets ultimes. En effet, si les autorités publiques investissent pour mettre en place un dispositif destiné à collecter les déchets recyclables, mais que les récupérateurs informels écrèment systématiquement le gisement de ses éléments les plus précieux, le service public (ou le dispositif de REP) risque de battre de l’aile.

44Étant donné que les interceptions par des récupérateurs apparaissent inéluctables, compte tenu des ruptures de charge du service (les déchets ne sont pas évacués dans des tuyaux enterrés, ils gisent dans l’espace public) et de la valeur d’une partie des matériaux concernés (métaux, plastiques, papiers et cartons notamment), l’attribution de droits d’usage apparaît comme une façon originale de régler les conflits d’appropriation. À la différence des droits de propriété, les droits d’usage définissent « qui peut faire quel usage de quelle quantité de la ressource sous la forme de quels biens et services dérivés de celle-ci » (Varone et al., 2008). Les droits d’usage renvoient donc à des permissions de prélèvement d’unités de ressources, sans pour autant conférer une totale liberté dans leur utilisation.

45Puisque l’exclusion de la jouissance de ce commun est en pratique impossible, il est vain d’interdire les détournements de flux, mais il importe de les reconnaître et de les réguler afin de garantir la maîtrise du stock. Dans un tel système, les initiatives de recyclage extragouvernementales ne seraient pas évincées au profit d’un service monopolistique centralisé. Les récupératrices pourraient être incorporées en tant qu’agentes capables de prélever efficacement – à la source – le plus de déchets possible. Elles seraient toutefois intégrées, à la condition de canaliser les résidus de leurs processus de valorisation vers des installations de traitement centralisées, afin de gérer convenablement ces externalités sanitaires et environnementales (déchets solides, eaux polluées, fumées nocives). De la sorte, la gestion du stock serait centralisée, tandis que la gestion des flux serait décentralisée.

Photo 1. Les déchets organiques : un gisement faiblement convoité – site de compostage formel (2017).

46Si la vision des déchets comme communs constitue une ouverture intéressante à l’heure d’appréhender d’éventuels conflits entre acteurs pour accéder à la crème des déchets, la validité de la comparaison entre Vitória et Hà Nội est toutefois à pondérer. En particulier parce que les autorités publiques de Vitória étaient prêtes à reconnaître l’existence, et même la compétence, des catadores. Des années de plaidoyer de la société civile auprès des responsables politiques et d’appui à l’organisation collective des récupérateurs avaient porté leurs fruits.

47Par ailleurs, les catadores brésiliennes se contentent de glaner les déchets, elles ne les rachètent pas, contrairement aux đồng nát. Ceci étant, le fait que les matériaux recyclables soient commercialisés n’empêche nullement de raisonner en termes d’un bassin commun de ressources. L’élaboration d’une gouvernance collective permet d’attribuer des modalités d’accès et de prélèvement de la ressource commune. Et elle rend potentiellement les appropriatrices redevables d’un droit de regard sur la validité environnementale et sociale de leurs débouchés.

48Pour autant, il reste délicat de se positionner sur l’impact à venir de la mise en application de la REP au Việt Nam. L’impact des cours mondiaux des matières premières, allié à un discours sur la responsabilité sociale des entreprises, aboutit à la formulation de stratégies d’extraction minière urbaine. Le modèle de la collecte sélective apparaît bien fragile face au déploiement massif de ces logiques d’économie industrielle dans les pays émergents. Si, comme nous l’avons constaté, des conflits d’appropriation se manifestent, c’est parce que le secteur de la récupération, devenant stratégique, est en train d’être pénétré par l’industrie. Autrement dit, un véritable marché mondial d’extraction de matières secondaires est en train de voir le jour.

49Dans cette perspective, l’idée des déchets comme bien commun est une proposition afin de réimaginer les politiques urbaines au-delà de la dichotomie État-marché qui se révèle un axe structurel de dynamiques d’expropriation dans de nombreux pays aujourd’hui.

Les banques de déchets à l’épreuve du covid

50Surabaya, ville portuaire située sur l’île indonésienne de Java, est connu pour avoir un système semi-décentralisé bien structuré de GDS dans lequel la communauté est impliquée. Dans les zones résidentielles, la collecte et le recyclage des déchets solides sont gérés par des organisations communautaires locales, au niveau du sous-district. Les déchets collectés et non triés sont transportés de la source vers des stations de transfert ou des installations de récupération des matériaux. Les déchets y sont triés manuellement par des collecteurs et les résidus sont enfouis dans des décharges (Muhamad et al., 2020). La vente des déchets apporte des ressources économiques aux communautés et celles-ci choisissent de trier, puis de vendre leurs déchets à des banques de déchets (Brotosusilo et al., 2020).

