1Au Sénégal, l’accès à l’océan et à ses usages représente un élément central de l’économie nationale et locale. Le secteur de la pêche, considéré parmi les secteurs prioritaires de l’économie nationale, occupe une place importante en raison de sa contribution à la sécurité alimentaire, et à la création de revenus et d’emplois (ANSD, 2020). Ainsi, au titre de l’axe 1 du Plan Sénégal Émergent (PSE 2014-2035), les activités de la pêche et d’aquaculture ont vocation à contribuer à « la transformation de la structure de l’économie dans le sens de soutenir une dynamique de croissance forte et durable ». Rien que le secteur de la pêche représentait, entre 2009 et 2013, une source de revenus pour plus de 600 000 personnes. La contribution de la pêche à la richesse nationale est quasi stationnaire, oscillant entre 1,7 % et 1,8 % du produit intérieur brut (PIB)¹, montrant le dynamisme de ce secteur. La Lettre de politique sectorielle de développement de la pêche et de l’aquaculture (LPSDPA 2016-2023) s’inscrit dans cette vision du PSE et définit les priorités d’action du gouvernement dans le domaine de la pêche et de l’aquaculture.

2Si la mer fournit des services clés à l’économie sénégalaise, son maintien en bon état pâtit du développement d’activités humaines à terre et en mer. On compte notamment le développement des activités portuaires, du transport maritime, de la pêche industrielle et de l’aquaculture, du tourisme côtier et des câbles sous-marins. La disparition de nombreux habitats naturels et la fragilisation des écosystèmes côtiers affectent la qualité et la quantité des ressources naturelles particulièrement nombreuses et importantes dans cette zone écologiquement et biologiquement fragile (Lefebvre, 2011) (sur l’importance des données biologiques, voir l’encadré 1).

3La mise en œuvre de plans de planification spatiale marine (PSM) pourrait mettre en cohérence des politiques publiques permettant d’analyser et de répartir, dans le temps et dans l’espace, les activités humaines dans les zones marines afin d’atteindre des objectifs écologiques, économiques et sociaux habituellement déterminés par un processus politique². La PSM est donc à la fois un défi et un enjeu prioritaire pour le Sénégal.

4Dès lors, quels sont les éléments moteurs et les freins à la mise en œuvre de la PSM au Sénégal ? Si l’incitation régionale au développement de la PSM en Afrique de l’Ouest est forte (première partie de ce chapitre), il n’en demeure pas moins qu’il faudra prendre en compte et répondre à des défis au niveau national pour une PSM fonctionnelle et dans l’intérêt du peuple sénégalais (seconde partie).

Un cadre juridique favorable à l’institution de la PSM

5Si un accord régional ou national spécifique à la PSM n’a pas encore émergé, la diversité des activités économiques en mer a mis en exergue la nécessité de tenir compte de l’intérêt d’une gestion coordonnée. Ainsi, au niveau régional, le système conventionnel d’Abidjan offre un cadre et une orientation stratégique pour le développement de la PSM en Afrique de l’Ouest. Les instruments officiels de planification régionale portés par l’Union africaine (UA) pourraient constituer un appui supplémentaire à son développement.

Le système conventionnel d’Abidjan : un cadre pour le développement de la PSM en Afrique de l’Ouest

6La Convention d’Abidjan relative à la coopération pour la protection et la mise en valeur du milieu marin et des zones côtières, signée le 23 mars 1981 à Abidjan (Côte d’Ivoire), a été ratifiée le 23 juillet 1982 par le Sénégal³. Elle est entrée en vigueur le 5 août 1984. Au total, plus de vingt-deux États font partie de la zone couverte par la convention, dont dix-neuf l’ayant ratifié. Quatre protocoles additionnels ont été signés, mais ne sont pas encore ratifiés⁴.

