Chapitre 7. Les bãi, des sites éphémères au foncier négocié
p. 159-169
Texte intégral
1Le tableau 1 issu de l’enquête du projet Compose montre clairement que plus on s’éloigne du centre-ville de Hà Nội, plus la taille des dépôts augmente. Cela témoigne de l’accessibilité au foncier plus facile dans les zones péricentrales, périurbaines et rurales.
Une précarité inscrite dans l’histoire urbaine
2À quelques exceptions près, il n’y a pas de dépôts de plus de 100 m2 dans les cinq arrondissements de l’hypercentre et les trois quarts des bãi y font moins de 50 m2. Cela pose la question de la tension sur l’usage des trottoirs par les commerçants de déchets qui, faute de place à l’intérieur de leur dépôt, ont besoin de s’étendre sur l’espace public pour trier et stocker les matériaux.
Des morphologies architecturales témoins de la dynamique urbaine
3Les dépôts des couronnes 1 et 2 sont classés en neuf catégories architecturales, selon leur ancienneté, le type de construction, le statut foncier des parcelles et la nature des matériaux avec lesquels ils sont construits.
4On peut classer les bãi en trois grands types. 1) Les logements reconvertis pour l’activité commerciale, certains sont anciens, en mauvais état et en attente de destruction (28,3 et 11 %, respectivement pour les couronnes 1 et 2). Ces logements datent d’avant le Đổi mới ou à son début, à l’époque de la mise en place de la politique « l’État et le peuple construisent ensemble » qui s’était vue accompagnée d’une forte croissance de l’autoconstruction de logements parfois de mauvaise facture. Ils accueillent de nombreux dépôts de déchets dans les quartiers populaires de l’hypercentre. 2) Les ateliers en dur, anciens ou récents (34,2 et 34,1 %, respectivement pour les couronnes 1 et 2). Les constructions récentes, post-2000, ont la forme de hangars ou de bâtiments d’un seul niveau, plus ou moins précaires selon qu’ils sont faits en briques ou en ciment pour renforcer leur assise. Ils sont construits par les propriétaires de la parcelle qui les louent pour différents types d’activités. 3) Les structures récentes construites de façon très précaire avec des matériaux récupérés et des toits de tôles ondulées, à ciel ouvert ou sur le trottoir (32 et 51,5 %, respectivement pour les couronnes 1 et 2). Souvent construites par les gérants de bãi sur des parcelles vides, elles témoignent de leur précarité à la fois foncière et du bâti, le temps que les propriétaires en trouvent un meilleur usage.
Tableau 1. Superficie des bãi dans les quatre couronnes de la province de Hà Nội en 2019 ( %)
Couronne | < 20 m2 | 20-50 m2 | 50-100 m2 | > 100 m2 | Nombre de bãi |
Couronne 1 | 11,3 | 65,3 | 18,7 | 4,7 | 150 |
Couronne 2 | 9,0 | 51,7 | 27,9 | 11,4 | 290 |
Couronne 3 | 4,2 | 41,2 | 39,8 | 14,9 | 289 |
Couronne 4 | 3,0 | 37,2 | 41,2 | 18,2 | 148 |
Total | 7,0 | 48,1 | 32,5 | 12,5 | 877 |
Nombre d’enquêtes | 3,0 | 19,0 | 14,0 | 12,0 | 48 |
Source : Compose, Nguyễn Thai et al., 2021.
5Ces chiffres montrent que dans l’hypercentre la part des structures en dur est élevée (62,5 %) par rapport au péricentre (45 %), où de nombreuses parcelles en attente de construction accueillent des dépôts éphémères (51,5 %) construits avec des matériaux récupérés. La dynamique urbaine de construction et l’échelle des projets urbains participent à la création d’espaces d’accueil privilégiés pour les commerçants de déchets. Cependant, on peut suggérer qu’avec la disparition des structures en dur (nhà cấp iv ou maison de niveau 4, et les ateliers anciens) liée à la modernisation de la ville et sa densification, il y aura de moins en moins d’espaces pour les commerçants de déchets, excepté dans les interstices « aquatiques ».
Une seconde vie pour les vieilles maisons et les ateliers anciens
6La reconversion commerciale d’anciennes maisons ou de leur rez-de-chaussée constitue une opportunité pour les propriétaires de récupérer des loyers pour les maisons qu’ils ont désertées en attendant de trouver un meilleur usage à ces parcelles très valorisables. Les maisons anciennes et les ateliers sont souvent situés dans les zones excentrées des quartiers et des villages urbains.
