R5. Renforcement des capacités et sensibilisation
p. 184-189
Texte intégral
1L’application et l’efficacité des recommandations de cette expertise dépendent d’une bonne formation des acteurs de la pêche ; formation au maintien comme aux changements de leurs métiers, mais aussi à l’environnement marin, trop souvent méconnu. Il n’existe pas à ce jour en Haïti de programme scolaire ou universitaire dédié au milieu marin et récifal, malgré l’importance sociale et économique que ces derniers jouent dans la vie des Haïtiens. L’offre de formation devra aller de pair avec la modernisation du secteur dans une optique de développement durable de l’effort de pêche. Désormais partie prenante, les pêcheurs doivent davantage participer à la prise de décision. Ce renforcement des capacités doit s’opérer à plusieurs niveaux et auprès de plusieurs acteurs – impliqués tout au long de la chaîne de valeur. Il doit s’appuyer sur les savoirs et savoir-faire existants, avec des parcours d’apprentissage souples et adaptés aux besoins des individus – des femmes comme des hommes. Il doit également intégrer des formateurs et formatrices issus du terrain.
2Il est à noter l’importance pour l’administration de se doter des connaissances et compétences nécessaires pour apporter un appui au développement durable de la pêche artisanale (incluant les méthodes de co-programmation et cogestion). En ce sens, une attention particulière devra être portée aux structures gouvernementales locales intervenant dans les processus de gouvernance et de développement avec les communautés d’artisans pêcheurs.
Créer une école de la Mer pour une pêche durable en Haïti (audience ; format et sous-thématiques)
3Ce projet s’inscrit dans la volonté des pouvoirs publics, notamment le Service maritime et de navigation d’Haïti (Semanah), de monter un institut national de formation maritime qui assurerait des formations longues de deux à trois ans, donnant les bases théoriques et pratiques nécessaires pour embarquer à la pêche, commander une petite unité de pêche artisanale ou se lancer dans une exploitation aquacole. L’école de la Mer que nous proposons se focalise sur les formations courtes.
Audiences
4Acteurs clés du secteur (pêcheurs, vendeurs, représentants d’association), mais également agents de terrain et personnels des antennes locales de l’Agence nationale des aires protégées (Anap) et du MARNDR, tels que de la DPAQ.
5Objectifs : acquérir et renforcer les connaissances théoriques et pratiques relatives à l’exercice des métiers de la mer, ainsi qu’à l’appui au suivi/gestion des zones marines d’intérêt patrimonial (telles que les AMP, etc.).
Format
6Trois niveaux de formation sont envisageables : basique (niveau inférieur à fin du secondaire), intermédiaire (niveau premières années du supérieur), avancé (niveau master). Chaque niveau se composera de modules de formation qualifiants dont l’addition permettra d’obtenir un diplôme validé par les institutions haïtiennes de formation continue. Chaque module, d’une à deux semaines, couplera des cours théoriques et pratiques avec des visites de terrain qui permettront notamment aux acteurs des pouvoirs publics d’observer et de renforcer leur connaissance du travail des pêcheurs et de l’ensemble des acteurs de la filière halieutique.
7Un élément central de la formation est la formation de formateurs qui pourront opérer en milieu professionnel ; sont ciblés en priorité les représentants de l’Association nationale des pêcheurs haïtiens (ANPH) et de l’Association nationale des marchands des produits de mer (Anamprom). À la formation qu’ils recevront à l’école de la Mer seront associés des livrets pédagogiques rédigés en créole et en français qui faciliteront leurs actions de formations auprès de leurs associations respectives.
Sous-thématiques identifiées
- Introduction au milieu marin : aspects physiques (vague, courants, marées, bathymétrie, géomorphologie) ; aspects chimiques ; aspects biologiques (productivité primaire, chaînes trophiques).
- Introduction à l’écologie des espèces ciblées par la pêche ; aux conditions de leurs durabilités (repos biologique, etc.) ; aux effets de la pêche sur leur dynamique démographique et sur les chaînes trophiques.
- Introduction aux habitats marins : récifs coralliens, mangroves, herbiers de phanérogames.
- Modalités et systèmes de gestion de pêche durable (cogestion des AMP, LMMA, TURF, récifs artificiels, corridors biologiques, etc.).
- La pêche associée aux DCP ancrés (conception et construction, entretien et gestions des DCP).
- La pêche de niche (technique de pêche durable en zone démersale ; des lambis, etc.).
- L’apprentissage de la navigation et de la lecture de l’océan et du ciel.
- Technique aquacole, notamment l’Aquaculture multi-trophique intégrée (Amti) et visite de fermes aquacoles.
- Conditions de travail embarqué et sécurité en mer pour tout type d’embarcation de pêche.
- Hygiène, conditionnement et valorisation des produits : techniques traditionnelles du séché/salé/fumé, mais également du levage de filets, préparation de boulettes de poissons, etc.). Un ciblage spécifique sur les actrices de la pêche (commerçantes, Madam Sarah, etc.) est ici fortement recommandé.
8Des synergies et complémentarités seraient à explorer avec les écoles de la Mer de la région Caraïbe (programme d’échanges, viviers d’intervenants, etc.), notamment celle de la Martinique dont le directeur a participé à la présente expertise.
Renforcer les formations universitaires sur les différentes composantes du système Pêche
9Plusieurs universités d’Haïti, notamment l’université d’État d’Haïti et l’université de Quisqueya, pourraient accueillir, avec l’appui nécessaire de l’État et de la coopération internationale, des formations magistrales et qualifiantes de longue durée en environnement et gestion des ressources halieutiques (niveaux Licence 3 et Master). Il s’agit de créer en Haïti une filière universitaire exclusivement dédiée au milieu marin de manière à former les experts nationaux dont le pays a besoin. Au-delà des enseignants spécialisés, ces programmes devraient permettre des intervenants professionnels du secteur, ainsi que des chercheurs.