7Parmi ces textes, le protocole additionnel relatif à la gestion intégrée des zones côtières vise à constituer un cadre de gestion et de renforcement de la coopération régionale pour une meilleure protection et préservation des côtes des États parties. Il a pour objectifs, notamment, la promotion, la planification intégrée et le développement coordonné des zones côtières, des zones insulaires et des bassins fluviaux, la promotion et le maintien de la résilience des écosystèmes face aux activités humaines, les aléas naturels et les changements climatiques y compris la protection adéquate des zones sensibles et la prévention et la réduction de la pollution provenant de sources aériennes, terrestres et marines. Le protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières est complété par sept annexes thématiques⁵. Les objectifs de la gestion intégrée des zones côtières sont proches de ceux de la PSM qui a pour buts « de garantir l’utilisation durable des ressources naturelles et des services d’écosystèmes » ainsi que « de promouvoir et maintenir la résilience des écosystèmes face aux activités humaines »⁶.

8Le protocole additionnel à la Convention d’Abidjan relatif à la gestion durable des mangroves fait également référence à la conciliation du milieu terrestre et de l’océan. En effet, selon l’article 2.ii du protocole, la « mangrove désigne, toute espèce animale ou végétale, adaptée à la salinité des écosystèmes côtiers des régions intertropicales soumises à des échanges entre le milieu terrestre et l’océan ». La définition de la mangrove est beaucoup plus révélatrice de la PSM dans la mesure où elle peut être considérée comme établissant la connexion entre le milieu terrestre et l’océan. La mangrove demeure cependant en elle-même une ressource établissant un lien entre des activités humaines en mer et sur les zones côtières. Par exemple, les écosystèmes de mangrove font l’objet de diverses activités génératrices de revenus, mais surtout de protection des rivages.

9Le protocole additionnel à la Convention d’Abidjan relatif à la gestion durable des mangroves fait également référence à la conciliation des activités humaines en mer dans certaines de ses dispositions, notamment à l’article 7-2 et l’article 8 qui visent la protection des mangroves face à l’exploitation anthropique de la mer.

10Les principes de gestion durable des ressources de l’écosystème mangrove, énumérés à l’article 4 du protocole (par ex. le droit à l’information, à la participation et à l’accès à la justice, l’approche de gestion écosystémique), intéressent également les processus de PSM. Il importe de souligner également que le protocole contient des annexes⁷ qui sont essentielles en matière de PSM. Par exemple, l’annexe 2 sur la valorisation durable des ressources de l’écosystème mangrove classe les pratiques qui peuvent impacter négativement la mangrove, notamment l’aménagement de ports de pêche, de ports minéraliers et/ou de plateformes d’exploitation pétrolière.

11Le protocole additionnel à la Convention d’Abidjan relatif à la coopération en matière de protection et de mise en valeur du milieu marin et côtier de la région de l’Afrique occidentale, centrale et australe contre la pollution due aux sources et activités terrestres, contient plusieurs dispositions intéressant la mise en place de la PSM.

12La zone géographique à laquelle s’applique le présent protocole (ci-après dénommée « zone du protocole »), correspond à celle définie à l’article 1 de la convention et comprend le milieu marin, les zones côtières et les eaux intérieures tombant sous la juridiction des États de la région de l’Afrique occidentale, centrale et australe, de la Mauritanie à l’Afrique du Sud. Le protocole précise que « les Parties contractantes adoptent et appliquent des législations et réglementations nationales visant à faciliter le plus possible l’accès du public aux données et informations pertinentes sur la pollution et la dégradation causées dans la zone du protocole par les sources et activités terrestres, sur les mesures prises pour prévenir, réduire, atténuer et combattre leurs effets délétères, et sur l’efficacité de ces mesures, en tenant compte des dispositions des instruments internationaux concernant l’accès du public à l’information sur l’environnement »⁸. Les défis de l’article 6 matérialisent sans doute la nécessité de la cohérence des mesures dynamiques entre le milieu marin et terrestre.

13Les États Parties doivent prendre toutes mesures appropriées pour prévenir, réduire, combattre et maîtriser dans la zone du protocole la pollution résultant des activités d’exploration et d’exploitation en mer et s’assurent, en particulier, que les meilleures techniques disponibles, les meilleures pratiques environnementales, écologiquement efficaces et économiquement appropriées, sont mises en œuvre⁹.