7La catégorie 1 du tableau 2 comprend les maisons anciennes et en mauvais état de niveau 4, composées de plusieurs pièces reconverties pour l’activité du commerce des déchets et la vie des gérants du dépôt. Les zones urbanisées à partir des villages traditionnels concentrent un grand nombre de ce type de construction. Ces maisons ont résisté depuis plusieurs décennies et sont encore habitables mais manquent de qualité, de confort et leurs pièces sont petites : elles n’ont la plupart du temps qu’un rez-de-chaussée, avec une seule petite pièce dont la superficie s’élève entre 8 et 15 m2 (Pham, 2010). La construction de maisons de niveau 4 avait eu pour but de rendre accessibles des terrains de petite taille (entre 20 et 40 m2) à de faibles moyens, car « la politique foncière élaborée par la loi de 1993 repose sur le principe que seuls les terrains bâtis peuvent faire l’objet de transactions entre particuliers » (Pandolfi, 2001). Ainsi, les détenteurs des droits d’usage des sols construisaient des maisons de faible qualité pour pouvoir vendre le terrain, à charge pour l’acheteur de détruire des maisons qui rendaient la terre constructible. Dans l’attente d’acheteurs, ces maisons sont louées pour des activités temporaires, et notamment le commerce des déchets recyclables. Mais depuis, de nombreuses maisons de niveau 4 se sont dégradées. Les maisons nécessitant une réparation représentent 35 à 38 % de l’habitat et les maisons en état d’insécurité 10 à 15 % (Đang Xuân et Le Hông, 2000).
8Certaines maisons de cette catégorie ont deux étages, d’autres, plus rares, sont d’anciennes villas délabrées datant de l’époque coloniale ou sont des appartements au rez-de-chaussée des KTT. Un petit nombre ont été surélevées d’un étage en tôle ondulée. Ces habitations, reconverties temporairement pour l’activité du commerce des déchets dans certains quartiers, témoignent des situations d’attente foncière de ces parcelles que leurs propriétaires ont délaissées pour aller vivre dans des logements plus grands, plus confortables ou pour répondre à la spéculation immobilière des années 1990. Dans les zones d’interstices sur terres agricoles ou d’étangs remblayés, les locataires de ces maisons anciennes ont pu s’étendre sur les friches voisines avec des structures précaires en tôle ondulée. Les dépôts situés le long de petites allées ou ruelles sont ainsi constitués d’un espace de réception et de stockage à l’intérieur, évitant les débordements sur la chaussée étroite. Ce type de local se trouve principalement dans l’hypercentre (15,6 %), où il atteint 20 % dans l’arrondissement de Hai Bà Trưng, et moins dans le péricentre (7,9 %). Dans les arrondissements péricentraux comme Bắc Từ Liêm et Cầu Giấy, il se concentre dans les anciens villages urbanisés. On le trouve le long des rues carrossables des villages urbains, le long des anciennes rues commerçantes de Đê La Thành et dans les interstices urbains entre les villages urbains et les nouveaux lotissements. Leur taille moyenne oscille entre 35 et 40 m2. Il est cependant important de remarquer qu’on trouve peu de dépôts dans les KTT de l’hypercentre (8,7 %). Cela témoigne peut-être du manque d’intégration des collecteurs, dans leur grande majorité originaires de Nam Định, dans les réseaux d’appui par les autorités locales. En effet, les logements collectifs étant d’émanation de l’État, leurs gestionnaires voient d’un mauvais œil l’installation des bãi qui donnent une image négative de la modernité et la propreté de la ville. On peut émettre l’hypothèse que la tolérance à leur égard est moins élevée dans ces quartiers.