51Depuis 2008, le recyclage des déchets solides de Surabaya dépend principalement de l’activité des banques de déchets. Une banque de déchets est définie comme une activité d’ingénierie sociale qui apprend aux gens à trier les déchets solides dans le cadre de l’éducation environnementale des activités de GDS (Ridley-Duff et Bull, 2019). C’est un lieu de stockage collectif des déchets recyclables et à vocation de sensibilisation des communautés à l’environnement (Singhirunnusorn et al., 2012 ; Solihin et al., 2018). Les déchets collectés sont pesés et le collecteur récompensé par une certaine somme d’argent. Ils sont ensuite vendus à des industries ou à des entreprises de moyenne ou grande taille. Surabaya compte 374 banques de déchets en activité, au niveau des sous-districts, et une seule à l’échelle de la ville, à savoir la banque de déchets centrale qui rassemble les déchets principalement auprès des unités de banque de déchets.

52Le recyclage des déchets est lié au secteur informel du recyclage (SIR). La banque de déchets a toujours coopéré avec le SIR, comme les entreprises de recyclage de déchets solides à petite ou grande échelle. Selon des études antérieures, 67 % des banques de déchets dans la partie sud de Surabaya ont vendu leurs déchets au secteur informel parce qu’il est plus pratique et plus flexible que les autres types d’entreprises (Warmadewanti et Haqq, 2019). Le prix unitaire des déchets peut également être déterminé selon un accord direct entre la banque de déchets et les entreprises de recyclage à petite ou grande échelle. En outre, le SIR dispose de son propre système de collecte. Les ménages apportent volontairement leurs déchets à l’unité de la banque de déchets la plus proche, et les petites et grandes entreprises les collectent régulièrement pour les vendre ensuite à l’industrie, principalement aux industries du plastique et du papier.

53Les relations de réciprocité entre les banques de déchets, les petites et grandes entreprises et les industries de recyclage sont considérées comme propres à l’économie circulaire. Les organisations de ces banques de déchets au niveau des communautés locales ont également inclus les entreprises du secteur informel du recyclage comme une composante du système de gestion. Leur activité est florissante dans les communautés à revenu moyen ou faible (Putra et al., 2018 ; Towolioe et al., 2016).

54L’impact économique sur les personnes qui travaillent dans les SIR est très élevé, et elles ont le plus souffert de la baisse de leurs revenus pendant le confinement. L’impact de cette pandémie s’est concentré sur les clients des banques de déchets, la gestion de ces banques et le SIR qui s’intègre au système en circuit fermé (CLS pour Close Loop System) de recyclage des déchets solides.

Les banques de déchets et la diminution des déchets dans les décharges

55Au cours des dix dernières années, les banques de déchets ont contribué à la réduction des déchets solides à enfouir à Surabaya. Il s’agit d’une forme de GDS communautaire dans une ville ou une régence en Indonésie. Elles font partie du secteur du recyclage des déchets, tels que le plastique et le papier, ainsi que d’autres déchets de valeur. En outre, l’existence d’une banque de déchets est une condition obligatoire pour les régences ou les villes qui souhaitent rejoindre le programme de récompense environnementale (Adipura), basé sur le règlement du ministère de l’Environnement et des Forêts de la République d’Indonésie n^o 53/2016. Ce prix a ensuite stimulé la participation de la communauté à la gestion des activités de la banque de déchets dans de nombreuses villes, dont Surabaya. En outre, ce projet touche principalement des populations à faibles revenus, qui trouvent un intérêt dans les gains potentiels qu’il offre. Plus de 80 % des clients de la banque de déchets ont un revenu mensuel inférieur à 235 USD. Elles sont considérées comme un moyen non seulement pour améliorer la gestion de déchets et son recyclage, mais aussi pour améliorer l’économie locale (Wulandari et al., 2017). La motivation des communautés défavorisées est davantage liée au bénéfice économique de la participation aux activités de la banque de déchets. Pour ces communautés, elle agit comme une plateforme pour gagner de l’argent supplémentaire, économiser de l’argent pour des vacances ou une occasion spéciale (par exemple, l’Aïd) et obtenir un prêt. Ce sont les principales raisons de participer au programme. Seul un petit pourcentage (33 %) a rejoint le programme pour obtenir un environnement plus propre. Après y avoir adhéré, chaque client de la banque des déchets dispose d’un livret et peut demander des microcrédits, qui seront ensuite remboursés avec l’argent collecté sur les déchets. Les déchets collectés sont pesés et classés en fonction de leur prix unitaire. Ils sont ensuite vendus aux industries de recyclage partenaires, afin de créer un CLS pour la GDS. Certains déchets plastiques sont achetés par les communautés de femmes au niveau du sous-district pour être utilisés comme matière première pour l’artisanat (Umyati et al., 2018).