14L’article 17.2 relatif à l’établissement des rapports précise que « les rapports […] doivent contenir : e) des informations sur les activités entraînant une modification du littoral, d’habitats situés le long de ce dernier et des bassins hydrographiques connexes ». Les exigences imposées par cette disposition permettent donc de dégager les perspectives d’un cadre d’actions cohérentes de lutte contre la pollution due aux sources et activités terrestres par les différents acteurs.

15Ainsi, les différents protocoles additionnels de la Convention d’Abidjan participent à l’incitation régionale à mettre en place des dispositifs de PSM. L’UA va plus loin, avec une ambition et une stratégie maritime continentale.

Vers une PSM régionale : l’ambition de l’UA

16Soixante-dix pour cent du PIB du continent africain proviennent de l’économie maritime encore appelée économie « bleue ». Celle-ci concerne toutes les étendues d’eau et les rives et implique plusieurs activités économiques telles que la pêche, l’aquaculture, le tourisme, les transports, la construction navale, l’énergie, la bioprospection et toutes les filières du secteur minier sous-marin. En reconnaissance de la place de l’économie bleue dans l’économie africaine, l’UA a adopté en 2012, la Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans - Horizon 2050 (stratégie AIM 2050) (UA, 2012). Elle vise à favoriser la création d’une plus grande richesse des océans et des mers d’Afrique en développant une économie bleue florissante, durable, sécurisée et respectueuse de l’environnement.

Historique de la zone exclusive maritime commune de l’Afrique

17Le commerce intra-africain est au centre des préoccupations de l’UA¹⁰ en ce qu’il permet de réduire la dépendance du continent au commerce international. La mise en œuvre d’une zone maritime commune offrirait à l’Afrique d’importants « avantages géostratégiques, économiques, politiques, sociaux et sécuritaires, car elle susciterait des efforts collectifs et permettrait de réduire les risques de menaces transnationales, les dégâts environnementaux, la contrebande et le trafic d’armes » (UA, 2012). Cette ambition est incarnée par le projet de création d’une zone exclusive maritime commune en Afrique, connue sous l’acronyme CEMZA.

18Le concept de CEMZA est né de la Stratégie africaine intégrée pour les mers et les océans - Horizon 2050 (AIM 2050). La CEMZA y est définie comme « un espace maritime africain sans barrières » dont l’objectif est de « stimuler le commerce intra-africain » en éliminant ou en simplifiant les procédures administratives dans le transport maritime au sein de l’UA. La CEMZA ne vient pas générer un nouveau type de zone à l’instar de la zone économique exclusive, mais vise à éliminer ou simplifier les procédures administratives dans le transport maritime au sein de l’UA, contribuant ainsi à l’intégration du marché intérieur pour les échanges et les services maritimes intra-UA. La Stratégie reste assez vague dans l’opérationnalisation de la CEMZA, la prévoyant « en temps opportun » (UA, 2012, p. 17). De même, ses limites géographiques ne sont pas clairement explicitées (Vrancken, 2020). Elle prévoit néanmoins la création d’un « groupe de travail spécial stratégique chargé de préparer le dossier technique » qui devra notamment contenir les limites géographiques de la CEMZA.

19Ainsi, la stratégie AIM 2050 constitue davantage une « déclaration solennelle » d’intention de création de cet espace maritime partagé qu’un véritable plan d’action. Le régime juridique applicable, les règles de fonctionnement et le processus de constitution de cet espace restent à imaginer.

La CEMZA, des ambitions conformes aux objectifs de la PSM ?

20L’objectif de la PSM est d’organiser la répartition spatiale et temporelle des activités humaines qui se déroulent en mer, afin de promouvoir la croissance durable des économies maritimes, le développement durable des espaces maritimes et l’utilisation durable des ressources marines. Partant de cet objectif, la CEMZA pourrait constituer un cadre commun de gestion partagée de l’espace maritime, et à plusieurs titres, une initiative rattachable à une forme de PSM régionale.