Tableau 2. Typologie des dépôts de morphologies architecturales dans les arrondissements urbains des deux premières couronnes en 2020 ( %)
Arrondissement | 1* | 2* | 3* | 4* | 5* | 6* | 7* | 8* | 9* | Sans info |
Ba Đình | 17,4 | 8,7 | 4,3 | 4,3 | 26,1 | 21,7 | 13,0 | 2,2 | 0,0 | 0,0 |
Đống Da | 16,7 | 2,4 | 8,3 | 13,1 | 21,4 | 15,5 | 4,8 | 2,4 | 4,8 | 6,0 |
Hai Bà Trưng | 20,9 | 0,0 | 14,0 | 7,0 | 34,9 | 14,0 | 2,3 | 2,3 | 4,7 | 0,0 |
Hoàn Kiếm | 7,7 | 0,0 | 30,8 | 7,7 | 30,8 | 15,4 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 |
Tây Hồ | 6,1 | 3,0 | 6,1 | 9,1 | 18,2 | 24,2 | 24,2 | 3,0 | 0,0 | 6,1 |
Couronne 1 | 15,5 | 3,2 | 9,6 | 9,1 | 25,1 | 17,8 | 8,7 | 2,3 | 3,2 | 3,2 |
Bắc Từ Liêm | 15,4 | 0,0 | 3,8 | 3,8 | 21,2 | 13,5 | 28,8 | 11,5 | 0,0 | 1,9 |
Cầu Giấy | 12,5 | 3,1 | 0,0 | 6,3 | 12,5 | 28,1 | 31,3 | 3,1 | 0,0 | 3,1 |
Ha Dông | 6,2 | 2,5 | 1,2 | 7,4 | 23,5 | 29,6 | 13,6 | 9,9 | 0,0 | 6,2 |
Hoàng Mai | 1,5 | 0,0 | 3,0 | 9,1 | 27,3 | 37,9 | 15,2 | 4,5 | 0,0 | 1,5 |
Long Biên | 2,2 | 2,2 | 2,2 | 4,4 | 17,8 | 33,3 | 24,4 | 6,7 | 0,0 | 0,0 |
Nam Từ Liêm | 11,6 | 0,0 | 0,0 | 11,6 | 32,6 | 9,3 | 14,0 | 11,6 | 0,0 | 9,3 |
Thanh Xuân | 10,8 | 0,0 | 2,7 | 16,2 | 40,5 | 18,9 | 2,7 | 5,4 | 0,0 | 2,7 |
Couronne 2 | 7,9 | 1,1 | 2,0 | 8,1 | 25,0 | 25,6 | 18,0 | 7,9 | 0,0 | 3,7 |
*1. ancienne maison en mauvais état.
2 : ancienne villa avec cour utilisée comme dépôt.
3 : ancien magasin/atelier en rez-de-chaussée d’une maison.
4 : ancien entrepôt/ atelier.
5 : construction récente en dur, toit en tôle ondulée.
6 : construction récente précaire.
7 : construction récente précaire avec cour.
8 : dépôt à ciel ouvert ou cabane.
9 : dépôt sur trottoir.
Sources : données Recycurbs-Viet réactualisées, conception Sylvie Fanchette, 2021.
9La catégorie 2 regroupe des villas ou maisons de bonne facture dont la cour couverte est utilisée comme dépôt, des maisons tubes dont la façade a été découpée lors de l’élargissement d’une route et le rez-de-chaussée de villas inachevées dans les nouveaux quartiers. En dépit de leur bonne facture, ces locaux sont pourtant dans une situation d’attente, soit de rénovation, soit de finition que seule la location aux bãi peut rentabiliser. Les bãi de cette catégorie sont peu nombreux. On en compte onze dans les arrondissements urbains et ils ne représentent que 1,1 % des bãi de ces couronnes. On les trouve dans les zones d’élargissement des routes et des nouvelles zones urbaines KĐTM non finies.
Carte 1. Les bãi selon leur morphologie architecturale en 2020.

Réalisation : Cathy Chatel, Sylvie Fanchette, Cessma ; Éric Opigez, Ceped.
Source : JEAI Recycurbs-Viet, 2020.
10Les bãi de la catégorie 3 sont constitués de magasins ou d’ateliers en dur (briques ou ciment) en bon état, en rez-de-chaussée d’une maison tube ou d’autres types de maisons à étage, sans cour. Ils ne représentent que 2 % des cas, mais montrent combien la notion de maison-atelier ou maison-magasin reste importante au Việt Nam, malgré le caractère « dégradant » de l’activité de commerce des déchets. On les trouve surtout dans les arrondissements centraux de Đống Đa et Hai Bà Trưng, dans les rues secondaires commerçantes.
Les ateliers en dur anciens ou récents
11Les bãi de la catégorie 4 regroupent les anciens entrepôts ou ateliers en dur, avec toit en tôles ondulées ou surélévés d’un étage. Ils témoignent des anciennes formes de la petite industrie nichée dans le cœur de la ville, aujourd’hui disparue. Ils concernent 8 % des bãi de la zone urbaine et se trouvent surtout à Đống Đa et dans les interstices urbains des arrondissements industriels de Thanh Xuân, Hà Đông et Hoàng Mai.