56L’analyse des CLS pour la GDS avant la pandémie montre que les unités de la banque de déchets et le secteur informel ont joué un rôle crucial dans le recyclage à Surabaya. Elle montre également que si un composant est interrompu l’ensemble du cycle est affecté.

57Les unités de la banque de déchets sont principalement situées au niveau du sous-district. Surabaya en compte 374 (Surabaya City Government, 2019). Sur la base des échantillons de ces unités, elle collecte en moyenne 183,45 kg de matériaux recyclables, tels que le papier et les déchets plastiques, depuis la source (ménages), les points de collecte (unités de banques de déchets), jusqu’au point où les déchets solides sont utilisés ou recyclés par l’industrie pour produire des matières premières. Les liens entre toutes les parties prenantes de la GDS de Surabaya sont possibles grâce à plusieurs facteurs, par exemple la disponibilité de la main-d’œuvre de la banque de déchets. La flexibilité et l’autonomie de gestion de ces banques ont permis aux communautés d’ajuster le système en fonction des besoins du quartier. Les facteurs influençant leur succès incluent le leadership de leur président, le sentiment d’appartenance au système de GDS communautaire, l’implication des communautés de femmes et les niveaux de compétences du personnel (Indrianti, 2016).

58Environ 65 % des déchets solides collectés dans ces unités sont vendus à des entreprises de recyclage de petite taille, en tant qu’activité de recyclage informel. Seng et Fujiwara (2018) mentionnent que l’intégration du secteur informel dans le recyclage des GDS pourrait atteindre des taux de recyclage spécifiques d’environ 20 à 30 % dans les pays en développement. À l’instar de la situation à Surabaya, les banques de déchets collaborent avec des unités de recyclage informelles créées par le CLS. Le prix des déchets, tels que le polyéthylène téréphtalate, le papier et le carton, proposé par les petites entreprises de recyclage, est plus élevé que celui proposé par la banque centrale des déchets.

59Les banques de déchets des sous-districts vendent également des déchets à la banque centrale de déchets car elles achètent tous les types de déchets à recycler, y compris ceux de faible valeur, tels que les sacs et les bouchons de bouteilles en plastique, le plastique multicouche et tous les types de papiers. En outre, la banque centrale de déchets organise régulièrement des ateliers et des formations pour renforcer les capacités de gestion de ses unités.

60Le total des déchets solides collectés auprès de ces banques en activité est de 720,35 t par an, volume qui intéresse de nombreuses industries. Cependant, pour pouvoir leur vendre des déchets, il faut qu’ils soient propres et de bonne qualité. Le manque de ressources et d’espace pour nettoyer les déchets ou améliorer leur qualité est donc la principale raison pour laquelle la banque centrale de déchets les vend plutôt au secteur informel. Néanmoins, une petite quantité pourrait être utilisée directement par les industries, notamment ceux de grande valeur, comme le PET et le polyéthylène haute densité de bonne qualité. Bercegol et al. (2017) ont mentionné que, comme dans la plupart des villes asiatiques, les mécanismes de réutilisation et de recyclage des déchets dans les pays en développement sont principalement menés par le secteur informel, qui participe à la mise en place d’une économie circulaire des déchets. C’est également le cas à Surabaya, où des entreprises de recyclage à grande échelle effectuent le recyclage des déchets et augmentent leur valeur, par exemple en détachant les étiquettes en plastique, en broyant le plastique et en séparant la colle des livres et des magazines. Le défi majeur de ces entreprises de recyclage à grande échelle est lié à la manipulation des résidus, une activité qui peut entraîner des problèmes environnementaux, la propagation de contaminants et une pollution inesthétique (Ezeah et al., 2013).

61Outre les avantages environnementaux des entreprises de recyclage à grande échelle sous la forme de taux de récupération élevés, une réforme ou une formalisation des SIR pourrait être nécessaire pour permettre aux gouvernements de contrôler les processus au sein des entreprises de recyclage (GTZ, 2010). Une formalisation ou une intégration des travailleurs du secteur informel dans le système formel leur permettra d’avoir un accès direct aux matériaux recyclables, ce qui augmentera leur efficacité et créera du succès (Velis et al., 2012). Il est également essentiel que les gouvernements reconnaissent le rôle de ce secteur dans la gestion municipale des déchets solides pour assurer la durabilité du recyclage des déchets solides à long terme (Aparcana, 2017).