21En termes d’objectifs, la création de la CEMZA coïncide avec plusieurs des objectifs visés par l’établissement de la PSM. En effet, la CEMZA vise, en plus de la valorisation d’intérêts économiques et commerciaux, la protection de l’environnement et la défense de secteurs représentant des sources de revenus substantielles pour les populations côtières tels que la pêche et l’aquaculture (Stratégie AIM 2050, UA, 2012). Si la Stratégie AIM 2050 ne définit pas le poids respectivement accordé à chaque pilier (c’est-à-dire économique, social et environnemental) dans l’élaboration et la mise en œuvre de la zone commune, on peut retrouver là encore une similarité avec les projets de mise en œuvre de PSM dans d’autres régions.

22La mise en œuvre d’une CEMZA impose également une volonté commune et partagée des États africains de réguler et d’aménager l’espace maritime, et l’établissement d’un partage de compétences. C’est une problématique que l’on retrouve au niveau national dans la PSM qui nécessite déjà, bien qu’à une échelle moindre, la coordination de plusieurs ministères et agences relatives au milieu marin et aux activités qui y ont lieu. Pour qu’une CEMZA voie le jour, il faudra une forte volonté politique des dirigeants africains, une coopération renforcée et une coordination efficace de toutes les politiques liées au domaine maritime. Étant donné que tous les États membres de l’UA seront impliqués pour la mise en place et le fonctionnement d’une CEMZA, le jeu d’acteurs ne se limite pas aux États côtiers. D’autres acteurs non (ou para) gouvernementaux seront également amenés à intervenir, tels que les communautés locales, les institutions et associations régionales spécialisées, le secteur maritime africain privé, les partenaires stratégiques au développement et la communauté internationale dans son ensemble et, notamment, les organisations africaines, le secteur privé et les partenaires internationaux du développement.

Des défis nationaux à la mise en œuvre de la PSM

23L’incitation supranationale à planifier l’espace marin est donc forte, mais si la mise en œuvre d’une CEMZA à l’échelle continentale est prévue sur plusieurs décennies, les États africains peuvent, dans le même temps, mettre en œuvre une PSM à une échelle nationale. Le Sénégal doit surmonter une multitude de défis nationaux liés à l’évolution des principes du droit de l’environnement sénégalais et à la sectorialisation des politiques publiques. À ce titre, l’émergence de l’aménagement terrestre pourrait représenter les prémisses de la PSM. Le cadre institutionnel sénégalais pourrait également être amené à être consolidé.

L’institution de l’aménagement terrestre, une référence pour la future PSM ?

Une loi récente sur l’aménagement et le développement durable des territoires

24La loi n^o 2021-04 du 12 janvier 2021 portant loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable des territoires (LOADT)¹¹ « a pour objectif général un développement harmonieux du territoire national » (art. 4). À ce titre, elle constitue la base juridique de la planification spatiale sur le territoire sénégalais terrestre, mais aussi maritime.

25En effet, le domaine maritime fait partie intégrante du territoire national en tant que composante du domaine de l’État¹², qu’il soit qualifié de domaine public maritime naturel¹³ ou artificiel¹⁴.

26Ainsi, cette loi apparaît comme le texte de base du système national de planification du milieu marin et côtier. Son exposé des motifs en est un élément révélateur. Parmi les innovations majeures, il est notamment mentionné « la création d’organes nationaux et territoriaux de l’aménagement et du développement territorial » ou encore « l’introduction de dispositions particulières (…) pour l’aménagement des zones spécifiques et prioritaires du fait notamment de leurs potentialités économiques ou de leur sensibilité écologique ».

27La détermination de ces éléments est un élément clé de la PSM qui concilie l’économie et la conservation de la biodiversité marine. Aussi, malgré l’absence de référence explicite à la PSM dans le texte de la loi, plusieurs concepts y afférents ont été définis en son article 2 tels que l’aménagement du territoire¹⁵, le développement durable¹⁶, le développement territorial, ou encore la zone économique spéciale¹⁷. Le fait que cette loi, non seulement identifie les différentes zones concernées, mais détermine également les autorités compétentes pour leur gestion, témoigne de la volonté du législateur de créer des normes d’équilibre entre les intérêts économiques et les impératifs écologiques qui s’affrontent sur le littoral. En matière de planification, la loi a prévu différents instruments visant notamment à promouvoir la gestion durable de l’environnement et des ressources naturelles. Parmi ces instruments figure le schéma de cohérence territoriale (Scot). Ce dernier peut notamment fixer les orientations fondamentales de l’aménagement, de la protection et de la mise en valeur du littoral et constituer un outil fondamental de mise en œuvre de la PSM.