12Les locaux de la catégorie 5 sont des constructions récentes en briques et/ou béton, avec toit en tôles ondulées ou en fibrociment, de plus ou moins mauvaise facture, d’un seul étage. Des extensions sont réalisées, avec une mezzanine ou un étage pour élargir l’espace de stockage, de travail et de vie. Ils concernent 25 % des dépôts et sont surtout concentrés dans les arrondissements péricentraux (60 %), notamment dans les interstices urbains (30 cas), là où les opportunités foncières sont nombreuses, les centres villageois (16 cas) et les parcelles en attente de construction dans les lotissements (10 cas). Ils offrent à leur propriétaire une opportunité de location temporaire fructueuse. Dans les arrondissements centraux, on les trouve principalement le long des canaux et aux abords des lacs (15 cas), là où les terres ne sont pas constructibles, ce qui donne à ces environnements un avantage foncier pour des activités informelles en plein centre-ville.
Les structures récentes construites de façon très précaire
13Les locaux de la catégorie 6 sont précaires, construits en matériaux récupérés et en tôles ondulées sur une parcelle vide, avec parfois une mezzanine. Ils représentent 23 % des cas enquêtés. Ils s’immiscent souvent temporairement entre deux maisons tubes (figure 1), principalement dans le péricentre urbain où la dynamique de construction est active et où de nombreuses parcelles sont en attente. Plus des deux tiers des cas sont dans le péricentre, et ont été construits durant les années 2006-2010. Dans les lotissements récents du péricentre, la précarité de la situation foncière des gérants de dépôts s’explique par le fait que les propriétaires des parcelles sont en attente de louer ou de vendre leur bien pour une construction durable et plus rentable. Ils louent temporairement leur parcelle pour la construction d’un local précaire (19 cas). Cependant, malgré leur précarité apparente, certains dépôts se sont maintenus pendant plus de vingt ans. Ce type de dépôt se trouve dans 20 % des cas dans le centre, le long des canaux, sur des terres non constructibles en zone hors-digue et dans les interstices urbains.
14Les locaux de la catégorie 7 sont des constructions récentes et précaires en matériaux récupérés avec des toits en tôles ondulées. Certains ont une cour et atteignent en moyenne plus de 100 m2, voire 300 m2. On les trouve surtout dans la zone péricentrale où les terres en attente de construction sont nombreuses et de plus grande taille, notamment dans les interstices urbains (23 cas) et dans les centres villageois (13 cas). Dans le centre, ils sont localisés le long des canaux, des lacs et dans les interstices urbains.
15Les locaux de la catégorie 8 sont des dépôts à ciel ouvert ou composés d’une cabane précaire et bâchée. Ils représentent peu de cas (6 %) et les quatre cinquièmes sont dans les zones péricentrales. Ces dépôts éphémères se trouvent en général le long des routes en cours d’élargissement ou de construction et dans les interstices urbains. Ils bénéficient d’une bonne accessibilité routière et de matériaux de construction issus des chantiers voisins, mais ils seront dégagés dès que le niveau d’urbanisation et de mise aux normes urbaines aura été atteint. La plupart des dépôts de ce type enquêtés en 2016 ont disparu en 2020.
Figure 1. Un dépôt construit en dur entre deux maisons : le niveau local des interstices urbains en 2022.

Dessin : Đỗ Lương Quỳnh Hoa.
16Les bãi installés sur les trottoirs constituent la catégorie 9. Ils sont devenus rares, alors qu’en 1994, Digregorio en recensait un grand nombre, à une époque où il n’y avait pas encore de marché foncier et de possibilité de louer des locaux. Ils sont désormais interdits dans les arrondissements centraux et doivent leur maintien à des négociations serrées avec les autorités locales. Les cas enquêtés montrent la spécificité de leur existence. On les trouve surtout dans le centre-ville. Les gérants exercent leur activité sur le trottoir suite à la fermeture de leur magasin (bouquiniste) qui offrait un support au commerce du papier et des cartons usés ou à l’expropriation de leur local du fait de l’élargissement de la rue. Les commerçants de déchets spécialisés dans le papier sont restés sur place malgré la perte de leur local car ils veulent maintenir leur réseau de clientèle, et ils ont réussi à s’arranger avec les autorités locales.