L’impact du covid sur le système des banques de déchets

62À Surabaya, ce système circulaire de gestion des déchets municipaux a été interrompu pendant la pandémie de covid. Au cours de la dernière semaine de mars 2020, Surabaya a été fortement affectée par celle-ci et la municipalité a mis fin aux activités de la banque centrale de déchets. Cependant, aucun rapport ou preuve n’a mentionné que la chaîne de valeur des déchets pouvait propager le virus du covid (Sinha et al., 2020). Le secteur de la GDS a été impacté négativement, notamment la partie du recyclage. Celui du plastique et d’autres produits s’est considérablement ralenti en raison des risques perçus de transmission du covid causée par les déchets plastiques. Cela a entraîné des perturbations de la chaîne d’approvisionnement et des réductions dans l’activité manufacturière et commerciale (Sinha et al., 2020).

Carte 4. Situation des banques de déchets avant et pendant la pandémie de covid à Surabaya en 2020.

63Le papier et le plastique sont toujours les matériaux les plus valorisables collectés en 2020 à la banque centrale de déchets, avec respectivement 23,46 et 10,36 t par mois. Ceux collectés en mars 2020 étaient inférieurs à 30 t car l’activité a dû s’arrêter à la mi-mars en raison du nombre élevé de cas confirmés de covid à Surabaya. La pandémie a obligé le gouvernement local à mettre en place des mesures de distanciation sociale à grande échelle du 28 avril au 8 juin qui ont sérieusement affecté les activités commerciales, y compris la gestion des déchets solides dans la ville. Le nombre de cas confirmés est passé de 23 la dernière semaine de mars 2020 à 1 927 la dernière semaine de mai (Surabaya City Government, 2020). La plupart des activités dans les unités de la banque de déchets ont également été arrêtées et la banque centrale a été fermée (carte 4).

64Sur les 374 banques de déchets disponibles à Surabaya, seules 223 ont répondu à l’entretien téléphonique, dont 15 % étaient encore en activité pendant la pandémie. Celles-ci recevaient les déchets des clients, puis les stockaient dans leurs entrepôts. Cependant, l’activité de recyclage fonctionnait au ralenti. Des entretiens avec les clients ont été menés pour analyser leurs opinions sur la situation. Les résultats ont révélé que les questions sociales (interaction sociale limitée et diminution des revenus des clients) représentaient environ 68 % des problèmes ressentis par les populations et que 32 % étaient liées à la question environnementale (augmentation des déchets non gérés).

65L’un des avantages des banques de déchets est qu’elles offrent l’occasion pour leurs membres de se rassembler au sein des communautés. Habituellement, les femmes se retrouvent une fois par mois pour trier les déchets dans les banques afin de les vendre à la banque centrale de déchets ou à des petites entreprises de recyclage. Cela crée de bonnes relations au sein de la communauté, car les femmes peuvent travailler et interagir de façon régulière. Ces pratiques sociales sont habituellement plus rares dans les zones métropolitaines telles que Surabaya. Le fait que les banques de déchets y fonctionnent depuis plus de cinq ans sur une base communautaire est impressionnant. Des activités comme les banques de microcrédit créent du lien social au sein de la communauté par le biais de l’épargne distribuée à tour de rôle, cela fait partie depuis longtemps de la culture locale. Les associations d’épargne et de crédit, les artisans, sont les associations informelles d’épargne mutuelle les plus populaires en Indonésie (Kharisma et al., 2020). En général, les clients retirent leurs économies au moins une fois par an, pendant la fête de l’Aïd (achats et visites aux proches). La pandémie de covid a affecté les activités des banques de déchets, y compris leur capacité à redistribuer les économies des clients à l’occasion de l’Aïd.

66La pandémie a aussi affecté les communautés et les activités du secteur informel, telles que les entreprises de recyclage de petite et grande taille. Pendant la pandémie, les entreprises de recyclage de grande taille ont pour la plupart cessé leurs activités. Des entretiens avec des entreprises de ce type ont révélé qu’elles collectaient en moyenne 1 à 2 t par jour de déchets recyclables (plastique et papier) avant la pandémie. Cependant, toutes les grandes entreprises choisies comme échantillon de recherche ont fermé pendant la pandémie en raison de la baisse du flux de déchets.