28La participation du public y est également reconnue comme un principe fondamental à l’article 3¹⁸. La mise en œuvre de ce principe est essentielle dans le cadre de projets de PSM. En effet, les usages et usagers de la mer impactés par ces plans sont multiples et divisés. Rien qu’en matière de pêche, la pêche traditionnelle compose près de 80 % (ANSD, 2016) des débarquements. Cependant, le fait que 95 % (Gouvernement de la République du Sénégal, 2013) de ces emplois soient reconnus comme informels risque de complexifier la mise en œuvre de ce principe.

29Si l’objectif de plans de PSM est de mettre en balance et en perspective les données économiques, environnementales et sociales d’un même problème, il est crucial de garantir une place et une voix à chaque partie prenante dans le processus d’attribution des espaces. Nous pensons notamment aux petits producteurs ou aux travailleurs informels peu représentés dans les processus politiques. L’enjeu est ici d’éviter ou de minimiser les phénomènes d’accaparement des espaces ou des ressources dénoncés dans certains pays africains (Niasse, 2011) et dans le cadre de la mise en œuvre de PSM dans le monde. Le principe de participation du public vise à combler ce manque.

30La LOADT consacre également à son article 28, la mise en œuvre dans les zones d’aménagement prioritaires (ZAP) et dans les zones urbaines sensibles (ZUS), des politiques de développement renforcées et territorialement différenciées. En ce qui concerne les ZAP, rien n’empêche l’État d’appliquer la PSM sur une partie du territoire maritime au regard de la LOADT. Il en est de même des zones économiques spéciales qui peuvent être créées dans certaines parties du territoire par l’État en relation avec les collectivités territoriales pour promouvoir la création d’emplois et de richesses (art. 29).

31En ce qui concerne la sectorialisation, la LOADT innove en créant un Observatoire national des territoires (ONT) qui « concourt au suivi et à l’évaluation de la politique d’aménagement et de développement des territoires et constitue un outil d’aide à la décision pour tous les acteurs du territoire » (Art. 30, alinéa 3).

Les perspectives littorales et maritimes du Plan national d’aménagement et de développement territorial

32Le Plan national d’aménagement et de développement territorial (PNADT)¹⁹ constitue un document important pour la PSM. Contrairement au Plan national d’aménagement du territoire (PNAT)²⁰, le PNADT s’est adapté aux exigences de développement durable et particulièrement de la PSM. Ce plan vise à hisser l’aménagement du territoire au rang d’instrument stratégique des politiques publiques.

33Le PNADT pose les jalons d’une répartition des usages du milieu marin et côtier. La figure 1 décrit les activités susceptibles de chevauchement entre les potentiels acteurs. L’objectif principal du PNADT est la prise en compte de tous les acteurs.

Figure 1. Atlas cartographique du PNADT

34Cette figure marque les prémisses d’une PSM à l’échelle nationale. Tout cadre de mise en œuvre de la PSM repose sur l’utilisation de la mer. Malgré les nombreux textes juridiques qui s’appliquent, le territoire maritime demeure un espace où se traduit une rivalité positive entre acteurs. Dans ce cadre, les différents usagers de la mer peuvent développer et assurer une meilleure pratique des activités de pêche, d’exploitation pétrolière et gazière, de navigation, etc.

35Le code de l’environnement²¹ indique que ces plans et programmes doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale. Aussi, le code comporte des stratégies de planification de l’occupation de l’espace urbain,²² notamment le PNAT précité²³. L’urbanisation mal maîtrisée doit obliger les décideurs à s’orienter sur les délicates questions de la durabilité. L’évaluation des politiques publiques²⁴, nouvelle compétence dévolue à l’Assemblée nationale suite à la révision constitutionnelle de 2016, permet de faciliter la mise en œuvre de la planification spatiale marine au Sénégal. Celle-ci passera forcément par une revue des politiques publiques afférentes à la planification spatiale marine. Après avoir opéré un zonage juridique des différents espaces marins, la PSM suggère en outre que l’on spécialise les institutions compétentes pour leur gestion. Au Sénégal, ces institutions existent, mais hésitent entre spécialisation et nécessité de coopération.