Une urbanisation éphémère
17Les bãi les plus anciens (plus de quinze ans) représentent 22,9 % des bãi enquêtés, ceux installés depuis dix à quatorze ans représentent 36,8 %, ceux entre cinq et neuf ans d’âge 29,9 % et les plus récents installés depuis moins de quatre ans 10,6 %. 10 % des bãi enquêtés ont disparu ou changé de place entre 2016 et 2020, ce qui témoigne d’un rapide turnover et du changement d’usage des parcelles.
Des durées d’installation variables
18Le tableau 3 et la carte 2 montrent la corrélation positive entre l’installation dans le centre-ville et l’ancienneté, mais en même temps la part des bãi les plus récents y est aussi supérieure. On peut suggérer que les dynamiques urbaines varient fortement selon les couronnes et qu’il reste dans le centre-ville des niches de très petite taille qui n’ont aucune valeur foncière pour les projets résidentiels. Par ailleurs, on remarque aussi dans les zones rurales une présence ancienne de dépôts, ce qui montre que l’urbanisation des campagnes et la métropolisation ne sont pas à l’origine du dynamisme de ce système de collecte. Le commerce des déchets recyclables est une pratique villageoise fondamentalement ancrée dans les pratiques des habitants du delta du fleuve Rouge. Les densités élevées de population et les changements de modes de consommation sont à l’origine de petits gisements de déchets un peu partout dans les campagnes, la présence de villages de recyclage facilitant la vente de ceux-ci.
19Si les enquêtes de Carrie Mitchell (2008a) montrent qu’en général le turnover des bãi est de 4,7 ans, notre recensement exhaustif a permis de mesurer leur ancienneté d’installation selon les quartiers. Plus de 20 % des dépôts existent depuis plus de quinze ans, et cela surtout dans l’hypercentre où ce chiffre s’élève à 30 %. L’arrondissement de Đống Đa concentre un peu moins de la moitié des bãi les plus anciens, installés dans d’anciennes maisons ou ateliers. L’arrondissement de Ba Đình a un pourcentage de bãi récents plus élevé que la moyenne, notamment depuis 2016. Cela peut s’expliquer par l’importance du nombre d’interstices urbains dans cet arrondissement si convoité. Aussi, ces chiffres suggèrent que la période 2006-2010, correspondant à l’élargissement de la métropole de Hà Nội et à la mise en place du Master Plan de la capitale, a été la plus dynamique en termes de création de dépôts dans la ville, avec une proportion égale selon les couronnes. Depuis, le nombre de création et de déménagement a diminué. Toutefois, dans le péricentre, Cầu Giấy n’a conservé que 9 % de bãi de cette période durant laquelle de nombreux chantiers ont disparu et les friches urbaines ont été couvertes par de grands projets résidentiels. Les dépôts n’ont pu se maintenir dans ces espaces nouvellement construits. Dans le cœur de la ville, les bãi de moins de dix ans sont moins nombreux que dans les couronnes, ce qui est le témoignage de la difficulté de s’y installer, à l’exception de l’arrondissement hypercentral de Ba Đình.
Carte 2. Période d’installation des bãi et variations selon les couronnes à Hà Nội (2020).

Réalisation : Cathy Chatel, Sylvie Fanchette, Cessma ; Éric Opigez, Ceped.
Source : JEAI Recycurbs-Viet, 2020.
20Cette rapide analyse doit être couplée avec une étude plus approfondie des dynamiques urbaines de chaque quartier. On sait qu’il y a un rapide turnover des bãi dans les endroits les plus sujets à la gentrification et au développement urbain où les règles d’utilisation des espaces publics que sont les trottoirs sont plus strictes.
