4. La biodiversité marine

1Si la pêche en Haïti a donné lieu à une littérature abondante, la composition spécifique des captures de la pêche, et plus généralement celle de la biodiversité marine d’Haïti, reste peu documentée. Ces données sont pourtant essentielles pour comprendre et évaluer l’impact des pêches sur le suivi de la biodiversité marine, notamment les effets cascades induits dans la chaîne trophique par la surmortalité des espèces ciblées par les pêcheurs, dans le cadre d’une approche écosystémique des pêches qui a largement fait ses preuves à l’international.

2L’acquisition de connaissances de la biodiversité (diversité spécifique) en Haïti s’est faite à des vitesses différentes et plus ou moins tardivement selon les grandes divisions taxonomiques. Chez les vertébrés, la connaissance a réellement commencé dès 1850 et s’est progressivement enrichie jusqu’à nos jours ; chez les plantes et macro-algues, elle a débuté plus tard, en 1900, et sa progression a été rapide jusqu’en 1940 pour tendre ensuite vers un palier ; chez les cnidaires, elle a commencé en 1860 puis a progressé lentement jusqu’en 1960, pour s’accélérer jusqu’à nos jours où elle progresse encore ; chez les porifères, elle a été très tardive, stagnant à un niveau très bas jusqu’en 2002 pour exploser ensuite. Ces cinétiques différentes montrent que dans certaines grandes divisions taxonomiques la connaissance est en passe d’être acquise et, que dans d’autres, elle est encore en cours d’acquisition. La connaissance de la diversité spécifique est une étape dans le suivi de la biodiversité qui, de plus en plus, est intégrée aux diagnostics des pêcheries, en particulier des pêcheries multispécifiques des écosystèmes insulaires coralliens. L’érosion ou la progression de cette biodiversité doivent être surveillées à différentes échelles spatio-temporelles (fig. 14).

Figure 14 – Évolution de la connaissance de la biodiversité dans de grandes divisions taxonomiques, de haut en bas : les vertébrés, dont les poissons ; les plantes et macro-algues ; les cnidaires et les porifères.

3L’opération menée en 2015 dans le Parc national des Trois Baies par l’ONG internationale TNC (The Nature Conservancy), financée par la BID (Kramer et al., 2016), montre qu’à l’échelle de quelques sites pilotes (ou témoins), la réalisation de campagnes d’échantillonnage à intervalles réguliers (une fois par an ou une fois tous les 5 ans selon les coûts), à la même période de l’année, selon un protocole rigoureux et réplicable permettrait de suivre l’évolution de la biodiversité. L’opération menée en 2006 entre la pointe Saint-Marc, Port-au-Prince et l’île de la Gonâve est un second exemple pouvant servir de base à un protocole d’échantillonnage (Bouchon et al., 2006 ; Bouchon-Navaro et al., 2006 ; Louis et al., 2006). Il est recommandé qu’un 3e site pilote soit délimité dans la partie sud ou sud-ouest d’Haïti pour obtenir une vision représentative de l’évolution de la biodiversité dans le pays.

4À l’échelle nationale, il serait souhaitable d’archiver des données géo référencées sur les occurrences des espèces (voir partie Iv, R2 Habitats et espèces). Les deux bases de données Obis (Ocean Biodiversity Information System1) et Gbif (Global Biodiversity Information Facility2), si elles étaient alimentées régulièrement, pourraient être un outil de monitoring de la biodiversité au niveau du pays, voire à des échelles spatiales plus fines. Ce n’est pas le cas actuellement. Les données récoltées par le TNC (The Nature Conservancy) et l’Anap (Agence nationale des aires protégées) en 2015 (Kramer et al., 2016) ont été publiées dans une base de données systématiques normalisées, The Darwin Core Archive3, afin de réaliser des restitutions des échantillonnages par des cartes d’un SIG sur les habitats benthiques et terrestres ; mais ces données n’ont pas été reversées dans la base GBIF alors que cet archivage le permettait4.

5L’analyse des données d’occurrences datées sur Haïti montre que les signalements ont été faits par à-coups selon les grandes divisions taxonomiques : chez les poissons, les signalements ont été significatifs dès 1927 et se sont poursuivis jusqu’en 2015. En revanche, pour les plantes et macro-algues, les années 1929 et 1941 représentent 74 % des signalements ; chez les crustacés, 65 % des signalements ont été faits en 1970 ; chez les autres vertébrés, pour l’essentiel, les oiseaux de mer, de rivage et de marais côtiers, 90 % des signalements ont été faits entre 2008 et 2018. En ce qui concerne la biodiversité marine, sur les 56 444 797 occurrences répertoriées en mai 2019 dans la base OBIS, seules 6 592 concernaient la ZEE d’Haïti, soit 0,012 %, dont 51 % portaient sur les poissons osseux. Après une forte contribution en 1957, il a fallu attendre la fin des années 1980 pour que les signalements d’occurrences reprennent. Ils se sont interrompus après 2005 et ont repris en 2018 à l’initiative du MARNDR (fig. 15).

Figure 15 – Nombre de signalements d’occurrences sur Haïti datés dans les bases OBIS et GBIF selon les grandes divisions taxonomiques entre 1900 et 2020.

6Réaliser l’archivage des données d’occurrences dans les bases OBIS ou GBIF permettrait à terme de disposer d’un bon outil de suivi écologique à l’échelle nationale, accessible au plus grand nombre et d’autant plus performant que la consultation de ces deux bases de données est facilitée sous R, langage de programmation et logiciel en libre accès où de nombreuses applications (script) de statistiques appliquées à l’écologie ont été développées. Rendant accessibles au plus grand nombre de chercheurs et d’étudiants les données concernant la biodiversité d’Haïti, cet archivage devrait stimuler les initiatives, concourant ainsi à une meilleure connaissance de l’écosystème marin et de son fonctionnement.

7Sur la base des documents et articles scientifiques consultés, des documents de la FAO, des bases Fishbase et Sealifebase, des bases de données internationales OBIS et GBIF, l’inventaire de la biodiversité marine connue (signalée) en Haïti réalisé dans le cadre de cette expertise s’établit à 2 584 espèces auxquelles s’ajoutent 26 genres et 2 familles dont les déterminations étaient incomplètes. Le règne animal comptait 2 305 espèces, 24 genres, 2 familles et 12 espèces non répertoriées dans les bases internationales de la taxonomie ; le règne végétal comptait 279 espèces et 2 genres. Ce décompte est très supérieur à celui établi dans une étude sur l’île d’Hispaniola qui distinguait les espèces d’Haïti et celles de République dominicaine (Herrera-Moreno, Betancourt-Fernández, 2005) ; le bilan de cette étude qui ne prenait en compte ni les mammifères, ni les reptiles, ni les oiseaux, ni le règne végétal s’établissait à 1 057 espèces.