Introduction de partie
p. 298-300
Texte intégral
1Les autorités publiques cherchent des solutions techniques et des modes de gestion (financements et organisations) efficaces, financièrement supportables et politiquement acceptables. Or, il est désormais admis que la plupart des modes de gestion et de traitement industriels développés dans les pays du Nord ne sont pas adaptés aux caractéristiques des pays du Sud, en termes à la fois techniques, économiques et sociaux. Ces pays font au contraire l’objet d’innovations sociales et organisationnelles très dynamiques qui permettent aux villes de gérer leurs déchets selon une variété de solutions à l’intérieur d’un même espace urbain. » (Jaglin et Debout, 2018).
2Cette dernière partie interroge sur l’avenir du système de collecte et de recyclage organisé par des acteurs pour la plupart appartenant au secteur informel ou non encadré par l’État au Việt Nam. Diverses expériences d’intégration et de formalisation de ce secteur dans d’autres villes du Sud et les nouvelles politiques mises en place dans le monde pour mieux contrôler la filière des matériaux recyclables (responsabilité étendue au producteur, incinération, waste-to-energy, applications numériques de collecte de déchets) questionnent les politiques en cours de réalisation au Việt Nam pour mieux contrôler la filière de collecte et rendre responsables les entreprises des emballages quelles produisent. Cependant, ces politiques publiques ne prennent pas en compte le secteur informel existant et s’inspirent ou copient ce qui a été fait dans les pays du Nord. Or, de nombreuses études ont montré que la fragmentation du système entre des secteurs formels et informels remet en cause les réformes (Cirelli et Florin, 2015).
3En effet, dans le cadre du projet Orva2D, les différentes études abordent les modalités de la diversification du service public de gestion des déchets dans six villes du Sud1, en s’appuyant sur des expériences innovantes. Ces expériences mettent en lien la pertinence technique avec les logiques institutionnelles et de gouvernance, et leur potentiel de pérennité économique. Deux situations apparaissent dans les villes du Sud : les principales filières de valorisation existantes procèdent d’une économie informelle dont les revenus, échappant à la fiscalité locale, ne peuvent contribuer au financement du service public des déchets. Cela suggère que pour intégrer ces filières de valorisation dans l’économie du service public il faut les formaliser. Cependant, « l’informalité étant une caractéristique transversale et prégnante des sociétés urbaines du Sud » (Lautier, 2004), elle résiste à des approches sectorielles qui parviennent au mieux à la déplacer vers d’autres segments de l’activité. Or, dans de nombreuses villes, les réformes du service des déchets ont fragilisé, voire marginalisé, l’économie informelle du recyclage, sans l’éliminer (Rateau, 2018 ; Florin, 2016). Il en résulte une coexistence de segments réglementés et non réglementés de récupération qui favorise les courts-circuits, les concurrences non régulées et menace in fine la légitimité même des réformes (Cavé, 2015, 2018, cités par Jaglin et Debout, 2018).
4Au Việt Nam, le système de gestion des déchets s’inscrit dans les théories développementalistes qui le considèrent comme une activité marginale, située dans les marges et œuvre de marginaux, appelée à disparaître lorsque le pays aura atteint un niveau de développement économique plus élevé. Les activités informelles qui perdurent malgré la modernisation relèvent de la débrouille ou d’une économie de la survie dont il ne faut pas attendre grand-chose.
5Cela explique en grande partie la non-reconnaissance et non-prise en compte des atouts de ce système en termes d’efficacité de gestion de la main-d’œuvre et d’organisation en réseau par les politiques publiques. Dans le contexte de la transition vers l’économie de marché, ce système a été toléré, mais plus l’intégration au marché mondial s’accélère, moins celui-ci est accepté. Les références ultralibérales au secteur informel ne sont pas non plus reconnues.
6De nombreuses études sur la gestion des déchets ont été réalisées dans les pays du Sud, que ce soit sur le plan environnemental ou social. Mais peu s’intéressent à l’intégralité de la chaîne de la collecte au recyclage et à la production industrielle, car ces recherches sont fragmentées et la chaîne de production complexe à aborder. La richesse des expériences, la variété des conditions sociales d’organisation des communautés de collecteurs et recycleurs et l’innovation de certaines parties prenantes nous obligent à nous interroger pour quelles raisons.
7Plusieurs questions seront posées dans cette partie à travers les expériences menées dans d’autres pays du Sud et la mise en perspective des politiques mises en place au Việt Nam. Est-ce que l’intégration des collecteurs, commerçants de déchets et recycleurs du secteur informel dans le système institutionnel constitue une solution pour une meilleure reconnaissance de leurs savoir-faire ? Quels sont les freins au Việt Nam à une telle intégration, alors que les politiques mises en œuvre dans ce pays ne considèrent pas l’activité de populations vues comme marginales ? Alors que les collecteurs, les commerçants et les recycleurs de déchets sont intégrés dans les chaînes de valeur internationales au sein du système des clusters de villages, et que leur efficacité en matière de tri et de collecte est reconnue par de nombreuses études, quels sont les moyens pour leur donner une meilleure visibilité, tout en les protégeant de la fluctuation des prix ?
Notes de bas de page
1 Delhi, Surabaya, Lima, Bogotá, Lomé, Antananarivo.
Auteur
Géographe, correspondante de la JEAI, directrice de recherche, IRD.
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