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2. Le milieu marin

p. 35-40


Texte intégral

1Afin de pallier au manque de données spécifiques au milieu marin d’Haïti, cette expertise s’est appuyée sur des analyses réalisées à un niveau plus large. Le cadre spatial de références est celui des organisations internationales travaillant dans la région : la zone 31 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dont la Commission des pêches pour l’Atlantique centre-ouest (Copaco) assure le suivi des pêcheries. La zone d’inventaire de l’ESCI s’est focalisée sur la ZEE d’Haïti et de celle de l’enclave de Navassa dont les espèces marines se rencontrent également en Haïti. Les restitutions cartographiques des distributions spatiales des espèces seront étendues au rectangle où s’inscrivent les ZEE de Cuba, des îles Caïmans, de la Jamaïque, de l’enclave américaine de Navassa, d’Haïti et de la République dominicaine, soit la zone comprise entre 14,0833° et 25,2246° de latitude nord, et entre 65,8219° et 86,9397° de longitude ouest, qui correspond à notre zone d’étude. Les limites de ces ZEE et la limite des eaux territoriales d’Haïti seront toujours matérialisées sur les cartes présentées (fig. 5).

Figure 5 – Carte des pays de la zone 31 de la FAO montrant notamment la ZEE d’Haïti (ht) et les rectangles statistiques de 5 degrés de côté (traits bleus) utilisés pour les bases de données d’effort et de capture de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (Cicta).

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Sources : Carpenter (2002) ; Cicta.

2En raison de son rayon d’action réduit, la flottille de pêche haïtienne opère peu au-dehors des eaux territoriales, au-delà de 12 milles nautiques des côtes. Seules quelques embarcations motorisées se rendent aux abords de l’îlot de Navassa et vont au-delà de cette limite. La zone contiguë, où s’exercent les législations douanières et, dans certains cas, policières (e.g. lutte contre le narcotrafic et la traite d’êtres humains), s’étend de la limite des eaux territoriales à 24 milles nautiques au large ; sa surface est de 18 944 km².

Contexte bathymétrique régional et courants marins

3La région est particulièrement accidentée d’un point de vue tectonique, la plaque nord-américaine rencontrant la plaque Caraïbe. Cette zone de contact traverse les Grandes Antilles. Cuba se situe sur la première de ces plaques, tandis que l’île d’Hispaniola (Haïti, République dominicaine), la Jamaïque et Porto Rico se situent sur la seconde. À l’est, la subduction de la plaque nord-américaine sous la plaque Caraïbe a engendré l’arc insulaire des Petites Antilles. La plaque nord-américaine s’étend jusqu’à la dorsale médio Atlantique, une cordillère sous-marine qui culmine à 2 350 m au-dessus du plancher océanique, et qui dans cette zone s’infléchit vers le sud-ouest. Dans sa partie nord-est, on trouve les plaines abyssales de Nares, la plus profonde, et d’Hatteras, d’où émergent les Bermudes. Au nord-ouest, délimité par la Floride à l’est, s’étend le golfe du Mexique avec un large plateau continental dans sa partie orientale, au large de la Floride, au nord et à l’est de la baie de Campeche, à la limite du détroit de Yucatan qui sépare l’isthme centre-américain et l’île de Cuba. La partie centrale et occidentale est constituée de plusieurs bassins entourés de fosses ou de crêtes : le bassin de Yucatan et la fosse de Caïman ; le bassin de Colombie séparé par la crête de Beata du bassin du Venezuela, lui-même séparé par la crête Aves du bassin de Grenade (fig. 6).

Figure 6 – Le contexte bathymétrique de la zone Caraïbe.

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Source : FAO (2002a).

4La mer des Caraïbes constitue une grande mer marginale de l’Atlantique, deux fois plus étendue que la mer Méditerranée. Elle est ouverte sur l’Océan par cinq détroits : le détroit de Floride ; le passage du Vent (Windward passage), d’une profondeur de 1 540 m ; celui de Mona, profond de 400 à 500 m, et ceux d’Anegada et de Jungfern, profonds de 1 910 m et de 1 815 m. Elle est reliée au golfe du Mexique par le détroit de Yucatan d’une profondeur de 2 040 m. Dans cette mer semi-fermée, les échanges avec l’océan Atlantique sont conditionnés par les seuils présents dans l’arc antillais qui empêchent les eaux profondes de l’Antarctique de pénétrer. Ces eaux sont les plus denses des océans et restent au fond des plaines abyssales de Nares et d’Hatteras. En revanche, les eaux profondes d’Atlantique Nord pénètrent par le bassin des îles Vierges et le passage du Vent.