Modules de formation identifiés
- Approche intégrée de l’aquaculture, de l’écloserie à la valorisation économique des produits.
- Anthropologie des pêches.
- Dynamique des populations marines exploitées et approche écosystémique des pêches littorales d’Haïti.
- Économie des pêches.
- Géographie et histoire des pêches.
- Gouvernance et cogestion des pêcheries.
- Ingénierie écologique et valorisation durable des milieux.
- Méthodes et outils pour les enquêtes halieutiques.
- Pêche et planification spatiale.
- Prospective territoriale appliquée au littoral et à l’halieutique.
- Statistiques de pêche.
- Tourisme balnéaire et écotourisme.
10Ces programmes pourraient s’appuyer sur la coopération internationale universitaire, notamment la coopération régionale avec la zone caribéenne, ainsi que les coopérations Sud-Sud. Lorsque cela sera possible, la création de masters en double diplôme entre une institution haïtienne et une institution internationale de la région ou du monde francophone sera encouragée. Il convient de noter que la direction régionale Caraïbe de l’AUF (Agence universitaire de la francophonie) implantée à Port-au-Prince pourrait jouer un rôle important dans ce dispositif. De telles coopérations permettraient de diminuer l’isolement d’Haïti et permettraient de préparer les cadres du secteur pêche haïtien de demain, ainsi que les futurs enseignants et chercheurs du pays.
Proposer des formations souples et ponctuelles (écoles d’été)
11En partenariat avec le système universitaire et autres partenaires nationaux et internationaux, des écoles d’été pour la pêche et l’aquaculture durable en Haïti devraient être programmées. De nature pluridisciplinaire, ces écoles d’été viendront en complément des modules de formation avancée suscités. À ajuster selon le type de public (pêcheurs, commerçantes, agents des services…) ; ces formations en format souple, pratique et de courte durée (une à deux semaines) pourraient se structurer en deux grandes parties :
- des enseignements qui se dérouleront en salle ;
- des sorties et exercices de terrain pour la mise en application des éléments enseignés.
12Le nombre de participants idéal est de 20 à 25 personnes permettant d’établir 4 à 5 groupes de 5 personnes.
Sensibiliser aux enjeux de la pêche durable et d’habitats marins en bon état
13Au-delà des formations susmentionnées, d’autres modalités d’apprentissage et de sensibilisation aux enjeux de la pêche artisanale en Haïti, de son rôle dans la société et la nature d’Haïti, ainsi que ses nombreux défis pourraient être promues. Dans le domaine de la sensibilisation environnementale, de nouveaux outils tels que les jeux interactifs, combinant approche pédagogique et ludique, comme la mallette Maréco élaborée par l’IRD1, devraient être utilisés auprès des jeunes pour faciliter leurs compréhensions des écosystèmes marins, de leur importance pour la pêche durable et leur vulnérabilité. Des jeux sérieux, de type jeu de rôle, comme FishBanks2 devraient permettre aux adultes d’aborder la complexité de la gestion d’une flottille de pêche où la dynamique de la ressource et la dynamique de l’économie s’entremêlent.
14Des expositions sur la pêche artisanale en Haïti et ses enjeux actuels et futurs pourraient être également réalisées, diffusées et présentées dans diverses enceintes, allant des écoles primaires, universités, aux locaux d’associations de pêcheurs. De telles expositions pourraient être réalisées dans le cadre des marchés et fêtes locales en coopération avec les associations présentes et d’autres ministères, afin de valoriser les métiers de la pêche et leurs environnements. Dans ce sens, des concours « des plus beaux villages de pêche » pourraient être également organisés.
15Au voisinage des AMP, des aires protégées éducatives (APE) pourront être mises en œuvre à l’échelle d’une école primaire. Ces dernières pourront s’appuyer sur le modèle des premières APE développées en 2012 dans l’archipel des Marquises (Polynésie française) qui connaît aujourd’hui une diffusion rapide.
Sensibiliser les familles et les pêcheurs à poursuivre l’apprentissage de la mer à leurs jeunes
16En parallèle du développement de nouvelles pratiques, il est important de renforcer l’autonomie des pêcheurs haïtiens à travers la valorisation et le renforcement des savoir-faire locaux, notamment les capacités à lire le temps, à conduire, entretenir et réparer des embarcations artisanales ; à penser à la chaîne de construction – notamment aux arbres nobles faisant les bons bateaux. Le maintien de ces boisements est en effet une condition nécessaire à la durabilité de la pêche artisanale dont la plupart des embarcations sont en bois.
Notes de bas de page
1 Voir : http://umr-entropie.ird.nc/index.php/portfolio/projets-en-cours/mallette-pedagogique-mareco
2 Il convient de souligner que FishBanks est un des plus vieux jeux sérieux qui soient, hormis les jeux de guerre ; il a été réalisé par D. Meadows au Massachusetts Institute of Technology il y a plus de 40 ans.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La pêche artisanale en Haïti
Jean-Paul Alaric, Wilson Célestin, Nicolas Diaz et al. David Gilbert (dir.)
2021
Les substances d’origine végétale en Côte d’Ivoire
Potentiel et développement durable
Séraphin Kati-Coulibaly, Yves-Alain Békro, Valérie Boisvert et al. (dir.)
2022