21Cependant, les négociations au quotidien avec les autorités publiques, les « gens » du trottoir et le voisinage permettent de limiter le stress lié au changement urbain. Nous n’avons pas pu mettre à jour le recensement des dépôts dans les couronnes 3 et 4 en 2019-2020 pour localiser les dépôts ayant disparu depuis 2015-2016. Dans l’hypercentre, 15,8 % de bãi ont changé de place ou disparu (avec la pandémie de covid, certains couples âgés sont rentrés au village et ont arrêté leur activité) tandis que, dans le péricentre, ce chiffre atteint 12,9 %. Toutefois, il existe de grandes différences entre arrondissements, en raison de rythmes différents de gentrification (Hoàn Kiếm ou Tây Hồ) ou de dynamique d’urbanisation et de construction de grands ensembles. Ainsi, dans la couronne 2, les arrondissements de Cầu Giấy et de Thanh Xuân ont eu respectivement des pourcentages de disparition de 31,8 et 37 % durant la période de l’enquête. La comparaison des cartes des bãi de Carrie Mitchell en 2008 (sous forme d’échantillons de carroyage) avec les nôtres montre que dans l’arrondissement de Cầu Giấy en complète construction de nombreux bãi ont disparu entre 2008 et 2017 (voir chapitre 6, carte 3). À cette époque, de nombreux bãi s’étaient installés sur des friches agricoles en attente de construction proches des chantiers. Ceux-ci ayant disparu, leur offre en matériaux variés et les nouveaux quartiers modernes ne laissent que peu de place aux activités informelles.
Tableau 3. Période d’installation des dépôts par couronne et part de ceux disparus depuis 2018
Couronne | Nombre de réponses | Période d’installation | ||||
Avant 2005 | 2006-2010 | 2011-2015 | Après 2016 | Disparus depuis 2018 | ||
Couronne 1 | 183 | 30,1 | 35,0 | 20,8 | 14,8 | 15,8 |
Couronne 2 | 286 | 21,0 | 36,4 | 33,2 | 9,8 | 12,9 |
Couronne 3 | 194 | 19,1 | 34,0 | 36,1 | 10,8 | |
Couronne 4 | 178 | 22,5 | 42,7 | 27,0 | 7,3 | |
Total des répondants 841 | 22,8 | 36,9 | 29,8 | 10,6 |
Source : Recycurbs-Viet, mise à jour et calculs de Sylvie Fanchette, 2020.
L’augmentation des loyers : un stress pour les gérants de bãi
22Sur les trente gérants pour lesquels nous avons obtenu des informations sur le prix de leur location, quatre paient entre 1 et 3 millions de VNĐ, treize entre 3 et 6 millions et onze entre 6 et 10 millions. Trois gérants ne paient pas de loyers car ils sont de la famille du propriétaire ou sont là pour protéger des squatteurs une maison inachevée ou en très mauvais état… Il apparaît clairement que les prix dans les zones périurbaines sont bien moins élevés. À Gia Lam, les parcelles se louent entre 1,5 et 3 millions de VNĐ en 2016 (entretiens 15 à 20), tandis que les friches nues coûtent beaucoup moins cher que celles avec des bâtiments en dur. Les locataires paient tous les trois mois ou tous les six mois, voire un an en avance, sans aucune sécurité de résidence ; à tout moment, le propriétaire peut reprendre sa parcelle. Les maisons anciennes et les ateliers en semi-dur coûtent le plus cher. Les loyers ont rapidement augmenté depuis les dernières années. Certains gérants de bãi affirment payer 5 millions de VNĐ par mois, alors qu’à leur installation en 2014 le loyer n’était que de 1 million de VNĐ (24). Un autre affirme avoir vu son loyer multiplier par trois en douze ans. Certains affirment que les propriétaires des parcelles se basent sur le prix de l’or pour évaluer les loyers. Le changement de quartier lors des déménagements permet de comparer les différences de loyers : « Je paie 6 à 7 millions de VNĐ par mois à Ba Đình, alors qu’avant, à Cầu Giấy, je payais 2 millions de VNĐ. Bien sûr, ce site est plus avantageux que l’ancien car il est bien situé le long d’une route carrossable et accessible aux camions. » (70). Même à Gia Lâm, où les prix sont bien moins chers, ce triplement, voire quadruplement, des loyers pose problème. Les récriminations des voisins qui veulent le départ des commerçants de déchets poussent à la hausse les loyers. « Il y a cinq ans, le loyer était de 5 millions, après que de nombreux voisins se soient plaints, le propriétaire de la maison a augmenté à 6 millions de VNĐ, puis 7 millions. » (14).
Photo 1. La balance : l’enseigne au sol éphémère d’un dépôt de déchets dans un quartier huppé (2016).