5Les eaux superficielles de la mer des Caraïbes sont issues du courant des Guyanes, qui se partage en une branche nord, le courant nord-équatorial et une branche sud, le courant des Caraïbes. Ce dernier traverse les Caraïbes, passe par le détroit de Yucatan puis le détroit de Floride pour rejoindre le courant nord-équatorial, à l’ouest de la mer des Sargasses, pour alimenter le Gulf Stream. Le courant des Guyanes est alimenté par les apports de l‘Amazone et de l’Orénoque et à son départ, par le courant nord-Brésil. Au cours des oscillations nord-sud de la zone de convergence des alizés, celui-ci subit une rétroflexion qui génère des gyres qui vont se répercuter dans la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique sous la forme de cinq tourbillons majeurs, les gyres panaméen, haïtien, cubain, de Campeche, texan et floridien. Il existe également de nombreux tourbillons de petites tailles de durées de vie variables dans toutes les Caraïbes (fig. 7).

Figure 7 – Circulation des eaux dans la mer des Caraïbes et le golfe du Mexique.

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Source : Encyclopaedia Universalis in Pinot (2020).

Contexte bathymétrique haïtien et océanographie

6La figure 7 montre qu’en matière d’hydrologie marine la République d’Haïti est plutôt privilégiée. Le pays est irrigué au nord par un diverticule du contre-courant équatorial, au sud par le courant des Caraïbes, la côte méridionale étant proche du gyre haïtien, favorable à la productivité primaire.

7Les fonds marins de la ZEE d’Haïti sont compris entre 0 et 4 440 m avec une profondeur médiane de 2 726 m. Dans le détail, la bathymétrie d’Haïti est mal renseignée. Les données les plus récentes sont compilées dans la base internationale GEBCO (General Bathymetric Chart of the Oceans). Avant 2019, la résolution spatiale était de 30  secs d’arc terrestre, ce qui correspond à une seule valeur de bathymétrie pour un carré de 1 × 1 km. La dernière version propose une résolution spatiale de 15 secs d’arc, soit une valeur bathymétrique par carré de 450 × 450 m (fig. 8).

Figure 8 – Bathymétrie de la République d’Haïti.

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Source : Vallès, 2021 ; données GEBCO.

8Malgré le caractère grossier des données bathymétriques disponibles, il est possible de tirer des enseignements intéressants concernant la pêche.

9Le premier d’entre eux porte sur la faible superficie des fonds exploités par la pêche artisanale haïtienne, en général moins de 100 m de profondeur et souvent moins de 50 m. La figure 8 montre que la superficie des petits fonds (inférieurs à 100 m) est très réduite par rapport à la superficie de la mer territoriale qui s’étend jusqu’à 12 milles, soit 22 km, du trait de côte. Une large part de cette mer territoriale ne fait l’objet d’aucune exploitation halieutique hormis autour des DCP (voir partie II, chapitre 8).

10Le deuxième enseignement porte sur l’importance des zones profondes de 500 à 1 000 m, voire plus, dans cette mer territoriale. De nombreuses parties du littoral sont peu éloignées de fonds de 500 à 1 000 m, propices à la pêche de poissons démersaux profonds. Au sud, des fonds de plus de 1 000 m sont proches des villes de Jérémie, Port Salut et Jacmel (fig. 1). Il s’agit là de configurations bathymétriques très favorables à la pose de DCP. La pointe nord-ouest du pays offre des conditions similaires. Elle semble d’autant plus intéressante pour la pêche autour de DCP ancrés qu’elle est irriguée par une branche du contre-courant équatorial. Ce large détroit entre la pointe sud-est de Cuba et le nord-ouest d’Haïti est donc un passage obligé des bancs de thonidés.

11Le sud du pays est sous l’influence du courant des Caraïbes, alimenté par le courant des Guyanes (fig. 7). En pénétrant dans la Grande Anse, le courant crée un tourbillon favorable à la productivité primaire, qui entraîne une configuration tout à fait particulière en matière de connectivité ; la Grande Anse peut être alimentée en flux larvaire par les eaux baignant le sud du pays, mais les larves issues des populations marines de la Grande Anse y sont confinées. Ce contexte courantologique explique l’intérêt de mettre en place des aires marines protégées aux extrémités nord et sud de la Grande Anse et à proximité de l’île de la Gonâve pour optimiser la connectivité du milieu et alimenter en flux larvaire l’ensemble de l’anse (voir partie IV, R7 Les aires marines protégées).

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