Le cadre institutionnel sénégalais entre sectorialisation et besoins de coopération

36Malgré de récentes évolutions laissant entrevoir une approche plus intégrée à la protection de l’environnement marin, les institutions chargées de l’exploitation de la mer demeurent très sectorialisées, appelant à leur adaptation.

Une nécessaire adaptation des institutions pour mettre en œuvre la PSM

37De nombreuses institutions (ministères chargés de l’urbanisme, de l’environnement, des collectivités territoriales, de la pêche, etc.) sont concernées par la planification spatiale marine. Elles interviennent de manière sectorielle et gèrent des activités spécifiques de l’environnement marin. Ainsi certaines administrations sont compétentes en ce qui concerne la pollution marine, d’autres s’attachent à l’érosion du littoral pendant que d’autres sont investies dans la conservation de la biodiversité marine ou encore dans l’exploitation des ressources marines. L’harmonisation des politiques et textes juridiques constitue un des principaux défis du Sénégal.

Hassmar : une institution à compétence générale

38La Haute Autorité chargée de la coordination de la sécurité maritime, de la sûreté maritime et de la protection de l’environnement marin (Hassmar) a été créée par le décret n^o 2006-322 du 7 avril 2006. Aux termes de l’article 3 du décret, elle « est investie d’une responsabilité générale de coordination dans tous les domaines relatifs à la sécurité, à la sûreté et à la protection de l’environnement, dans les eaux maritimes et fluviales sous juridiction sénégalaise ». La Hassmar est la marque d’une première évolution vers une prise en compte globale de l’environnement marin. En effet, les pouvoirs qui lui sont dévolus en matière de protection de l’environnement marin sont divers et variés. L’une de ses compétences consiste à coordonner, en cas d’urgence, en relation avec les administrations concernées, la mise en œuvre du Plan national d’interventions d’urgence en mer (Pnium). Celui-ci intègre au sein d’un mécanisme unique, les plans spécialisés relatifs aux domaines d’intervention notamment, ceux afférents à la recherche et au sauvetage en mer, à la sûreté maritime et à la protection de l’environnement, respectivement désignés sous les vocables « plan SAR maritime », « plan Surmar » et « plan Polmar ».

39Cependant, il y a une limite à cette avancée vers une plus grande intégration, car les compétences de la Hassmar ne font pas obstacle aux prérogatives conférées à d’autres administrations et services publics, par des textes législatifs et réglementaires²⁵ comme par exemple l’Agence nationale des affaires maritimes (Anam).

L’Anam : une institution à compétences spécifiques

40L’Anam a été créée par le décret n^o 2009-583 du 18 juin 2009. Elle est sous la tutelle technique du ministre chargé de la Marine marchande. Elle a, entre autres missions, celle de participer à la police de la pollution maritime, à savoir : (i) prévention contre la pollution du milieu marin liée aux rejets par les navires d’hydrocarbures et de substances nocives, aux rejets dus aux opérations d’exploration ou d’exploitation du fond de la mer ou de son sous-sol, à l’immersion de déchets toxiques, à l’incinération et aux rejets d’origine tellurique ; (ii) recherche, constatation et instruction des infractions.

Des institutions aux compétences variées

41Face aux enjeux socio-économiques du littoral et de ses vulnérabilités, le ministère en charge de l’environnement, et notamment via la Direction de l’environnement et des établissements classés (DEEC), a mis en place en décembre 2012 la Division « gestion du littoral » (DGL)²⁶. Les missions principales de cette division consistent à gérer, prévenir et lutter contre toutes formes de dégradation du littoral, notamment l’érosion côtière, mettre en œuvre la gestion intégrée des zones côtières (GIZC) et définir les plans d’action appropriés pour une gestion durable de côtes²⁷.