67Les revenus obtenus des banques de déchets dépendent plus de la qualité de ceux-ci que des quantités vendues. Le prix unitaire varie selon les types de déchets et les accords entre les collecteurs et les entreprises. L’unité la moins chère avant la pandémie était le sac en plastique à usage unique (environ 0,042 USD par kilogramme). Les déchets solides à base d’aluminium valaient jusqu’à 1,08 USD par kilogramme avant la pandémie et leur prix a chuté de 30 à 70 % pendant la pandémie. La plupart des entreprises interrogées n’ont pas été confrontées à une réduction de leurs déchets collectés, bien que leurs revenus aient diminué. Cette situation est due à la baisse des prix unitaires des déchets collectés. Quatre des 13 entreprises de recyclage ont dû réduire leurs effectifs pour limiter leurs dépenses. L’impact socio-économique de la pandémie de covid sur les entreprises de recyclage peut être résumé en trois catégories : 1) diminution de la collecte des déchets, des revenus et de la main-d’œuvre (31 %) ; 2) diminution de la collecte des déchets et des revenus, mais main-d’œuvre stable (31 %) ; 3) collecte des déchets et main-d’œuvre stables, mais diminution des revenus (38 %). Les première et deuxième catégories étaient dues à la mise en œuvre de restrictions sociales à grande échelle, entraînant une diminution des activités de plein air et des prix unitaires. Les prix de certains déchets de valeur ont considérablement diminué pendant la pandémie : selon des entretiens avec des entreprises de recyclage de grande taille, il s’avère que ceux du plastique ont chuté de façon spectaculaire en raison de la baisse de la demande des entreprises. Le prix du polypropylène pour les collecteurs était d’environ 0,49 à 0,55 USD le kilogramme dans des conditions normales, alors que pendant la pandémie, le prix est tombé à 0,069 USD le kilogramme.

68Selon l’Association indonésienne du recyclage (Adupi), le prix du pétrole brut affecte indirectement le prix des plastiques recyclés (Hana, 2019). La baisse du prix du pétrole a entraîné une baisse du prix des matériaux vierges également. Le prix du PET vierge est passé de 1 100 à 800 USD la tonne. Les faibles prix des matériaux vierges ont forcé l’industrie à prendre des matériaux vierges plutôt que des matériaux recyclés. Cependant, Jiang et al. (2015) et Gu et al. (2020) ont mentionné que le prix du recyclage des déchets, en particulier du plastique, n’était pas lié au prix du pétrole brut. La demande et l’offre de plastiques recyclés sont également influencées par d’autres facteurs tels que les politiques et la disponibilité des technologies.

69Les revenus tirés du recyclage du plastique ont diminué pendant la pandémie et ont touché le secteur informel du recyclage. Ce secteur joue un rôle essentiel dans la réduction de la quantité de déchets solides dans la ville. Des études supplémentaires sur les coûts et les avantages, les ressources humaines, les conflits sociaux potentiels et la politique gouvernementale liés à la gestion des banques de déchets seraient utiles pour leur développement dans d’autres villes (Maryati et al., 2018).

70La situation de la pandémie de covid a eu un impact important sur les activités de recyclage des déchets solides à Surabaya. Les impacts socio-économiques sur les communautés et les activités des banques de déchets concernent principalement le manque de socialisation au sein des communautés, les problèmes environnementaux et les perturbations économiques dues à la perte de revenus supplémentaires provenant de ces banques. Le système de gestion des déchets impliquant les secteurs formels de recyclage, les banques de déchets et le secteur informel pour le recyclage a également été interrompu pendant cette pandémie. Le SIR a été le plus touché, car le prix des déchets de valeur a diminué et le secteur informel a cessé ses activités en raison des restrictions sociales à grande échelle mises en place par le gouvernement de Surabaya. Les défis socio-économiques auxquels le SIR est confronté comprennent la baisse des revenus et la réduction de la main-d’œuvre. Le gouvernement doit surmonter ce problème en établissant des mesures de contrôle de la santé des travailleurs du recyclage et de la sécurité des entreprises. L’intégration du SIR dans la GDS municipale pourrait également maximiser le potentiel de réussite du système de l’économie circulaire de recyclage des déchets solides.

Les limites des applications en ligne de collecte des déchets à Pékin

71Les applications en ligne pour se débarrasser des déchets recyclables en Asie, et principalement en Chine, font partie des nouvelles solutions digitales. Partis du constat que la collecte en porte à porte est très coûteuse en temps et en ressources, de nouveaux opérateurs proposent des plateformes auxquelles les habitants peuvent se connecter. Cela permet aux entreprises du recyclage d’avoir accès à l’information localisée des gisements des déchets valorisables et de collecter de façon plus rapide que ne le font les collecteurs informels. Cependant, aussi attrayantes qu’elles soient en raison de la modernité et de leur apparente efficacité en termes de connexion entre clients et opérateurs, ces applications rencontrent de nombreux obstacles.