© Nội-Pictures/F. Carlet-Soulages
Le statut foncier précaire des parcelles
23La nature des contrats de location varie mais reste précaire pour la plupart des gérants qui n’ont pas de bail leur assurant un séjour supérieur à un an. Selon nos enquêtes, les statuts des terres sont pluriels dans les différentes couronnes, mais la plupart sont extrêmement précaires. Seuls quelques commerçants rencontrés sont propriétaires de la parcelle ou du bâtiment qu’ils occupent. Les relations avec les propriétaires des terres sont parfois difficiles, mais leur rôle dans les négociations avec les autorités locales et le voisinage est essentiel.
24Les parcelles dans l’hypercentre sont en général de plus petite taille et beaucoup plus chères que dans les zones plus excentrées. Les statuts fonciers des parcelles varient selon les catégories de morphologies architecturales des dépôts et leur localisation dans la ville. Plus le statut des terres est incertain, plus la facture du local est précaire. Cette double précarité n’empêche pas les loyers d’être mirobolants en plein centre-ville.
25Dans l’hypercentre, les dépôts de la catégorie 1 (anciennes maisons) sont loués soit très chers (10 millions de VNĐ), avec des contrats précaires, soit parfois légués gratuitement pour protéger et garder un bâtiment dont la valeur foncière est très élevée, mais disputée. L’entraide au sein de la famille permet ainsi à des migrants de s’installer en centre-ville pour réaliser leur activité, tout en préservant des biens dont l’utilisation à venir reste incertaine. Dans les KTT, peu de locaux sont loués aux commerçants de déchets, mais, lorsqu’ils le sont, les négociations sont complexes et intègrent d’autres activités (gardiennage de nuit des motos des habitants, parking…) (72).
26Les terres peuvent être non constructibles car d’origine agricole (un ancien jardin villageois, un abord de canal, un étang comblé). Sur ces terrains, les dépôts appartiennent aux catégories les plus précaires (7 à 9). Les abords des canaux sont des zones très dynamiques, car de nombreuses activités informelles et des logements pour migrants s’y concentrent. La lenteur de certains projets de viabilisation, notamment avec la crise liée à la pandémie, ou d’extension de routes permet à tous ces acteurs de renforcer leur présence et de négocier leur maintien sur place. Sur les parcelles en cours de changement de statut, les occupants vont être évincés à très court terme.
27Dans l’hypercentre, certains dépôts sont à cheval sur des parcelles de différents statuts : une partie constructible et l’autre pas encore. Pour élargir leur espace, les gérants de dépôts grignotent peu à peu l’espace alentour et négocient ensuite avec les autorités. Un cimetière caché derrière une rangée de nouvelles maisons récentes accueille l’arrière-cour de deux dépôts de déchets auxquels un grand dortoir en hauteur de très mauvaise facture est attenant. Quatre propriétaires se disputent cet interstice niché entre les marges de l’ancien village des đồng nát de Hoàng Cầu et les nouveaux lotissements construits sur les terres agricoles de celui-ci. Toutefois, pour compenser l’informalité des relations avec les locataires, les propriétaires des parcelles demandent plusieurs mois de loyers, parfois un an, ce qui est une somme très élevée pour certains (83).
28Dans la seconde couronne de la ville, le péricentre, la dynamique de construction est très rapide en raison des nombreux projets de KĐTM. L’incertitude du maintien sur place des dépôts est grande, mais varie selon l’échelle des projets. La présence de nombreux grands interstices entre les KĐTM et les anciens villages offre des solutions de repli dans leur quartier, le temps que les grands projets soient terminés et les gisements de matériaux des chantiers taris. Des arrangements temporaires entre responsables de chantiers, vendeurs de matériaux et commerçants de déchets s’établissent parfois sur la base des réseaux familiaux ou de connaissances (43).
Auteurs
Géographe, correspondante de la JEAI, directrice de recherche, IRD.
Géographe et cartographe, ingénieure, Cessma, université Paris-Cité.
Stage de master d’urbanisme de mars à juillet 2016.
Stagiaire master 1 en sciences sociales, université Paris-Descartes (trois mois en 2018).
Stagiaire assistante de recherche de l’IRD (mai à août 2020).
Dessinatrice, étudiante en architecture, université de Hà Nội.
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Atlas des pêcheries côtières de Vanuatu / Coastal Fisheries Atlas of Vanuatu
Un bilan décennal pour le développement / A 10-year Development Assessment
Espérance Cillaurren, Gilbert David et René Grandperrin
2002
Hà Nội, a Metropolis in the Making
The Breakdown in Urban Integration of Villages
Sylvie Fanchette (dir.)
2016