42Par ailleurs, la Direction des aires marines et communautaires protégées²⁸ (DAMCP) est chargée de mettre en place et d’organiser la gestion d’un réseau d’aires protégées suffisamment représentatif des écosystèmes côtiers, estuaires et marins. Elle assure à cet effet une mission de conservation de la diversité biologique marine et côtière, notamment par la consolidation et le renforcement du réseau d’aires marines protégées.

43Pour permettre une gestion concertée avec les acteurs de l’environnement marin, un observatoire national pour la protection du littoral est en train d’être mis en place par le Programme de gestion du littoral ouest-africain (WACA)²⁹. Cet observatoire national est partie intégrante de l’organe national du littoral qui est en cours de mise en place également.

44Il est donc crucial que l’ancrage institutionnel de l’organe responsable de la PSM, tout en intégrant les exigences internationales, respecte, utilise et s’adapte aux structures nationales existantes afin de maximiser sa pertinence et son appropriation.

45La capacité des institutions à faire appliquer les textes juridiques constitue également un défi à relever dans la mise en œuvre de la PSM.

Vers une meilleure protection de l’environnement marin : les dernières évolutions

46Les textes et les institutions visant la protection de l’environnement marin sont traditionnellement dispersés (Bonnin et al., 2016). Or, la coopération et les synergies institutionnelles sont à la fois un prérequis et un produit de la PSM. Le projet de loi d’orientation sur le littoral³⁰ vise justement à combler ce manque.

47Ce projet de loi d’orientation a connu plusieurs versions qui ont circulé depuis plus d’une décennie. À l’origine, ce sont les lacunes constatées dans les procédures d’occupation, de classement et de déclassement du littoral qui ont été à la base de la première initiative gouvernementale ayant pour objectif de légiférer pour apporter des corrections au système juridique en vigueur. L’option retenue par le Gouvernement n’a pas été de réviser la loi 76-66 du 2 juillet 1976 portant Code du domaine de l’État ni le Code de la Marine marchande de 2002 (ce qui aurait été la solution la plus pratique en apportant les modifications et compléments à ces deux lois), mais plutôt d’élaborer une nouvelle loi dont le contenu et les procédures de préparation donnent de larges responsabilités au ministère chargé de l’environnement tout en associant les autres départements ministériels sectoriels (ministères chargés des domaines, de l’économie maritime, de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire, du tourisme, des collectivités territoriales). Ainsi, ce projet de loi d’orientation prévoit la création d’une Autorité nationale de gestion intégrée du littoral (Angil) rattachée au ministère chargé de l’environnement et regroupant en son sein les ministères compétents sur le littoral, pour faciliter la coordination des différentes institutions (article 11).

48Le projet de loi d’orientation sur le littoral est toujours en chantier, et les objectifs actuellement définis par les pouvoirs publics sont d’accélérer l’étude du processus de faisabilité de l’organe de gestion du littoral (aspects statutaires et ancrage institutionnel) en vue d’alimenter les travaux de la commission de rédaction de projet de loi d’orientation et de son décret d’application. En d’autres termes, les adoptions de la loi d’orientation et de son décret d’application semblent rester tributaires des résultats de ladite étude³¹.

49L’adoption le 12 janvier 2021 de la loi d’orientation pour l’aménagement du développement durable des territoires (LOADT) apporte des enjeux nouveaux que doit prendre en compte le projet de loi d’orientation sur le littoral. La LOADT introduit désormais des innovations majeures dans le droit positif sénégalais, en déterminant les principes fondamentaux de la politique d’aménagement et de développement territorial, la consécration juridique du Plan national d’aménagement du territoire (PNAT), des schémas directeurs sectoriels et des autres documents de planification spatiale à l’échelle territoriale, la création d’organes nationaux et territoriaux de l’aménagement et du développement territorial.

50Le dispositif institutionnel de la LOADT prévoit notamment un Conseil présidentiel de l’aménagement et du développement territorial (CPADT) (article 13), une Commission nationale de l’aménagement et du développement territorial (CNADT) (article 14), des commissions départementales et des commissions communales d’aménagement et de développement territorial (CDADT et CCADT prévues aux articles 15 et 16). Les conséquences juridiques sont la nécessaire prise en compte par le projet de loi littoral de ces nouveaux organes dont les compétences couvrent l’ensemble du territoire national, même si le littoral a des spécificités qui devraient aussi être prises en compte.

51Les zones de pêche protégées (ZPP) constituent une autre évolution intéressant la PSM. Dans certaines localités, elles combinent plusieurs activités destinées à l’exploitation durable des ressources. Le modèle de cogestion locale des pêcheries artisanales du Sénégal privilégie l’approche de gestion intégrée pour constituer les stocks démersaux côtiers par la promotion d’initiatives locales de cogestion et par la mise en œuvre de mesures de restauration des écosystèmes marins côtiers dégradés comme les ZPP et les zones d’immersion de récifs artificiels (Ziara) (CSE, 2018, p. 128).

52Dans la ZPP de Hann³², l’activité de pêche est soumise à un régime d’autorisation. Selon l’article 4, alinéa 1^er de l’arrêté portant création de ladite ZPP, « la pêche, sous toutes ses formes, est strictement interdite à l’intérieur de la zone délimitée à l’article 2. Seules les pêches expérimentales et les opérations de plongées sous-marines dûment autorisées par la Direction des pêches maritimes (DPM) à des fins de recherche scientifique et technique ou de suivi d’évaluation de la ZPP y sont permises ». L’alinéa 2 de l’article précité précise que « dans la zone définie à l’article 3, seule la pêche à la ligne simple est autorisée »³³. Les ZPP favorisent la coopération de plusieurs acteurs en planifiant l’exploitation durable des ressources. Cette approche intégrée qui cherche à concilier des objectifs de reconstitution des pêcheries démersales côtières, de réhabilitation des écosystèmes/habitats marins et d’amélioration des conditions de vie des communautés de pêcheurs constitue l’un des piliers du modèle de cogestion locale du Sénégal (CSE, 2018).

53Les dernières évolutions portent aussi sur le décret 2020-1784 du 23 septembre 2020 portant la charte de la déconcentration. Ce décret va s’appliquer sur toutes les circonscriptions administratives (les régions et départements du littoral que sont Saint-Louis, Louga, Thiès, Dakar Fatick et Ziguinchor sont donc concernés). La charte de la déconcentration fixe les principes de la territorialisation des politiques publiques, la territorialisation du service public, et la mutualisation des services déconcentrés. En d’autres termes, tout aménagement du littoral devra tenir compte des règles définies par la charte.

54Au total, le processus de finalisation de la loi littoral et de son décret d’application devra tenir compte de tout un ensemble de facteurs politiques et juridiques. C’est à cette condition qu’une PSM harmonisée pourra être réalisée au Sénégal.

Conclusion : une priorité donnée au développement ?

55Le Sénégal a adopté une nouvelle stratégie de développement pour accélérer sa marche vers l’émergence à travers le Plan Sénégal émergent (PSE) en 2014. Le PSE constitue le référentiel de la politique économique et sociale sur le moyen et long terme et permet au pays d’emprunter une nouvelle trajectoire de développement.

56Le PSE constitue à ce jour le principal cadre de référence des politiques de la « gouvernance visant à conduire le Sénégal sur la voie de l’émergence à l’horizon 2035 ». Le PSE prend spécifiquement en compte l’aspect environnemental à travers la promotion d’une économie verte, la lutte contre la dégradation de ressources environnementales et l’appauvrissement de la biodiversité, la valorisation des ressources naturelles et de la biodiversité, le renforcement des capacités institutionnelles et techniques, l’amélioration de la base de connaissance de l’environnement, mais aussi la mobilisation des financements pour les emplois verts.

57Par ailleurs, la réalisation des atlas (Bonnin et al., 2019) de droit de l’environnement marin en Afrique de l’Ouest a montré que les différentes administrations connaissaient mal les règles en dehors de leur secteur d’activité (Le Tixerant et al., 2020). Or la connaissance du droit constitue un préalable nécessaire à la mise en place de démarches de planification spatiale marine.